Poétique 2013/1 n° 173

Couverture de POETI_173

Article de revue

« Un gramme de pensée »

Figures de la cognition chez Montaigne et Rabelais

Pages 3 à 26

Notes

  • [1]
    L’expression « un gramme de pensée » est empruntée à Jean-Luc Nancy, Corpus, Paris, Métailié, 2000, p. 101.
  • [2]
    La lettre est reproduite sur le site http://corbeil.essonnes.free.fr/Ordinateur.htm. Un fac-similé de la lettre originale est disponible auprès de J.-C. Vey, Direction de la communication IBM France, Tours Septentrion, Paris la Défense.
  • [3]
    Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’A. Rey, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, rubrique « Ordinateur ».
  • [4]
    Voir dans le même sens les travaux de Friedrich Kittler, qui fait passer l’aspect technique dans la sphère du sémantique et établit des corrélations entre modèles cognitifs et développement des machines (Grammophon, Film, Typewriter, Brinkman & Bose, Berlin, 1986 ; Gramophone Film Typewriter, trad. Geoffrey Winthrop-Young et Michael Wutz, Stanford, Stanford University Press, 1999).
  • [5]
    Voir Michael J. McCarthy à propos des métaphores (« a dictionary, a thesaurus, an encyclopedia, a library, a computer ») utilisées pour le « mental lexicon », Vocabulary, Oxford, Oxford University Press, p. 34.
  • [6]
    Gilbert Ryle, La Notion d’esprit, trad. fr. S. Stern-Gillet, Paris, Payot et Rivages, 2005 [1978], p. 87 [The Concept of Mind, 1949].
  • [7]
    L’ordinateur, contrairement à l’esprit, fonctionne « avec un nombre fini d’états possibles ». Sur les inconvénients de cette métaphore, voir Alex Boulton, « Anciennes et nouvelles technologies : métaphores de l’esprit linguistique », ASp [en ligne], 23-26, 1999, mis en ligne le 10 novembre 2011, http://asp.revues.org/2588 ; DOI : 10.4000/asp.2588.
  • [8]
    Il sert aussi de modèle à l’esprit lui-même : selon les connectionnistes, il faut remplacer « the “computer metaphor” as a model of the mind with the “brain metaphor” » (David E. Rumelhart, James L. McClelland et the PDP Research Group, Parallel Distributed Processing : Explorations in the Microstructure of Cognition, Cambridge (Mass.) ; Londres, MIT Press, vol. 1, 1986, p. 75, cité par David Singleton, Exploring the Second Language Mental Lexicon, Cambridge University Press, 1999, p. 121. Voir aussi Jean Aitchison, Words in the Mind : An Introduction to the Mental Lexicon, 2e éd., Oxford, Basil Blackwell, 1994).
  • [9]
    Conférence de Michel Serres sur l’informatique à l’INRIA, 20 mars 2010.
  • [10]
    Nadia Cernogora, « Translatio/Metaphora : La métaphore dans l’exégèse biblique de saint Augustin à la Clavis Scripturae de Mathias Flacius Illyricus (1567) », Camenae, n° 3, novembre 2007, « Translations. Pratiques de traduction et transferts de sens à la Renaissance », revue en ligne, p. 1-12, 1-2.
  • [11]
    Thomas d’Aquin, Somme théologique, i, quest. 1, art. 9, cité et traduit par Yves Delègue, Les Machines du sens. Fragments d’une sémiologie médiévale, Paris, éd. des Cendres, 1987, p. 92.
  • [12]
    Michele Prandi, « A Plea for Living Metaphors : Conflictual Metaphors and Metaphorical Swarms », Metaphor and Symbol, vol. 27, n° 2, 2012, p. 148-170, 154. Voir aussi « L’interaction métaphorique : une grandeur algébrique », Protée, vol. 38, n° 1, printemps 2010, p. 75-84.
  • [13]
    Prandi, « A Plea… », p. 153.
  • [14]
    Michel de Montaigne, Les Essais, éd. P. Villey, Paris, PUF, « Quadrige », 1992 [1924, 1965], III, V, p. 892-893B.
  • [15]
    Voir Martin L. Pine, « Pietro Pomponazzi’s Attack on Religion and the Problem of the De fato », in F. Niewöhner et O. Pluta (éd.), Atheismus im Mittelalter und in der Renaissance, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1999, p. 145-172. De Pomponazzi lui-même, voir son Trattato sull’immortalità dell’anima, a cura di V. Perrone Compagni, Firenze, Olschki, 1999.
  • [16]
    Montaigne, Les Essais, i, 8, « De l’oisiveté », p. 32.
  • [17]
    Pour un repérage intertextuel précis, voir Isabelle Konstantinovic, Montaigne et Plutarque, Genève, Droz, 1989, p. 57-59 ; 133-135.
  • [18]
    Giulia Sissa, L’ âme est un corps de femme, Paris, Odile Jacob, 2000.
  • [19]
    Ibid., p. 79-80.
  • [20]
    Dans l’essai, la notation « dernierement que je me retiray chez moy » laisse entendre que le texte a été écrit peu de temps après la retraite de Montaigne (1570-1571), et « comme il est placé au milieu de chapitres qui sont tous datés de 1572 environ, il y a lieu de le rapporter à la même époque » (Montaigne, Les Essais, commentaire de Villey, p. 32).
  • [21]
    Laurent Joubert, Erreurs populaires, Bordeaux, Millanges, 1578, p. 373-374.
  • [22]
    Ibid., p. 376.
  • [23]
    Plutarque, Les Preceptes de mariage, in Œuvres morales et meslees, Paris, Vascosan, 1572, ff. 149 H-150 A, cité par Konstantinovic, Montaigne et Plutarque, p. 134.
  • [24]
    Marie-Luce Demonet, « La fiction comme “chimère” chez Montaigne et Sanchez », Nouveau Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne, 2e semestre, II, n° 46, 2007, p. 7-24.
  • [25]
    Montaigne, Les Essais, I, 8, p. 33.
  • [26]
    Demonet, « La fiction comme “chimère”… », p. 7.
  • [27]
    Montaigne, Les Essais, II, 12, « Apologie de Raimond Sebond », p. 601.
  • [28]
    Sexti Empirici Adversus mathematicos, hoc est, adversus eos qui profitentur disciplinas, Gentiano Herveto Aurelio interprete, Parisiis, M. Javenem, 1569, VIII, 325. Selon Sextus, les sceptiques comparent avec justesse les chercheurs en matière obscure à des archers tirant sur une cible dans le noir ; il est raisonnable que certains aillent toucher la cible, d’autres la manquer. Mais on ne pourra pas savoir qui l’a touchée, qui l’a manquée. De la même manière, certaines affirmations sur les choses obscures sont vraies ; mais personne ne peut prétendre que son affirmation est vraie. Personne n’a les moyens de dire ce qui est le cas.
  • [29]
    Montaigne, Les Essais, II, 37, p. 758A.
  • [30]
    Galien, Que les meurs de l’ âme suyvent la température du corps. Interprété par J. Le Bon […]. Puis un mot de digression à messieurs les rimeurs (Paris, P. Gaultier, 1557).
  • [31]
    Voir les remarques introductives dans Galien, L’Ame et ses passions, Les passions et les erreurs de l’ âme, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, introd., trad. et notes par V. Barras, T. Birchler, A.-F. Morand (Paris, Les Belles Lettres, 1995), xliii.
  • [32]
    Ibid., II, 12, p. 539.
  • [33]
    Ian Maclean, « Corps et âme selon les médecins et les théologiens du xvie siècle : le conflit des facultés », Annuaire de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 139, 2008 [en ligne], mis en ligne le 7 janvier 2009. URL : http://ashp.revues.org/index264.html.
  • [34]
    Pour cette distinction dans un autre contexte, voir Bérenger Boulay, « Effets de présence et effets de vérité dans l’historiographie », Littérature 2010/3, « Ecrire l’histoire », n° 159, p. 26-38, 26.
  • [35]
    Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, trad. française sous la direction de M.-O. Goulet-Cazé, Paris, La Pochothèque, 1999, livre IX, « Pyrrhon », p. 1101.
  • [36]
    Montaigne, Essais, II, XII, « Apologie de Raimond Sebond », p. 563.
  • [37]
    Ac. Post, I, 11, 41-42, cité par Carlos Lévy, Cicero Academicus : recherches sur les Académiques et la philosophie cicéronienne, Rome, Collection de l’Ecole française de Rome, 1992, p. 224. Voir aussi Jean-Pierre Dumont, « L’âme et la main. Signification du geste de Zénon », Revue de l’enseignement philosophique, avril-mai 1969, p. 1-8.
  • [38]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 503.
  • [39]
    Phys. II, 4, p. 562, cité par Jacqueline Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme. Etude et trad. des traités stoïciens, « De la constance », « Manuel de philosophie stoïcienne », « Physique des stoïciens », extraits, Paris, Vrin, 1994, p. 48.
  • [40]
    Ibid., p. 49.
  • [41]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 562C, « Inter visa vera aut falsa ad animi assensum nihil interest » (Ac. II, 28).
  • [42]
    Ibid., p. 563A.
  • [43]
    C. Lévy, Cicero Academicus…, p. 261.
  • [44]
    Ibid., p. 566B.
  • [45]
    L’expression est de Jonathan Barnes, « Diogenes Laertius IX 61-116 : The Philosophy of Pyrrhonism », in Austieg und Niedergang der römischen Welt, éd. W. Haase (Berlin), II.36.6, p. 4241-4301, 4252 n. 54 et 4254 n. 72 (la thèse ne porte pas sur les choses mais leur cognoscibilité, et elle est négative car elle conclut à l’impossibilité du savoir).
  • [46]
    Sur les métaphores conventionnelles ou littérales et les métaphores créatrices, voir l’ouvrage classique de George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie quotidienne, trad. M. de Fornel, Paris, éd. de Minuit, 1985.
  • [47]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 563B.
  • [48]
    Ibid., p. 562A.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    Ibid., p. 563A.
  • [51]
    Ibid., p. 564A.
  • [52]
    Ibid., p. 565B.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Frédéric Brahami, Le Scepticisme de Montaigne, Paris, PUF, 1997, p. 48. L’auteur montre la dépendance du scepticisme envers la rationalité de l’homme.
  • [55]
    Qui est contre le sceptique est en fait avec lui, comme le souligne Sextus Empiricus : « Et si un dogmatique entreprend de contredire l’une de ces remarques, il renforcera le raisonnement sceptique en affermissant lui-même la suspension de l’assentiment concernant les questions soumises à l’enquête, du fait des attaques qui s’affrontent de part et d’autre et du désaccord [diaphônia] indécidable <qui en résulte> » (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, introduction, traduction et commentaires par P. Pellegrin, Paris, éd. du Seuil, 1997, II, p. 259).
  • [56]
    Sextus Empiricus, Contre les Professeurs, Pierre Pellegrin (éd.), Paris, éd. du Seuil, 2002, « Contre les grammairiens », p. 245.
  • [57]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 566B.
  • [58]
    Ibid., II, 37 p. 758 ; III, 9, p. 962.
  • [59]
    Sur ce point, voir Terence Cave, Retrospectives. Essays in Literature, Poetics and Cultural History, N. Kenny et W. Williams (éd.), Londres, Legenda, 2009, chap. 2, « Problems of Reading in Montaigne’s Essais », p. 31.
  • [60]
    Montaigne, Essais, II, 12, p. 562A.
  • [61]
    Ibid., p. 564A.
  • [62]
    Ibid., p. 565A.
  • [63]
    Ibid., p. 564A.
  • [64]
    Sextus la définit comme stasis dianoias, « arrêt de la pensée » sur la crête séparant deux opinions.
  • [65]
    Voir la citation de Catulle, XXV, 12, qui sert de comparant à l’esprit : « velut minuta magno / Deprensa navis in mari vesaniente vento » (II, 12, p. 566B).
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    Olivier Guerrier, « Montaigne, les tours de la “fantasie” », Camenae, n° 8, décembre 2010, p. 1-12, 7.
  • [68]
    Montaigne, Essais, II, 12, p. 563A.
  • [69]
    Ibid., p. 565A.
  • [70]
    Trésor de la langue française informatisé.
  • [71]
    Florence Dumora-Mabille, « Propre et figuré dans le Dictionnaire universel », Littératures classiques, 47, 2003, p. 45-61.
  • [72]
    Montaigne, Essais, p. 539A.
  • [73]
    Ibid., p. 563A.
  • [74]
    Ibid.
  • [75]
    Ibid., p. 564A.
  • [76]
    Sur cette tripartition, voir Walther Sudhoff, « Die Lehre von den Hirnventrikeln in textlicher und graphischer Tradition des Altertums und Mittelalters », Archiv für Geschichte der Medizin, VII, 1914, p. 149-205, 151-154 ; H. A. Wolfson, « The internal Senses in Latin, Arabic, and Hebrew Philosophical Texts », Harvard Theological Review, XXVII, 1935, p. 69-133.
  • [77]
    Liber de Anima, CR 13,120s. Sur la psychologie de Mélanchthon, voir Wolfgang Holzapfel et Georg Eckardt, « Philipp Melanchthon’s Psychological Thinking Under the Influence of Humanism, Reformation and Empirical Orientation », Revista de historia de la psicologia, n° 20, 1999, p. 5-34.
  • [78]
    Voir Katharine Park, « The Organic Soul », in The Cambridge History of Renaissance Philosophy, C. B. Schmitt et Q. Skinner (éd.), Cambridge University Press, 1988, p. 464-484.
  • [79]
    Nemesii Episcopi et Philosophi de Natura Hominis liber Unus, Antwerpiae, Plantinus, 1565, chap. xiii, « De Memoria », p. 68. Voir Walter Pagel, « Medieval and Renaissance Contributions to Knowledge of the Brain and its Functions », in The History and Philosophy of Klowledge of the Brain and its Functions, An Anglo-American Symposium, Londres, 15 et 16 juillet 1957 ; Amsterdam, B. M. Israël, 1973, p. 95-114, 98. Ce traité a été deux fois traduit en latin au Moyen Age et Thomas d’Aquin comme Albertus Magnus en font usage. Giorgio Valla en a produit une nouvelle version, publiée à Lyon en 1538. Sur ce traité, voir E. Ruth Harvey, The Inward Wits. Psychological Theory in the Middle Ages and the Renaissance, London, The Warburg Institute, University of London, 1975, p. 2-3.
  • [80]
    Sur le chevauchement de deux modèles, statique et dynamique, voir Marie-Luce Demonet, « Le lieu où l’on pense, ou le désordre des facultés », in Ordre et désordre dans la civilisation de la Renaissance, G.-A. Pérouse et F. Goyet (éd.), Actes du colloque, Nice, septembre 1993, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1996, p. 25-47, 27.
  • [81]
    A propos de l’expression figurée, Teresa Chevrolet, L’Idée de fable : théories de la fiction poétique à la Renaissance, Genève, Droz, 2007, p. 185.
  • [82]
    Montaigne, Essais, III, V, « Sur des vers de Virgile », p. 881B.
  • [83]
    Jean Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1993, p. 366.
  • [84]
    Mary B. McKinley, Les Terrains vagues des Essais : Itinéraires et intertextes, Paris, Champion, 1996, p. 68.
  • [85]
    Montaigne, Essais, II, 12, p. 537C.
  • [86]
    François Rabelais, Quart Livre, in Œuvres complètes, M. Huchon (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, chap. xxx, « Comment par Xenomanes est anatomisé et descript Quaresmeprenant », p. 608.
  • [87]
    Ibid., p. 610.
  • [88]
    George Lakoff et Mark Johnson désignent comme un ensemble de concepts métaphoriques les valeurs les plus fondamentales et inconscientes d’une culture : la valorisation du haut comme positif, l’association du blanc à la pureté, etc. (Les Métaphores dans la vie quotidienne).
  • [89]
    Carl Havelange, De l’œil et du monde : une histoire du regard au seuil de la modernité, Paris, Fayard, 1998, p. 86-87.
  • [90]
    C’est ce que Lakoff et Johnson appellent les métaphores innovantes par exploitation des parties non utiles de la métaphore littérale. Pour une analyse systématique des comparaisons de Rabelais, voir François Moreau, Les Images dans l’œuvre de Rabelais, Paris, SEDES, 1982, p. 280-293.
  • [91]
    Guillaume Tardif, Rhetoricae artis ac oratoriae facultatis compendium, fonction de la similitude. Ce traité est la deuxième rhétorique intégrale en langue latine à être publiée par un auteur français. Sur cet ouvrage, voir Alex L. Gordon, « Au service de l’argumentation. Le classement des figures chez Guillaume Tardif », Etudes littéraires, 24 : 3, 1991-1992, p. 37-47.
  • [92]
    Ibid.
  • [93]
    « Nous ne pouvons pas parler des facultés organiques de l’âme sans proposer en même temps une description du corps humain dans lequel se trouvent les organes de l’âme. L’anatomie appartient donc au De anima » (Commentarius de Anima Phil. Melan., Vitebergae M.D.L., 21r, cité et traduit par Dino Bellucci, Science de la nature et Réformation : la physique au service de la Réforme dans l’enseignement de Philippe Mélanchthon, Monopoli, Viveri In, p. 400).
  • [94]
    Sur l’importance que le De anima confère à l’anatomie, voir Vivian Nutton, « Wittenberg Anatomy », in Medicine and the Reformation, O. P. Grell et A. Cunningham (éd.), Londres, Taylor & Francis, 1993 ; Sachiko Kusukawa, The Transformation of Natural Philosophy : the Case of Philip Melanchthon, Cambridge University Press, 1995, chap. 3, « The soul », p. 75-123.
  • [95]
    Sur ce point, voir Andrea Carlino, Paper Bodies. A Catalogue of Anatomical Fugitive Sheets 1538-1687, traduit par N. Arikha, Londres, Wellcome Insitute for the History of Medicine, 1999, p. 110-112.
  • [96]
    Rabelais, Quart Livre, chap. xxx, p. 109.
  • [97]
    Sur l’anatomia sensibilis de Berengario, voir Roger K. French, « Berengario da Carpi and Commentary in Anatomical Teaching », in The Medical Renaissance of the Sixteenth Century, A. Wear, R. K. French, I. M. Lonie (éd.), p. 42-74, 54-61.
  • [98]
    « Et, par conséquent, en chantant les louanges à Dieu, le Créateur Universel, nous devons Lui rendre grâce de nous avoir accordé une âme raisonnable que nous partageons avec les anges (et ici il ne faut pas oublier les philosophes maltraités, comme Platon lui-même l’a indiqué). Si seulement à ce précieux don de Dieu nous ajoutons la Foi, nous devrions jouir alors de cette félicité éternelle, alors que le siège de l’âme et sa substance ne doivent être recherchés ni par la dissection du corps ni par notre raison, oppressée et enchaînée par le corps. Car Lui qui est Sagesse Véritable nous enseignera que nous ne sommes pas créés de cette substance qui naît puis s’éteint, mais d’une substance spirituelle à Son image », traduit de Charles Singer, Vesalius on the Human Brain, Londres/New York/Toronto, Oxford University Press, 1952 (traduction de la section Fabrica humani corporis [1543], chap. vi, « On the Ventricles of the Brain », p. 40).
  • [99]
    M.-L. Demonet, « Le lieu où l’on pense, ou le désordre des facultés », 1996, p. 47.
  • [100]
    Dans la traduction de Jean Lebon, Que les meurs de l’ âme suyvent la temperature du corps, Paris, P. Gaultier, 1557. Sur la connaissance précise que Rabelais avait de Galien, dont il a publié certaines œuvres en latin, voir Mireille Huchon, « Parodie de l’écriture scientifique chez Rabelais », in L’Ecriture du texte scientifique au Moyen Age, Claude Thomasset (éd.), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 173-192.
  • [101]
    Les facultés de l’ âme suivent les tempéraments du corps, in Galien, L’Ame et ses passions, p. 82.
  • [102]
    René Bretonnayau, La Génération de l’homme et le Temple de l’Ame…, Paris, Abel l’Angelier, 1583, « Le Temple de l’Ame », f. 77v°.
  • [103]
    Ibid., f. 84r°.

1« Que diriez-vous d’ordinateur ? » Telle est la trouvaille que propose Jacques Perret, éminent professeur de philologie latine à la Sorbonne, aux responsables de l’usine IBM de Corbeil-Essonnes désireux de remplacer l’anglicisme computer. Dans ce courrier étonnant daté du 16 juin 1955, parmi tous les candidats – « congesteur » est trop tuméfié, « digesteur » trop organique, « systémateur » trop doctrinaire, « combinateur » trop louche –, la faveur de Perret va à ordinateur, dont le féminin « ordinatrice » demeure possible et « aurait l’avantage », relève Perret, « de séparer plus encore votre machine du vocabulaire de la théologie [2] ». Car ordinateur est un mot ancien (1491), dérivé d’ordinare, « ordonner », qui signifie d’abord celui qui institue, en parlant du Christ, puis celui qui met en ordre et règle les affaires publiques, fonctions excluant traditionnellement les femmes [3]. Si l’ordination désigne l’acte liturgique qui confère le sacrement, Perret se défend cependant de se livrer à un baptême onomastique aspergeant d’eau bénite la machine : « Les deux champs de signification (religion et comptabilité) sont si éloignés », note-t-il, que l’acception ancienne demeurera vraisemblablement dormante. De fait le nouveau sens, destiné par son créateur à demeurer apostat, s’imposera avec la vigueur amnésique d’une catachrèse venant combler un vide lexical. Ainsi le philologue intronise-t-il une métaphore mort-née, pour n’être jamais perçue comme telle. Qui se rappelle en effet le signifié religieux originel du terme « ordinateur » ?

2Or, qu’on ait l’habitude d’avoir un ordinateur, un volumen ou un livre entre les mains conditionne des manières spécifiques de penser et de mettre en scène le fonctionnement de la pensée [4]. L’évolution des supports médiatiques et des ressources techniques destinés à stocker, traiter et transmettre des informations fournit les modèles épistémologiques inédits pour renouveler la compréhension et la représentation de la vie mentale, et ces modèles sont aussi des propositions métaphoriques. Au « dictionnaire tout à part [soi] » de Montaigne, image qui suggère un espace fixe, le cerveau-livre, où mots et notions, dotés d’inflexions sémantiques singulières, sont rangés [5], s’oppose la métaphore dynamique et hydraulique du mécanisme cartésien, d’après laquelle l’esprit, localisé dans la glande pinéale, régule le comportement du sujet en dirigeant le courant de fluides ventriculaires vers les muscles appropriés – Gilbert Ryle, dans son ouvrage classique The Concept of Mind (1949), en fera la caricature : « l’esprit n’est pas seulement un fantôme attelé à une machine ; il est lui-même une machine fantomatique [6] ». De son côté, la métaphore de l’ordinateur pour parler des mécanismes de la pensée s’est imposée en France jusqu’aux années 1980 (notamment avec le livre de Jean-Pierre Changeux, L’Homme neuronal), avant que sa pertinence épistémologique ne suscite le débat [7]. Ainsi, par une circularité qui abolit les frontières entre l’animé et l’inanimé, le mot « ordinateur », lié d’abord à un agent humain ou divin, a servi ensuite à qualifier une machine qui, à son tour, devait permettre la description figurée du fonctionnement de l’esprit.

3Inversement le cerveau, comme lieu d’une intense interconnectivité, sert de modèle pour fabriquer les ordinateurs modernes [8]. Le « Human Brain Project » (2013-2023), piloté par l’EPFL à Lausanne, vient d’être consacré par la Commission européenne et recevra 1 milliard d’euros pour modéliser le cerveau humain en simulant, grâce à des technologies novatrices dans les domaines informatiques et robotiques, les plus de 100 milliards de neurones et leur fonctionnement. Ici, non seulement la machine prétend devenir cerveau, elle pourrait même en confisquer certaines propriétés. Michel Serres s’inspire du miracle de saint Denis décapité, présentant sa tête à ses ouailles, pour identifier l’ordinateur à « notre tête de saint Denis » où résideraient désormais nos facultés rationnelles, mémoire et raison [9]. L’homme moderne serait « sans facultés », il aurait perdu la tête, et sur le cou ne lui resteraient que l’inventivité et l’imagination, trophées les plus manifestes de son humanité. L’innommé, qu’il soit technologique ou immatériel, nourrit donc la polysémie du terme « ordinateur » et, avec Michel Serres, laisse permuter au final les rapports entre comparant et comparé (la machine métaphorisée comme « ordinateur » permet à son tour de décrire la tête humaine).

4Ces transferts métaphoriques engagent une certaine vision du rapport entre corps et esprit. On a ainsi tenté parfois de reconduire un dualisme, il est vrai, largement dépassé, en conceptualisant le cerveau comme ordinateur matériel par opposition à l’esprit comme logiciel. Mais, selon les neurologues, toute expérience de pensée a pour effet de modifier la structure du cerveau et s’incarne comme forme du corps en permanente métamorphose. Dès lors, les modèles épistémologiques actuels, qui tendent à nouer corps et esprit jusqu’à leur indistinction, dissolvent ou, du moins, problématisent le fonctionnement de la métaphore, lorsque, pour sa part, celle-ci prétend à l’occasion glisser d’un sens premier, matériel, à un sens second, immatériel. Devrait-on la soupçonner alors de ne vivre que de la croyance en une séparation du corps et des parties immatérielles de l’homme ? La métaphore n’est-elle pas le symptôme d’une histoire dualiste de la pensée ? Ou, plus exactement, n’est-ce pas l’attribution d’un sens figuré à la métaphore, telle que l’opère la tradition rhétorique, que met en question le modèle psychosomatique ?

5Dans le dictionnaire de Furetière, c’est en effet un critère ontologique, obéissant à une logique des res et non des verba, qui opère la partition des choses, morales et spirituelles du côté figuré, matérielles et corporelles du côté littéral. La métaphore ne délivre donc pas forcément un sens figuré, dès lors qu’elle désigne un référent matériel. Sans doute faut-il reconnaître dans ce modèle les vestiges de la pensée néoplatonicienne et chrétienne, qui met l’image au service d’un passage métaphorique à la transcendance. Ainsi les théologiens et les commentateurs de la Bible ne considèrent plus seulement la translatio comme un déplacement du sens propre au sens figuré, du mot usuel au mot usurpé, à l’instar de la rhétorique profane, mais comme un passage du visible à l’invisible (translatio ab naturalibus in divinis), par lequel l’homme tente de trouver dans le mot humain un reflet de la nature de Dieu [10]. Pour justifier la foisonnante métaphoricité des Ecritures, Thomas d’Aquin écrit : « il est naturel à l’homme d’arriver aux intelligibilia par le truchement des sensibilia, parce que toute notre connaissance a son origine dans les sens [11] ».

6Telle est donc la question qu’on adressera à des textes du xvie siècle : les métaphores très concrètes qui dépeignent les activités mentales y construisent-elles un sens propre (la matérialité de l’esprit) ou figuré (son incorporéité) ? Sont-elles les vectrices d’une métaphysique, les sensibilia qui nous mènent aux intelligibilia, ou les instruments de leur disparition, par une opération qui dans le même mouvement retire aux métaphores leur sens figuré ? Ni l’un ni l’autre, ou tous les deux à la fois répondra-t-on avec le sceptique Pyrrhon, en examinant les modèles métaphoriques disponibles dans les savoirs renaissants (philosophie héritée de l’Antiquité, philosophie naturelle et médecine) pour lier – et non pas séparer – l’esprit et le corps. Comment décrire l’exercice des facultés mentales, où se conjuguent de manière insondable forces matérielles et intensités spirituelles ? En examinant une série de métaphores – le corps féminin de la pensée, média le plus naturel pour dire l’intellect masculin, la poigne de la pensée, le poids de la pensée, l’espace de la pensée –, on interrogera chez Montaigne des stratégies analogiques qui mettent en jeu des conceptions anthropologiques spécifiques et qui soulèvent le caractère problématique de leur statut. Car si toute métaphore vive opère la connexion créative de concepts hétérogènes [12], le travail stylistique propre à l’essai interroge précisément la différence apparente entre ces domaines : y a-t-il réellement conflit ou plutôt voisinage, accointance, interpénétration, voire identité ?

7La vitalité de la métaphorisation de l’esprit chez Montaigne est fonctionnelle en ce qu’elle problématise, justement, le lien entre corps et esprit. Son procédé met en abyme la question d’un rapport, stimulant l’activité herméneutique du lecteur auquel se dérobe un signifié univoque [13]. Les catachrèses décrivant l’esprit sont de « belles endormies » (ou métaphores éteintes), que Montaigne va réveiller en étendant leur portée, pour montrer que nos manières de parler ne sont pas innocentes mais reflètent, ou produisent, des manières inédites de penser. L’exercice cognitif ne peut être désolidarisé ni du corps ni de l’emploi de la langue. Revivifiée, la forme peut en effet agir sur le concept, entraînant des conséquences ontologiques et métaphysiques. A la manière d’un levier cognitif, les métaphores inédites des Essais contrent ainsi une vision désincarnée des processus mentaux sans pourtant rien asserter. Car la métaconnaissance qu’elles délivrent porte sur l’impossibilité épistémologique de tracer une frontière nette entre l’esprit et le corps, et de choisir entre littérarité et figuralité, quand bien même on disséquerait le texte ou qu’on plongerait le scalpel sous la peau :

8

Pouvons nous pas dire qu’il n’y a rien en nous, pendant cette prison terrestre, purement ny corporel ny spirituel, et que injurieusement [injustement] nous dessirons [déchirons] un homme tout vif [14] ?

9Montaigne n’est ni un dualiste à la manière des néoplatoniciens ou de Vésale, ni un matérialiste à l’instar de Galien ou de Pomponazzi, auteur phare du naturalisme italien [15], mais un mixeur, un malaxeur, un hybridationniste. D’un côté, il défend un postulat ontologique (il y a du corporel et du spirituel, et leur brouillage ne vit que de cette séparation). De l’autre, il adopte (sur un mode interrogatif) un scepticisme épistémologique quant à la définition de leurs lignes de partage. Entretenant cet indécidable, les figures de l’esprit lui permettent de parler sans s’engager dans le développement d’un modèle cognitif, mais en engageant le lecteur dans un jeu interprétatif à choix multiples.

10Si l’essayiste insiste sur l’absence de critères pour démarquer les représentations savantes des fabrications poétiques de l’esprit humain, la fiction rabelaisienne, à laquelle on s’intéressera dans un second temps, met en œuvre ce nivellement des discours : elle devient vraisemblable par sa capacité à dénoncer, à coups de comparaisons burlesques, les fictions de la médecine qui fonctionnent par analogie, et à signifier l’inadéquation du mot à la chose. L’anatomie de Quaremesprenant, structurée par la reprise anaphorique de « comme », retourne ainsi les comparaisons contre elles-mêmes qui n’apparaissent plus comme des outils analogiques mais comme des obstacles à la compréhension et un carnaval linguistique. Les matérialistes, qui donnent chair à l’âme, et les dualistes, qui hiérarchisent les deux parties irréconciliables de l’homme, y sont renvoyés dos à dos, empêchant, comme chez Montaigne, l’attribution de toute doctrine définitive à Rabelais quant aux rapports entre l’âme et le corps.

L’esprit « est un corps de femme »

11

Comme nous voyons des terres oysives, si elles sont grasses et fertilles, foisonner en cent mille sortes d’herbes sauvages et inutiles, et que, pour les tenir en office, il les faut assubjectir et employer à certaines semences, pour nostre service ; et comme nous voyons que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle, il les faut embesoigner d’une autre semence : ainsin est-il des espris. Si on ne les occupe à certain sujet, qui les bride et contreigne, ils se jettent desreiglez, par-cy par là, dans le vague champ des imaginations [16] […].

12L’ouverture du bref essai « De l’oisiveté », qui dépeint la scène originelle de l’écriture des Essais, sait ménager ses effets : deux comparants, les terres sauvageonnes et les femmes non fécondées, précèdent et dramatisent le surgissement du comparé, ces esprits déréglés qui courent sans bride dans le « vague champ des imaginations ». L’essai s’articule ainsi sur une série de transformations analogiques qui esquissent, par cascade, une physiologie de l’esprit. Empruntant ces images à deux traités de Plutarque traduits par Amyot (Comment il fault nourrir les enfans et Les Preceptes de mariage) [17], Montaigne les conjugue d’autant plus ingénieusement que la terre est un comparant topique du corps féminin qui est lui-même, depuis les origines de la culture occidentale, le comparant traditionnel de l’esprit. Giulia Sissa a ainsi montré, dans la littérature grecque de l’Antiquité, comment le corps féminin acquiert une pertinence toute spéciale à signifier l’activité intellectuelle, pourtant la moins accessible socialement aux femmes [18]. Platon notamment témoigne d’une obsession étrange à parler de tout ce qui ne relève pas du corps et ne devrait surtout pas y toucher, âme, connaissance, pensée, parole, par des métaphores anatomo-physiologiques et surtout gynécologiques : l’âme conçoit, elle est grosse de connaissance, elle accouche avec l’aide de quelqu’un alors même qu’on doute de la rationalité des femmes. Néanmoins, selon le Théétète de Platon, il existe une différence fondamentale entre le corps des femmes et l’âme des hommes : le premier ne produit jamais des enfants fictifs (eidola) alors que la psyché masculine accouche de faux-semblants, d’erreurs, d’illusions. D’où la supériorité de la maïeutique destinée aux âmes sur l’art d’accoucher les corps : elle doit noblement s’occuper de la distinction entre vérité et mensonge [19].

13Montaigne complexifie cet héritage en opérant à la fin de l’essai un renversement qui fait l’éloge paradoxal des rebuts et des excréments donnés d’abord comme signes du négatif : c’est le sème commun d’une fécondité détraquée qui motive le rapprochement entre les activités anarchiques de son esprit et le corps déréglé des femmes, non pas leurs productions utiles, mesurées et marquées du sceau de la vérité. Il n’est plus non plus question d’un accouchement ou même d’une conception opérés grâce à l’aide d’un tiers : les femmes produisent « toutes seules » des lopins de chair difformes comme l’esprit s’ensemence et « s’enfante » à lui-même des représentations fantasques avant de les « mettre en rolle » dans une écriture sauvage et inutile.

14Dans les « amas » dont accouchent les femmes, on reconnaîtra le terme vulgaire utilisé pour décrire les Moles, un phénomène parfaitement identifié dans la médecine du xvie siècle. Ambroise Paré leur consacre un chapitre dans son livre De la Generation (en 1573), tout comme le médecin Laurent Joubert dans ses Erreurs populaires, bien connues de Montaigne (encore qu’il n’ait pu en avoir connaissance au moment d’écrire l’essai, vraisemblablement vers 1572 [20]) :

15

Il est certain que les famé conçoivent & anfantet des Moles, qu’on dit an François Amas. C’est come un loupin de chair qui n’ha aucune figure ou fasson distincte, & est angendree an la matrice, aucunes fois des semances corrompues, tant de l’homme que de la famé, ineptes à la forme d’un anfant. […]. Autresfois c’est de l’ouvrage de la seule femme qui se corromt an elle-même. Car elle ha semance & sang pour la procréer [21].

16Contrairement à ce qu’affirme Socrate dans le Théétète, les femmes peuvent donc accoucher de formes fallacieuses, parodiant les nouveau-nés pour évoquer des enfants monstrueux. Les médecins les appellent parfois « harpyes », du fait de leur ressemblance avec ces monstres griffus et ailés qu’on rencontre dans les fables poétiques. Joubert met en garde contre la force suggestive de cette métaphore que certains prennent au pied de la lettre, comme le sieur d’Aubigné, écuyer du Roy de Navarre, qui assiste en 1565, de passage à Genève, à l’envol des monstres : « au sortir de la matrice […] se jetterent haut, encontre la paroy de la ruelle du lit : & là se colarent [se collèrent] attachez ferme, plus haut que le ciel du lit [22] ». Cependant, le terme « amas » semble plutôt emprunté à Plutarque, dont Montaigne réécrit un passage mettant en garde contre ces productions corrompues :

17

Il n’y eut jamais femme qui feist enfant toute seule sans avoir la compagnie de l’homme, mais bien il y en a il qui font des amas sans forme de creature raisonnable, ressemblans à une piece de chair qui prennent consistence de corruption : il fault bien avoir l’ œil à ce, que mesme n’advienne en l’ame et en l’entendement des femmes. Car elles ne reçoivent d’ailleurs les semences de bons propos [23].

18L’essayiste reprend le passage des moles physiques aux moles de l’esprit, mais plutôt que de les interdire leur confère une place essentielle. S’il envisage d’abord le phénomène dans sa littérarité organique, il se réapproprie ensuite l’imaginaire fabuleux qui l’accompagne et en réactive toute la dimension monstrueuse en évoquant les « chimeres et monstre fantasques » fabriqués par son esprit. La chimère cognitive ne renvoie plus seulement au monstre mythologique, dont elle convoie le souvenir, mais réactualise une autre acception, figurée, du terme au xvie siècle, et déjà péjorative, celle d’objet complètement inventé (sens qui remonterait à la première traduction française du Cor teggiano en 1537 [24]). La vraie chimère est en définitive le texte même des Essais, qui affirme son autonomie quand bien même il est ensemencé par autrui : le modèle de l’autoengendrement est contredit par la pratique citationnelle (fragments de Virgile, Horace, Martial, Lucain), en une tension symptomatique de l’écriture montaignienne, qui déconstruit le modèle proposé et pose des limites à la comparaison. Quant à la visée de cette « mise en rolle », elle consiste à inquiéter la conscience morale de Montaigne, à l’instar du monstre antique, qui effrayait le peuple de Lycie. Comme le montre la proposition conclusive de l’essai, le dialogue nécessaire à la maïeutique socratique se transforme en dialogisme intérieur, puisque le « je » se dédouble dans l’acte d’écriture : « J’ay commancé de mettre [les chimeres et monstres fantasques] en rolle, esperant avec le temps luy en faire honte à luy mesmes [25]. »

L’énigmatique couture

19Là où la comparaison avec le monstre était désignée comme fabuleuse par les médecins, Montaigne la reprend, ne se souciant plus, comme le maïteuticien Socrate ou le pédagogue Joubert, de faire la part du vrai et du faux, du littéral et du figuré dont il semble annuler la différence. Pour investir le « champ vague » des Essais, il s’empare de ce qu’ils excluent, « les fictions poétiques » comme les appelle Joubert, pour en faire le modèle englobant de toute discursivité humaine, y compris savante. Dès lors que toute représentation du monde est soumise au triple filtre « de la perception sensorielle, des facultés de l’âme et du langage [26] », tout terrain littéral se dérobe et l’on se retrouve dans un régime analogique généralisé, où l’on ne sait jamais dans quelle mesure le portrait qu’on tire de la réalité lui ressemble ou non : « Tout ainsi comme, qui ne cognoit pas Socrates, voyant son pourtraict, ne peut dire qu’il luy ressemble [27]. » Pour reprendre une image de Sextus Empiricus dans l’Adversus mathematicos, paru en latin dans la tradition de Gentian Hervet en 1569, les verba sont comme des flèches tirées dans l’obscurité dont on n’a jamais l’assurance qu’elles atteignent les res, leur cible [28]. Mais si toute fidélité mimétique au réel est sujette à caution, il n’en est pas de même de la loyauté scripturaire envers soi-même qui induit le régime « phénoménologique » propre à l’essai. A défaut de dire le monde, Montaigne peut énoncer sa manière singulière de le penser et de l’éprouver grâce à un style qui se présente comme traduction linguistique des modalités psychosomatiques : « Je veux representer le progrez de mes humeurs[29] », mot à prendre au sens médical (liquide déterminant un tempérament) mais aussi spirituel (« sentiment, état d’esprit », sens attesté depuis 1555 selon le TLFI).

20Dans l’épistémologie renaissante, l’interférence entre valeurs morales, humorales et oratoires esquisse les linéaments d’une physiologie morale et d’une rhétorique physiologique, selon laquelle notre condition corporelle détermine notre parole. La première invite à penser la continuité entre l’âme et le corps dans le sillage de Galien. Comme aucun de ses prédécesseurs, il a souligné l’étroite connivence unissant ethos et humeur, notamment dans un traité célèbre, traduit en français dès 1557, « que les facultés de l’âme suivent le tempérament du corps [30] ». Or, le terme « suivre » reconduit l’équivoque du verbe grec hepesthai et peut se comprendre de diverses manières, comme effet ou parallélisme : les facultés de l’âme sont uniquement déterminées par les tempéraments, ou influencées par ces derniers, ou enfin elles les accompagnent simplement [31]. Montaigne relaie cette indécidabilité dans l’« Apologie de Raymons Sebond », cette fois à propos des rapports entre l’esprit et le corps :

21

[C] A tel object l’estomach se souleve ; à tel autre, quelque partie plus basse. [A] Mais comme une impression spirituelle face un telle faucée [irruption] dans un subject massif et solide, et la nature de la liaison et cousture de ces admirables ressorts, jamais homme ne l’a sçeu [32].

22L’essayiste s’accorde ici avec les médecins et théologiens de son temps, aussi bien catholiques que protestants, qui se heurtent à un problème sans solution : « celui de la ligne de démarcation entre physique et métaphysique [33] », dont l’ambiguïté se scelle chez Montaigne dans une paronomase : « face »/« faucée ».

23Quant à la notion de rhétorique physiologique, elle interroge les modalités de passage du corps, et des pensées que le corps affecte, à la langue, les métamorphoses de l’humeur en style. On sait que, à la fin du xvie siècle, des physiologistes comme Giacomini et surtout Huarte tentent de ramener la fureur poétique aux causalités humorales en faisant le deuil du modèle transcendant de l’inspiration divine. Si le style est indexé sur l’humeur, au double sens, physiologique et moral, du terme, Montaigne exhibe cette polysémie en recourant à des métaphores très concrètes pour incarner dans l’écriture les activités de l’esprit.

24On s’interrogera alors sur la valeur cognitive de ces analogies, dont l’essai séminal « De l’oisiveté » annonce la fortune dans les Essais. Le rapprochement tropologique du corps et de l’âme s’assume-t-il comme écart ou annule-t-il leur différence essentielle ? La similitude affirme-t-elle l’unité psycho-physique, le syncrétisme du spirituel et du matériel, ou dément-elle leur union substantielle ? On verra comment, dans un passage de l’« Apologie de Raymond Sebond », l’usage métaphorique traduit, ou plutôt fabrique, la continuité de l’âme et du corps. Une anthropologie antidualiste y a des conséquences stylistiques. Loin de rabaisser la dignité des activités de l’esprit, ces figures semblent en signifier l’intrinsèque matérialité. Mais par leur ambiguïté référentielle, elles n’élucident pas la nature du rapport entre le matériel et l’immatériel. N’étant pas justiciable du vrai ou du faux, elles constituent plutôt le seul moyen adéquat pour rendre compte d’une incertitude philosophique et empêchent de fixer une modalité du discours qui pourrait être tenue pour véridique : la liaison de l’âme et du corps y est toute textuelle. En somme, Montaigne montre leur énigmatique couture plutôt qu’il ne la dit, échappant à la présomption assertive grâce aux liens métaphoriques. A défaut d’une evidence anatomique, au sens anglais de « preuve, témoignage », qui nous donnerait accès, grâce à la dissection, au fonctionnement impalpable de l’esprit, il propose la force de l’evidentia. Elle sollicite l’imagination du lecteur de manière à lui faire voir la fabrique de la pensée [34]. Les défis de l’épistémologie cognitive se résolvent ainsi en une rhétorique des figures. Les Hypotyposes de Sextus Empiricus, ce vade-mecum du pyrrhonisme édité en latin en 1562, n’y invitait-il pas ? Le titre polysémique du traité renvoie en effet doublement au scopique, en désignant l’effet de visualisation rhétorique (l’hypotypose ou evidentia) et l’art pictural de l’esquisse – Pyrrhon, le fondateur de la voie, était selon Diogène Laërte « peintre de son métier [35] ».

La main de l’âme

25Considérons un premier exemple, celui de la prise et de l’emprise de la pensée sur le monde. En insistant sur les vaines tentatives des « outils » humains pour « saisir », « empoigner », « embrasser » (II, 12) des représentations conformes à la réalité, Montaigne renoue avec le sens étymologique du verbe comprendre – cum-prendere :

26

Ce que je tiens aujourd’huy et ce que je croy, je le tiens et le croy de toute ma croyance ; tous mes utils et tous mes ressorts empoignent cette opinion et m’en respondent sur tout ce qu’ils peuvent. Je ne sçaurois ambrasser aucune vérité ny conserver avec plus de force que je fays cette cy. […] mais ne m’est-il pas advenu, non une fois, mais cent, mais mille, et tous les jours, d’avoir ambrassé quelqu’autre chose à tout ces mesmes instruments, en ceste mesme condition, que depuis j’aye jugée fauce [36] ?

27Le contexte de la citation, qui intervient après la description de la position académicienne puis pyrrhonienne, jugée ironiquement plus « vraysemblable » parce qu’elle rejette le critère du vraisemblable, indique que Montaigne ne se contente pas d’utiliser ici de communes catachrèses mais réinvestit un champ métaphorique travaillé par les philosophies antiques. Deux sources sceptiques essentielles de l’Apologie, les Hypotyposes pyrrhoniennes de Sextus Empiricus et les Academica de Cicéron, convoquent en effet ce lexique de la prise de manière critique, pour dénoncer l’optimisme épistémologique des stoïciens en faveur de la perception objective des phénomènes. Selon les Academica de Cicéron, quand la perception était reçue et approuvée, Zénon l’appelait katalèpsis, du verbe lambanô, « saisir », parce que l’esprit la saisit comme la main saisit les choses matérielles. C’est « de cette comparaison qu’il avait tiré ce terme, dont personne ne s’était jamais servi dans un tel domaine [37] ». Paraphrasant Cicéron, Montaigne décrit sans les juger les gesticulations inventives du mime Zénon, qui sont à l’origine du vocabulaire stoïcien :

28

[C] Zenon peignoit de geste son imagination sur cette partition des facultez de l’ame : la main espandue et ouverte, c’estoit apparence ; la main à demy serrée et les doigts un peu croches, consentement ; le poing fermé, comprehantion ; quand, de la main gauche, il venoit encore à clorre ce poing plus estroit, science [38].

29Cette interprétation manuelle d’une posture cognitive est conforme à la doctrine stoïcienne, pour qui tout ce qui existe, agit ou pâtit est un corps, comme le rappellera Juste Lipse dans sa Physiologia stoïcorum publiée en 1604 [39]. L’âme est une réalité corporelle, un souffle chaud, et, partant, la vérité aussi, puisqu’elle est une sorte de propriété de l’âme du sage, une manière d’être dense et compacte de l’âme chaude, illustrée par Zénon avec l’image du poing serré [40]. Arcésilas, représentant du scepticisme académique, opposera à cette théorie de la « représentation compréhensive » l’akatalèpsia (« incompréhension » ou impossibilité de saisir, donc de savoir et de distinguer avec certitude le vrai du faux). Montaigne cite ce principe d’aparallaxie dans l’Apologie : « Entre les apparences vraies ou fausses, il n’y a aucune différence qui doit déterminer le jugement [41]. »

30Le positionnement de Montaigne par rapport à ces positions gnoséologiques se joue à coups de métaphores qui travaillent les unes contre les autres. Loin de l’akatalèpsie académicienne, ou de l’épochè pyrrhonienne, il présente d’abord la vie mentale, et notamment la sienne, comme une succession de dogmatismes, une espèce d’instantanéisme où l’esprit enchaîne les prises illusoires et les déprises correctrices dès lors qu’une nouvelle croyance vient chasser la précédente (« tousjours la presente et la dernière c’est la certaine et l’infallible [42] »). Il emprunte ainsi au personnage de Lucullus, porte-parole des stoïciens dans les Académiques de Cicéron, un usage spécifique de la métaphore de la balance, dont le plateau s’abaisse nécessairement lorsqu’on pose un poids sur lui, de même que l’assentiment est automatique lorsqu’il s’agit d’une représentation évidente, donc compréhensive. Selon Carlos Lévy, il n’est pas impossible que cette image ait été une réponse à celle de l’équilibre des plateaux, image par excellence de l’isosthénie [43], et c’est dans ce sens dogmatique que Montaigne investit à son tour l’analogie : « Je m’entraine quasi où je penche, comment que ce soit, et m’emporte de mon pois. Chacun à peu pres en diroit autant de soy, s’il se regardoit comme moy [44]. » A la fois actif et passif, le « je » subit l’entraînement gravitationnel qu’il opère.

31Si, sur le plan de l’énoncé, le sujet Montaigne et tous les hommes avec lui sont donc des stoïciens en puissance qui acquiescent à des représentations sans avoir les moyens d’en vérifier la vérité, il n’en est pas de même au niveau de l’énonciation. Le locuteur surplombant affirme à plusieurs reprises les limites épistémologiques de la connaissance et la vanité des « prises humaines », épousant le métadogmatisme négatif [45] des Académiciens sur un mode très assertif : « il est certain », « il ne faut pas doubter », répété deux fois, ou encore : « nostre jugement naturel ne saisit pas bien clairement ce qu’il saisit ». La formule abolit la confiance stoïcienne dans l’évidence sensorielle mais sans renoncer aux images de sa rhétorique. L’antanaclase oscille entre le sens cognitif du verbe « saisir » (s’emparer des données de la perception) et le sens épistémologique qui le mine (l’impossibilité de saisir des données claires de la connaissance). Peut-être même l’usage créateur de Montaigne anticipe-t-il le sens figuré que prend le terme à la fin du xviie siècle, « comprendre, discerner » (1694).

32Ailleurs, continuant à travailler les implications inédites d’une métaphore admise [46], le texte assimile bien sportivement la circulation des représentations humaines à un jeu de paume – au xvie siècle, la pratique à main nue perdure, malgré l’apparition de la raquette. La partie souffre à la fois du statut ontologique des joueurs (à défaut de Dieu, « c’est une mortelle main qui nous presente [le pseudo- savoir], c’est une mortelle main qui l’accepte [47] ») et de leur manque flagrant de coordination : « si les prises humaines estoient assez capables et fermes pour saisir la vérité par noz propres moyens, ces moyens estans communs à tous les hommes, cette verité se rejecteroit de main en main de l’un à l’autre [48] ». Faute de consensus perceptif, les individus multiplient les balles perdues. Ce n’est que dans la conscience de ces ratages et impossibles coïncidences que peut s’opérer, à un autre niveau, une communauté de pensée sous l’égide du scepticisme académique. Ce dernier renverse l’apparente toute-puissance à soumettre les choses « à nostre mercy », à les assimiler « comme il nous plaist [49] », en faiblesse, puisque la subjectivité de la perception multiplie les apparences vraisemblables en altérant ce qu’elle accueille. Enfin, reprise critique encore de l’imagerie stoïcienne, l’énonciateur qualifie réflexivement d’« inegale et injuste » la « balance [50] » qui permet dogmatiquement d’« incliner [51] » les « utils » de la pensée vers une représentation plutôt qu’une autre.

Le pied-bot de la raison

33En d’autres termes, Montaigne est un stoïcien en acte mais un académique en verbe – et peut-être même un pyrrhonien, puisque lecteur et réviseur de lui-même, il remet en doute l’instrument même qui lui permet de construire son discours :

34

[…] la raison va toujours, et torte, et boiteuse, et deshanchée, et avec le mensonge comme avec la verité. Par ainsin il est malaisé de descouvrir son mesconte et desreglement. J’appelle tousjours raison cette apparence de discours que chacun forge en soy : […] c’est un instrument de plomb et de cire, alongeable, ployable, et accommodable à tout biais et à toutes mesures [52].

35Après avoir examiné l’action du corps sur l’intelligence, qu’il « tord » et « incline », Montaigne met en œuvre cette distorsion en faisant de la raison elle-même un corps, claudicant et disloqué. Le rythme majeur à valeur emphatique (« torte, et boiteuse, et deshanchée ») met en valeur le caractère inédit de sa métaphore vive. Les lieux communs stimulent son ingéniosité discursive qui produit par jeu de dérivation une image créatrice. Cet usage provocateur de l’analogie, qui poussée à bout prend un sens critique, bat en brèche la supériorité humaine. En problématisant le statut de la raison, tournée en dérision, il permet de relativiser le discours même que Montaigne tenait fort rationnellement sur les limites de l’entendement :

36

J’appelle tousjours raison cette apparence de discours que chacun forge en soy : cette raison, de la condition de laquelle il y en peut avoir cent contraires autour d’un mesme subject […] [53].

37Redéfinie, de manière bien nominaliste, comme pure création discursive (« j’appelle tousjours raison »), cette dernière ne renvoie à rien d’autre qu’aux fantômes de réflexion, aux élucubrations grimées en sagesse, qui hantent l’esprit de chacun. Selon Frédéric Brahami, cette charge serait incompatible avec les positions du scepticisme pyrrhonien, qui postule un certain usage de la rationalité discursive [54]. Mais c’est précisément en outrepassant les limites de cette philosophie que Montaigne se définit comme sceptique. La posture du sceptique apparaît bien, au sens de Popper, irréfutable, puisque l’éprouver et la mettre en question, c’est en somme la pyrrhoniser et la renforcer [55]. Ainsi l’expression (très marquée philosophiquement) « apparence » déplace un terme réservé à l’appréhension du monde sensible à la réception des productions de la pensée, qui n’ont d’autre consistance que celle de phénomènes à l’épaisseur ontologique problématique. Le doute pyrrhonien connaît alors une extension cognitive inédite qui remet en cause ses propres instruments et la possibilité de son exercice. En même temps, la valeur autoréflexive de l’énoncé le dénonce comme un de ces mirages prétendument rationnels et ne lui donne pas (aux sens littéral et figuré) raison.

38Montaigne use donc d’un langage autolimitatif qui ne permet pas d’assurer la vérité de ce qu’il signifie, ni de mettre d’accord les interprètes. La raison est une hydre monstrueuse qui peut agiter « cent contraires [opinions] autour d’un mesme subject » – notamment autour du texte des Essais, qui n’échappe pas à la dissension herméneutique. Comme l’écrit Sextus Empiricus à la fin de Contre les grammairiens, l’intentio auctoris des poètes et des écrivains fait partie des choses obscures qui mettent au défi les interprètes :

39

[…] ce qui est objet de désaccord parce qu’indécidable est insaisissable : or les grammairiens, dans leurs commentaires, restent en désaccord sur la pensée de l’écrivain sans rien pouvoir décider. La pensée de l’écrivain est donc insaisissable, et pour cette raison la grammaire est inutile [56].

40La cacophonie des exégèses contradictoires relève du mode fondateur de la diaphônia, qui oblige à suspendre le jugement sur le sens intentionnel du texte, dispersé en autant d’intentiones lectorum. Or, Montaigne franchit un pas supplémentaire dans ce même passage de l’Apologie en convertissant les apories de la lecture d’autrui en examen de son liber ego. C’est la compréhension de son propre texte qui se trouve menacée :

41

En mes escris mesmes je ne retrouve pas tousjours l’air de ma première imagination : je ne sçay ce que j’ay voulu dire, et m’eschaude souvent à corriger et y mettre un nouveau sens pour avoir perdu le premier qui valloit mieux [57].

42Inassignable à une seule catégorie nosologique – « ou l’humeur melancholique me tient, ou la cholerique » – et traversé de « mille agitations […] casuelles » qui infléchissent ses opinions, selon qu’il est malade ou bien portant, l’essayiste diffère sans cesse d’avec lui-même, ce qui entraîne des conséquences poétiques : une impulsion à l’addition et à la correction (quoi qu’il en dise ailleurs [58]), pour représenter les fluctuations de ses humeurs impréméditées et changeantes. Ce passage métadiscursif constitue lui-même un ajout de l’édition de 1588, exemplifiant ce qu’il décrit et s’offrant virtuellement à une future (auto)contradiction. La possibilité même d’unir le texte à un sens originel et définitif, qui serait sanctionné par l’autorité toute-puissante de l’auteur, est mise en question, puisque cette figure monolithique se diffracte en une pluralité infinie de lecteurs qui se relisent et se réécrivent de manière chaque fois différente [59].

Une cognition incarnée : cor au pied, corps à l’âme

43Thème fondamental de ce passage, l’action du corps sur la pensée entraîne donc le statut labile de la signification dans les Essais et motive une poétique additionnelle et figurale, qui traduit la servitude involontaire du mental envers le sensuel. La dispositio même du texte déploie divers aspects de cette interdépendance, avec ses conséquences relativistes, en dessinant un mouvement vers la singularité. La diversité des sensations induit celle des opinions : « le vin […] en la bouche du malade » n’a pas le même goût « en la bouche du sain » ; « pareille durté au bois ou au fer » est ressentie par « celuy qui a des crevasses au doits [60] » ; au palais de justice, le criminel a de la chance s’il rencontre un juge d’humeur débonnaire et de « bonne trampe [61] », tandis que, selon le même principe, « si j’ay un cor qui me presse l’orteil, me voiylà renfroigné, mal plaisant et inaccessible [62] ». L’argument épouse les modes d’Aenésidème, qui mènent à la suspension du jugement en exploitant la différence des représentations en fonction des individus (deuxième trope) et au sein d’un même individu (quatrième trope), en l’occurrence Montaigne : « moy qui m’espie de plus prez [63]… ».

44Ce ne sont en définitive ni la balance dogmatique des stoïciens ni la balance suspensive des pyrrhoniens [64] qui permettent d’illustrer l’exercice continu du penser essayiste. A la main qui agrippe et saisit, ou qui soupèse deux plateaux parfaitement équilibrés, Montaigne oppose la métaphore dynamique de son « pied si instable et si mal assis […] si aysé à croller et si prest au branle » que son propriétaire se sent autre le ventre vide ou plein – ce zeugme, qui associe registre abstrait et registre concret, emboîte le pas à la claudicante Raison. A la dextérité manuelle de Zénon se substitue le brimbalement pédestre d’un « ex-cursionniste » qui sort des chemins balisés (dans le double sens d’excursus, voyage et digression). Notons que le texte insiste avec une remarquable constance sur ces deux organes qui semblent nos plus indispensables alliés pour entrer en contact avec le monde et se l’approprier : la qualité métamorphique de la main et du pied, susceptibles de se fissurer (la main « crevassée ») ou de se gonfler (le « cor au pied »), permet de démontrer la faillibilité des sensations en littéralisant les figures de la déconfiture épistémologique (mé-prises et chancellements métaphoriques).

45A l’équilibre impossible de l’« assiette » s’opposent donc la tempête [65] et les divagations d’un jugement sans amarres qui « flotte » et qui « vague [66] ». Le manque de prise entraîne le déséquilibre, l’instabilité ontologique et textuelle, qui problématise le statut d’une instance à la première personne « difficilement réductible à une faculté, impossible à hypostasier », affectée d’un « mobilisme qui fait qu’on ne saurait non plus prendre le pronom pour un agent de stabilité [67] ». Dans le discours « déhanché » de l’essai s’entrelacent ainsi diverses instances du « je » qui se rattachent à des positions philosophiques en conflit : katalèpsia ou prise stoïque, critique académique, surplomb et suspens pyrrhonien, métapyrrhonisme. Il faut y voir le vagabondage d’un esprit qui redistribue à son gré les miettes et les métaphores de la tradition philosophique. Toujours prêt à relativiser ses propres positions, Montaigne est sceptique en ce qu’il ne revendique pas un patrimoine philosophique mais un certain usage du discours. Le balancement discursif propre à l’essai, qui en vertu de son étymologie, exagium, pèse et soupèse ce qui survient à la pensée, met ainsi au défi tout lecteur dogmatique de « donner pente à la balance », serait-ce même sur le statut littéral ou figuré de ses analogies.

Ressorts énonciatifs et signifiés élastiques

46Prenons l’exemple du ressort. Lorsque dans le même passage Montaigne écrit « tous mes utils et tous mes ressorts empoignent cette opinion [68] », il applique à une action mentale un terme qu’il utilise fréquemment pour renvoyer aux rouages du corps, notamment peu après, en se référant à la médecine : « nostre corps estant […] estofé de tant de sortes de ressorts [69] ». Par allusion aux ressorts d’une horloge ou d’un automate, le mot a en effet pris vers 1570 le sens de « cause agissante, force qui fait se mouvoir quelque chose », notamment en parlant des êtres vivants [70]. Or le statut de l’image est indécis, si l’on se rappelle que, à côté du critère rhétorique de distinction entre littéral et figuré, on peut considérer un critère ontologique, obéissant à une logique des res et non des verba : celui qui opère la partition des choses, morales et spirituelles du côté figuré, matérielles et corporelles du côté littéral. Dans le dictionnaire de Furetière, c’est même cette répartition entre les choses qui supplante la conscience strictement rhétorique de la figure, comme l’a montré Florence Dumora [71]. Ainsi l’expression « la nature a des ressorts inconcevables », ancrée dans le monde physique, n’implique pas un sens figuré, réservé à un référent métaphysique : « Ressort, se dit figurément en choses spirituelles et morales. Personne ne doit pénétrer dans les ressorts de la Providence. » Le passage au figuré est donc ascendant et se greffe sur une théorie de la connaissance d’abord sensible, puis intelligible.

47L’interprétation de l’expression utilisée par Montaigne dépend donc du statut, matériel ou spirituel, qu’on confère au jugement et à la pensée, et sans doute l’image met-elle au défi de choisir en désignant et en faisant percevoir au lecteur la nature foncièrement mixte, à la fois matérielle et immatérielle, des procédés cognitifs. Dans un passage déjà cité de l’Apologie, Montaigne écrit : « la nature de la liaison et cousture de ces admirables ressorts, jamais homme ne l’a sçeu [72] ». L’usage de ce terme polysémique, qui peut référer aux mécanismes corporels ou mentaux, met en acte l’énigme exposée.

L’espace de la pensée

48Montaigne investit encore un autre champ métaphorique, cette fois hérité de la philosophie naturelle, qui spatialise l’esprit comme un récipient, véritable tonneau des Danaïdes où la fortune ne fait que « vuyder et remplir sans cesse, comme dans un vaisseau, […] autres et autres opinions [73] ». Que les opinions viennent remplir la coupe de l’esprit et les données des sens viennent se « loger » dans le cerveau, « chetif domicile [74] », que l’âme puisse être « teinte et abreuvée de colère [75] », à l’instar du vin mentionné peu avant, coulant dans la gorge, est une manière de réactiver les présupposés de la psychologie des facultés, où les pouvoirs mentaux sont localisés dans les ventricules du cerveau. Selon le De Anima de Mélanchthon (1540), le phantastikon ou sens commun, la cogitation (dianoètikon) et la mémoire (mnèmoneutikon) [76], sont ainsi strictement répartis dans trois parties successives du cerveau [77]. Ces fonctions mentales sont rattachées à l’âme organique, responsable des fonctions corporelles, tandis que l’intellect et la volonté, qui ne requièrent pas d’organes physiques, font partie de l’âme rationnelle et immortelle [78]. Galien se contentait de parler des différentes virtutes, et aussi des ventricules, mais sans y loger les facultés mentales. Leur localisation dans des cellules obéirait à une anthropologie spécifiquement chrétienne et remonterait au De Natura Hominis de Nemesius, évêque d’Emesa (ive s. apr. J.-C.), traduit par Giorgio Valla et publié à Lyon en 1538. Il aurait estimé les espaces « pneumatiques » des ventricules plus adéquats que la substance cérébrale pour jouer le rôle d’intermédiaire entre l’âme incorporelle et le corps [79]. Puis ce sont les Arabes, Avicenne et Averroès, qui ont établi la relation entre les virtutes et les ventricules, conception vouée à devenir un véritable lieu commun jusqu’au xvie siècle, même si des facteurs perturbateurs viennent alors le troubler. Cette représentation ne pouvait qu’intéresser Montaigne, la question n’étant pas de déterminer qui pense mais de savoir ça pense. Ce qui permet de désolidariser subjectivité et substantialité. Tout en s’inscrivant dans ce cadre conceptuel, Montaigne exploite des éléments inédits et dévastateurs pour décrire le rapport entre contenu cognitif et contenant organique : le récipient est criblé de trous, la pensée fuit et s’épanche en une vidange perpétuelle qui trahit l’impossibilité de la fixer et de la posséder.

49L’essayiste travaille de manière inédite aussi les représentations que propose la philosophie naturelle pour décrire le trajet des sens et du sens. Au modèle statique, spatialisant strictement les étapes du processus cognitif, se superpose un modèle dynamique : chez Mélanchthon, le flux et le reflux ininterrompus des esprits, véhiculés par les nerfs, traversent la tête de part en part pour amener les images reçues des objets extérieurs (ou, inversement, les ordres donnés par le cerveau). Le trajet des esprits animaux reproduit ainsi le « schéma dynamique de l’homme en train de créer du sens », à partir d’images sensorielles progressivement triées et dématérialisées qui constituent l’objet de la connaissance [80]. Dans l’essai « Sur des vers de Virgile », où le plaisir sexuel et textuel tire bénéfice de tout ce qui retarde sa conquête, Montaigne se sert significativement d’une image architecturale pour faire l’éloge du détour, qui ne procure pas une voluptas immédiate mais un « plaisir différé, sportif [81] », correspondant au trajet du sens dans un cerveau transformé en palais figuré :

50

Qui n’a jouyssance qu’en la jouyssance, qui ne gaigne que du haut poinct, qui n’aime la chasse qu’en la prinse, il ne luy appartient pas de se mesler à nostre escole. Plus il y a de marches et degrez, plus il y a de hauteur et honneur au dernier siege. Nous nous devrions plaire d’y estre conduicts, comme il se faict aux palais magnifiques, par divers portiques et passages, longues et plaisantes galleries, et plusieurs destours [82].

51On peut y voir un itinéraire allégorique, comme le propose Jean Starobinski [83], mais aussi le reflet de représentations culturelles. Réinscrite dans le cadre de la psychologie des facultés, qui propose une topographie de la pensée, la spatialisation du mental opérée par Montaigne se littéralise. Cependant, la finalité de ce mouvement n’est pas d’aboutir mais de durer indéfiniment en privilégiant les méandres d’un itinéraire sans point d’arrivée, que reflète le recours à des phrases labyrinthiques. Selon Mary McKinley, « en prenant le rôle de l’architecte, Montaigne impose à son lecteur celui de l’explorateur dans le livre-labyrinthe [84] ». De plus, la philosophie naturelle n’étant à ses yeux qu’une « poésie sophistiquée [85] », cette représentation ne reste rien d’autre qu’une fiction dont la coïncidence avec la réalité demeure indémontrable.

La cervelle est un « couillon » de Ciron

52On trouve déjà le même scepticisme à l’égard des fantaisies de la science et un usage critique de l’analogie chez Rabelais, mais à d’autres fins. L’anatomie du monstre Quaresmeprenant dans le Quart Livre offre ainsi un exemple particulièrement éblouissant des stratégies à travers lesquelles la fiction peut tenter d’intervenir dans le débat philosophique. Les comparaisons triviales et parodiques, comme celle de la cervelle du monstre avec le « couillon guausche d’un Ciron masle [86] », permettent de critiquer l’analogie descriptive, très en vogue de Galien à Charles Estienne, et de mettre en doute la capacité du langage médical à capturer le monde et à le mettre en ordre. S’amusant à mêler des niveaux hétérogènes de l’être, Rabelais propose des va-et-vient déconcertants entre ce qui ressort de la physiologie et ce qui appartient à l’âme. On saute de la trivialité de l’« urine » et de la « géniture » aux sens internes qui métabolisent les données reçues par les sens externes :

53Le sens commun, comme un bourdon.

54

L’imagination, comme un quarillonnement de cloches.
Les pensées, comme un vol d’estourneaux.
La conscience, comme un denigement de Heronneaulx [87].
Etc.

55Dans cette anatomie où les chaînes analogiques, décousues et dé-filées, découpent le corps, l’auteur ne guide pas le lecteur dans la compréhension des comparaisons puisqu’il n’explicite pas le sème commun qui les motive. C’est au lecteur d’engager un travail inférentiel pour chercher les justifications des rapprochements surprenants qui lui sont proposés, pour autant qu’elles existent. La tâche herméneutique qui lui échoit pour reconstituer mentalement le corps du monstre est proportionnelle à la hardiesse associative de l’auteur. En soi, la comparaison in praesentia permet en effet une grande liberté de rapprochement analogique, puisqu’elle explicite les termes mis en présence. Elle peut donc en choisir de très éloignés et établir des relations non conventionnelles, ce qui fait la modernité de la liste rabelaisienne. On parlera à son égard de comparaisons innovantes ou non littérales qui s’emparent pour le renouveler du « concept métaphorique [88] » sous-jacent à la liste : la représentation du corps humain comme un abrégé du monde, la fameuse corrélation entre le macrocosme et le microcosme, constitue « le cadre même du pensable, le lieu commun et rendu presque invisible à force d’être manifeste, à partir duquel tout discours sur l’homme peut être formulé [89] ». Dans ce cadre de référence, c’est un geste banal que d’associer une partie du corps à un animal ou à un objet. Mais tout en se mouvant dans ce système analogique connu (le corps-monde), Rabelais invente des analogies créatrices en sélectionnant des traits incongrus (et souvent énigmatiques) qui ne servent pas ordinairement au rapprochement [90]. Ces comparaisons dépouillent l’analogie médicale de la valeur heuristique que lui confère la tradition scientifique – « rendre intelligible ce qui est inconnu au moyen d’une comparaison avec ce qui est déjà connu et compris [91] ». C’est tour à tour la valeur objective des tropes, leur précision dénotative, enfin leur légitimité associative qu’on verra mises en crise par la liste rabelaisienne. Une logique de la rime et du rythme, qui investit les hasards de la langue, gouverne le déroulement des comparants plutôt qu’un souci de fidélité au réel. Quant aux comparés, ils sont évidemment inaccessibles à la dissection, d’autant que Rabelais n’hésite pas à aborder les plus nobles instances de l’âme rationnelle et immortelle : « les intelligences » se traînent « comme limaz sortant des fraises », « la volunté » se réduit à « troys noix en une escuelle », et la liste culmine et s’achève avec « la raison », qui sonne creux comme un « tabouret » (petit tambour) [92].

56Pour comprendre l’enjeu parodique et philosophique des analogies rabelaisiennes, il faut les resituer dans un contexte scientifique agité de controverses, où l’on repense selon diverses modalités les relations entre philosophie de l’âme et expérience anatomique. Aristote lui-même invitait à enquêter dans le corps physique pour rechercher les affections de l’âme, et certains de ses commentateurs donneront un développement sans précédent à cette proposition, comme Magnus Hundt (1449-1512), qui juxtapose des connaissances anatomiques à une discussion aristotélicienne sur l’âme rationnelle dans son Anthropologium. Mais c’est le De anima de Mélanchthon (1540) qui, plus qu’aucun autre commentaire au Stagirite, consacre près de la moitié de ses pages à des considérations physiologiques et anatomiques [93], ce qu’on peut comprendre à la lumière des enseignements de Luther pour qui l’âme et le corps sont indissociablement objets de la grâce [94]. Dès 1560, les imprimeurs de Wittenberg produisent même des feuilles anatomiques volantes, représentant des Adam et Eve à effeuiller, pour aider ceux qui étudient l’anatomie présentée dans le De anima[95]. Comme l’écrit Mélanchthon dans un poème qui célèbre l’étude du corps (« De consideratione corporis »), l’anatomie donne un accès direct à la manière dont les facultés de l’âme travaillent et interagissent, pour le meilleur ou pour le pire, et laisse observer comment les esprits variés, l’Esprit saint compris, opèrent à travers le corps. C’est la tâche de l’anatomiste chrétien de le révéler, comme le fait de son côté Xenomanes dans le Quart Livre, en nous apprenant que les « espritzs vitaulx » de Quaresmeprenant sont comme « longues chiquenauldes » et ses « espritzs animaulx » « comme grands coups de poing [96] », ce qui n’est pas sans mettre en péril l’anatomiste imprudent qui n’attendrait pas de ces éléments, par excellence subtils et invisibles, qu’ils exerçassent un tel art pugilistique.

57L’ironie rabelaisienne se fait ici le relais de certaines voix critiques. Berengario da Carpi, dans ses influents Commentaria… Super anatomia Mundini, publiés en 1521 à Bologne, défend la primauté de l’expérience anatomique sous la forme d’une anatomia sensibilis qui n’accorde plus de place à « l’ œil de la raison » des médecins, susceptible d’imaginer l’invisible. Pour lui, anatomia non notat insensibilia (427v) [97]. L’anatomiste est défini comme un artifex thomasien qui doit voir et toucher pour croire, et qui ne peut plus prouver l’existence d’un organe à partir de l’existence de la fonction qui lui est assignée, comme le fait Xenomanes réifiant les facultés. Mais ce n’est pas seulement parce que l’anatomiste ne les voit pas qu’il n’y a plus de place pour les facultés dans le cerveau. Fort de son expérience anatomique, Vésale montre en effet dans le De fabrica corporis humani (1543) la fausseté et l’« impiété » des positions traditionnelles sur les trois ventricules [98]. Il dénonce le schéma de la Margarita Philosophica de Gregor Reisch, tel qu’il lui a été enseigné par les théologiens au cours de philosophie à l’Université de Louvain, schéma qui constitue parmi les premiers dessins anatomiques imprimés, notamment du cerveau. Les animaux quadrupèdes ne possèdent-ils pas le même nombre de ventricules que l’être humain sans pour autant jouir de la faculté de raisonnement ? L’âme rationnelle est incorporelle, inutile donc de la chercher dans la substance corporelle du cerveau comme le fait Xenomanes dans son anatomie de Quaresmeprenant. Là où Nemesius, avec la théorie ventriculaire, cherchait à établir un pont entre l’âme et le corps, le dualisme strict de Vésale refuse la localisation. « Elle implique une relation beaucoup trop étroite entre ces deux parties antagonistes de l’homme, notamment pour le lieu de l’imagination », et ouvre la voie royale à une position averroïste (et pomponazziste) de la matérialité de l’âme via l’imagination, qui imprime l’image des choses directement dans la substance molle du cerveau. Comme l’écrit Marie-Luce Demonet, « le cerveau est fabrique de la pensée mais il ne pense pas [99] ».

58D’un côté, avec Vésale et Berengario, Rabelais raille donc les prétentions panoptiques de la science, qui veut capter jusqu’aux mouvements les plus impalpables de l’âme. De l’autre, il fait de Xenomanes le porte-parole d’une thèse particulièrement audacieuse de Galien : celle de la corporéité de l’âme, clairement exprimée dans le traité hétérodoxe Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps[100]. Dans cet ouvrage que connaissait certainement Rabelais, lecteur attentif et éditeur de Galien, ce dernier affirme que la plus noble des âmes est « elle aussi un tempérament du cerveau », dont la substance « est dans un certain sens un tempérament des quatre constituants » (les quatre humeurs) [101]. Dans son indécidabilité, le texte rabelaisien renvoie dos à dos les matérialistes, qui donnent chair à l’âme, et les dualistes, qui hiérarchisent les deux parties irréconciliables de l’homme. Plutôt que de produire, dans les termes de Montaigne, « un attelage d’arguments et de preuves, comme un corps ferme et solide » (II, 12, 539), il propose le corps impossible de Quaresmeprenant, fabrique de rimes et de rythmes dans un langage qui se fait pur brouillage informationnel.

59Si Montaigne faisait hésiter sur la valeur littérale ou figurée de certains énoncés, Rabelais sème le doute sur la cible de sa satire anatomico-comique. Mais tous deux suspendent toute possibilité d’attribuer à l’énonciateur une doctrine définitive concernant les rapports entre le corps et l’esprit. Ecrit-on que la pensée a un corps (éventuellement féminin), un poids, voire une poigne, seulement par image et par souci heuristique, pour rendre accessible au lecteur des phénomènes ressortissant à la psychologie cognitive ? Ou s’agit-il d’une traduction littérale de l’union psychosomatique, rendue possible par une certaine conception topographique des opérations de l’esprit ? Les « ressorts » de l’esprit renvoient-ils littéralement à du matériel, ou figurativement à de l’immatériel ? Quant à la raison tambourinante de Quaresmeprenant, n’est-elle qu’une facétie ou l’indice, sous le voile comique, d’une sympathie pour une thèse hétérodoxe de la matérialité de l’âme ? Autant de questions que les textes, qui s’affichent eux-mêmes comme représentations fictives, travaillent à rendre indécidables pour un lecteur engagé de manière « intellectuellement sensible et sensiblement intellectuelle » dans l’opération herméneutique. En amont, l’écriture témoignerait elle-même de la rencontre de l’âme et du corps en tant qu’elle dépend d’un déterminisme organique, à en croire le médecin René Bretonnayau, qui décrit la structure du cerveau dans son poème « Le Temple de l’Ame ». Observant dans les circonvolutions cérébrales la forme des organes génitaux, l’énonciateur s’interroge :

60

[…] aquoy faire, ô nature,
As-tu effigié de nostre geniture
Les engins dans le chef ? Est-ce à fin que toujour
L’esprit aiguillonné pense à faire l’amour [102] ?

61Cette étrange spécularité entre le fief de la raison et les organes de la génération nivelle la hiérarchie corporelle et menace la distance protectrice qu’on reconnaît usuellement entre le haut et le bas. Elle signifie aussi l’empreinte métonymique du contenant sur le contenu : l’esprit pense, ou plutôt fantasme, en fonction de sa forme. Quand celle-ci prend les contours d’une plume, c’est que Nature a voulu matérialiser la vocation scripturaire de l’homme, et naturaliser l’inspiration poétique sous la forme d’un emblème organique :

62

Ce cabinet [la faculté de la mémoire] est fait et taillé proprement
Comme la plume, outil de nostre entendement :
Plume dans le cerveau divinement antée
Parqui est la memoire au vif representee
[…]
Qui tes traits considere il est contraint de dire
Que naturellement l’homme est né pour escrire
[…]
Sus doncq esprits eluz, d’escrire vous invite
Nature, qui vous a au chef la plume escrite [103].

63Si Xenomanes avait anatomisé les cerveaux de Montaigne et de Rabelais, il n’eût pas manqué d’admirer les plumes bien taillées de leurs facultés mentales. Elles produisent des fictions poétiques qui sont des lieux d’indistinction susceptibles de traduire des incertitudes épistémologiques et d’explorer la zone grise entre corps, cognition et langage, ce dernier étant le moyen même par lequel la séparation entre le matériel et l’immatériel s’affirme et se brouille.

Notes

  • [1]
    L’expression « un gramme de pensée » est empruntée à Jean-Luc Nancy, Corpus, Paris, Métailié, 2000, p. 101.
  • [2]
    La lettre est reproduite sur le site http://corbeil.essonnes.free.fr/Ordinateur.htm. Un fac-similé de la lettre originale est disponible auprès de J.-C. Vey, Direction de la communication IBM France, Tours Septentrion, Paris la Défense.
  • [3]
    Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’A. Rey, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, rubrique « Ordinateur ».
  • [4]
    Voir dans le même sens les travaux de Friedrich Kittler, qui fait passer l’aspect technique dans la sphère du sémantique et établit des corrélations entre modèles cognitifs et développement des machines (Grammophon, Film, Typewriter, Brinkman & Bose, Berlin, 1986 ; Gramophone Film Typewriter, trad. Geoffrey Winthrop-Young et Michael Wutz, Stanford, Stanford University Press, 1999).
  • [5]
    Voir Michael J. McCarthy à propos des métaphores (« a dictionary, a thesaurus, an encyclopedia, a library, a computer ») utilisées pour le « mental lexicon », Vocabulary, Oxford, Oxford University Press, p. 34.
  • [6]
    Gilbert Ryle, La Notion d’esprit, trad. fr. S. Stern-Gillet, Paris, Payot et Rivages, 2005 [1978], p. 87 [The Concept of Mind, 1949].
  • [7]
    L’ordinateur, contrairement à l’esprit, fonctionne « avec un nombre fini d’états possibles ». Sur les inconvénients de cette métaphore, voir Alex Boulton, « Anciennes et nouvelles technologies : métaphores de l’esprit linguistique », ASp [en ligne], 23-26, 1999, mis en ligne le 10 novembre 2011, http://asp.revues.org/2588 ; DOI : 10.4000/asp.2588.
  • [8]
    Il sert aussi de modèle à l’esprit lui-même : selon les connectionnistes, il faut remplacer « the “computer metaphor” as a model of the mind with the “brain metaphor” » (David E. Rumelhart, James L. McClelland et the PDP Research Group, Parallel Distributed Processing : Explorations in the Microstructure of Cognition, Cambridge (Mass.) ; Londres, MIT Press, vol. 1, 1986, p. 75, cité par David Singleton, Exploring the Second Language Mental Lexicon, Cambridge University Press, 1999, p. 121. Voir aussi Jean Aitchison, Words in the Mind : An Introduction to the Mental Lexicon, 2e éd., Oxford, Basil Blackwell, 1994).
  • [9]
    Conférence de Michel Serres sur l’informatique à l’INRIA, 20 mars 2010.
  • [10]
    Nadia Cernogora, « Translatio/Metaphora : La métaphore dans l’exégèse biblique de saint Augustin à la Clavis Scripturae de Mathias Flacius Illyricus (1567) », Camenae, n° 3, novembre 2007, « Translations. Pratiques de traduction et transferts de sens à la Renaissance », revue en ligne, p. 1-12, 1-2.
  • [11]
    Thomas d’Aquin, Somme théologique, i, quest. 1, art. 9, cité et traduit par Yves Delègue, Les Machines du sens. Fragments d’une sémiologie médiévale, Paris, éd. des Cendres, 1987, p. 92.
  • [12]
    Michele Prandi, « A Plea for Living Metaphors : Conflictual Metaphors and Metaphorical Swarms », Metaphor and Symbol, vol. 27, n° 2, 2012, p. 148-170, 154. Voir aussi « L’interaction métaphorique : une grandeur algébrique », Protée, vol. 38, n° 1, printemps 2010, p. 75-84.
  • [13]
    Prandi, « A Plea… », p. 153.
  • [14]
    Michel de Montaigne, Les Essais, éd. P. Villey, Paris, PUF, « Quadrige », 1992 [1924, 1965], III, V, p. 892-893B.
  • [15]
    Voir Martin L. Pine, « Pietro Pomponazzi’s Attack on Religion and the Problem of the De fato », in F. Niewöhner et O. Pluta (éd.), Atheismus im Mittelalter und in der Renaissance, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1999, p. 145-172. De Pomponazzi lui-même, voir son Trattato sull’immortalità dell’anima, a cura di V. Perrone Compagni, Firenze, Olschki, 1999.
  • [16]
    Montaigne, Les Essais, i, 8, « De l’oisiveté », p. 32.
  • [17]
    Pour un repérage intertextuel précis, voir Isabelle Konstantinovic, Montaigne et Plutarque, Genève, Droz, 1989, p. 57-59 ; 133-135.
  • [18]
    Giulia Sissa, L’ âme est un corps de femme, Paris, Odile Jacob, 2000.
  • [19]
    Ibid., p. 79-80.
  • [20]
    Dans l’essai, la notation « dernierement que je me retiray chez moy » laisse entendre que le texte a été écrit peu de temps après la retraite de Montaigne (1570-1571), et « comme il est placé au milieu de chapitres qui sont tous datés de 1572 environ, il y a lieu de le rapporter à la même époque » (Montaigne, Les Essais, commentaire de Villey, p. 32).
  • [21]
    Laurent Joubert, Erreurs populaires, Bordeaux, Millanges, 1578, p. 373-374.
  • [22]
    Ibid., p. 376.
  • [23]
    Plutarque, Les Preceptes de mariage, in Œuvres morales et meslees, Paris, Vascosan, 1572, ff. 149 H-150 A, cité par Konstantinovic, Montaigne et Plutarque, p. 134.
  • [24]
    Marie-Luce Demonet, « La fiction comme “chimère” chez Montaigne et Sanchez », Nouveau Bulletin de la Société internationale des amis de Montaigne, 2e semestre, II, n° 46, 2007, p. 7-24.
  • [25]
    Montaigne, Les Essais, I, 8, p. 33.
  • [26]
    Demonet, « La fiction comme “chimère”… », p. 7.
  • [27]
    Montaigne, Les Essais, II, 12, « Apologie de Raimond Sebond », p. 601.
  • [28]
    Sexti Empirici Adversus mathematicos, hoc est, adversus eos qui profitentur disciplinas, Gentiano Herveto Aurelio interprete, Parisiis, M. Javenem, 1569, VIII, 325. Selon Sextus, les sceptiques comparent avec justesse les chercheurs en matière obscure à des archers tirant sur une cible dans le noir ; il est raisonnable que certains aillent toucher la cible, d’autres la manquer. Mais on ne pourra pas savoir qui l’a touchée, qui l’a manquée. De la même manière, certaines affirmations sur les choses obscures sont vraies ; mais personne ne peut prétendre que son affirmation est vraie. Personne n’a les moyens de dire ce qui est le cas.
  • [29]
    Montaigne, Les Essais, II, 37, p. 758A.
  • [30]
    Galien, Que les meurs de l’ âme suyvent la température du corps. Interprété par J. Le Bon […]. Puis un mot de digression à messieurs les rimeurs (Paris, P. Gaultier, 1557).
  • [31]
    Voir les remarques introductives dans Galien, L’Ame et ses passions, Les passions et les erreurs de l’ âme, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, introd., trad. et notes par V. Barras, T. Birchler, A.-F. Morand (Paris, Les Belles Lettres, 1995), xliii.
  • [32]
    Ibid., II, 12, p. 539.
  • [33]
    Ian Maclean, « Corps et âme selon les médecins et les théologiens du xvie siècle : le conflit des facultés », Annuaire de l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), Section des sciences historiques et philologiques, 139, 2008 [en ligne], mis en ligne le 7 janvier 2009. URL : http://ashp.revues.org/index264.html.
  • [34]
    Pour cette distinction dans un autre contexte, voir Bérenger Boulay, « Effets de présence et effets de vérité dans l’historiographie », Littérature 2010/3, « Ecrire l’histoire », n° 159, p. 26-38, 26.
  • [35]
    Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, trad. française sous la direction de M.-O. Goulet-Cazé, Paris, La Pochothèque, 1999, livre IX, « Pyrrhon », p. 1101.
  • [36]
    Montaigne, Essais, II, XII, « Apologie de Raimond Sebond », p. 563.
  • [37]
    Ac. Post, I, 11, 41-42, cité par Carlos Lévy, Cicero Academicus : recherches sur les Académiques et la philosophie cicéronienne, Rome, Collection de l’Ecole française de Rome, 1992, p. 224. Voir aussi Jean-Pierre Dumont, « L’âme et la main. Signification du geste de Zénon », Revue de l’enseignement philosophique, avril-mai 1969, p. 1-8.
  • [38]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 503.
  • [39]
    Phys. II, 4, p. 562, cité par Jacqueline Lagrée, Juste Lipse et la restauration du stoïcisme. Etude et trad. des traités stoïciens, « De la constance », « Manuel de philosophie stoïcienne », « Physique des stoïciens », extraits, Paris, Vrin, 1994, p. 48.
  • [40]
    Ibid., p. 49.
  • [41]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 562C, « Inter visa vera aut falsa ad animi assensum nihil interest » (Ac. II, 28).
  • [42]
    Ibid., p. 563A.
  • [43]
    C. Lévy, Cicero Academicus…, p. 261.
  • [44]
    Ibid., p. 566B.
  • [45]
    L’expression est de Jonathan Barnes, « Diogenes Laertius IX 61-116 : The Philosophy of Pyrrhonism », in Austieg und Niedergang der römischen Welt, éd. W. Haase (Berlin), II.36.6, p. 4241-4301, 4252 n. 54 et 4254 n. 72 (la thèse ne porte pas sur les choses mais leur cognoscibilité, et elle est négative car elle conclut à l’impossibilité du savoir).
  • [46]
    Sur les métaphores conventionnelles ou littérales et les métaphores créatrices, voir l’ouvrage classique de George Lakoff et Mark Johnson, Les Métaphores dans la vie quotidienne, trad. M. de Fornel, Paris, éd. de Minuit, 1985.
  • [47]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 563B.
  • [48]
    Ibid., p. 562A.
  • [49]
    Ibid.
  • [50]
    Ibid., p. 563A.
  • [51]
    Ibid., p. 564A.
  • [52]
    Ibid., p. 565B.
  • [53]
    Ibid.
  • [54]
    Frédéric Brahami, Le Scepticisme de Montaigne, Paris, PUF, 1997, p. 48. L’auteur montre la dépendance du scepticisme envers la rationalité de l’homme.
  • [55]
    Qui est contre le sceptique est en fait avec lui, comme le souligne Sextus Empiricus : « Et si un dogmatique entreprend de contredire l’une de ces remarques, il renforcera le raisonnement sceptique en affermissant lui-même la suspension de l’assentiment concernant les questions soumises à l’enquête, du fait des attaques qui s’affrontent de part et d’autre et du désaccord [diaphônia] indécidable <qui en résulte> » (Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, introduction, traduction et commentaires par P. Pellegrin, Paris, éd. du Seuil, 1997, II, p. 259).
  • [56]
    Sextus Empiricus, Contre les Professeurs, Pierre Pellegrin (éd.), Paris, éd. du Seuil, 2002, « Contre les grammairiens », p. 245.
  • [57]
    Montaigne, Essais, II, XII, p. 566B.
  • [58]
    Ibid., II, 37 p. 758 ; III, 9, p. 962.
  • [59]
    Sur ce point, voir Terence Cave, Retrospectives. Essays in Literature, Poetics and Cultural History, N. Kenny et W. Williams (éd.), Londres, Legenda, 2009, chap. 2, « Problems of Reading in Montaigne’s Essais », p. 31.
  • [60]
    Montaigne, Essais, II, 12, p. 562A.
  • [61]
    Ibid., p. 564A.
  • [62]
    Ibid., p. 565A.
  • [63]
    Ibid., p. 564A.
  • [64]
    Sextus la définit comme stasis dianoias, « arrêt de la pensée » sur la crête séparant deux opinions.
  • [65]
    Voir la citation de Catulle, XXV, 12, qui sert de comparant à l’esprit : « velut minuta magno / Deprensa navis in mari vesaniente vento » (II, 12, p. 566B).
  • [66]
    Ibid.
  • [67]
    Olivier Guerrier, « Montaigne, les tours de la “fantasie” », Camenae, n° 8, décembre 2010, p. 1-12, 7.
  • [68]
    Montaigne, Essais, II, 12, p. 563A.
  • [69]
    Ibid., p. 565A.
  • [70]
    Trésor de la langue française informatisé.
  • [71]
    Florence Dumora-Mabille, « Propre et figuré dans le Dictionnaire universel », Littératures classiques, 47, 2003, p. 45-61.
  • [72]
    Montaigne, Essais, p. 539A.
  • [73]
    Ibid., p. 563A.
  • [74]
    Ibid.
  • [75]
    Ibid., p. 564A.
  • [76]
    Sur cette tripartition, voir Walther Sudhoff, « Die Lehre von den Hirnventrikeln in textlicher und graphischer Tradition des Altertums und Mittelalters », Archiv für Geschichte der Medizin, VII, 1914, p. 149-205, 151-154 ; H. A. Wolfson, « The internal Senses in Latin, Arabic, and Hebrew Philosophical Texts », Harvard Theological Review, XXVII, 1935, p. 69-133.
  • [77]
    Liber de Anima, CR 13,120s. Sur la psychologie de Mélanchthon, voir Wolfgang Holzapfel et Georg Eckardt, « Philipp Melanchthon’s Psychological Thinking Under the Influence of Humanism, Reformation and Empirical Orientation », Revista de historia de la psicologia, n° 20, 1999, p. 5-34.
  • [78]
    Voir Katharine Park, « The Organic Soul », in The Cambridge History of Renaissance Philosophy, C. B. Schmitt et Q. Skinner (éd.), Cambridge University Press, 1988, p. 464-484.
  • [79]
    Nemesii Episcopi et Philosophi de Natura Hominis liber Unus, Antwerpiae, Plantinus, 1565, chap. xiii, « De Memoria », p. 68. Voir Walter Pagel, « Medieval and Renaissance Contributions to Knowledge of the Brain and its Functions », in The History and Philosophy of Klowledge of the Brain and its Functions, An Anglo-American Symposium, Londres, 15 et 16 juillet 1957 ; Amsterdam, B. M. Israël, 1973, p. 95-114, 98. Ce traité a été deux fois traduit en latin au Moyen Age et Thomas d’Aquin comme Albertus Magnus en font usage. Giorgio Valla en a produit une nouvelle version, publiée à Lyon en 1538. Sur ce traité, voir E. Ruth Harvey, The Inward Wits. Psychological Theory in the Middle Ages and the Renaissance, London, The Warburg Institute, University of London, 1975, p. 2-3.
  • [80]
    Sur le chevauchement de deux modèles, statique et dynamique, voir Marie-Luce Demonet, « Le lieu où l’on pense, ou le désordre des facultés », in Ordre et désordre dans la civilisation de la Renaissance, G.-A. Pérouse et F. Goyet (éd.), Actes du colloque, Nice, septembre 1993, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 1996, p. 25-47, 27.
  • [81]
    A propos de l’expression figurée, Teresa Chevrolet, L’Idée de fable : théories de la fiction poétique à la Renaissance, Genève, Droz, 2007, p. 185.
  • [82]
    Montaigne, Essais, III, V, « Sur des vers de Virgile », p. 881B.
  • [83]
    Jean Starobinski, Montaigne en mouvement, Paris, Gallimard, 1993, p. 366.
  • [84]
    Mary B. McKinley, Les Terrains vagues des Essais : Itinéraires et intertextes, Paris, Champion, 1996, p. 68.
  • [85]
    Montaigne, Essais, II, 12, p. 537C.
  • [86]
    François Rabelais, Quart Livre, in Œuvres complètes, M. Huchon (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1994, chap. xxx, « Comment par Xenomanes est anatomisé et descript Quaresmeprenant », p. 608.
  • [87]
    Ibid., p. 610.
  • [88]
    George Lakoff et Mark Johnson désignent comme un ensemble de concepts métaphoriques les valeurs les plus fondamentales et inconscientes d’une culture : la valorisation du haut comme positif, l’association du blanc à la pureté, etc. (Les Métaphores dans la vie quotidienne).
  • [89]
    Carl Havelange, De l’œil et du monde : une histoire du regard au seuil de la modernité, Paris, Fayard, 1998, p. 86-87.
  • [90]
    C’est ce que Lakoff et Johnson appellent les métaphores innovantes par exploitation des parties non utiles de la métaphore littérale. Pour une analyse systématique des comparaisons de Rabelais, voir François Moreau, Les Images dans l’œuvre de Rabelais, Paris, SEDES, 1982, p. 280-293.
  • [91]
    Guillaume Tardif, Rhetoricae artis ac oratoriae facultatis compendium, fonction de la similitude. Ce traité est la deuxième rhétorique intégrale en langue latine à être publiée par un auteur français. Sur cet ouvrage, voir Alex L. Gordon, « Au service de l’argumentation. Le classement des figures chez Guillaume Tardif », Etudes littéraires, 24 : 3, 1991-1992, p. 37-47.
  • [92]
    Ibid.
  • [93]
    « Nous ne pouvons pas parler des facultés organiques de l’âme sans proposer en même temps une description du corps humain dans lequel se trouvent les organes de l’âme. L’anatomie appartient donc au De anima » (Commentarius de Anima Phil. Melan., Vitebergae M.D.L., 21r, cité et traduit par Dino Bellucci, Science de la nature et Réformation : la physique au service de la Réforme dans l’enseignement de Philippe Mélanchthon, Monopoli, Viveri In, p. 400).
  • [94]
    Sur l’importance que le De anima confère à l’anatomie, voir Vivian Nutton, « Wittenberg Anatomy », in Medicine and the Reformation, O. P. Grell et A. Cunningham (éd.), Londres, Taylor & Francis, 1993 ; Sachiko Kusukawa, The Transformation of Natural Philosophy : the Case of Philip Melanchthon, Cambridge University Press, 1995, chap. 3, « The soul », p. 75-123.
  • [95]
    Sur ce point, voir Andrea Carlino, Paper Bodies. A Catalogue of Anatomical Fugitive Sheets 1538-1687, traduit par N. Arikha, Londres, Wellcome Insitute for the History of Medicine, 1999, p. 110-112.
  • [96]
    Rabelais, Quart Livre, chap. xxx, p. 109.
  • [97]
    Sur l’anatomia sensibilis de Berengario, voir Roger K. French, « Berengario da Carpi and Commentary in Anatomical Teaching », in The Medical Renaissance of the Sixteenth Century, A. Wear, R. K. French, I. M. Lonie (éd.), p. 42-74, 54-61.
  • [98]
    « Et, par conséquent, en chantant les louanges à Dieu, le Créateur Universel, nous devons Lui rendre grâce de nous avoir accordé une âme raisonnable que nous partageons avec les anges (et ici il ne faut pas oublier les philosophes maltraités, comme Platon lui-même l’a indiqué). Si seulement à ce précieux don de Dieu nous ajoutons la Foi, nous devrions jouir alors de cette félicité éternelle, alors que le siège de l’âme et sa substance ne doivent être recherchés ni par la dissection du corps ni par notre raison, oppressée et enchaînée par le corps. Car Lui qui est Sagesse Véritable nous enseignera que nous ne sommes pas créés de cette substance qui naît puis s’éteint, mais d’une substance spirituelle à Son image », traduit de Charles Singer, Vesalius on the Human Brain, Londres/New York/Toronto, Oxford University Press, 1952 (traduction de la section Fabrica humani corporis [1543], chap. vi, « On the Ventricles of the Brain », p. 40).
  • [99]
    M.-L. Demonet, « Le lieu où l’on pense, ou le désordre des facultés », 1996, p. 47.
  • [100]
    Dans la traduction de Jean Lebon, Que les meurs de l’ âme suyvent la temperature du corps, Paris, P. Gaultier, 1557. Sur la connaissance précise que Rabelais avait de Galien, dont il a publié certaines œuvres en latin, voir Mireille Huchon, « Parodie de l’écriture scientifique chez Rabelais », in L’Ecriture du texte scientifique au Moyen Age, Claude Thomasset (éd.), Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 173-192.
  • [101]
    Les facultés de l’ âme suivent les tempéraments du corps, in Galien, L’Ame et ses passions, p. 82.
  • [102]
    René Bretonnayau, La Génération de l’homme et le Temple de l’Ame…, Paris, Abel l’Angelier, 1583, « Le Temple de l’Ame », f. 77v°.
  • [103]
    Ibid., f. 84r°.
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