Poétique 2006/3 n° 147

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Article de revue

Posture et poétique d'un bourlingueur : Cendrars

Pages 297 à 315

Notes

  • [1]
    L’édition de la Guilde du Livre parue à Lausanne en 1953 donne en ouverture une photo du port de Venise vu d’une fenêtre, comme pour accentuer la référentialité du récit. Nous citons « Venise » dans la récente édition critique « Tout autour d’aujourd’hui » (« TADA ») de Bourlinguer, Paris, Denoël, 2003, t. 9, p. 7-17, texte présenté et annoté par Claude Leroy.
  • [2]
    Vincent Colonna a montré que Bourlinguer ne relève pas de l’autofiction, contrairement à de nombreux récits cendrarsiens, mais d’une feinte autobiographie. Cendrars y dessine un « autoportrait stylisé » (p. 124) de lui-même. Cf. Vincent Colonna [1988], p. 109-126.
  • [3]
    Cf. Rino Cortiana [1991] et Piero Falchetta [1984].
  • [4]
    Le terme « Mémoires » n’est pas de Cendrars, mais de T’Serstevens. Michel Manoll le reprend dans les Entretiens de 1952. Cendrars nuance alors ainsi : « qui sont des Mémoires et qui n’en sont pas » (O. C., Paris, Denoël, t. 8, 1965, p. 650).
  • [5]
    « Ecrire, cela n’est pas réellement vivre. Ce n’est pas la vie tout court » (Blaise Cendrars [1965], p. 590).
  • [6]
    Cité par Rino Cortiana [1991], p. 22-23. Manuscrit de la bibliothèque Saint-Marc, ms. It. VI. 134, f° 8 recto, retranscrit par Piero Falchetta [1986], p. 21. Les citations du manuscrit vénitien ainsi que d’Irvine sont données par Rino Cortiana.
  • [7]
    Cité par Rino Cortiana [1991], p. 23. Cf. Niccolao Manucci [1906-1908].
  • [8]
    L’édition de Falchetta n’est disponible que depuis 1986.
  • [9]
    Ouvrage inédit du vivant de l’auteur, édité par Claude Leroy, Paris, Champion, Cahiers Blaise Cendrars, n° 4, 1995.
  • [10]
    Blaise Cendrars [1965], p. 668 et 671.
  • [11]
    Je dois ces informations à Daniel Rausis, qui rappelle également que le 11 novembre porte une autre signification-charnière, du point de vue folklorique : c’est la date de la Saint-Martin, qui marque le début du cycle du Carnaval. Voir aussi Daniel Rausis [2004], p. 35-43.
  • [12]
    Paul Zumthor [1972], p. 73.
  • [13]
    Bernard Cerquiglini [1989], p. 57.
  • [14]
    Gérard Leclerc [1996], p. 297.
  • [15]
    Cf. Max Weber [1971].
  • [16]
    Cité par Gérard Leclerc [1996], p. 301.
  • [17]
    Blaise Cendrars [2003], p. 435-437.
  • [18]
    Cf. Yvette Bozon-Scalzitti [1977], p. 225.
  • [19]
    Blaise Cendrars [1965], p. 574.
  • [20]
    Par « figure de l’auteur » j’entends non pas l’auteur réel, mais sa représentation dans le texte, selon le terme proposé par Maurice Couturier [1995].
  • [21]
    La série se poursuit dans le texte : « vie condensée » (p. 14), « pillé de son vivant » (p. 15), « la traduction […] la moins vivante » (p. 15), « vie » (p. 16).
  • [22]
    La référence est dans la note suivante.
  • [23]
    Blaise Cendrars [1963], p. 12.
  • [24]
    Blaise Cendrars [1965], p. 547.
  • [25]
    Blaise Cendrars, « La prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France » (1913), cité in Jérôme Meizoz [2001], p. 295.
  • [26]
    Blaise Cendrars [1996b], p. 67.
  • [27]
    Blaise Cendrars [1996a], p. 28.
  • [28]
    Joseph Vendryès, Le Langage, 1921, cité in Blaise Cendrars [2005], p. 98-114 ; ici p. 99.
  • [29]
    Cf. Doris Jakubec [1995], p. 85-103.
  • [30]
    Blaise Cendrars [2005], p. 99.
  • [31]
    Arsène Darmesteter cité par Cendrars, ibid., p. 105.
  • [32]
    Michèle Touret, « Profil littéraire de Blaise Cendrars à travers les journaux et revues littéraires (1919-1930) », in Claude Leroy (éd.), Blaise Cendrars vingt ans après, Paris, Klincksieck, 1983, p. 21-37 ; ici p. 36.
  • [33]
    Louis-Ferdinand Céline [1987], p. 120.
  • [34]
    Remy de Gourmont, cité par S. Delesalle et J.-C. Chevalier, La Linguistique, la grammaire et l’école, 1750-1914, Paris, Armand Colin, 1986, p. 302.
  • [35]
    Cf. Charles Bally, Le Langage et la Vie (1913), Paris, Payot, 1926 et 1952. Voir également tout le débat autour de La Crise du français (1930), Paris, Droz, 2004.
  • [36]
    J’ai théorisé la notion de posture dans un essai, Le Gueux philosophe. Jean-Jacques Rousseau, Lausanne, Antipodes, 2003.
  • [37]
    Daniel Oster, Passages de Zénon, Paris, Ed. du Seuil, 1981, p. 228. Sur les images de l’auteur, voir Jean-Benoît Puech [1985], p. 279-300.
  • [38]
    Ce sont les hypothèses de Pierre Bourdieu [1992] et de Nathalie Heinich [2000].
  • [39]
    Louis-Ferdinand Céline [1987].
  • [40]
    Blaise Cendrars [1965], p. 561.

1L’an dernier, j’ai cru bon de me rendre à la bibliothèque Saint-Marc de Venise, pour bénéficier, par ses hautes fenêtres, de la même vue sur le port que Blaise Cendrars décrit dans « Venise », chapitre inaugural de Bourlinguer (Denoël, 1948) [1]. J’ignorais alors que Cendrars n’était jamais allé à Venise, et que ce regard sur le port demandait à être lu non pas référentiellement, mais comme une amorce toute littéraire. Commencer un livre, ouvrir la scène de parole dans un lieu aussi chargé qu’une bibliothèque, dans le conservatoire presque infini du dépôt culturel, c’est rappeler obliquement que toute création littéraire mobilise des textes antérieurs qu’elle relaie, imite ou transforme. Bref, pour parler comme Genette [1979], c’est présenter la littérature comme une pratique « transtextuelle » dont l’auteur chaque fois n’est qu’un foyer réactivant toute une chaîne d’antécédents verbaux. Cendrars insiste sur cette origine jusque dans la structure de son livre, qui se donne comme un récit de voyages : le premier et le dernier chapitre de Bourlinguer (« Venise » et « Paris Port-de-mer ») ont en commun la fascination pour une bibliothèque. Feignant le récit autobiographique, Cendrars s’autorise une fictionnalisation de soi [2] où le vécu et le livresque, figuré ici par la bibliothèque, se disputent le rôle primordial.

2Récit complexe et peu commenté [3], « Venise » me semble pouvoir être lu comme une poétique portative, qui, par le détour d’une fable, met en scène une figure de l’auteur chère à Cendrars. Dans « Venise », la posture et la poétique apparaissent solidaires, la conception de la littérature y étant inséparable d’une certaine façon d’assumer l’auctorialité. La lecture que je propose s’inscrit dans le sillage de recherches menées sur la posture d’auteur (Meizoz [2002], [2005a]). Elle a pour enjeu d’articuler, dans l’analyse, l’interne et l’externe textuel (la figuration linguistique de l’instance auctoriale et l’auteur biographique), trop souvent dissociés aussi bien par les approches formalistes que par les lectures historiennes.

Structure de « Venise »

3Le récit se déploie à partir du motif de la bibliothèque comme réserve de sources ou matrice symbolique d’engendrement textuel. « Venise » explore ainsi plusieurs faces des relations entre les textes : situé dans la bibliothèque Marciana de Venise, le narrateur, qui signe « B. C. », raconte la vie d’un aventurier attesté, Niccolao Manucci, et les aventures éditoriales de ses Mémoires. L’histoire des éditions successives du mystérieux manuscrit de Niccolao Manucci, Storia do Mogor, met en scène notamment la citation, le commentaire, mais aussi le résumé, la réécriture et la traduction. Selon le régime générique propre à diverses zones du texte, j’en propose un plan en quatre parties :

4

Partie 1. P. 7, lignes 1-9, récit simultané : « Je ne souffle mot. […] 11 novembre 1653… » Incipit sous forme de récit donné en régime de discours (JE) : l’énonciation, ancrée à l’intérieur de la bibliothèque, émane d’un « je » d’apparence autobiographique qui signe « B. C. » (p. 17) et décrit sa vue, au-dehors, sur le port de Venise.
Partie 2. P. 7-10, récit rétrospectif : « Le 11 novembre 1653… j’avais quatorze ans… » Régime du récit historique rétrospectif à la troisième personne (IL). Résumé de la biographie de Manucci, donnée sur le mode de l’accumulation épique (suite d’infinitifs, puis de participes présents). Ce récit se termine par une citation (p. 10) de l’incipit de la Storia do Mogor, unique extrait de l’hypotexte manuccien, placée en plein centre de « Venise ». Niveau intertextuel.
Partie 3. P. 10-16, notice : « En effet, […] vénitien ! » Commentaire philologique : « Notice […] ad usum encyclopediae. » Premier niveau métatextuel.
Partie 4. P. 17, notes : « Notes […] octogénaire. » Commentaire philologique : « NOTES (pour le Lecteur inconnu). » Second niveau métatextuel hiérarchiquement lié à la notice.

5Quelques remarques s’imposent pour faire apparaître le mouvement de cette structure. L’ensemble de « Venise » raconte, cite, présente, puis commente un manuscrit dont le lecteur ne peut lire que sept lignes (p. 10). Cet hypotexte à demi fantôme, difficile d’accès, le narrateur B. C. prétend l’avoir consulté à la bibliothèque Saint-Marc. Il le présente comme l’idéal du récit authentique d’un bourlingueur, posthumément dégradé par diverses réécritures, éditions et traductions. Je reviendrai sur le statut philologique problématique de ces sept lignes, mais avant il faut décrire les relations transtextuelles qui se tissent autour de lui. Les parties 2, 3 et 4 de « Venise » sont en relation directe avec l’hypotexte manuccien :

  • En 2, le narrateur B. C., en citant Manucci, tisse une relation intertextuelle entre « Venise » et la Storia du voyageur.
  • En 2, mais également dans son ensemble, le récit peut être envisagé à la fois comme un résumé, une réécriture et une traduction du récit manuccien, réactualisé par B. C. Il s’agit en ce cas d’une relation hypertextuelle.
  • En 3 et 4, sa « Notice » et ses « Notes » engagent une relation métatextuelle avec l’original de Manucci, commentant sur un mode philologique l’écrit et son destin.
Si nous lisons ce dispositif comme une fable de la création littéraire, on peut en inférer déjà quelques modestes propositions : aucun texte n’existe sans les textes antérieurs qui l’amorcent ; la relation des auteurs à l’original est difficile et semée d’embûches, autrement dit tout texte tend à transformer et / ou trahir l’hypotexte dont il s’inspire ; enfin, et malgré tout, la véritable création littéraire se fait au risque de cette transformation-trahison, liée au statut transtextuel de la littérature.

L’incipit : le règne du double

6La fable de « Venise » prend corps à partir d’un programme narratif posé dès l’incipit. Cendrars y met en place une figure du double qui illustre sa conception de la littérature « vivante ». Ce bref paragraphe sert d’amorce au récit biographique consacré à Manucci. Il assure également le parallélisme entre le « je » de B. C. (partie 1 du plan) et le « il » de Manucci (partie 2 du plan). En effet, une série de motifs visuels du « reflet » (« reflets », donné significativement deux fois à la ligne 2 ; « fenêtre », « eau », « vitrines », « parquet en mosaïque ») travaille la symétrie entre le narrateur B. C. et son double bourlingueur, entre le présent de l’énonciation et 1653, le passé de l’aventure. A partir du mot « fenêtre », tout est donné ainsi par paires lexicales et syntaxiques :

7

« Venise »/« Venise »
« reflets »/« reflets »
« Je ne souffle mot »/« Je ne souffle mot »
« 11 novembre 1653 »/« 11 novembre 1653 »
« mauvais temps »/« mauvais temps »

8L’imagination du narrateur accomplit un saut temporel, qui la projette au temps du héros. A partir de là, le récit épique de la geste manuccienne est lancé (partie 2 du plan). Un changement de temps verbaux, et une réadaptation au lexique nautique d’époque, marque ce passage :

9

« vaporetto qui passe », ligne 8
« appareille une tartane », ligne 9
« une tartane appareillait », ligne 10

10L’incipit propose un second parallélisme, suggéré lui aussi par la « fenêtre » et tout le champ lexical associé : l’opposition du dedans et du dehors. En effet, le narrateur énonce du dedans de la bibliothèque, en contemplant la vue au-dehors. Il raconte la vie d’un auteur ayant passé sa vie dans le dehors du monde, dans l’aventure continuelle, pour se retirer dans son grand âge et rédiger les Mémoires de sa vie. La dualité dedans / dehors qui oppose les deux figures d’auteur en induit une autre, qui innerve le récit d’aventures : celle qui oppose l’authentique (l’Urtext des anciens philologues, ici l’original manuccien) à la version dégradée (celle de ses éditeurs successifs), et, selon la même série, la voix à la lettre ou l’unique à la copie.

11Dans ce Manucci, âgé, qui cesse de courir le monde pour rédiger ses Mémoires, Cendrars reflète (je file l’isotopie indiquée) son propre statut d’auteur à l’âge des bilans : Bourlinguer constitue en effet le troisième volume d’une tétralogie de « Mémoires [4] ». Cendrars s’est retiré pour rédiger quatre volumes en cinq ans. Revenons aux couples d’opposition dégagés : bibliothèque / monde, dedans / dehors, version seconde / texte original. Comment interpréter ces séries ? Les versions originales, issues du dehors du monde, témoignent d’une authenticité aujourd’hui quasi inaccessible, puisque nous n’y accédons que par le biais de commentaires, traductions et réécritures qui opacifient le rapport à l’original. Autrement dit, la transmission des textes induit le risque d’une déperdition.

12Cependant, dit encore l’incipit, si la vie a bien lieu au-dehors, l’écriture commence, elle, dedans, au sein de la bibliothèque. Cendrars souligne souvent, pour lui, la tension qui règne entre l’écriture et la vie [5]. L’écriture ne rend la « vie » du dehors que par la médiation du dedans de la bibliothèque, donc d’un stock culturel commun. L’écriture d’une vie dépend certes de faits vécus (dehors) mais aussi de leur structuration par des patrons ou modèles textuels issus de la tradition littéraire (dedans). Cendrars biographe et philologue, dans « Venise », donne à voir la manière virtuose dont il s’approprie ces modèles. La fable présente ainsi les divers modes d’appropriation de la « bibliothèque », à savoir la manière dont toute écriture nouvelle doit négocier sa relation aux textes antérieurs.

Une étonnante philologie

13La « Notice », qui constitue la troisième partie de « Venise », prétend commenter la Storia do Mogor et rétablir un certain nombre de vérités philologiques, notamment quant au respect de l’original. Rappelons que le narrateur se situe là même où est conservé le mystérieux manuscrit, dans la bibliothèque Saint-Marc. Observons de plus près la brève citation qu’il en donne :

14

Quand j’étais gosse, j’avais envie d’aller faire le tour du monde, mais comme mon père ne voulait pas en entendre parler, j’avais décidé de quitter Venise, ma ville natale, à la première occasion et de partir par n’importe quel voie ou moyen. Un jour, ayant appris qu’une tartane appareillait sur le port pour je ne savais quelle destination, je réussis à me glisser à bord. J’avais quatorze ans….
(p. 10)

15Pour mesurer ce que B. C. fait de ce texte, il faut dire quelques mots de son statut philologique. Ce qui est donné sans autre forme de procès comme une citation de Manucci a un statut plus complexe. Il ne peut s’agir que d’une version seconde, une traduction elle-même réalisée ou citée par B. C. Mais quelle source B. C. cite-t-il, lui qui vante le « texte authentique » (p. 15) et dont le propos consiste à mettre en garde contre toutes les éditions et réécritures falsificatrices ? S’agit-il de la traduction d’un extrait du manuscrit conservé à la bibliothèque Saint-Marc ? Le voici :

16

Essendo di poca età, desiderando grandemente di vedere il mondo, ma vedendo che i miei genitorié non mil volano permettere, risolsemi partire in qualunque forma che fosse, e sapendo cheé stava per far vela di prossimo una tartana, ma non sapendo per dove andava diretta, con tuté to fattom’animo da me stesso n’entrai dentro, ch’er nel mese di novembre dell’anno 1651[6].

17Ou de cet extrait traduit en anglais par William Irvine (1908), que B. C. évoque pour l’avoir consulté :

18

When I was still quite young, I had a passionnate desire to see the world, but as my father would not allow me to leave Venice, my native place, I resolved to quit it in some way or another, no matter how. Finding that there was a tartane just about to leave, although I did not know its destination, I went on board in 1651, at the age of fourteen[7].

19On le sait désormais, Cendrars n’a pas consulté le manuscrit original de Venise [8]. William Irvine constitue vraisemblablement sa source livresque principale, car avant la traduction de F. Valence en 1995, la Storia do Mogor n’avait jamais été éditée en français. Tout porte donc à croire que Cendrars a librement réécrit la prétendue citation de Manucci, à partir de la traduction d’Irvine. Dès ses débuts littéraires, Cendrars a beaucoup pratiqué la traduction, de l’allemand d’abord, et l’a envisagée comme un geste de libre recréation (Le Quellec [2004]). Une double médiation a donc lieu : Cendrars s’appuie sur le texte second d’Irvine qui, lui, a consulté l’original. Double opération aussi qu’effectue Cendrars, traduction et réécriture, propre à modifier plusieurs éléments. Récapitulons les reprises et les variations introduites :

  • Cendrars suit de près la version d’Irvine, sur trois points névralgiques : il reconduit un changement majeur (« i miei genitorié »/« my father ») qui attribue au seul père l’interdit du voyage ; le terme « tartane » est stable dans les trois versions, mais il prend chez Cendrars une connotation historique et pittoresque, du fait de la co-occurrence et de la concurrence de « vaporetto » (p. 7) ; enfin, il reprend l’âge du passager clandestin donné par Irvine, qui le déduit sans doute des documents consultés (« at the age of fourteen »).
  • Toutefois, Cendrars infléchit trois éléments importants : d’abord, la périphrase « di poca età » / « still quite young » devient « quand j’étais gosse », ainsi dotée d’une nouvelle connotation orale et familière, courante dans les récits cendrarsiens de cette période ; ensuite, la formule « vedere il mondo »/« to see the world » est infléchie vers « faire le tour du monde », dont la connotation est plus littéraire et contemporaine (Le Tour du monde en quatre-vingts jours, etc.) ; enfin, Irvine donne « novembre 1653 » en note, corrigeant la date erronée de 1651. Cendrars adopte cette correction et y ajoute le jour du 11 novembre, absent de la source, à titre de symbole : il s’agit du jour de l’Armistice de 1918, qui marque un tournant dans la vie et l’écriture de celui que la Grande Guerre a privé d’un bras (Leroy [1996]). Cendrars accorde une grande importance symbolique aux dates-charnières de son existence, et celle du 11 novembre évoque aussi bien la cérémonie en l’honneur du soldat inconnu (auquel il a consacré en 1932 La Vie et la mort du soldat inconnu[9]) que la date de l’enterrement de Guillaume Apollinaire, le 11 novembre 1918, ami et rival en poésie [10]. Relevons encore que Bourlinguer comporte significativement onze chapitres. Cendrars reprend cette date à plusieurs reprises, notamment dans Le Lotissement du ciel (chapitre 40), pour indiquer un commencement symbolique, en ce cas celui de la fonction de medium[11].
Ces subtiles transformations qui mènent à une version cendrarsienne très libre de la vie de Manucci invitent à penser que la « Notice » de B. C. (point 3 du plan) ne revendique pas le sérieux absolu. Elle relève plutôt d’une parodie du geste philologique. Le commentaire cendrarsien, tout en sacralisant l’Urtext inaccessible comme les philologues du xixe siècle, s’en approprie les éléments et les reconfigure à son usage. Cendrars ne procède donc pas comme un philologue (dont Catrou et Irvine seraient des incarnations dévoyées), mais comme un continuateur qui assume la « mouvance » des textes, ainsi qu’il était de mise dans la littérature médiévale [12]. Notons aussi que Cendrars s’est forgé une culture d’autodidacte, et qu’il témoigne d’un appétit de savoir tous azimuts, recopiant dans les bibliothèques des ouvrages divers, constituant des fiches de lecture, ainsi qu’en témoignent ses archives privées. Cendrars dit ainsi avoir recopié des romans de chevalerie à la Bibliothèque nationale, avant la Grande Guerre, pour gagner quelque argent. Il illustre ici, par la réécriture créative des aventures de Manucci, un des principes de la littérature médiévale, mis en évidence par Bernard Cerquiglini :

20

Qu’une main fût première, parfois, sans doute, importe moins que cette incessante récriture d’une œuvre qui appartient à celui qui, de nouveau, la dispose et lui donne forme. Cette activité perpétuelle et multiple fait de la littérature médiévale un atelier d’écriture. Le sens y est partout, l’origine nulle part [13].

21Gérard Leclerc renchérit :

22

Dans de telles cultures [manuscrites], un individu peut être à l’origine du texte initial, tandis qu’un autre peut le « reprendre » et le terminer ; ou encore le faire passer à un stade nouveau, où il sera repris à son tour par d’autres compilateurs. De ces différents énonciateurs, le dernier, s’il a fait preuve d’originalité et a fortiori de génie, peut passer à juste titre pour l’auteur réel du texte, tel que nous le connaissons [14].

23Cendrars oppose donc, dans une pratique de réécriture, le créateur-continuateur à l’éditeur-traducteur. A cette opposition il associe des valeurs contemporaines de son geste d’écriture, l’antinomie de l’écrivain et du professeur ou de l’écrivain et du critique [15]. Parmi les compilateurs, Cendrars fait donc émerger un geste créateur, le sien, qui s’oppose au geste non créateur des éditeurs savants. Cette division du travail littéraire reprend de fait la conception romantique des frères Grimm, qui dans les versions successives d’un conte tenaient à distinguer l’intervention d’une « main créatrice » de celle d’une « main non créatrice » (« eine dichtende oder undichtende Hand ») [16].

24La libre réécriture proposée par Cendrars illustre une conception de la littérature comme une prise de liberté à l’égard des faits et des sources, comme une fictionnalisation créatrice. Conformément à une conception romantique dont Cendrars s’est fait l’écho (Novalis), les mots, loin de refléter simplement la vie, ont charge de la recréer et de la suppléer.

25B. C. s’approprie le texte de Manucci selon son projet littéraire, et non avec la précaution du philologue. En cela, il n’agit pas autrement que le père Catrou ou William Irvine : il n’est qu’un commentateur supplémentaire, bien propre à reconduire les erreurs ou transformations qu’il dénonce. Cendrars ne cache pas ici son processus favori : toute démarche d’écriture doit s’approprier ses sources, et les infléchir à sa guise.

Fugue

26Puisqu’il ne s’agit pas seulement de philologie, il faut chercher ailleurs les raisons de la problématique citation de Manucci donnée au cœur de « Venise ». Par exemple, dans une intertexualité interne cette fois à l’œuvre de Cendrars, dans un récit donné comme autobiographique, tout entier centré sur le rapport au père : Vol à voile, paru seize ans plus tôt, en 1932, et significativement en Suisse, pays d’origine de l’écrivain qui a voilé ses débuts en prenant pseudonyme (1912) et passeport français (1916). Plusieurs motifs de la pseudo-citation manuccienne reprennent une séquence proche de ce récit, notamment celle de la fugue adolescente et du conflit avec le père :

27

J’avais quinze ans. […] Il n’y avait pas six semaines que je m’étais sauvé de l’Ecole de commerce de Neuchâtel. [Suit l’évocation de la fugue en Allemagne et en Russie, puis du retour]. « Et où veux-tu aller, vaurien ? » me demandait [mon père], et je lui ripostais par défi : « Est-ce que je sais, moi, n’importe où, tiens, en Chine ! » [17].

28Le désir du voyage s’oppose à la statique loi du père [18]. Dans Vol à voile comme dans « Venise », la destination importe peu, le voyage ne dépend pas d’un but, c’est une pure action libératrice qui trouve sa justification dans le geste du départ. En outre, la direction de l’Orient s’impose, celle du soleil levant, aube ou origines. Enfin, le voyage commence par une fugue hors du monde paternel, toujours réitérée dans l’imaginaire cendrarsien. Comme pour insister sur son caractère fondateur, Bourlinguer met en scène plusieurs versions de la fugue :

29

[…] il était bien entendu, entre Domenico et moi, qu’à Naples, le matelot qui avait ma garde me cacherait quelque part à bord pour débarquer avec moi à New York, où nous habiterions, le géant et moi, incognito, dans le plus haut des gratte-ciel. Je lui avais donné ma petite bourse d’enfant et vidé ma tirelire.
(« Naples », in Blaise Cendrars [2003], p. 22)

30Et :

31

Encore un de ces drames secrets entre un père et un fils. Moi, à quatorze ans, je m’étais saisi d’un couteau de cuisine. C’est pourquoi je me suis mis à bourlinguer.
(« La Corogne », ibid., p. 35)

32La permanence du motif de la « fugue » nous pousse à prendre en compte un autre sens, musical cette fois, de ce mot. On peut voir, par exemple, un dispositif fugué dans la syntaxe de la biographie abrégée de Manucci. Le récit épique de cette vie en abrégé juxtapose sur trois pages (p. 8-10), en une immense phrase (ponctuée de virgules et de points-virgules), une série d’infinitifs narratifs, tous dépendants du sujet posé au départ (« un vieil aventurier vénitien »), lui-même repris six fois avec des variations. Notons que les verbes de mouvement dominent. Ainsi le flux de la phrase s’amplifie sans cesse par réitération de structures (sujet / infinitif ) et par modulation :

33

Un vieil aventurier vénitien qui [avait tiré ses grolles pour finalement] s’attacher […] déserter […] bourlinguer […] retourner […] suivre […] s’improviser […] guérir […] être attaché […] trahir […] retourner […] déserter […] passer à l’ennemi […] négocier […] être décoré […] perdre […] se bagarrer […] prendre parti […] échapper […] aller derechef […] avoir […] rentrer […] s’enfuir […] aller s’établir […] faire fortune […] se marier […] reprendre […] quitter […] aller s’établir […] notre Vénitien […] le vieux roublard s’assoit […] notre vieux fourbe sourit […] et le vieux médecin […] le vieux médecin écrit avec bonhomie : […].
(p. 8-10, je souligne)

34Un phénomène identique a cours dans le récit des falsifications philologiques du père Catrou. Là encore, à six reprises, on observe une anaphore du pronom sujet, suivie de variations sur la forme verbale :

35

le Père François Catrou […] ; lui qui a massacré […] ; lui qui a faussé […] ; lui qui a mis en exergue […] lui qui a détourné […] et effacé […] et expurgé ; […] lui qui a affadi […] ; lui, ce prêtre polygraphe […].
(p. 11-12, je souligne)

36Dans ses entretiens radiophoniques, Cendrars confirme la piste musicale, évoquant Bourlinguer et la « technique de Jean-Sébastien Bach » :

37

Ces textes-là sont écrits un peu comme de la musique [19]

38Sans doute pour accentuer la cohérence de tous les niveaux textuels, Cendrars, très attentif à la structure compositionnelle de ses récits, a repris jusque dans le tressage syntaxique le motif thématique de la fugue qui lance le mouvement même de Bourlinguer.

Dénaturer : Catrou, Irvine

39Mais revenons à la fable pseudo-philologique que propose « Venise ». Nous avons observé les transformations que le narrateur a fait subir à l’hypotexte de Manucci (partie 2 du plan). Deux autres personnages sont également des manipulateurs de texte, donc des figures auctoriales (ou plus exactement éditoriales, au sens anglo-saxon), le père Catrou et William Irvine [20]. Un rôle particulier est dévolu aux éditeurs successifs du manuscrit de Manucci : ils constituent de vivants exemples d’une conception de l’écriture contre laquelle s’insurge B. C. (partie 3 du plan). En creux des critiques que B. C. leur adresse, il est, je crois, possible de lire une poétique.

40Quelles opérations leur sont-elles attribuées ? Les deux traducteurs-compilateurs ont détourné l’original en plusieurs points. Le père Catrou, d’abord, a usurpé le titre d’auteur en s’attribuant pour une bonne part le texte de Manucci sous sa signature. Il a ensuite « massacré, tripatouillé, remanié » (p. 11) le texte, y a introduit en exergue des « citations savantes » (ibid.), a exclu de sa publication « tout ce qui concernait la vie » (ibid.) et « expurgé son vocabulaire (ibid.). Le père Catrou a donc supprimé deux dimensions qui font pour B. C. tout l’intérêt du Vénitien : la vie et le style. Il a

41

[…] affadi avec emphase un style primesautier, cru, direct, ce style qu’ils employaient tous à la grande époque, les voyageurs, les marins, les hommes d’armes, les découvreurs, tous aventuriers pas très forts sur la grammaire, chancelant sur l’orthographe d’une langue encore instable […].
(p. 11)

42Le jésuite, « ce cuistre officiel qui pontifiait dans les milieux académiques de Paris et se pavanait jusqu’à Versailles en se parant des plumes du paon » (p. 12), symbolise l’esprit centralisateur pour qui la langue se range à une norme unique. En « excluant soigneusement de sa publication tout ce qui concernait la vie, les aventures réelles » (p. 11), Catrou a trahi un document « extraordinairement vivant et plein de péripéties » (ibid.), écrit par des aventuriers présentés comme « des grands vivants » (ibid.). L’accent mis sur la triple série lexicale « vie » / « vivant »/ « vivants » en vingt lignes a pour effet d’opposer l’écriture vive des hommes d’action (« style primesautier ») à la parole morte, savante ou académique, des hommes de cabinet [21].

43Venons-en ensuite à la seconde figure d’éditeur : William Irvine a droit d’abord à un éloge pour le sérieux de son édition moderne. Cependant, il se voit reprocher deux choses : il ne donne pas à lire le « texte authentique » (p. 15) polyglotte de Manucci, mais une traduction anglaise « consciencieuse, certes, mais amorphe » (ibid.). Par « puritanisme » (p. 14), il l’a en outre expurgé de passages trop « lestes ». Là encore, comme dans l’édition du père Catrou, les deux critiques portent sur le rapport entre la « vie » et la « langue » : dénaturer la langue, par une traduction ou une réécriture, contribue à trahir la « vie » que le texte devait rendre, notamment par l’interdit moral dont il frappe certains passages.

44Retenons pour l’instant cette polarisation vie / mort, liée ici notamment à la tension entre oral / écrit. Elles s’ajoutent à la série mise en évidence précédemment :

45

bibliothèque / monde
dedans / dehors
version seconde / texte original
Catrou, Irvine, B. C. / Manucci
rhétorique de l’écrit / style oralisé

46Traversant toute l’œuvre de Cendrars, le couple vie / mort s’inscrit dans un débat littéraire de l’entre-deux-guerres que je me propose de restituer rapidement.

La vie et l’oralité

47La « vie » et la « langue » vont main dans la main, et nous touchons là au cœur de la poétique cendrarsienne. Un rapport amateur et subversif à la langue – celui d’un aventurier « improvisé auteur » – est dressé contre la maîtrise savante de l’écrit. Ce topos antirhétorique est une pique courante de Cendrars contre les « gens de lettres [22] » ou – ici le père Catrou – la littérature de cabinet. Celle-ci s’oppose à l’écriture oralisée des aventuriers, qui seule recueille les qualités de la « vie » :

48

[…] qui écrivaient comme ils parlaient, les bougres, parce qu’ils étaient des grands vivants, ne faisaient pas de rhétorique, mais avaient quelque chose à dire et le monde entier à raconter.
(p. 11, je souligne)

49C’est bien sûr le cas de Manucci « qui s’était improvisé auteur » (p. 12) pour rédiger des Mémoires plurilingues, mêlant quatre langues (français, italien, vénitien, portugais). Mais également de Cendrars, qui aime à se présenter comme un aventurier, un (bon) vivant, et manifeste constamment son dédain à l’égard de tout académisme. Dans cette fable, seul l’écrit oralisé apparaît comme un garant de la « vie » et de l’expressivité. Cette forme parlée a pour elle une double vertu: l’authenticité (elle est proche de l’événement corporel, du souffle vocal) et la subversion littéraire (la voix vivante dit la pulsion et l’émotion sans interdit culturel).

50Dans « Pro domo » (1949), préface à une réédition de La Fin du monde filmée par l’Ange Notre-Dame, toujours à propos de Mémoires, Cendrars fait l’éloge de Casanova en des termes très voisins :

51

Je considère les Mémoires comme la véritable encyclopédie du xviiie siècle, tant ils sont vivants, contrairement à celle de Diderot, et l’œuvre d’un seul homme, pas d’un idéologue ou d’un théoricien, ce grand vivant de Casanova qui connaissait tout le monde, les gens et les choses, et la façon de vivre de toutes les classes de la société dans les pays d’Europe […], l’homme s’étant improvisé écrivain à l’âge de soixante ans pour meubler ses loisirs de bibliothécaire dans un château de Bohême, les soirées et les nuits d’hiver étant plus longues que les mille et une nuits de Shéhérazade dans le château désert du comte de Wallenstein de Dux, malgré les vingt-cinq mille volumes de la bibliothèque, le viveur se sentant devenir vieux dans la solitude, il revivait sa vie crépitante […], et je trouve prodigieux le sort de ses écrits qui sont devenus un des grands livres du monde alors que le vieillard n’était en rien gens de lettres ni ne maîtrisait sa langue et que la version qu’on connaît des Mémoires n’est ni le texte original ni même une traduction fidèle ou un arrangement moralisateur ou un choix des meilleurs morceaux ou une adaptation piquante, érotique, ce qui est un cas unique dans l’histoire de la littérature mondiale pour un écrit devenu un livre de chevet et prouve bien que […] nul n’est besoin d’avoir du style, de la grammaire, de l’orthographe, de la science, des idées, de la religion, ni même une conviction quelconque pour écrire un livre immortel, et que le tempérament et l’amour de la vie y suffisent, ainsi que l’amusement d’écrire sans prétention et pour son seul plaisir des histoires vraies [23].
(je souligne)

52Après Manucci, Cendrars se projette également dans ce double qu’est Casanova : Cendrars rédige Bourlinguer l’année de ses « soixante ans », comme le fait cet autre auteur vénitien. Transparaît ici une argumentation de type vitaliste, que Cendrars a découverte auprès des anarchistes lecteurs de Stirner, Nietzsche ou Georges Sorel : « le tempérament et l’amour de la vie » (p. 12) suppléent la « grammaire » et l’« orthographe », à eux seuls ils forment « style ». Autrement dit, la qualité littéraire ne relève pas d’une pratique savante, académique, mais d’un rapport à l’existence (« vie ») et d’une participation physiologique au monde (« tempérament »). Cendrars reprend d’ailleurs ce propos à son propre compte et assume la posture auctoriale décrite chez Manucci et Casanova :

53

Voilà pourquoi je suis poète, probablement parce que je suis très sensible au langage – correct ou incorrect, je m’en bats l’œil. J’ignore et je méprise la grammaire qui est au point mort, mais je suis grand lecteur de dictionnaires et si mon orthographe n’est pas trop sûre, c’est que je suis trop attentif à la prononciation, cette idiosyncrasie de la langue vivante. A l’origine n’est pas le mot, mais la phrase, une modulation. Ecoutez le chant des oiseaux ! [24].
(je souligne)

L’âge du roman parlant

54On peut relever là un fort effet de contexte, une allusion au débat littéraire contemporain de Blaise Cendrars. Il mobilise une pensée de la langue aux traits vitalistes, anti-intellectualistes et anticentralistes, que partagent aussi bien Céline que Giono, Queneau, Aragon, Cendrars, Ramuz ou Poulaille. Ainsi la poétique de Louis-Ferdinand Céline, dans Bagatelles pour un massacre (1937), entretient-elle beaucoup de points communs avec celle de Cendrars. Elle valorise également le primat dans l’écrit de la voix et du corps spontané, subordonnant le style à une vertu physique et non intellectuelle (Meizoz [2000-2001]). Le vitalisme esthétique, solidaire d’une méfiance à l’égard des intellectuels en général, est partie intégrante de la posture de Cendrars en bourlingueur. Dans l’entre-deux-guerres, ce vitalisme a parfois été conjugué à l’antisémitisme, comme ce fut le cas chez Céline, les Juifs incarnant alors l’archétype des hommes du livre, des lettrés. Il n’est pas exclu que Cendrars, s’il avait rédigé la totalité du pamphlet antisémite Le Bonheur de vivre qui lui a été commandé en 1938, aurait témoigné d’une assimilation identique.

55Le motif de l’écriture oralisée contre l’assèchement de l’écrit est donc un topos de l’entre-deux-guerres, lorsque certains romanciers francophones ont imposé l’« âge du roman parlant » (Meizoz [2001]). Dans cette esthétique, la langue parlée est présentée comme originelle, spontanée, vivante, contre la langue écrite académique, dénoncée comme seconde, inauthentique et morte. Dans cette configuration, les auteurs issus des marges linguistiques de la francophonie – je pense bien sûr ici à Cendrars et Ramuz – présentent une sensibilité particulière aux variations de la langue française, notamment à ses expressions hors normes. Ainsi, leur goût commun des dialectes manifeste une méfiance à l’égard du centralisme linguistique. Celui-ci menace la variation, principal potentiel créatif de l’écrivain :

56

J’aime les légendes, les dialectes, les fautes de langage, les romans policiers, la chair des filles, le soleil, la tour Eiffel, les apaches, les bons nègres […] [25].

57L’intérêt pour les jargons, l’oral des rues, est partagé aussi bien par Ramuz que Cendrars, qui tous deux, à Paris, mettent en scène et valorisent la gouaille populaire des concierges. La trajectoire de ces deux auteurs, pour différente qu’elle soit, les prédisposait à ce rapport décentré et variationniste au français classique (dans sa mythologie rivarolienne), que met en scène justement la fable de « Venise ».

Cendrars et la langue : le souffle

58Oralité encore : la phrase d’attaque de « Venise » – et donc de Bourlinguer tout entier – est énigmatique : « Je ne souffle mot » (p. 7). Cette même phrase forme également la clausule du livre (p. 418), dont apparaît ainsi la structure cyclique, du silence originel au silence final. L’origine de l’énonciation est posée par sa négation même, au moyen d’une figure de prétérition : au moment de la prise de parole, le narrateur dit qu’il ne parle pas. Un livre naît dans le silence, du bruissement relayé de paroles antérieures – la transtextualité –, et se termine dans le silence. La même formule revient encore dans Bourlinguer :

59

Domenico […] ne soufflait jamais mot de cette aventure […] ; mais je ne disais rien, je retenais mon souffle […].
(« Naples », p. 26, je souligne)

60Dans Le Lotissement du ciel (1949), même usage :

61

Si mes aventures durant mon vertigineux périple avec les Anglais en France ne rentrent pas dans le cadre de ce récit, et même si je n’en souffle mot et passe sous silence les scènes déchirantes, les épisodes cocasses et les imbroglios […] [26].

62Comment interpréter la fréquence de cette formule ? Deux sens distincts au moins en émanent. Ne pas souffler mot, d’abord, c’est garder un secret. Protocole du détour littéraire par excellence : Je ne vends pas la mèche, je ne vous avertis pas de mes intentions. Invitation à la ruse interprétative du lecteur. Le narrateur sollicite une lecture oblique : il ne dit pas les choses directement, il garde ses secrets. Même si la tétralogie a été qualifiée de « Mémoires », ceux-ci ne se donnent pas comme directement autobiographiques sur un mode confessionnel. Cendrars n’y parle de sa vie que par le détour d’autres fables.

63Autre sens du mot, le « souffle » renvoie à l’appareil physiologique de la parole. Cendrars désire revivifier la langue, et insiste sur une écriture qui ait du « souffle » et de la vive voix. La préface à John Paul Jones (1926) souligne déjà la parole vive et l’énonciation comme un événement physiologique :

64

[…] un être humain, c’est-à-dire un souffle, un cœur, des poumons, cinq sens, un cerveau […] [27].
(je souligne)

Le primat du « langage parlé »

65Dans une conférence intitulée « Poètes » et prononcée en 1924 à São Paulo, Cendrars cite à dessein un long passage du linguiste Joseph Vendryès :

66

L’émission du souffle à la sortie de la trachée ne se produit pas d’une façon régulièrement égale. La dépense d’air n’est pas continue car les muscles qui règlent la marche du soufflet vocal, tantôt en précipitent, tantôt en ralentissent le mouvement [28].
(je souligne)

67A l’aide du linguiste, Cendrars se demande comment la poésie moderne peut rendre compte du langage vivant, tel qu’il se forge dans les corps, reçoit d’eux le rythme, les unités respiratoires. La conférence de São Paulo insiste ainsi sur le rythme dont le souffle est la manifestation : Cendrars s’inspire du « grand rythme » décrit par Ch.-A. Cingria en 1919 comme une émanation métaphysique. Selon cette conception, la « pneumatique » narrative est une manifestation parmi d’autres du pneuma primordial des Grecs [29]. Fascination profane pour l’appareil physiologique de la voix humaine chez Cendrars, passion sacrée pour le souffle de l’Esprit qui traverse l’être chez Cingria.

68Dans ses propositions sur la littérature, Cendrars pose toujours le primat du « langage parlé » [30], considéré comme l’émanation directe de la « vie ». Pour cela il doit récuser la focalisation de Saussure sur la « langue », qu’il rejette dans une allusion limpide :

69

[…] une certaine linguistique […] traite le langage comme quelque chose d’indépendant, de transcendant, et prête une nécessité interne à ses lois, non seulement aux lois phonétiques ou de la prononciation liée aux organes, mais aux lois morphologiques ou de la grammaire et aux lois sémantiques ou du vocabulaire. Or, il est faux de considérer le langage comme une entité idéale évoluant indépendamment des hommes et poursuivant ses fins propres. La vérité, c’est que le langage est en rapports étroits avec la vie psychique […].
(« Poètes », p. 99)

70Selon Cendrars, le « langage parlé » possède plusieurs caractéristiques : il « colore » la pensée, et « rend instable la grammaire » (ibid.). A nouveau, un lien est posé entre la créativité de l’oral et la liberté à l’égard des lois de la grammaire. Le rythme du phrasé parlé serait ainsi antérieur « au mot de la grammaire » (ibid.), et se subordonnerait, en dernier lieu, à la « vie », c’est-à-dire à l’univers physiologique. La contradiction entre la vie et la grammaire : ce leitmotiv traverse tout le débat de 1919-1939 sur le « roman parlant », que je viens d’évoquer.

71Cendrars s’attaque alors à un second préjugé : il faut en finir, dit-il, avec la « confusion fâcheuse entre la langue littéraire et la langue tout court, celle qui est parlée par tout le monde dans le pays tout entier et qui change avec le temps » (p. 100). L’écrivain convoque ici un linguiste antérieur, Arsène Darmesteter, auteur de La Vie des mots (1887) :

72

Chez certains écrivains peu soucieux de l’élégance et du choix des expressions, et dont la langue a quelque chose de populaire, on trouve également des termes inconnus aux écrivains classiques […] [31].

73Dans « Le principe d’utilité », Cendrars relie explicitement son goût de la langue populaire (qu’il nomme « écriture démotique », dans les mêmes termes qu’utilisera Queneau plus tard) à l’émergence d’un nouveau public, d’une foule neuve touchée par les textes. Cendrars, dont le rêve ultime – conformément au désir de ne pas se confiner à la « littérature » – était la « recherche du grand public [32] », fut préoccupé par la question. Celle-ci traverse également tout le débat sur le roman dans l’entre-deux-guerres. On citera par exemple les recherches de Ramuz, Giono, Queneau ou Aragon sur la stylisation du parler populaire. Céline se propose de « démocratiser la langue [33] »; s’inspirer de la langue de la rue, écouter sa créativité, propose Cendrars qui se réfère en ces matières à l’Esthétique de la langue française (1899) de son maître Remy de Gourmont :

74

[…] le mauvais français du peuple est toujours du français, et parfois du meilleur français que celui des grammairiens [34].

75Ce détour par les conceptions cendrarsiennes de la langue ne nous a pas éloignés de « Venise » mais enrichit au contraire la fable des problématiques centrales de l’écriture cendrarsienne : en effet, par l’acte de réécriture qu’il opère, se réappropriant la vie de Manucci, et par la critique des dégradations lettrées d’un original « authentique », Cendrars illustre et défend une langue littéraire audacieuse, puisant à la source orale-populaire, maniée par des auteurs de tempérament plutôt que par des lettrés. Il réaffirme le lien problématique entre la langue et la vie, qui est au cœur des débats linguistique de son époque [35].

76Enfin, par une fable pseudo-philologique, Cendrars affirme le droit de l’auteur à recréer de manière libre à partir d’un hypotexte ancien, définissant la littérature comme une infinie variation. Au-delà de cette idéologie d’époque, la fable marque une différence entre les divers commentateurs du « texte authentique » manuccien. L’écrivain véritable – et Cendrars le figure ici en acte – fait revivre l’original par une recréation hypertextuelle d’écrivain à écrivain. A l’opposé, les éditeurs et commentateurs savants évident le texte de tout ce qui faisait son énergie propre, et le mettent aux normes (traduction, adaptation, coupures, annotations). La réactualisation littéraire de Manucci que propose Cendrars opère à l’inverse de la philologie, et n’a que les apparences de cette science. L’imagination et la recréation verbale, dans l’esprit du bourlingueur, passent au premier plan.

Le détour par un double : posture et poétique de B. C.

77Dans l’incipit de « Venise », Cendrars installe une scène de parole oblique (« Je ne souffle mot »), ancrée dans la bibliothèque mais tournée vers le monde extérieur. Il propose ensuite un détour par un double (Manucci, ou ailleurs Casanova). Enfin, il porte un jugement sévère sur les éditeurs et traducteurs de ce double auctorial.

78Ce faisant, Cendrars construit une posture originale, qui magnifie le rôle du créateur littéraire en prise directe sur le monde (authenticité, oralité, vie), au détriment des appropriations secondes des éditeurs savants (falsification, écriture normée, bibliothèque). Par posture, j’entends la présentation de soi qu’une figure auctoriale inscrit, à l’interne, dans le texte (l’ethos rhétorique arboré) et, à l’externe, dans le champ littéraire (les conduites publiques d’auteur) [36]. L’intérêt de cette notion tient à ce qu’elle réfère simultanément à des effets textuels (l’ethos comme ton, modalité d’énonciation) et sociaux (l’auteur comme acteur du champ littéraire) d’ordinaire envisagés séparément. La posture cendrarsienne, telle qu’elle s’incarne dans Manucci, tient ici à quelques traits saillants : le portrait de l’auteur « improvisé » en prise directe sur le monde, bourlingueur retiré pour écrire ses aventures dans une langue libre, vivante, oralisée, qui ne doit rien à une quelconque norme lettrée. Il subvertit d’ailleurs le genre du récit de voyages dans lequel paraît s’inscrire Bourlinguer pour donner une poéticité généralisée à son texte, par la syntaxe fuguée et des effets de rythme. Doté du statut et des privilèges de l’auctorialité, il se permet à l’égard des faits des libertés que les commentateurs et philologues ne peuvent s’autoriser, reconfigurant et fictionnalisant son vécu par l’opération d’écriture. Enfin, selon les adjectifs attribués à son double Manucci, l’auteur est présenté comme un être « roublard », voire « fourbe »: ses textes sont à lire obliquement.

79Un autre indice postural renforce notre hypothèse, hors texte cette fois : la photographie officielle de Cendrars réalisée par Robert Doisneau en 1948, année de parution de Bourlinguer, reprise dans l’édition « TADA », p. xxxii. Conformément à l’esthétique populiste du livre illustré La Banlieue de Paris que Cendrars prépare avec Doisneau dans les quartiers populaires des marges de la capitale, cette photographie, si on la compare avec des clichés classiques d’écrivains de l’époque, renonce aux poncifs de la représentation de l’auteur. Elle s’écarte de ce que Daniel Oster a nommé le « traditionnel espace emblématique de l’écrivain [37] »: réalisée en plein air à Saint-Segond, elle montre Cendrars la chemise grande ouverte sur sa poitrine, le mégot à la bouche, le visage marqué et buriné. Prise dans le dehors du monde, censée figurer l’immersion physique de l’aventurier Cendrars dans la vie réelle, elle évacue soigneusement toute allusion à une posture de lettré de cabinet.

80« Venise » apparaît ainsi comme un éloge oblique du « tempérament » auctorial, qui n’a selon Cendrars à se soucier ni de la véracité, ni du moralisme ambiant, ni de la norme langagière commune. La littérature ne se renouvelle que par ses figures auctoriales qui rompent avec l’habitus lettré des philologues, condamnés quant à eux à ressasser et « affadi[r] » (p. 11) les œuvres originales. Car la nature transtextuelle de la littérature la livre aussi bien à la perpétuelle recréation (privilège des auteurs) qu’au ressassement falsificateur (danger des commentateurs).

81Cette opposition auteur / commentateur mise en scène par Cendrars en 1949 reprend l’ancienne antinomie du prophète et du prêtre. Mise en évidence par Max Weber [1971] dans le judaïsme antique, cette polarisation du champ religieux aurait essaimé et perduré dans tout le champ intellectuel [38]. Alors que le prophète, seul à être doté de charisme, rompt avec la tradition et annonce des temps nouveaux, le prêtre perpétue la liturgie et répète le dogme. Très vive dans les années 1930, la tension entre l’écrivain et le professeur repose sur des différences du même type. Réactivée après 1945 par le groupe des Hussards et le conflit Céline / Sartre, elle joue à plein en arrière-fond de Bourlinguer.

82Dans le champ littéraire français de l’après-guerre, dominé par la figure de Jean-Paul Sartre et par les doctrines de la littérature engagée (Boschetti [1984]), les couples du prêtre et du prophète, du critique et de l’auteur sont analogues à celui du professeur et de l’écrivain. Les adversaires de Sartre, dont Céline et les Hussards, ne cessent de le décrire en « professeur », aux antipodes du véritable écrivain, qui choisit la vie contre le cabinet de travail, la spontanéité contre le moralisme et « le style contre les idées » [39]. Cendrars lui-même, dans ses entretiens radiophoniques de 1950, rejette la mode de l’existentialisme : « Sartre est professeur [40] », lance-t-il sans autre forme de procès. Proche de Céline, qui lui a demandé de témoigner en sa faveur lors de ses démêlés pour collaboration, Cendrars n’appréciait ni l’engagement sartrien ni la personne de Sartre. Une telle affirmation des droits du créateur, hors toutes conventions et attentes sociales, peut se lire comme une réaction très claire, dans le champ littéraire de l’Epuration (1944-1953), à ce qui est déjà dénoncé à ce moment comme le « moralisme » sartrien (Roger Nimier, Jacques Laurent).

83Tout se passe comme si un combat formidable se livrait en Cendrars, l’homme (ici le bourlingueur, l’aventurier du dehors) cherchant à prendre le pas au maximum sur le littérateur (l’homme du dedans, de la bibliothèque). Ainsi la posture du bourlingueur « pas très fort sur la grammaire » (p. 11) apparaît-elle comme un pied-de-nez très contemporain à toute conception professorale de la littérature.

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  • – [2000-2001], « Un “style franc grossier” : posture et étoffe de L.-F. Céline », Les Temps modernes, nos 611-612, décembre 2000-février 2001, p. 84-109.
  • – [2002], « Recherches sur la posture : Jean-Jacques Rousseau », Littérature, n° 126, juin 2002, p. 3-17.
  • – [2005a], « Die Posture und das literariches Feld », in Wolf Norbert et Joch Markus (éd.), Text und Feld. Bourdieu in der Literaturwissenchaftlichen Praxis, Tübingen, Niemeyer, p. 177-188.
  • – [2005b], « Français ou francophones ? Trajectoires comparées de Ramuz et Cendrars », in M. Einfalt, U. Erzsgräber et F. Sick (éd.), Intégrité intellectuelle. Festschrift für Joseph Jurt, Heidelberg, Carl Winter’s Verlag, p. 359-370.
  • Puech, Jean-Benoît [1985], « Du vivant de l’auteur », Poétique, n° 63, p. 279-300.
  • Rausis, Daniel [2004], « Le tombeau d’Hélène, promenade hagiographique », Continent Cendrars, n° 11, p. 35-43.
  • Touret, Michèle [2002], « Cendrars au miroir : réflexions sur Bourlinguer », in Jean Poirier (éd.), Ecriture de soi et lecture de l’autre, Dijon, Editions universitaires de Dijon, p. 27-38.
  • Weber, Max [1971], Le Judaïsme antique, Paris, Plon.
  • Zumthor, Paul [1972], Essai de poétique médiévale, Paris, Ed. du Seuil.

Date de mise en ligne : 01/02/2012

https://doi.org/10.3917/poeti.147.0297

Notes

  • [1]
    L’édition de la Guilde du Livre parue à Lausanne en 1953 donne en ouverture une photo du port de Venise vu d’une fenêtre, comme pour accentuer la référentialité du récit. Nous citons « Venise » dans la récente édition critique « Tout autour d’aujourd’hui » (« TADA ») de Bourlinguer, Paris, Denoël, 2003, t. 9, p. 7-17, texte présenté et annoté par Claude Leroy.
  • [2]
    Vincent Colonna a montré que Bourlinguer ne relève pas de l’autofiction, contrairement à de nombreux récits cendrarsiens, mais d’une feinte autobiographie. Cendrars y dessine un « autoportrait stylisé » (p. 124) de lui-même. Cf. Vincent Colonna [1988], p. 109-126.
  • [3]
    Cf. Rino Cortiana [1991] et Piero Falchetta [1984].
  • [4]
    Le terme « Mémoires » n’est pas de Cendrars, mais de T’Serstevens. Michel Manoll le reprend dans les Entretiens de 1952. Cendrars nuance alors ainsi : « qui sont des Mémoires et qui n’en sont pas » (O. C., Paris, Denoël, t. 8, 1965, p. 650).
  • [5]
    « Ecrire, cela n’est pas réellement vivre. Ce n’est pas la vie tout court » (Blaise Cendrars [1965], p. 590).
  • [6]
    Cité par Rino Cortiana [1991], p. 22-23. Manuscrit de la bibliothèque Saint-Marc, ms. It. VI. 134, f° 8 recto, retranscrit par Piero Falchetta [1986], p. 21. Les citations du manuscrit vénitien ainsi que d’Irvine sont données par Rino Cortiana.
  • [7]
    Cité par Rino Cortiana [1991], p. 23. Cf. Niccolao Manucci [1906-1908].
  • [8]
    L’édition de Falchetta n’est disponible que depuis 1986.
  • [9]
    Ouvrage inédit du vivant de l’auteur, édité par Claude Leroy, Paris, Champion, Cahiers Blaise Cendrars, n° 4, 1995.
  • [10]
    Blaise Cendrars [1965], p. 668 et 671.
  • [11]
    Je dois ces informations à Daniel Rausis, qui rappelle également que le 11 novembre porte une autre signification-charnière, du point de vue folklorique : c’est la date de la Saint-Martin, qui marque le début du cycle du Carnaval. Voir aussi Daniel Rausis [2004], p. 35-43.
  • [12]
    Paul Zumthor [1972], p. 73.
  • [13]
    Bernard Cerquiglini [1989], p. 57.
  • [14]
    Gérard Leclerc [1996], p. 297.
  • [15]
    Cf. Max Weber [1971].
  • [16]
    Cité par Gérard Leclerc [1996], p. 301.
  • [17]
    Blaise Cendrars [2003], p. 435-437.
  • [18]
    Cf. Yvette Bozon-Scalzitti [1977], p. 225.
  • [19]
    Blaise Cendrars [1965], p. 574.
  • [20]
    Par « figure de l’auteur » j’entends non pas l’auteur réel, mais sa représentation dans le texte, selon le terme proposé par Maurice Couturier [1995].
  • [21]
    La série se poursuit dans le texte : « vie condensée » (p. 14), « pillé de son vivant » (p. 15), « la traduction […] la moins vivante » (p. 15), « vie » (p. 16).
  • [22]
    La référence est dans la note suivante.
  • [23]
    Blaise Cendrars [1963], p. 12.
  • [24]
    Blaise Cendrars [1965], p. 547.
  • [25]
    Blaise Cendrars, « La prose du Transsibérien et de la petite Jeanne de France » (1913), cité in Jérôme Meizoz [2001], p. 295.
  • [26]
    Blaise Cendrars [1996b], p. 67.
  • [27]
    Blaise Cendrars [1996a], p. 28.
  • [28]
    Joseph Vendryès, Le Langage, 1921, cité in Blaise Cendrars [2005], p. 98-114 ; ici p. 99.
  • [29]
    Cf. Doris Jakubec [1995], p. 85-103.
  • [30]
    Blaise Cendrars [2005], p. 99.
  • [31]
    Arsène Darmesteter cité par Cendrars, ibid., p. 105.
  • [32]
    Michèle Touret, « Profil littéraire de Blaise Cendrars à travers les journaux et revues littéraires (1919-1930) », in Claude Leroy (éd.), Blaise Cendrars vingt ans après, Paris, Klincksieck, 1983, p. 21-37 ; ici p. 36.
  • [33]
    Louis-Ferdinand Céline [1987], p. 120.
  • [34]
    Remy de Gourmont, cité par S. Delesalle et J.-C. Chevalier, La Linguistique, la grammaire et l’école, 1750-1914, Paris, Armand Colin, 1986, p. 302.
  • [35]
    Cf. Charles Bally, Le Langage et la Vie (1913), Paris, Payot, 1926 et 1952. Voir également tout le débat autour de La Crise du français (1930), Paris, Droz, 2004.
  • [36]
    J’ai théorisé la notion de posture dans un essai, Le Gueux philosophe. Jean-Jacques Rousseau, Lausanne, Antipodes, 2003.
  • [37]
    Daniel Oster, Passages de Zénon, Paris, Ed. du Seuil, 1981, p. 228. Sur les images de l’auteur, voir Jean-Benoît Puech [1985], p. 279-300.
  • [38]
    Ce sont les hypothèses de Pierre Bourdieu [1992] et de Nathalie Heinich [2000].
  • [39]
    Louis-Ferdinand Céline [1987].
  • [40]
    Blaise Cendrars [1965], p. 561.

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