Notes
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[1]
Ce texte fut présenté en italien au colloque international Die Biologie der Kreativität, organisé par Ulrich Pfisterer (Munich) et Christine Ott (Marburg) à l’Université de Stuttgart les 5 et 6 décembre 2008. Je remercie vivement Philippe Hamon et Abdelfattah Kilito pour les remarques par lesquelles ils ont bien voulu accompagner la version française donnée ici. Dans sa toute première forme (1993), celle-ci faisait partie de la conclusion de ma thèse, écartée de la publication en volume pour des raisons de place.
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[2]
Joris-Karl Huysmans, « Le Monstre », Certains, Paris, Tresse et Stock, 1889, p. 137.
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[3]
Edmond et Jules de Goncourt, « L’imagination du monstre […] », Idées et sensations, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1866, p. 15-17.
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[4]
Voir Evanghélia Stead, Le Monstre, le singe et le fœtus : tératogonie et décadence dans l’Europe fin-desiècle, Genève, Droz, 2004, 604 p., 92 fig.
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[5]
Voir Francesco Meloni, L’Opera grafica di Alberto Martini, Milan, Sugar Co., 1975, les pièces intitulées L’occhio alato [L’Œil ailé], p. 32, n° 28, et Medusa, p. 31, n° 27 (minuscules lithographies colorées à la main). Le peintre, graveur et dessinateur Alberto Martini (Oderzo, 1876-Milan, 1954) connut plusieurs saisons d’inspiration. Les œuvres fin-de-siècle ou d’avant-garde sont parmi les plus abouties et sans doute les moins connues de son œuvre.
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[6]
Octave Mirbeau, « Hors la vie ! », Le Journal, Paris, 20 octobre 1895, p. 1.
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[7]
William Sharp, « Fragments from the Lost Journals of Piero di Cosimo », Ecce Puella and Other Prose Imaginings, Londres, Elkin Mathews, 1896, p. 47-78. William Sharp (1855-1905), écrivain et poète écossais, auteur de biographies littéraires et éditeur de poésie, a également publié plusieurs textes de fiction sous le nom de Fiona MacLeod, auteur féminin qu’il avait inventé, sans révéler cette double identité de son vivant.
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[8]
Jean Richepin, « La Thaumaturge » (premier titre « L’Atlante », Le Journal, 1er mars 1897), Contes de la décadence romaine, Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle éd., 1898, p. 29-40.
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[9]
La Tentation de saint Antoine, version définitive, « L’Intégrale », Paris, éd. du Seuil, 1980, p. 571b.
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[10]
Alfred Lombard, Flaubert et saint Antoine, illustré de huit planches hors texte, Paris, Neuchâtel, éd. Victor Attinger, 1934, p. 40.
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[11]
Flaubert, La Tentation, op. cit., p. 570a.
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[12]
Joris-Karl Huysmans, « Le Monstre », op. cit., p. 151.
-
[13]
Littré, « Gélatineux », 1 : « Qui est de la nature de la gélatine. Suc gélatineux. Substance gélatineuse. Quelques plantes, comme les trémelles, ont l’aspect d’une gelée, ce qui leur vaut l’épithète de gélatineuses. » « Il est prouvé que tous les corps organisés sont gélatineux avant que d’être solides ; les arbres les plus durs et les plus pierreux n’ont été d’abord qu’un peu de gelée épaissie », Bonnet, Paling. XVI, 2. Ce sens prévaut aussi dans l’entrée gelée, dont le sens n° 4 est : « Etat gélatineux de parties végétales ou animales. »
-
[14]
Arthur Machen, The Great God Pan, and the Inmost Light, Londres, John Lane ; Boston, Roberts Bros, 1894 ; Tales of Horror and the Supernatural, Philip Van Doren Stern (éd.), Londres, John Baker, 1949, 1964, p. 110-111.
- [15]
-
[16]
Arthur Machen, The Three Impostors, or The Transmutations, Londres, John Lane ; Boston, Roberts Bros, 1895 ; The Eighteen Nineties, a Period Anthology of Prose and Verse, Londres, Richards Press, 1948, vol. II, p. 351-352.
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[17]
Jane de La Vaudère, L’Amuseur, Paris, Paul Ollendorff, 1900, p. 245.
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[18]
Victor Litschfousse, L’Ame d’autrui, Préface de Laurent Tailhade, Paris, Librairie Léon Vanier, A. Messein succr., 1906, n.p.
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[19]
Mitrophane Crapoussin, « Distiques mous », Le Décadent, 4e année, n° 31, 15-31 mars 1889, p. 87.
-
[20]
Voir Stéphane Le Couëdic, « Mitrophane Crapoussin, Arthur avant Rimbaud », Les Mystifications littéraires, colloque des Invalides, Tusson, Du Lérot, 2001, p. 127-150.
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[21]
Voir Au pays du mufle, ballades et quatorzains, Préface d’Armand Silvestre, Paris, Chez Léon Vanier, 1891, p. 87-88, et Poèmes aristophanesques, Paris, Société du « Mercure de France », 1904, p. 157-158 (texte identique à celui du Décadent hormis quelques variantes de ponctuation et l’épigraphe supprimée).
-
[22]
L’onocrotale est un pélican blanc (Littré), mais l’étymologie, réelle ou fantasmée (de onos [âne] et de crotalon [cliquette, sonnette ou castagnette]), permet sans doute d’imaginer un autre être extravagant.
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[23]
Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Soixante et un mots de Gustave Kahn recueillis par Jacques Plowert », in Gustave Kahn (1859-1936), dir. S. Basch et A. Guyaux, Paris, éd. Classiques Garnier, 2009 (sous presse).
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[24]
Grand Dictionnaire universel du xixe siècle par Pierre Larousse, tome I, p. 283 c-d. La provenance de cette pseudo-préface n’est pas indiquée par Franc-Nohain, mais aucun doute n’est possible.
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[25]
Charles Van Lerberghe, Lettres à Albert Mockel (1887-1906), Robert Debever et Jacques Detemmerman (éd.), Bruxelles, Labor, « Archives du Futur », 1986, vol. I, p. 121 (février 1890).
-
[26]
Oskar A.-H. Schmitz, « Les vêpres de l’art », L’Ermitage (Paris), vol. XVI, mars 1898, p. 207-218.
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[27]
Ibid., p. 212.
-
[28]
Bien que le Jugendstil ou Sezessionsstil soit plus géométrique et moins végétal que l’Art nouveau français ou belge.
-
[29]
Probablement dérivé de scirrhos, scirros ou sciros, « squirrhe » ou « squirre », sorte de tumeur (Pline, 7, 63) ; les formes squirrheux ou squirreux auraient sans doute été plus justes.
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[30]
Serge de Chessin, « Philosophie du “Modern-Style” », L’Ermitage, Paris, vol. X X XII, mars 1905, p. 166-179, ici p. 173.
-
[31]
Strabon, Géographie, II, 4, 1, trad. de Germaine Aujac, Paris, Les Belles Lettres, 1969, mes propres précisions entre crochets.
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[32]
Voir mes articles « Thulé des géographes antiques à Adolphe Retté », Eidôlon (Bordeaux), n° 57 (La Fin des temps), 3e trimestre 2000, p. 237-250, et « Cristallisation poétique vers Ultima Thule », dans Le Nord, latitudes imaginaires, dir. Monique Dubar et Jean-Marc Moura, Lille, « UL 3, Travaux et recherches », 2000, p. 393-401 et leur apparat critique.
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[33]
Dans Le Surmâle, roman moderne, Paris, éd. de La Revue Blanche, 1902. Voir Frédéric Chambe, « Jarry, Haeckel, Monère, Bathybius », L’Etoile-Absinthe, 1986, tournées 31-32, p. 24-27. Villiers de L’Isle-Adam avait déjà donné le nom ironique de Bathybius Bottom à l’ingénieur de « La Machine à Gloire » (1874).
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[34]
Charles Maurras, « Le repentir de Pythéas. Lettre à l’auteur de Thulé des Brumes », L’Ermitage, Paris, vol. IV, janvier 1892, p. 1-7, ici p. 3-4, italiques de Maurras.
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[35]
Ibid., p. 4.
-
[36]
Voir « “Thulé des Brumes” devant la Presse », La Plume, vol. IV, n° 68, 15 février 1892, p. 97b-98a.
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[37]
Adolphe Retté, « Dédicaces pour “Thulé des Brumes” : “Thulé” (à Léon Maillard), “Une chanson du Pauvre” (à Léon Deschamps) », La Plume, vol. IV, n° 65, 1er janvier 1892, p. 3a-b. Comme dans la note précédente, c’est là la trace d’un système d’autopromotion caractéristique des petites revues. Retté, un pilier de La Plume, dédie ses poésies au directeur de la revue (L. Deschamps) et à un des collaborateurs principaux (L. Maillard).
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[38]
Adolphe Retté, Thulé des Brumes, portrait à l’eau-forte par E.-H. Meyer, Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1891, p. 99, petites capitales de Retté. La Bibliothèque artistique et littéraire est le nom de La Plume éditeur. Voir Maurras, « Le repentir de Pythéas », p. 6.
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[39]
Retté, ibid., p. 105 ; et Maurras, loc. cit.
-
[40]
Edmond Picard, « J. K. Huysmans : A rebours », Pro Arte, Littérature, Bruxelles, s.n.d. éd. (Ferdinand Larcier), s.d. (1886), p. 215-216, et 230. L’imaginaire de Picard est sûrement influencé par la description du poulpe dans Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo (1866), vu entre autres comme « gélatine animée », quoique Hugo privilégie la science et la philosophie et s’appuie bien plus sur la comparaison que ne le font les textes fin-de-siècle, séduits par l’amorphe et le registre métaphorique.
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[41]
Maurras, « Le repentir de Pythéas », loc. cit., p. 6 : « M. Retté estime que les monstres doivent encore être multipliés par l’imagination des hommes. […] Il les copie, il les redit et il les grave dans ses livres. »
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[42]
Id., ibid. (je souligne).
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[43]
Voir sur ce point, Le Monstre, le singe et le fœtus, op. cit., p. 499-510.
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[44]
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu : Le Côté de Guermantes, I, Pierre Clarac et André Ferré (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, vol. II, p. 58 (je souligne).
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[45]
Proust, A la recherche du temps perdu : A l’ombre des jeunes filles en fleurs, op. cit., vol. I, p. 823.
-
[46]
Ibid., p. 835.
1Le dernier quart du xixe siècle en Europe mit en œuvre une vaste opération de renouvellement des formes monstrueuses. « Le monstre en art n’existe réellement pas ou plutôt n’existe plus, à l’heure qu’il est, pour nous », déclarait Huysmans en 1889 [2]. Il prenait la suite des frères Goncourt qui soulignaient dès 1866 l’incapacité européenne et française à représenter le monstre [3]. On compte par dizaines les textes et les images qui relevèrent ce défi dans un climat de finitude, touchant parfois à une limite extrême de la représentation, comme celle qu’on discutera ici : quoi de plus monstrueux en effet que ce qui est dépourvu de la forme même, quoi de plus perturbant que l’amorphe ?
2Elaborées dans le climat fin-de-siècle et mises en avant avec insistance comme des preuves du déclin, de la dégénérescence, voire de la fin du monde et de la création artistique, ces conceptions ne traduisent pas moins des modifications littéraires et artistiques qui marquent la modernité. Et la question de savoir comment les interpréter se pose : faudrait-il adopter le point de vue de l’époque, quitte à mieux l’éclairer ? Ou vaudrait-il mieux choisir un regard rétrospectif, imprégné par l’histoire littéraire telle que le xxe siècle l’a construite ? Que gagne-t-on, que perd-on à poser la question différemment ? Dans quel sens faudrait-il interpréter ?
3Il faut partir d’un constat : l’amorphe apparaît comme le nec plus ultra de la représentation du monstrueux fin-de-siècle. Au cours d’une précédente enquête [4], il surgit par exemple parmi les floraisons organiques des lithographies d’Alberto Martini Donne, farfalle, fiori, animali [5]; au cœur du fumier, dans le tas de putrescence animé, d’une si grande attirance pour les peintres d’Octave Mirbeau [6] ou de William Sharp [7]; dans les formes excessives de la « chose pourpre », la peste violette de Jean Richepin [8]. Monstre convaincant, l’amorphe naît des formes humaines qui subissent et en même temps engendrent la déformation : plaies en ébullition, cadavres en putréfaction, fœtus macérant dans leurs bocaux. On sait que Flaubert avait arrêté le défilé des monstres de La Tentation de saint Antoine sur « des petites masses globuleuses, grosses comme des têtes d’épingles et garnies de cils tout autour », des espèces de cellules organiques agitées d’une vibration [9]. L’amorphe serait comme l’inflexion inévitable de cet organique-là vers la dissolution et la décomposition de tout agrégat. Tout ensemble une aporie de la représentation et un paradoxe littéraire puisque, comme le rappelait Alfred Lombard en 1934, « les monstres tout à fait informes ne sont pas littérairement utilisables [10] ». De tout point de vue, un cas limite.
4Dans les trois albums lithographiques qu’un des artistes les plus fascinants de la fin du xixe siècle, Odilon Redon, consacre à La Tentation de saint Antoine, ce n’est pas un hasard si le monstrueux connaît une fortune et un traitement distinctement biologiques. Odilon Redon était passé du musée au muséum. Il avait tracé d’un même fusain les formes de la nature et celles de l’imagination. Un de ses meilleurs amis était le botaniste Armand Clavaud. Un seul exemple suffira. Quand Flaubert annonce « Et toutes sortes de bêtes effroyables surgissent », une procession savante, érudite même, aligne, sous le regard quelque peu médusé du lecteur de La Tentation, le Tragelaphus, le Myrmecoleo, le python Aksar, la grande bellette Pastinaca, le Pesteros, le Mirag, le léopard Phalmant, le Sénad et le chien Cépus [11]. Or, voici comment Odilon Redon les interprète dans la huitième planche de sa première série lithographique en 1888 (fig. 1) :
Odilon Redon, La Tentation de saint Antoine, 1re série, 1888, pl. VIII : Et toutes sortes de bêtes effroyables surgissent, lithographie
Odilon Redon, La Tentation de saint Antoine, 1re série, 1888, pl. VIII : Et toutes sortes de bêtes effroyables surgissent, lithographie
5C’est un paysage marin, une mer de ténèbres vue en surplomb, où surnagent et éclosent les formes originelles. Dans la lithographie, rochers, coquillages, cellules, amibes, frottages et grattages n’ont pas la même dimension, mais sont mis sur le même plan, sous un début d’aube, qui est à interpréter à la fois comme l’éclairage qui révèle les formes et comme l’instant de leur naissance. La forme centrale, dans son enroulement / déroulement, est naissance, parturition, à la fois gésine et création. La courbe, qui figure ici le déroulement, poussée d’en dessous par une masse sombre, soutient une face camuse, tout ensemble animale et humaine, percée de cavités noires, et béantes, qui disent en revanche que l’involution est à l’œuvre, ou que le chaos guette la représentation. Dans la planche de Redon, l’organique a pris le dessus, il a triomphé de l’érudition mythologique et tératologique de Flaubert. Huysmans, dans un texte célèbre qui cherche à créer le monstre, n’hésitera pas une seconde à traduire la planche en ce sens :
[…] il semble que toute la faune des vers filaridés, que toutes les peuplades des parasites fourmillent en la nuit de cette planche dans laquelle apparaît subitement la face humaine, inachevée, brandie au bout de ces vivantes spires ou enfoncée comme un noyau dans la gélatine animée des protoplasmes [12].
7L’oscillation est patente : la forme humaine, ou ce qu’il en reste, est-elle portée vers le haut (« brandie au bout de ces vivantes spires ») ? Est-elle au contraire enfouie, engloutie (« enfoncée comme un noyau ») ? Si elle représente ici la norme, ou la référence qui permet de penser le monstrueux, celui-ci ne peut se dire que dans un langage organique nouveau. A preuve, les termes gélatine et protoplasme.
8Le dictionnaire de Littré, qui ne connaît gélatine que dans le sens culinaire (« Substance qu’on extrait, sous forme de gelée, des os des animaux. Bouillon, tablettes de gélatine »), renvoie pourtant, au premier exemple donné à l’adjectif gélatineux, à la Palingénésie philosophique de Charles Bonnet (1769), selon qui, la gelée ou la gélatine sont à concevoir comme l’origine molle, c’est-à-dire souple, pâteuse et plastique, d’une sorte de matrice élémentaire des êtres [13]. De même, Littré ne connaît protoplasma qu’en tant que terme de botanique, et comme synonyme de plasma, « le liquide contenu dans la cavité des cellules végétales, ou dans les cellules embryonnaires lorsque l’embryon n’a pas encore de sang », et non pas au sens biologique de « cellule vivante » que le français empruntera bientôt à l’allemand. Pourtant la contiguïté dans le dictionnaire de protoplasma et de protoplaste, littéralement « qui a été formé d’abord » et qui « se dit du premier homme » (Littré toujours), montre que protoplasme comme gélatine, comme gelée, permettent de penser la création des êtres, et par conséquent des monstres, selon de nouvelles modalités, précisément biologiques. Les trois termes font référence à un état vague, confus ou flou de l’origine organique, d’où l’être peut émerger ou encore y retourner, Huysmans mettant en branle – dans le diptyque verbal « brandie » ou « enfoncée » – une rêverie à la fois progressive et régressive. En quelque sorte, l’heure de l’amorphe a sonné dans les dernières années du xixe siècle. Et Odilon Redon en tirera un riche parti dans les deux séries ultérieures qu’il consacrera à La Tentation en 1889 et en 1896, comme le montrent bien ces deux planches (fig. 2 et 3) :
Odilon Redon, A Gustave Flaubert [2e série de La Tentation de saint Antoine], 1889, pl. IV : Il doit y avoir quelque part des figures primordiales dont les corps ne sont que les images, lithographie
Odilon Redon, A Gustave Flaubert [2e série de La Tentation de saint Antoine], 1889, pl. IV : Il doit y avoir quelque part des figures primordiales dont les corps ne sont que les images, lithographie
Odilon Redon, La Tentation de saint Antoine, 3e série, 1896, pl. XIII : Et que des yeux sans tête flottaient comme des mollusques, lithographie
Odilon Redon, La Tentation de saint Antoine, 3e série, 1896, pl. XIII : Et que des yeux sans tête flottaient comme des mollusques, lithographie
9Cette obsession de l’amorphe a laissé son empreinte autant dans les textes fin-de-siècle que dans le discours critique de l’époque sur les productions artistiques (peintures, gravures, lithographies, mobilier, voire musique). Elle peut se manifester à des endroits clés de la fiction : deux romans d’Arthur Machen, The Great God Pan (1894) et The Three Impostors (1895), parus à une année d’intervalle, se terminent sur la même figure de la putrescence et de la désagrégation. Dans le premier cas, la putréfaction, touchant le corps, le transmue en gélatine, quatre pages avant la fin :
The skin, and the flesh, and the muscles, and the bones, and the firm structure of the human body that I had thought to be unchangeable, and permanent as adamant, began to melt and dissolve.
I knew that the body may be separated into its elements by external agencies, but I should have refused to believe what I saw. For here there was some internal force, of which I knew nothing, that caused dissolution and change.
Here too was all the work by which man had been made repeated before my eyes. I saw the form waver from sex to sex, dividing itself from itself, and then again reunited. Then I saw the body descend to the beasts whence it ascended, and that which was on the heights go down to the depths, even to the abyss of all being. The principle of life, which makes organism, always remained, while the outward form changed [14].
[…]
I watched, and at last I saw nothing but a substance as jelly.
La peau, la chair, les muscles et les os, et la ferme structure du corps humain, tout ce que j’avais jugé jusque-là aussi invétérable, aussi permanent que le diamant, commença de fondre et de se dissoudre.
Je savais que les agents extérieurs pouvaient ramener ce corps à ces éléments, mais j’eusse refusé de croire ce que je voyais maintenant, car il y avait là une force interne dont je ne savais rien et qui ordonnait la dissolution et la métamorphose.
Ici, se répéta devant moi tout l’effort [en fait, « le travail », « l’œuvre »] dont l’homme est issu. Je vis la chose [sic pour la forme] vaciller de sexe en sexe, se disjoindre et s’unifier à nouveau ; je vis le corps revenir aux bêtes dont il procède, et ce qui était au sommet des êtres descendre jusqu’aux bas-fonds, jusqu’aux abîmes. Mais le principe de la vie, qui crée l’organisme, demeurait stable cependant sous les transformations de la forme.
[…]
Je regardais toujours : bientôt je ne vis plus rien qu’une substance pareille à de la gélatine [15].
12Dans le second, la désagrégation touche les putti du plafond d’une villa abandonnée, défaisant une esthétique et une tradition picturale harmonieuses, sereines, une page avant la fin :
The floor was thick with the dust of decay, and the painted ceiling fading from all gay colours and light fancies of cupids in a career, and disfigured with sores of dampness, seemed transmuted into other work. No longer the amorini chased one another pleasantly, with limbs that sought not to advance, and hands that merely simulated the act of grasping at the wreathed flowers ; but it appeared some savage burlesque of the old careless world and of its cherished conventions, and the dance of the loves had become a Dance of Death ; black pustules and festering sores swelled and clustered on fair limbs and smiling faces showed corruption, and the fairy blood had boiled with the germs of foul disease ; it was a parable of the leaven working, and worms devouring for a banquet the heart of the rose [16].
Cela se délabrait : une épaisse couche de poussière couvrait le plancher et le plafond historié, dont les fraîches couleurs et les virevoltes légères de cupidons se pourchassant avaient pâli, semblait se transmuer, rongé de plaies d’humidité, en une œuvre tout autre. Les petits amours ne couraient plus aimablement l’un après l’autre, sur des jambes qui ne voulaient avancer, tendant des mains qui prétendaient s’agripper aux guirlandes florales ; mais on eût dit une parodie sauvage de cet ancien monde insouciant et de ses conventions les plus chères, et la danse des amours avait tourné à la Danse Macabre ; des pustules noires et des plaies suppurantes bourgeonnaient, agglutinées sur les formes harmonieuses, les visages souriants affichaient la débauche, et le sang féerique s’enfiévrait des germes d’une maladie immonde ; c’était une parabole du levain qui fermente, et des vers qui dévorent au festin le cœur de la rose (ma traduction).
15Dans ces deux exemples, fortement signifiants par la place qu’ils occupent, il ne fait pas de doute que l’enjeu de l’informe est double, littéraire et artistique. Le contexte des romans de Machen est celui de la finitude, et la finitude typique du climat fin-de-siècle. En tant que motifs conclusifs, la gélatine et la putrescence ont raison des créatures humaines et des représentations idéales. Plus encore, elles rejoignent le climat d’époque dont elles deviennent la parfaite illustration.
16Cette manifestation, d’une certaine violence, comporte pourtant une part d’innovation, parfois dissimulée sous un voile de ridicule sous lequel il faut aller la chercher. Un bon exemple est la manière dont le vers libre français, revendiqué à l’époque comme une innovation littéraire des symbolistes, est travesti en vers amorphe. L’expression relève de la touche piquante dans ce portrait caricatural par Jane de La Vaudère : « un esthète passé au henné, avec des yeux soulignés de kohl, qui psalmodiait des vers amorphes, en contemplant le plafond [17] ». Ou de la raillerie, dans cette phrase de Laurent Tailhade, introduisant un recueil poétique en 1906 : « Il aurait pu “lancer” le vers de soixante-douze pieds, le vers sans rime, le vers sans lettres capitales, sans orthographe et sans musique, le vers amorphe, le vers désossé, le vers sans vers [18]. »
17On rappellera cependant volontiers que Tailhade avait publié, quelque quinze ans auparavant, dans Le Décadent d’Anatole Baju, des « Distiques mous [19] », par définition fort proches des « vers désossés » ou « amorphes ». Et il les avait signés Mitrophane Crapoussin (un pseudonyme partagé à l’occasion avec Georges Fourest dans l’affaire des faux Rimbaud, une mystification célèbre [20]), avant de finir par les faire siens dans Au pays du Mufle et Poèmes aristophanesques [21], deux de ses recueils de poèmes les plus connus. Ils étaient ainsi conçus :
19Ce dernier exemple me semble typique non seulement de la vogue du pastiche qui fleurit à la fin du xixe siècle, mais aussi du flottement qui entoure le geste poétique et son interprétation. Crapoussin (hybride né d’un crapaud et d’un poussin, autrement dit, un je poétique monstrueux, d’autant qu’il pastiche ici un poète dont on sait très peu à l’époque, Arthur Rimbaud) revendique l’hybridité comme mode d’existence, rivalise avec l’onocrotale [22] qui clôt le poème, flirte avec les chauves-souris et les rainettes, parle à mots couverts de l’onanisme – tous choix relevant à l’époque du registre bas ou de la dégénérescence –, mais entend aussi être un frère en poésie d’Arthur Rimbaud.
20Dans ce cas, s’en tenir au seul contexte parodique ou fumiste, présent dans les petites revues comme Le Décadent de Baju, pour interpréter le texte, son titre et sa signature, n’est pas suffisant. La parodie, le pastiche et les modes obliques d’expression ont souvent valeur de manifeste indirect à la fin du xixe siècle [23]. Le distique mou et le vers amorphe peuvent ainsi être considérés selon deux angles : comme des expressions littérales de la dégénérescence, des processus de déclin qui, à la suite des corps, toucheraient les moyens d’expression et les formes, mais aussi comme des formes émergeant d’un désastre ou d’un chaos, qui chercheraient à assumer sinon une création nouvelle, du moins un geste artistique particulier.
21Le recueil de Franc-Nohain, Flûtes, poèmes amorphes, sous-titré « fables, anecdotes, curiosités » (1898), illustre tout ensemble la poétique de l’amorphe et l’art poétique amorphe. Outre le titre explicite, le livre avait paru sous une couverture typographiée, où le mot Flûtes recomposait une syrinx ou flûte de Pan, convoquant ainsi toute une tradition poétique complexe, en partie fondée sur le calligramme et le quiproquo (fig. 4). Les poèmes étaient, eux, imprimés à la suite d’une parodie de préface où s’accumulaient quatre pages de définitions des onze termes suivants : amorphe (adj.), amorphe (subst.), amorphie, amorphocéphale, amorphocère, amorphope, amorphophalle, amorphophyte, amorphose, amorphosome et amorphozoaires, que Franc-Nohain avait textuellement repris au Grand Dictionnaire universel de Pierre Larousse. Une colonne et demie en avait été pillée à la virgule près [24]. Son objectif explicite était « tout le monde poète ! par les procédés amorphes de Franc-Nohain ». Il s’agit en fait d’une entreprise poétique complexe, qui, en partant des expériences poétiques du cabaret du Chat Noir, mettait en scène un bestiaire impossible ou aphone (porcs-épics, chameaux, tortues inspirées de celle de Des Esseintes, huîtres et poissons rouges à l’articulation défectueuse) pour s’ouvrir vers une poétique nouvelle, en réalité moderniste, annonçant les rythmes de « Zone » d’Apollinaire (premier titre « Cri », déc. 1912) ou de La Prose du transsibérien et de la Petite Jeanne de France de Blaise Cendrars (premier livre simultané, 1913). On n’entrera pas ici dans le détail de l’analyse pour ne pas encombrer inutilement le propos. Une même inspiration transparaît chez Erik Satie, dans au moins deux titres pour des morceaux de musique, Quatre Préludes flasques (pour un chien) en 1912 et Embryons desséchés en 1913.
Franc-Nohain, Flûtes, poèmes amorphes, fables, anecdotes, curiosités (Paris, « La Revue Blanche », 1898).
Franc-Nohain, Flûtes, poèmes amorphes, fables, anecdotes, curiosités (Paris, « La Revue Blanche », 1898).
22L’ambivalence saute aux yeux dès qu’il s’agit d’œuvres d’art, en particulier de sculptures, autrement dit, des corps solides qui auraient a priori peu à voir avec l’amorphe. La sculpture de Georges Minne Treurende moeder met twee kinderen [Mère pleurant avec deux enfants], un bronze de 1888, aujourd’hui aux Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles (fig. 5), et qu’on connaît aussi sous le titre allégorique La Douleur, est une pièce illustrant l’essor incontestable de la sculpture belge à la fin du xixe siècle. Elle est pourtant vue en 1890 par le poète belge Charles Van Lerberghe, lecteur de Darwin et des évolutionnistes, comme une expression plastique de l’amorphe : « Encore y a-t-il là des statues singulières, comme des êtres embryonnaires, primates, à peine dégagées du chaos. Ce sont des statues qui pourraient illustrer Darwin », écrit-il à Albert Mockel [25]. Alors que le primitivisme expressif de l’œuvre, proche du symbolisme, pourrait aujourd’hui, à plus d’un siècle de distance, être interprété comme une expérience plastique avant-gardiste, la sculpture oscille à l’époque entre régression et ébauche inaccomplie.
23Encore plus éclairant, l’article « Les vêpres de l’art » que le polygraphe Oskar A.-H. Schmitz, beau-frère du peintre et dessinateur Alfred Kubin, donne à la revue L’Ermitage en 1898 [26]. Il s’agit de présenter deux artistes, Edvard Munch et Henri Héran (pseudonyme français de Paul Hermann), et de définir l’art qui réussit à rendre l’idée éternelle, la vibration de la vie, et qui rivaliserait avec la musique. L’« état musical » est pourtant à entendre comme une tentation de l’informe. Il caractérise pour Schmitz une esthétique au bord de l’épuisement du fait même qu’elle tend vers l’abstraction, ce que reflète le titre de l’article, qui renvoie à un soir ou à un crépuscule des arts. Schmitz s’arrête ainsi sur la ligne, qui se déforme ; sur la couleur, qui devient tache (par exemple, dans Le Baiser d’Edvard Munch) ; sur la caricature et le dessin qui fusionnent ; sur le cadre qui coupe arbitrairement l’image mutilant les formes, « traits d’union mystiques » (par exemple, dans Le Vampire de Munch) ; et sur le refus du sujet. Modernité ? Ou bien tendance irrépressible de la représentation vers l’ornement, sentie à la fois comme un amoindrissement et une transgression ? « [M]ais les mots dépourvus de sens ne sont que des non-sens et on ne peut les employer comme des couleurs ou des lignes, uniquement en raison de leur puissance ornementale », affirme Schmitz, cherchant sans doute à sauver le langage du dépérissement [27]. Il en est tout autrement de l’abstraction plastique. Liée aux monstres, fréquents dans les œuvres des deux artistes commentés, l’abstraction est un dérèglement et un désordre.
Georges Minne, Treurende moeder met twee kinderen [Mère pleurant avec deux enfants], ou La Douleur, bronze, 1888, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
Georges Minne, Treurende moeder met twee kinderen [Mère pleurant avec deux enfants], ou La Douleur, bronze, 1888, Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
24Sept ans plus tard, un autre article de L’Ermitage, « Philosophie du “Modern-Style” », signé Serge de Chessin, établit un parallèle entre musique, littérature et arts plastiques, et commente l’Art nouveau en tant que « paradoxe réalisé », qui fait dévier l’utile de son sens naturel, déplace l’axe du centre à la périphérie et du principal à l’accessoire. Entre l’emprise de la nature et l’aspiration à l’immatérialité, le Modern Style ne peut trouver son expression que dans la décomposition et la purulence, se complaire dans la maladie, œuvrer dans l’insuccès voulu, assumé et réussi. Il est frappant de voir à quel point, à propos d’art nouveau – art moderne, symboliquement lié à la jeunesse ou au printemps, si l’on pense au fameux Jugendstil [28] –, l’organique envahit les descriptions toujours saisies sous l’angle de la décomposition, de la maladie et de la mort :
Tandis que d’autres styles, pour couronner les meubles et les édifices de feuillages et de guirlandes, se sont attachés à l’imitation de plantes saines, […] le Style Moderne a choisi comme modèle le bourgeonnement scaireux [29], le fouillis des plantes, moitié végétaux, moitié larves, qui remplissent de leur grouillement l’épaisseur des eaux stagnantes. Il a perverti le métal et la porcelaine, le meuble et le bibelot. On connaît les théières couleur influenza, les divans marécageux et moisis, le cendrier où se dessèche un crachat de poitrinaire. Tel plateau à cartes n’est que l’accouplement imprécis d’étranges zoophytes. Des champignons vénéneux se décomposent au fond des assiettes. Les applications de métal crispées sur des boiseries fraîches, des porcelaines lisses, enfoncent comme en une carnation délicate des griffes voraces et des suçoirs obscènes. […] Mais rien n’est plus logique que cette dépravation fantasque. Dans la pourriture il y a disparition presque complète d’éléments plastiques. Désagrégées, dissoutes, noyées, les formes ne sont plus qu’une gelée amorphe, d’une couleur imprécise, boueuse, piquetée çà et là de phosphorescences byzantines. Quand, par principe, on s’interdit l’imitation, ce modèle anormal est le meilleur des modèles [30].
26Une inépuisable hybridation nuit à la stabilité des règnes de la nature qui apparaissent dans le grouillement ; elle touche les genres qui fusionnent, et les formes, embryonnaires, flasques, qui ne cherchent qu’à se dissoudre. La biologie informe les images, les métaphores, et jusqu’au mouvement du texte où tout coule, se gâte, s’altère et périt. La créativité l’a cédé à la dissolution, au dérèglement et au désordre.
27Un dessin satirique de Jossot, extrait de l’album Artistes et bourgeois de 1894, pourrait d’ailleurs être à la fois un commentaire graphique du Modern Style selon de Chessin et un exemple de la fusion entre Art nouveau et caricature (Fig. 6).
Les Artistes, pl. VI : – Mon opus est l’ idiosyncrasie synthétique des vésaniques et absconses morbidesses de la modalité des contingences. Dans Artistes et bourgeois, vingt-quatre compositions par Jossot, préface de Willy, Paris, Librairie artistique G. Boudet, Vente exclusive Ch. Tallandier [1894], original en couleurs.
Les Artistes, pl. VI : – Mon opus est l’ idiosyncrasie synthétique des vésaniques et absconses morbidesses de la modalité des contingences. Dans Artistes et bourgeois, vingt-quatre compositions par Jossot, préface de Willy, Paris, Librairie artistique G. Boudet, Vente exclusive Ch. Tallandier [1894], original en couleurs.
28Comme on vient de le voir, cette obsession marque tout ensemble les textes finde-siècle et le discours critique de la période sur les productions artistiques. Elle peut se manifester à des endroits clés de la fiction, commenter la poétique fin-desiècle ou les œuvres d’art, parfois facétieusement. Ces images sont répandues (mon commentaire se limite à un choix d’entre elles) et ne semblent pas avoir fait jusqu’à présent l’objet d’une approche critique organisée. Certaines d’entre elles portent une couleur d’époque propre et sont en relation directe avec un vocabulaire issu des sciences naturelles ou de la biologie. C’est le cas pour gélatine, on l’a vu. C’est aussi le cas pour amorphe, qui vient de la minéralogie et dont la définition, « qui n’a pas de forme cristallisée propre », s’oppose à cristallin (TLF). Il est remarquable que Littré le définisse comme « qui n’a pas de forme déterminée » et en fasse un terme de didactique. Remarquable aussi qu’il retienne amorphie, qui qualifie l’état, avec une définition encore plus étendue, qui fait d’amorphie quasiment un synonyme de monstruosité : « Absence de forme déterminée, difformité, désordre dans la conformation. » D’autres, en revanche, ont une origine beaucoup plus ancienne, et fascinante. C’est le cas du poumon marin.
29Il s’agit dans ce cas de la traduction littérale d’une image surréelle formulée en grec ancien : pleumon ou pneumon thalattios [poumon marin], c’est ainsi que le navigateur Pythéas le Massaliote nomme Thulé, qu’il découvre quelque part dans le Grand Nord après avoir été le premier à quitter la Méditerranée au ve siècle av. J.-C. pour explorer l’Océan. Le poumon marin qualifie le mélange des éléments suspendus (eau, air, terre) dans une gangue molle et flottante que Pythéas aperçoit aux confins de l’univers. L’image parvient jusqu’à nous par le biais d’une tradition doublement indirecte (dans la Géographie de l’incrédule Strabon, qui qualifie Pythéas de « fieffé menteur » après avoir lu les historiens et géographes, Eratosthène, Posidonios et surtout Polybe, qui ont, eux, vraisemblablement lu Pythéas de première main), mais sans rien perdre de sa fascination :
[…] ces régions où l’on ne trouve plus ni terre proprement dite ni mer ni air, mais une matière composée [un agrégat indistinct] de ces divers éléments, qui ressemble fort au poumon marin [à la méduse] et dans lequel, à ce qu’il [Pythéas] dit, la terre, la mer, et tous les éléments restent en suspens : c’est une espèce de gangue qui tient toutes choses ensemble [qui serait le lien de tout] et sur quoi l’on ne peut ni cheminer ni naviguer [31].
31Je ne m’étendrai pas ici sur la rêverie élémentaire qui façonne Thulé comme un lieu captivant pour l’imagination poétique depuis l’Antiquité jusqu’à la poésie symboliste [32]. Notons seulement que le poumon marin est au cœur d’une lettre ouverte que Charles Maurras, fervent défenseur d’une littérature du Sud, lumineuse, raisonnée et classique, adresse en janvier 1892 au poète symboliste Adolphe Retté, à l’occasion de la publication du second livre de Retté, Thulé des Brumes (1891), exemplaire pour Maurras d’une littérature du Nord, brumeuse, confuse, monstrueuse. A ceci près qu’au lieu d’être une arme critique, le poumon marin, son imaginaire et tout ce qu’il implique, vire de portée, entraîne Maurras vers le registre fictif et utopique, et finit par devenir, dans une prose a priori hostile à Retté, le mot clé d’une exégèse dont le corollaire est l’amorphe, et qui a tout d’une étude, d’une sensibilité et d’une cosmogonie fin-de-siècle. Il y apparaît même le bathybius de Haeckel, c’est-à-dire la substance découverte au fond de l’océan et analysée par le biologiste britannique Thomas Henry Huxley, disciple et porte-parole de Darwin, comme le chaînon manquant entre matière inorganique et matière organique. Huxley avait (à tort) considéré le bathybius comme une forme de matière primordiale, l’avait nommé Bathybius Haeckeli (fig. 7) en l’honneur d’Ernst Haeckel, et l’avait lié à l’Urschleim, le protoplasme dont, selon Haeckel, toute forme de vie était née. Dans la prose fin-de-siècle, le bathybius fournit un personnage à Alfred Jarry [33] et Huysmans pensait le retrouver sur les planches d’Odilon Redon. Il est vrai qu’une d’entre elles, tirée de la troisième série consacrée à La Tentation de saint Antoine (1896), pourra être retenue pour ses similitudes formelles troublantes avec le bathybius, mais aussi pour sa beauté artistique intrinsèque (fig. 8).
Bathybius Haeckeli.
Bathybius Haeckeli.
Odilon Redon, La Tentation de saint Antoine, 3e série, 1896, pl. XXII : Les bêtes de la mer rondes comme des outres, lithographie
Odilon Redon, La Tentation de saint Antoine, 3e série, 1896, pl. XXII : Les bêtes de la mer rondes comme des outres, lithographie
32Pour revenir à Thulé des Brumes et aux réactions de Maurras, voici un passage caractéristique de la lettre ouverte de Maurras à Retté :
Pâles, à demi diaphanes, moitié nageant, moitié traînés par les courants des eaux, les poumons marins sont ces cloches vivantes qui flottent presque à fleur de mer et que nous nommons aussi des méduses. Qu’était-ce à dire ? D’entre toutes les formes connues du temps de Pythéas, il n’en était pas de plus molle, ni de plus indéterminée. De nos jours, il [Pythéas] eût comparé le sol de Thulé à ces gelées blanchâtres que nous montre la vitre des microscopes, ébauches d’êtres, protoplasmes, simples brumes vivantes que nos savants n’ont point renoncé à cataloguer. Il eût écrit bathybius à la place du poumon marin. Car Thulé lui apparaissait le lieu de l’existence amorphe, le point où l’univers commence[,] avec angoisse, à se discerner de l’abîme ; et il plaçait ce point « à une journée de trajet de la mer glaciale », afin que nous sachions combien Thulé confine à la région silencieuse et froide de la mort [34].
34Aux yeux de Maurras, entreprendre un voyage vers ce royaume de la confusion serait légitime à la fin du xixe siècle, si l’auteur, ordonnateur du chaos dans le sens métaphysique, y introduisait la loi et l’harmonie et y faisait naître un monde. Or, Retté n’a rien de ces poètes religieux qui évoquaient jadis la difformité, matrice du monde, pour mieux exhorter l’auditoire à exterminer les derniers des monstres. S’il est attiré par la masse gélatineuse, par le poumon marin, ce n’est pas pour y chercher le lien qui assure la cohérence de l’univers (vinculum universi), mais pour sombrer dans l’indistinct, pénétré par l’informe dans sa substance psychique et métaphysique, dans son imaginaire, dans son livre enfin :
Vous avez évoqué, en des chapitres où tout se mêle, un monde où tout se contrarie. Vous avez aimé embrouiller vos phrases comme des nuées ; et vous avez voulu leur donner d’autres fois, l’épaisseur du limon. Votre livre est assurément un des plus étranges protozoaires qu’ait produits notre Décadence [35].
36Protozoaire : « animalcule, animal dont la conformation est des plus simples », dit le Littré ; « règne animal le moins évolué comprenant les animaux à une seule cellule », affirme le Trésor de la langue française. Le livre de Retté, en six parties faites de proses puissamment lyriques, sans intrigue, sans lien, reflétant l’existence anormale et grandiose de l’âme réfugiée dans le rêve, est exemplaire d’une écriture poétique sensible à la vision. Comme d’autres proses fin-de-siècle qu’on connaît peu ou mal, il correspond sûrement à une expérimentation littéraire. Il est en outre escorté d’une campagne de presse [36] et d’un système de dédicaces élaboré par l’auteur en tant que commentaire poétique marginal [37], qui indique l’existence, chez un poète symboliste, d’une stratégie publicitaire purement moderne.
37On peut penser que le terme protozoaire est abusif, surtout dans le sens où l’entend Maurras. Mais on s’aperçoit aussi que protozoaire s’applique aisément au Je de Thulé des Brumes, qui est bien, dès 1891 et dans ce livre, une « Personne sans véritable personnalité, qui ne se définit que par référence au milieu dans lequel elle vit », autrement dit, dans un sens que le TLF reconnaît comme plus tardif et par référence au Proust du Côté de Guermantes (1920).
38Je m’explique. Lorsqu’on découvre dans Thulé des Brumes de Retté que, comme Maurras le remarque, « La Nature est un Monstre [38] », ou que « les dieux sont des fumées dans le brouillard [39] », ces citations peuvent apparaître comme un indice périphérique d’un fait capital – car de portée poétique –, l’idée que l’amorphe atteint le fond et la forme de l’écrit. Selon la perspective de Maurras, en effet, la gelée ou la gélatine, ultime étape de la création régressive, promise au chaos à la fin du xixe siècle, atteint dans Thulé des Brumes de Retté la matière, la forme et le fond de l’ouvrage.
39Simple boutade ? A condition de poser la question de Maurras plus largement, en l’appuyant sur l’imaginaire fin-de-siècle et tout ce qu’il mobilise, on s’aperçoit qu’on aboutit à un paradigme signifiant des livres monstrueux s’enchaînant les uns aux autres, chacun d’eux ayant valeur de mutatio du précédent in peius. Ainsi, on a avec A rebours de Huysmans (1884) – selon l’écrivain et critique belge Edmond Picard – un livre « difforme, acéphale, acaudale, chimérique, lardé, truffé d’excentricités et de monstruosités » ; un livre comparable à la chute des mauvais anges, « aveuglant cauchemar qui précipite dans les abîmes une averse d’êtres à la fois grotesques et terribles, mi-légumes, mi-insectes, mi-poissons, mi-oiseaux », un livre qui arrive jusqu’au chaos des organismes démembrés et brouillés, pour passer, au « fond des eaux artistiques », à l’état d’un « être invraisemblable et horrible, un poulpe innomé, pustuleux, corrosif, et redoutable [40] ». Dans la filiation directe de ces images, on aurait dès lors, avec Thulédes Brumes de Retté (1891), qui marque pour Maurras « une extrémité de la littérature habitable », le livre-poumon marin ne relevant d’aucune chute, né dans la gelée d’une prose finissante, multipliant le monstre par copie, redite et gravure [41], livre seyant à merveille à la « terre [qui] vieillit, et comme les vieillards […] s’incline vers l’enfance ». A entendre de plus Maurras l’appeler « la sorte de poumon marin dont vous êtes, mon cher Retté, si heureusement accouché [42] », on identifierait aussi le livre-poumon marin avec le livre-fœtus, digne emblème du voyage fin-de-siècle vers l’amorphe et version décadente de la métaphore de la paternité de l’œuvre, jadis analysée par Ernst Robert Curtius [43].
40L’emploi de protozoaire par Proust permet en revanche de changer de nouveau de perspective. Dans Le Côté de Guermantes, I (1920), le contexte (théâtral) exploite à la fois une vision cosmogonique (ciel des divinités / terre des humains) et une ambiance d’aquarium, au sein desquelles le Je se dissout dans la masse des spectateurs et se décompose ou se liquéfie irradié par le regard d’une femme :
Je contemplais cette apothéose momentanée avec un trouble que mélangeait de paix le sentiment d’être ignoré des Immortels ; la duchesse m’avait bien vu une fois avec son mari, mais ne devait certainement pas s’en souvenir, et je ne souffrais pas qu’elle se trouvât, par la place qu’elle occupait dans la baignoire, regarder les madrépores anonymes et collectifs du public de l’orchestre, car je sentais heureusement mon être dissous au milieu d’eux, quand, au moment où en vertu des lois de la réfraction vint sans doute se peindre dans le courant impassible des deux yeux bleus [de la duchesse de Guermantes] la forme confuse du protozoaire dépourvu d’existence individuelle que j’étais, je vis une clarté les illuminer : la duchesse, de déesse devenue femme et me semblant tout d’un coup mille fois plus belle, leva vers moi la main gantée de blanc qu’elle tenait appuyée sur le rebord de la loge, l’agita en signe d’amitié […] [44].
42Rien toutefois ici de la décomposition fin-de-siècle, inéluctable et tératomorphe, tout du bonheur de sortir de l’inexistence ; tout d’une mutation qui permet, entre autres, à la langue et au mécanisme mnémonique de creuser plus loin le vécu humain selon une perspective reconnue comme moderne.
43Plus généralement, il y a chez Proust une inquiétude madréporique. Elle est par exemple dans la belle image du polypier. Le polypier – primitif, confus, sporadique – traduit la « nébuleuse indistincte et lactée » et « la gelée d’une seule grappe scintillante et brillante » des fillettes mêlées en groupe avant qu’elles ne se désunissent et ne forment les individualités distinctes des jeunes filles [45]. Dans A l’ombre des jeunes filles en fleurs (1918), il paraît possible de mettre en parallèle ces images et leur transformation avec ce que les mondes amphibies d’Elstir – ses célèbres peintures de terre et mer entremêlées, ces tableaux sur lesquels la lumière, gorgée d’humidité, brosse autrement les images – apprennent au narrateur. L’initiation du regard, de la sensibilité du narrateur, et surtout son initiation esthétique à travers les marines amphibies révèlent une création poétique qui tire parti de la métaphore et de la métamorphose. Une des phrases clés parlant des marines d’Elstir le fait en ces termes :
Mais j’y pouvais discerner que le charme de chacune consistait en une sorte de métamorphose des choses représentées, analogue à celle qu’en poésie on nomme métaphore, et que, si Dieu le Père avait créé les choses en les nommant, c’est en leur ôtant leur nom, ou en leur en donnant un autre, qu’Elstir les recréait [46].
45On saisit dans ces pages célèbres une création issue d’un « laboratoire » et d’un « chaos » – l’atelier du peintre selon les termes de Proust. Mais l’on peut aussi postuler que la double éclosion du jeune homme (sentimentale et esthétique) correspond aux deux thèmes fondamentaux de ce volume de la Recherche, les jeunes filles et l’initiation par la peinture, unis au fond par le même imaginaire madréporique, franchi avec l’âge dans le cas des petites devenues jeunes filles, transmué par l’art dans le cas des marines. Sans doute quelque chose s’est-il profondément modifié dans le système descriptif, et Proust en témoigne. On soulignera volontiers qu’il renvoie à la poésie (et non à la prose), au fait d’ôter le nom (et non de nommer), au fait de recréer (et non de créer). Non seulement les aspects techniques de la description réaliste ou naturaliste (vue topographique, vérisme des détails, énumération, etc.) se révèlent ici impuissants à saisir l’univers changeant et le cèdent à une série d’images qui privilégient l’échange, la mutation, l’analogie, le transfert. Mais encore l’imagination, encouragée par le langage et la puissance des images d’un monde qui s’appréhende sur le mode de la transmutation, privilégie à l’avenir l’association plutôt que la description, la correspondance plutôt que l’information, le lien plutôt que la succession exhaustive. L’apport de la sensibilité et de l’imaginaire fin-de-siècle n’aura pas été négligeable dans ce sens.
46J’aimerais conclure rapidement en réfléchissant sur ces quelques emplois, leurs implications et le double éclairage qu’ils rendent possible. Présentées comme un motif obsédant de déclin ou de fin de la création du monde et de la création artistique, liées au climat ambiant de finitude, les citations issues du contexte finde-siècle ne traduisent pas moins des modifications littéraires et artistiques qui marquent la modernité (absence de sujet, transgression des genres, création du vers libre, fusion entre prose et vers, ligne déformée, fusion entre couleur et tache, fusion entre caricature et dessin, etc.). Elles confirment ce qu’on connaît bien par ailleurs, la crise des formes à la fin du xixe siècle, mais incitent peut-être à une plus grande souplesse interprétative.
47Il me semble que l’ambiguïté féconde qu’on a pu remarquer rend possible une double réflexion sur la production de l’époque. Une méthode qui privilégierait les métaphores et les motifs mobilisés par les textes et chercherait à reconstituer les trames de cet imaginaire peut mettre en évidence sa forte cohérence (au point qu’on pourrait le qualifier d’« obsessionnel », terme que j’ai sciemment employé) et les transgressions qu’il rend possibles, mais peut aussi être vue comme une lecture de spécialiste, peut-être trop empathique et myope. Une méthode qui privilégierait en revanche la distanciation historique et la réinterprétation de ces créations a posteriori accentuerait davantage leur caractère innovant ou moderniste, mais laisserait de côté la richesse des registres métaphorique et imaginaire. Or, l’opération métaphorique et le processus imaginaire sont au fondement d’une initiation esthétique, comme on peut le constater dans le cas de Proust, qui m’a brièvement servi d’exemple. L’idée forte d’une coupure et d’un siècle qui s’achève de part et d’autre de 1900, la brisure historique objective qu’introduit la Première Guerre mondiale, l’imaginaire insistant du déclin qui entoure le xixe siècle finissant, tout contribue à désigner la littérature fin-de-siècle comme une littérature d’épigones, autrement dit, pour certains, une littérature de second rang, peuplée de poètes mineurs, enclose dans l’époque qui l’a vue naître – et mourir. On aurait beaucoup à gagner à remettre les choses en perspective et à rétablir les filiations.
48Autour de ces questions d’interprétation, deux pratiques et deux manières se confrontent le plus souvent. Une manière historique, classique, fondée sur la logique séculaire et sur la notion d’école, et des pratiques plus souples et plurielles, issues du structuralisme ou de la sémiotique, qui se donnent comme objectif la reconstitution des motifs, des thèmes et des trames. En épousant cette dernière perspective et en cherchant à réfléchir à la poétique – portée de l’œuvre, esthétique littéraire, utilisation du langage –, on s’aperçoit que les motifs et les pratiques circulent et se répondent de part et d’autre de la coupure séculaire. Ce qui apparaît souvent comme foncièrement différent est profondément similaire à condition de l’éclairer de façon plurielle. De confronter par conséquent le travail inspiré de la sémiotique ou de la lecture structurale, proche des textes, à l’histoire littéraire pratiquée avec plus de discernement. On ne peut enlever à l’amorphe, à la gélatine et au poumon marin les connotations de finitude qui les accompagnent, et cela relève d’une sémiotique sensible au climat d’époque, au Zeitgeist. Mais reconnaître que, dans la pratique exacerbée d’une logique de finitude, la fin du xixe siècle donne naissance à des formes nouvelles, modèle un vocabulaire ou des notions exploitées par de grands écrivains qui lui emboîtent le pas, apparaît plus nettement, si l’on adopte une perspective historique élargie, également proche des textes, sensible à la voix des auteurs et à ses modulations. On espère qu’une telle sémiotique, historicisée, contextualisée, proche de la visée poétique, serait apte à répondre aux problèmes d’interprétation et de lecture posés par ces quelques motifs obsédants de part et d’autre d’une mutation de siècle.
49Université de Reims.
Notes
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[1]
Ce texte fut présenté en italien au colloque international Die Biologie der Kreativität, organisé par Ulrich Pfisterer (Munich) et Christine Ott (Marburg) à l’Université de Stuttgart les 5 et 6 décembre 2008. Je remercie vivement Philippe Hamon et Abdelfattah Kilito pour les remarques par lesquelles ils ont bien voulu accompagner la version française donnée ici. Dans sa toute première forme (1993), celle-ci faisait partie de la conclusion de ma thèse, écartée de la publication en volume pour des raisons de place.
-
[2]
Joris-Karl Huysmans, « Le Monstre », Certains, Paris, Tresse et Stock, 1889, p. 137.
-
[3]
Edmond et Jules de Goncourt, « L’imagination du monstre […] », Idées et sensations, Paris, A. Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1866, p. 15-17.
-
[4]
Voir Evanghélia Stead, Le Monstre, le singe et le fœtus : tératogonie et décadence dans l’Europe fin-desiècle, Genève, Droz, 2004, 604 p., 92 fig.
-
[5]
Voir Francesco Meloni, L’Opera grafica di Alberto Martini, Milan, Sugar Co., 1975, les pièces intitulées L’occhio alato [L’Œil ailé], p. 32, n° 28, et Medusa, p. 31, n° 27 (minuscules lithographies colorées à la main). Le peintre, graveur et dessinateur Alberto Martini (Oderzo, 1876-Milan, 1954) connut plusieurs saisons d’inspiration. Les œuvres fin-de-siècle ou d’avant-garde sont parmi les plus abouties et sans doute les moins connues de son œuvre.
-
[6]
Octave Mirbeau, « Hors la vie ! », Le Journal, Paris, 20 octobre 1895, p. 1.
-
[7]
William Sharp, « Fragments from the Lost Journals of Piero di Cosimo », Ecce Puella and Other Prose Imaginings, Londres, Elkin Mathews, 1896, p. 47-78. William Sharp (1855-1905), écrivain et poète écossais, auteur de biographies littéraires et éditeur de poésie, a également publié plusieurs textes de fiction sous le nom de Fiona MacLeod, auteur féminin qu’il avait inventé, sans révéler cette double identité de son vivant.
-
[8]
Jean Richepin, « La Thaumaturge » (premier titre « L’Atlante », Le Journal, 1er mars 1897), Contes de la décadence romaine, Paris, Bibliothèque-Charpentier, Eugène Fasquelle éd., 1898, p. 29-40.
-
[9]
La Tentation de saint Antoine, version définitive, « L’Intégrale », Paris, éd. du Seuil, 1980, p. 571b.
-
[10]
Alfred Lombard, Flaubert et saint Antoine, illustré de huit planches hors texte, Paris, Neuchâtel, éd. Victor Attinger, 1934, p. 40.
-
[11]
Flaubert, La Tentation, op. cit., p. 570a.
-
[12]
Joris-Karl Huysmans, « Le Monstre », op. cit., p. 151.
-
[13]
Littré, « Gélatineux », 1 : « Qui est de la nature de la gélatine. Suc gélatineux. Substance gélatineuse. Quelques plantes, comme les trémelles, ont l’aspect d’une gelée, ce qui leur vaut l’épithète de gélatineuses. » « Il est prouvé que tous les corps organisés sont gélatineux avant que d’être solides ; les arbres les plus durs et les plus pierreux n’ont été d’abord qu’un peu de gelée épaissie », Bonnet, Paling. XVI, 2. Ce sens prévaut aussi dans l’entrée gelée, dont le sens n° 4 est : « Etat gélatineux de parties végétales ou animales. »
-
[14]
Arthur Machen, The Great God Pan, and the Inmost Light, Londres, John Lane ; Boston, Roberts Bros, 1894 ; Tales of Horror and the Supernatural, Philip Van Doren Stern (éd.), Londres, John Baker, 1949, 1964, p. 110-111.
- [15]
-
[16]
Arthur Machen, The Three Impostors, or The Transmutations, Londres, John Lane ; Boston, Roberts Bros, 1895 ; The Eighteen Nineties, a Period Anthology of Prose and Verse, Londres, Richards Press, 1948, vol. II, p. 351-352.
-
[17]
Jane de La Vaudère, L’Amuseur, Paris, Paul Ollendorff, 1900, p. 245.
-
[18]
Victor Litschfousse, L’Ame d’autrui, Préface de Laurent Tailhade, Paris, Librairie Léon Vanier, A. Messein succr., 1906, n.p.
-
[19]
Mitrophane Crapoussin, « Distiques mous », Le Décadent, 4e année, n° 31, 15-31 mars 1889, p. 87.
-
[20]
Voir Stéphane Le Couëdic, « Mitrophane Crapoussin, Arthur avant Rimbaud », Les Mystifications littéraires, colloque des Invalides, Tusson, Du Lérot, 2001, p. 127-150.
-
[21]
Voir Au pays du mufle, ballades et quatorzains, Préface d’Armand Silvestre, Paris, Chez Léon Vanier, 1891, p. 87-88, et Poèmes aristophanesques, Paris, Société du « Mercure de France », 1904, p. 157-158 (texte identique à celui du Décadent hormis quelques variantes de ponctuation et l’épigraphe supprimée).
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[22]
L’onocrotale est un pélican blanc (Littré), mais l’étymologie, réelle ou fantasmée (de onos [âne] et de crotalon [cliquette, sonnette ou castagnette]), permet sans doute d’imaginer un autre être extravagant.
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[23]
Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon article « Soixante et un mots de Gustave Kahn recueillis par Jacques Plowert », in Gustave Kahn (1859-1936), dir. S. Basch et A. Guyaux, Paris, éd. Classiques Garnier, 2009 (sous presse).
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[24]
Grand Dictionnaire universel du xixe siècle par Pierre Larousse, tome I, p. 283 c-d. La provenance de cette pseudo-préface n’est pas indiquée par Franc-Nohain, mais aucun doute n’est possible.
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[25]
Charles Van Lerberghe, Lettres à Albert Mockel (1887-1906), Robert Debever et Jacques Detemmerman (éd.), Bruxelles, Labor, « Archives du Futur », 1986, vol. I, p. 121 (février 1890).
-
[26]
Oskar A.-H. Schmitz, « Les vêpres de l’art », L’Ermitage (Paris), vol. XVI, mars 1898, p. 207-218.
-
[27]
Ibid., p. 212.
-
[28]
Bien que le Jugendstil ou Sezessionsstil soit plus géométrique et moins végétal que l’Art nouveau français ou belge.
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[29]
Probablement dérivé de scirrhos, scirros ou sciros, « squirrhe » ou « squirre », sorte de tumeur (Pline, 7, 63) ; les formes squirrheux ou squirreux auraient sans doute été plus justes.
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[30]
Serge de Chessin, « Philosophie du “Modern-Style” », L’Ermitage, Paris, vol. X X XII, mars 1905, p. 166-179, ici p. 173.
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[31]
Strabon, Géographie, II, 4, 1, trad. de Germaine Aujac, Paris, Les Belles Lettres, 1969, mes propres précisions entre crochets.
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[32]
Voir mes articles « Thulé des géographes antiques à Adolphe Retté », Eidôlon (Bordeaux), n° 57 (La Fin des temps), 3e trimestre 2000, p. 237-250, et « Cristallisation poétique vers Ultima Thule », dans Le Nord, latitudes imaginaires, dir. Monique Dubar et Jean-Marc Moura, Lille, « UL 3, Travaux et recherches », 2000, p. 393-401 et leur apparat critique.
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[33]
Dans Le Surmâle, roman moderne, Paris, éd. de La Revue Blanche, 1902. Voir Frédéric Chambe, « Jarry, Haeckel, Monère, Bathybius », L’Etoile-Absinthe, 1986, tournées 31-32, p. 24-27. Villiers de L’Isle-Adam avait déjà donné le nom ironique de Bathybius Bottom à l’ingénieur de « La Machine à Gloire » (1874).
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[34]
Charles Maurras, « Le repentir de Pythéas. Lettre à l’auteur de Thulé des Brumes », L’Ermitage, Paris, vol. IV, janvier 1892, p. 1-7, ici p. 3-4, italiques de Maurras.
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[35]
Ibid., p. 4.
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[36]
Voir « “Thulé des Brumes” devant la Presse », La Plume, vol. IV, n° 68, 15 février 1892, p. 97b-98a.
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[37]
Adolphe Retté, « Dédicaces pour “Thulé des Brumes” : “Thulé” (à Léon Maillard), “Une chanson du Pauvre” (à Léon Deschamps) », La Plume, vol. IV, n° 65, 1er janvier 1892, p. 3a-b. Comme dans la note précédente, c’est là la trace d’un système d’autopromotion caractéristique des petites revues. Retté, un pilier de La Plume, dédie ses poésies au directeur de la revue (L. Deschamps) et à un des collaborateurs principaux (L. Maillard).
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[38]
Adolphe Retté, Thulé des Brumes, portrait à l’eau-forte par E.-H. Meyer, Paris, Bibliothèque artistique et littéraire, 1891, p. 99, petites capitales de Retté. La Bibliothèque artistique et littéraire est le nom de La Plume éditeur. Voir Maurras, « Le repentir de Pythéas », p. 6.
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[39]
Retté, ibid., p. 105 ; et Maurras, loc. cit.
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[40]
Edmond Picard, « J. K. Huysmans : A rebours », Pro Arte, Littérature, Bruxelles, s.n.d. éd. (Ferdinand Larcier), s.d. (1886), p. 215-216, et 230. L’imaginaire de Picard est sûrement influencé par la description du poulpe dans Les Travailleurs de la mer de Victor Hugo (1866), vu entre autres comme « gélatine animée », quoique Hugo privilégie la science et la philosophie et s’appuie bien plus sur la comparaison que ne le font les textes fin-de-siècle, séduits par l’amorphe et le registre métaphorique.
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[41]
Maurras, « Le repentir de Pythéas », loc. cit., p. 6 : « M. Retté estime que les monstres doivent encore être multipliés par l’imagination des hommes. […] Il les copie, il les redit et il les grave dans ses livres. »
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[42]
Id., ibid. (je souligne).
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[43]
Voir sur ce point, Le Monstre, le singe et le fœtus, op. cit., p. 499-510.
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[44]
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu : Le Côté de Guermantes, I, Pierre Clarac et André Ferré (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1954, vol. II, p. 58 (je souligne).
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[45]
Proust, A la recherche du temps perdu : A l’ombre des jeunes filles en fleurs, op. cit., vol. I, p. 823.
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[46]
Ibid., p. 835.