§ 1
Nous qui avions entendu Michel Deguy tonner au bord des tombes, rugir, et murmurer de douleur et transformer ces hurlements en vers et ces vers en poèmes merveilleux, merveilleux parce que, « à chaque fois uniques » et tournés vers l’erreur « de ce qui se cache dans un mort », nous qui avions été bouleversés par le Tombeau de Du Bellay, par les thrènes de À ce qui n’en finit pas de Desolatio et du Tombeau pour Yves Bonnefoy, nous qui avions été convaincus par lui que « faire son deuil, c’est ne pas faire son deuil », et qu’on n’en finira pas de vivre avec les morts, contre le mur de la mort, nous avions fini par sentir, sans vraiment comprendre ce que nous sentions, que l’une ou l’un d’entre nous devrait un jour se dresser au bord de la fosse et parler à l’endroit même où il était venu à manquer.
« Nous » ? Qui est ce nous ? C’est le nous formé par la compagne, les enfants, les amis, les proches et les très proches, mais aussi le nous ouvert des lectrices et des lecteurs dont l’œuvre de Michel Deguy, un jour aura traversé, pour la changer, la vie.
C’est de Michel Deguy que nous avons à parler, de cet homme que Tiphaine Samoyault appelle avec justesse « l’homme-peuple ». Je la cite : « Un homme-peuple est celui qui parvient à rassembler autour de lui tout un peuple : celui, concret de celles et ceux qui l’ont connu et aimé et avec lesquels il a travaillé mais aussi celui, abstrait qui construit la communauté par-delà les dommages que lui font subir de l’érosion du politique, les mésusages de la langue, l’équivalence du marché, des images, de la culture mondialisée »…