Poétique 2003/4 n° 136

Couverture de POETI_136

Article de revue

Galeries de portraits

Stendhal et le portrait parlé

Pages 433 à 453

Notes

  • [1]
    Balzac, « Etudes sur M. Beyle », publiées dans La Revue parisienne (25 septembre 1840), reproduites pages 111-155 dans Stendhal, textes rassemblés par Michel Crouzet, Loïc Chotard, André Guyaux, Pierre Jourde et Paolo Tortonese, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 1996, p. 153.
  • [2]
    L’expression se trouve dans l’un des plans d’Une position sociale, dans Le Rose et le Vert, Mina de Vanghel et autres nouvelles, textes établis, présentés et annotés par Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1982, p. 503.
  • [3]
    Lucien Leuwen, p. 1528. Toutes les citations renvoient désormais aux Romans et Nouvelles (t. I et II), éd. établie par Henri Martineau, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1948.
  • [4]
    Le Rouge et le Noir, p. 1472.
  • [5]
    La Chartreuse de Parme, p. 1370.
  • [6]
    « Réponse à M. de Balzac » (deuxième version), p. 162, dans Stendhal, op. cit. L’apparition non préparée des personnages secondaires a souvent été signalée par la critique stendhalienne, en particulier pour mettre en valeur la dimension picaresque de ses romans: « Ce sont des passagers embarqués pour quelques chapitres. On ne prend pas la peine de les annoncer; on ne prend pas la peine de les quitter non plus. […] Si les romans de Stendhal ressemblent à quelque chose, c’est aux romans picaresques. Ces passagers qui paraissent un instant puis qu’on oublie […], ce sont des rencontres de Gil Blas ou de Lazarillo de Tormes. » (Maurice Bardèche, Stendhal romancier, [1947], Paris, La Table ronde, 1983, p. 223-224.)
  • [7]
    La description est toujours problématique en littérature: « Décrire, c’est d’abord un “décrire pour” […] C’est donc ne pas faire de littérature. Inversement, faire de la littérature sera éviter, ou contourner, ou cantonner le descriptif » (Philippe Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette, coll. « HU. Recherches littéraires », 1993, p. 14).
  • [8]
    Nous reprenons une expression de Ph. Hamon dans Du Descriptif, op. cit., p. 171.
  • [9]
    La Chartreuse de Parme, p. 1372.
  • [10]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 172.
  • [11]
    « [Julien] remarqua, pour la première fois, un petit homme, au regard spirituel et qui portait un habit presque sans broderies. Mais il avait un cordon bleu du ciel par-dessus cet habit fort simple. […] Il apprit quelques moments après que c’était M. de la Mole. Il lui trouva l’air hautain et même insolent » (Le Rouge et le Noir, p. 318). Nous soutiendrions volontiers que cette présentation du marquis de la Mole (qui apparaît discrètement dans la première partie du Rouge lors de la visite du roi à Verrières, pour jouer le rôle que l’on sait dans la suite du roman) est en quelque sorte l’idéal de Stendhal pour la présentation des personnages secondaires.
  • [12]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 188. Ce procédé n’est pas le plus fréquent. Si l’on faisait des statistiques précises, la description en focalisation interne sur le protagoniste l’emporterait probablement. Notons que la troisième « thématique justificatrice » mise en lumière par Ph. Hamon, « le travailleur descripteur », n’est pas, à notre connaissance, utilisée dans le récit stendhalien.
  • [13]
    Journal littéraire, texte établi, annoté et préfacé par Victor Del Litto, Genève, Edito-Service S. A., coll. « Cercle du bibliophile », 1970, t. 1, p. 57. Nous soulignons. Cette note, datée de 1802, se trouve dans un commentaire de La Pharsale.
  • [14]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 185.
  • [15]
    Le Rose et le Vert, p. 1094-1095.
  • [16]
    Le Rouge et le Noir, p. 460-462.
  • [17]
    Lucien Leuwen, p. 808. Nous soulignons.
  • [18]
    Le Rouge et le Noir, p. 440-444.
  • [19]
    Lucien Leuwen, p. 790. On retrouve la même caractéristique dans une galerie de portraits d’Une position sociale (p. 216-220), où Roizand questionne un dénommé Savelli, chef de la police carbonaro à Rome, qui lui donne des renseignements sur les factions politiques des personnages, et, au passage, des informations d’ordre descriptif sur eux.
  • [20]
    Le goût et le plaisir de la satire ne suffisent pas à expliquer la présence des galeries de portraits parlés. En effet, le narrateur stendhalien n’est en rien objectif, et il n’a nullement besoin de déléguer la parole pour manier la satire. Il ne se prive pas de décrire tel ou tel personnage de façon ouvertement ironique ou satirique (voir, par exemple, le portrait du marquis Del Dongo dans La Chartreuse de Parme (p. 32), analysé par Pierre Schoentjes dans Poétique de l’ironie, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Points / Essais-Inédits », 2001, p. 141 s.).
  • [21]
    Selon la redéfinition de l’ironie verbale proposée par P. Schoentjes dans Poétique de l’ironie, op. cit., p. 98.
  • [22]
    Les Vies parallèles relèvent du genre biographique, mais possèdent évidemment une dimension descriptive qui autorise par exemple J. Lebel à s’y référer à l’entrée « Portrait » du Dictionnaire du littéraire, Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala (dir.), Paris, PUF, 2002. Notons que le Recueil des portraits et éloges en vers et en prose des seigneurs et dames les plus illustres de France la plupart composés par eux-mêmes dédiés à son altesse royale Mademoiselle a été réédité en 1860 par Edouard de Barthélémy sous le titre La Galerie de portraits de Mademoiselle de Montpensier (Paris, Didier).
  • [23]
    Ph. Hamon écrit que « la description parlée par le personnage classe en retour le personnage lui-même », (Du Descriptif, op. cit., p. 189).
  • [24]
    Ph. Hamon considère le salon comme un lieu adéquat pour insérer une description: « Le salon est certainement le meilleur endroit où placer un “portrait” de personnage: jeu des portraits, présentation de X àY, annonce du nom par le domestique à l’entrée du personnage, cancans rétablissant la fiche biographique du passé du personnage, etc., peuvent s’y cumuler de la façon la plus “naturelle” » (Du Descriptif, op. cit., p. 189, note 2). Ce qui nous paraît frappant, c’est que le salon est propice à l’insertion de séries de portraits.
  • [25]
    Lesage, Gil Blas de Santillane, t. I, livre IV, chapitre VIII, Roger Laufer éd., Paris, Flammarion, coll. « GF », 1977, p. 228.
  • [26]
    Montesquieu, Lettres persanes, lettre XLVIII, Jean Starobinski éd., Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1973, p. 133-136.
  • [27]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 186. Nous soulignons.
  • [28]
    Ainsi, la description en focalisation interne est souvent justifiée par la présence d’un personnage qui sait voir, d’où la prédilection pour le personnage de l’artiste-peintre (focalisateur idéal!) que l’on retrouve chez Balzac, Zola, et même chez Stendhal dans Féder: « Son œil de peintre fut attiré par la taille admirable d’une jeune fille » (p. 1302); « En observant Valentine avec le coup d’œil exercé d’un peintre de portraits » (p. 1304); « Il y avait certains traits de sa figure qu’il ne pouvait se lasser de regarder comme peintre » (p. 1348).
  • [29]
    On retrouve un phénomène similaire dans Le Rose et le Vert, où le baron de Vintimille semble soudain doté, au moment de la galerie de portraits, d’une lucidité surprenante, légèrement incohérente avec le portrait qu’on nous en a fait.
  • [30]
    Le Rouge et le Noir, p. 459. Nous soulignons. Dans le passage suivant, c’est la juxtaposition des opinions du narrateur, du marquis et de Pirard qui met en cause la compétence de ce dernier:
    « [Julien] se présenta à l’abbé Pirard, qui le regarda beaucoup.
    • Vous allez peut-être devenir un fat, lui dit l’abbé d’un air sévère. Julien avait l’air d’un fort jeune homme, en grand deuil; il était à la vérité très bien, mais le bon abbé était trop provincial lui-même pour ne pas voir que Julien avait encore cette démarche des épaules qui en province est à la fois élégance et importance. En voyant Julien, le marquis jugea ses grâces d’une manière si différente de celle de son abbé, qu’il lui dit:
    • Auriez-vous quelque objection à ce que M. Sorel prît des leçons de danse? » (p. 447).
    On trouve une incohérence comparable dans l’extrait suivant, où le narrateur semble chercher à justifier a posteriori, d’une façon plutôt confuse, l’aisance de l’abbé dans la galerie de portraits que nous venons d’étudier: « C’est que le sévère abbé ne connaissait pas ce qui tient à la haute société. Mais, par ses amis les jansénistes, il avait des notions fort exactes sur ces hommes qui n’arrivent dans les salons que par leur extrême finesse au service de tous les partis, ou leur fortune scandaleuse. Pendant quelques minutes, ce soirlà, il répondit d’abondance de cœur aux questions empressées de Julien, puis s’arrêta tout court, désolé d’avoir toujours du mal à dire de tout le monde, et se l’imputant à péché. Bilieux, janséniste, et croyant au devoir de la charité chrétienne, sa vie dans le monde était un combat. »
    (p. 463.)
  • [31]
    Lucien Leuwen, p. 800-804, passim. Nous soulignons. Nous ne citons que les « sources » les plus explicitement convoquées; mais d’autres rumeurs ou « dit-on » parsèment les propos de Bouchard.
  • [32]
    Lucien Leuwen, p. 800. Notons que cette confidence est relativement invraisemblable, malgré le désir de Lucien de glaner des informations sur Mme de Chasteller, puisque notre héros, en mal de respect, a mouché le maître de poste quelques pages plus haut en lui parlant d’un « ton fort sec » (p. 795).
  • [33]
    Lucien Leuwen, p. 800-803, passim
  • [34]
    Lucien Leuwen, p. 795 et p. 803. Nous soulignons.
  • [35]
    Le Rose et le Vert, p. 1094. Nous soulignons les termes métadescriptifs.
  • [36]
    Analysée par Bernard Fournier, dans « Comment Stendhal présente Mme de Chasteller » (Europe, juillet-août-septembre 1972, p. 157-186). Mme de Chasteller n’est évidemment un personnage « secondaire » qu’au sens où elle apparaît dans un second temps dans le récit.
  • [37]
    « Cela est tout jeune et cependant elle est veuve d’un maréchal de camp attaché à la cour de Charles X. Madame de Chasteller prêche dans son salon; toute la jeunesse de la ville est folle d’elle […]. » (p. 791.)
  • [38]
    Entre les deux conversations, elle apparaît brièvement à Lucien (lors de sa chute dans la boue), mais le portrait dépendant de ce « regard descripteur » reste flou: « C’était une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et un air dédaigneux. » (p. 794.)
  • [39]
    On peut aussi considérer ce passage comme une galerie de portraits, dans la mesure où l’on a des esquisses de M. de Pontlevé et de M. de Blancet, qui sont respectivement le père et le prétendant de la jeune femme.
  • [40]
    On reconnaît là, évidemment, un des procédés traditionnels du théâtre classique ou du roman épistolaire.
  • [41]
    On remarquera, sans revenir sur la question de la compétence du bavard descripteur, qu’il est pour le moins singulier que des jeunes filles de la haute société ultra de Nancy tiennent, jusque dans le détail, des propos similaires à ceux du maître de poste…
  • [42]
    Nous nous appuyons ici sur les réflexions de D. Cohn dans ses deux ouvrages de référence, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 1981, et Le Propre de la fiction, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 2001.
  • [43]
    C’est la même chose, a fortiori, pour les galeries de portraits qui nous intéressent ici. En revanche, la « description parlée » de paysages ou d’objets reste possible, puisque la question de l’intériorité ne s’y pose pas.
  • [44]
    Michel Charles, Introduction à l’étude des textes, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 1995, p. 138.
  • [45]
    Lucien Leuwen, p. 902. Nous soulignons.
  • [46]
    Puisque leurs idées politiques en viennent à s’accorder très – trop – rapidement: « Lucien lui avait fait le sacrifice de son libéralisme, et elle à lui celui de son ultracisme; ils étaient depuis longtemps parfaitement d’accord là-dessus » (p. 1027).
  • [47]
    E. Bordas a montré que « le récit balzacien subordonne les discours intérieurs des personnages à la connaissance du narrateur omniscient et distribue ainsi des hiérarchies énonciatives » (p. 19). C’est le propos du chapitre intitulé « Prise en charge de l’énonciation individuelle par la locution narrative matricielle » (p. 97-159), dans Balzac, discours et détours. Pour une stylistique de l’énonciation romanesque, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. « Champs du signe », 1997.
  • [48]
    Pour reprendre les termes de J. Authier-Revuz, dans « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive: éléments pour une approche de l’autre dans le discours », DRLAV, no 26, 1982, p. 91-151.
  • [49]
    C’est ce que montre cette marginale de Lucien Leuwen: « Ceci est-il trop direct? faut-il faire un récit à Leuwen par quelque personnage: Mme de Serpierre, Bonnard, Gauthier? mais ce qu’il faudra d’espace pour peindre le caractère du personnage fera longueur » (p. 1524). Nous soulignons. Cette note est en marge du passage suivant: « Pendant longtemps Leuwen n’avait rien su de Mme de Chasteller. Ce que l’on vient de dire en deux lignes et les mauvais propos de M. Bouchard, le maître de poste, composait toute sa science sur ce sujet délicat. » (p. 939.)
  • [50]
    La Chartreuse de Parme, p. 128. Ces présentations sont racontées de la page 124 à la page 130.
  • [51]
    « Tout déplacement de personnage […] introduit du “nouveau” dans le texte et donc déclenche “naturellement” une description. » (Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 166.)
  • [52]
    Par exemple: « Le vieux prélat en longs cheveux blancs était encore plus timide, s’il se peut, que la princesse; ils se voyaient tous les jours, et toutes les audiences commençaient par un silence d’un gros quart d’heure. C’est au point que la comtesse Alvizi, une des dames pour accompagner, était devenue une sorte de favorite, parce qu’elle avait l’art de les encourager à se parler et de les faire rompre le silence. » (p. 128.) Nous soulignons.
  • [53]
    La Chartreuse de Parme, p. 126. Nous soulignons.
  • [54]
    Ibid., p. 129-130. Nous soulignons.
  • [55]
    Ibid., p. 125 et p. 129. Nous soulignons.
  • [56]
    La quasi-« omniscience » de Mosca est bien étudiée par la critique stendhalienne. Voir par exemple sur ce point l’article de Ginette Ferrier, « Sur un personnage de La Chartreuse de Parme, le comte Mosca », dans Stendhal-Club, no 49, 15 octobre 1970, p. 9-43.
  • [57]
    « Des choses curieuses et d’une bizarrerie intéressante furent rapportées à madame Pietranera: Le comte Mosca, lui dit-on, est sur le point de devenir premier ministre […]. Le comte serait déjà arrivé à ce poste suprême s’il eût voulu prendre une mine plus grave; on dit que le prince lui fait souvent la leçon à cet égard. […]
    • Le bonheur de ce favori, ajoutait-on, n’est pas sans épines. […] depuis qu’il est monté sur le trône, [le souverain] semble avoir perdu la tête et montre, par exemple, des soupçons dignes d’une femmelette. […]
    • Le croiriez-vous? disait à la comtesse un autre voyageur […].
    Ces contes, et vingt autres du même genre et d’une non moindre authenticité, intéressaient vivement madame Pietranera. » (p. 112-114.) Nous soulignons.
  • [58]
    Selon la marginale de Lamiel reproduite par H. Martineau dans sa préface: « pour chaque incident se demander faut-il raconter ceci philosophiquement ou bien le raconter narrativement selon le système de l’Arioste? » (p. 862).

1

Les portraits sont courts. Peu de mots suffisent à M. Beyle, qui peint ses personnages et par l’action et par le dialogue; il ne fatigue pas de descriptions, il court au drame et y arrive par un mot, par une réflexion [1].

2Cet extrait d’un article sur La Chartreuse de Parme ne manque pas de piquant, quand on en connaît l’auteur: Balzac en personne, infatigable et fatigant descripteur. La désaffection bien connue de Stendhal pour la description le distingue des romanciers de son temps. Pourtant, ses marginales montrent qu’il est très préoccupé par « la diable de description, selon la méthode de Walter Scott » [2] et que la brièveté et la rareté des passages descriptifs sont un choix par défaut; il s’exhorte souvent à ne pas négliger ce qu’il considère comme un passage obligé:

3

For me. Règle: Faire le portrait physique de tous les personnages ennuyeux et secondaires. J’ai manqué à cela dans Julien pour les Croisenois, de Luz, de Caylus [3].
Il manque la description physique des personnages à la scène du salon. Il fallait dire que le… avait cinq pieds dix pouces. Faute de trois ou quatre mots descriptifs par page et deux ou trois mots aussi par page pour empêcher le style de ressembler à Tacite, plusieurs pages qui précèdent ont l’air d’un traité moral. – Le lecteur est toujours vis-à-vis de quelque chose de trop profond [4].

4Plus encore que la description en général, c’est le portrait des personnages secondaires qui est problématique, et en particulier la courte description qui s’impose au moment de leur première apparition: « Je cherche à annoncer les personnages; j’ai songé que c’était là une des règles du genre » [5]; cette exigence réapparaît dans les trois versions du brouillon de réponse à Balzac:

5

Je vais faire paraître au foyer de l’Opéra, Rassi et Riscara envoyés là comme espions par Ranuce-Ernest IV, après Waterloo. Fabrice, revenant d’Amiens, remarquera leur regard italien et leur milanais serré que ces espions ne croient compris par personne. On m’a dit qu’il faut faire connaître les personnages, et que La Chartreuse ressemble à des Mémoires; les personnages paraissent à mesure qu’on en a besoin [6].

6La question de la description des personnages secondaires se pose fréquemment à Stendhal, parce que ses romans racontent l’apprentissage de héros qui pénètrent successivement dans différentes sphères géographiques et sociales. Quand ses héros arrivent à Paris, à Parme ou à Nancy, le romancier est tenu de faire le portrait des personnages qui, n’appartenant pas à l’univers initial des protagonistes, se présentent littéralement en second sur la scène du roman: c’est lorsqu’il faut présenter les personnages à la fois au lecteur et au protagoniste que le problème est crucial pour Stendhal.

7Pour résoudre ce problème, il utilise toute une gamme de solutions, dont nous allons définir rapidement les deux pôles, avant d’examiner en détail un procédé intermédiaire, qui nous paraît symptomatique du fonctionnement du récit stendhalien. Ces solutions ne sont toutefois pas propres à Stendhal, puisque, on le sait, l’intégration du régime descriptif dans le régime narratif est toujours malaisée [7].

8D’un côté, on trouve des descriptions de personnages dont l’introduction tardive et arbitraire est soulignée par le narrateur. C’est le cas par exemple pour le dénommé Gonzo, qui apparaît à la fin de La Chartreuse de Parme, juste au moment où le romancier a besoin d’un intermédiaire entre Clélia et Fabrice:

9

Entraînés par les événements, nous n’avons pas eu le temps d’esquisser la race comique de courtisans qui pullulent à la cour de Parme et faisaient de drôles de commentaires sur les événements par nous racontés.
[…]
M. Gonzo était un pauvre hère de cette sorte.
(p. 478.)

10Dans ce cas de figure, le romancier semble renoncer à « naturaliser » [8] sa description (c’est-à-dire à rendre naturelle son insertion), comme en témoigne cette marginale ultérieure: « Je sens la façon cavalière dont Gonzo est introduit. » [9]

11De l’autre côté, certaines descriptions sont au contraire parfaitement intégrées dans le récit. Ce sont celles qui dépendent d’une focalisation interne sur le protagoniste: le « regard descripteur » [10] de celui-ci nous fait découvrir un autre personnage. Pour Ph. Hamon, ce cas de figure constitue l’une des trois « thématiques justificatrices » de la description. La première apparition du marquis de la Mole, en focalisation interne sur Julien, en fournit un bon exemple [11].

12Nous allons nous intéresser à une solution intermédiaire entre ces deux pôles: la « description parlée » par un « bavard descripteur » [12], qui est une autre des « thématiques justificatrices » définies par Ph. Hamon. Stendhal l’utilise assez régulièrement, obéissant tardivement à la maxime élaborée des années auparavant pour l’épopée:

13

Avoir dans l’épopée la même horreur pour les portraits que dans la tragédie pour les maximes. Que mes portraits soient au plus de trois vers et toujours dans la bouche de quelque personnage[13].

14Les portraits des personnages secondaires sont donc souvent pris en charge, au discours direct, par d’autres personnages: « au lieu de voir un spectacle, le personnage “parlera” le spectacle, le commentera pour autrui [14]. » Ce que nous appellerons désormais portrait parlé, sur le modèle de l’expression de Ph. Hamon, est un cas de figure remarquable et problématique pour différentes raisons structurelles. En effet, le portrait parlé implique un retrait du narrateur qui, en déléguant la description à un personnage, renonce totalement à l’une de ses prérogatives; de plus, il provoque souvent des perturbations dans le récit, si bien que le romancier semble lâcher la proie pour l’ombre, et alourdir le déroulement de la narration sous prétexte de « naturaliser » la description; enfin, chez Stendhal, le portrait parlé est rarement solitaire et il se trouve la plupart du temps inséré dans des galeries de portraits. Ces trois phénomènes ont des conséquences notables sur l’organisation du récit, et ils seront donc en permanence à l’horizon de notre réflexion; ils posent en effet des problèmes importants pour la théorie de la description, à laquelle nous espérons contribuer par l’analyse du cas spécifique de la galerie de portraits, en particulier en développant et en précisant certains aspects des travaux de Ph. Hamon sur le sujet.

Visites

15Commençons par visiter rapidement quelques galeries afin de dégager les constantes des portraits qu’elles contiennent. Deux grands types sont à distinguer d’emblée: certaines d’entre elles présentent des personnages dont c’est l’unique apparition dans le roman, alors que d’autres introduisent des personnages « reparaissants ».

16On illustrera le premier type avec une galerie de portraits du Rose et le Vert, qui précède le dîner de Mina Wanghen et sa mère chez le baron de Vintimille. Avant de faire entrer ces dames au salon, le baron fait, au discours direct, une série de portraits des huit convives (sur la requête de Mina). Cette galerie, mêlée de traits satiriques, suit l’ordre du plan de table. Voici le genre de portrait qu’elle donne à lire:

17

Un homme, qui a une physionomie pétillante d’esprit, sera à la gauche de madame de Vintimille. Par malheur sa physionomie est une menteuse. Il ne sait pas dire un mot qui vaille, il fait des spéculations peu brillantes, mais sûres, et je l’évalue bien à trois millions [15].

18Le Rouge et le Noir présente un cas de figure comparable: lors d’une soirée des La Mole, Mathilde, « centre d’un petit groupe » de jeunes aristocrates, orchestre une conversation qui consiste à commenter en persiflant les entrées successives des hôtes du marquis. Trois personnages (MM. Descoulis, Sainclair et Bâton), qui ne reviendront pas dans le roman, sont décrits à plusieurs voix selon un schéma récurrent: un nom annoncé par le laquais est repris par l’un des personnages, en général Mathilde, et livré en pâture à l’esprit supposé des jeunes gens [16].

19Inversement, certaines galeries sont fonctionnelles. Ainsi, à la fin du chapitre III de Lucien Leuwen, lors de l’arrivée du régiment de Lucien à Nancy, nous assistons à une conversation entre le lieutenant général baron Thérance, le capitaine B… et le « lieutenant général comte N… pair de France chargé de l’inspection de la troisième division militaire » (p. 784). Ce dernier questionne les premiers sur la situation politique à Nancy: cette conversation en forme de compte rendu présente au lecteur des personnages dont beaucoup resteront des seconds rôles (Roller, les dames de Nancy, le républicain Gauthier), mais dont certains sont appelés à un brillant avenir dans la suite du roman (le docteur Du Poirier, Mme d’Hocquincourt, et surtout Mme de Chasteller). Le fait remarquable est que le narrateur se contente (provisoirement) de « ce triste tableau de la ville de Nancy » (p. 792), comme le montre l’allusion qu’il y fait quelques pages plus loin: « M. d’Hocquincourt, jeune homme fort riche, et qui a déjà eu l’honneur d’être présenté au lecteur » [17]. De même, au début de la deuxième partie du Rouge et le Noir, l’initiation de Julien par l’abbé Pirard au monde des La Mole sert de prétexte à une galerie de portraits parlés, en particulier ceux de Norbert et de la marquise [18].

Constantes des portraits parlés

20Quel que soit le statut du personnage décrit (« reparaissant » ou non), il est très facile d’isoler des traits communs à tous ces portraits:

  • leur brièveté;
  • la rareté des traits de description physique; en général un ou deux détails physiques sont évoqués, et guère plus. Ainsi, dans Lucien Leuwen, ces traits, subordonnés au panorama des appartenances politiques des personnages, ne font que compléter les portraits:
C’est de la noblesse très riche et très fière. Madame d’Hocquincourt est la plus jolie femme de la ville et mène grand train. Madame de Commercy est peut-être plus jolie encore que madame d’Hocquincourt mais c’est une folle, une sorte de madame de Staël, qui pérore toujours pour Charles X, comme celle de Genève contre Napoléon [19]
  • la place centrale de la biographie et de la psychologie des personnages décrits (c’est le corollaire logique du trait précédent):
Le gros homme à lunettes et cheveux plats […] a refusé un ministère il y a six semaines, il est député, riche fabricant, et sera ministre un jour.
(Le Rose et le Vert, p. 1094)
  • la dimension critique des portraits; toujours évaluatifs, ils ne sont jamais élogieux, et on y trouve force jugements péjoratifs:
Il serait moins bas de se mettre à genoux, reprit M. de Luz. (Le Rouge et le Noir, p. 461.)

21

C’est une grande femme blonde, dévote, hautaine, parfaitement polie, et encore plus insignifiante.
(Ibid., p. 442)
  • la tendance à la généralisation; celle-ci est très notable, par exemple dans Le Rose et le Vert, où certains des personnages présentés ne sont pas nommés, mais simplement désignés par le terme d’homme – ce qui est un comble quand Mina vient de demander au baron: « Dites-moi les noms »! Les descripteurs font fréquemment allusion au type (social, psychologique, etc.) de ceux qu’ils décrivent:
Cette grande dame est une sorte d’abrégé de ce qui fait au fond le caractère des femmes de son rang.
(Le Rouge et le Noir, p. 442)
  • la dérive vers la satire de mœurs [20]; cette satire prend souvent la forme d’une ironie reposant en particulier sur le principe du « blâme par la louange » [21]. Ainsi l’écrivain qui postule à l’Académie est stigmatisé à plusieurs reprises:
  • Voyez, dit mademoiselle de La Mole, voilà l’homme indépendant qui salue jusqu’à terre M. Descoulis, et qui saisit sa main. J’ai presque cru qu’il allait la porter à ses lèvres. […]
  • Sainclair vient ici pour être de l’Académie, dit Norbert, voyez comme il salue le baron L… (Le Rouge et le Noir, p. 461.)
Je placerai auprès de vous, Mesdames, M. de Derneville, écrivain célèbre, ordinairement il parle beaucoup; mais il y a une place vacante à l’Académie, il craindra de se compromettre par des épigrammes sur des gens connus et probablement ne dira rien. Il a une superbe épingle de diamants à son jabot.
(Le Rose et le Vert, p. 1094.)

Du portrait unique à la galerie de portraits

22A partir de ces constantes, on peut élaborer quelques hypothèses qui permettent de rendre compte de la multiplication des portraits.

23Ainsi, le fait que les portraits soient toujours critiques suffit à motiver aux yeux du lecteur le phénomène de la galerie. En effet, du point de vue de la vraisemblance, c’est de la volonté du personnage descripteur que dépend la poursuite de la description. Or, comme on sait, et comme le formule ailleurs Stendhal lui-même, « rien n’est amusant comme le commérage bien fait » (Lucien Leuwen, p. 1016); autrement dit, quand un personnage commence à goûter aux délices du portrait médisant, il n’y a aucune raison qu’il ait envie de s’arrêter! La motivation la plus évidente de la galerie est donc ici une maxime psychologique, relevant du « code culturel » qui contribue à rendre « lisible » le texte « classique » (pour reprendre les formulations de S/Z). Cette maxime est tellement évidente dans le « code culturel » que, même en restant implicite, elle justifie tout naturellement le passage du portrait unique à la série de portraits.

24D’un autre point de vue, on peut interpréter la prolifération des portraits parlés dans les galeries comme le résultat d’une pression qu’exerceraient sur l’écriture romanesque les modèles littéraires où l’on rencontre des portraits en série. Le premier modèle à identifier est tout simplement le genre littéraire du portrait. En effet, des Vies parallèles de Plutarque au Recueil des portraits et éloges de Mlle de Montpensier [22], on rencontre toujours le portrait sous sa forme pure dans des recueils qui donnent à lire des séries de portraits. Cette caractéristique générique influence très probablement l’écriture des portraits insérés dans d’autres genres. Un deuxième modèle, plus thématique que générique, est constitué par des textes qui se font l’écho de la pratique mondaine du portrait. Celui-ci, au xviie siècle en particulier, est avant tout un jeu de société (le jeu des portraits), occasion de joutes spirituelles entre des participants qui se livrent tour à tour à l’exercice. On peut lire dans nos galeries de portraits stendhaliennes des traces de cette pratique, relayée par des œuvres littéraires bien connues. Ici s’impose, pour un de nos exemples au moins, la référence à la fameuse scène des portraits du Misanthrope (II, 4); un des passages du Rouge évoqué plus haut y fait indéniablement allusion. De manière gratuite et ludique, comme Célimène et ses petits marquis, Mathilde et son cercle de soupirants font une série de portraits à charge de personnages qui ne viendront jamais sur la scène du roman. Dans Le Rouge et le Noir, l’allusion théâtrale est confortée par le fait que Julien est nettement présenté comme spectateur de la scène: il est silencieux, se tient à distance, « à l’extrémité du canapé opposée à celle qu’occupait la brillante Mathilde », et il est extrêmement « attentif »: « tout l’intéress[e], et le fond des choses, et la manière d’en plaisanter » (p. 460). Julien occupe en cela la même position qu’Alceste, lui aussi muet devant le « spectacle » offert par Célimène. Enfin, l’allusion au Misanthrope permet de compléter cette galerie de portraits à plusieurs voix par un portrait en creux, probablement le plus important de tous: celui de Mathilde en Célimène [23]. Par ailleurs, la pratique mondaine des portraits se retrouve, légèrement déformée, dans quelques scènes de romans-mémoires du XVIIIe siècle: dans un salon (lieu propice pour la galerie de portraits [24]), un personnage d’initiateur donne au narrateurpersonnage des renseignements sur les hôtes. Chez Lesage, par exemple, un « gouverneur des pages » « dépe[int] agréablement » cinq ou six visiteurs à Gil Blas, dont la fonction de maître de salle consiste à « annoncer et introduire les personnes qui arriv[ent] » dans le salon de la marquise de Chaves [25]; dans une scène similaire des Lettres persanes[26], c’est la conjonction d’un initiateur blasé et des interrogations du néophyte Usbek qui donne à lire une série de portraits parlés à deux voix (qui présentent exactement les mêmes caractéristiques que les portraits parlés stendhaliens); toutefois, dans le roman du xviiie siècle, la dimension satirique du jeu des portraits l’emporte sur les autres constantes.

25Le genre littéraire du portrait et sa dimension mondaine, relayée par quelques grands textes, rendent donc compte, au moins partiellement, de la multiplication des portraits. En outre, ces modèles littéraires – s’ils montrent que la galerie de portraits parlés n’est pas propre à Stendhal – mettent en lumière ce qui est peutêtre sa spécificité en la matière, à savoir la galerie de portraits de personnages « reparaissants »; en effet, les autres galeries, de Molière à Montesquieu, ne sont jamais fonctionnelles: elles tiennent du morceau de bravoure, de l’exercice de style. Ainsi Stendhal, en cherchant à résoudre le problème de la présentation de ses personnages secondaires, renouvelle un procédé éprouvé par la tradition.

Les écueils de la naturalisation du descriptif dans les galeries de portraits

26La solution de la galerie de portraits n’est cependant pas toujours satisfaisante, comme va le montrer l’examen des perturbations que provoque parfois son insertion dans le récit. Loin de « naturaliser » le descriptif, les galeries de portraits, très souvent problématiques, exhibent au contraire l’incongruité des descriptions – produisant ainsi l’effet inverse de celui que recherchait le romancier.

Vraisemblance

27La naturalisation de la description par la galerie de portraits parlés peut mettre en cause la vraisemblance du récit. En effet, la description parlée est un régime textuel où le « savoir circule d’un acteur plus informé à un acteur moins informé, ou […] se constitue en collaboration entre deux personnages parleurs » [27]. Il doit donc être vraisemblable non seulement que le « bavard descripteur » ait connaissance du « savoir » qu’il transmet, mais aussi qu’il le transmette. C’est ce que Ph. Hamon appelle la compétence du personnage descripteur (le « savoir-voir », le « savoir-dire », le « savoir-faire »), qui est indispensable au bon fonctionnement des « thématiques justificatrices » de la description [28].

28Examinons dans cette perspective la galerie de portraits de l’abbé Pirard: il s’agit d’une description parlée de la famille de La Mole, qui offre de nombreux points de convergence avec la première description du roman, celle de Verrières et de son maire, M. de Rênal. Toutes deux ont pour fonction de présenter un univers romanesque, et Pirard est ici un véritable relais du narrateur: il fournit en effet le même type d’informations que le narrateur dans l’incipit. Il évoque l’histoire familiale des La Mole:

29

Son aïeul à lui était de la cour et eut l’honneur d’avoir la tête tranchée en place de Grève, le 26 avril 1574, pour une intrigue politique.
(p. 441.)

30De la même manière, le narrateur racontait le passé des Rênal:

31

Sa famille, dit-on, est espagnole, antique, et à ce qu’on prétend, établie dans le pays bien avant la conquête de Louis XIV.
(p. 221.)

32L’abbé Pirard explique comment les personnages qu’il présente considèrent l’argent:

33

Avoir eu des ancêtres qui soient allés aux croisades est le seul avantage qu’elle estime. L’argent ne vient que longtemps après. Cela vous étonne? Nous ne sommes plus en province, mon ami.
(p. 441.)

34De même, le narrateur disait, en présentant Verrières:

35

Voilà le grand mot [prononcé par M. de Rênal] qui décide de tout à Verrières: RAPPORTER DU REVENU. A lui seul il représente la pensée habituelle de plus des trois quarts des habitants.
Rapporter du revenu est la raison qui décide de tout dans cette petite ville qui vous semblait si jolie.
(p. 224.)

36Les descripteurs établissent tous deux un lien entre les valeurs des personnages (ici l’argent) et leur origine géographique (Paris / province). Pirard est donc présenté par le roman comme un informateur très capable, possédant exactement les mêmes compétences que le narrateur. Pourtant, le texte peine par la suite à préserver la vraisemblance du savoir de l’abbé [29]. En effet, les traits psychologiques que le narrateur lui attribue entrent à plusieurs reprises en contradiction avec la compétence descriptive dont il a fait preuve. Par exemple, quand Julien lui demande s’il peut se dispenser de dîner avec les La Mole, sa réponse et l’explication qu’en donne le narrateur sont surprenantes:

37

— C’est un honneur insigne! reprit l’abbé, scandalisé. Jamais M. N… l’académicien, qui, depuis quinze ans, fait une cour assidue, n’a pu l’obtenir pour son neveu M. Tanbeau. […]
L’abbé, véritable parvenu, était fort sensible à l’honneur de dîner avec un grand seigneur [30].

38Cette caractérisation psychologique de Pirard, on en conviendra aisément, est incompatible avec la clairvoyance cynique dont il était doté quelques pages plus haut, au moment de la galerie de portraits.

39On trouve un problème identique dans un passage où Lucien Leuwen cherche à glaner des renseignements sur Mme de Chasteller auprès d’un maître de poste; cet interrogatoire est l’occasion d’une galerie de portraits parlés par le dénommé Bouchard, qui présente M. de Pontlevé, M. de Chasteller, Mme d’Hocquincourt, etc. Or, la vraisemblance du savoir du maître de poste est sujette à caution, car les nombreux détails qu’il donne sur la vie de Mme de Chasteller ne laissent d’être suspects. Habitant Nancy, il est certes plus compétent sur la ville que le nouveau venu Lucien, mais l’insistance avec laquelle il cite ses sources ne peut qu’éveiller le soupçon du lecteur:

40

Il croyait toujours que le peuple était dans les rues, comme il me l’a dit plus de vingt fois.
En mourant, il n’a rien laissé à ses gens, parce que, a-t-il dit au vicaire qui l’assistait, ce sont des jacobins.
Elle blâme fort son père, dit le valet de chambre, de ce qu’il ne veut plus voir son frère cadet, président à la cour royale de Metz, parce qu’il a prêté serment.
Ses gens disent qu’elle fait mettre les chevaux à sa voiture, et puis, au bout d’une heure, ordonne de dételer, sans être sortie [31].

41Bouchard, en bon cancanier, s’applique à donner à Lucien des informations certifiées par leur origine, ce qui lui permet de faire passer en force des informations douteuses, prises dans le flot de celles qui sont avérées. Le lecteur peut toutefois légitimement douter qu’un simple maître de poste ait connaissance des désirs de Mme de Chasteller, de son caractère, et de son amant supposé:

42

Elle a bonne envie de retourner à Paris; mais le père s’y oppose et cherche à la brouiller avec tous ses amis; il veut la circonvenir, quoi! C’est que, pendant le règne des jésuites et de Charles X, M. de Chasteller, qui était fort dévot, a gagné des millions dans un emprunt, et sa veuve possède tout cet argent-là en rentes, et M. de Pontlevé veut mettre la main sur tout cela, en cas de révolution.
(p. 801.)

43

Madame de Chasteller n’a eu qu’un amant, M. Thomas de Busant de Sicile, lieutenant-colonel des hussards que vous remplacez. Elle est toujours triste et singulière, excepté quand elle prend feu en faveur de Henri V.
(p. 803.)

44Les exemples de Pirard et de Bouchard montrent à quel point l’invraisemblance guette tout portrait parlé: les informations qu’un personnage peut vraisemblablement livrer sur un autre personnage s’épuisent très vite — ce qui explique d’ailleurs l’une des constantes des portraits parlés, la brièveté. Cet épuisement a aussi pour conséquence « naturelle » de pousser le « bavard descripteur » à commencer un autre portrait — ce qui rend compte de la multiplication des portraits.

Coût narratif

45Dans la galerie de portraits de Bouchard, le romancier a pourtant cherché à dissiper les doutes du lecteur sur la vraisemblance: la galerie a été motivée par une véritable scénographie, apparemment optimale, puisque le désir de savoir de Lucien est en parfaite harmonie avec le désir de parler de Bouchard (le « vouloir-dire », dans les termes de Ph. Hamon). Le long discours de Bouchard succède à une confidence de Lucien, indispensable pour établir entre eux l’intimité qui lui permet de mener ensuite un véritable interrogatoire:

46

Ce qui me désole c’est que ma chute a eu lieu sous les fenêtres avec persiennes vert perroquet, qui sont là-bas, avant la voûte… à l’entrée de la ville, à cette espèce d’hôtel […] et elle a ri de mon malheur. Il est fort désagréable de débuter ainsi dans une garnison, et dans une première garnison encore: Vous qui avez été militaire, vous comprenez cela, monsieur [32].

47Puis les propos de Bouchard sont motivés par les nombreuses questions de Lucien, qui cherche à cantonner la verve du maître de poste au seul portrait qui l’intéresse:

48

  • Mais quelle est cette dame?
  • Mais parlez-moi encore un peu, je vous prie, de cette jolie femme, madame de Chasteller.
  • Et sa veuve? dit Lucien, en riant.
  • Mais, monsieur, dit Lucien, que me font les ridicules de ce vieillard? Parlez-moi de madame de Chasteller.
  • Mon cher, vous me donnez des renseignements, et je les écoute comme un rapport sur la position occupée par l’ennemi [33].

49Enfin, la galerie de portraits est surtout justifiée par la caractéristique psychologique principale de l’interlocuteur de Lucien: ce Bouchard est un infatigable bavard, comme le signale d’emblée son nom. Loin de se contenter de ce clin d’œil, le texte souligne à plusieurs reprises le caractère du maître de poste:

50

M. Bouchard, se voyant remis à sa place aussi nettement, eut quelque idée de planter là le jeune officier; mais laisser échapper l’occasion de gagner dix louis; mais, surtout, se priver volontairement d’un bavardage d’une heure, c’est ce qui fut impossible pour notre maître de poste.
Lucien fit faire un mouvement à son cheval, qui alarma le bavard; il lui sembla voir échapper sa victime, et quelle victime encore! un beau jeune homme de Paris, nouveau débarqué et obligé de l’écouter[34]!

51Cette scénographie, motivant de façon très appuyée la galerie de portraits, occupe une place considérable dans le récit. Elle montre combien la justification d’un portrait parlé est difficile à mettre en place, coûteuse en termes d’espace textuel et de vraisemblabilisation – beaucoup plus coûteuse, de toute évidence, que la scénographie nécessaire pour mettre en place un « regard descripteur ». Dans ce passage, tout se passe comme si le romancier alourdissait son récit pour rendre vraisemblable la compétence du descripteur; ce faisant, il souligne l’artificialité du procédé – et la « naturalisation » supposée de la description devient contre-productive.

52Un phénomène similaire se produit dans la galerie de portraits du Rose et le Vert, qui n’occupe que deux petites pages, et qui n’en est pas moins motivée à trois reprises par des questions de Mina et une réflexion du narrateur:

53

  • Dites-moi les noms et, de grâce, faites-moi un peu de description, dit Mina, afin que je puisse comprendre quelque chose aux discours.

54Au milieu du monologue du baron:

55

  • Mais je vous retiens, Mesdames.
  • De grâce, encore quelques mots, s’écria Mina.

56Et, pour finir:

57

Le lecteur a peut-être trouvé cette liste bien longue. Mina, bien différente du lecteur, en était amusée, plusieurs fois elle avait retenu par ses questions M. le baron de Vintimille qui voulait donner la main à madame Wanghen et entrer au salon [35].

58Soulignons aussi le paradoxe de certaines galeries de portraits: pour naturaliser l’apparition de personnages secondaires, le romancier fait parfois surgir des personnages… « tertiaires », dans le seul but de les présenter! Ainsi Bouchard n’apparaît que pour faire sa galerie de portraits, puisqu’il ne réapparaît plus en tant que personnage et que son nom ne revient que dans les passages du roman où Lucien se remémore ses propos. C’est aussi le cas de l’autre galerie de portraits de Lucien Leuwen, parlés par deux militaires qui sont des personnages insignifiants, voués à disparaître rapidement du roman: leur seule fonction est de parler ces portraits.

59Le coût narratif élevé de la scénographie introduisant les galeries permet d’avancer une dernière hypothèse pour expliquer le passage du portrait unique à la galerie. Malgré la trivialité de l’argument, on peut raisonnablement avancer que Stendhal, quand il a déployé tout cet appareil de motivations pour mettre en place un portrait parlé, l’amortit, si l’on peut dire, en exploitant la scénographie pour plusieurs portraits.

Efficacité

60Le coût narratif des galeries de portraits nous conduit à un problème corollaire, apparemment trivial lui aussi: celui de la « rentabilité » de la galerie. Comme nous l’avons dit, en confiant le portrait à un personnage, le narrateur lui délègue l’une de ses prérogatives. Pour que la galerie de portraits soit efficace, il faudrait donc qu’elle se suffise à elle-même, qu’elle se substitue complètement à la description par le narrateur, sans nécessiter de compléments ou d’amendements dans d’autres passages descriptifs. Or, les portraits parlés sont souvent redoublés par d’autres portraits ultérieurs dans le roman.

61Revenons à la galerie de portraits des habitants de Nancy par les militaires de Lucien Leuwen; des raisons structurelles empêchent cette description parlée de se substituer à une description par le narrateur. D’abord, la compétence des « bavards descripteurs » est pour le moins douteuse: ils appartiennent à la hiérarchie militaire – nécessairement « juste-milieu » – de la Monarchie de Juillet. Le lecteur ne peut donc en aucun cas les considérer comme des porte-parole idéologiques du narrateur, car celui-ci s’est clairement défini dès l’incipit par son opposition à Louis-Philippe: ils ne peuvent pas être des relais fiables du narrateur. La seconde raison est que Lucien, le héros, n’assiste pas à cette conversation: elle est donc « reproduite » pour le seul bénéfice du lecteur, et devra nécessairement être redoublée par d’autres présentations des personnages secondaires au héros. Bref, ni le lecteur ni le roman ne peuvent se contenter de ce premier panorama descriptif de Nancy, sur lequel le texte devra revenir, pour l’affiner, le corriger, etc. Le procédé de la galerie de portraits parlés est extraordinairement peu rentable dans cet exemple.

62La suite du roman en fournit une preuve, avec la présentation de Mme de Chasteller [36]. Celle-ci est décrite dans les deux galeries dont nous avons parlé, mais aussi à d’autres occasions. Voici la liste des portraits de la jeune femme:

  • elle est évoquée pour la première fois lors de la conversation militaire du chapitre III [37];
  • au chapitre IV, elle est longuement décrite à Lucien par Bouchard (p. 800-804) [38];
  • au chapitre XIII, la jeune Théodelinde de Serpierre et d’autres jeunes filles font un autre portrait de Mme de Chasteller en conversant avec Lucien (p. 897-899) [39];
  • enfin, le portrait de Mme de Chasteller est repris et assumé par le narrateur, de façon « officielle », au chapitre XVIII (p. 932 s.).
Au prix d’un léger élargissement de notre définition initiale, on pourrait presque parler de la galerie des portraits de Mme de Chasteller: nous avons ici une série de portraits du même personnage, parlés par plusieurs autres personnages [40]. En les examinant dans le détail, on se rend compte que ces portraits sont redondants: par exemple, le portrait parlé par Bouchard est véritablement redoublé par la conversation chez les Serpierre. Aidées par les questions un peu plus discrètes de Lucien, les jeunes filles confirment une bonne partie des dires de Bouchard, en particulier la versatilité de Mme de Chasteller, les souffrances de son père pendant l’émigration et le despotisme de ce dernier. Mme de Serpierre fait même allusion aux « aventures de madame de Chasteller », semblant accréditer par cette insinuation les accusations de Bouchard. Contrairement au maître de poste, les Serpierre ne citent pas leurs sources; la raison implicite en est probablement leur noblesse, censée les placer au-dessus des rumeurs [41]. Ce passage n’apporte pas d’informations nouvelles sur la jeune femme, mais, pour le lecteur, tout se passe comme si le redoublement des informations dans le récit certifiait leur véracité. De même, quand le narrateur fait à son tour le portrait de Mme de Chasteller, il répète un certain nombre d’éléments mentionnés par les « bavards descripteurs »: l’ultracisme de Bathilde, la tyrannie de son père, etc. La présentation de Mme de Chasteller dans Lucien Leuwen est donc l’occasion d’une série de textes redondants, dont la rentabilité dans l’économie narrative est pour le moins contestable…

63Ces exemples montrent que le portrait parlé, quand il concerne des personnages appelés à revenir dans le récit, se suffit rarement à lui-même, ce qui grève son efficacité. On peut expliquer ce phénomène par la différence radicale entre les statuts du narrateur et des personnages: seul un narrateur de fiction est habilité à pénétrer dans les âmes de ses personnages, et donc à en faire un portrait psychologique fiable, en particulier par le biais du psycho-récit [42]. Un personnage, par définition, ne peut pas assurer cette partie du portrait, qui fait cruellement défaut dans un récit hétérodiégétique. Conclusion: il est structurellement impossible que le portrait parlé par un personnage se substitue à un portrait par le narrateur [43]. Ainsi, la délégation par le narrateur d’une de ses prérogatives se révèle périlleuse dès qu’il s’agit du portrait de personnages « reparaissants »: Stendhal, qui choisit justement d’appliquer ce procédé à ces derniers, joue donc un jeu dangereux. La galerie de portraits ne peut être efficace que lorsqu’elle concerne des personnages sans avenir romanesque – plus exactement, la question de l’efficacité ne se pose alors pas.

Hypothèses

64Les problèmes de vraisemblance, de coût narratif et d’efficacité sont suffisamment importants pour que l’on puisse parler des dysfonctionnements que provoquent les galeries de portraits: il faut chercher à expliquer pourquoi ce procédé, finalement contre-productif, est malgré tout utilisé de façon récurrente par Stendhal. L’effort du romancier pour naturaliser la description provoque de telles perturbations dans le récit que l’on peut se demander si les galeries de portraits n’ont pas une autre raison d’être, et n’obéissent pas à une autre exigence narrative. Cela permettrait d’expliquer pourquoi le récit stendhalien persiste à les utiliser en dépit des dysfonctionnements qu’elles entraînent. Nous sommes guidée dans cette réflexion par la définition de Michel Charles: un dysfonctionnement est révélateur de la rencontre de deux programmes, de deux modèles textuels, puisqu’il est « l’effet de la superposition ou, plus précisément, du chevauchement de structures différentes » [44].

65Prenons le cas des divers portraits de Mme de Chasteller; comment comprendre leur redondance? Une seule information diverge d’une version à l’autre: tantôt Mme de Chasteller a eu un amant, tantôt non. Cette question devient peu à peu cruciale pour Lucien, et pour lui seul, car le narrateur règle explicitement la question pour le lecteur en ces termes:

66

Lucien n’arriva jamais à savoir la vérité sur M. de Busant. Le fait est que c’était un fort bon et fort brave gentilhomme mais sans aucune sorte d’esprit. […] Il s’était porté amoureux de Mme de Chasteller. Il avait constamment ennuyé son père et elle de ses visites, mais jamais elle n’avait pu parvenir à rendre ses visites moins fréquentes. […]
Mais le pauvre Lucien était bien loin de pénétrer tout ceci[45].

67On peut formuler l’hypothèse suivante: redondants d’un point de vue informatif, ces portraits ne le sont pas du point de vue de la gestion de l’intrigue, puisqu’ils conduisent Lucien à soupçonner la vertu de Mme de Chasteller. On sait qu’une des difficultés de Stendhal pendant l’écriture de Lucien Leuwen était de trouver un obstacle suffisant entre ses deux personnages, qui, d’après les plans, devaient finir par se marier. L’inquiétude sur la vertu de Mme de Chasteller, qui persiste long-temps dans l’esprit de Lucien, fait donc office d’obstacle. Dès la scène du bal, pendant leur première conversation, Lucien dit, ex abrupto: « d’ailleurs j’ai un affreux soupçon » (p. 928). Plus tard, après l’aveu de leur amour réciproque, c’est une cause de discorde:

68

Jamais Leuwen n’osa lui confier le propos de Bouchard sur le lieutenant-colonel de hussards et l’absence de feinte était si complète entre eux que deux fois ce sujet approché par hasard fut sur le point de les brouiller. Mme de Chasteller vit dans ses yeux qu’il lui cachait quelque chose.
  • Et c’est ce que je ne pardonnerai pas, lui dit-elle avec fermeté. (p. 1038.)

69A la fin de la première partie, la mise en scène du docteur Du Poirier (qui fait croire à Lucien que Mme de Chasteller vient d’accoucher) relance ce soupçon; c’est parce qu’il était déjà suspicieux que Lucien croit à la supercherie et fuit à Paris – ce qui permet à Stendhal de retarder le dénouement du roman… Sans le soup-çon provoqué par la succession des portraits parlés, il n’y aurait pas d’obstacle entre les personnages [46]. Cette galerie de portraits de Mme de Chasteller joue donc sans l’afficher un rôle narratif primordial dans l’intrigue de Lucien Leuwen. En les lisant, le lecteur croit, à tort, être dans un régime descriptif. En fait, les portraits parlés ne servent à rien de ce point de vue, puisqu’ils sont tous repris et confirmés ultérieurement par le narrateur, point par point: c’est l’intrigue qui commence dans ces conversations. Faux régime descriptif, en somme, que ces portraits parlés, mais vrai régime narratif masqué. Les dysfonctionnements provoqués par ces galeries de portraits peuvent donc s’expliquer par la concurrence insidieuse entre le modèle descriptif et le programme de l’intrigue.

70Cette hypothèse n’est que partiellement satisfaisante, car elle ne vaut que pour l’exemple de Lucien Leuwen. Une autre solution nous paraît apte à rendre compte de toutes les galeries de portraits: l’utilisation fréquente de la description parlée chez Stendhal peut toujours s’expliquer par le fait qu’elle relève d’un autre programme fondamental du récit stendhalien.

71Comme tout énoncé, le texte stendhalien est polyphonique, traversé d’une multitude de voix; mais il nous semble que sa spécificité est de s’attacher à exhiber cette polyphonie. Cela l’oppose par exemple à Balzac et à son « récit auto-cratique », pour reprendre une expression d’Eric Bordas [47]; en effet, le narrateur balzacien « confisque » la parole des personnages, ce qui tend à réduire ou à gommer la polyphonie. Comme il est impossible de démontrer la spécificité de Stendhal dans le cadre de ce propos, nous nous contenterons, pour en donner une idée, de rappeler quelques-uns des éléments bien connus qui contribuent justement à montrer l’hétérogénéité de l’énonciation stendhalienne [48]: l’usage intensif des italiques, de l’ironie, les fameuses « intrusions d’auteur », les thématiques du commérage et de la rumeur, etc. Tous ces éléments appartiennent au programme que constitue selon nous l’exhibition de la polyphonie.

72On peut ajouter le procédé de la description parlée à la liste précédente, d’abord parce qu’il relève au premier chef de la polyphonie (puisqu’il consiste à donner la parole au personnage), ensuite parce qu’il l’exhibe (puisqu’il s’agit d’une délégation d’une prérogative du narrateur). Dans la description parlée, le lecteur prend nécessairement conscience que le personnage est un relais du narrateur, et cette conscience est encore accentuée par la galerie qui, en multipliant les descriptions, allonge la partie dialogique du texte.

73Il nous semble donc que les dysfonctionnements qui se produisent autour des galeries de portraits parlés sont provoqués par le chevauchement de deux exigences différentes du récit stendhalien:

  • la « naturalisation » de la description par le récit, qui constitue une exigence ponctuelle (propre au récit lisible-réaliste) au moment de la présentation des personnages secondaires. Comme on l’a vu, cette « naturalisation », quand elle prend la forme de la description parlée, provoque parfois l’effet inverse de l’effet recherché, par exemple des invraisemblances;
  • l’exhibition de la polyphonie, qui est pour nous un programme fondamental et permanent du récit stendhalien. Celle-ci est particulièrement facilitée par les galeries de portraits parlés, ce qui conduit Stendhal à les conserver en dépit des problèmes qu’elles posent.
Ces deux exigences (l’une ponctuelle, l’autre permanente) ne se situent pas sur le même plan. En effet, si le récit stendhalien exhibe la polyphonie, on ne peut se prononcer sur la conscience qu’en avait ou non le romancier – alors que le choix de la description parlée est sans aucun doute un procédé conscient chez Stendhal [49].

74Pour illustrer cette hypothèse, nous voudrions analyser un passage qui nous paraît résoudre avec une adresse exemplaire la tension entre les deux exigences du récit stendhalien. Il s’agit de la présentation de la duchesse Sanseverina à la cour de Parme. « Le cours d[es] présentations » [50] de Gina est en effet l’occasion d’une galerie de portraits. Celle-ci est particulièrement bien motivée: du point de vue de l’intrigue, la duchesse est présentée à la cour, ce qui permet, du point de vue de l’économie narrative, de présenter la cour au lecteur. De même, l’ordre de succession des portraits est justifié habilement et implicitement par le protocole de la cour (d’abord le prince, puis sa femme, puis le prince héréditaire, etc.). Dans ces quelques pages, la « naturalisation » de la galerie de portraits et l’exhibition de la polyphonie se complètent harmonieusement l’une l’autre.

75C’est en focalisation interne sur la duchesse que sont racontées les présentations. Le « regard descripteur » est parfaitement motivé, puisque la duchesse, nouvelle venue à Parme, observe tout naturellement avec attention les grands personnages qu’elle rencontre [51]. Une série de verbes de perception et de jugement signale cette focalisation, complétée par le narrateur qui quitte parfois la stricte contemporanéité avec la duchesse pour donner des informations sur les habitudes ou sur le passé des personnages [52]. Le passage n’est pourtant pas homogène, comme le montre l’extrait suivant:

76

[Le prince] reçut madame Sanseverina avec grâce; il lui dit des choses spirituelles et fines; mais elle remarqua fort bien qu’il n’y avait pas excès dans la bonne réception. – Savez-vous pourquoi? lui dit le comte Mosca au retour de l’audience, c’est que Milan est une ville plus grande et plus belle que Parme. Il eût craint, en vous faisant l’accueil auquel je m’attendais et qu’il m’avait fait espérer, d’avoir l’air d’un provincial en extase devant les grâces d’une belle dame arrivant de la capitale [53].

77Les propos au discours direct de Mosca embrayent directement sur la « remarque » de la duchesse, ce qui nous conduit à relire la phrase qui précède non pas comme le récit des pensées ou des perceptions auxquelles nous donnerait accès la focalisation interne, mais comme des paroles adressées à Mosca. Celui-ci répond en fait à la duchesse par une longue réplique au discours direct, qui devient un portrait parlé de Ranuce-Ernest. Notons que s’ébauche aussitôt une galerie de portraits, avec une description à grands traits du père de Clélia:

78

Mon plus grand ennemi à cette cour est un sot qu’on appelle le général Fabio Conti. Figurez-vous un original qui a été à la guerre un jour peut-être en sa vie, et qui part de là pour imiter la tenue de Frédéric le Grand. De plus, il tient aussi à reproduire l’affabilité noble du général Lafayette, et cela parce qu’il est ici le chef du parti libéral (Dieu sait quels libéraux!).
(p. 126.)

79Un peu plus loin, des passages similaires conduisent le lecteur à réinterpréter le récit en focalisation interne qu’il vient de lire comme la transposition des propos de la duchesse ou du comte:

80

La duchesse remarqua que l’antichambre, resplendissante de dorures, du palais de la Balbi, était éclairée par une seule chandelle coulant sur une table de marbre précieux, et les portes de son salon étaient noircies par les doigts des laquais.
  • Elle m’a reçue, dit la duchesse à son ami, comme si elle eût attendu de moi une gratification de cinquante francs.
Le cours des succès de la duchesse fut un peu interrompu par la réception que lui fit la femme la plus adroite de la cour, la célèbre marquise Raversi, intrigante consommée qui se trouvait à la tête du parti opposé à celui du comte Mosca. […] La Raversi n’est point une femme à mépriser, disait le comte à son amie […]. Cette dame, grande virago aux cheveux fort noirs, remarquable par les diamants qu’elle portait dès le matin, et par le rouge dont elle couvrait ses joues […] [54].

81Chacun des portraits peut donc être relu comme un compte rendu de la duchesse au comte après ses audiences. Cette interprétation est confortée par quelques traces de discours indirect qui donnent l’impression que tous les événements racontés par le narrateur sont en fait, avant tout, des sujets de conversation entre Mosca et Gina:

82

Mosca avait prévenu la duchesse que le prince avait, dans le grand cabinet où il recevait en audience, un portrait en pied de Louis XIV, et une table fort belle de scagliola de Florence.
Le comte Mosca disait que c’étaient ces sourires continuels, tandis qu’elle bâillait intérieurement, qui lui donnaient tant de rides [55].

83Ce « cours des présentations » de la duchesse à la cour de Parme est donc à réinterpréter comme une galerie de portraits parlés à deux voix par Gina et Mosca: la première se charge de la description physique et des impressions que lui a données telle présentation, et le second ajoute les détails et l’arrière-plan biographique qu’il est le seul à connaître. Même en l’absence de discours rapporté explicite, on peut presque attribuer à Mosca les informations dont nous disions plus haut qu’elles venaient du narrateur; en effet, le comte maîtrise si bien les rouages de la cour de Parme qu’il pourrait très bien être le narrateur de tous les événements qui s’y passent. Parmi tous les « bavards descripteurs » que nous avons rencontrés, il est le seul personnage dont la compétence n’est jamais en question, peut-être précisément parce qu’il n’est pas ce qu’on appelle un bavard. La parole de Mosca est presque toujours efficace: il lit dans l’âme du prince et il est capable de prévoir ce qui va se passer (par exemple ici, la présentation anticipée de Clélia à la cour) [56].

84Ce passage résout donc élégamment la tension provoquée par les deux exigences du récit stendhalien; les dysfonctionnements y sont réduits, même s’ils subsistent, puisqu’ils continuent à signaler la superposition des deux programmes. Par exemple, le portrait de Ranuce-Ernest par Mosca est redondant avec d’autres portraits parlés du même Ranuce, faits un peu plus haut à la future duchesse par d’anonymes voyageurs [57]. Cette galerie de portraits est introduite avec un naturel incontestable par le mélange des deux « thématiques justificatrices »: le « regard descripteur » est confié au personnage de « bavard descripteur » qu’est la duchesse Sanseverina. Par conséquent, chaque énoncé peut être lu tour à tour comme le récit du narrateur et comme la transcription des portraits parlés par les personnages. Ce texte met ainsi en œuvre une polyphonie subtilement portée à son comble, et règle avec maestria le douloureux problème de la présentation des personnages secondaires.

85L’exemple précédent, qui constitue au fond une solution mixte entre deux thématiques justificatrices, ne doit pas faire oublier les nombreux problèmes que pose la galerie de portraits parlés et que nous voudrions rappeler brièvement en guise de conclusion. Selon Ph. Hamon, le « bavard descripteur » est l’une des trois thématiques justificatrices de la description dans le récit réaliste-lisible. Or, il se trouve que cette thématique, pour diverses raisons que nous avons essayé de mettre en lumière, a tendance à déclencher la multiplication des portraits qu’elle introduit; dès lors, le procédé devient contre-productif, et le romancier en arrive régulièrement à l’effet inverse de celui qu’il recherchait: au lieu de « naturaliser » le descriptif, il provoque des invraisemblances, des lourdeurs, des redondances. La thématique justificatrice du bavard descripteur fonctionne en fait assez mal dans le récit quand elle cherche à « naturaliser » l’insertion de portraits fonctionnels. La nature de l’objet décrit a donc des conséquences sur la structure de la description; en effet, on ne rencontrerait probablement pas les dysfonctionnements que nous avons analysés ici dans des descriptions parlées de paysages: n’importe quel personnage, pourvu qu’il ait une compétence linguistique minimale, est a priori aussi apte que le narrateur à décrire un lieu ou un objet (ce qui n’est pas le cas pour l’intériorité des personnages); de plus, on imagine assez mal qu’un romancier confie à un personnage le soin de décrire de vive voix une série de paysages…

86Loin de gommer les sutures entre les deux régimes, narratif et descriptif, la galerie de portraits parlés les met donc en évidence, rappelant l’hétérogénéité, voire l’incongruité, des descriptions au sein du récit. L’exemple de Stendhal, qui a expérimenté ce procédé à de nombreuses reprises, le montre à ses dépens. En quoi notre auteur, obsédé par la nécessité de « raconter narrativement » [58], et poéticien plus avisé qu’on ne le dit souvent, avait raison de se méfier de la « diable de description ».

87
Université Paris-III

Notes

  • [1]
    Balzac, « Etudes sur M. Beyle », publiées dans La Revue parisienne (25 septembre 1840), reproduites pages 111-155 dans Stendhal, textes rassemblés par Michel Crouzet, Loïc Chotard, André Guyaux, Pierre Jourde et Paolo Tortonese, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, coll. « Mémoire de la critique », 1996, p. 153.
  • [2]
    L’expression se trouve dans l’un des plans d’Une position sociale, dans Le Rose et le Vert, Mina de Vanghel et autres nouvelles, textes établis, présentés et annotés par Victor Del Litto, Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1982, p. 503.
  • [3]
    Lucien Leuwen, p. 1528. Toutes les citations renvoient désormais aux Romans et Nouvelles (t. I et II), éd. établie par Henri Martineau, Paris, Gallimard, coll. « Bibl. de la Pléiade », 1948.
  • [4]
    Le Rouge et le Noir, p. 1472.
  • [5]
    La Chartreuse de Parme, p. 1370.
  • [6]
    « Réponse à M. de Balzac » (deuxième version), p. 162, dans Stendhal, op. cit. L’apparition non préparée des personnages secondaires a souvent été signalée par la critique stendhalienne, en particulier pour mettre en valeur la dimension picaresque de ses romans: « Ce sont des passagers embarqués pour quelques chapitres. On ne prend pas la peine de les annoncer; on ne prend pas la peine de les quitter non plus. […] Si les romans de Stendhal ressemblent à quelque chose, c’est aux romans picaresques. Ces passagers qui paraissent un instant puis qu’on oublie […], ce sont des rencontres de Gil Blas ou de Lazarillo de Tormes. » (Maurice Bardèche, Stendhal romancier, [1947], Paris, La Table ronde, 1983, p. 223-224.)
  • [7]
    La description est toujours problématique en littérature: « Décrire, c’est d’abord un “décrire pour” […] C’est donc ne pas faire de littérature. Inversement, faire de la littérature sera éviter, ou contourner, ou cantonner le descriptif » (Philippe Hamon, Du Descriptif, Paris, Hachette, coll. « HU. Recherches littéraires », 1993, p. 14).
  • [8]
    Nous reprenons une expression de Ph. Hamon dans Du Descriptif, op. cit., p. 171.
  • [9]
    La Chartreuse de Parme, p. 1372.
  • [10]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 172.
  • [11]
    « [Julien] remarqua, pour la première fois, un petit homme, au regard spirituel et qui portait un habit presque sans broderies. Mais il avait un cordon bleu du ciel par-dessus cet habit fort simple. […] Il apprit quelques moments après que c’était M. de la Mole. Il lui trouva l’air hautain et même insolent » (Le Rouge et le Noir, p. 318). Nous soutiendrions volontiers que cette présentation du marquis de la Mole (qui apparaît discrètement dans la première partie du Rouge lors de la visite du roi à Verrières, pour jouer le rôle que l’on sait dans la suite du roman) est en quelque sorte l’idéal de Stendhal pour la présentation des personnages secondaires.
  • [12]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 188. Ce procédé n’est pas le plus fréquent. Si l’on faisait des statistiques précises, la description en focalisation interne sur le protagoniste l’emporterait probablement. Notons que la troisième « thématique justificatrice » mise en lumière par Ph. Hamon, « le travailleur descripteur », n’est pas, à notre connaissance, utilisée dans le récit stendhalien.
  • [13]
    Journal littéraire, texte établi, annoté et préfacé par Victor Del Litto, Genève, Edito-Service S. A., coll. « Cercle du bibliophile », 1970, t. 1, p. 57. Nous soulignons. Cette note, datée de 1802, se trouve dans un commentaire de La Pharsale.
  • [14]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 185.
  • [15]
    Le Rose et le Vert, p. 1094-1095.
  • [16]
    Le Rouge et le Noir, p. 460-462.
  • [17]
    Lucien Leuwen, p. 808. Nous soulignons.
  • [18]
    Le Rouge et le Noir, p. 440-444.
  • [19]
    Lucien Leuwen, p. 790. On retrouve la même caractéristique dans une galerie de portraits d’Une position sociale (p. 216-220), où Roizand questionne un dénommé Savelli, chef de la police carbonaro à Rome, qui lui donne des renseignements sur les factions politiques des personnages, et, au passage, des informations d’ordre descriptif sur eux.
  • [20]
    Le goût et le plaisir de la satire ne suffisent pas à expliquer la présence des galeries de portraits parlés. En effet, le narrateur stendhalien n’est en rien objectif, et il n’a nullement besoin de déléguer la parole pour manier la satire. Il ne se prive pas de décrire tel ou tel personnage de façon ouvertement ironique ou satirique (voir, par exemple, le portrait du marquis Del Dongo dans La Chartreuse de Parme (p. 32), analysé par Pierre Schoentjes dans Poétique de l’ironie, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Points / Essais-Inédits », 2001, p. 141 s.).
  • [21]
    Selon la redéfinition de l’ironie verbale proposée par P. Schoentjes dans Poétique de l’ironie, op. cit., p. 98.
  • [22]
    Les Vies parallèles relèvent du genre biographique, mais possèdent évidemment une dimension descriptive qui autorise par exemple J. Lebel à s’y référer à l’entrée « Portrait » du Dictionnaire du littéraire, Paul Aron, Denis Saint-Jacques, Alain Viala (dir.), Paris, PUF, 2002. Notons que le Recueil des portraits et éloges en vers et en prose des seigneurs et dames les plus illustres de France la plupart composés par eux-mêmes dédiés à son altesse royale Mademoiselle a été réédité en 1860 par Edouard de Barthélémy sous le titre La Galerie de portraits de Mademoiselle de Montpensier (Paris, Didier).
  • [23]
    Ph. Hamon écrit que « la description parlée par le personnage classe en retour le personnage lui-même », (Du Descriptif, op. cit., p. 189).
  • [24]
    Ph. Hamon considère le salon comme un lieu adéquat pour insérer une description: « Le salon est certainement le meilleur endroit où placer un “portrait” de personnage: jeu des portraits, présentation de X àY, annonce du nom par le domestique à l’entrée du personnage, cancans rétablissant la fiche biographique du passé du personnage, etc., peuvent s’y cumuler de la façon la plus “naturelle” » (Du Descriptif, op. cit., p. 189, note 2). Ce qui nous paraît frappant, c’est que le salon est propice à l’insertion de séries de portraits.
  • [25]
    Lesage, Gil Blas de Santillane, t. I, livre IV, chapitre VIII, Roger Laufer éd., Paris, Flammarion, coll. « GF », 1977, p. 228.
  • [26]
    Montesquieu, Lettres persanes, lettre XLVIII, Jean Starobinski éd., Paris, Gallimard, coll. « Folio classique », 1973, p. 133-136.
  • [27]
    Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 186. Nous soulignons.
  • [28]
    Ainsi, la description en focalisation interne est souvent justifiée par la présence d’un personnage qui sait voir, d’où la prédilection pour le personnage de l’artiste-peintre (focalisateur idéal!) que l’on retrouve chez Balzac, Zola, et même chez Stendhal dans Féder: « Son œil de peintre fut attiré par la taille admirable d’une jeune fille » (p. 1302); « En observant Valentine avec le coup d’œil exercé d’un peintre de portraits » (p. 1304); « Il y avait certains traits de sa figure qu’il ne pouvait se lasser de regarder comme peintre » (p. 1348).
  • [29]
    On retrouve un phénomène similaire dans Le Rose et le Vert, où le baron de Vintimille semble soudain doté, au moment de la galerie de portraits, d’une lucidité surprenante, légèrement incohérente avec le portrait qu’on nous en a fait.
  • [30]
    Le Rouge et le Noir, p. 459. Nous soulignons. Dans le passage suivant, c’est la juxtaposition des opinions du narrateur, du marquis et de Pirard qui met en cause la compétence de ce dernier:
    « [Julien] se présenta à l’abbé Pirard, qui le regarda beaucoup.
    • Vous allez peut-être devenir un fat, lui dit l’abbé d’un air sévère. Julien avait l’air d’un fort jeune homme, en grand deuil; il était à la vérité très bien, mais le bon abbé était trop provincial lui-même pour ne pas voir que Julien avait encore cette démarche des épaules qui en province est à la fois élégance et importance. En voyant Julien, le marquis jugea ses grâces d’une manière si différente de celle de son abbé, qu’il lui dit:
    • Auriez-vous quelque objection à ce que M. Sorel prît des leçons de danse? » (p. 447).
    On trouve une incohérence comparable dans l’extrait suivant, où le narrateur semble chercher à justifier a posteriori, d’une façon plutôt confuse, l’aisance de l’abbé dans la galerie de portraits que nous venons d’étudier: « C’est que le sévère abbé ne connaissait pas ce qui tient à la haute société. Mais, par ses amis les jansénistes, il avait des notions fort exactes sur ces hommes qui n’arrivent dans les salons que par leur extrême finesse au service de tous les partis, ou leur fortune scandaleuse. Pendant quelques minutes, ce soirlà, il répondit d’abondance de cœur aux questions empressées de Julien, puis s’arrêta tout court, désolé d’avoir toujours du mal à dire de tout le monde, et se l’imputant à péché. Bilieux, janséniste, et croyant au devoir de la charité chrétienne, sa vie dans le monde était un combat. »
    (p. 463.)
  • [31]
    Lucien Leuwen, p. 800-804, passim. Nous soulignons. Nous ne citons que les « sources » les plus explicitement convoquées; mais d’autres rumeurs ou « dit-on » parsèment les propos de Bouchard.
  • [32]
    Lucien Leuwen, p. 800. Notons que cette confidence est relativement invraisemblable, malgré le désir de Lucien de glaner des informations sur Mme de Chasteller, puisque notre héros, en mal de respect, a mouché le maître de poste quelques pages plus haut en lui parlant d’un « ton fort sec » (p. 795).
  • [33]
    Lucien Leuwen, p. 800-803, passim
  • [34]
    Lucien Leuwen, p. 795 et p. 803. Nous soulignons.
  • [35]
    Le Rose et le Vert, p. 1094. Nous soulignons les termes métadescriptifs.
  • [36]
    Analysée par Bernard Fournier, dans « Comment Stendhal présente Mme de Chasteller » (Europe, juillet-août-septembre 1972, p. 157-186). Mme de Chasteller n’est évidemment un personnage « secondaire » qu’au sens où elle apparaît dans un second temps dans le récit.
  • [37]
    « Cela est tout jeune et cependant elle est veuve d’un maréchal de camp attaché à la cour de Charles X. Madame de Chasteller prêche dans son salon; toute la jeunesse de la ville est folle d’elle […]. » (p. 791.)
  • [38]
    Entre les deux conversations, elle apparaît brièvement à Lucien (lors de sa chute dans la boue), mais le portrait dépendant de ce « regard descripteur » reste flou: « C’était une jeune femme blonde qui avait des cheveux magnifiques et un air dédaigneux. » (p. 794.)
  • [39]
    On peut aussi considérer ce passage comme une galerie de portraits, dans la mesure où l’on a des esquisses de M. de Pontlevé et de M. de Blancet, qui sont respectivement le père et le prétendant de la jeune femme.
  • [40]
    On reconnaît là, évidemment, un des procédés traditionnels du théâtre classique ou du roman épistolaire.
  • [41]
    On remarquera, sans revenir sur la question de la compétence du bavard descripteur, qu’il est pour le moins singulier que des jeunes filles de la haute société ultra de Nancy tiennent, jusque dans le détail, des propos similaires à ceux du maître de poste…
  • [42]
    Nous nous appuyons ici sur les réflexions de D. Cohn dans ses deux ouvrages de référence, La Transparence intérieure. Modes de représentation de la vie psychique dans le roman, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 1981, et Le Propre de la fiction, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 2001.
  • [43]
    C’est la même chose, a fortiori, pour les galeries de portraits qui nous intéressent ici. En revanche, la « description parlée » de paysages ou d’objets reste possible, puisque la question de l’intériorité ne s’y pose pas.
  • [44]
    Michel Charles, Introduction à l’étude des textes, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique », 1995, p. 138.
  • [45]
    Lucien Leuwen, p. 902. Nous soulignons.
  • [46]
    Puisque leurs idées politiques en viennent à s’accorder très – trop – rapidement: « Lucien lui avait fait le sacrifice de son libéralisme, et elle à lui celui de son ultracisme; ils étaient depuis longtemps parfaitement d’accord là-dessus » (p. 1027).
  • [47]
    E. Bordas a montré que « le récit balzacien subordonne les discours intérieurs des personnages à la connaissance du narrateur omniscient et distribue ainsi des hiérarchies énonciatives » (p. 19). C’est le propos du chapitre intitulé « Prise en charge de l’énonciation individuelle par la locution narrative matricielle » (p. 97-159), dans Balzac, discours et détours. Pour une stylistique de l’énonciation romanesque, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, coll. « Champs du signe », 1997.
  • [48]
    Pour reprendre les termes de J. Authier-Revuz, dans « Hétérogénéité montrée et hétérogénéité constitutive: éléments pour une approche de l’autre dans le discours », DRLAV, no 26, 1982, p. 91-151.
  • [49]
    C’est ce que montre cette marginale de Lucien Leuwen: « Ceci est-il trop direct? faut-il faire un récit à Leuwen par quelque personnage: Mme de Serpierre, Bonnard, Gauthier? mais ce qu’il faudra d’espace pour peindre le caractère du personnage fera longueur » (p. 1524). Nous soulignons. Cette note est en marge du passage suivant: « Pendant longtemps Leuwen n’avait rien su de Mme de Chasteller. Ce que l’on vient de dire en deux lignes et les mauvais propos de M. Bouchard, le maître de poste, composait toute sa science sur ce sujet délicat. » (p. 939.)
  • [50]
    La Chartreuse de Parme, p. 128. Ces présentations sont racontées de la page 124 à la page 130.
  • [51]
    « Tout déplacement de personnage […] introduit du “nouveau” dans le texte et donc déclenche “naturellement” une description. » (Ph. Hamon, Du Descriptif, op. cit., p. 166.)
  • [52]
    Par exemple: « Le vieux prélat en longs cheveux blancs était encore plus timide, s’il se peut, que la princesse; ils se voyaient tous les jours, et toutes les audiences commençaient par un silence d’un gros quart d’heure. C’est au point que la comtesse Alvizi, une des dames pour accompagner, était devenue une sorte de favorite, parce qu’elle avait l’art de les encourager à se parler et de les faire rompre le silence. » (p. 128.) Nous soulignons.
  • [53]
    La Chartreuse de Parme, p. 126. Nous soulignons.
  • [54]
    Ibid., p. 129-130. Nous soulignons.
  • [55]
    Ibid., p. 125 et p. 129. Nous soulignons.
  • [56]
    La quasi-« omniscience » de Mosca est bien étudiée par la critique stendhalienne. Voir par exemple sur ce point l’article de Ginette Ferrier, « Sur un personnage de La Chartreuse de Parme, le comte Mosca », dans Stendhal-Club, no 49, 15 octobre 1970, p. 9-43.
  • [57]
    « Des choses curieuses et d’une bizarrerie intéressante furent rapportées à madame Pietranera: Le comte Mosca, lui dit-on, est sur le point de devenir premier ministre […]. Le comte serait déjà arrivé à ce poste suprême s’il eût voulu prendre une mine plus grave; on dit que le prince lui fait souvent la leçon à cet égard. […]
    • Le bonheur de ce favori, ajoutait-on, n’est pas sans épines. […] depuis qu’il est monté sur le trône, [le souverain] semble avoir perdu la tête et montre, par exemple, des soupçons dignes d’une femmelette. […]
    • Le croiriez-vous? disait à la comtesse un autre voyageur […].
    Ces contes, et vingt autres du même genre et d’une non moindre authenticité, intéressaient vivement madame Pietranera. » (p. 112-114.) Nous soulignons.
  • [58]
    Selon la marginale de Lamiel reproduite par H. Martineau dans sa préface: « pour chaque incident se demander faut-il raconter ceci philosophiquement ou bien le raconter narrativement selon le système de l’Arioste? » (p. 862).
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.85

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions