Notes
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[1]
F.-J. Grover, Six Entretiens avec André Malraux sur des écrivains de son temps (1959-1975), Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 121.
-
[2]
Certains artistes ne refusent pas ou plus le medium photographique comme voie d’accès à l’art : « Puisque nous connaissons les œuvres par des reproductions, nos œuvres devraient être faites uniquement pour la reproduction. Plus d’art sans intermédiaire », va jusqu’à dire John Baldessari (en 1969), cité par Anne Moeglin-Delcroix, dans Esthétique du livre d’artiste (1960-1980), Paris, jeanmichelplace, BNF, 1997, p. 33.
-
[3]
Aragon, Henri Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971, p. 1-2.
-
[4]
Malraux, cité par Jean-François Lyotard, in Signé Malraux, Paris, Grasset, 1996, p. 332.
-
[5]
Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, coll. « Idées/arts », 1965, p. 84. Tous les renvois seront faits à cette édition. Le texte a été réédité récemment dans la collection « Folio essais », Paris, Gallimard, 2003.
-
[6]
Ecrits sur l’art II, in Œuvres complètes, vol. V, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 2004, p. 365.
-
[7]
Voir l’effort parfois entrepris dans les introductions, notes et notices de l’édition des Ecrits sur l’art (I et II) de Malraux dans la collection de « la Pléiade », vol. IV et V des Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 2004. Cette nouvelle édition a suscité un colloque intitulé « Les écrits sur l’art d’André Malraux : une écriture pour notre temps ? » (Paris-III, 4 décembre 2004), où le cadre limité d’une communication (sous le titre « Le chant de la métamorphose ») ne permettait d’exposer qu’une partie des propositions de lecture du Musée Imaginaire ici avancées. Je remercie les organisateurs d’autoriser la publication de leur version complète.
-
[8]
Voir les ouvrages de Jean-Pierre Zarader, Malraux ou la Pensée de l’art, Paris, Vinci, 1996 (repris par Ellipses, 1999), et Le Vocabulaire de Malraux, Paris, Ellipses, coll. « Vocabulaire de », 2001.
-
[9]
Voir Dominique Vaugeois, « La voie royale de la fiction : Le Musée Imaginaire d’André Malraux », in André Malraux. D’un siècle l’autre, Colloque de Cerisy (2001) (éd. J. Lecarme et J.-Cl. Larrat), Paris, Gallimard, 2002, p. 129-141.
-
[10]
M. Blanchot, « Le Musée, l’Art et le Temps », in L’Amitié, Paris, Gallimard, 1971, p. 22. L’intention n’est pas ici essentiellement de rendre compte des « idées » de Malraux : « Ce ne sont pas tout à fait des idées », comme le dit fort bien Blanchot, et il n’est pas sûr que leur valeur de vérité ou leur efficacité se mesurent à leur mise en ordre de marche discursive dans un travail de reconstitution et d’explicitation critiques.
- [11]
-
[12]
L’Amitié, op. cit., p. 21.
-
[13]
Au moins sur la ligne qui conduit de la première édition du Musée Imaginaire (1947) (il appartenait alors à La Psychologie de l’art) au projet des Grandes Voix (auquel Malraux travaille jusqu’en 1973, date à laquelle il l’abandonne), en passant par Les Voix du silence (1951) et Le Musée Imaginaire de 1965. La genèse et la composition de La Métamorphose des dieux posent pour leur part des problèmes spécifiques dont il n’est pas possible de traiter ici.
-
[14]
Préface (inédite) aux Grandes Voix, Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 961. Notons que cette formule est récurrente, comme le montre notamment la préface de L’Irréel : « J’avais écrit des Voix du silence ce que je pourrais écrire de ce livre : ce n’est pas plus une histoire de l’art que La Condition humaine n’est un reportage sur la Chine » (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 365).
-
[15]
Après avoir souligné que La Psychologie de l’art (c’est ainsi qu’il propose de nommer l’ensemble des livres sur l’art de Malraux) est « une sorte d’ontologie mais non philosophique », J.-F. Lyotard cite et commente cette même phrase : « C’est le projet d’une métaphysique, aucun doute. Mais si l’on ajoute “… lorsqu’elle surgit de la première civilisation consciente d’ignorer la signification de l’homme”, alors il est fatal que le projet avorte, puisque nulle spéculation n’échappera à l’évidence du sans-réponse dont s’éclaire et se plaint la condition moderne » (in Signé Malraux, op. cit., p. 347).
-
[16]
Préface de L’Irréel, op. cit., p. 365-366.
-
[17]
« L’imagination est un domaine de rêves, l’imaginaire, un domaine de formes », L’Homme précaire et la Littérature, Paris, Gallimard, 1977, p. 179.
-
[18]
Rappelons l’écart qu’ouvre Malraux : « Le génie du romancier est dans la part du roman qui ne peut être ramenée au récit », ou, plus loin : « La création romanesque naît de l’intervalle [qui] sépar[e] le roman de l’histoire qu’il raconte » (ibid., p. 142 et 180).
-
[19]
A propos de ce que signifie pour Malraux l’ordre du discours, on citera un passage de L’Intemporel : « De même que les mots sont ordonnés par Rimbaud et par Mallarmé, par Nerval et par Baudelaire, par tous leurs prédécesseurs lorsqu’ils échappent au discours, pour une fin commune qui est le poème, les taches de Watteau et de Goya sont ordonnées par une volonté commune, pour une fin commune dont l’harmonie ne fournit qu’un moyen, et qu’il serait dérisoire de confondre avec le plaisir de l’œil » (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 794). C’est nous qui soulignons.
-
[20]
Selon Jean-Yves Tadié, « l’activité de Malraux romancier n’a été qu’une série d’entractes dans une existence dévolue à l’art » (Introduction aux Ecrits sur l’art I, op. cit., p. xxxi).
-
[21]
Pour reprendre les termes de Claude Prévost, qui oppose les Antimémoires en particulier, son œuvre « monodique » en général, aux « grands livres de notre temps [qui] relèvent de la polyphonie » : « Ce poète métaphysicien est tout entier un écrivain de la représentation : il traduit en langage épique et mystique une expérience qui préexiste à l’acte d’écrire. Son écriture est un langage second et, de plus en plus, un pur ornement » (« Les Antimémoires ou le dialogue avec l’invisible », La Nouvelle Critique, no 20 – nouvelle série –, janvier 1969, p. 48).
-
[22]
Qui n’est pas reprise telle quelle dans la collection de « la Pléiade ».
-
[23]
Pour une relecture de ces deux romans et des compléments aux références qui y seront faites dans le cours de ce développement, on se permettra de renvoyer à notre étude : Répétitions et Variations chez Malraux, Paris, Champion, 2004.
-
[24]
Roger Stéphane, Entretiens et Précisions, Paris, Gallimard, 1984, p. 21.
-
[25]
Termes que nous empruntons à la métaphore tout à la fois picturale et musicale de Blanchot. Dans le souci de rendre compte des gestes de composition de l’écrit sur l’art, ils nous semblent plus adéquats que l’idée selon laquelle « Malraux ne raconte pas seulement des faits, ce qu’il raconte, surtout, ce sont des concepts » (D. Vaugeois, loc. cit., p. 135). Cette dernière a certes le mérite de faire porter un certain accent sur ce qu’on a appelé des « effets de fiction » dans un « domaine » (mot que Malraux emploie lorsqu’il entend éviter d’enfermer un écrit dans les frontières d’un genre) qu’on tend à assimiler au genre de l’essai (défini au départ par J.-F. Louette et P. Glaudes comme « prose non fictionnelle à visée argumentative » – L’Essai, Paris, Hachette, 1999, p. 7). Mais cette formule d’une narration de concepts, avec le vocabulaire et les instruments d’étude qu’elle mobilise, tend en même temps à occulter la manière dont l’écrivain d’art hérite des schèmes et stratégies narratives de « l’imaginaire du roman ».
-
[26]
Dans La Fabrique du continu (Essai sur la prose), Seyssel, Champ Vallon, 1999.
-
[27]
M. Collomb, Introduction à Voix et Création au xxe siècle, Actes du colloque de Montpellier (janvier 1995), Paris, Champion, 1997, p. 25.
-
[28]
T. Adorno, in L’Essai comme forme, Paris, Flammarion, 1984 (cité par J.-F. Louette et P. Glaudes dans L’Essai, op. cit., p. 7).
-
[29]
P. Valéry, « Histoire d’Amphion », Pièces sur l’art, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1934, p. 75.
-
[30]
Sur l’histoire du Salon, de la Galerie, du Musée, voir notamment les pages d’introduction de Jean-Pierre Guillerm, dans Tombeau de Léonard de Vinci, Presses universitaires de Lille, 1981, p. 7-16.
-
[31]
Les Voix du silence, in Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 266.
-
[32]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 13.
-
[33]
Ibid., p. 231.
-
[34]
L’Homme précaire et la Littérature, op. cit., p. 321.
-
[35]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 84.
-
[36]
Rappelons avec Michael Riffaterre qu’« énoncé pour l’historien, et le critique d’art, l’ekphrasis reste énonciation pour l’écrivain » (« L’illusion de l’ekphrasis », in La Pensée de l’image, Presses universitaires de Vincennes, 1994, p. 221).
-
[37]
Lettre à Marc Chagall, dans Et sur la terre, Paris, Maeght éditeur, 1977, p. V.
- [38]
-
[39]
Etant entendu que porter une attention au « signe comme chose » ne revient pas à « congédier toute signifiance » : « Signifier l’insignifiance est encore une signifiance, et non des moindres », comme le montre G. Genette (L’OEuvre de l’art, t. 2, La Relation esthétique, Paris, Ed. du Seuil, 1996, p. 67).
-
[40]
Ibid., p. 239.
-
[41]
Expression de B. Vouilloux (in La Peinture dans le texte, Paris, CNRS, 1994, p. 89).
-
[42]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 42.
-
[43]
Ibid., p. 48. Pour une mise au point sur ce qui serait devenu une doxa à propos de l’art moderne, voir B. Vouilloux, « Les tableaux de Flaubert » (Poétique, no 135, septembre 2003, notamment p. 273).
-
[44]
Ces métaphores voudraient rejoindre les instruments d’écoute proposés par Thierry Marin (voir « Pour une narration musicale », Poétique, no 122, avril 2000, p. 131-157).
-
[45]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 213.
-
[46]
Pour reprendre la belle expression par laquelle Jean-Pierre Richard évoque les signes et traces que Chateaubriand laisse de son passage dans le texte des Mémoires d’outre-tombe (in Paysage de Chateaubriand, Paris, Ed. du Seuil, 1967, p. 45).
-
[47]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 65.
-
[48]
Dans Le Musée Imaginaire, Malraux crée l’écho quand même fraternel entre Olympia et Une moderne Olympia : « Le chat noir de Manet se mêlait à l’ombre, le chien noir de Cézanne se découpe sur les draps » (ibid., p. 45-46). Pour l’anecdote sur l’inimitié entre les deux peintres, voir les notes 2 et 3 dans Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 1480.
-
[49]
Voir Saturne, le destin, l’art et Goya, in Ecrits sur l’art I, op. cit.
-
[50]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 42.
-
[51]
Le Musée Imaginaire, op. cit,., p. 42.
-
[52]
Ibid., p. 148.
-
[53]
Les Voix du silence, déjà, étaient dédiées à la pianiste Madeleine Malraux.
-
[54]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 239.
-
[55]
Ibid., p. 33.
-
[56]
Ibid., p. 42 et 46.
-
[57]
Ibid., p. 12-13.
-
[58]
P. Claudel, Le Soulier de satin (Troisième Journée, scène II), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997, p. 224. Soulignons que Malraux non seulement connaissait bien la pièce, mais en cite à l’occasion les versets, de mémoire, par exemple dans Le Miroir des limbes II, La Corde et les Souris, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1976, p. 144.
-
[59]
La Condition humaine, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1989, p. 755-761.
-
[60]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 233.
-
[61]
L’Espoir, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1996, p. 433.
-
[62]
Pour le détail des gestes de réassemblage et de repiquage entre la version de 1951 et celle de 1965 (avec la pagination de la réédition de 1996 en « Folio »), voir la notice de Christiane Moatti, dans Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 1404-1405.
-
[63]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 236-238.
-
[64]
Image et concept que nous empruntons à Edgar Morin, dans sa pensée de la complexité.
-
[65]
« Nous sommes d’autant plus sensibles à la fluidité du passé, que nous avons appris que tout grand art modifie ses prédécesseurs par sa seule création. Rembrandt n’est plus tout à fait, après Van Gogh, ce qu’il était après Delacroix » (Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 222).
-
[66]
Les Voix du silence, in Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 735, et Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 67.
-
[67]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 33.
-
[68]
Ibid., p. 71.
-
[69]
Ibid., p. 33.
-
[70]
L’Intemporel, in Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 796.
-
[71]
La Condition humaine, op. cit., p. 732.
-
[72]
Ibid., p. 738.
-
[73]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 235.
-
[74]
Dans L’Homme précaire et la Littérature, Malraux rappelle que « le peuple des saints de bois était un peuple d’intercession et de communion » (op. cit., p. 41) et, dans L’Irréel, il suggère que c’est dans la cathédrale du Musée Imaginaire que le « vocabulaire chrétien de Rembrandt », par exemple, incompris en son temps, trouvera enfin une possibilité de dialogue fraternel (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 639).
-
[75]
Malraux soulignera dans L’Intemporel la coïncidence entre la parution de la Vie de Jésus, dont il dit qu’elle « n’est pas un essai » et qu’« on l’a tenue pour un roman » (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 732), et l’apparition de « l’art moderne, qui commence avec l’Olympia de Manet » (ibid., p. 653) : il considère en effet « l’événement intellectuel capital depuis Darwin : l’année où Cabanel peint sa Vénus (et Manet, Olympia), paraît la Vie de Jésus » (ibid., p. 728).
-
[76]
L’Espoir, op. cit., p. 365-367.
-
[77]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 207.
-
[78]
Ibid., p. 9.
-
[79]
Ibid., p. 236.
-
[80]
Ibid., p. 69.
-
[81]
Ibid., p. 239.
- [82]
-
[83]
Ibid., p. 160-161.
-
[84]
Voir le chapitre I.
-
[85]
Ibid., p. 14.
-
[86]
Ibid., p. 48.
-
[87]
Ibid., p. 36.
-
[88]
Ibid., p. 236.
-
[89]
Cette distinction est empruntée à Régine Robin, qui l’exploite à propos de L’Espoir, pour manifester que « le travail du texte écrit et désécrit ce que les autres instances idéologiques disent de façon univoque. Le texte ambiguïse, travaille sur une matière oxymorique » (« Pour une socio-poétique de l’imaginaire social », in La Politique du texte. Enjeux sociocritiques, textes réunis et présentés par Jacques Neefs – Pour Claude Duchet, Presses universitaires de Lille, 1992, p. 95 à 121).
-
[90]
Antimémoires, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 292.
-
[91]
Récit de Romain Rolland que Malraux évoque dans « A propos des illustrations de Galanis », Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 1175.
-
[92]
Antimémoires, op. cit., p. 287.
-
[93]
La Condition humaine, op. cit., p. 649-650.
-
[94]
Clappique est, dans le roman, la voix-fantôme du farfelu, c’est-à-dire, selon la belle définition de Michel Beaujour, « cette combinaison d’humour et de hasard objectif qui dérange les lignes, pose ironiquement les questions tragiques, et fait bâiller la porte de l’hypogée » (Miroirs d’encre, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 1980, p. 297). Sa « présence irréfutable et glissante comme celle du chat qui passe dans l’ombre » serait certainement à interroger tout autant dans cette anti-histoire de l’art que dans les Antimémoires (op. cit., p. 23) : mais c’est une autre histoire encore…
-
[95]
La Condition humaine, op. cit., p. 651.
-
[96]
Luminescence récurrente chez Malraux : on la perçoit dans la sombre caverne d’Ali-Baba d’un marchand de poissons (La Condition humaine, op. cit., p. 536), c’est la clarté de l’essence enflammée dans les couloirs obscurs du musée de Santa Cruz à Tolède (L’Espoir, op. cit., p. 113), mais c’est aussi la lumière d’un fiat lux après la nuit : « La poésie nous éclaire, malgré tout ce qui la sépare de la peinture : Recueillement de Baudelaire, Barbare de Rimbaud sont assurément des mots en un certain ordre assemblés, avant d’être le tableau d’un crépuscule, le récit d’une vision ; mais pas avant d’être des poèmes. Le but de Baudelaire, de Rimbaud, c’est la création d’un monde aussi différent du récit qui le suscite, qu’une phosphorescence l’est de l’objet dont elle émane » (L’Intemporel, Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 787).
Si j’avais pu écrire sur la musique comme j’écris sur les arts visuels, un certain nombre de questions que je pose seraient devenues plus claires
1Quand un romancier produit un livre sur l’art, trois questions au moins se plissent les unes dans les autres, d’une manière peut-être plus complexe encore depuis que l’édition et la reproduction photographique offrent des possibilités nouvelles d’inclure des dispositifs optiques [2]. D’abord celle du statut de ce type d’écrit, qui se développe sur toute une gamme de tons, longe les frontières de toute une série de formes, semble ouvert à toutes sortes de tangences ou d’interférences, de frôlements ou de croisements avec divers cadres génériques. Ce statut se trouve d’ailleurs parfois mis en flottement dès les seuils (titres, préfaces ou préambules), où se déterminent des systèmes d’attente : à propos d’ Henri Matisse, roman, qui « ne ressemble à rien qu’à son propre désordre », « n’arrive pas à prendre sens. Forme moins encore », Aragon déclare : « Je l’ai appelé roman sans doute afin qu’on me le pardonne [3]. » La question ensuite de la lecture qu’appelle ou que régule ce régime d’énonciation, dans son articulation avec un parcours optique, puisque le lecteur est soumis aussi à des sollicitations visuelles, au rythme de la juxtaposition des images, qui suspendent ou interrompent sa progression d’unités de lecture en unités de lecture. Malraux, qui déplorait que ses « livres sur l’art restent, de loin, les plus mal compris » [4], souhaitait pour sa part obtenir non l’adhésion du lecteur, par le recours à la preuve, mais, sur ce dernier, un effet de « contagion », selon le double moyen d’une voix de la prose qui réponde aux Voix du silence et de la « création par la photographie » [5]. La question enfin des perspectives critiques à adopter pour appréhender des textes qui, parfois pris en étau entre les objections des spécialistes et les gestes d’annexion des départements de la philosophie, mettent sinon en défaut, au moins au défi les appareils et instruments d’analyse éprouvés : que faire et que dire, en effet, d’un écrit qui ne se veut « ni un récit, ni un discours » (Henri Matisse, roman), ou qui prétend n’avoir « pour objet ni une histoire de l’art, ni une esthétique » (Ecrits sur l’art, de Malraux) ? [6]
2Au sujet des écrits sur l’art de Malraux, l’intervalle ouvert par la double négation a été mis à profit, de diverses manières : l’historien creuse les failles dans une surface narrative en effet marquée par des lacunes, pour dénier tout sérieux à l’entreprise ; le philosophe, qui postule la cohérence d’un système, tente au contraire de l’établir ou de le réaffirmer, en isolant les reliefs conceptuels et en comblant les défauts d’articulation sur une surface discursive où grimacent contradictions et approximations ; le pragmaticien enfin, qui invoque la catégorie de la « fiction sérieuse », produit de subtiles formules de compromis ou de résolution des tensions, grâce auxquelles, sur la double face narrative et discursive, les manques de l’une semblent compensés par les reliefs de l’autre.
3Il apparaît toutefois que, même chez les critiques les mieux disposés, vouloir vérifier malgré tout la sûreté des sources et la conformité au détail des faits [7], valider la pertinence d’une pensée de l’art [8], ou valoriser tiroirs verbaux et connecteurs logiques pour aboutir à la formule hybride d’une narration de concepts [9], c’est courir le risque d’entretenir le malentendu que Malraux cherchait précisément à prévenir, le risque aussi de faire finalement rentrer chez lui, par la fenêtre, ce qu’Aragon chassait par la porte : l’ordre du récit, celui du discours, ou un mixte des deux. Une écoute et un regard plus justes restent sans doute ceux que proposait Blanchot dans un article de 1950, dès la parution du dernier des trois volumes de La Psychologie de l’art:
Les pensées, bien qu’elles tendent, selon leurs exigences propres, à une vue importante et générale de l’art, dans leur dialogue aventuré avec les œuvres, avec les images qu’elles accompagnent, réussissent, sans perdre leur valeur explicative, à s’éclairer d’une lumière qui n’est pas purement intellectuelle, à glisser vers je ne sais quoi de plus ouvert que leur sens, à réaliser, pour elles-mêmes – et pour nous qui sommes destinés à les comprendre –, une expérience qui imite celle de l’art, plutôt qu’elle n’en rend compte. Ainsi les idées deviennent-elles des thèmes, des motifs, et leur développement peu cohérent, dont on se plaint, exprime, au contraire, leur ordre le plus vrai, qui est de se constituer, de s’éprouver au contact de l’histoire par un mouvement dont la vivacité, le vagabondage apparent nous rendent sensibles la succession historique des œuvres et leur présence simultanée dans le Musée [10].
5A l’ouverture de cet article, Blanchot [11], tout en soulignant que l’« un des côtés attrayants de ces livres » (à l’époque, les volumes de La Psychologie de l’art) réside justement dans leur « apparent désordre », rappelle que Malraux lui-même semblait leur souhaiter « une composition plus forte » [12]. Jusqu’à la dernière heure, ils seront constamment repris et remaniés, avec toujours le même souci de prévenir les malentendus, mais sans jamais tendre en réalité à l’ordonnance rigoureuse d’un récit ou d’un discours plein et sans failles dans sa trame ou son développement [13]. Comment les lire alors ? C’est peut-être dans la phrase de clôture de la préface (datée de 1970) aux Grandes Voix en projet, où Malraux entendait remettre son lecteur à l’écoute des modulations du « chant de la métamorphose », qu’il donne une clef de lecture, en même temps qu’il indique le principe qui gouverne sans doute le plus en profondeur la fabrique de ses écrits sur l’art :
Ce livre n’est pas plus une histoire de l’art, que La Condition humaine n’est un reportage sur la Chine [14]
7On peut en effet inférer de cette équation, à la syntaxe doublement négative, un sens plus oblique que celui qu’assigne l’autorité d’un auteur adoptant la posture du penseur, préoccupé par « la signification que prend la présence d’une éternelle réponse à l’interrogation que pose à l’homme sa part d’éternité » [15], par ce qu’il appelle « la relation de l’homme et du destin » [16]. Elle semble impliquer aussi (surtout ?) que « l’imaginaire du roman », tel qu’il le définira lui-même comme « domaine de formes » [17], le plaçant de la sorte à égale distance de la monophonie d’un récit [18] et de la monologie d’un discours [19], demeure pour Malraux une référence aussi permanente et aussi profonde qu’un paradigme qui n’a été perdu que pour être retrouvé par d’autres voies. Ou, pour dire les choses autrement : la création romanesque n’aurait donc pas été un simple intermède [20] dans la méditation d’un « poète métaphysicien » [21] sur l’Art et le Temps, l’Homme et le Destin, mais une praxis littéraire où se sont élaborés des schèmes qui ordonnent toute son œuvre ultérieure, y compris celle de l’écrivain d’art.
8Afin de vérifier cette hypothèse, on s’intéressera à la fabrique et à la composition de celui des écrits sur l’art qui rend possible leur ensemble, soit Le Musée Imaginaire (dans l’édition de 1965 [22]). Avec l’idée que Malraux s’y établit, comme dans La Condition humaine et comme dans L’Espoir [23], « sous le nom d’Histoire, dans le domaine du romanesque au plus haut sens du mot “romanesque”, disons un “domaine de légendaire” » [24]. Rappelons qu’en latin médiéval le terme legenda renvoie à une histoire donnée à lire, parce qu’elle ne s’entend qu’à travers son acte et son lieu de diction. Ainsi, de même qu’il ne s’agissait ni de reportages sur la Chine ou sur l’Espagne, ni de romans à thèse avec un discours à sens unique, mais de domaines de légendaire, libérant dans leur complexe polyphonie le « chant de l’Histoire », Le Musée Imaginaire ne répond ni à la linéarité narrative d’une histoire de l’art, ni au souci premier d’une organisation discursive, parce qu’il n’est jamais que le livret d’un « opéra fabuleux », dont le développement des thèmes et des motifs [25] libère le « chant de la métamorphose ».
Un musée de papie
9Le Musée Imaginaire a été constamment remis en chantier, trois fois repris : il appartient pour commencer à La Psychologie de l’art, il réapparaît comme première partie des Voix du silence, il fait enfin l’objet d’une édition séparée. Si Malraux ne cesse d’en reconstruire le texte, c’est qu’il s’efforce de monter et de faire tenir debout un Musée qui n’a pas de murs. D’abord par le pouvoir architecturant du timbre de sa voix. Cette voix n’a pas essentiellement les fonctions de régie d’une instance narrative qui se réglerait sur le sens d’une histoire de l’art préalable à son intervention. Elle n’a pas non plus principalement l’accent d’une autorité discursive qui chercherait à garantir la cohérence d’un système de concepts. C’est la « voix de la prose », telle que la définissent un Jean-Paul Goux [26], pour qui elle est audible seulement au plus intime du texte qu’elle compose et dont elle réalise la profonde unité par un jeu de reprises et de contrepoints, d’échos et de correspondances, ou un Michel Collomb, pour qui elle ne relève « ni de la langue ni de la régie narrative, mais de la rencontre entre un univers particulier – réel ou imaginaire – et une volonté de mise en forme artistique (un Kunstwollen) » [27]. Car il y a bien un « Kunstwollen » dans l’écrit sur l’art (sans doute à la fois aussi « instinctif » et aussi « gouverné » que celui qui préside à la création romanesque) par où il échappe au genre de l’essai stricto sensu comme ce dernier échappe à la littérature « par son médium, c’est-à-dire les concepts, et par le but qu’il vise, une vérité dépouillée de tout paraître esthétique » [28].
10Grâce à la force façonnante et modulante de cette voix de la prose (avec les vibrations que prend la lyre d’Amphion chez Valéry ?), Malraux
attaque le silence, et par les vertus de son chant […] les blocs épars s’ébranlent, […] sont attirés […] vers un lieu où leur amas s’assemble, qui, peu à peu, prend forme, et s’ordonne, et compose un édifice [29]
12Cet édifice, encore invisible au début du Musée Imaginaire, est d’abord donné en puissance à travers la mise en regard de trois tableaux d’une salle du musée Correr à Venise, et en creux à travers l’amas éclectique des toiles éparses d’une galerie [30], où l’on voit se promener l’archiduc Léopold-Guillaume : l’édifice du Musée Imaginaire se composera et s’ordonnera peu à peu dans et par son texte.
13S’il y a intérêt à regarder du côté du Musée Imaginaire, c’est précisément parce qu’il s’agit de l’ouvrage fondateur d’un musée qui est imaginaire d’abord en ce sens qu’il n’existe pas. Il n’existe pas et demande donc à être institué et constamment réinstitué, par un geste créateur qu’on pourrait qualifier de performatif. Malraux, en effet, en constate moins l’existence qu’il ne « l’opère ». Au fur et à mesure de ses réécritures et rééditions, et selon les variations du « chant de la métamorphose », le texte le trahit d’une manière de plus en plus sensible. Ainsi, la phrase d’ouverture du chapitre IV de la première partie des Voix du silence, intitulée « Le Musée Imaginaire », (« L’art qui appelle, accueille et ordonne la métamorphose de notre immense inventaire, n’est pas celui que nous pouvons le mieux définir » [31]), n’est pas seulement transférée en position d’ouverture du chapitre I du Musée Imaginaire de 1965, elle revient significativement moins le terme d’« inventaire » et moins le verbe « accueillir » : « L’art qui appelle et ordonne cette vaste résurrection n’est pas celui que nous pouvons le mieux définir [32]. » Cette soustraction marque combien cette legenda n’est ni relation d’une histoire de l’art, ni état des lieux ou recueil d’une collection d’œuvres qui préexisteraient à son acte et à son site d’énonciation. On pourrait en dire ce que Malraux dit d’un imaginaire album panoptique :
Si un album consacré au Louvre est censé reproduire le Louvre […] l’ensemble des ouvrages consacrés à l’art ne reproduit pas un musée qui n’existe pas : il le suggère – et, plus rigoureusement, le constitue. Il n’est pas le témoignage ou le souvenir d’un lieu, comme l’album consacré à la cathédrale de Chartres, au Musée des Offices ou à Versailles : il crée un lieu imaginaire qui n’existe que par lui [33].
15C’est un Musée de papier qui non seulement « crée un lieu imaginaire qui n’existe que par lui », mais produit son univers de référence, construit ses objets. Ainsi les photographies ne reproduisent rien : elles fractionnent et fragmentent leurs sujets, fixent l’objectif sur un détail, font varier les échelles. Malraux invente aussi des scénarios très elliptiques, où des images se juxtaposent et se succèdent, ménageant parfois des liaisons par sa voix modulante, le plus souvent des déliaisons par des intervalles de silence. Soulignons cependant que les accrocs d’un montage par abruption ne menacent pas l’unité : ils la rendent possible, en provoquant des résonances et des accords inouïs à travers un « creux néant musicien » (c’était aussi le rôle du silence narratif dans le montage romanesque). Car nul écho, nulle rémanence ne saurait advenir dans un espace plein, saturé, et « c’est dans la vacuité, la marge, l’attente, que les arts communient entre eux. Sinon, les princes de basalte sumériens auraient-ils cohabité avec Picasso ? » [34]. Et peu importe que ces rapprochements par l’écart laissent l’historien « irrité », puisque alors le lecteur, comme « l’artiste (comblé) écoute le dialogue de telle Fécondité avec telle sculpture de Picasso, de telle incision étrusque avec telle gravure de Braque » [35].
16Dans les phrasés, c’est une même syntaxe brisée où l’on voit le texte susciter ses propres motifs, selon une relation avec les reproductions qui est rarement celle de l’ekphrasis [36], le plus souvent celle d’un livret d’opéra avec une partition visuelle. Type de relation que Malraux attendait de sa collaboration avec Marc Chagall, sur un fragment romanesque intitulé Et sur la terre :
Il me semble qu’il ne faudrait pas du tout penser à une illustration fidèle […] ; mais à une partition dont mon texte serait le livret [37].
18Le Musée Imaginaire met en série ses propres motifs, qui quittent parfois leurs lignes mélodiques pour entrer en contrepoint avec d’autres. La séquence Manet, par exemple, accompagnée par des photographies, s’ouvre ainsi :
Manet passe de ses premières toiles romantiques à Olympia, au Portrait de Clemenceau, au petit Bar des Folies-Bergère [38]
20Par opérations successives de soustraction du sens [39], Malraux réduit ensuite ces toiles à des notes sur sa portée et parce que, de toute manière, ce que nous dit un tableau « ne peut être dit que par des formes, de même que ce que nous disent le Kyrie de Palestrina […] ou la Neuvième Symphonie, ne peut être dit que par des notes. Il n’y a pas de traduction » [40]. Ainsi, Malraux, loin de proposer un équivalent descriptif ou discursif qui s’échangerait contre les tableaux, s’attache au contraire à les énucléer de leur « noyau verbalisable » [41] :
L’Exécution de Maximilien de Manet, c’est le Trois Mai de Goya, moins ce que ce tableau signifie. Olympia est la Maja nue, comme le Balcon est les Majas au Balcon, moins ce que signifient les deux Goyas.
22Ne restent plus alors que quelques touches de couleur :
Le vert du Balcon, la tache rose du peignoir d’Olympia, la tache framboise derrière le corsage noir du petit Bar des Folies-Bergère [42].
24Et Malraux, après une série de répétitions suspensives des motifs filtrées par la focale variable de sa prunelle de chat et tressées par la voix de sa prose, peut déboucher sur une ultime répétition, résolutive
Le peignoir rose d’Olympia, le balcon framboise du petit Bar, l’étoffe bleue du Déjeuner sur l’herbe, sont manifestement des taches de couleur, dont la matière est une matière picturale, non une matière représentée [43].
26Si l’ouverture de la séquence est plutôt narrative, sa clôture plutôt discursive, le texte demande cependant moins à être appréhendé dans sa narrativité ou dans sa discursivité, qu’à être regardé dans ses variations focales et entendu dans les modulations d’une voix qui enfile et combine librement ses motifs [44].
27Et si Malraux n’est pas exactement le démiurge d’un « monde de l’art qu’on ne sait pas nommer » [45], il en est au moins le sémiurge. Car ce qu’il édifie, grâce à ce puissant auxiliaire qu’est « la création par la photographie », c’est « l’immanence creuse » [46] d’un système de signes picturaux, parfois idéogrammes des artistes eux-mêmes, comme La Chaise de Van Gogh [47]. Ces signes peuvent alors entrer les uns avec les autres dans des relations de ressemblance ou de dissemblance, et les artistes se relayer les uns les autres, malgré tout ce qui les sépare et parfois les oppose : Cézanne avait beau penser que Manet ne peignait pas de façon assez « couillarde », et Manet que Cézanne était un maçon armé d’une truelle, n’empêche que, chez Malraux, le chien noir de l’un fait signe vers le chat noir de l’autre [48].
28Ce qui organise ce système de signes, c’est un principe de structuration binaire, comme on l’a remarqué. Mais ce principe de couplage, qui crée des duos ou des duels, trouve son modèle dans l’expression romanesque. Il permettait de faire entrer en relation sémiotique des personnages qui ne se rencontraient pas au niveau de l’intrigue ou même de faire commuter des figures que tout opposait : on peut songer à la manière dont Hemmelrich relaie et exorcise Tchen, venu du monde ténébreux des romans précédents, dévoré par ses démons, comme Goya est arraché au continent noir qu’explorait Malraux dans sa monographie [49], pour être relayé par Manet, qui exorcise sa peinture de terreur en transformant les « déléguées du démon » en « d’innocents portraits » [50].
29Les modes de structuration de ce monde de l’art ne sont pas fondamentalement différents de ceux qui gouvernaient l’univers romanesque et on pourrait dire de l’imaginaire du Musée ce que Malraux dit de « l’imaginaire du roman [qui] vit selon ses propres lois, sa cohérence propre, aussi rigoureuse que celle à laquelle le monde musical subordonne ses livrets ou ses ballets » [51].
Une composition musicale
30Cette autonomie par rapport au « système du réel » et cette cohérence interne propre au cadre romanesque étaient obtenues par la coordination harmonique d’un montage de séquences : selon Malraux, le livre, c’est en effet
le résultat d’une élaboration, d’une suite de parties, tantôt gouvernées et tantôt instinctives, dont chacune se répercute ; dans lesquelles le grand romancier trouve une coordination qui lui appartient comme le timbre de sa voix [52]
32Le livre du Musée Imaginaire relève lui aussi de cette littérature de montage où se cherche un principe de coordination harmonique, sur le double plan de la face racontante et de la face racontée, dans une relative autonomie par rapport aux données de l’histoire de l’art.
33Et le montage du Musée Imaginaire est aussi purement musical que l’était la composition du chant polyphonique de La Condition humaine et de l’« opéra fabuleux » de L’Espoir. La musique n’en est pas par hasard le premier et le dernier mot : le texte est dédié à une femme [53] qui jouait du piano pendant que Malraux maniait la colle et les ciseaux, et, une fois l’édifice monté, il s’achève dans la célébration d’un « chant où les esthétiques, les rêves et même les religions, ne sont plus que les livrets d’une inépuisable musique » [54].
34Pour la donner à entendre, la voix de récitant de Malraux, qui fait résonner entre elles des lignes mélodiques multiples, en réveillant de temps à autre la réminiscence d’un motif déjà écouté, adopte une composition d’ensemble opératique. D’abord parce que l’opéra, comme le dit Wagner, est Gesamtkunstwerk, c’est-à-dire art du tout. La construction textuelle du Musée Imaginaire s’ordonne bien en vue de ce tout susceptible d’englober et les esthétiques, et les rêves et même les religions, de fédérer et d’orchestrer autour d’une valeur commune l’infinie pluralité des œuvres. Malraux voudrait en effet constituer un ensemble choral, à partir de voix singulières et nombreuses, depuis la grave « voix souterraine » [55] de Goya jusqu’à « la stridence des figures des Nouvelles-Hébrides », en passant par la dissonante harmonie que l’on retrouve selon lui dans toute la peinture moderne et qui conduit « de Manet à Gauguin et à Van Gogh, de Van Gogh aux Fauves » [56].
35Composition opératique ensuite parce que, si l’opéra est art du tout et tend vers une fin où toutes ses lignes mélodiques se rassemblent, il ne l’est qu’autant que cette totalité demeure ouverte et inquiète, à la différence des totalités closes que visent à former les grands récits des historiens ou les constructions conceptuelles des philosophies de l’art. Le livre sur l’art, où « répondant à l’appel des vrais musées – qui répondait à celui des vrais créateurs », « les arts plastiques ont inventé leur imprimerie » [57], s’apparente plutôt à celui dont parle Dona Musique et « qui n’aura son sens que quand il sera fini » (c’est-à-dire sans doute jamais) :
Une image aux dernières lignes vient réveiller l’idée qui sommeillait aux premières, revivifier maintes figures à moitié faites qui attendaient l’appel.
De tous ces mouvements épars je sais bien qu’il se prépare un accord, puisque déjà ils sont assez unis pour discorder [58]
37Le texte, musicalisé, se donne ainsi la capacité de traverser les altérations accidentelles de son thème principal (notamment d’une part l’Ancêtre africain, où le surnaturel demeure actif, d’autre part le ready-made de Duchamp, qui ébranle de l’intérieur les murs du musée), et de parvenir quand même in fine, non pas exactement à l’équilibre d’un accord parfait, mais à une complexe polyphonie où « les voix du silence » nous parlent à nouveau parce qu’elles se parlent entre elles. Remarquons que ce traitement de la fin comme finale se rencontre d’abord dans les deux grands romans musicalisés de Malraux. A l’explicit lumineux et apparemment serein de La Condition humaine, qui répond à son incipit nocturne et convulsif, cela se thématise dans l’évocation de « mondes de contemplation » d’une « sauvage harmonie » et d’une « poignante douceur » : depuis la maison du peintre et musicien Kama [59], Gisors arrive de la sorte au même sentiment d’une « énigmatique délivrance du temps » [60] que celui que l’on atteint ou obtient pour finir dans l’édifice du Musée Imaginaire. Dans les deux chapitres qui répondent à ses deux chapitres d’ouverture cacophonique et qui forment l’épilogue harmonique de L’Espoir, Malraux rassemble pour la première fois les quatre grandes figures du roman (Manuel, Ximénès, Garcia et Magnin) en même temps qu’il reprend tous les fils et récapitule le sens tragique de ses principaux épisodes : Manuel finit, lui, par découvrir, dans un précaire équilibre, la « possibilité infinie [du] destin » [61], au centre d’une multiplicité de voix qui font chorus, et après avoir lui-même joué le Kyrie de Palestrina et écouté une sonate de Beethoven.
38Si Malraux adopte le modèle d’une composition opératique, c’est enfin parce que seul le temps musical est homogène à celui de la métamorphose. Dans le temps musical, qui n’est pas un temps linéaire, la fin est en effet moins un terme qu’un appel, une finalité. Et la composition d’ensemble du Musée Imaginaire, qui invente sa propre temporalité, n’est pas gouvernée par l’ordre des causes efficientes qui détermine la linéarité des histoires de l’art, mais orientée par celui des causes finales. Cette composition d’ensemble est moins linéaire encore et plus rétroflexe dans Le Musée Imaginaire de 1965 que dans la première partie des Voix du silence de 1951 [62]. Malraux y projette vers l’ouverture la séquence Manet, peintre qui inaugure l’art moderne, et diffère jusqu’aux dernières pages la remontée aux sources de la création artistique, dont le désir est figuré d’une part avec un « caractère de Hakuin qui exprime l’originel » et d’autre part avec le profil serein de la Maheçamurti dans la grotte sacrée d’Eléphanta [63]. Ainsi se trace une boucle récursive [64], telle que l’on puisse remonter le temps, de l’art moderne jusqu’aux miniatures par exemple (chapitre IV), telle que les effets semblent moins succéder aux causes que les susciter ou les modifier [65], et telle que la question de l’Origine n’arrive qu’à la fin.
Un « domaine de légendaire »
39Cette construction musicale, affranchie de l’irréversible linéarité du temps historique, regarde vers le processus créateur de l’univers du roman, et raconte une légende informée par des schèmes et déroulée selon des stratégies narratives qui remontent à La Condition humaine et à L’Espoir.
40On prendra d’abord l’exemple d’une séquence que Malraux extrait de la fin de « La Monnaie de l’absolu », quatrième partie des Voix du silence, pour l’épingler dans les dernières pages du chapitre II du Musée Imaginaire de 1965. Elle concerne la formation au xixe siècle d’une « secte » unissant entre elles les solitudes des artistes [66]. A travers ce geste de repiquage, se révèle la permanence des schèmes qui orientaient la composition romanesque. Dans Le Musée Imaginaire, Malraux commence ainsi par faire de son personnel artistique une juxtaposition de solitudes, aussi dispersées que les monades disjointes de ses romans: il enfonce Rembrandt dans son ombre singulière et Goya dans son « ombre tragique » [67] comme il enfonçait Tchen et Kyo dans les ruelles noires de Shanghai.
41Mais il n’isole dans leurs nuits ces solitudes divergentes que pour ménager l’attente de l’injonction harmonique susceptible de les faire converger vers un ensemble qui les englobe, sous le jour attendu d’une révélation : dans La Condition humaine, c’est le binôme Katow plus Kyo (dont Malraux fait un chef) qui montre le chemin ; dans Le Musée Imaginaire, c’est le binôme que forment le « génie timide de Daumier et le génie parfois agressif de Manet » [68], dont Malraux fait un « guide » [69]. Car, de même que dans ses romans d’apprentissage politique, Malraux cherche dans son roman d’apprentissage artistique un pasteur, pour un peuple de rupture et pour des créatures qui vont vers une nouvelle définition d’elles-mêmes, encore ignorée, au service d’un sacré lui-même encore indéfini. Ce qui provoquera le « drame » de L’Intemporel :
Le drame de tous les grands peintres depuis Manet jusqu’à Picasso a commencé : tenir la peinture pour leur valeur suprême, l’une des valeurs suprêmes du monde et ne pas savoir pourquoi [70].
43Dans Le Musée Imaginaire, il s’agit de réunir des êtres épars dans une communauté aussi anxieuse que l’était celle des « frères dans l’ordre mendiant de la révolution » [71] : les héros de La Condition humaine allaient vers un préau-parvis pour le partage eucharistique d’une capsule de cyanure, dans une cathédrale de douleur où leur « pauvre fraternité sans visage et presque sans vraie voix » [72] fait entendre à la fin « le chant de l’Histoire » (le style romanesque s’élève alors dans le registre de l’oraison) ; les hérauts du Musée Imaginaire (y compris la figure de proue qu’est la Victoire de Samothrace, dressée décapitée [73]) sont orientés vers les figures d’intercession et de communion d’un musée-cathédrale [74], où leur ensemble choral fait entendre « le chant de la métamorphose » (le style s’élève alors dans un registre quasi liturgique).
44La place, la construction et l’orientation de ces séquences manifestent que ce qui est à l’arrière-plan de cet imaginaire du musée, ce sont fondamentalement les schèmes de l’imaginaire du roman. Et sans doute le texte en est-il informé moins par les « concepts » d’une esthétique plus ou moins empruntée ou convenue, remis en circulation ou « racontés », que par La Légende des siècles de Hugo, évoquée d’ailleurs à propos des villes d’art devenues villes de pèlerinage, par La Bible de l’humanité d’un Michelet, et par la Vie de Jésus [75], où Renan reprend l’histoire du peuple chrétien comme celle d’une secte clandestine et de rupture, seule capable d’arracher une histoire en panne à son entropie, une fois guidée par un Pasteur, lui-même précédé par un Précurseur (terme et thème récurrents dans Le Musée Imaginaire).
45Pour témoigner plus avant du fait que la valeur de vérité est celle du mythe et que la praxis romanesque fournit pour ainsi dire la matrice de la construction textuelle du Musée Imaginaire, on prendra cette fois l’exemple d’un épisode aérien de L’Espoir [76], où tous les membres de l’équipage sont meurtris, blessés. Malraux le raconte curieusement deux fois. Dans la première version, c’est un scénario-catastrophe qui promet un crash :
L’avion baissait […]. Attignies était penché sur Reyes, descendu de son siège, et qui demandait inlassablement à boire […] Les balles traçantes tendirent autour de l’avion une toile d’araignée de traits rouges.
47Deuxième version, une page plus loin et après le sas de décompression d’un blanc d’ellipse :
48[Le regard de Sembrano] rencontra soudain le visage de Pol, inquiet, couvert de sang […]. Les traits rouges des balles entouraient l’appareil plein de sang, où Attignies était maintenant penché sur Reyes descendu de son siège et qui semblait râler.
49Le film narratif semble ainsi avoir été rembobiné, pour repasser une deuxième fois la même séquence. En réalité, à la faveur d’une variation focale, tout a changé : le narrateur a adopté le point de vue du pilote Sembrano, échangeant un regard avec Pol, qui avait été tenu en réserve. De la Passion passive de solitudes juxtaposées, prises au piège d’une toile d’araignée, on est ainsi passé à la promesse de résurrection d’un corps collectif. Ses membres sont désormais liés entre eux par une symbiose charnelle et dans un avion-cocon, la toile d’araignée de la première version s’étant transformée dans la seconde en un lacis de veinules rouges. Cette promesse d’une nouvelle Incarnation se trouvera exaucée dans la formation d’une assemblée d’hommes venus de tous les pays, d’une ecclesia qui chantera L’Internationale.
50Ce qui peut ici retenir l’attention, c’est que la réexposition d’une séquence déjà narrée, soutenue par une modification de la perspective, est l’instrument d’un geste d’iconoclasme narratif : elle renverse le sens des images léguées par l’iconographie religieuse (c’était une Pietà que le couple mixte d’Attignies et de Reyes), au bénéfice de la proclamation d’une nouvelle valeur : mettons la Passion active d’une autorédemption des hommes libres, pour parler le vocabulaire de Michelet. Dans l’univers du roman, cette nouvelle « valeur suprême » n’est certes pas encore celle de l’Art : la Madone Attignies n’est pas encore devenue « une surface couverte de couleurs en un certain ordre assemblées » et Reyes altéré (son nom signifie « Roi »), descendu de son siège comme d’une croix, n’est pas un pur « ordre de volumes » [77]. Mais c’est sur un geste iconoclaste de même nature et selon des stratégies narratives similaires que se fonde la proclamation de la valeur de l’Art, dont le Musée Imaginaire est la cathédrale de papier et dont les artistes avec leurs œuvres forment la communauté de fidèles. Le texte s’ouvre sur l’évocation d’« un crucifix roman [qui] n’était pas d’abord une sculpture, [de] la Madone de Cimabué [qui] n’était pas d’abord un tableau » [78] ; passe par la formule fameuse de Maurice Denis, et se referme non sur « un héritage de ferveurs disparues », mais sur une « Assemblée d’œuvres d’art » [79] venues de tous les pays, réunie autour du dieu de la Peinture, enfin « ressentie comme valeur suprême » [80]. L’ensemble choral des artistes et de « toutes les statues de la terre » libère alors le « chant de la métamorphose » [81].
51Il aura fallu d’abord « accoucher » (la métaphore, employée à plusieurs reprises, est à prendre à la lettre) de ce nouvel être collectif, c’est-à-dire lui donner et un corps et une âme : c’est le rôle du chapitre III du Musée Imaginaire. Dans le schème romanesque, le préalable au remembrement du corps collectif de l’équipage c’est le diasparagmos, l’éclatement des corps individuels, dispersant des bras arrachés et des jambes coupées. Dans Le Musée Imaginaire, le préalable à la nouvelle version de l’Incarnation est l’éclatement par fragmentation que réalise la photographie, l’élection de Vierges « rongées » ou « ravagées » [82], de sculptures mutilées, de statues amputées de leurs bras ou dont ne restent que les pieds. Quant à l’âme de ce nouveau corps collectif, on l’obtient à la fin de ce même chapitre III, avec « l’entrée en scène » du style « dont le sens unit les artistes d’une civilisation comme une âme commune », avec l’entrée en scène des styles comme « sur-artistes imaginaires qui [eux-mêmes] connaissent une confuse naissance, une vie […] une agonie, parfois une renaissance ou une résurrection » [83].
52Et entre le début de « l’histoire », où l’on vénérait la Vierge, et la fin, où l’on célèbre le dieu inconnu de la Peinture, il aura fallu briser les iconostases, renverser la foi dans les anciennes idoles et rompre avec la fascination pour le spectacle des images, qu’elles se soient voulues imitations de la réalité ou reflets d’un Beau idéal [84]. C’est-à-dire aussi qu’il aura fallu, comme la séquence dupliquée de L’Espoir en offre un modèle matriciel, réexposer les séquences de l’histoire de l’art, mais avec les variations focales d’une narration iconoclaste. Il faut ici réinterroger la migration vers le début du Musée Imaginaire des deux chapitres sur lesquels se terminait la première partie des Voix du silence. En ouvrant l’édition de 1965, le lecteur, dans le chapitre premier, n’entre pas seulement dans le passage le plus chronologique de cette anti-histoire de l’art, il est aussi pris au piège d’un scénario-catastrophe, dramatisé par Malraux, qui suit le point de vue d’un « spectateur avide d’illusion » [85], amené pour finir à confondre les Vénus de Titien avec celles de Cabanel.
53Après un blanc intercapitulaire, qui sert de sas de décompression, et en ayant réservé dans le chapitre I le rôle de Goya, qui n’intervient que dans le chapitre II (à la manière dont Pol était tenu en réserve dans la première version de la séquence romanesque), Malraux rembobine et projette une deuxième fois le film de l’histoire de l’art. Mais alors selon l’adoption du point de vue pilote de Manet, placé en situation d’échange optique avec Goya, le regard du premier conjurant la terreur du second. Et cette modification de perspective déclenche ensuite les réactions en chaîne d’une résurrection collective : de nouveaux fils se tissent, des liens se recréent, un nouvel ensemble est en voie de constitution, sous le déchirant coup de « griffe » de Delacroix, sous « les coups de fouets rageurs » de Daumier [86], à partir des membres dispersés que livrent les mains des Régentes de Hals et des « morceaux » épars « des portraitistes anglais etc. » [87]. Et, comme l’éclatement des corps dans L’Espoir, ce diasparagmos esthétique est en même temps prélude et promesse d’une nouvelle Incarnation, tout à la gloire de la « valeur suprême » de l’Art.
54C’est ainsi, selon les manœuvres et les effets de la réexposition, que Malraux ouvre de nouveaux possibles narratifs dans l’histoire de l’Art, comme il en ouvrait dans l’Histoire des hommes, par répétition et variation des mêmes scènes romanesques.
55Soulignons toutefois que, dans la deuxième version de la séquence de L’Espoir, la première ne s’efface pas entièrement : elle demeure en mémoire, présente en sourdine. Il en est de même dans le texte du Musée Imaginaire, dont tout l’effort aura consisté à faire d’une Madone une statue et d’un crucifix une sculpture. Si Malraux réaffirme dans la dernière page que « le Musée Imaginaire n’est pas un héritage de ferveurs disparues », mais « une assemblée d’œuvres d’art », il ajoute cependant : « mais comment ne voir dans ces œuvres que l’expression de la volonté d’art ? » Un crucifix roman « est une sculpture, mais il est aussi un crucifix » [88]. Malraux donne à entendre ici, sur le mode mineur, ce qui, depuis le début du Musée Imaginaire, était resté en sourdine : un contre-discours latent, jusqu’alors retenu, remonte, dans un effet de texte qui vient contrebalancer l’effet de thèse [89].
56En même temps, d’ailleurs, qu’après avoir guidé son lecteur dans l’édifice du Musée Imaginaire et dans « l’immanence creuse » d’une surface de signes, il le laisse au fond d’une grotte sacrée, devant le relief plein et la poignante sérénité de la Maheçamurti, où le signe se confond avec la chose qu’il désigne, pour produire ce qu’il appelle dans les Antimémoires le « symbole de l’Inde » [90]. C’est l’instant d’une Révélation, au sens propre du verbe « révéler », égal à « revoiler », « voiler une deuxième fois ». Malraux, dans son Voyage musical au pays du passé [91], part en effet lui-même à la recherche de ce qu’il appelle « un secret du monde », qui est au commencement et au principe, et que l’art, précisément, « transmet sans le dévoiler » [92].
57Bref, la boucle récursive du Musée Imaginaire suit en réalité le trajet qu’indiquait Kama dans La Condition humaine : le parcours sémiotique et l’effort herméneutique qui consistent, parce que « tout est signe », et « pour approfondir le monde », à « aller du signe à la chose signifiée » [93], pour aboutir au frémissement final d’une coïncidence entre les deux, où le signe est au bord de s’abolir comme tel. Et peut-être la courbe musicale que dessine la composition d’ensemble de ce livre sur la peinture et la sculpture laisse-t-elle alors le lecteur dans la même interrogation perplexe que celle de Clappique, lorsqu’il entend le peintre Kama jouer de la musique :
Dans le silence, commencèrent à tinter des notes de guitare ; elles s’organisèrent bientôt en une chute lente qui s’épanouit en descendant, jusqu’aux plus graves longuement maintenues et perdues enfin dans une sérénité solennelle.
59Et Clappique de se demander [94] :
- Qu’est-ce à, mais qu’est-ce à dire ? [95]
Notes
-
[1]
F.-J. Grover, Six Entretiens avec André Malraux sur des écrivains de son temps (1959-1975), Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1978, p. 121.
-
[2]
Certains artistes ne refusent pas ou plus le medium photographique comme voie d’accès à l’art : « Puisque nous connaissons les œuvres par des reproductions, nos œuvres devraient être faites uniquement pour la reproduction. Plus d’art sans intermédiaire », va jusqu’à dire John Baldessari (en 1969), cité par Anne Moeglin-Delcroix, dans Esthétique du livre d’artiste (1960-1980), Paris, jeanmichelplace, BNF, 1997, p. 33.
-
[3]
Aragon, Henri Matisse, roman, Paris, Gallimard, 1971, p. 1-2.
-
[4]
Malraux, cité par Jean-François Lyotard, in Signé Malraux, Paris, Grasset, 1996, p. 332.
-
[5]
Le Musée Imaginaire, Paris, Gallimard, coll. « Idées/arts », 1965, p. 84. Tous les renvois seront faits à cette édition. Le texte a été réédité récemment dans la collection « Folio essais », Paris, Gallimard, 2003.
-
[6]
Ecrits sur l’art II, in Œuvres complètes, vol. V, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 2004, p. 365.
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[7]
Voir l’effort parfois entrepris dans les introductions, notes et notices de l’édition des Ecrits sur l’art (I et II) de Malraux dans la collection de « la Pléiade », vol. IV et V des Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 2004. Cette nouvelle édition a suscité un colloque intitulé « Les écrits sur l’art d’André Malraux : une écriture pour notre temps ? » (Paris-III, 4 décembre 2004), où le cadre limité d’une communication (sous le titre « Le chant de la métamorphose ») ne permettait d’exposer qu’une partie des propositions de lecture du Musée Imaginaire ici avancées. Je remercie les organisateurs d’autoriser la publication de leur version complète.
-
[8]
Voir les ouvrages de Jean-Pierre Zarader, Malraux ou la Pensée de l’art, Paris, Vinci, 1996 (repris par Ellipses, 1999), et Le Vocabulaire de Malraux, Paris, Ellipses, coll. « Vocabulaire de », 2001.
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[9]
Voir Dominique Vaugeois, « La voie royale de la fiction : Le Musée Imaginaire d’André Malraux », in André Malraux. D’un siècle l’autre, Colloque de Cerisy (2001) (éd. J. Lecarme et J.-Cl. Larrat), Paris, Gallimard, 2002, p. 129-141.
-
[10]
M. Blanchot, « Le Musée, l’Art et le Temps », in L’Amitié, Paris, Gallimard, 1971, p. 22. L’intention n’est pas ici essentiellement de rendre compte des « idées » de Malraux : « Ce ne sont pas tout à fait des idées », comme le dit fort bien Blanchot, et il n’est pas sûr que leur valeur de vérité ou leur efficacité se mesurent à leur mise en ordre de marche discursive dans un travail de reconstitution et d’explicitation critiques.
- [11]
-
[12]
L’Amitié, op. cit., p. 21.
-
[13]
Au moins sur la ligne qui conduit de la première édition du Musée Imaginaire (1947) (il appartenait alors à La Psychologie de l’art) au projet des Grandes Voix (auquel Malraux travaille jusqu’en 1973, date à laquelle il l’abandonne), en passant par Les Voix du silence (1951) et Le Musée Imaginaire de 1965. La genèse et la composition de La Métamorphose des dieux posent pour leur part des problèmes spécifiques dont il n’est pas possible de traiter ici.
-
[14]
Préface (inédite) aux Grandes Voix, Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 961. Notons que cette formule est récurrente, comme le montre notamment la préface de L’Irréel : « J’avais écrit des Voix du silence ce que je pourrais écrire de ce livre : ce n’est pas plus une histoire de l’art que La Condition humaine n’est un reportage sur la Chine » (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 365).
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[15]
Après avoir souligné que La Psychologie de l’art (c’est ainsi qu’il propose de nommer l’ensemble des livres sur l’art de Malraux) est « une sorte d’ontologie mais non philosophique », J.-F. Lyotard cite et commente cette même phrase : « C’est le projet d’une métaphysique, aucun doute. Mais si l’on ajoute “… lorsqu’elle surgit de la première civilisation consciente d’ignorer la signification de l’homme”, alors il est fatal que le projet avorte, puisque nulle spéculation n’échappera à l’évidence du sans-réponse dont s’éclaire et se plaint la condition moderne » (in Signé Malraux, op. cit., p. 347).
-
[16]
Préface de L’Irréel, op. cit., p. 365-366.
-
[17]
« L’imagination est un domaine de rêves, l’imaginaire, un domaine de formes », L’Homme précaire et la Littérature, Paris, Gallimard, 1977, p. 179.
-
[18]
Rappelons l’écart qu’ouvre Malraux : « Le génie du romancier est dans la part du roman qui ne peut être ramenée au récit », ou, plus loin : « La création romanesque naît de l’intervalle [qui] sépar[e] le roman de l’histoire qu’il raconte » (ibid., p. 142 et 180).
-
[19]
A propos de ce que signifie pour Malraux l’ordre du discours, on citera un passage de L’Intemporel : « De même que les mots sont ordonnés par Rimbaud et par Mallarmé, par Nerval et par Baudelaire, par tous leurs prédécesseurs lorsqu’ils échappent au discours, pour une fin commune qui est le poème, les taches de Watteau et de Goya sont ordonnées par une volonté commune, pour une fin commune dont l’harmonie ne fournit qu’un moyen, et qu’il serait dérisoire de confondre avec le plaisir de l’œil » (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 794). C’est nous qui soulignons.
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[20]
Selon Jean-Yves Tadié, « l’activité de Malraux romancier n’a été qu’une série d’entractes dans une existence dévolue à l’art » (Introduction aux Ecrits sur l’art I, op. cit., p. xxxi).
-
[21]
Pour reprendre les termes de Claude Prévost, qui oppose les Antimémoires en particulier, son œuvre « monodique » en général, aux « grands livres de notre temps [qui] relèvent de la polyphonie » : « Ce poète métaphysicien est tout entier un écrivain de la représentation : il traduit en langage épique et mystique une expérience qui préexiste à l’acte d’écrire. Son écriture est un langage second et, de plus en plus, un pur ornement » (« Les Antimémoires ou le dialogue avec l’invisible », La Nouvelle Critique, no 20 – nouvelle série –, janvier 1969, p. 48).
-
[22]
Qui n’est pas reprise telle quelle dans la collection de « la Pléiade ».
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[23]
Pour une relecture de ces deux romans et des compléments aux références qui y seront faites dans le cours de ce développement, on se permettra de renvoyer à notre étude : Répétitions et Variations chez Malraux, Paris, Champion, 2004.
-
[24]
Roger Stéphane, Entretiens et Précisions, Paris, Gallimard, 1984, p. 21.
-
[25]
Termes que nous empruntons à la métaphore tout à la fois picturale et musicale de Blanchot. Dans le souci de rendre compte des gestes de composition de l’écrit sur l’art, ils nous semblent plus adéquats que l’idée selon laquelle « Malraux ne raconte pas seulement des faits, ce qu’il raconte, surtout, ce sont des concepts » (D. Vaugeois, loc. cit., p. 135). Cette dernière a certes le mérite de faire porter un certain accent sur ce qu’on a appelé des « effets de fiction » dans un « domaine » (mot que Malraux emploie lorsqu’il entend éviter d’enfermer un écrit dans les frontières d’un genre) qu’on tend à assimiler au genre de l’essai (défini au départ par J.-F. Louette et P. Glaudes comme « prose non fictionnelle à visée argumentative » – L’Essai, Paris, Hachette, 1999, p. 7). Mais cette formule d’une narration de concepts, avec le vocabulaire et les instruments d’étude qu’elle mobilise, tend en même temps à occulter la manière dont l’écrivain d’art hérite des schèmes et stratégies narratives de « l’imaginaire du roman ».
-
[26]
Dans La Fabrique du continu (Essai sur la prose), Seyssel, Champ Vallon, 1999.
-
[27]
M. Collomb, Introduction à Voix et Création au xxe siècle, Actes du colloque de Montpellier (janvier 1995), Paris, Champion, 1997, p. 25.
-
[28]
T. Adorno, in L’Essai comme forme, Paris, Flammarion, 1984 (cité par J.-F. Louette et P. Glaudes dans L’Essai, op. cit., p. 7).
-
[29]
P. Valéry, « Histoire d’Amphion », Pièces sur l’art, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1934, p. 75.
-
[30]
Sur l’histoire du Salon, de la Galerie, du Musée, voir notamment les pages d’introduction de Jean-Pierre Guillerm, dans Tombeau de Léonard de Vinci, Presses universitaires de Lille, 1981, p. 7-16.
-
[31]
Les Voix du silence, in Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 266.
-
[32]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 13.
-
[33]
Ibid., p. 231.
-
[34]
L’Homme précaire et la Littérature, op. cit., p. 321.
-
[35]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 84.
-
[36]
Rappelons avec Michael Riffaterre qu’« énoncé pour l’historien, et le critique d’art, l’ekphrasis reste énonciation pour l’écrivain » (« L’illusion de l’ekphrasis », in La Pensée de l’image, Presses universitaires de Vincennes, 1994, p. 221).
-
[37]
Lettre à Marc Chagall, dans Et sur la terre, Paris, Maeght éditeur, 1977, p. V.
- [38]
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[39]
Etant entendu que porter une attention au « signe comme chose » ne revient pas à « congédier toute signifiance » : « Signifier l’insignifiance est encore une signifiance, et non des moindres », comme le montre G. Genette (L’OEuvre de l’art, t. 2, La Relation esthétique, Paris, Ed. du Seuil, 1996, p. 67).
-
[40]
Ibid., p. 239.
-
[41]
Expression de B. Vouilloux (in La Peinture dans le texte, Paris, CNRS, 1994, p. 89).
-
[42]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 42.
-
[43]
Ibid., p. 48. Pour une mise au point sur ce qui serait devenu une doxa à propos de l’art moderne, voir B. Vouilloux, « Les tableaux de Flaubert » (Poétique, no 135, septembre 2003, notamment p. 273).
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[44]
Ces métaphores voudraient rejoindre les instruments d’écoute proposés par Thierry Marin (voir « Pour une narration musicale », Poétique, no 122, avril 2000, p. 131-157).
-
[45]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 213.
-
[46]
Pour reprendre la belle expression par laquelle Jean-Pierre Richard évoque les signes et traces que Chateaubriand laisse de son passage dans le texte des Mémoires d’outre-tombe (in Paysage de Chateaubriand, Paris, Ed. du Seuil, 1967, p. 45).
-
[47]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 65.
-
[48]
Dans Le Musée Imaginaire, Malraux crée l’écho quand même fraternel entre Olympia et Une moderne Olympia : « Le chat noir de Manet se mêlait à l’ombre, le chien noir de Cézanne se découpe sur les draps » (ibid., p. 45-46). Pour l’anecdote sur l’inimitié entre les deux peintres, voir les notes 2 et 3 dans Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 1480.
-
[49]
Voir Saturne, le destin, l’art et Goya, in Ecrits sur l’art I, op. cit.
-
[50]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 42.
-
[51]
Le Musée Imaginaire, op. cit,., p. 42.
-
[52]
Ibid., p. 148.
-
[53]
Les Voix du silence, déjà, étaient dédiées à la pianiste Madeleine Malraux.
-
[54]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 239.
-
[55]
Ibid., p. 33.
-
[56]
Ibid., p. 42 et 46.
-
[57]
Ibid., p. 12-13.
-
[58]
P. Claudel, Le Soulier de satin (Troisième Journée, scène II), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997, p. 224. Soulignons que Malraux non seulement connaissait bien la pièce, mais en cite à l’occasion les versets, de mémoire, par exemple dans Le Miroir des limbes II, La Corde et les Souris, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1976, p. 144.
-
[59]
La Condition humaine, Œuvres complètes, t. I, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1989, p. 755-761.
-
[60]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 233.
-
[61]
L’Espoir, Œuvres complètes, t. II, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1996, p. 433.
-
[62]
Pour le détail des gestes de réassemblage et de repiquage entre la version de 1951 et celle de 1965 (avec la pagination de la réédition de 1996 en « Folio »), voir la notice de Christiane Moatti, dans Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 1404-1405.
-
[63]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 236-238.
-
[64]
Image et concept que nous empruntons à Edgar Morin, dans sa pensée de la complexité.
-
[65]
« Nous sommes d’autant plus sensibles à la fluidité du passé, que nous avons appris que tout grand art modifie ses prédécesseurs par sa seule création. Rembrandt n’est plus tout à fait, après Van Gogh, ce qu’il était après Delacroix » (Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 222).
-
[66]
Les Voix du silence, in Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 735, et Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 67.
-
[67]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 33.
-
[68]
Ibid., p. 71.
-
[69]
Ibid., p. 33.
-
[70]
L’Intemporel, in Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 796.
-
[71]
La Condition humaine, op. cit., p. 732.
-
[72]
Ibid., p. 738.
-
[73]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 235.
-
[74]
Dans L’Homme précaire et la Littérature, Malraux rappelle que « le peuple des saints de bois était un peuple d’intercession et de communion » (op. cit., p. 41) et, dans L’Irréel, il suggère que c’est dans la cathédrale du Musée Imaginaire que le « vocabulaire chrétien de Rembrandt », par exemple, incompris en son temps, trouvera enfin une possibilité de dialogue fraternel (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 639).
-
[75]
Malraux soulignera dans L’Intemporel la coïncidence entre la parution de la Vie de Jésus, dont il dit qu’elle « n’est pas un essai » et qu’« on l’a tenue pour un roman » (Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 732), et l’apparition de « l’art moderne, qui commence avec l’Olympia de Manet » (ibid., p. 653) : il considère en effet « l’événement intellectuel capital depuis Darwin : l’année où Cabanel peint sa Vénus (et Manet, Olympia), paraît la Vie de Jésus » (ibid., p. 728).
-
[76]
L’Espoir, op. cit., p. 365-367.
-
[77]
Le Musée Imaginaire, op. cit., p. 207.
-
[78]
Ibid., p. 9.
-
[79]
Ibid., p. 236.
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[80]
Ibid., p. 69.
-
[81]
Ibid., p. 239.
- [82]
-
[83]
Ibid., p. 160-161.
-
[84]
Voir le chapitre I.
-
[85]
Ibid., p. 14.
-
[86]
Ibid., p. 48.
-
[87]
Ibid., p. 36.
-
[88]
Ibid., p. 236.
-
[89]
Cette distinction est empruntée à Régine Robin, qui l’exploite à propos de L’Espoir, pour manifester que « le travail du texte écrit et désécrit ce que les autres instances idéologiques disent de façon univoque. Le texte ambiguïse, travaille sur une matière oxymorique » (« Pour une socio-poétique de l’imaginaire social », in La Politique du texte. Enjeux sociocritiques, textes réunis et présentés par Jacques Neefs – Pour Claude Duchet, Presses universitaires de Lille, 1992, p. 95 à 121).
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[90]
Antimémoires, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972, p. 292.
-
[91]
Récit de Romain Rolland que Malraux évoque dans « A propos des illustrations de Galanis », Ecrits sur l’art I, op. cit., p. 1175.
-
[92]
Antimémoires, op. cit., p. 287.
-
[93]
La Condition humaine, op. cit., p. 649-650.
-
[94]
Clappique est, dans le roman, la voix-fantôme du farfelu, c’est-à-dire, selon la belle définition de Michel Beaujour, « cette combinaison d’humour et de hasard objectif qui dérange les lignes, pose ironiquement les questions tragiques, et fait bâiller la porte de l’hypogée » (Miroirs d’encre, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 1980, p. 297). Sa « présence irréfutable et glissante comme celle du chat qui passe dans l’ombre » serait certainement à interroger tout autant dans cette anti-histoire de l’art que dans les Antimémoires (op. cit., p. 23) : mais c’est une autre histoire encore…
-
[95]
La Condition humaine, op. cit., p. 651.
-
[96]
Luminescence récurrente chez Malraux : on la perçoit dans la sombre caverne d’Ali-Baba d’un marchand de poissons (La Condition humaine, op. cit., p. 536), c’est la clarté de l’essence enflammée dans les couloirs obscurs du musée de Santa Cruz à Tolède (L’Espoir, op. cit., p. 113), mais c’est aussi la lumière d’un fiat lux après la nuit : « La poésie nous éclaire, malgré tout ce qui la sépare de la peinture : Recueillement de Baudelaire, Barbare de Rimbaud sont assurément des mots en un certain ordre assemblés, avant d’être le tableau d’un crépuscule, le récit d’une vision ; mais pas avant d’être des poèmes. Le but de Baudelaire, de Rimbaud, c’est la création d’un monde aussi différent du récit qui le suscite, qu’une phosphorescence l’est de l’objet dont elle émane » (L’Intemporel, Ecrits sur l’art II, op. cit., p. 787).