Notes
- [1]
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[2]
Nous empruntons le terme à Paul Zumthor (Essai de poétique médiévale, Paris, éd. du Seuil, 1972, p. 240) : il y voit un « complexe de motivations, de probabilités lexicales, rhétoriques, syntaxiques même ».
-
[3]
Sur les multiples aspects du Roman de Fauvel, on consultera avec profit les Actes du colloque de Paris, publiés par Margaret Bent et Andrew Wathey (Fauvel Studies. Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français 146, Oxford, Clarendon Press, 1998).
-
[4]
On l’admirera dans le fac-similé publié par les soins d’Edward Roesner, François Avril et Nancy Regalado, Le Roman de Fauvel in the Edition of Mesire Chaillou de Pesstain : A Reproduction in Facsimile of the Complete Manuscript, Paris, Bibliothèque Nationale, Fonds Français 146, New York, Broude Bros, 1990.
-
[5]
Si l’on adopte la numérotation proposée par Emilie Dahnk, L’Hérésie de Fauvel, Leipzig et Paris, Romanisches Seminar et E. Droz, 1935.
-
[6]
Nous citons d’après Gervais du Bus et Chaillou de Pestain, Roman de Fauvel, éd. par Arthur Långfors et trad. (en italien) par Margherita Lecco, Milano, Luni, 1998.
-
[7]
Voir Raymond Klibansky, Erwin Panofsky et Fritz Saxl, Saturn and Melancholy. Studies in the History of Natural Philosophy, Religion and Art, Londres, Nelson, 1964, p. 78-80.
-
[8]
II Cor. VII, p. 8-11. Voir Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Age, trad. par Jérôme Baschet, Paris, Aubier, 2003, p. 138.
-
[9]
Paul Ricœur, La Métaphore vive, Paris, éd. du Seuil, 1975, septième étude : « Métaphore et référence ».
-
[10]
Voir Armand Strubel, « Grant senefiance a » : allégorie et littérature au Moyen Age, Paris, Champion, 2002, p. 96-97.
-
[11]
Il Convivio, II, 1 : la « vérité cachée sous un beau mensonge ».
-
[12]
Voir Armand Strubel, op. cit., p. 37-39 et 41.
-
[13]
Jean Wirth, « Structure et fonctions de l’image chez saint Thomas d’Aquin », in L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Paris, Le Léopard d’Or, 1996, p. 39.
-
[14]
Sur la notion de norme, voir Jérôme Baschet, « Introduction : l’image-objet », in L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, op. cit.
-
[15]
Philippe Hamon, L’Ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, p. 28.
-
[16]
Instit. Orat., VIII, 6.54 : ironia est (inlusionem vocant).
-
[17]
Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion, « Champs », 1979, p. 42. Armand Strubel, La Rose, Renart et le Graal. La littérature allégorique en France au xiiie siècle, Genève-Paris, Slatkine, 1989, p. 222, lui emboîte le pas, quand il associe ironie et satire allégorique pour définir la fonction attribuée à Faux Semblant (personnification de l’hypocrisie religieuse) dans le Roman de la Rose.
-
[18]
Le terme est de Jérôme Baschet, art. cité, p. 17-18.
-
[19]
Ästhetik I / II, éd. par Rüdiger Bubner, Stuttgart, Reclam, 1971, p. 429-434 (« Die Zwei-felhaftigkeit des Symbolischen in Mythologie und Kunst »).
-
[20]
La formule est de Giorgio Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, trad. par Yves Hersant, Paris, Rivages Poche, « Petite Bibliothèque », 1998, p. 226.
-
[21]
Voir Michael Camille, « The Gregorian Definition Revisited : Writing in the Middle Ages », in L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, op. cit., p. 89-130.
-
[22]
Voir Antoine Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation, Paris, éd. du Seuil, 1979, p. 172-174.
-
[23]
Il s’agit du Problème XXX, 1 : voir L’Homme de génie et la Mélancolie, éd. et trad. par Jackie Pigeaud, Paris, Rivages Poches, « Petite Bibliothèque », 1988.
- [24]
-
[25]
Le passage du texte à l’image relève du « résumé », forme de « contraction » que décrit Christiane Raynaud, Le Commentaire de document figuré en histoire médiévale, Paris, Armand Colin, 1997, p. 122-123.
-
[26]
La miniature est reproduite parmi les planches de notre Fauvel au pouvoir : lire la satire médiévale, Paris, Champion, 1994 : il s’agit du ms. 525, fol. 158bis. Pour les autres manuscrits, voir : BnF, fonds fr. 580, fol. 123r, et BnF, fonds fr. 2195, fol. 148r.
-
[27]
Brigitte Prévot et Bernard Ribémont, Le Cheval en France au Moyen Age, Orléans, Paradigme, 1994, p. 207sq., parlent d’un « animal identificateur ».
-
[28]
Le Tournoi de l’Antéchrist, éd. par Georg Wimmer, trad. par Stéphanie Orgeur, Orléans, Paradigme, 1994, v. 642-643 : « Li destriers Orgeil si sovent / Choupoit, [heurtait, butait] que ce n’estoit pas fins. »
-
[29]
Sur ces versets, dont s’inspirent les miroirs des princes, voir Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 402-404.
-
[30]
Le Policraticus de Jean de Salisbury traduit par Denis Foulechat (1372), livre IV, éd. par Charles Brucker, Presses Universitaires de Nancy, 1985, p. 26.
-
[31]
Voir Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Paris, éd. du Seuil, 2004, p. 23-25.
-
[32]
Sur le mouvement d’inversion et de dégradation, voir Margherita Lecco, Ricerche sul « Roman de Fauvel », Alessandria, Edizioni dell’Orso, 1993, p. 24-31, qui commente aussi le terme, fréquent dans la satire médiévale, de « bestorner » (renverser, mettre à l’envers).
-
[33]
Une prose (pièce musicale) accompagne le passage, chantant le triomphe de Carnalitas et Luxuria dans le palais de Fauvel : voir Alice V. Clark, « The Flowering of Charnalité and the Marriage of Fauvel », in Fauvel Studies, op. cit., p. 175-186.
-
[34]
La miniature est reproduite en tête de notre Fauvel au pouvoir, op. cit.
-
[35]
Voir Martin Kaufmann, « Satire, Pictorial Genre, and the Illustrations in BN fr. 146 », in Fauvel Studies, op. cit., p. 287-299 (« Fauvel enthroned »).
-
[36]
Deux articles, l’un d’Elizabeth A. R. Brown, l’autre d’Emma Dillon, abordent la question dans les Fauvel Studies, op. cit., plus particulièrement p. 58-60 et 219-220.
-
[37]
Voir Martin Kauffmann, art. cité, p. 295-299.
-
[38]
C’est une des caractéristiques retenues par Philippe Sellier, « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? », Littérature, n° 55 (1984 : La Farcissure. Intertextualités au xvie siècle), p. 124-126.
-
[39]
Die fröhliche Wissenschaft, Stuttgart, Reclam, 2000, p. 214 (livre IV, chap. 326).
-
[40]
Voir Michael Camille, « Hybridity, Monstrosity, and Bestiality in the Roman de Fauvel », in Fauvel Studies, op. cit., p. 163-164.
-
[41]
Les vers précédés d’un E font partie de la grande interpolation publiée en appendice dans l’édition utilisée : le vers E 898 se trouve à la p. 308.
-
[42]
Ästhetik I / II, op. cit., p. 476.
-
[43]
Ars poetica, v. 1-5 ; voir Reto Sorg, « Das Groteske – “Auf halbem Weg zum Tier” », Colloquium Helveticum, n° 35, 2004 (Das Groteske, Le Grotesque, The Grotesque), p. 19-25.
-
[44]
Voir Jean-Claude Schmitt, Le Corps des images. Essai sur la culture visuelle au Moyen Age, Paris, Gallimard, 2002, p. 152.
-
[45]
Voir Giorgio Agamben, L’Ouvert. De l’homme et de l’animal, trad. par Joël Gayraud, Paris, Rivages, 2002, p. 37-47, dans lesquelles il aborde la question des hybrides.
-
[46]
Bibliothèque municipale de Rouen, ms. 1044 (04), fol. 16r : la miniature est reproduite en appendice à notre Fauvel au pouvoir, op. cit. Il s’agit d’une traduction glosée des Métamorphoses d’Ovide.
-
[47]
Voir Marylène Possamaï-Perez, « Métamorphose et merveille. Contribution à l’étude du fantastique dans la littérature médiévale », in « Furent les merveilles pruvees et les aventures truvees ». Hommage à Francis Dubost, éd. par Francis Gingras, Françoise Laurent, Frédérique Le Nan et Jean-René Valette, Paris, Champion, 2005, p. 525-552.
-
[48]
Thomas de Kent, Le Roman d’Alexandre ou le Roman de toute chevalerie, éd. par Brian Forster et Ian Short, trad. par Catherine Gaullier-Bougassas et Laurence Harf-Lancner, Paris, Champion Classiques, 2003, v. 5688-5693.
-
[49]
Voir Georges Dumézil, Le Problème des centaures, Paris, Paul Geuthner, 1929, chap. IV ; Francis Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale : l’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, Paris, Champion, 1991, t. I, p. 526-530. On se référera aussi à Stefania Cerrito, « De l’Antiquité au Moyen Age : le Sagittaire dans les textes et les enluminures du Roman de Troie et sa mouvance », in Textes et cultures : réception, modèles, interférences, éd. par Pierre Nobel, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2004, t. I (Réception de l’Antiquité), p. 239-260, qui examine certains manuscrits illustrés par le Maître du Roman de Fauvel.
-
[50]
Ovide moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, éd. par Cornelius de Boer, Wiesbaden, M. Sändig, 1966, livre II, v. 2949ss ; Bibliothèque municipale de Rouen, ms. 1044 (04), fol. 59vo.
-
[51]
Voir François Garnier, L’Ane à la lyre. Sottisier d’iconographie médiévale, Paris, Le Léopard d’Or, 1988, p. 17-26.
-
[52]
Voir Henri Rey-Flaud, Le Charivari. Les rituels fondamentaux de la sexualité, Paris, Payot, 1985, p. 104-112.
-
[53]
Voir Michael Camille, Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, trad. par Béatrice et Jean-Claude Bonne, Paris, Gallimard, 1997, p. 196-201 (avec reproduction de la miniature du fol. 36vo, à trois étages, où est représentée la fin du charivari).
-
[54]
Voir Klaus Schwind, Satire in funktionalen Kontexten, op. cit., p. 56-62.
-
[55]
En 1914, puis en 1930, Alain (Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2003, p. 167-168 et 170-172) s’en prend aux âmes basses, flatteurs et ambitieux, dont s’entourent les tyrans.
-
[56]
L’expression est évidemment empruntée à Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Pocket, « Agora », 1994. Voir surtout les p. 58-70 et 92-93.
-
[57]
Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, « Idées », 1972, p. 302.
-
[58]
Le terme est de Christiane Raynaud, Le Commentaire de document figuré en l’histoire médiévale, op. cit., p. 116.
-
[59]
Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 149-161.
-
[60]
Voir Giorgio Agamben, Stanze, op. cit., p. 226-227.
Le sens est invisible, mais l’invisible n’est pas le contraire du visible.
2Toute satire participe d’une esthétique propre à son temps. Mais elle comporte aussi des traits invariables [1], de sorte que les différentes actualisations du discours satirique gardent un air de famille de l’Antiquité à nos jours. On ne la considérera pourtant pas comme un genre, car le « contenu » n’est pas nécessairement lié à une « forme » déterminée ; il s’agit d’un registre d’expression [2] qui, susceptible de se couler dans les moules les plus divers, reste néanmoins identifiable. Au Moyen Age, la satire a des affinités plus particulières avec la fable animale et le récit allégorique. Ainsi, le Roman de Fauvel, rédigé sous les derniers Capétiens directs, met en scène un cheval (Fauvel) dont le triomphe à la cour du pape et du roi entraîne la société tout entière dans le malheur. La dénonciation satirique recourt à des procédés d’écriture hérités du Roman de la rose en reconfigurant, par le biais de l’allégorie, l’actualité politique qui a marqué la fin du règne de Philippe le Bel [3] : la critique se couvre du voile de la fiction pour mieux mordre.
3La version interpolée (datable de 1316-1317) du Roman de Fauvel est conservée dans le seul manuscrit 146 du fonds français de la Bibliothèque nationale de France [4]. Le récit, les 78 miniatures et les 130 pièces musicales [5] en font un témoignage exceptionnel de la collaboration réussie entre les arts. Texte et image s’allient pour dénoncer le déclin moral dont souffrent la noblesse, le clergé, voire les petites gens depuis qu’ils ont fait allégeance au cheval. Le prologue, rédigé dès 1310 par Gervais du Bus, notaire de la chancellerie royale, s’ouvre sur dix vers programmatiques :
(A cause de Fauvel, que je vois étriller avec douceur, sans le blesser, j’ai sombré dans la mélancolie, car c’est une bête fort choyée. On le voit souvent représenté en peinture, mais beaucoup ne savent pas s’il faut y voir moquerie, sagesse ou folie. Et voilà pourquoi, sans équivoque, je dirai de cette bête tout ce qui m’en viendra à l’esprit.)De Fauvel que tant voi torchierDoucement, sans lui escorchier,Sui entrés en milencolie,Por ce qu’est beste si polie.Souvent le voient en paintureTiex qui ne seivent se figureEt pour ce, sans amphibolie,Clerement diroi de teil besteCe qui m’en peut chaer en teste [6].
5Le prologue exprime un double malaise. Le narrateur est le témoin accablé du triomphe de Fauvel que Fortune a introduit au palais royal ; en voyant comment chacun étrille le cheval pour obtenir ses faveurs, il sombre dans la mélancolie. Sa tristesse est celle éprouvée par l’homme au moment où il prend conscience du péché, que ce soit le sien propre ou celui des autres. C’est la tristesse dans laquelle Adam, à en croire Hildegarde de Bingen [7], a sombré après la chute ; c’est aussi la tristesse selon Dieu qui, d’après saint Paul [8], conduit au salut par le repentir. La mélancolie n’enferme pas nécessairement l’individu (Adam) dans un état de léthargie et d’amertume, elle peut au contraire contenir en elle le germe d’un changement. Dans le Roman de Fauvel, elle fonctionne à la guise d’un signal et crée, chez le lecteur, une attente où se dessine le rôle que le narrateur est appelé à jouer. Son discours sera le vecteur d’une transformation positive, le texte le lieu d’un renouveau moral.
6Nous n’en sommes pas encore là. Le narrataire reste pour l’instant déconcerté face aux représentations de Fauvel entouré des états qui lui font la cour. La scène est impossible à prendre au pied de la lettre : le cheval est d’emblée perçu comme une figure allégorique, laquelle nie la référence première. Si l’on admet, avec Paul Ricœur [9], que ce mécanisme est à la base de toute œuvre poétique, il faut concéder à l’allégorie une place à part dans le champ littéraire : ne cherchant pas à créer l’illusion référentielle, elle revendique explicitement un double sens [10], demandant à être lue comme une exemplification de la « réalité ». D’entrée de jeu, le lecteur n’a pas le choix : il doit interpréter la transposition allégorique, s’il veut dégager la « veritade ascosa sotto bella menzogna » (Dante [11]) et comprendre de quelle manière le sens caché donne à voir le monde.
7Mais faut-il prendre le cheval pour un instrument de vérité ou y déceler une volonté de dérision ? Comme dans toute satire, le destinataire du Roman de Fauvel est impliqué, et cela dès le prologue. Seulement, le doute paralyse ses facultés interprétatives : au contraire de Dante, pour qui la distinction entre le sens littéral et le sens allégorique ne pose pas de problème, le narrataire – qui n’est pas un clerc ! – est déstabilisé par l’« étrangeté [12] » que confère au texte la relation particulière entre le concret (le figuratif) et l’abstrait (le symbolique). Il oscille entre la crainte d’un amusement à ses dépens et la conviction, dominante au Moyen Age, que l’image sert à instruire et à commémorer. Marqué par la pensée augustinienne, le lecteur impliqué sait que l’image est signe, c’est-à-dire « une chose destinée à en faire venir une autre à la connaissance [13] ». Mais voilà qu’il remarque une incon-gruité dans la représentation, y décelant un élément dont la nature n’est pas précisée par le texte, mais qui de toute évidence contredit la norme [14] et déstabilise le regardeur.
8On le comprend : l’ironie joue, elle aussi, sur le double sens, car le discours explicite y laisse entendre « autre chose » que le message véhiculé par le discours implicite [15]. De Quintilien à Jankélévitch, l’ironie, créatrice d’illusion [16], a volontiers été considérée comme une forme de l’allégorie [17]. Expressions d’une écriture oblique, l’une et l’autre exigent du lecteur qu’il connaisse le code d’accès. Aussi longtemps que le narrataire du Roman de Fauvel reste tiraillé entre la possibilité de l’allégorèse, la crainte de la dérision et la tentation d’une lecture ludique, liée à la folie du carnaval (voir infra), la « painture » se refusera à lui ; il n’en comprendra pas l’« intention [18] », ne saisira pas le message qu’elle transmet.
9L’image, donc, résiste. Le malaise est celui que, d’après Hegel [19], notre culture éprouve plus généralement face aux représentations symboliques. Comme le rappelle le philosophe allemand, les figures des mythologies antiques n’admettent pas qu’on s’en tienne aux apparences. Elles incitent à aller au-delà, jusqu’à ce que se dégage leur signification (Bedeutung) qui, elle, « dépasse les images par sa profondeur et son extension [20] ». Forme de la pensée symbolique médiévale, l’allégorie participe de cette esthétique : elle interpelle le lecteur en le confrontant à un devoir (Aufgabe) qui rend impossible une jouissance immédiate. Le malaise naît de la nécessité de recourir à l’intellect pour comprendre, alors que, souvent, le savoir nécessaire manque pour décoder l’image, décidément bien éloignée de la fonction que lui assignait saint Grégoire [21] qui y voyait un moyen pour instruire les ignorantes. Il y a concurrence des sens possibles : l’image rejoint l’écriture allégorique, telle que la définit Origène [22]. Selon lui, elle fonde une opacité, une indétermination symbolique telle qu’elle provoque, chez le lecteur laïque peu rompu à l’allégorèse, doute et frustration.
10Dans le Roman de Fauvel, le trouble du narrataire fait la force du narrateur. Face à une incompétence généralisée, celui-ci se pose en maître à penser : son commentaire va enfin donner un sens univoque à l’allégorie ! La mélancolie, née des tristes réflexions que suscite en lui le triomphe du cheval, est le premier signe de la supériorité intellectuelle du clerc. L’humeur noire n’entretient-elle pas, selon les Problèmes attribués à Aristote par le Moyen Age, des liens privilégiés avec le génie [23] ? La dysphorie initiale légitime le discours, au fil duquel le narrateur va dévoiler la véritable nature de Fauvel, de cette « beste » – le substantif, fortement péjoratif, ne cesse de revenir – bien plus inquiétante qu’un cheval, si familier à l’homme du Moyen Age. Le clerc est seul à savoir, et sa tristesse en est la preuve. Au sein de la mélancolie, le thymique, garant de sincérité, s’allie au cognitif, sans lequel manquerait le moment de réflexion nécessaire pour que l’indignation puisse prendre forme dans l’écriture. Dénonciation d’un scandale, la satire s’actualise à travers la subjectivité d’un regard critique : le satiriste est un témoin à la fois conscient et consterné, conscient parce que consterné.
11Le discours du narrateur se présente comme le commentaire personnel autorisé d’une « painture ». Le lecteur, qui tient le manuscrit 146 entre les mains, identifiera la « painture » à la miniature qu’il découvre au bas du feuillet [24] où commence la transcription du Roman de Fauvel. On y aperçoit, au premier plan, un cheval et, derrière lui, de droite à gauche, le pape, un cardinal, le roi, un noble enfin, qui sont accompagnés de moines, tandis que deux clercs, à genoux devant Fauvel, lui tendent un présent. Dans les feuillets suivants, quatre miniatures reprennent la scène en variant chaque fois la composition des personnages venus rendre hommage au cheval. Par la répétition dans la variation, la série des illustrations traduit le procédé de l’énumération auquel obéit le texte qui passe en revue les différents états, des plus grands dignitaires laïques et ecclésiastiques aux plus humbles « vilains » (v. 47), de manière à suggérer le triomphe universel de la bête.
12La série résume l’essentiel du premier livre [25]. La scène avec le cheval entouré de gens qui l’étrillent colle admirablement au texte ; des manuscrits plus tardifs en font le sujet de la miniature préliminaire, à laquelle se réduit souvent l’illustration de l’œuvre. Elle s’impose alors comme l’emblème du récit, ainsi dans ce recueil conservé à la bibliothèque municipale de Dijon [26] où le nombre des adulateurs autour de Fauvel est démultiplié : entre pape, cardinaux, rois, évêques et gens de moindre importance, on ne dénombre pas moins de 24 personnages ! Seul un détail scabreux retiendra pourtant notre attention. Deux nonnes sont accroupies sous le cheval : l’une lui frotte la jambe postérieure, l’autre – loin de se limiter à caresser l’animal « entre les cuisses » (v. 159), comme le veut le texte – saisit son sexe à pleines mains. On reste frappé, voire choqué par l’érotisation de l’étalon, inavouable objet du désir chez une femme liée par un vœu de chasteté. En mettant à nu la transgression de l’interdit, la miniature explicite, dans un esprit anticlérical courant au Moyen Age, la violence d’une satire qui n’épargne ni les dignitaires laïques ni les ressortissants de l’Eglise.
13L’image, pourtant, résiste. C’est qu’elle contredit la valorisation habituelle du cheval, animal noble par excellence dans la société médiévale et emblème récurrent sur les sceaux des seigneurs [27]. Le cheval est considéré comme un animal intelligent, féroce au combat, caractéristiques qui font de lui le compagnon idéal du chevalier. Mais il y a aussi le cheval d’Orgueil représenté sur les tympans des églises. A Conques, on voit un chevalier en train de tomber, finalement jeté à terre par une monture qui, mal maîtrisée, ne cesse de trébucher ; c’est le portrait qu’en brosse aussi Huon de Méry dans le Tournoi de l’Antéchrist [28] (1236), œuvre dont s’est en partie inspiré le Roman de Fauvel. Le cheval est alors l’expression de la vaine gloire, de l’attachement immodéré aux biens de ce monde, vices que stigmatise déjà le Deutéronome [29] (XVII, 16), quand il s’en prend au désir des grands de posséder beaucoup de chevaux. Il s’agit, commente Jean de Salisbury au xiie siècle, d’une manifestation d’orgueil, d’un « excès [30] » incompatible, chez le prince, avec le souci du bien commun.
14Toujours dans la Bible, Jérémie s’en prend à l’homme adultère et le compare à un étalon qui « hennit vers la femme de son prochain » (V, 8). L’orgueil et la luxure d’un côté, la noblesse et la fidélité de l’autre ! Comme tout symbole médiéval, le cheval est profondément ambivalent [31]. Tout dépend si on le regarde avec les yeux d’un moraliste ou qu’on porte sur lui, avec le chevalier, un regard d’empathie. Un public aristocratique, fasciné par Tristan et Lancelot, devait rester déconcerté face à la représentation de Fauvel entouré de ses admirateurs. Aussi longtemps que le contexte ne vient pas éclairer le sens attribué au cheval, aussi longtemps que les liens avec les péchés capitaux ne sont pas explicités, le doute reste possible.
15Le détail scabreux du manuscrit de Dijon lève d’emblée toute ambiguïté. En imposant avec force l’idée de la luxure, la miniature préliminaire fonctionne à la guise d’un titre, car elle donne une orientation à la lecture de l’œuvre : l’enjeu est d’ordre moral. Tel n’est pas le cas du manuscrit de Paris. L’illustration y est subordonnée au texte dans la mesure où la même scène n’est représentée qu’après les 34 premiers vers, au moment où commence l’énumération des dignitaires accourus étriller Fauvel. Un va-et-vient entre les miniatures et le texte s’impose, car la senefiance du cheval ne s’éclaircit qu’à partir du moment où le narrateur explique les causes de sa mélancolie. Le pelage de Fauvel, dit-il, est « fauve » (v. 220), de la couleur de la vanité, et son nom, composé de « faus et de vel » (v. 241), c’est-à-dire de faux et de voile, trahit sa véritable nature : sous une apparence séduisante se cache une bête maléfique. C’est ce voile que le satiriste va arracher, poussé par l’espoir de provoquer une prise de conscience salutaire au moins chez ceux qui, dès le départ, ressentent un malaise face à Fauvel et s’en méfient ; quant à ses admirateurs, s’ils persistent dans leur folie, ils finiront par être damnés comme leur maître. Allégorie de la tromperie, Fauvel est à l’origine de l’aveuglement spirituel de ses vassaux. Les lettres de son nom se combinent pour faire de lui une incarnation des vices pratiqués par ses courtisans (v. 247-252) : F signifie flaterie, A avarice, V vilanie, V variété (inconstance), E envie et L, enfin, lâcheté.
16Pour mieux combattre la fascination qu’exerce le cheval, le narrateur pratique une surenchère propre à éveiller les pires craintes. Touche après touche, il charge le portrait de Fauvel. Nouvelle idole, le cheval est le signe du désordre qui sévit dans la société. Le pape, le roi, les nobles et les petites gens inversent la hiérarchie habituelle qui place l’homme au-dessus de l’animal : les Français perdent toute dignité en se soumettant à la bête, car ils bafouent l’ordre instauré par le Créateur, quand ils lui préfèrent une vile créature. Ils répètent la faute des Israélites qui, se détournant de Dieu, avaient dansé autour du veau d’or dans le désert. Servir Fauvel, c’est commettre le péché d’idolâtrie en succombant à la folie du monde.
17Le satiriste va plus loin encore dans la stratégie de la peur. Fauvel n’est-il pas, comme le clame Fortune dans le second livre, « d’Antecrist le courrier » (v. 3109), un messager de l’Apocalypse ? Ce cheval infernal, qui a osé demander la main de Fortune, espérant échapper à l’emprise du temps et régner à jamais, n’est aux yeux de la déesse que « fiens (fumier) et ordure » (v. 2935), un « sac plein de merde » (v. 2960). Fortune, fille de Dieu, est une déléguée du narrateur : par l’insulte, elle démasque Fauvel et poursuit le travail de dévoilement entrepris par le satiriste. Le cheval incarne aussi à ses yeux la bestialité triomphante. Elle dénonce en lui l’agent d’une confusion générale [32], prélude à la fin des temps.
18Mais comment les miniatures peuvent-elles rendre un tel renversement des valeurs, une vision aussi apocalyptique ? Il ne suffit pas, on s’en doute, de montrer un cheval entouré de dignitaires pour que le lecteur saisisse les enjeux de la scène sans recourir au texte. La surcharge satirique, la violence prophétique du discours requièrent un langage pictural plus explicite. L’illustrateur (et / ou le commanditaire ?) du manuscrit 146 l’a bien compris : il ne répète pas la scène initiale au début du second livre (v. 1227sq.), quand il s’agit de montrer l’empereur Fauvel au faîte du pouvoir. Il se trouve alors, précise le texte, dans son palais, entouré des Vices auxquels il annonce sa décision de se rendre à Macrocosme, chez Fortune, afin de l’épouser. A sa droite est assise « Charnalité s’amie » (v. 1390 : la Luxure personnifiée) ; « Orgueil en grant estat » (v. 1570) a pris place à sa gauche. Les liens privilégiés du cheval avec les péchés capitaux et plus particulièrement avec la luxure et l’orgueil [33] – faute déjà de Lucifer ! – sont mis en évidence. Incarnation des vices qui marquent la vie à la cour, Fauvel devient ici une allégorie du Mal au pouvoir qui, méprisant l’intérêt général, fait le malheur du pays. La satire se fait plus précisément anticuriale.
19Placée en tête du second livre, l’illustration au folio 11r illustre de manière saisissante la bestialité triomphante et le renversement des valeurs que représente l’ascension de Fauvel. On y voit [34], de face, un cheval couronné, en majesté sur un trône, les jambes antérieures écartées de manière à toucher, à gauche et à droite, le cadre de la miniature de ses sabots. La représentation, unique dans le manuscrit, pose le problème du décodage d’une scène à intention satirique. Son caractère allégorique ouvre la porte à une lecture plurielle :
- le trône à quatre têtes de lion est le trône, sur lequel siège aussi le roi représenté au folio 9r. Il s’agit du « faudestuel » (v. 1253) qu’on retrouve sur les sceaux royaux depuis Louis VII [35] : la bête en majesté se lit comme une critique de la politique menée par les hommes qui gouvernent la France. Certains y reconnaissent une figure d’usurpateur et pensent que, sous Fauvel, se cache Enguerrand de Marigny, le tout-puissant coadjuteur du royaume, victime de la réaction baronale à la mort de Philippe le Bel. D’autres, plutôt que de s’en tenir à une lecture purement référentielle, y voient une mise en garde contre toute forme de dérive tyrannique. Comme le Policraticus de Jean de Salisbury ou le De regimine principum écrit par Gilles de Rome à la requête de Philippe III le Hardi, le Roman de Fauvel enseignerait aux puissants comment régner dans le respect de la foi et le souci du bien commun. La satire tient du miroir des princes et, en tant que tel, elle viserait plus particulièrement Louis X, puis son frère Philippe V, qui se succédèrent sur le trône dans l’espace de deux ans à peine [36] : une pièce musicale interpolée (Servant regem) n’est-elle pas adressée à Philippe (Ludovice a été gratté), rex regum ?
- au-delà de ces lectures qui, l’une plus, l’autre moins, restent tributaires de l’actualité politique, la position de Fauvel, avec ses jambes antérieures écartées, invite à y voir une parodie du Christ crucifié [37]. Il devient alors une incarnation de l’anti-pouvoir, du Mal absolu ; son règne ne peut qu’annoncer, comme le veut le texte, la fin des temps. Fauvel rejoint la bête de l’Apocalypse (chap. xiii), devant laquelle se prosternent, dans un acte d’idolâtrie, les habitants de la terre égarés par les signes de sa puissance. Placé sous un éclairage métaphysique [38], le cheval au pouvoir participe d’un imaginaire aux relents mythiques. Au-delà des implications référentielles du discours satirique, Fauvel représente une menace plus universelle ; il incarne une crainte souvent suscitée par les moralistes et les prophètes (autoproclamés), ceux dont Nietzsche [39] dénonçait la mauvaise habitude (Unart) de dire combien tout va mal pour imposer aux hommes une dernière, et radicale, cure.
20Mais, au début du second livre, c’est au palais de Fauvel qu’aboutit – provisoirement ! – l’errance d’une humanité pécheresse. Avec sa vaine et « reluisant » (v. 1321) apparence, l’édifice se pare à nos yeux scandalisés des attraits d’une Jérusalem céleste inversée et « decepvable » (v. 1327 : trompeuse). Le trône précieux du cheval couronné est élevé en l’air par Fourberie, Fausseté et Tromperie « aussi com par l’enchant Virgile » (v. 1280). En évoquant Virgile le magicien, le narrateur fait de Fauvel un maître des illusions à l’instar du diable, tentateur des hommes et père du mensonge. L’élévation de l’empereur s’oppose, à distance, à l’apparition de la Vierge sous une tente « qui en l’air pendi » (v. E 898 [41]), quand la mère du Christ descend du ciel pour soutenir les Vertus dans leur combat contre les Vices au service de Fauvel. La magie mondaine cherche, par la force de l’illusion, à rivaliser avec le miracle qui, redonnant force et confiance aux adversaires du cheval, disqualifiera définitivement les prétentions de la bête. Ce cheval trônant en l’air tient du sacrilège et déstabilise le lecteur qui, cherchant à percer le mystère, éprouve une nouvelle fois le malaise évoqué dans le prologue. A ses yeux, l’animal en gloire fait pendant à la vision de saint Jean et plus précisément au moment où le prophète aperçoit un trône resplendissant dans le ciel (Apoc. IV, 2), sur lequel siège le Seigneur. La satire recourt ici à un procédé souvent utilisé par la parodie, celui de la désacralisation, dénonçant ainsi le renversement de l’idéal dont le Mal emprunte l’éclat usurpé. Délégué du diable sur terre, Fauvel fait figure d’antidestinateur.
21La miniature où est représentée la naissance de l’homme fauvelin fixe le moment de la transformation, de la chute d’une humanité séduite par le cheval. A juste titre, Hegel [42] rappelle que la métamorphose est perçue comme une forme de dégradation de l’humain par l’animal, de l’esprit par le corporel. Cas particulier de l’hybridation, la métamorphose rend floue la frontière entre les règnes en mélangeant ce qui devrait rester distinct. L’être hybride est un être contre nature. Avec Horace [43], on peut condamner, au nom de l’esthétique, son absence d’unité et se moquer de l’assemblage d’éléments hétéroclites dont se nourrit le grotesque. Mais si le rire ne vient pas désamorcer la peur, l’hybride se rattache à ces figures monstrueuses dont Bernard de Clairvaux, dans une lettre célèbre [44], demandait qu’elles fussent bannies des cloîtres. Il prend alors les traits de l’Unheimlich, de l’inquiétante étrangeté freudienne, et la métamorphose fait planer une menace sur la supériorité de l’homme au sein de la création. Manifestations d’un monde à l’envers, d’une transgression des lois de la nature, les deux phénomènes sont profondément angoissants. Ils représentent le seuil critique où la différence entre l’animal et l’humain, si essentielle dans notre culture [45], tend à s’effacer.
22Cette inquiétude ontologique, entrevue dans la miniature du Roman de Fauvel, s’impose avec force dans la miniature préliminaire de l’Ovide moralisé de Rouen [46] illustré par le même atelier parisien. Dans huit médaillons, on voit alterner scènes de métamorphose (on reconnaît Arachné), sirènes et centaures. Comme tous les personnages ont un buste humain et un bas-corps animal, rien ne distingue les hybrides de naissance des hommes ou des femmes saisis au moment de leur transformation. A l’exception d’un sagittaire, qui bande son arc, les gestes de douleur et de regret se répètent d’un médaillon à l’autre. Les personnages sont unis dans une seule et même souffrance, celle qu’ils éprouvent au moment où ils sont confrontés à la perte de leur humanité. L’illustration retient un trait récurrent des fables ovidiennes [47], dans lesquelles le refus et la crainte face à l’incompréhensible reviennent sans cesse. Les victimes sont conscientes au moment de la métamorphose : n’est-ce pas la tête, siège de la raison, attribut par excellence de l’homme, qui résiste le plus longtemps, de sorte que le sujet est contraint d’assister, impuissant et terrifié, aux progrès de sa transformation en animal ? Pour le Moyen Age chrétien (et surtout augustinien), la métamorphose n’affecte d’ailleurs que l’aspect extérieur, car personne, sinon Dieu, ne peut transformer l’essence même d’un être : jamais l’homme métamorphosé ne perd la conscience ni de sa faute ni de son abjection.
23Seule l’hybridation pouvait traduire dans le langage pictural la dégradation monstrueuse que Fauvel impose à ses sectateurs, dénoncer leur perversion morale et, en fin de compte, susciter un malaise salutaire chez le spectateur. Le malaise s’amplifie au fil des feuillets, car Fauvel lui-même est la plupart du temps représenté sous les traits d’un être hybride : dans dix-sept miniatures, il emprunte l’apparence d’un centaure, dans onze celle d’un homme à tête de cheval. Les unes et les autres donnent à voir la vraie nature, profondément inquiétante, du nouvel empereur, mais les deux types d’hybride ne s’identifient pas pour autant. Ils placent Fauvel sous un éclairage changeant, tributaire de la situation dans laquelle il se trouve à un moment donné du récit.
24Fauvel a les traits d’un centaure presque exclusivement quand il fait la cour à Fortune, la toute-puissante fille de Dieu. Or, les centaures, que le Roman d’Alexandre [48] énumère parmi les bêtes fantastiques de l’Inde, les reléguant aux confins du monde, sont traditionnellement associés aux côtés sauvages de la nature humaine [49]. Ils se laissent notamment aller à la violence, l’ivresse et la luxure comme à l’occasion des noces de Pirithoos (Métam. XII, 210 sq.) dont ils tentèrent d’enlever la fiancée. Nous trouvons chez eux des traits qu’ils partagent avec le cheval, une parenté que suggère aussi la miniature bipartite de l’Ovide moralisé de Rouen, placée en tête de « la fable » (v. 2953) où sont racontées les amours de Saturne et de Philire [50]. On voit, à gauche, un cheval couronné qui, dressé sur ses jambes postérieures, danse avec une jeune femme ; à droite, un centaure joue de la harpe. Seulement après avoir lu le récit, on comprend que la miniature représente d’un côté le moment de la séduction, de l’autre Chiron, fruit de l’union entre le dieu et la mortelle. Selon la glose, la « forme chevaline » (v. 3083), choisie par Saturne pour approcher l’objet de son désir, trahit sa nature bestiale et luxurieuse. Chiron en a hérité, mais il réussit, grâce à sa « clergie » (v. 3097 : son savoir), à maîtriser ses pulsions. En plaçant la harpe, instrument du roi David, auteur des psaumes, entre les mains d’un être hybride, la miniature traduit l’affrontement du bien et du mal dont le sage centaure est le siège. Chiron devient l’image de la double nature, spirituelle et charnelle, de l’homme.
25Tout au long de l’Ovide moralisé, des miniatures sont placées en tête des fables. Par leur fonction d’annonce, elles invitent le lecteur à un constant va-et-vient entre l’illustration et le texte. Le regard peut néanmoins s’arrêter sur la seule miniature sans aller immédiatement chercher un complément d’information dans le récit. A première vue, la représentation de Chiron se lit comme une variante de l’âne à la lyre, motif récurrent dans la sculpture et l’iconographie médiévales, à travers lequel est dénoncée la tentation diabolique [51]. L’instrument divin placé entre les mains du centaure fait de lui l’allégorie d’une musique mondaine et lascive qui – parodie de l’harmonie céleste – incite à la luxure le couple qui danse.
26La miniature de l’Ovide moralisé est, elle aussi, marquée du sceau d’une ambiguïté propre à susciter un malaise, aussi éphémère soit-il. Chiron paraît tout à coup plus proche de Fauvel, surtout quand celui-ci adopte la pose de l’amant martyr pour séduire Fortune. Comme la harpe du centaure, la rhétorique courtoise sert au cheval à flatter son interlocutrice, à lui faire miroiter un conformisme idéologique auquel une dame noble se doit d’être sensible. Fauvel cherche ainsi à détourner l’attention de Fortune, soucieux de lui cacher qu’elle est, pour lui, seulement un instrument dans sa quête du pouvoir. Les miniatures traduisent l’attitude mensongère de Fauvel en lui conférant un buste humain et le drapant dans des habits qui dérobent, du moins aux yeux de Fortune, son arrière-train de cheval. La fille de Dieu ne se laisse pourtant pas prendre à la double mascarade d’humanité et de fine amor. Loin de jouer le rôle de la dame courtoise, elle remet sèchement à sa place un soupirant dont elle connaît la « mauvaise nature » (v. 2936) : par les insultes qu’elle lui adresse, elle se met au diapason de la bête infernale.
27Fauvel apparaît sous les traits d’un centaure, quand il se trouve en position d’infériorité, quand il est, selon le texte, contraint de flatter pour séduire. Il procède masqué et le choix du centaure dans l’illustration exprime l’ambiguïté d’un être où l’humain semble dominer l’animal, mais qui reste hybride et, par conséquent, suscite l’inquiétude. L’inquiétante étrangeté de Fauvel s’accroît encore quand il est en position de force, face à des gens qui lui sont dévoués corps et âme, car il ne cache plus alors son animalité. Voici l’empereur s’adressant à ses courtisans, les Vices personnifiés : la miniature (fol. 15vo) représente un homme à tête de cheval. En s’en prenant au siège de la raison, l’illustrateur exprime jusqu’où va l’emprise de la bête sur l’homme, de la bête dans l’homme ; il rejoint la pensée de saint Augustin qui, dans la Cité de Dieu (livre XVI), juge que les cynocéphales sont à ranger parmi les bêtes plutôt que parmi les hommes. La hiérarchie habituelle de l’esprit sur le corps est inversée dans les deux cas et, par le mode de représentation choisi, la miniature fait de l’hybride l’allégorie du désordre régnant. La tête animale sur un corps humain est le signe du renversement des valeurs que, par son triomphe, Fauvel impose à la société.
28La bestialité de Fauvel à tête de cheval fascine les courtisans, car ils sont à son image comme l’homme est à l’image de Dieu (Gen. I, 26) ; par contre, elle provoque chez le lecteur une réaction de rejet. Les miniatures font ressortir le paradoxe inhérent à la satire où l’admiration, au niveau diégétique, appelle, dans une tension plus ou moins marquée, mais toujours présente, le dégoût au niveau extradiégétique. Le narrateur doit célébrer la beauté du diable, en montrer le pouvoir de séduction, afin de les dénoncer. Dans le second livre, la tension entre attirance et rejet se répercute au sein de la diégèse : Fortune, qui tourne en dérision Fauvel et annonce sa chute prochaine, puis les Vertus venues combattre les Vices à la cour du cheval, démasquent, par leur intervention, l’éclat usurpé d’un empereur au pouvoir illégitime. De leur côté, les participants au charivari se substituent au narrateur, quand ils interviennent, dénonçant le mariage de Fauvel avec Vaine Gloire : le combat entre le Bien et le Mal devient l’enjeu même du récit.
29Lors de la nuit des noces, Fauvel impose sa bestialité à Vaine Gloire. La célèbre miniature du folio 34r, souvent reproduite, le montre au moment où il rejoint son épouse au lit. Dans un tel contexte, la tête animale sur un corps humain confirme le lien privilégié entre la luxure et le cheval. Dominé par ses pulsions, assoiffé de plaisir, Fauvel « saut eu lit pour gesir a li » (v. E 681), pour coucher avec son épouse. Un terrible charivari éclate alors dans les rues, que la miniature à trois étages donne à voir dans les deux compartiments inférieurs : des gens masqués et déguisés hurlent, ils chantent la « chançon au deable » (v. E 744), frappent sur des tambours ou des ustensiles de cuisine dont la plupart ont de fortes connotations érotiques [52]. Par le bruit, par des gestes violents et désordonnés, parfois franchement indécents – remarquons cet homme qui dénude son postérieur ! –, les participants au charivari protestent contre un mariage qui scelle le scandale régnant : l’union de Fauvel et de Vaine Gloire confirme à leurs yeux l’emprise des Vices sur la ville de Paris et le royaume de France.
30Dans le Roman de Fauvel, le monde à l’envers du carnaval, habituellement relégué dans les marges des manuscrits gothiques, se retrouve au centre de la page et de l’attention [53]. Le cortège représenté en dessous de la scène du coucher est observé depuis les côtés par des nobles consternés. Les participants au charivari tendent non seulement à Fauvel un miroir de sa bestialité, ils dévoilent publiquement sa nature de monstre et son origine infernale. Leurs masques animaux, leur allure d’hommes sauvages ou de revenants, tout concourt à mimer la transgression des lois divines et naturelles par le cheval. La protestation de la rue rejoint les injures de Fortune : la critique d’en haut (celle venue de Macrocosme) et la critique d’en bas se font écho, la vox Dei et la vox populi s’alliant pour dénoncer l’indignité de la bête qui s’est installée au palais de la Cité.
31La satire donne à la bestialité triomphante un sens politique que personne ne songerait à nier. A l’époque des derniers Capétiens directs, le Roman de Fauvel a certainement été lu en clé référentielle, à la lumière des événements de 1314 et 1315, le scandale de la tour de Nesle, provoqué par l’inconduite des brus de Philippe le Bel, la mort du roi et la chute d’Enguerrand de Marigny, puis le remariage précipité de Louis X avec Clémence de Hongrie. On a pourtant continué à transcrire le roman, du moins dans sa version brève (sans les interpolations du manuscrit 146), aux xive et xve siècles. A n’importe quel moment de crise, la dénonciation du pouvoir était susceptible de retrouver sa légitimité et son actualité : n’est-ce pas que la dérive animale guette l’homme à tout instant ?
32Par le recours à l’allégorie, le Roman de Fauvel tend au général, de sorte que, transcendant l’actualité qui l’a vu naître, il jouit d’un ancrage référentiel variable, selon un mécanisme habituel à l’écriture satirique [54]. Virtuellement, le transcodage de la réalité historique assure la lisibilité de l’œuvre pour des décennies, voire des siècles. La critique résiste à l’érosion des modes littéraires au moins aussi longtemps que les structures sociales ne subissent pas de changements profonds qui rendraient obsolètes les attaques dirigées contre le roi ou le pape. Elle peut même leur survivre, car la corruption du pouvoir – la corruption aussi par le pouvoir – a de tout temps fait l’objet de critiques virulentes. La flatterie, l’avarice, la variété (inconstance), la vilanie (indignité), l’envie et la lâcheté, souvent cachées sous d’autres noms, sont des défauts (la notion de péché a un parfum quelque peu désuet) encore aujourd’hui mal vus [55], car même « l’esprit du capitalisme [56] » n’admet pas l’absence totale de scrupules ou de morale. On en charge volontiers l’adversaire politique, les utilisant pour dénoncer l’arrogance ou la faiblesse du pouvoir. Péchés ou défauts se prêtent à la fonction que Jean-Paul Sartre assigne à la littérature « engagée », celle « de reprocher [aux bourgeois] leurs fautes quand elles sont devenues des malédictions [57] ».
33En donnant à Fauvel les traits d’un cheval et, surtout, d’un être hybride, les illustrations du manuscrit 146 contribuent à ne pas réduire le roman à une dénonciation du gouvernement à l’époque de Philippe IV le Bel et de ses fils. Elles en font un manifeste contre tout abus de pouvoir, contre n’importe quel gouvernement qui négligerait le bien commun. L’artiste réussit même à exprimer une crainte apocalyptique qui continue à hanter la société occidentale. Le succès de Star Wars, série culte créée par George Lucas dans les années 1970, actuellement rééditée dans une version revue, n’en offre-t-elle pas une preuve récente ? On y retrouve la vision (étonnamment « fauvelienne » !) d’une société confrontée à la montée des forces du Mal, à leur volonté de domination, inquiète aussi face à la part de nuit qui sommeille en chaque homme. La dimension interplanétaire et les effets spéciaux ont beau nous projeter dans un avenir lointain, ils ne touchent pas fondamentalement aux enjeux idéologiques qui, plongeant leurs racines dans la nuit de l’histoire, s’inscrivent dans la longue durée. Mais, à la différence de la satire médiévale, le film, escamotant l’effet référentiel, ne cherche à provoquer ni prise de conscience salutaire ni changement d’ordre moral parmi les spectateurs. Il est difficile d’y voir une œuvre engagée, du moment que le public, jamais pris à partie, n’est pas directement impliqué et peut jouir du spectacle sans avoir pour autant mauvaise conscience.
34Une inquiétude profonde traverse les miniatures du manuscrit 146. Elles proposent une première lecture, une première interprétation du texte. Elles sont, du point de vue de leur fonction, comparables à la représentation du charivari qui sert de glose à l’union entre Fauvel et Vaine Gloire. Mais alors que les participants au charivari, masqués et déguisés, miment la bête pour dénoncer son mariage, reproduisant les traits du monstre, les miniatures ne s’en tiennent pas à la lettre du texte. En introduisant un être hybride, dont il n’est jamais question dans le roman, elles ne le trahissent pourtant pas : fidèle au caractère allégorique du récit, le discours pictural rend visible la violence prophétique de la satire. Il en reflète l’esprit.
35La miniature facilite l’accès au récit, car elle en offre une « traduction [58] », laquelle présuppose que l’artiste (et / ou le commanditaire) a lu et, surtout, a compris les enjeux de l’allégorie. Le glissement du cheval, tel que le représentent les premières illustrations, à l’être hybride que Fauvel est par la suite se lit comme un dévoilement de la bestialité triomphante. Les miniatures réalisent ainsi le projet formulé par le narrateur dès le prologue, celui d’expliquer ce que signifie Fauvel, si souvent représenté en « painture ». Comme le discours du satiriste, le programme iconographique dénonce le paraître, l’éclat trompeur du séducteur, en révélant la nature funeste de la bête. Texte et image se font écho, se combinant pour manifester la vérité. Loin d’être « hérétique », comme l’est tout engagement politique aux yeux de Bourdieu [59], la satire médiévale vise à rétablir la doxa originaire. Elle est en rupture seulement avec l’ordre régnant, perçu comme une aberration momentanée, un désordre par lequel les lois divines sont bafouées. Conservatrice, la satire combat l’hérésie, et elle proteste en se raccrochant aux valeurs fixées de toute éternité, les seules à être vraies : contre le pouvoir en place, elle fait sienne la force subversive de la Bible.
36Les Grecs concevaient la vérité comme un dévoilement [60]. Telle est la vocation première de la satire, quelle que soit la vérité défendue : de l’Antiquité à nos jours, elle a été et reste une arracheuse de masques. Le Roman de Fauvel ne fait pas exception. Lui aussi déchire le faux voile de l’être double, du cheval diabolique en jouant sur la dialectique des contraires. A l’illusion séductrice et dangereuse qui, comme l’ironie, perturbe et déstabilise, la satire allégorique répond en rétablissant la fiabilité des signes.
Notes
- [1]
-
[2]
Nous empruntons le terme à Paul Zumthor (Essai de poétique médiévale, Paris, éd. du Seuil, 1972, p. 240) : il y voit un « complexe de motivations, de probabilités lexicales, rhétoriques, syntaxiques même ».
-
[3]
Sur les multiples aspects du Roman de Fauvel, on consultera avec profit les Actes du colloque de Paris, publiés par Margaret Bent et Andrew Wathey (Fauvel Studies. Allegory, Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS Français 146, Oxford, Clarendon Press, 1998).
-
[4]
On l’admirera dans le fac-similé publié par les soins d’Edward Roesner, François Avril et Nancy Regalado, Le Roman de Fauvel in the Edition of Mesire Chaillou de Pesstain : A Reproduction in Facsimile of the Complete Manuscript, Paris, Bibliothèque Nationale, Fonds Français 146, New York, Broude Bros, 1990.
-
[5]
Si l’on adopte la numérotation proposée par Emilie Dahnk, L’Hérésie de Fauvel, Leipzig et Paris, Romanisches Seminar et E. Droz, 1935.
-
[6]
Nous citons d’après Gervais du Bus et Chaillou de Pestain, Roman de Fauvel, éd. par Arthur Långfors et trad. (en italien) par Margherita Lecco, Milano, Luni, 1998.
-
[7]
Voir Raymond Klibansky, Erwin Panofsky et Fritz Saxl, Saturn and Melancholy. Studies in the History of Natural Philosophy, Religion and Art, Londres, Nelson, 1964, p. 78-80.
-
[8]
II Cor. VII, p. 8-11. Voir Carla Casagrande et Silvana Vecchio, Histoire des péchés capitaux au Moyen Age, trad. par Jérôme Baschet, Paris, Aubier, 2003, p. 138.
-
[9]
Paul Ricœur, La Métaphore vive, Paris, éd. du Seuil, 1975, septième étude : « Métaphore et référence ».
-
[10]
Voir Armand Strubel, « Grant senefiance a » : allégorie et littérature au Moyen Age, Paris, Champion, 2002, p. 96-97.
-
[11]
Il Convivio, II, 1 : la « vérité cachée sous un beau mensonge ».
-
[12]
Voir Armand Strubel, op. cit., p. 37-39 et 41.
-
[13]
Jean Wirth, « Structure et fonctions de l’image chez saint Thomas d’Aquin », in L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, Paris, Le Léopard d’Or, 1996, p. 39.
-
[14]
Sur la notion de norme, voir Jérôme Baschet, « Introduction : l’image-objet », in L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, op. cit.
-
[15]
Philippe Hamon, L’Ironie littéraire. Essai sur les formes de l’écriture oblique, Paris, Hachette, p. 28.
-
[16]
Instit. Orat., VIII, 6.54 : ironia est (inlusionem vocant).
-
[17]
Vladimir Jankélévitch, L’Ironie, Paris, Flammarion, « Champs », 1979, p. 42. Armand Strubel, La Rose, Renart et le Graal. La littérature allégorique en France au xiiie siècle, Genève-Paris, Slatkine, 1989, p. 222, lui emboîte le pas, quand il associe ironie et satire allégorique pour définir la fonction attribuée à Faux Semblant (personnification de l’hypocrisie religieuse) dans le Roman de la Rose.
-
[18]
Le terme est de Jérôme Baschet, art. cité, p. 17-18.
-
[19]
Ästhetik I / II, éd. par Rüdiger Bubner, Stuttgart, Reclam, 1971, p. 429-434 (« Die Zwei-felhaftigkeit des Symbolischen in Mythologie und Kunst »).
-
[20]
La formule est de Giorgio Agamben, Stanze. Parole et fantasme dans la culture occidentale, trad. par Yves Hersant, Paris, Rivages Poche, « Petite Bibliothèque », 1998, p. 226.
-
[21]
Voir Michael Camille, « The Gregorian Definition Revisited : Writing in the Middle Ages », in L’Image. Fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, op. cit., p. 89-130.
-
[22]
Voir Antoine Compagnon, La Seconde Main ou le travail de la citation, Paris, éd. du Seuil, 1979, p. 172-174.
-
[23]
Il s’agit du Problème XXX, 1 : voir L’Homme de génie et la Mélancolie, éd. et trad. par Jackie Pigeaud, Paris, Rivages Poches, « Petite Bibliothèque », 1988.
- [24]
-
[25]
Le passage du texte à l’image relève du « résumé », forme de « contraction » que décrit Christiane Raynaud, Le Commentaire de document figuré en histoire médiévale, Paris, Armand Colin, 1997, p. 122-123.
-
[26]
La miniature est reproduite parmi les planches de notre Fauvel au pouvoir : lire la satire médiévale, Paris, Champion, 1994 : il s’agit du ms. 525, fol. 158bis. Pour les autres manuscrits, voir : BnF, fonds fr. 580, fol. 123r, et BnF, fonds fr. 2195, fol. 148r.
-
[27]
Brigitte Prévot et Bernard Ribémont, Le Cheval en France au Moyen Age, Orléans, Paradigme, 1994, p. 207sq., parlent d’un « animal identificateur ».
-
[28]
Le Tournoi de l’Antéchrist, éd. par Georg Wimmer, trad. par Stéphanie Orgeur, Orléans, Paradigme, 1994, v. 642-643 : « Li destriers Orgeil si sovent / Choupoit, [heurtait, butait] que ce n’estoit pas fins. »
-
[29]
Sur ces versets, dont s’inspirent les miroirs des princes, voir Jacques Le Goff, Saint Louis, Paris, Gallimard, 1996, p. 402-404.
-
[30]
Le Policraticus de Jean de Salisbury traduit par Denis Foulechat (1372), livre IV, éd. par Charles Brucker, Presses Universitaires de Nancy, 1985, p. 26.
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[31]
Voir Michel Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Paris, éd. du Seuil, 2004, p. 23-25.
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[32]
Sur le mouvement d’inversion et de dégradation, voir Margherita Lecco, Ricerche sul « Roman de Fauvel », Alessandria, Edizioni dell’Orso, 1993, p. 24-31, qui commente aussi le terme, fréquent dans la satire médiévale, de « bestorner » (renverser, mettre à l’envers).
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[33]
Une prose (pièce musicale) accompagne le passage, chantant le triomphe de Carnalitas et Luxuria dans le palais de Fauvel : voir Alice V. Clark, « The Flowering of Charnalité and the Marriage of Fauvel », in Fauvel Studies, op. cit., p. 175-186.
-
[34]
La miniature est reproduite en tête de notre Fauvel au pouvoir, op. cit.
-
[35]
Voir Martin Kaufmann, « Satire, Pictorial Genre, and the Illustrations in BN fr. 146 », in Fauvel Studies, op. cit., p. 287-299 (« Fauvel enthroned »).
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[36]
Deux articles, l’un d’Elizabeth A. R. Brown, l’autre d’Emma Dillon, abordent la question dans les Fauvel Studies, op. cit., plus particulièrement p. 58-60 et 219-220.
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[37]
Voir Martin Kauffmann, art. cité, p. 295-299.
-
[38]
C’est une des caractéristiques retenues par Philippe Sellier, « Qu’est-ce qu’un mythe littéraire ? », Littérature, n° 55 (1984 : La Farcissure. Intertextualités au xvie siècle), p. 124-126.
-
[39]
Die fröhliche Wissenschaft, Stuttgart, Reclam, 2000, p. 214 (livre IV, chap. 326).
-
[40]
Voir Michael Camille, « Hybridity, Monstrosity, and Bestiality in the Roman de Fauvel », in Fauvel Studies, op. cit., p. 163-164.
-
[41]
Les vers précédés d’un E font partie de la grande interpolation publiée en appendice dans l’édition utilisée : le vers E 898 se trouve à la p. 308.
-
[42]
Ästhetik I / II, op. cit., p. 476.
-
[43]
Ars poetica, v. 1-5 ; voir Reto Sorg, « Das Groteske – “Auf halbem Weg zum Tier” », Colloquium Helveticum, n° 35, 2004 (Das Groteske, Le Grotesque, The Grotesque), p. 19-25.
-
[44]
Voir Jean-Claude Schmitt, Le Corps des images. Essai sur la culture visuelle au Moyen Age, Paris, Gallimard, 2002, p. 152.
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[45]
Voir Giorgio Agamben, L’Ouvert. De l’homme et de l’animal, trad. par Joël Gayraud, Paris, Rivages, 2002, p. 37-47, dans lesquelles il aborde la question des hybrides.
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[46]
Bibliothèque municipale de Rouen, ms. 1044 (04), fol. 16r : la miniature est reproduite en appendice à notre Fauvel au pouvoir, op. cit. Il s’agit d’une traduction glosée des Métamorphoses d’Ovide.
-
[47]
Voir Marylène Possamaï-Perez, « Métamorphose et merveille. Contribution à l’étude du fantastique dans la littérature médiévale », in « Furent les merveilles pruvees et les aventures truvees ». Hommage à Francis Dubost, éd. par Francis Gingras, Françoise Laurent, Frédérique Le Nan et Jean-René Valette, Paris, Champion, 2005, p. 525-552.
-
[48]
Thomas de Kent, Le Roman d’Alexandre ou le Roman de toute chevalerie, éd. par Brian Forster et Ian Short, trad. par Catherine Gaullier-Bougassas et Laurence Harf-Lancner, Paris, Champion Classiques, 2003, v. 5688-5693.
-
[49]
Voir Georges Dumézil, Le Problème des centaures, Paris, Paul Geuthner, 1929, chap. IV ; Francis Dubost, Aspects fantastiques de la littérature narrative médiévale : l’Autre, l’Ailleurs, l’Autrefois, Paris, Champion, 1991, t. I, p. 526-530. On se référera aussi à Stefania Cerrito, « De l’Antiquité au Moyen Age : le Sagittaire dans les textes et les enluminures du Roman de Troie et sa mouvance », in Textes et cultures : réception, modèles, interférences, éd. par Pierre Nobel, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2004, t. I (Réception de l’Antiquité), p. 239-260, qui examine certains manuscrits illustrés par le Maître du Roman de Fauvel.
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[50]
Ovide moralisé, poème du commencement du quatorzième siècle, éd. par Cornelius de Boer, Wiesbaden, M. Sändig, 1966, livre II, v. 2949ss ; Bibliothèque municipale de Rouen, ms. 1044 (04), fol. 59vo.
-
[51]
Voir François Garnier, L’Ane à la lyre. Sottisier d’iconographie médiévale, Paris, Le Léopard d’Or, 1988, p. 17-26.
-
[52]
Voir Henri Rey-Flaud, Le Charivari. Les rituels fondamentaux de la sexualité, Paris, Payot, 1985, p. 104-112.
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[53]
Voir Michael Camille, Images dans les marges. Aux limites de l’art médiéval, trad. par Béatrice et Jean-Claude Bonne, Paris, Gallimard, 1997, p. 196-201 (avec reproduction de la miniature du fol. 36vo, à trois étages, où est représentée la fin du charivari).
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[54]
Voir Klaus Schwind, Satire in funktionalen Kontexten, op. cit., p. 56-62.
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[55]
En 1914, puis en 1930, Alain (Propos sur les pouvoirs, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2003, p. 167-168 et 170-172) s’en prend aux âmes basses, flatteurs et ambitieux, dont s’entourent les tyrans.
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[56]
L’expression est évidemment empruntée à Max Weber, L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Pocket, « Agora », 1994. Voir surtout les p. 58-70 et 92-93.
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[57]
Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, « Idées », 1972, p. 302.
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[58]
Le terme est de Christiane Raynaud, Le Commentaire de document figuré en l’histoire médiévale, op. cit., p. 116.
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[59]
Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 149-161.
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[60]
Voir Giorgio Agamben, Stanze, op. cit., p. 226-227.