Notes
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[1]
Philippe Gasparini, Est-il Je ?, Paris, Seuil, 2004.
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[2]
Bret Easton Ellis a su jouer de l’inconstance de l’univers de la critique littéraire en grugeant quelques journalistes trop pressés : il a créé un site Internet (http://www.jaynedennis.com) afin de donner vie à sa prétendue célébrissime compagne dans Lunar Park, le journaliste crédule et à la recherche d’informations vite obtenues tombe forcément dans le panneau référentiel, tout cela s’avérant être en fait une opération montée de bout en bout. Pourtant, et voici un cas intéressant de mystification, la quatrième de couverture de l’édition reliée américaine est claire à cet égard : « Regardless of how horrible the events described here might seem, there’s one thing you must remember as you hold this book in your hands : all of it really happened, every word is true » ; « En dépit de l’horreur que semblent revêtir les événements décrits ici, il y a une chose dont vous devez vous souvenir pendant que vous tenez ce livre entre vos mains : tout a réellement eu lieu, chaque mot est vrai » (traduction de Pierre Guglielmina pour l’édition française). Difficile d’imaginer qu’Ellis n’est pas responsable d’une telle incitation à signer un contrat de lecture référentiel.
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[3]
Peter J. Rabinowitz, Before Reading : Narrative Conventions and the Politics of Interpretation, Columbus, Ohio State University Press, 1988.
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[4]
« For despite the theoretically infinite number of potential authorial audiences, it does not follow that authors have total control over the act of writing, any more than that readers have total control over the act of interpretation […]. More central to my argument, though, are conventional limitations on choice » ;« Car malgré le nombre théoriquement infini de lectorats potentiels, il ne s’ensuit pas nécessairement que les auteurs aient un contrôle total sur l’acte d’écriture, ni que les lecteurs aient un contrôle total sur l’acte d’interprétation […]. Cependant, le fait que tout choix soit limité par des conventions est encore plus essentiel à mon raisonnement » (Rabinowitz, p. 23-24).
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[5]
L’expression est de Maurice Couturier (La Figure de l’auteur, Paris, Seuil, 1995, p. 213), qui lui aussi a produit une riche analyse de « la mauvaise foi auctoriale » (p. 211).
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[6]
Umberto Eco, Interpretation and Overinterpretation, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 25. Pour la traduction française : Interprétation et surinterprétation. Paris, Presses universitaires de France, 1996.
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[7]
Umberto Eco, Kant et l’Ornithorynque, Paris, Grasset, 1997.
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[8]
Umberto Eco, 1992, op. cit., p. 23.
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[9]
Marie A. Danziger, Text/Countertext, Postmodern Paranoia in Samuel Beckett, Doris Lessing, and Philip Roth, New York, Peter Lang, 1996, p. 8 : « This, after all, is the postmodern zeitgeist : the manic urge to test all paradigms without commitment, playing no favorites, but with a particular fascination for the contradictory » ; « Ceci, après tout, est l’esprit même de l’époque postmoderne : le besoin frénétique de tester tous les paradigmes sans se résoudre à en choisir un, mettre tout sur un même niveau, mais avec une fascination particulière pour la contradiction ».
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[10]
Il y a forcément une distinction à faire entre l’autofiction engendrée par les romanciers et celle produite par des auteurs évoluant habituellement hors du cadre fictionnel. C’est une tout autre étude, mais nous pouvons imaginer que, d’un cas à l’autre, l’hybridité ne bénéficie pas forcément du même équilibre.
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[11]
Gasparini, p. 15.
-
[12]
H.O. Mounce, The Two Pragmatisms, From Peirce to Rorty, Londres, Routledge, 1997, p. 8.
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[13]
Cet horizon d’attente, défini par Hans Robert Jauss (Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978), est la base de la théorie de la réception qui va à l’encontre des préceptes développés par le New Criticism, à savoir que le texte est un événement indépendant du monde qui le produit et le consomme. La théorie de la réception s’inscrit en parallèle de mouvements philosophiques majeurs tels que le pragmatisme dont la théorie, adaptée à la lecture, voudrait que le texte n’existe que dans le contexte de sa lecture : « Dans une conception comme la nôtre, la seule chose qu’un individu puisse jamais faire d’une chose consiste à l’utiliser » (Rorty, Richard, « Le Parcours du Pragmatiste », in Eco, op. cit., 1996, p. 85).
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[14]
Dorrit Cohn, The Distinction of Fiction, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1999. Pour la traduction française, Le Propre de la fiction, Paris, Seuil, 2001.
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[15]
Dorrit Cohn, op. cit., p. 31.
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[16]
« First-person narratives are not as a rule either written or read as semi-autobiographies or demi-novels. They are given and taken as one or the other, even when they are not taken for what they were given » ; « En règle générale, les récits à la première personne ne sont ni lus ni écrits comme des semi-autobiographies ou des demi-romans. Ils sont livrés et reçus comme l’un ou l’autre, même lorsqu’ils ne sont pas reçus comme ils devaient l’être » (Cohn, op. cit., p. 35).
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[17]
Philippe Lejeune, Moi aussi, Paris, Seuil, 1986, p. 25.
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[18]
« There is no textual property, syntactic or semantic, that will identify a text as a work of fiction » ; « Il n’y a aucune propriété textuelle, syntactique ou sémantique, qui puisse permettre d’assimiler un texte à une œuvre de fiction » (Cohn, op. cit., p. 20).
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[19]
« Hybrid creature », (p. 67).
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[20]
Comme le prouvent Operation Shylock de Philip Roth ou encore, plus récemment, Lunar Park de Bret Easton Ellis. L’identité du narrateur a beau être la même que celle de l’auteur, les chances que Philip Roth ait été un agent du Mossad et Bret Easton Ellis victime de phénomènes paranormaux sont tout de même assez faibles.
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[21]
« It is a mimesis of reality statement – which is obviously something different from a mimesis of reality itself, which constitutes the fictional genre » ; « C’est une mimésis d’énoncé de réalité – ce qui est évidemment différent d’une mimésis de la réalité elle-même, ce qui constitue le genre fictionnel » (Hamburger, p. 330).
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[22]
Käte Hamburger, The Logic of Literature, Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press [1973] 1993, p. 337 : « The phenomenology of the first-person narrative, therefore, reveals that this narrative is a non-fictional literary type occurring within the epic-fictional sphere » ; « Ainsi, la phénoménologie du récit à la première personne révèle que ce même récit est un type littéraire non fictionnel qui évolue dans le domaine de la fiction épique ». Pour la traduction française : Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986.
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[23]
« There is a more or less quasi-, but there is no such thing as a more or less fictive » ; « On peut admettre l’existence d’un plus ou moins quasi-, mais le plus ou moins fictif n’existe pas » (p. 336).
-
[24]
Hayden White, « The Value of Narrativity in the Representation of Reality », in Mitchell, W. J. T., On Narrative, Chicago, University of Chicago Press, 1981, p. 5.
-
[25]
Pour Gilles Fauconnier et Mark Turner, la parabole, la projection mentale de soi dans d’autres espaces, par exemple, est le berceau de l’activité intellectuelle humaine. Elle devance même selon eux le langage (Mark Turner, The Literary Mind, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 140).
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[26]
Mark Johnson & George Lakoff, Metaphors We Live by, Chicago, The University of Chicago Press, 1980. Pour la traduction française, Les Métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1985.
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[27]
Johnson & Lakoff, op. cit., p. 172.
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[28]
C’est l’éternel débat entre l’idéalisme objectif et l’idéalisme subjectif ou, plus récemment, le réalisme interne et le réalisme externe.
-
[29]
Nous pourrions même aller jusqu’à dire que le littéraire est signifié par la publication.
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[30]
Roland Barthes, Le Plaisir du texte. Paris, Seuil, 1973, p. 19.
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[31]
. Henry Roth, Mercy of a Rude Stream, Volume One : A Star Shines over Mt. Morris Park, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1994 ; Mercy of a Rude Stream, Volume Two : A Diving Rock on the Hudson, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1995 ; Mercy of a Rude Stream, Volume Three : From Bondage, New York, St. Martin’s Press, 1996 ; Mercy of a Rude Stream, Volume Four : Requiem for Harlem, New York, St. Martin’s Press, 1998. Pour la traduction française : A la merci d’un courant violent, tome 1 : Une étoile brille sur Mount Morris Park, Paris, éd. de l’Olivier, 1994 ; A la merci d’un courant violent, tome 2 : Un rocher sur l’Hudson, Paris, éd. de l’Olivier, 1995 ; A la merci d’un courant violent, tome 3 : La Fin de l’exil, Paris, éd. de l’Olivier, 1998 ; A la merci d’un courant violent, tome 4 : Requiem pour Harlem, Paris, éd. de l’Olivier, 2000.
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[32]
« Juif d’origine austro-hongroise, Henry Roth émigre avec sa famille aux Etats-Unis au début du siècle et passe son enfance et son adolescence à New York, d’abord à Brooklyn, puis dans le Lower East Side et enfin à Harlem. Il vécut ensuite avec une enseignante de la New York University. Après ses études, Roth entama la rédaction de son premier roman, Call it Sleep, qui passa plutôt inaperçu dans un premier temps, mais connut finalement une grande notoriété lors de sa parution en poche en 1964, grâce notamment au critique américain Alfred Kazin. Ce roman est maintenant considéré comme un classique de la littérature américaine. Roth épousa Muriel Parker en 1939. Il cessa d’écrire pendant de longues années et rencontra de nombreuses vicissitudes professionnelles. Le couple s’installa finalement en 1968 au Nouveau-Mexique à Albuquerque. Des années 70 à la fin de sa vie en 1995, Roth se consacra à la rédaction et à la révision de sa monumentale œuvre. Ces détails biographiques n’ont un intérêt ici que pour la simple et bonne raison qu’ils sont en tout point identiques à ce que le narrateur Ira nous raconte de sa vie » (Arnaud Schmitt, « Auto-narration et Auto-contradiction dans Mercy of a Rude Stream de Henry Roth », in L’Autorité en question, annales du CLAN, n° 29, dir. Y. C. Grandjeat & Christian Lerat, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2005, p. 184).
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[33]
« An autobiographical novelist » ; « Un romancier autobiographe » (Roth, 1996, p. 90).
-
[34]
« Years that I shall not have time for, that I shall not have time to attempt to render into literary form » ; « Des années auxquelles je n’aurai pas de temps à consacrer, et je n’aurai pas non plus le temps de leur donner forme littéraire » (Roth, 1994, p. 282).
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[35]
Dave Eggers, A Heartbreaking Work of Staggering Genius, Londres, Picador, 2000. Pour la traduction française : Une œuvre déchirante d’un génie renversant, Paris, Balland, 2001.
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[36]
Joan Didion, The Year of Magical Thinking. Pas encore traduit en français.
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[37]
Dominick La Capra, « Reflections on Trauma, Absence, and Loss » in Peter Brooks, Whose Freud ? (éd.), New Haven, Yale University Press, 2000.
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[38]
Mounce, p. 160.
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[39]
Lejeune, p. 221.
-
[40]
Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre V : Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 48.
1Plusieurs éléments peuvent être portés au crédit de l’excellent ouvrage de Philippe Gasparini Est-il Je [1] ? en ce qui concerne l’autofiction. En premier lieu, le fait d’avoir tenté de clarifier une situation herméneutiquement très confuse, car l’autofiction représente certainement l’un des espaces génériques les plus ambigus. Gasparini se propose d’en déceler tous les codes et marqueurs (onomastiques, paratextuels...). Il adopte aussi une position ferme et définitive en ce qui concerne la terminologie d’un genre pauvrement défini, en préférant le terme anglo-saxon de « roman autobiographique » aux nombreuses variations ayant vu le jour ces dernières décennies, embrassant ainsi, par ce paradoxe terminologique, toute la complexité du genre. Embrasser cette complexité, voilà somme toute le projet de Gasparini, et accepter ainsi que certains textes n’occupent pas une place fixe et précise sur l’axe fiction/référence défini par Philippe Lejeune. Cette versatilité architextuelle a toujours posé problème. Gasparini le souligne en citant les quatre types de réactions adoptées face à ces textes problématiques : l’indifférence, le tout-référentiel, le tout-fictionnel et, enfin, l’option recommandée par l’auteur, qui consiste à appréhender le texte de telle façon que « la stratégie générique de l’auteur soit examinée dans toute sa complexité sémiotique en adoptant le point de vue du lecteur » (p. 305). L’influence des théories narratologiques de la réception initiées par Wayne Booth et prolongées par l’université de Chicago est ici apparente. L’analyse de Gasparini en est d’ailleurs d’autant plus riche. Les progrès théoriques de ces dernières années pointent dans cette direction : « Les potentialités [de l’œuvre] sont actualisées par l’interprétation du récepteur » (p. 10). D’autant plus que Gasparini précise, à plusieurs occasions, que les « romans autobiographiques » ne sont pas toujours le fruit d’un projet esthétique clair, mais, bien au contraire, peuvent provenir de la volonté de l’auteur de « ménager la chèvre référentielle et le chou fictionnel » (p. 133).
2Tout en proposant une vaste analyse historique du phénomène, Gasparini ne tombe donc pas pour autant dans le piège taxonomique. Il s’applique à bien définir les contours du genre, mais il le fait pour mieux en comprendre les enjeux herméneutiques et sémantiques. Pour ce faire, il consacre de nombreuses pages aux différents lieux de la confession, de la sincérité, de l’épanchement, passant en revue toute la palette empathique dont dispose l’auteur pour convaincre le lecteur de la véracité de ses propos, ou bien justement pour le faire douter. Gasparini fait les choses dans l’ordre, car l’autobiographie est indubitablement la base du roman autobiographique. Il s’agit cependant, soit de complexifier et rendre problématique le discours autobiographique, soit de distiller du référentiel dans un discours fictionnel, bien que la seconde option ne soit souvent pas suffisante pour faire rentrer le texte dans la zone mouvante du genre qui nous intéresse ici. Le roman autobiographique maintient une logique référentielle tout en s’allouant les possibilités plastiques du roman. Cette hybridité procède par un système de déplacements dont Gasparini tente d’identifier les marqueurs, les « opérateurs d’identification » (p. 24) et le « faisceau d’indices » (p. 32). De ce travail méticuleux ressort l’impression que beaucoup de textes restent malgré tout bien ancrés dans un camp (fictionnel ou référentiel), tout en s’autorisant quelques incartades dans le terrain adverse. Rares sont les textes ouvertement hybrides. Les schémas 1 et 2 (voir ci-dessous) semblent plus communs que le schéma 3, qui, finalement, se limite essentiellement à ce que l’on nomme maladroitement l’autofiction (nous y reviendrons plus tard, la définition donnée par Doubrovsky de ce terme restant néanmoins d’actualité) et qui, au plus grand désespoir des exégètes, correspond aussi souvent au schéma 4, à savoir le casse-tête de l’inextricable.
3Gasparini parvient à saisir avec talent, par instants, la versatilité de ces textes notamment en mettant en avant des dichotomies essentielles telles que sincérité/véracité (p. 15) ou vérifiable/vraisemblable (p. 30), dichotomies qui montrent bien la fragilité de toute position péremptoire. L’ambition de l’auteur de mettre de l’ordre dans la maison autofictionnelle, ou dans la plus grande demeure du roman autobiographique, se heurte aux limites du genre, limites que Gasparini ne manque jamais de souligner et qui tiennent principalement d’une « symbolique affective [de l’auteur] qui est d’ordre intime, donc invérifiable » (p. 50), mais aussi au fait que le même auteur n’a pas toujours le dernier mot concernant les données péritextuelles gravitant autour de son texte, et encore moins lorsqu’il s’agit de l’éparpillement des informations épitextuelles, quelquefois contradictoires [2]. Ne parlons pas des mémoires déficientes, des vanités, des informations partielles et autres mensonges éhontés.
4Encore plus que le roman, le roman autobiographique, et finalement le genre autobiographique en général, est tributaire de ce que nous pourrions appeler l’instabilité subjective, cette dernière entraînant forcément une instabilité intersubjective encore plus grande. Cependant, un contrat de lecture a besoin, pour être applicable, d’une certaine stabilité. La façon de créer un environnement sémantique stable ainsi que les éléments perturbateurs qui entravent une telle entreprise ont été mis à jour par Peter J. Rabinowitz [3]. Même si son travail porte avant tout sur des contrats littéraires, il est aisé de faire le parallèle avec les pactes autobiographiques (le roman autobiographique nécessitant finalement à la fois un contrat et un pacte). Rabinowitz met en avant le fait que le contrôle exercé par l’auteur aussi bien que par le lecteur sur le texte est quelque peu illusoire puisque, pour communiquer avec succès, nous devons observer certaines conventions, s’assurer que le message émis pourra être reçu [4]. Jouer avec ces conventions, tout en maintenant le contact avec le lecteur, exige du talent de la part de l’auteur et de la disponibilité intellectuelle du côté du lecteur. Dans le cas du roman autobiographique, et Gasparini le montre à plusieurs reprises courageusement puisque cela définit aussi les limites de son projet, la communication est rendue parfois difficile par le fait que le pacte, ou le contrat, n’est pas clairement défini par l’auteur, volontairement ou involontairement, et le lecteur se retrouve à travailler sans filet. Ce dernier peut aussi décider de partir dans une direction opposée à celle indiquée, même clairement, par l’auteur, mais cette éventualité n’est pas uniquement l’apanage du genre du roman autobiographique. Le lecteur n’en fait qu’à sa tête, même si ce qui s’y trouve est le fruit de conventions. On sent d’ailleurs pointer derrière les remarques de Rabinowitz le sempiternel débat philosophique entre les adeptes de la prédétermination et ceux qui prônent ou revendiquent un espace de liberté individuelle. Nous pourrions dire que c’est un autre débat, mais il est en fait central à tout acte de communication intersubjective, et, surtout, à toute aventure herméneutique.
5En résumé, Gasparini nous parle bien d’une aventure, à la fois celle d’un genre au cours des derniers siècles, mais aussi celle d’un individu, le lecteur, qui se retrouve face à certains textes vraiment problématiques. Entre les romanciers tentant de « faire passer en fraude [5] » leur autobiographie et les autobiographes, gênés aux entournures et modifiant le pacte à volonté, la tâche est ardue pour le lecteur, surtout s’il est consciencieux et souhaite naviguer le long des rivages du texte, et non prendre le large et perdre de vue ce qu’Umberto Eco appelle intentio operis [6]. S’il est vrai que l’hybridité du roman autobiographique est déjà vieille de plusieurs siècles, les choses se sont accélérées ces derniers temps, notamment avec l’avancée autofictionnelle. On sent bien que l’ère postmoderne (qui, pour généraliser, place plus l’accent sur la perspective et la focalisation que sur la véracité des faits) est propice aux jeux identitaires et aux fausses pistes que le roman autobiographique peut entraîner. Le mérite de Philippe Gasparini est de prendre en compte ces « manquements au règlement » tout en essayant justement de définir, sinon une règle, en tout cas quelques lignes de conduite. La difficulté de la tâche est au diapason de la polymorphie d’un genre qui n’en est pas toujours un.
6En fin de compte, la plus grande qualité de Est-il Je ? consiste à poser cette question éponyme du point de vue cognitif de la réception, et c’est sur ce point que l’analyse de Gasparini peut prêter le flanc à la critique, tout en ayant le mérite de prendre position. Si nous résumons brièvement, l’auteur fait le pari de la cohabitation. Il ne réfute pas le fait que les romans autobiographiques présentent des « codes antogonistes » (p. 13), mais tente d’étayer la possibilité d’une coexistence entre ces codes, seulement possible si le lecteur ne s’épuise pas à rechercher une inaccessible synthèse, mais au contraire accepte, faisant ainsi preuve d’une grande sagesse herméneutique, de s’exposer à des courants contraires. Gasparini va même plus loin que ce postulat qui ne coule déjà pas de source. Il recommande non pas une lecture alternée, exercice déjà difficile en soi, mais bien « une double lecture simultanée » (p. 13) qui, finalement, permet de réunifier le texte et d’aller au-delà des tiraillements génériques, afin d’en tirer la substantielle moelle, qui permettra au lecteur de « quitter la position du destinataire, consommateur et voyeur, pour basculer dans une rêverie narrative dont le livre n’aura fourni qu’un détonateur, une matrice, un pré-texte » (p. 348). Voilà une vraie utopie d’exégète. De plus, un simple roman n’est-il pas capable d’initier une rêverie similaire ? Est-ce vraiment l’apanage du roman autobiographique ?
7La véritable question s’articule autour de la viabilité cognitive de cette double lecture simultanée. En d’autres termes, sommes-nous capables de nourrir deux idées en même temps ? Le schéma 5 correspond-il à une réalité psychique ?
8Il semble pourtant que le cerveau soit un organe de choix, que notre activité mentale consiste justement à ne pas se laisser engloutir par la totalité ; cela est spécifiquement vrai pour les perceptions. Umberto Eco, qui a travaillé sur la psychologie cognitive, et aussi sur les premiers pragmatistes américains, C. S Peirce en particulier, fait les remarques suivantes dans ce texte séminal qu’est Kant et l’Ornithorynque [7] :
La fixation de mon attention ou de celle de l’autre sur quelque chose est la condition de toute sémiose à venir. Elle précède cette attention portée à quelque chose… par laquelle je décide que quelque chose est pertinent, curieux, intrigant…
La psychologie cognitive parle souvent de notre pouvoir de penser comme quelque chose de fondé sur la possibilité d’une organisation catégorielle. L’idée est que le monde dont nous avons l’expérience est composé d’une telle quantité d’objets et d’événements qui si nous devions les identifier et les nommer tous, nous serions dépassés par la complexité du milieu.
11En d’autres termes, notre cerveau est une machine sélective. Cette sélection n’exclut peut-être pas la possibilité, à un niveau plus complexe que serait la lecture d’un livre, de nourrir plusieurs idées à la fois, mais ces idées peuvent-elles être contradictoires ? La lecture simultanée à laquelle nous invite Gasparini est une lecture paradoxale. Elle présuppose les éléments suivants :
- A chaque segment problématique, il convient de se poser la question de l’appartenance générique et de pouvoir accepter de ne pas y répondre.
- Ou bien le sur-lecteur a la faculté d’inscrire sa lecture dans l’aporie, sans que celle-ci ne s’en trouve interrompue.
- Dans les deux cas, la lecture paradoxale n’est, selon Gasparini, pas anxiogène mais « loin de nuire au plaisir du texte, il est probable qu’au contraire elle l’excite » (p. 13).
12Le concept de lecture simultanée pourrait éventuellement fonctionner s’il existait des lecteurs capables de faire des hypothèses contradictoires simultanées sans pour autant interrompre leur lecture ; en revanche il ne fonctionne pas au niveau du texte car il peut avoir ce double statut, ou du moins pas simultanément. Si on lui accorde une double appartenance générique (roman et autobiographie), ce n’est généralement pas parce qu’il les fait fusionner, mais parce qu’il les alterne, même si cela est fait de façon très intriquée. Bien qu’il soit toujours illusoire de s’en remettre ultimement à la volonté initiale de l’auteur, l’inaccessible intentio auctoris [8], on peut imaginer que lui et lui seulement pourrait dénouer l’écheveau et, à la manière d’un juge suprême, indiquer le réel statut de chaque référence, de chaque pensée, de chaque segment mimétique.
13L’approche simultanée va donc à la fois à l’encontre du bon sens du lecteur, mais aussi du sens du texte. La double lecture n’en est pas pour autant impossible. Cependant, elle ne rentre dans le domaine du possible qu’à l’échelle de l’intégralité de l’œuvre. La perspective de l’hybridité est bien concrète, mais elle ne s’appuie pas sur la simultanéité, elle n’existe que dans l’alternance. Or, il est aisé de comprendre l’insistance avec laquelle Gasparini tente de redorer le blason d’un genre en lui conférant un type de consommation unique. En effet, l’histoire du roman autobiographique, telle qu’il la présente, donne l’impression d’un genre, certes intéressant, mais mal consommé. La chimérique lecture simultanée était l’occasion pour l’auteur de mettre un terme aux vains questionnements que ce type de textes ne cesse de générer. De fait, l’inéluctable retour à la lecture alternée remet en question l’intérêt d’un genre dont l’instabilité architextuelle phagocyte tout ce qu’il pourrait apporter au lecteur d’intéressant, en matière d’expressions personnelle et intersubjective, de rapport intime à l’autre, de peinture des arcanes de notre psyché. On peut percevoir une certaine lassitude propre à la réception de textes essayant de se vendre pour ce qu’ils ne sont pas tout en prétendant le contraire. Marie A. Danziger, qui a travaillé sur le postmodernisme et notamment sur ses aventures autofictionnelles, souligne le caractère anxiogène, voire irritant, du jeu de cache-cache que des auteurs, tel Philip Roth, aiment pratiquer avec leurs lecteurs, et pointe la véritable fascination que les continuelles situations aporétiques semblent exercer sur les auteurs postmodernes, ou ceux se réclamant du Nouveau Roman [9]. Bien sûr, l’autofiction peut avoir d’autres raisons d’être et donner par exemple l’occasion à des auteurs frileux de s’exhiber sans risque, mais la manière dont elle est pratiquée actuellement (par les romanciers [10] ) subit l’influence directe des paradigmes postmodernes, qui veulent que le contexte d’énonciation soit plus important que son contenu, que la façon dont le message est transmis prévaille sur le message en lui-même.
14Ayant décidé qu’il ne pouvait y avoir de simultanéité sans fusion, et que, dans le cas du roman autobiographique, une telle chose relevait de l’utopie, le lecteur soucieux d’appréhender ces textes problématiques de la manière la plus satisfaisante et plurielle possible ne peut faire l’économie d’une décision tranchée, même si, pour y parvenir, la route semble chaotique. Gasparini mentionne lui-même cette nécessité en citant Barthes et sa définition du genre comme « un modèle hypothétique de description [11] » préalable à l’appréhension du texte. Tout comme le soulignait Kant, il y a bien longtemps, à l’aube de l’idéalisme allemand, les intuitions sensorielles, si elles n’apparaissent pas dans un cadre conceptuel, sont aveugles [12]. Le blanc, en tant que couleur perçue, est avant tout une idée. Cette approche a ouvert la porte au nominalisme (de Wittgenstein à Rorty) mais, en soi, définit toute la pensée moderne : rien d’instinctif, de naturel, il n’est que du social, du culturel. Il n’en va pas différemment pour la lecture d’un texte, et ce que Rabinowitz montre, dans son ouvrage précédemment cité, est la complexité des habitudes textuelles qui nous habitent, et qui, elles-mêmes, adoptent un fonctionnement presque automatique. Par exemple, le paratexte (scindé en épitexte et péritexte), tel qu’il est décrit par Philippe Gasparini, « exerce fréquemment une influence préalable sur l’horizon d’attente du lecteur ou une influence a posteriori sur sa compréhension de l’œuvre » (p. 62) [13].
15Ces remarques nous permettent d’exprimer la certitude que le lecteur ne fera pas l’économie d’un choix générique tranché, car tout son passé de lecteur, ainsi que tout ce qui entoure (matériellement et médiatiquement) l’objet-livre qu’il tient dans ses mains, le force à activer le pré-texte qui est en lui afin de prendre position et d’amorcer un acte herméneutique.
16La quatrième possibilité d’appréhension du genre autofictionnel offerte par Gasparini est ainsi éliminée pour cause d’absence de bases cognitives solides. Il nous reste alors comme option d’ignorer le genre, mais cela ne présente aucun intérêt, à moins bien sûr d’être capable de lire un texte sans jamais se poser de question sur son statut ; cette forme de lecture idéale s’inscrit en négatif tout autant utopique de celle qui consiste à tout percevoir. Revenons donc un instant sur les approches entièrement référentielles ou entièrement fictionnelles qui, bien qu’imparfaites, peuvent, après quelques modifications, présenter des perspectives herméneutiques intéressantes et déboucher sur une consommation du texte ne s’articulant pas autour de la sempiternelle question « vrai ou faux ? ».
17Certaines théories essaient d’établir une frontière nette entre référentiel et fiction, divisant de manière impérieuse le champ littéraire. Par exemple, dans The Distinction of Fiction [14], Dorrit Cohn a quelque peu œuvré contre le genre qui nous intéresse ici, en tentant de mettre à jour les différences formelles qui existent entre la fiction et le discours référentiel (la liberté polyscopique ou le discours indirect libre, par exemple, qui sont des techniques propres au roman). Elle propose de se baser, comme le recommande Philippe Lejeune, sur l’indicateur onomastique (nominal signpost [15] ) et adopte une position très sensée, qui fait écho à nos réflexions relatives à l’impossibilité d’une lecture simultanée, en constatant que les récits à la première personne ne sont pas habituellement lus en tant que semi-autobiographies ou encore demi-romans ; ils sont donnés et reçus soit comme une autobiographie ou un roman, même si parfois la façon dont ils sont reçus est sans rapport avec l’intention originale de l’auteur [16]. Et Dorrit Cohn tente de démontrer que, formellement, la distinction est, la plupart du temps, facile à faire. Mais la réalité est tout autre car, comme l’a fait remarquer Philippe Lejeune, si l’on se limite à l’aspect formel des choses, « tous les procédés que l’autobiographie emploie pour nous convaincre de l’authenticité de son récit, le roman peut les imiter, et les a souvent imités [17] ». Dorrit Cohn propose d’ailleurs en préalable à sa réflexion une citation similaire du philosophe américain John Searle, selon lequel aucune propriété textuelle, syntactique ou sémantique ne peut permettre d’identifier un texte comme œuvre de fiction [18]. C’est un discours que Cohn tente de réfuter, mais, malgré des démonstrations plus que convaincantes, elle-même tombe sur une anomalie générique, une « créature hyride [19] », à savoir A la recherche du temps perdu. Cet échec montre la difficulté d’inclure ce texte protéiforme dans telle ou telle catégorie du fait des pistes contradictoires mises en place par Marcel Proust, cependant elle ne propose pas pour autant la solution de la lecture simultanée de Gasparini. L’attitude la plus raisonnable est, nous l’avons fait remarquer plus haut, d’alterner nos repères génériques. Le mérite de Dorrit Cohn, comme de Philippe Gasparini, est de ne se voiler la face devant aucune contradiction. Néanmoins, la théoricienne américaine se raccroche à des critères qu’elle juge stables et qui, pourtant, sont loin de l’être [20], tels que par exemple l’indicateur onomastique. Les deux auteurs évitent en tout cas la position radicale, et finalement assez confortable, revendiquée par Käte Hamburger d’exclure du champ fictionnel tout récit à la première personne, en omettant le fait que certaines autobiographies sont écrites à la troisième personne, ou encore que la charge référentielle de certains romans est plus importante que leur contenu imaginaire. En effet, selon elle, toute narration à la première personne est foncièrement différente des autres modes de narration que l’on rencontre dans le monde fictionnel, le récit à la première personne ne faisant que représenter, non pas la réalité, mais un discours représentant la réalité [21]. Elle définit ainsi un type littéraire non fictionnel à l’intérieur de la zone du roman [22]. C’est une proposition théorique singulière, mais malgré cela, l’apport d’Hamburger au problème posé par l’autofiction, et au roman autobiographique en général, est considérable, notamment lorsqu’elle aborde la différence entre le quasi-réel et le fictif. Selon elle, le quasi-réel, propre aux textes à la première personne, est capable de gradation, ce qui n’est pas le cas du fictif. Il existerait un « plus ou moins quasi », mais le « plus ou moins fictif » n’existe pas [23]. En résumé, un texte est soit fictif, soit plus ou moins réel.
18Ainsi, nous allons baser nos deux alternatives d’appréhension du roman autobiographique sur cette distinction fondamentale, à la différence près qu’Hamburger a une approche essentialiste, stipulant que c’est le texte qui détermine son mode de consommation, alors que nous proposons un modèle plus relativiste en attribuant au lecteur, surtout dans le cas de textes ambigus, la responsabilité de sa lecture.
19Les deux approches radicales que nous allons décrire maintenant, et que nous avons déjà mentionnées à travers une citation de Gasparini, consistent à se concentrer sur le texte en refusant de perdre trop d’énergie à clarifier la situation identitaire. Elles ne s’excluent d’ailleurs pas puisque, dans le cas de textes hybrides, le lecteur peut être amené à changer d’avis en cours de lecture. Définir des bases herméneutiques ne doit pas nous forcer à adopter une démarche exclusive.
20Dans un premier cas, le lecteur peut décider que, même si le texte semble occasionnellement donner des signes référentiels, l’œuvre qu’il lit relève de la fiction. C’est un peu l’approche choisie par Marie Darrieussecq, citée aussi par Gasparini : « Puisque l’autobiographie est trop sujette à caution et à condition, et puisque toute fiction est littéraire, faisons entrer l’autobiographie dans le champ de la fiction » (p. 240). Cette tendance à associer fiction et littérature ou plus généralement récit et fiction est assez répandue outre-Atlantique, notamment de par l’influence d’Hayden White et de l’historiographie. Ce mode de pensée ne remet pas en cause la dichotomie réel/fiction (ce serait quelque peu dérangeant de la part d’historiens), mais elle implique que, malgré leurs différences, ces deux domaines utilisent le même mode d’expression et que l’Histoire telle que nous en prenons connaissance par les textes est affaire de récit. Hayden White ne pense pas que « toute fiction est littéraire » mais plutôt que tout épistémè est narratif. La moindre connaissance, le plus insignifiant acte communicatif relèvent du récit. Pour comprendre le monde et ses événements, nous avons besoin de la « clausularité d’un récit » (narrative closure [24] ). Darrieussecq assimile fiction et littérature, mais, en termes épistémologiques, cela ne semble pas être la bonne association ; il faut parler de couple réel/récit, et garder la dichotomie fiction/référentiel, qui est inhérente au statut d’un énoncé. L’association réel/récit évoque les travaux séminaux de la narratologie cognitive menés par Gilles Fauconnier, Mark Turner, George Lakoff et Mark Johnson. Selon ces penseurs, nous appréhendons le monde dans un premier temps par des micro-récits, puis par des structures narratives plus développées. Pour Fauconnier et Turner, l’incontournable structure cognitive, et donc narrative, est la parabole [25], pour Lakoff et Johnson, c’est la métaphore [26]. Dans les deux cas, et ces théories s’appuient, rappelons-le, sur un siècle de pragmatisme, le récit est le lien incontournable s’intercalant entre nous et le monde. Sans ce lien, nous ne pouvons faire sens de la réalité.
21Aussi singulier que cela puisse paraître, ces remarques sont essentielles à la définition d’un genre tel que le roman autobiographique. Lakoff et Johnson remarquent par ailleurs que dans les métaphores constitutionnelles qui nous définissent, « la vie est une histoire » est une des principales [27]. Le choix de Marie Darrieussecq, à savoir le tout-fictionnel, n’est cependant pas corroboré par ces théories qui ne font pas l’amalgame entre fiction et récit. Si narrer le monde équivaut à l’inventer (c’est discutable puisque celui-ci existe en dehors de notre regard [28] ), écrire un roman est alors une double invention (inventer un monde basé sur une réalité déjà subjectivisée). Pour reprendre la remarque de la romancière française, la fiction est sûrement littéraire, mais rien n’est intrinsèquement littéraire [29], alors que tout est récit. Ce détour essentiel par la narratologie cognitive nous ramène à notre prérequis : rien ne distingue un roman d’une autobiographie, sinon le regard du lecteur, et il en est de même lorsque les deux genres sont entremêlés. Quelles que soient les intentions de l’auteur, si il ou elle omet de me les signaler, ou si je n’ai pas accès à des connaissances biographiques que pourtant tout le monde connaît, l’effet tombera forcément à plat. C’est justement pour cette raison que la question de savoir si tel ou tel événement s’est bel et bien produit dans la vie de l’auteur est futile, puisqu’en dernier lieu mentir est une des prérogatives du démiurge. Les deux corollaires de ce constat sont :
- Puisque l’auteur peut mentir (et qu’on ne peut pas toujours vérifier la véracité de ses dires, surtout lorsque l’autobiographie se cantonne à la sphère privée), autant, à l’instar de Darrieussecq, se résigner, et faire basculer le texte dans le domaine fictionnel (c’est l’option que nous sommes en train d’étudier). C’est aussi une forme de représailles, une façon de dire à l’auteur « puisque je ne peux te faire confiance, même lorsque tu diras la vérité, je ne te croirai pas ».
- Puisque l’auteur peut dire la vérité (et même si cela ne sera pas toujours le cas), autant accorder au texte le statut référentiel et lui donner le bénéfice du doute (mais pas à l’auteur). Dans les deux cas, le lecteur concède qu’il sera forcément pris au piège, mais il ou elle refuse à l’auteur le droit de le gruger. Quelle que soit l’option choisie, il s’agit avant tout de s’approprier le texte et d’en rendre enfin la lecture intéressante. Les détracteurs des deux approches, même s’ils admettent que la simultanéité est une chimère et qu’en effet le genre peut soulever de vaines questions, pourront rétorquer qu’opter pour l’une des deux options équivaut forcément à annihiler le genre. A cela trois réponses, une courte et deux que nous allons développer.
22La deuxième réponse, et il s’agit en fait plus d’une concession faite aux détracteurs d’une position univoque, consiste à reconnaître que l’option choisie par Darrieussecq tue le genre. Si le roman autobiographique relève de la fiction, en quoi se différencie-t-il alors d’un roman à la première personne ? Quelle est la différence entre un roman contenant un peu de véracité (et l’imagination forcément limitée des romanciers, associée aux conventions mimétiques font que des résidus subsistent toujours) et une autobiographie très romancée ? Solutionner le problème par la fiction ne résout pas le problème de l’hybridité, cela l’éradique tout simplement. Concédons donc aux chantres du flottement qu’une résolution tranchée par le tout-fictionnel est génériquement suicidaire.
23Il est donc temps de présenter nos arguments en faveur d’une nouvelle terminologie et d’un glissement définitionnel. Cette fameuse troisième réponse est-ce que nous nommerons l’autonarration. Il ne reste qu’une alternative pour qui refuse le cache-cache et souhaite néanmoins préserver le genre. En premier lieu, reprenons la définition de Käte Hamburger : s’il n’existe pas de plus ou moins fictif, il existe du quasi-réel. Cette distinction est la base de l’autonarration, sa principale propriété lui permettant de ne pas être absorbée par l’autobiographie. Il convient de préciser que quasi-réel ne signifie pas plus ou moins vrai, mais bien plus que cela : certes, cette notion autorise l’auteur à prendre sciemment (c’est-à-dire contractuellement avec le lecteur) des libertés avec sa vérité, mais elle lui permet surtout de casser la linéarité et l’illusoire objectivité de la réminiscence, en autorisant digressions, voyages imaginaires ou, encore, témoignages inconscients. Elle permet même à l’auteur d’emprunter tout ce dont il a besoin au roman sans avoir à faire semblant de maintenir la véracité, ce fameux miroir aux alouettes (des projets tels qu’Enfance de Nathalie Sarraute ou L’Invention de la solitude de Paul Auster évoquent cette libération formelle qui n’abdique pas pour autant un authentique travail sur soi). Certes, nous sommes dans le référentiel, mais pas dans l’autobiographie, comme celle-ci a pu se manifester jusqu’ici sous une forme classique de récit d’une vie. Afin d’avancer dans notre définition, nous pouvons nous référer à l’autofiction de Doubrovsky qui semble bien avoir établi il y a quelques décennies des bases similaires à celles dont nous parlons maintenant. Les trois critères de l’autofiction, tels qu’il les définit et tels que Gasparini les rappelle, s’articulent autour d’une écriture littéraire (cela peut être assimilé aux emprunts au roman dont nous parlions plus haut), d’une parfaite identité onomastique entre l’auteur, le narrateur et le héros, et pour finir, une importance décisive accordée à la psychanalyse. Bien que cette définition garde toute sa pertinence, elle doit cependant être amendée. Tout d’abord, la terminologie choisie par Doubrovsky ne clarifie en rien les choses, ne fait que prolonger superficiellement l’ambiguïté, et contredit en fait quelque peu l’orientation référentielle de la définition. De l’autofiction, il ne faut garder que le premier élément, le travail sur soi. L’autre point épineux est l’identité onomastique entre l’auteur et le narrateur et nous avons déjà mentionné le fait que cette correspondance-là n’était pas fiable. De la même manière, l’absence apparente de congruence entre les deux acteurs, lorsque celle-ci est établie à partir du critère nominal, peut fourvoyer le lecteur. Prenons le cas de la tétralogie d’Henry Roth, A la merci d’un courant violent [31]. La présentation architextuelle sur la couverture des quatre tomes de l’édition américaine est claire, puisqu’elle annonce impérieusement qu’il s’agit d’un roman (a novel). De plus, les habituelles citations de critiques sur la quatrième de couverture font bien référence à de la fiction. Paradoxalement, tout le reste de l’œuvre corrobore la thèse autobiographique, comme si Roth avait souhaité prendre quelques précautions pour protéger l’anonymat de personnes mentionnées, puis avait repris le cours de son projet initial (la femme du narrateur étant par exemple désignée par la lettre M, et celle d’Henry Roth, nous apprend le complément biographique sur l’auteur, se prénommait Muriel). Quant au récit de A la merci d’un courant violent, il s’inscrit sans grande ambiguïté le long des contours biographiques de la vie de l’auteur empirique [32]. Nous sommes bien ici dans le domaine du quasi-réel, dans la volonté d’exprimer son être, plus que sa vie, cela étant mis en relief par l’incessant va et vient entre le récit de jeunesse et les passages au présent de narration, dans lesquels le narrateur/auteur médite sur sa vieillesse mais surtout, en dialoguant avec son ordinateur, sur sa capacité à raconter sa propre vie. Dans l’un de ces passages, Ira, le narrateur, se définit comme « romancier autobiographe [33] ». Roth ne romance pas réellement son autobiographie, il décrit la manière dont elle se crée, et la manière dont il la façonne. La forme du moi épouse quelque peu la forme du récit, à moins que ce ne soit l’inverse. La brillante tétralogie d’Henry Roth illustre parfaitement notre concept d’autonarration, puisque l’auteur place l’accent sur le témoignage ontologique plus que biographique, et sur l’importance de la variété formelle, signes, rappelons-le, d’un héritage plus fictionnel que référentiel. La difficulté de la tâche à accomplir est d’ailleurs soulignée par Ira [34]. Ce dernier insiste sur le fait que s’autonarrer consiste à faire basculer son autobiographie dans le littéraire. Il faut se dire en utilisant toutes les techniques narratives mises à disposition par le roman : variations modales, polyscopiques ou stylistiques. L’auteur part d’une base référentielle mais il se dit comme dans un roman. Ira est en quelque sorte la version autonarrée d’Henry.
24Nous citons A la merci d’un courant violent, mais nous aurions très bien pu citer des textes d’auteurs américains plus contemporains, tels le très dynamique Une œuvre déchirante d’un génie renversant de Dave Eggers [35], ou le plus funèbre The Year of Magical Thinking [36] de Joan Didion. L’autonarration se situe vraiment à la croisée de deux genres qui se sont longtemps côtoyés sans jamais se comprendre. Ce concept témoigne d’une volonté de mettre un terme à des jeux stériles afin de reprendre la fonction primale du récit : une mise en forme de la vie à destination d’un lecteur.
25Tout en revenant aux sources de la narration, notre concept permet de clarifier certaines choses et notamment certains problèmes posés par l’iconoclasme postmoderne. Il montre que toute réception d’un texte est relative et relative au lecteur empirique en l’occurrence. Recevoir A la merci d’un courant violent comme autonarration requiert forcément une certaine connaissance historico-littéraire. Avant de pouvoir être un événement intersubjectif, l’autonarration nécessite que la subjectivité de l’auteur se mette en branle, et que celle du lecteur soit suffisamment alerte pour la recevoir. En second lieu, l’autonarration implique une autre relativité, celle de la véracité. Tout d’abord parce que le projet autonarratif est en soi très réaliste : il propose de parler de soi en fabulant un petit peu et donc, en d’autres termes, de reproduire formellement ce que nous faisons tous les jours. Mais il prend également en compte la relative vérité des faits, ou du moins la difficulté de l’atteindre uniquement grâce à un témoignage, tant les perceptions et les points de vue diffèrent. La relativité de la véracité est aussi liée au fait que le même événement peut avoir un impact variable selon les personnalités, mais aussi que l’impact n’est pas dépendant de l’événement ; un événement imaginaire peut quelquefois avoir plus de répercussions psychologiques qu’un fait avéré. C’est un peu le constat fait par ce que certains théoriciens américains appellent trauma narratives. Un de ses fers de lance, Dominick La Capra, établit une différence entre les traumatismes structurels, qui n’ont comme mesure que l’incommensurable psyché de chaque individu et qui peuvent émaner d’un événement imaginé, et les traumatismes historiques, bien concrets quant à eux [37]. L’incidence du premier type de traumatisme peut être tout aussi importante que celle du deuxième. Ces études tendent à montrer la grande relativité, pas seulement de la véracité, mais surtout de la mémoire. Or, sans mémoire, pas de récit fondé sur des faits réels. Méditer sur les tours que nous joue notre mémoire est le dénominateur commun à tous les textes autonarratifs cités plus haut, mais aussi à un grand nombre de romans postmodernes. Le problème posé par le concept d’histoire, de passé a été très bien analysé par H. O. Mounce dans son ouvrage sur le pragmatisme. Il souligne que le passé n’a de réalité qu’à l’intérieur d’une perspective qui ne peut être que le présent [38]. Afin de conceptualiser cette différence, nous pourrions établir une distinction entre le moi, acteur historique, et le soi, chroniqueur du moi qui, d’ailleurs, n’a aucune réalité sans l’instance narrative qu’est le soi. L’autonarration, telle que nous la présentons ici, est le fruit de toutes ces constatations, la forme littéraire référentielle dont l’objet d’étude est le moi tel qu’il est dit par le soi. Si véracité il y a, elle s’applique à la réalité de l’intention narrative, et non au contenu de l’acte narratif. En soi, l’intention autonarrative est large et pourrait être schématisée ainsi :
26Selon Philippe Lejeune, une des raisons d’être du genre autobiographique est de tenter d’ignorer le chaos qu’est notre vie psychique et de « redevenir, imaginairement, le maître [39] ». L’autonarration démontre la vanité d’une telle démarche. Il ne s’agit plus d’aspirer à l’utopique unité de ce moi qui s’affiche et s’affirme avec autorité dans l’autobiographie. S’autonarrer va à l’encontre d’une telle démarche et implique de se mettre en danger, de renoncer à ses certitudes et de faire écho à l’implacable observation faite par Jacques Lacan : « Aucune donnée de l’expérience ne permet de soutenir l’identification du moi avec un pouvoir de synthèse [40]. »
Notes
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[1]
Philippe Gasparini, Est-il Je ?, Paris, Seuil, 2004.
-
[2]
Bret Easton Ellis a su jouer de l’inconstance de l’univers de la critique littéraire en grugeant quelques journalistes trop pressés : il a créé un site Internet (http://www.jaynedennis.com) afin de donner vie à sa prétendue célébrissime compagne dans Lunar Park, le journaliste crédule et à la recherche d’informations vite obtenues tombe forcément dans le panneau référentiel, tout cela s’avérant être en fait une opération montée de bout en bout. Pourtant, et voici un cas intéressant de mystification, la quatrième de couverture de l’édition reliée américaine est claire à cet égard : « Regardless of how horrible the events described here might seem, there’s one thing you must remember as you hold this book in your hands : all of it really happened, every word is true » ; « En dépit de l’horreur que semblent revêtir les événements décrits ici, il y a une chose dont vous devez vous souvenir pendant que vous tenez ce livre entre vos mains : tout a réellement eu lieu, chaque mot est vrai » (traduction de Pierre Guglielmina pour l’édition française). Difficile d’imaginer qu’Ellis n’est pas responsable d’une telle incitation à signer un contrat de lecture référentiel.
-
[3]
Peter J. Rabinowitz, Before Reading : Narrative Conventions and the Politics of Interpretation, Columbus, Ohio State University Press, 1988.
-
[4]
« For despite the theoretically infinite number of potential authorial audiences, it does not follow that authors have total control over the act of writing, any more than that readers have total control over the act of interpretation […]. More central to my argument, though, are conventional limitations on choice » ;« Car malgré le nombre théoriquement infini de lectorats potentiels, il ne s’ensuit pas nécessairement que les auteurs aient un contrôle total sur l’acte d’écriture, ni que les lecteurs aient un contrôle total sur l’acte d’interprétation […]. Cependant, le fait que tout choix soit limité par des conventions est encore plus essentiel à mon raisonnement » (Rabinowitz, p. 23-24).
-
[5]
L’expression est de Maurice Couturier (La Figure de l’auteur, Paris, Seuil, 1995, p. 213), qui lui aussi a produit une riche analyse de « la mauvaise foi auctoriale » (p. 211).
-
[6]
Umberto Eco, Interpretation and Overinterpretation, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p. 25. Pour la traduction française : Interprétation et surinterprétation. Paris, Presses universitaires de France, 1996.
-
[7]
Umberto Eco, Kant et l’Ornithorynque, Paris, Grasset, 1997.
-
[8]
Umberto Eco, 1992, op. cit., p. 23.
-
[9]
Marie A. Danziger, Text/Countertext, Postmodern Paranoia in Samuel Beckett, Doris Lessing, and Philip Roth, New York, Peter Lang, 1996, p. 8 : « This, after all, is the postmodern zeitgeist : the manic urge to test all paradigms without commitment, playing no favorites, but with a particular fascination for the contradictory » ; « Ceci, après tout, est l’esprit même de l’époque postmoderne : le besoin frénétique de tester tous les paradigmes sans se résoudre à en choisir un, mettre tout sur un même niveau, mais avec une fascination particulière pour la contradiction ».
-
[10]
Il y a forcément une distinction à faire entre l’autofiction engendrée par les romanciers et celle produite par des auteurs évoluant habituellement hors du cadre fictionnel. C’est une tout autre étude, mais nous pouvons imaginer que, d’un cas à l’autre, l’hybridité ne bénéficie pas forcément du même équilibre.
-
[11]
Gasparini, p. 15.
-
[12]
H.O. Mounce, The Two Pragmatisms, From Peirce to Rorty, Londres, Routledge, 1997, p. 8.
-
[13]
Cet horizon d’attente, défini par Hans Robert Jauss (Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard, 1978), est la base de la théorie de la réception qui va à l’encontre des préceptes développés par le New Criticism, à savoir que le texte est un événement indépendant du monde qui le produit et le consomme. La théorie de la réception s’inscrit en parallèle de mouvements philosophiques majeurs tels que le pragmatisme dont la théorie, adaptée à la lecture, voudrait que le texte n’existe que dans le contexte de sa lecture : « Dans une conception comme la nôtre, la seule chose qu’un individu puisse jamais faire d’une chose consiste à l’utiliser » (Rorty, Richard, « Le Parcours du Pragmatiste », in Eco, op. cit., 1996, p. 85).
-
[14]
Dorrit Cohn, The Distinction of Fiction, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1999. Pour la traduction française, Le Propre de la fiction, Paris, Seuil, 2001.
-
[15]
Dorrit Cohn, op. cit., p. 31.
-
[16]
« First-person narratives are not as a rule either written or read as semi-autobiographies or demi-novels. They are given and taken as one or the other, even when they are not taken for what they were given » ; « En règle générale, les récits à la première personne ne sont ni lus ni écrits comme des semi-autobiographies ou des demi-romans. Ils sont livrés et reçus comme l’un ou l’autre, même lorsqu’ils ne sont pas reçus comme ils devaient l’être » (Cohn, op. cit., p. 35).
-
[17]
Philippe Lejeune, Moi aussi, Paris, Seuil, 1986, p. 25.
-
[18]
« There is no textual property, syntactic or semantic, that will identify a text as a work of fiction » ; « Il n’y a aucune propriété textuelle, syntactique ou sémantique, qui puisse permettre d’assimiler un texte à une œuvre de fiction » (Cohn, op. cit., p. 20).
-
[19]
« Hybrid creature », (p. 67).
-
[20]
Comme le prouvent Operation Shylock de Philip Roth ou encore, plus récemment, Lunar Park de Bret Easton Ellis. L’identité du narrateur a beau être la même que celle de l’auteur, les chances que Philip Roth ait été un agent du Mossad et Bret Easton Ellis victime de phénomènes paranormaux sont tout de même assez faibles.
-
[21]
« It is a mimesis of reality statement – which is obviously something different from a mimesis of reality itself, which constitutes the fictional genre » ; « C’est une mimésis d’énoncé de réalité – ce qui est évidemment différent d’une mimésis de la réalité elle-même, ce qui constitue le genre fictionnel » (Hamburger, p. 330).
-
[22]
Käte Hamburger, The Logic of Literature, Bloomington and Indianapolis : Indiana University Press [1973] 1993, p. 337 : « The phenomenology of the first-person narrative, therefore, reveals that this narrative is a non-fictional literary type occurring within the epic-fictional sphere » ; « Ainsi, la phénoménologie du récit à la première personne révèle que ce même récit est un type littéraire non fictionnel qui évolue dans le domaine de la fiction épique ». Pour la traduction française : Logique des genres littéraires, Paris, Seuil, 1986.
-
[23]
« There is a more or less quasi-, but there is no such thing as a more or less fictive » ; « On peut admettre l’existence d’un plus ou moins quasi-, mais le plus ou moins fictif n’existe pas » (p. 336).
-
[24]
Hayden White, « The Value of Narrativity in the Representation of Reality », in Mitchell, W. J. T., On Narrative, Chicago, University of Chicago Press, 1981, p. 5.
-
[25]
Pour Gilles Fauconnier et Mark Turner, la parabole, la projection mentale de soi dans d’autres espaces, par exemple, est le berceau de l’activité intellectuelle humaine. Elle devance même selon eux le langage (Mark Turner, The Literary Mind, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 140).
-
[26]
Mark Johnson & George Lakoff, Metaphors We Live by, Chicago, The University of Chicago Press, 1980. Pour la traduction française, Les Métaphores dans la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1985.
-
[27]
Johnson & Lakoff, op. cit., p. 172.
-
[28]
C’est l’éternel débat entre l’idéalisme objectif et l’idéalisme subjectif ou, plus récemment, le réalisme interne et le réalisme externe.
-
[29]
Nous pourrions même aller jusqu’à dire que le littéraire est signifié par la publication.
-
[30]
Roland Barthes, Le Plaisir du texte. Paris, Seuil, 1973, p. 19.
-
[31]
. Henry Roth, Mercy of a Rude Stream, Volume One : A Star Shines over Mt. Morris Park, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1994 ; Mercy of a Rude Stream, Volume Two : A Diving Rock on the Hudson, Londres, Weidenfeld & Nicolson, 1995 ; Mercy of a Rude Stream, Volume Three : From Bondage, New York, St. Martin’s Press, 1996 ; Mercy of a Rude Stream, Volume Four : Requiem for Harlem, New York, St. Martin’s Press, 1998. Pour la traduction française : A la merci d’un courant violent, tome 1 : Une étoile brille sur Mount Morris Park, Paris, éd. de l’Olivier, 1994 ; A la merci d’un courant violent, tome 2 : Un rocher sur l’Hudson, Paris, éd. de l’Olivier, 1995 ; A la merci d’un courant violent, tome 3 : La Fin de l’exil, Paris, éd. de l’Olivier, 1998 ; A la merci d’un courant violent, tome 4 : Requiem pour Harlem, Paris, éd. de l’Olivier, 2000.
-
[32]
« Juif d’origine austro-hongroise, Henry Roth émigre avec sa famille aux Etats-Unis au début du siècle et passe son enfance et son adolescence à New York, d’abord à Brooklyn, puis dans le Lower East Side et enfin à Harlem. Il vécut ensuite avec une enseignante de la New York University. Après ses études, Roth entama la rédaction de son premier roman, Call it Sleep, qui passa plutôt inaperçu dans un premier temps, mais connut finalement une grande notoriété lors de sa parution en poche en 1964, grâce notamment au critique américain Alfred Kazin. Ce roman est maintenant considéré comme un classique de la littérature américaine. Roth épousa Muriel Parker en 1939. Il cessa d’écrire pendant de longues années et rencontra de nombreuses vicissitudes professionnelles. Le couple s’installa finalement en 1968 au Nouveau-Mexique à Albuquerque. Des années 70 à la fin de sa vie en 1995, Roth se consacra à la rédaction et à la révision de sa monumentale œuvre. Ces détails biographiques n’ont un intérêt ici que pour la simple et bonne raison qu’ils sont en tout point identiques à ce que le narrateur Ira nous raconte de sa vie » (Arnaud Schmitt, « Auto-narration et Auto-contradiction dans Mercy of a Rude Stream de Henry Roth », in L’Autorité en question, annales du CLAN, n° 29, dir. Y. C. Grandjeat & Christian Lerat, Pessac, Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 2005, p. 184).
-
[33]
« An autobiographical novelist » ; « Un romancier autobiographe » (Roth, 1996, p. 90).
-
[34]
« Years that I shall not have time for, that I shall not have time to attempt to render into literary form » ; « Des années auxquelles je n’aurai pas de temps à consacrer, et je n’aurai pas non plus le temps de leur donner forme littéraire » (Roth, 1994, p. 282).
-
[35]
Dave Eggers, A Heartbreaking Work of Staggering Genius, Londres, Picador, 2000. Pour la traduction française : Une œuvre déchirante d’un génie renversant, Paris, Balland, 2001.
-
[36]
Joan Didion, The Year of Magical Thinking. Pas encore traduit en français.
-
[37]
Dominick La Capra, « Reflections on Trauma, Absence, and Loss » in Peter Brooks, Whose Freud ? (éd.), New Haven, Yale University Press, 2000.
-
[38]
Mounce, p. 160.
-
[39]
Lejeune, p. 221.
-
[40]
Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre V : Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, p. 48.