Couverture de POESI_172

Article de revue

Ricœur et la poésie contemporaine

Pages 245 à 253

Notes

  • [1]
    Temps et récit III, Seuil, 1985, p. 293.
  • [2]
    Ibid., p. 298.
  • [3]
    Cf. Poéthique, Une autothéorie, Champ Vallon, 2013, p. 89 sq.
  • [4]
    Les mots et les choses, Gallimard, 1966, p. 313.
  • [5]
    Cf. par exemple Jean-Pierre Cometti « Pour en finir avec la métaphore », in Poésie & philosophie, Rencontres de Marseille (1997), sous la direction de Jean-Claude Pinson et Pierre Thibaud, Centre international de Poésie Marseille et Farrago, 2001, p. 105-120. Lors de ce même colloque de Marseille, Michel Deguy insistait lui au contraire sur la nécessité d’« entendre généreusement la métaphore » pour autant qu’elle est « l’élément dans lequel la poésie pense » (ibid., p. 278-279). Ce faisant, il réitérait la position qu’il avait défendue dans le débat qui l’avait opposé à Gérard Genette entre 1969 et 1971. Disons rapidement (faute de pouvoir reconstituer ici un débat tout à fait essentiel) que Michel Deguy opposait à Genette et à son refus de toute valorisation supposément absolue (et à ses yeux indue) de la métaphore, ce que l’on pourrait appeler, en écho à la thématique derridienne d’une « archi-écriture », une théorie de l’« archi-métaphore » (de la relation toujours déjà figurale à ce qui est). En tant que telle, la parole poétique se voyait ainsi conférée par Michel Deguy une portée proprement ontologique, les « jugements en être-comme » dont elle est le lieu ayant une « valeur de vérité » propre (voir La poésie n’est pas seule, Court traité de poétique, Seuil, 1987, p. 64).
  • [6]
    Il affirme ainsi son refus de « lier le sort du narratif à une théorie des genres », « Réponses aux critiques », in Procope, Temps et récit de Paul Ricœur en débat, Cerf, 1990, p. 193.
  • [7]
    À cet essentialisme (qui est aussi un fixisme), me semble pouvoir être opposée la conception d’un Genette quand il affirme que la littérature est « une pratique constitutivement indécise » et dit sa préférence pour une poétique « conditionnaliste » (tirée de Nelson Goodman). « Ouverte », celle-ci autorise « une extension sans fin du champ de la littérarité conditionnelle sous l’effet d’une tendance à la récupération esthétique » (Fiction et diction, Seuil 1991, p. 29).
  • [8]
    Jean-Pierre Bobillot, « Le ver(s) dans le fruit trop mûr de la lyrique et du récit », in Procope, Temps et récit de Paul Ricœur en débat, op. cit., p. 73-110.
  • [9]
    Ibid., p. 97.
  • [10]
    In Procope, op. cit., p. 197.
  • [11]
    Ibid., p. 196.
  • [12]
    Temps et récit II, Seuil, 1984, p. 50.
  • [13]
    Procope, op. cit., p. 199
  • [14]
    Et pour Bobillot, c’est le vers d’abord qui est dissonant, « a-linguistique » (art. cit., p. 107).
  • [15]
    « L’art ne peut rompre avec l’institution formidable du langage. » Temps et récit II, op. cit., p. 45.
  • [16]
    Article cité, p. 105.
  • [17]
    Réflexion faite, Esprit, 1995, p. 26 (cité par Yvon Inizan, La demande et le don, L’attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 204).
  • [18]
    Je pense ici, par exemple, à Lycophron et à son poème Alexandra, traduit en 1971 par Pascal Quignard (traduction reprise en 2010 dans le volume Lycophron et Zétès, paru en Poésie/Gallimard).
  • [19]
    Abandonnant le dispositif « théologico-poétique » (celui notamment du kommende Gott, du « Dieu à venir »), le poète tâche de « conquérir son propre athéisme », devenant « poète ironiste » (Rorty) tout en se dévouant, selon les mots de Badiou, à un nouvel « enchantement de ce dont le monde, tel quel, est capable » (sur cette question, je renvoie au chapitre « De l’athéisme poétique aujourd’hui » de mon essai Sentimentale et naïve, Champ Vallon, 2002, p. 91-106).
  • [20]
    Dans cette optique, on lira en particulier « La poétique de Nerval », essai repris dans La Vérité de Parole, Mercure de France, 1988, p. 41-63.
  • [21]
    Raymond Roussel (1963), Gallimard, « Folio », 1992, p. 176.
  • [22]
    « Paroles d’introduction » (2002), in La conscience de soi de la poésie, sous la direction d’Yves Bonnefoy, Seuil, 2008, p. 387.
  • [23]
    Christian Prigent, quatre temps, Rencontre avec Bénédicte Gorrillot, Argol, 2009, p. 217.
  • [24]
    « La poésie est effet de sens mais aussi bien effet de trou. Il n’y a que la poésie vous ai-je dit, qui permette l’interprétation et c’est en cela que je n’arrive plus, dans ma technique, à ce qu’elle tienne : je ne suis pas assez pouâte, je ne suis pas pouâteassez » (Jacques Lacan, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, Éditions de l’ALI, leçon inédite du 10 mai 1977).
  • [25]
    Temps et récit II, op. cit., p. 50.
  • [26]
    Ibid., p. 57.
  • [27]
    Temps et récit III, op. cit. p. 388.
  • [28]
    Ibid., p. 379.
  • [29]
    Revenances de l’histoire, Répétition, narrativité, modernité, Minuit, 2006, p. 219.
  • [30]
    Temps et récit III, op. cit., p. 391.
  • [31]
    Ibid., p. 379.
  • [32]
    Cf. Giorgio Agamben, « Corn », in La Fin du poème, trad. Carole Walter, Circé, 2002, p. 46.
  • [33]
    Yvon Inizan, La demande et le don, L’attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, op. cit., p. 216.
  • [34]
    Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, L’éclat, 1991.
  • [35]
    Parue dans Esprit en 1966, elle est reprise dans le volume Lectures 2, Seuil, 1992, p. 335-347.
  • [36]
    Ibid., p. 341.
  • [37]
    Ibid., p. 346.
  • [38]
    Dominique Janicaud, La phénoménologie éclatée, L’éclat, 1998, p. 91.
  • [39]
    Réflexion faite, op. cit., p. 25-26.
  • [40]
    Temps et récit III, op. cit., p. 282.

1Ma méthode, je le dis d’emblée pour limiter autant que possible les malentendus, ne sera pas très orthodoxe. Doublement hérétique, plutôt.

2D’une part, la lecture que je fais (que j’ai faite) de Ricœur (de son rapport à la poésie – à la poésie lyrique) n’est pas une lecture savante, mais une lecture subjective. Procédant d’un intérêt d’auteur, elle n’est pas désintéressée mais pragmatique. Dans l’œuvre ricœurienne, j’ai d’abord cherché des outils pour aller de l’avant, à la fois comme auteur (de livres de « poésie ») soucieux d’inventer son chemin propre d’écriture et comme théoricien (essayiste) en quête de sa propre théorie de la poésie – en quête d’une « autothéorie ».

3D’autre part, cette lecture est délibérément externe, parce que j’ai lu et vais lire Ricœur en le confrontant à des points de vue qui lui sont extérieurs ; à des questions qui lui sont étrangères (celle de la création poétique), et à partir d’un champ qu’il n’aborde jamais comme tel, celui de la poésie contemporaine. Que cette lecture hérétique puisque ne pas exclure cependant une forme de rigueur propre, c’est ce dont on jugera.

Exode

4Une telle méthode, en sa dissidence, peut se justifier au moins de deux manières. Elle est d’une part nécessaire dès lors qu’on veut bien admettre que ce « dialogue que nous sommes » (Gadamer) n’est véritablement dialogue que là où il y a confrontation à une altérité véritable – celle qui suscite le thaumazein. Trop d’histoire de la philosophie, trop d’érudition, trop de lecture seulement interne contribuent souvent à tuer cette vertu philosophique première qu’est l’étonnement.

5D’autre part, cette altérité (en l’occurrence celle de la poésie contemporaine et spécialement celle des avant-gardes qui sont à son principe) ne peut être prise en compte que si le philosophe accepte de faire un pas de côté. Que si l’on pratique au regard de l’herméneutique une forme d’exode, au lieu de rester à l’intérieur du cercle herméneutique. J’emploie à dessein ce mot d’exode. Il est celui qu’utilise Ricœur quand il pense les conditions d’un « renoncement à Hegel ». Vouloir réfuter logiquement le système hégélien, écrit-il, est impossible. Toujours il nous rattrape. Il faut donc d’emblée décider d’en sortir et prendre acte de son « effondrement incroyablement rapide » dans l’histoire de la pensée [1]. Cet exode, qui consiste à considérer ce système comme un phénomène herméneutique lui-même soumis « à la condition de finitude [2] », est si intimement lié, précise Ricœur, aux présupposés de sa réflexion sur l’histoire, qu’il ne peut le légitimer.

6C’est au nom de cette même condition (de finitude) que j’esquisserai de mon côté, pour penser le (non)-rapport de Ricœur à la poésie contemporaine, un mouvement d’exode au regard de l’herméneutique elle-même, de l’ordre total du sens qu’elle instaure. Je le ferai en considérant cet autre événement, non plus simplement de pensée mais « épochal », qu’est l’explosion, la « catastrophe métaphysique du sens » (Adorno) propre à la modernité. Je le ferai aussi au regard de ce paradoxe qui fait que si rien n’a de sens, si le monde n’a pas de sens, cependant l’être-au-monde est « être-au-sens », il y a du sens et tout a un sens [3].

Dette

7Mais avant de préciser le point à partir duquel la boîte à outils fournie par le philosophe de l’herméneutique cesse de m’être utile, je dois d’abord, sous l’angle de cette méthode subjective et externe que j’ai dite, préciser ma dette envers l’œuvre de Ricœur.

8Au creux des années 1980, lisant avec retard La métaphore vive, je trouve dans ce livre pionnier (il date de 1975) de quoi argumenter mes réticences à l’encontre de ce qu’on a pu appeler le « textualisme ». De ce courant, j’ai subi en effet très tôt l’influence, ayant fréquenté les parages de la revue Tel Quel en 1966-1967. L’idée dominante, on s’en souvient, définit alors la littérature, en son essence, comme « intransitive » (recluse, selon le Foucault des Mots et des choses, dans « une intransitivité radicale [4] »). On rompt aussi, de divers côtés, des lances contre la métaphore, considérée à la fois comme « vieillerie poétique » et illusion métaphysique [5]. Livre à contre-courant, La métaphore vive, reprenant la distinction frégéenne du Sinn et de la Bedeutung, s’appuyant sur la distinction (reprise de Benveniste) du plan sémiotique et du plan sémantique, rétablit la dimension de la référence, qui plus est la pensant non seulement en amont du texte (préfiguration), mais aussi en aval (refiguration).

9C’est également chez Ricœur aussi que je trouve une échappée hors du lexicalisme et de la représentation alors dominante de la poésie comme art du mot (Char, Heidegger…). L’attention renouvelée portée à la puissance poétique de la syntaxe et au phrasé rend ainsi à nouveau légitime à mes yeux une poésie narrative en ces années-là plutôt tenue sous l’éteignoir.

10Au plan ensuite d’une philosophie de la poésie, l’idée hölderlinienne d’une habitation poétique de la terre, naguère tournée en dérision par les tenants du « textualisme », redevient « admissible » dès lors qu’on la repense à la lumière du livre de Ricœur. Le concept de refiguration, en particulier, permet de redonner sens à ce que j’appelle pour ma part une « poéthique ». En outre Ricœur permet d’échapper à cette maladie de la poésie que Queneau brocarde sous le nom d’« ontalgie ». À la métaphysique de l’habiter supposément primordial, à l’ontologisation lourde de la poésie qui voit Heidegger faire du poète le « berger de l’Être », Ricœur oppose une version plus sobre, où le corps aussi bien que l’être social et politique peuvent redevenir des dimensions authentiques de l’habitation poétique. Se trouvent ainsi reconquises la possibilité d’un lyrisme (d’une poésie de l’affect) comme celle d’une poésie civile (d’une poésie de l’existence ordinaire – souvent narrative). Tout cela s’accompagnant pour moi de la lecture de quelques poètes contemporains dont le paradigme poétique dominant empêchait de voir l’importance (James Sacré par exemple).

Modernité et dissonance

11Au-delà, je suis cependant conduit à me séparer de Ricœur – à contester certains présupposés de sa philosophie, pour autant qu’ils ne permettent plus de penser toute une part du « pouvoir heuristique » de la littérature, pour autant qu’ils ne permettent plus de se faire le « disciple du texte », impuissantes que sont les catégories herméneutiques qu’il a élaborées à se saisir des textes dissidents, hors cadre, que la modernité poétique a pu engendrer.

12Comme Aristote, Ricœur considère que le noyau de la littérature est en son essence fiction (poiésis = mimesis praxeos = muthos). Ce qui le conduit à privilégier de façon très nette le roman, en accord avec une doxa littéraire aujourd’hui tout à fait majoritaire. Ce qui l’empêche aussi de prendre vraiment en considération la poésie et plus largement les révolutions formelles qui font la singularité de la littérature et de l’art propres à la modernité.

13Malgré la « rétractation » formulée en conclusion de Temps et récit III, malgré son rejet d’une théorie rigide et normative des genres [6], Ricœur reste ainsi attaché à une vision « essentialiste » de la littérature [7]. D’où la prévalence chez lui d’un « style de traditionnalité » et une incompréhension des avant-gardes que lui reproche dans un texte de 1990 un poète et critique issu de TXT, Jean-Pierre Bobillot [8].

14J.-P. Bobillot considère comme « discutable sinon intenable » la position de Ricœur au regard d’une modernité avant tout synonyme de rupture et de dissonance. Elle a en effet mis en avant une littérature où se trouve déconstruit le schéma narratif (Robbe-Grillet étant ici invoqué). Bobillot ajoute que Ricœur ne parvient à sauver le paradigme aristotélicien qu’en déniant toute autonomie réelle au niveau esthétique pour le rabattre très vite sur le plan anthropologique. C’est « l’agir humain » qui, en dernière instance, fait qu’il y a toujours récit : « la confusion entre l’esthétique et l’anthropologique, écrit Bobillot, est utilisée comme arme préventive contre toute tentative de penser la rupture et la modernité [9] ». Il manquerait donc à l’herméneutique ricœurienne le moment d’une médiation esthétique apte à recevoir et comprendre la spécificité de la sphère des œuvres (leur réalité étant ramenée par Ricœur à la seule dimension de la configuration). Et il faut bien admettre qu’il n’y a pas à proprement parler, chez Ricœur, d’esthétique capable de prendre en charge ces « dé-définitions de l’art » (Harold Rosenberg) qui font la trame de l’art moderne et son statut sans doute à part.

15Dans sa réponse, Ricœur fait observer en premier lieu à Bobillot qu’il n’a nullement méconnu les limites du modèle aristotélicien et qu’il a même fait droit, dans la conclusion du troisième tome de Temps et récit, aux « répliques poétiques inédites » apportées aux apories du temps par la poésie lyrique.

16Ensuite, Ricœur reproche à Bobillot de mélanger les genres, transposant dans l’ordre réflexif et censé être impartial de la critique la posture partisane, « engagée », de l’artiste. « L’idéologie [10] » de la rupture radicale, de la table rase, si elle est légitime chez le second, ne l’est pas chez le premier, risquant alors de se transformer en pur et simple discours d’intimidation.

17En outre, poursuit Ricœur, on ne peut méconnaître la complexité du phénomène de la modernité et la ramener à la simple équation dissonance = modernité. S’il y a une modernité « déconstructrice », il y a aussi, ajoute-t-il, une modernité « constructrice » [11].

18Enfin, on ne peut ignorer une exigence de concordance qui est, au plan éthique, essentielle et qui fonde cette « indépassable attente de consonance » qu’évoque le deuxième volume de Temps et récit[12]. Ne pas vouloir prendre en compte ce lien, opposer la littérature à la non-littérature, « la couper des autres aventures de la praxis », c’est la condamner à l’errance [13]. On retrouve ici la question, esthétique, du degré d’autonomie qui peut être celui de la littérature.

Poésie et alogon

19Mais J.-P. Bobillot ajoute une autre critique, qui me semble plus fondamentale. Il croit voir chez Ricœur une « crainte de l’inintelligible », de l’alogon[14], crainte qui est en réalité le revers, chez le philosophe, de sa confiance, de sa foi, non seulement dans « l’institution formidable du langage [15] », mais dans « l’unité du langage et du monde ». Il s’agit là, commente Bobillot, « d’un présupposé d’ordre métaphysique qu’il ne m’appartient pas de discuter ici [16]». Or, selon moi, en dernière instance, et bien qu’ils soient pour l’essentiel implicites, ce sont bien des postulats métaphysiques (onto-théologiques) qui éloignent Ricœur de tout un pan de la littérature moderne. Certes, ils sont censés faire l’objet d’une épochè méthodologique, mais en réalité ils continuent de faire sentir en sourdine leur effet dans la réflexion ricœurienne (même quand Ricœur affirme vouloir produire « une philosophie sans absolu [17] »).

20Il y aurait lieu sans doute de s’interroger sur la façon dont la modernité littéraire peut se devancer dans l’Antiquité [18]. Admettons cependant que c’est avec cette modernité que s’affirme pleinement, en même temps qu’un athéisme poétique [19], une connivence particulière de la poésie avec l’alogon (non sans parfois la doublure d’un discours misologique). À la fois théorique et pratique, cette connivence se traduit par une propension à l’invention de langues déviantes et glossolaliques (de l’écriture zaoum des futuristes russes aux « métagrammes » de Raymond Roussel, pour ne citer que ces deux exemples). Elle se marque également par un tropisme de type anachorétique qui voit la poésie privilégier l’interrogation (plus « pathique » que conceptuelle) du sans-fond inintelligible, tandis que le roman est davantage inscrit dans l’ordre sensé des interactions humaines, aussi déraisonnables soient-elles.

21D’où chez maints poètes, plus ou moins explicite, une métaphysique de l’altérité non-logique du réel et du monde – d’une altérité irréductible au Logos. On la trouve aujourd’hui, pour prendre ces deux exemples extrêmes, aussi bien du côté d’un poète de l’existence comme Yves Bonnefoy que du côté du néo-dadaïste et héritier de Bataille, qu’est, par bien des côtés, un Christian Prigent. Pour le premier, la parole poétique vient en réponse à une énigme de l’existence qui se révèle, en l’épreuve de son hic et nunc, irréductible au concept et à son mouvement. D’où un « Anti-Hegel » moins connu que son « Anti-Platon », mais néanmoins explicitement formulé et sans doute plus essentiel [20]. Même métaphysique chez Prigent. Si ses sources sont différentes (Bataille et Lacan), toutefois l’accent n’est pas mis sur l’existence ; c’est le réel lui-même, l’« impossible » réel, qui est insymbolisable : il est « ce qui ne se nomme pas ». Traduit en langage kantien : nous ne pouvons pas échapper à la représentation ; n’atteignons jamais la Chose en soi.

22Faisant l’épreuve de ce que Foucault appelle une « faille ontologique [21] » du langage, la poésie est alors confrontée à une dimension du monde où il se donne comme in-sensé, comme néant et nullité de sens [22]. « C’est le rien du monde, écrit Bonnefoy, qui s’offre, silence au-delà des mythes ; c’est vers lui qu’il faut le courage de continuer d’aller plutôt que de revenir vers le rivage rassurant de la vie commune ». Et Prigent : « Il n’y a pas de fond de l’être ailleurs que dans la représentation qu’on s’en fait. […] De “fond”, en somme, il n’y en a pas [23] ». Il n’y a que du vide, du trou (le motif est aussi, chez Prigent, sexuel). En termes léopardiens : tout est rien, il n’y a que l’« éternullité » (le mot est de Laforgue).

23La poésie dès lors, selon Bonnefoy, ne peut qu’être un art du langage empruntant un autre chemin que celui de la raison discursive, privilégiant, dans le langage, tout ce qui est infra-sémantique (signifiance, prosodie…). Nous ne pouvons, souligne de son côté Prigent, que tenter, par « l’effort au style », « l’éreintante altercation langue/réel », de faire « fulgurer » des éclats arrachés à cet « impossible » réel.

24En conséquence, pour parler comme Lacan, la poésie ne produit pas seulement des effets de sens ; elle produit aussi « un effet de trou [24] ».

Éternité ou « éternullité » ?

25Certes, la métaphysique de Ricœur n’est pas, à première vue, une philosophie de l’identité (au sens de Hegel, comme identité processuelle de l’Être et du Logos) : il y a bien un « inscrutable » du temps, sur lequel bute la pensée et que tente de dire la poésie lyrique. Cependant, le télos qui commande l’herméneutique ricœurienne, au nom d’une « attente indépassable du lecteur », est bien celui d’une consonance, attente qui justifie qu’en dernière instance on prenne, à rebours d’un Beckett par exemple, le parti du sens et du paradigme narratif qu’il commande [25].

26Qu’il y ait, au niveau interhumain, attente de consonance, on peut certes l’admettre, dans la mesure où l’expérience demeure à ce niveau inscrite ordinairement dans un cercle herméneutique « où l’intelligibilité ne cesse de se précéder et de se justifier elle-même [26] ».

27Mais c’est beaucoup plus problématique quand l’expérience est celle d’une altérité radicale : qu’est-ce qui garantit alors, puisqu’on affronte du hors-langage, que la donation (ce qui survient) soit de l’ordre d’un sens à comprendre ? Ricœur, il faut le lui accorder, reste sobre et se garde de faire ici le saut vers la transcendance. Quand le récit fait état d’« expériences-limites » où il explore « les relations entre le temps et son autre », il les appréhende, nous dit Ricœur, « sous le signe de l’éternité [27] ». La fiction, ajoute-il, peut seule se permettre cette « ébriété ». Elle offre ainsi non une réponse, mais une « réplique » narrative à l’aporie à laquelle se heurte de son côté la pensée.

28Cependant, demandera-t-on, est-ce bien sous la notion d’éternité que peuvent se ranger toutes les « expériences-limites » du temps explorées par la littérature ? Privilégier celles qui autorisent en effet cette lecture (Mrs. Dalloway de Virginia Woolf, La Montagne magique de Thomas Mann ou Le Temps retrouvé de Proust) n’est-ce pas ignorer d’autres textes où ces expériences s’énoncent bien davantage sous le signe de l’« éternullité » (par exemple Fin de partie de Beckett) ? En réalité, c’est l’écho d’un très convenu théologème qu’on entend le choix de Ricœur. Et ce n’est évidemment pas par hasard qu’il en vient à évoquer dans ces mêmes pages Augustin célébrant « l’éternité du Verbe [28] ».

29Majorer ainsi l’éternité, c’est d’un même mouvement minorer une expérience du déchirement temporel (autrement dit de l’« éternullité ») essentielle à la mélancolie qui est à la source de l’art de raconter. En privilégiant la tradition, Ricoeur en vient en fait, montre Jean-François Hamel, « à remettre en cause la primauté du déchirement temporel face à la mise en intrigue ». Il ajoute : « Et c’est la mélancolie aristotélicienne, que Ricœur reconnaissait dans les termes d’une aporétique du temps, qui se voit en fin de compte occultée. On en arrive ainsi à nier le temps de la génération et de la corruption, celui-ci étant toujours soumis à la concordance d’une tradition ayant valeur de fondement ontologique [29]. »

30Enfin, si Ricœur fait crédit à la poésie, en tant que « lyrisme de la pensée méditante [30] », de pouvoir relayer le récit défaillant, c’est seulement sous deux formes qui ont elles aussi beaucoup à voir avec le vieux dispositif théologico-poétique. Celle de l’hymne et celle de la « grande élégie qui chante sur le mode mineur de la plainte la tristesse du fini [31] ». Rien à propos de cette « brisure » de l’hymne qu’a de son côté mise en lumière un Giorgio Agamben. Brisure qu’il faudrait penser dans deux directions. D’abord au point de vue métaphysique de l’alogon comme condition de la poésie moderne confrontée à cette « explosion métaphysique du sens » dont parlait Adorno. D’autre part, au point de vue d’une « philosophie de la métrique » qui reste à inventer [32] : qu’en est-il de la puissance disjonctive, césurante, du vers, de son « effet de trou », et de la pente disjonctive et glossolalique du poème moderne ?

Théologico-poétique

31Pour bien saisir cette impuissance à penser la poésie hors de l’horizon théologique, il faut en revenir au présupposé d’ordre métaphysique évoqué par Bobillot.

32La poésie moderne, en tant qu’elle se fait réflexive, « sentimentale » (au sens de Schiller), en tant qu’elle est expérience des limites du langage, est conduite à se poser la question de son être (« pourquoi de la poésie plutôt que pas ? »). Si désir de « l’autre rive » du langage il y a en elle, d’où peut-il lui venir ? La poésie est tout entière, écrit Yvon Inizan commentant Bonnefoy, « tendue vers la reconnaissance d’une donation, d’une offre [33] ». On pourra reconnaître ici la vieille question de l’inspiration. Mais aussi, à travers la notion de donation (le es gibt de Heidegger), un philosophème essentiel à ce « tournant théologique » de la phénoménologie qu’avait analysé en son temps Dominique Janicaud [34].

33À cette question de la donation, Bonnefoy donne une réponse non pas théologique, mais proprement poétique (et phénoménologique). Je cite à nouveau sa formule : « c’est le rien du monde qui s’offre, silence au-delà du mythe, c’est vers cela qu’il faut continuer d’aller ». Le « rien du monde », autrement dit quelque chose qui est d’abord de l’alogon.

34Cette question de la donation paraît d’abord relever de la métaphysique et de l’ontologie. Il est cependant arrivé à Ricœur (et la chose n’est sans doute pas anecdotique) de la soulever à l’occasion d’une longue recension d’un livre de Mikel Dufrenne, Le poétique[35]. Pour ce dernier « l’expressivité » de la poésie n’est ni émotionnelle ni subjective ; elle prend source dans une Nature (la Natura naturans de Spinoza) qui n’est pas fondement mais Fond. Tandis que Dufrenne lui-même en appelle plus tard (en 1973, dans un texte qui précèdera la réédition du volume de 1963) à une « philosophie non théologique », c’est une lecture profondément marquée par le dispositif théologico-poétique que propose dans sa recension Ricœur. « La poésie, écrit-il, nous invite à penser une présence et une puissance avant l’homme. » Et si la Nature comme « fond » est « origine du poétique, il faut admettre qu’elle appelle et engendre l’homme, qu’elle est anti-hasard, en route vers l’homme et son dire ». Postulat parfaitement finaliste et théologique [36], que Ricœur complète en ajoutant que si l’on veut éviter que « le fond soit muet », il est nécessaire d’« incorporer une ontologie du verbe à une ontologie de la nature » (« L’entreprise est plausible [37] »). Or parler d’ontologie du verbe, dans un contexte imprégné du paradigme théologico-poétique, c’est faire référence, au moins implicitement, au Verbe majuscule, au Logos johannique.

Absolution sans absolu

35On dira que ce texte est ancien et que le propos de Ricœur a pu, par la suite, se nuancer. Il reste que nul écrit ultérieur ne vient vraiment corriger cette pensée quant à la poésie. Surtout, le propos est parfaitement cohérent avec le « choix du sens » (de la concordance, de la réconciliation) que revendique Ricœur. Un tel choix, écrit Janicaud, quoi qu’en ait Ricœur (et quelle que soit l’ouverture attribuée à cette notion de sens), « se réarticule selon le pli de la structure onto-théologique, la phénoménologie venant prendre la place de l’ontologie (sous la forme d’une ontologie de l’agir) et l’herméneutique venant se loger dans l’espace correspondant à la théologie [38] ».

36J’ajouterai encore que ce « choix du sens », malgré les apparences (malgré le refus de la philosophie hégélienne de l’Histoire), est au fond très hégélien. On se souvient que chez Hegel, il n’y a nulle place véritable pour l’alogon (le contingent non logique). Ou plutôt, s’il lui est fait droit dans le Système, c’est toujours sous couvert du Verbe, puisque c’est lui, comme Logos séminal, qui le pose dans l’Être. C’est à ce postulat fondamental du hégélianisme que me semble au bout du compte faire implicitement écho le « choix du sens » de l’herméneutique ricœurienne : si alogon il y a, il s’inscrit dans l’horizon d’un Verbe suffisamment magnanime pour faire droit à un « trou » du sens et en effacer le scandale.

37L’« exode hors de l’hégélianisme » revendiqué par Ricœur n’est donc pas sans reste. Certes, la prise en compte de la finitude de l’interprétation coupe court à toute tentation d’un Savoir absolu. Et si Ricœur a pu être tenté, au début de son œuvre, par une « philosophie de la transcendance qui serait en même temps une poétique », comme il l’écrit dans son autobiographie intellectuelle, il n’a finalement jamais écrit cette « poétique de la Transcendance », son souci « de ne pas mêler les genres » l’ayant « plutôt rapproché de la conception d’une philosophie sans absolu [39] ». Néanmoins, si elle relève d’abord d’une anthropologie philosophique, c’est bien cet horizon d’une transcendance qui serait source ultime du sens qui hante sa poétique. Si bien qu’il ne serait pas tout à fait absurde d’appliquer à l’herméneutique ricœurienne, et bien qu’il s’en démarque, la fameuse formule de la Préface de la Philosophie du Droit où Hegel pose l’équation du réel et du Logos, formule dont il est symptomatique que Ricœur la réécrive en mode herméneutique (« Ce qui est, est sensé – ce qui est sensé, est[40]»). Si l’herméneutique ricœurienne n’est pas exactement une philosophie de l’identité au sens hégélien, elle est donc bien cependant une philosophie où il ne peut y avoir in fine qu’« absolution » par le sens de la différence non logique, que réconciliation (Versöhnung), synthèse dialectique (ou herméneutique).

38Dès lors, la poétique des avant-gardes, pour autant qu’elle est une poétique de la dissonance et de la différence irréductible (je songe à Bataille, Artaud… ou Prigent), ne peut être « métaphysiquement » comprise. Sans doute faudrait-il alors recourir, pour la penser, à d’autres boîtes à outils et à une autre logique du sens ; l’appréhender par exemple en termes d’« heccéités » et d’intensités, selon une philosophie de la différence de type deleuzien qui ferait pleinement droit à l’alogon (au non-sens).


Date de mise en ligne : 23/06/2020

https://doi.org/10.3917/poesi.172.0245

Notes

  • [1]
    Temps et récit III, Seuil, 1985, p. 293.
  • [2]
    Ibid., p. 298.
  • [3]
    Cf. Poéthique, Une autothéorie, Champ Vallon, 2013, p. 89 sq.
  • [4]
    Les mots et les choses, Gallimard, 1966, p. 313.
  • [5]
    Cf. par exemple Jean-Pierre Cometti « Pour en finir avec la métaphore », in Poésie & philosophie, Rencontres de Marseille (1997), sous la direction de Jean-Claude Pinson et Pierre Thibaud, Centre international de Poésie Marseille et Farrago, 2001, p. 105-120. Lors de ce même colloque de Marseille, Michel Deguy insistait lui au contraire sur la nécessité d’« entendre généreusement la métaphore » pour autant qu’elle est « l’élément dans lequel la poésie pense » (ibid., p. 278-279). Ce faisant, il réitérait la position qu’il avait défendue dans le débat qui l’avait opposé à Gérard Genette entre 1969 et 1971. Disons rapidement (faute de pouvoir reconstituer ici un débat tout à fait essentiel) que Michel Deguy opposait à Genette et à son refus de toute valorisation supposément absolue (et à ses yeux indue) de la métaphore, ce que l’on pourrait appeler, en écho à la thématique derridienne d’une « archi-écriture », une théorie de l’« archi-métaphore » (de la relation toujours déjà figurale à ce qui est). En tant que telle, la parole poétique se voyait ainsi conférée par Michel Deguy une portée proprement ontologique, les « jugements en être-comme » dont elle est le lieu ayant une « valeur de vérité » propre (voir La poésie n’est pas seule, Court traité de poétique, Seuil, 1987, p. 64).
  • [6]
    Il affirme ainsi son refus de « lier le sort du narratif à une théorie des genres », « Réponses aux critiques », in Procope, Temps et récit de Paul Ricœur en débat, Cerf, 1990, p. 193.
  • [7]
    À cet essentialisme (qui est aussi un fixisme), me semble pouvoir être opposée la conception d’un Genette quand il affirme que la littérature est « une pratique constitutivement indécise » et dit sa préférence pour une poétique « conditionnaliste » (tirée de Nelson Goodman). « Ouverte », celle-ci autorise « une extension sans fin du champ de la littérarité conditionnelle sous l’effet d’une tendance à la récupération esthétique » (Fiction et diction, Seuil 1991, p. 29).
  • [8]
    Jean-Pierre Bobillot, « Le ver(s) dans le fruit trop mûr de la lyrique et du récit », in Procope, Temps et récit de Paul Ricœur en débat, op. cit., p. 73-110.
  • [9]
    Ibid., p. 97.
  • [10]
    In Procope, op. cit., p. 197.
  • [11]
    Ibid., p. 196.
  • [12]
    Temps et récit II, Seuil, 1984, p. 50.
  • [13]
    Procope, op. cit., p. 199
  • [14]
    Et pour Bobillot, c’est le vers d’abord qui est dissonant, « a-linguistique » (art. cit., p. 107).
  • [15]
    « L’art ne peut rompre avec l’institution formidable du langage. » Temps et récit II, op. cit., p. 45.
  • [16]
    Article cité, p. 105.
  • [17]
    Réflexion faite, Esprit, 1995, p. 26 (cité par Yvon Inizan, La demande et le don, L’attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, Presses Universitaires de Rennes, 2013, p. 204).
  • [18]
    Je pense ici, par exemple, à Lycophron et à son poème Alexandra, traduit en 1971 par Pascal Quignard (traduction reprise en 2010 dans le volume Lycophron et Zétès, paru en Poésie/Gallimard).
  • [19]
    Abandonnant le dispositif « théologico-poétique » (celui notamment du kommende Gott, du « Dieu à venir »), le poète tâche de « conquérir son propre athéisme », devenant « poète ironiste » (Rorty) tout en se dévouant, selon les mots de Badiou, à un nouvel « enchantement de ce dont le monde, tel quel, est capable » (sur cette question, je renvoie au chapitre « De l’athéisme poétique aujourd’hui » de mon essai Sentimentale et naïve, Champ Vallon, 2002, p. 91-106).
  • [20]
    Dans cette optique, on lira en particulier « La poétique de Nerval », essai repris dans La Vérité de Parole, Mercure de France, 1988, p. 41-63.
  • [21]
    Raymond Roussel (1963), Gallimard, « Folio », 1992, p. 176.
  • [22]
    « Paroles d’introduction » (2002), in La conscience de soi de la poésie, sous la direction d’Yves Bonnefoy, Seuil, 2008, p. 387.
  • [23]
    Christian Prigent, quatre temps, Rencontre avec Bénédicte Gorrillot, Argol, 2009, p. 217.
  • [24]
    « La poésie est effet de sens mais aussi bien effet de trou. Il n’y a que la poésie vous ai-je dit, qui permette l’interprétation et c’est en cela que je n’arrive plus, dans ma technique, à ce qu’elle tienne : je ne suis pas assez pouâte, je ne suis pas pouâteassez » (Jacques Lacan, L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre, Éditions de l’ALI, leçon inédite du 10 mai 1977).
  • [25]
    Temps et récit II, op. cit., p. 50.
  • [26]
    Ibid., p. 57.
  • [27]
    Temps et récit III, op. cit. p. 388.
  • [28]
    Ibid., p. 379.
  • [29]
    Revenances de l’histoire, Répétition, narrativité, modernité, Minuit, 2006, p. 219.
  • [30]
    Temps et récit III, op. cit., p. 391.
  • [31]
    Ibid., p. 379.
  • [32]
    Cf. Giorgio Agamben, « Corn », in La Fin du poème, trad. Carole Walter, Circé, 2002, p. 46.
  • [33]
    Yvon Inizan, La demande et le don, L’attestation poétique chez Yves Bonnefoy et Paul Ricœur, op. cit., p. 216.
  • [34]
    Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, L’éclat, 1991.
  • [35]
    Parue dans Esprit en 1966, elle est reprise dans le volume Lectures 2, Seuil, 1992, p. 335-347.
  • [36]
    Ibid., p. 341.
  • [37]
    Ibid., p. 346.
  • [38]
    Dominique Janicaud, La phénoménologie éclatée, L’éclat, 1998, p. 91.
  • [39]
    Réflexion faite, op. cit., p. 25-26.
  • [40]
    Temps et récit III, op. cit., p. 282.

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