Po&sie 2016/1 N° 155

Couverture de POESI_155

Article de revue

Monologues de la forme

Pages 51 à 56

1Guillaume Artous-Bouvet est enseignant et chercheur. Il a publié des extraits d’un premier travail, Prose Lancelot, dans les nos 145-146 et 148 de Po&sie.

L’antonomase du mythe

« Contineri minimo, divinum est. »
Hölderlin, Hypérion

2Les pages qui suivent récrivent des mythes, tels que dramatisés dans des Métamorphoses (Ovide, Ier siècle). Il s’agit donc de traduire un latin, dans l’effort distancié d’un « diminutif » baudelairien, où le discours extensif du change (Daphné en laurier, par exemple : « in frondem crines, in ramos bracchia crescunt ») se contracte en quelques phrases et figures.

3Traduction qui est « glose », au sens où l’entendait déjà la première tentative de transposition vernaculaire des Métamorphoses : c’est ainsi qu’au xive siècle, l’Ovide moralisé cherche, par un effort d’amplification, à « mieux acomplir » la « matière » du mythe, c’est-à-dire à restituer sa vérité chrétienne ; ici, inversement, la fluidité du « conte » est condensée, selon la discontinuité d’un rythme elliptique.

4Ainsi s’accomplit – se poursuit – un mouvement de réduction d’abord entamé dans le texte d’origine : celui par quoi la violence de la fable s’achève dans une métamorphose, où elle trouve à la fin sa raison – de sorte, d’ailleurs, que la vertu métamorphique est bien celle du compromis (la nymphe indésirant le dieu devient, faite laurier, son arbre tutélaire). Réduction qui demeure traduction : car la chose restante (le laurier, dans cet exemple) marque le passage du propre (le drame privé, unique, de la nymphe et du dieu) au commun (l’arbre dans la généralité de son nom). Où l’on reconnaîtra aisément la figure de ce que Fontanier nomme la « synecdoque d’individu », ou « antonomase » : désigner « un individu […] par le nom commun de l’espèce » (Daphné, par le laurier, laurus) ou désigner réciproquement « une espèce par le nom de l’individu » (le laurier par Daphné).

5Le monde, dans son objectivité naturelle, se redonne lors comme tissé d’événements « individuels », (qui furent) privés : passions divines ou humaines, traversant des corps dans leur chair émotive et mobile – fragile d’être transie jusqu’au change. Il n’y a donc pas de nom commun qui ne soit propre (c’est-à-dire qui ne puisse désigner l’extrême singularité d’un désir inventif), ni de nom propre qui ne soit commun (c’est-à-dire qui ne puisse quant à lui renvoyer à l’objectal partageable, dans la vigueur du monde). Structure qui est celle, écrit Paul Veyne, de la vérité aitologique du mythe.

6S’agit-il de faire du nom propre avec du nom commun, si c’est là ce qu’on dit poésie ? Ou au contraire de rappeler que le plus propre – le plus idiomatique – ne peut pas ne pas « se laisser traduire » (Dayre) ? Plutôt – ou simultanément – dans l’effort contractile, de reconduire la forme à sa vertu première : d’être l’enclos d’une force (dont brûle Hercule même), qui précède toutes figures, et détermine leur enchaînement heurté, qu’on rêve métamorphe.

7Ce qui (se) change, en quoi (se) change-t-il ? En lui-même, dit le mythe, selon la loi d’une immanence prorogée. Cet essai marque un pli : celui qui dans le changement fait rupture, par le vide instructible en dedans. Car un corps ne tient pas (le muscle herculéen s’évapore). Les formes sont impures.

Daphné

8

« “Quidque tibi, lascive puer, cum fortibus armis ?” »

9Concurrence des arcs : arrogé s’ensoleille, à poupon d’ombre contre. Soit-il un nourrisson sagittaire, opposant (capable d’amourer). Une est transie, de plomb : et dans l’impénétré des matières s’effraie. Mais un dieu se trama, selon qu’or : corps de chaume brûlé, campagne entière nue, par le feu (les toits jaunes sont-ils flamme peinte ?). Sous du vent, fève obvie : impatience cursive. Une d’épuisement, trouve paterne (fleuve) : en ramures de peau, selon que la promesse se forma.

Callisto

10

« Sed silet et læsi dat signa rubore pudoris ; »

11Nixe superlative simplifie : à corps sobre toilé, pour des actes (morphème d’ombre sous). Un dieu sexue selon : où l’inviolé s’apprête (âcreté de salives réelles). Et de chair tonnée va, vers la source. Rien n’apure que soit : corps consommé parmi d’autres corps (non pas même un glaçage d’eau neuve, sacrifiée). Elle n’entrant au fons (semence de personne) : celle qui est dieu sait, où fut sang. D’ore en seuil elle, imprononcée (Calliste errante dans le désir supérieur). Dieux disent qu’elle soit : de voûture acharnée, puis d’étoiles (septante).

Écho

12

« Vocalis nymphe, quæ nec reticere loquenti »

13Une nymphe est vocale : itérante d’après (apodose de lèvres, tardive d’avoir dit, et dit). Forestière consomme : au servage d’un cuir. Elle est de dépendance, et voit beau : par vestiges feuillés (car jeunit dans l’errance, Narcisse). Il demande quelqu’un (dit-elle, si quelqu’un) : comme deux que seraient. C’est brassière soudain : complétée de corps toute, où s’abonde. « Rien de nôtre », pourtant : « nôtre, rien ». Ensuite, de pudeur, frondaisons cavernées, jusqu’au change (ce qui reste d’un corps : déduction lapidaire des os). Or d’empierre celée, prononce : doublement.

Narcisse

14

« Spem sine corpore amat ; corpus putat esse quod umbra est. »

15S’inconnaît une enfance, éblouie. Dans la superbe, ignore qui s’augmente (vérité de faïence, parlée) : fils d’un voeu général et conscient. Il y a saison salubre (le même été qui n’est qu’un seul été) : safran de ciel précoce, sombré. Cuisson nerve, baissant ou pesant : d’un sel impératif (en souplesse de soi, s’il y a corps). Qu’est-ce dire, de coulpe ? Une source spécule, là : au centre de nul pas vectoriel. Il s’y trouve, de soif (ralenti). Un corps ploie, surfaciel (glacis du muscle clair, comme tien). Est-ce toi : pourpre intacte en dedans.

Junon

16

« Est via declivis funesta nubila taxo ; »

17Voie sous les ifs, déclive jusqu’à l’ombre. Du monde est renfoncé, en silence (dedans non torréfié, buvant). Est-elle reine qui, celle se sait marcher ? Selon la descendance obscure, inconductible ? Elle tue s’inconteste, drapée. L’ocre est gardeur : chien triple, ou sœur noire peignant. Des masques neufs naviguent, dans le pâle (œil d’inscience, grandi). Loin la ville qui rampe. Ouvrable, s’il y a lèvres qui sont portes. L’enfance dure. Répétable que veut : en l’abstraction d’un givre, roulement.

Andromède

18

« Umbra viri visa est, visa fera sævit in umbra. »

19Dans un enchaînement, où la pierre confond : une chair opuscule (eau peignée par des larmes). L’héroïsme se dicte en lequel : d’ailes supplémentaires, mu. Il entre dans un marbre intérieur : d’entrave littérale, aux embruns (attaché comme d’elle déjà). Et contracte que soit : elle encore que sauve, scellée. La marée s’élucide. La bête vient, selon la diffraction des sels : poitrinaire montée, divise (l’eau même, pli à pli respirant). Spectre, par le calcul des vagues (vol adombré prescrit) : une fureur s’exerce, voyant. L’animal est un dos d’étincelles. Or il n’y a qu’un ciel, converse : faisant proie.

Méduse

20

« Ære repercusso formam aspexisse Medusæ ; »

21Héroïque disant, qu’un lieu s’est endurci : œil indivis par deux, cellulaires. Or est-il, regardé ? Il s’empare, et dévoie, de route nullipare (ronces dicibles non). Le cerclage d’un peuple est marqué : par la foule de pierre, animale (au déduit de silice analogue). Un réel n’attend pas. Il y a maison brumée, car les sœurs habitaient près de nuit (comme au morfil d’un sel indistant). Un monstre peut dormir, deux fois : sur tissu capillaire (ombres fissiles quand, qui serpentent). L’égide modélise, en du bronze : têtière découpable.

Arachné

22

« Vellera mollibat nebulas æquantia tractu, »

23Celle floconne en pourpre, des lainages : digitale complie d’un public. Une technique sourd, alentie (où du brut non repu s’allège). Nébulaire, qui fut de bétail : volumétrique sans. Le dieu femme suppose (aune s’œuvre). Mais tissée s’incompare et concourt (de honte crépuscule, sur les joues) : là scènes de rigueur texturée, qu’énumère (hanteurs dieux, familiaux). Elle y a qu’elle vainc : s’extériorise qui. Si frontale humblement, suspend-elle : dans la pitié, morphique (d’avance arachnéenne, fluide).

Térée

24

« Vescitur inque suam sua viscera congerit alvum. »

25Ensemble dans le double : hyménal sec, instruit (elles furieusement, venues dans la nuit même contredire : noir brûlé de telle ombre). Et dans la même nuit : volée basse d’un grave, sur toit. Corps des deux, séparé : fils conjonctif. Cependant que des soirs sont fêtés, il y a temps (torchères familiales sourdes). La sœur hantait : d’avoir été beauté semblable, dans l’enfance. Qu’homme celle rencontre, au rivage (nef boisée nue, solives creusant brume). S’apparaît comme si, de toujours : sommée dans l’heure exacte. Il consomme la chair de sa chair.

Myrmidons

26

« Graniferumque agmen subjectis spargere in arvis. »

27Île il y a, jalouse : dans le désir de peste, purifiée. Un quelque vague, encore, aux brûlures (âtre chacun tenant le lieu d’un seul). Il est fils de la force. Que soit arbre resté, dans la terre restée, par la pensée d’insectes (en charroi de plus d’un fourmillant). La nuit pèse, qui ne termine pas : formes feues, contractiles. Soi, parlant qui. « Suis-je celui, votif, endormeur ? Suis-je celui, rêvant dans le rêve de l’arbre ? » La foule manquait (hors cette minceur nègre, affairée : granifères). Dans le matin, tout un peuple insoluble.


Date de mise en ligne : 11/10/2016

https://doi.org/10.3917/poesi.155.0051

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