Po&sie 2008/2 N° 124

Couverture de POESI_124

Article de revue

Lecture du Bateau ivre de Rimbaud

Pages 32 à 45

Notes

  • [1]
    La revue Comunità qui remonte à 1946 fut un haut lieu de la vie de l’esprit dans l’Italie d’après guerre. Elle appartenait à la famille Olivetti.
  • [2]
    « En un ce sens, la Lecture représente véritablement dans la biographie intellectuelle de Jesi, un des ces moments privilégiés où il est donné à un auteur de contempler avec lucidité, l’espace d’un instant, par une sorte de divination désenchantée, sa limite dernière et de se heurter, pour ainsi dire, à la racine la plus intime de son expérience du langage » p. 8. En 1972, Jesi a trente-deux ans. Il meurt en 1980.
  • [3]
    La Festa, Turin, Rosenberg & Tellier, 1977.
  • [4]
    Cf. la postface d’Andrea Cavaletti, p. 35.
  • [5]
    En français dans le texte. [N.d.T.]
  • [6]
    Martin Heidegger « Qu’est-ce que la métaphysique ? » Questions I & II, Paris, Gallimard, 1968, p. 84.
  • [7]
    [Steve Murphy, lui, en doute. Dans sa lecture du Bateau ivre, il estime que les « racontars » de Delahaye ont pour unique fonction de conforter son statut de témoin privilégié et d’accréditer l’image d’un Rimbaud pré-symboliste, décidé à rompre en visière avec Banville et les parnassiens. Cf. « Logiques du Bateau ivre » Littératures, n°54 : Rimbaud dans le texte, Presses Universitaires du Mirail, 2006, p. 25-86, ici, p. 27-33. N.d.T.].
  • [8]
    Cette citation est la suivante proviennent du commentaire de R. de Réneville et de J. Mouquet à l’édition des œuvres complètes de Rimbaud dans la Pléiade.
  • [9]
    On sait que Rimbaud a feuilleté les annales du Magasin Pittoresque à Douai, en septembre-octobre 1870. Cf. E. de Rougemont, H. de Bouillane de Lacoste et P. Izambard, « Recherches sur les sources du Bateau ivre et de quelques autres poèmes de Rimbaud » Mercure de France, 15 août 1935.
  • [10]
    En français dans le texte. [N.d.T.]
  • [11]
    [Sur tout ce qui suit, cf. Furio Jesi, Spartakus, simbologia della rivolta, Turin, Bollati Boringhieri, 2000 – cf. aussi la préface d’Andrea Cavaletti, p. V-XXVIII. N.d.T.].
  • [12]
    [Cf. « La suspension du temps historique » ibidem, p. 18-33].
  • [13]
    [« À la nuit qu’il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine il reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. À la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel ; et on sait que le lendemain, à l’heure marquée, il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre ». Tels sont les mots par lesquels Bossuet décrit le sommeil du grand Condé à la veille de la bataille de Rocroi le 16 mai 1643 ; Louis de Bourbon, duc d’Enghien et futur grand Condé, avait alors 22 ans. Cf. Oraison funèbre du très haut et très puissance prince Louis de Bourbon. N.d.T.].
  • [14]
    Avant dernière didascalie de Trommeln in der Nacht de Brecht.
  • [15]
    En français dans le texte. [N.d.T.]
  • [16]
    A. Rimbaud, Œuvres complètes, Pléiade, Paris, 1954, p. 232.
  • [17]
    C’est le titre du paragraphe d’une Saison en enfer d’où est tirée la citation précédente.
  • [18]
    [Cette thèse sur les mythes a été développée par Jesi dans de nombreux ouvrages. Cf. Letteratura e mito, Torino, Einaudi, 1968 ; La vera terra. Antologia di storici e prosatori sul mito e sulla storia, avec un essai introductif de Georges Dumézil, Paravia, Torino 1974 ; Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976 et Macerata, Quodlibet, 2002. Cf. aussi Giorgio Agamben « Sur l’impossibilité de dire Je, paradigmes épistémologiques et paradigmes poétiques chez Furio Jesi » in La puissance de la pensée, Essais et conférences, Paris, Rivages, 2006, p. 93-104. N.d.T.].
  • [19]
    [Il semble que ce soit la première occurrence de la « machine mythologique » dans l’œuvre de Jesi. Cf. les deux projets de préface à La machine mythologique retrouvés dans les inédits de Jesi et présentés dans Cultura tedesca, 1999, n° 19, numéro consacré à Furio Jesi : « Dans le cadre de mes recherches, le modèle machine mythologique reste efficace, c’est-à-dire qu’il satisfait de la meilleure façon les besoins gnoséologiques que j’ai ressentis en étudiant la mythologie, il remplit leurs formes en creux de manière adéquate, à la condition qu’il ne devienne pas à proprement parler une forme. Pour ne pas sortir de cette métaphore, le modèle ne reste efficace, opératoire que tant que sa coulée dans l’empreinte de ces besoins reste une matière si subtile qu’elle peut former une très mince pellicule adhérente à l’empreinte, reproduire fidèlement la cavité, plutôt que de constituer un flux abondant qui remplirait toute cavité, pour la combler, statuaire ». Cf. aussi : « Cette pellicule est l’occasion et l’actualité du fonctionnement de la science mythologique composée selon des modalités qui, reprises de manière organique, forment la machine mythologique : simultanément objet de connaissance et modalité du connaître » Cultura tedesca, p. 93. Cf. aussi le commentaire de G. Agamben, op. cit. p. 94-96. Agamben précise : « Ce n’est certes pas un hasard si la première apparition de la machine se rencontre dans la Lecture du « Bateau ivre » de 1972 où elle doit expliquer le mécanisme productif de la poésie de Rimbaud ».
  • [20]
    R. M. Rilke « La première Élégie » Élégies de Duino in Œuvres poétiques et théâtrales, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 528, traduction Jean-Pierre Lefebvre. [Cf. Furio Jesi, Rilke, La Nuova Italia, Firenze 1971 et Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976 et Macerata, Quodlibet, 2002. N.d.T.].

1La « Lecture du Bateau ivre de Rimbaud » de Furio Jesi est publiée une première fois dans le numéro 168 de la revue Comunità en décembre 1972 [1]. Elle a été reprise en plaquette pour les éditions Quodlibet en 1996 avec une préface de Giorgio Agamben (« Le talisman de Furio Jesi » p. 5-8) et une postface d’Andrea Cavaletti (« En marge de la lecture de Jesi »). La « lecture » était suivie du Bateau ivre présenté dans une édition bilingue.

2Nous avions proposé une brève présentation de l’œuvre de Jesi lors de la traduction de « Rilke et la poétique du rituel » (Po&sie 122). Il n’est pas inutile de souligner que si Jesi fait référence à Rilke dans sa « Lecture du Bateau ivre », il juge sévèrement Rimbaud dans son texte sur Rilke : « La notion d’un rituel de vie et surtout d’un rituel de poésie a permis à Rilke de ne pas se condamner au silence au lieu de pratiquer la poésie. Il a par là même dépassé l’expérience de Rimbaud qui parvint justement au silence à cause de son incapacité à accepter un rituel plutôt qu’une garantie de salut et qui a fini par refuser la passivité absolue face au surhumain en poussant sa propre faculté poétique jusqu’à la limite extrême de « l’activisme » sotériologique ».

3Ici comme là, le silence de Rimbaud doit être compris et jugé au regard de la poétique de l’œuvre elle-même.

4Deux tensions parcourent cette « Lecture du Bateau ivre » dont Giorgio Agamben a montré qu’elle se situe à un moment charnière de la carrière de Jesi [2]. Elles se croisent sur le terrain mal défini où l’histoire et le mythe se rejoignent.

5La première est d’ordre poétique et concerne la notion de « lieu commun ». Jesi essaie de comprendre le sens et la fonction des lieux communs dans le Bateau ivre, mais aussi le sens et la fonction du Bateau ivre comme « lieu commun » dans la poésie de Rimbaud. C’est l’occasion pour lui de formuler pour la première fois l’intuition de la « machine mythologique » – une machine qui fait croire qu’elle dissimule un mythe mais se mesure à l’ampleur de ses effets qui renvoient tous au vide qui l’habite [3]. Or il en va du lieu commun comme du mythe. Ils engagent l’un comme l’autre une étrange ontologie du « il n’y a pas » [4].

6La seconde tension est d’ordre politique, et il faudrait inscrire cette Lecture de Rimbaud dans le contexte riche et contradictoire des luttes pour l’émancipation dans l’Italie des années 1970. Rimbaud est le poète de la révolte et non celui de la révolution. Nous indiquons dans quelques notes que cette distinction était essentielle pour Jesi. Il entreprit de lui consacrer un livre qui devait prendre son point de départ dans l’étude de la révolution allemande de l’après-guerre : Spartakus, projet interrompu par la mort de l’auteur mais dont Andrea Cavaletti a donné une édition passionnante. Ce n’est pas en extension que révolte et révolution s’opposent. Ce qui les oppose c’est le rapport qu’elles entretiennent avec le temps et avec l’être. La révolte est une suspension du temps, la révolution une conviction qu’il faut se saisir d’un kairos au cœur de l’histoire pour le mettre en acte. C’est bien chez Jesi que l’on trouve une des racines de la notion de « suspension » développée par la suite par Giorgio Agamben.

7La révolte est l’expérience du « il n’y a pas », la révolution celle du non être.

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8Certaines œuvres d’art ont le privilège d’être faites de lieux communs et de devenir elles-mêmes un lieu commun à la surface de la création de l’artiste. En elles, l’itinéraire visible qui prend naissance dans cette nouveauté par excellence qu’est l’opération de création in flagranti et qui atteint pour finir cette non nouveauté par excellence qu’est la statue érigée par la postérité se trouve concentré en un seul point : une espèce de pustule sombre sur la surface du marbre où semblent se rejoindre toutes les impuretés de la pierre – à la fois scorie qui fait saillie et point de référence. Ce n’est pas que l’artiste se soit emparé des lieux communs pour les mettre en œuvre. Il s’est ouvert à eux, il s’est mis à leur disposition : et ils ont fini par arriver, ils se sont emparé de son existence créative, ils l’ont mise en œuvre de sorte qu’au moment même où elle entrait en activité elle pouvait devenir l’un d’entre eux dans sa totalité. La fausse monnaie chasse la bonne. À peine entrée en circulation, la non nouveauté chasse la nouveauté et de la manière la plus radicale : elle met en acte la non existence de la nouveauté par le fait même de s’afficher, elle, la non nouveauté, sur le champ poétique : « calme bloc ici bas » [5]. Et il est vrai, comme ces mots de Mallarmé n’hésitent pas à le dire, que le champ poétique, marqué par de tels monuments, finit par ressembler à un cimetière. Nous avons écrit : « des œuvres d’art qui ont le privilège » mais aussi : « la fausse monnaie ». Il y a bien dans notre propos une oscillation de valeurs qui porte sur le concept de lieu commun et elle renvoie à l’oscillation sémantique propre à l’expression même de « lieu commun ». La même oscillation concerne la présence des monuments dans le cimetière de la poésie. S’il est vrai que ces derniers garantissent que la nouveauté par excellence peut s’objectiver dans les novissima, dans les « choses de la fin dernière », et qu’elle se teinte alors de prophétie, il n’en reste pas moins qu’ils conduisent à penser qu’en latin novissimi indique aussi l’arrière garde.

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9Une oscillation très proche de celle-ci, et qui va même jusqu’à coïncider avec elle par certains traits, s’attache à la notion de condition enfantine. Non seulement il existe une symétrie entre le fait de reconnaître dans l’enfance des valeurs autonomes, un autre royaume, et dans la poésie, un royaume qu’habitent des autres, mais le processus qui conduit de la reconnaissance de cette altérité aux techniques d’exploitation des autres est bien le même. Les autres n’exercent pas le pouvoir, mais ils disposent d’un pouvoir. L’état des citoyens s’intéresse à l’exploitation de ce pouvoir dont l’enfance offre un réservoir inépuisable, à savoir de ces forces que l’enfance possède de manière autonome, comme des particularités exclusives (le pédagogue exploite Émile au service de l’État) qui constituent pour l’État une garantie de futur au moment même où elles caractérisent l’arrière-garde. Des opérations plus hypocrites, ou moins myopes que celle de Rousseau finiront par considérer les autres (les enfants, les « sauvages ») comme une arrière-garde véritablement arriérée (au sens d’un jugement de valeur) qu’il faut civiliser, c’est-à-dire exploiter comme une réserve. Du reste, celui qui exerce le pouvoir est en général un bon édificateur de monument aux autres. Ériger un monument au poète permet de situer l’autre au sein d’une arrière-garde qui ne manque certes pas d’être arriérée (au sens d’un jugement chronologique qui se traduit en un jugement de valeur relativisé), mais d’où proviennent des voix prophétiques, des forces novissimae. Et le monument érigé par ceux qui exercent le pouvoir à l’autre tend objectivement à s’identifier avec le « calme bloc ici-bas », c’est-à-dire avec l’épiphanie de cette part de la création de l’autre qui tend à se poser en monument. Il est vrai que dans le « calme bloc icibas », le lien entre novissima et novissimi est bien celui qu’indiquent les paroles d’Œdipe à Colonne citées par Heidegger à la fin de Qu’est-ce que la métaphysique ? : « car partout l’Advenu tient près de soi gardé une décision d’accomplissement » [6]. C’est dire que celui qui veut s’en saisir pour l’identifier doit disposer d’instruments très raffinés. Mais auprès de ceux qui exercent le pouvoir on trouve aussi ceux qui sont capables de forger et d’utiliser « à leur gré » des instruments extrêmement raffinés. Si l’État des citoyens qui s’intéresse à l’enfance trouve un Rousseau à ses côtés, les édificateurs de monuments aux poètes autres trouvent Heidegger à leur côté : on pense particulièrement à Pourquoi des poètes ? où le souvenir (das Andenken) bat le rythme du dialogue entre le poète, autre, et le penseur, qui, s’il n’est pas le médiateur entre le poète et les non poètes, se trouve néanmoins un non poète qui dialogue avec le poète, tout comme le pédagogue d’Émile, s’il n’est pas un médiateur entre l’enfant et les adultes, est néanmoins un non enfant qui dialogue avec l’enfant et l’exploite pour le compte des adultes.

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10À la fin du mois de septembre 1871, Rimbaud qui n’a pas tout à fait dix-sept ans arrive à Paris. « À la veille de son départ », rappelle Ernest Delahaye, « Rimbaud m’a lu le Bateau ivre. “Je l’ai écrit”, dit-il, “pour le présenter aux gens de Paris” ». Sur ce point au moins, il n’y a pas de raison de douter du témoignage de Delahaye [7] : le Bateau ivre est né sous le signe de ce que les amateurs de la poésie inspirée pourraient considérer comme le péché originel. Il s’agit presque d’une poésie d’occasion – elle a été écrite « pour être présentée aux gens de Paris ». La situation tout à fait particulière de Rimbaud peut néanmoins conduire à interpréter ce fait à travers deux grilles de lecture différentes, même si elles sont parallèles et qu’elles finissent parfois par se superposer. D’un côté, il y a la situation infantile de l’enfant qui craint les autres, les adultes, qui a peur de se présenter devant eux, et qui, précisément parce qu’il le craint, décide de s’exposer, mais le fait de la manière qu’il juge la plus conforme (selon lui et la plupart du temps sans erreur) aux critères de satisfaction des adultes. D’un autre côté (mais, justement, il y a là une coïncidence évidente et une superposition parfaite), si on pense à Rimbaud comme au poète plutôt que comme à l’enfant, autre, le Bateau ivre est une marchandise à offrir, une denrée dont on peut tirer quelque chose ; et ce dont on peut tirer quelque chose, ce qui est destiné à ce qu’on en tire quelque chose, est forcément fait de lieux communs. Ce n’est pas parce que le marché exige toujours, pour rapporter, des marchandises déjà connues – bien au contraire (et « les gens de Paris » avaient des goûts plutôt difficiles). Mais c’est que la tension qui porte un poète à bien réussir sa marchandise est la disposition par excellence qui l’ouvre aux lieux communs qui font de sa création une chose. Pas nécessairement une chose connue ; mais une chose toujours ; pas connue peut-être, et même absolument neuve quant à ce qu’on a coutume d’appeler son être en soi, mais connue quant à sa nature de chose, de marchandise appréciable. Telle est la voie qui permet à une œuvre d’art faite de lieux communs de devenir elle-même un lieu commun à la surface de la création de l’artiste. Le Bateau ivre a été écrit « pour être présenté aux gens de Paris », mais il s’agit aussi d’une chose, d’une marchandise offerte objectivement à la postérité. L’opération d’ouverture aux lieux communs réifiants qui scellait la solidarité du poète et de l’enfant, autres, se traduit ainsi dans la durée monumentale de l’œuvre exhibée et révèle, par l’intermédiaire transparent de la qualité tombale du « calme bloc ici-bas », que le ciment le plus solide entre le poète et l’enfant consiste dans le rapport étroit qu’ils entretiennent tous deux avec la mort.

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11Il est insuffisant de prétendre que l’enfant serait plus proche de la mort que l’adulte parce qu’il est plus proche de sa naissance, et donc, du seuil de la non existence. Il est plus proche de la mort que l’adulte parce que la mort peut le frapper avec plus de facilité. Pendant des milliers d’années (notre époque constitue une exception toute relative), les enfants furent, avec les vieux, ceux qui étaient sur le point de mourir : « l’enfant accroupi plein de tristesses » du Bateau ivre est solidaire du vieillard des Remembrances du vieillard idiot, qui sont d’ailleurs une évocation de l’enfance, ou, mieux encore, « des jeunes crimes ». Être adulte, c’est-à-dire ni « enfant accroupi », ni « vieillard idiot », cela signifie exercer le pouvoir, loin des « crimes », des « tristesses », loin de la mort aussi. La postérité est faite de ceux qui, d’une certaine manière, fuient la mort pour une durée indéterminée, et sont donc les adultes par excellence, les détenteurs du pouvoir par excellence. Ceux qui définissent la postérité jouiront de Rimbaud comme du poète du Bateau ivre : s’ils ne manqueront pas de remarquer que « la fin du Bateau ivre annonce le destin de Rimbaud [8] », effrayés par une marchandise qu’ils ne peuvent pas ne pas apprécier, ils évoqueront néanmoins cette « œuvre exiguë et fulgurante que Rimbaud nous a laissée presque avec dédain à la fin du 19e siècle ». Et ainsi, par une sorte de catharsis, ils projettent sur le créateur, ils avouent dans le créateur, ce mépris plus ou moins mitigé que ne peut manquer d’éprouver celui qui achète pour le producteur (quand le producteur n’a pas d’autre pouvoir sinon celui de produire) : « Certes, c’est lui qui produit, mais c’est moi seul qui peux conférer de la valeur à sa production, en l’acceptant ». Certes, Rimbaud « ne s’est jamais soucié de publier quoi que ce fût » de ce qu’il a écrit. Mais c’est bien lui qui a destiné le Bateau ivre à servir, à être « présenté », à subir une publication, au sens littéral du mot – et bien que ce fût par le truchement de la presse. Le Bateau ivre fut écrit « pour être présenté » aux adultes, aux « puissants » (parce qu’aux yeux d’un garçon de seize ans, les adultes, fussent-ils poètes, se confondent avec les « puissants »). Et il fut aussi offert à l’autre catégorie de puissants constitués par la postérité, par les vivants par excellence, comme le sont justement les adultes par rapport à ceux qui sont sur le point de mourir, « enfant accroupi » ou « vieillard idiot ».

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12Dans le contexte de notre lecture, « lieu commun » est une catégorie de matière poétique indiquée par la fonction de marchandise que le poète attribue à telle ou telle œuvre. Ce qui rentre dans cette catégorie est ce qui fait une chose du résultat de l’opération de création. Le Bateau ivre n’est pas seulement la mise en œuvre du lieu commun dans l’œuvre de Rimbaud ; il s’agit d’un paradigme qu’illustrent à la fois la situation et le processus même de cette mise en œuvre. On y trouve les lieux communs (au sens que nous avons dégagé) qui transforment le poème écrit en « chose » faite « pour être présentée aux gens de Paris » ; mais on y retrouve aussi les lieux communs (au sens traditionnel du mot : les topoi) de l’écriture poétique de Rimbaud, mêlés à des lieux communs (topoi) du Magasin Pittoresque[9]. Les topoi propres à l’écriture de Rimbaud sont, par exemple, ces images de la misère de l’enfance :

13

« plus sourd que les cerveaux d’enfants »
« un enfant accroupi plein de tristesses » ;

14celles de la thématique religieuse :

15

« les pieds lumineux des Maries »
« ainsi qu’une femme à genoux »

16ou érotique :

17

« les rousseurs amères de l’amour »
« baiser montant aux yeux […] avec lenteurs ».

18Quant aux topoi du Magasin Pittoresque, ce sont tous ceux qui concernent le « Poème de la Mer » et les « incroyables Florides ».

19La publication (au sens littéral du mot), c’est-à-dire l’exhibition des topoi propres aux poètes, mêlés aux topoi du Magasin Pittoresque, est l’opération par laquelle Rimbaud s’est ouvert aux lieux communs. Dans la transformation de l’œuvre en marchandise, qui appartient de manière implicite à un tel choix, on retrouve d’ailleurs un « crime de jeunesse [10] » qui consiste à exhiber son intimité. Mais la conséquence de l’exhibition est cependant l’accès à ces hypostases de la réalité (les lieux communs, tels que nous les entendons) qui meublent l’espace pédagogique où les adultes obligent les enfants à vivre. L’enfant mort du second Requiem de Rilke, après avoir accédé à la mort, découvre combien il était inutile d’apprendre le nom des choses : c’est bien à cette tâche inutile, dissimulée sous la reconnaissance de l’objectif réel, que se trouve exposé chaque enfant, chaque autre dans le royaume des adultes et des « civilisés ». Quand il se trouve que l’autre est à la fois un enfant et un poète (ou du moins : quand l’opération d’ouverture aux lieux communs peut relever à la fois de l’enfant et du poète), le fait de se conformer à une telle pédagogie est exhibition et transformation en marchandise, et ce qui pousse à subir une telle pédagogie n’est autre que la nécessité de survivre et la nécessité de tirer quelque chose de l’œuvre. Les adultes qui infligent une telle pédagogie prennent l’apparence de ceux qui prodiguent la survie et qui gagnent. Les lieux communs qui affluent à l’ouverture sont entourés de significations qui semblent secondaires en termes de perception, et restent donc encore nettement perceptibles ; l’identification avec une chose, le « bateau », qui conquiert sa liberté grâce aux hommes et tente l’expérience d’un royaume où la liberté est purification, voyance et mort :

20

L’eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
[…]
Et j’ai vu quelquefois ce que l’homme a cru voir !
[…]
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N’auraient pas repêché la carcasse ivre d’eau

21Et les symboles du martyre implicite dans l’expérience de ce royaume – d’où surgit le regret du règne de la non liberté :

22

Mais, vrai, j’ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
[…]
Je regrette l’Europe aux anciens parapets !

23Et enfin la déclaration de l’incapacité à ne pas souffrir dans l’un et dans l’autre royaume :

24

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide
[…]
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons…

25Si, comme de juste, nous ne donnons pas trop d’importance à la remarque de Verlaine selon laquelle « Dans le Bateau ivre, il y a toute la mer », qui, en reste, comme une vraie fleur de banalité, aux significations apparemment premières du poème, il nous faut reconnaître que ces significations secondaires pouvaient être appréciées par les « gens de Paris ». Et si, comme nous l’avons dit, ces significations secondaires naissaient de l’opération qui rendait solidaires les topoi singuliers propres à Rimbaud et ceux du Magasin pittoresque, des formules de nouveauté existentielles et des banalités quotidiennes, c’est de la même manière que la vie de Rimbaud devait se présenter à la postérité comme la rencontre du lieu commun par excellence, l’abandon de l’Europe et d’une particularité propre à Rimbaud : celle d’avoir abandonné l’Europe mais de ne pas l’avoir fait comme écrivain.

6

26S’il est vrai que l’ouverture aux lieux communs, la transformation de l’œuvre en marchandise, l’exhibition de l’intimité indiquent que le poète s’est bien conformé à la fausse objectivité imposée par les adultes, le lecteur du bateau ivre s’aperçoit rapidement (face à ces significations appelées secondaires) que les lieux communs qui ont fini par arriver, constituent une négation apparente des présupposés autoritaires de cette fausse objectivité. Le groupe des adultes auquel Rimbaud destinait le Bateau ivre, « les gens de Paris » étaient eux aussi des poètes. Rimbaud méprisait les « bourgeois de Charleville » et se moquait d’eux. Il méprisait la petite ville de Charleville et se moquait d’elle. À Charleville et à ses habitants il opposait le mirage de Paris et des « gens de Paris », à distance infantile de la perception de l’internationale des adultes et de l’ubiquité de son royaume. Parmi les adultes, il se choisissait ses souverains, et dans le royaume des adultes, il privilégiait un « haut lieu ». Ces souverains, en « haut lieu », auraient bien apprécié eux aussi des lieux communs, mais des lieux communs qui devaient se présenter comme le contraire de ceux qu’appréciaient en général les adultes : comme le contraire de ceux qui étaient monnaie courante dans le royaume des adultes (et non pas dans le « haut lieu »). En « haut lieu » on pratiquait la voyance, à savoir le contraire du regard des adultes.

27Cette insurrection qui se voue au secours de souverains désignés par mirage, est articulée au cœur des significations de troisième niveau si l’on peut dire, dans le Bateau ivre. Ses ganglions les plus importants, dans ces régions « terces », dans l’ordre apparent de la perception, sont le sacrifice humain qui détermine la libération / ivresse du « bateau » :

28

Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs

29et le rapetissement qui est le dernier mirage de la chose, le « bateau » incapable de ne pas souffrir dans le royaume de la liberté et dans celui de la non liberté :

30

Si je désire une eau d’Europe, c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

31La signification « terce » à laquelle paraissent conduire ces deux thèmes est en réalité une et une seule. Aussi bien le sacrifice humain que la métamorphose du « bateau » en petit bateau en papier, affichent le privilège de la condition de l’enfance : le « bateau » est véritablement l’enfant-chose qui conquiert sa liberté grâce au sacrifice humain lors duquel les adultes perdent la vie (par la main des autres) et la chose de l’enfant, cet objet (de petites dimensions aussi bien que fragile) de l’autorité d’un souverain lui aussi petit et « plein de tristesses » : « un enfant accroupi ».

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32La participation de Rimbaud aux combats de la Commune est probablement une légende. De cette révolte néanmoins – révolte bien plus que révolution – il fut néanmoins un protagoniste singulier, en qualité de prophète [11]. Rimbaud pouvait être le prophète d’une révolte, mais pas celui d’une révolution. L’insurrection qui s’articule dans la simultanéité effective des trois niveaux de signification du Bateau ivre, dans l’ordre apparent de leur perception, est fondée de manière tactique sur le sacrifice (transformation en marchandise, exhibition), que rachète et rend nécessaire le mirage de l’existence des souverains voyants et sauveteurs, « agents de valorisation », adultes, mais adultes seulement quant à leur puissance, « bons poètes ». S’ouvrir aux lieux communs n’implique qu’une adhésion formelle à la fausse objectivité des adultes, de ceux qui exercent le pouvoir : de fait, il s’agit plutôt d’accumuler des forces pour la révolte. Sur ces forces pèse comme une croûte de péché : elles ont été acceptées par les adultes ; mais l’existence des adultes du mirage, à la fois souverains et « voyants », et « sauveteurs » contre les autres adultes, rachète ces forces et les rend désirables comme des forces à accumuler en vue de la révolte.

33Le mot révolution désigne de manière correcte l’ensemble des actions à longue et brève échéance qu’accomplissent ceux qui ont conscience de vouloir modifier dans le temps historique une situation politique, sociale, économique, et qui élaborent leurs plans tactiques et stratégiques sans quitter du regard, dans le temps historique, les rapports de cause à effet, dans la plus longue perspective possible. Toute révolte peut en revanche être décrite comme une suspension du temps historique [12]. La plupart de ceux qui participent à une révolte choisissent d’engager leur individualité au sein d’une action dont ils ne savent ni ne peuvent prévoir les conséquences. Et quand arrive l’affrontement, seule une petite minorité est consciente de l’ensemble du dessein stratégique où se situe l’affrontement (dans la mesure où un tel dessein existe) et de la concaténation précise, bien qu’hypothétique, qui relie les causes et les effets. Dans l’affrontement de la révolte, les composantes symboliques de l’idéologie qui a mis en branle la stratégie se décantent et alors elles seules sont véritablement perçues par les combattants. L’adversaire du moment devient vraiment l’ennemi, le fusil et le bâton deviennent vraiment l’arme, la victoire du moment devient vraiment un acte juste et bon pour la défense de la liberté et l’hégémonie d’une classe. Toute révolte est une bataille, mais une bataille à laquelle on a décidé de participer de son plein gré. L’instant de la révolte détermine l’autoréalisation fulgurante et l’objectivation de soi comme partie d’une collectivité. La bataille entre le bien et le mal, entre la survie et la mort, entre la réussite et l’échec, entre les adultes et les autres, dans laquelle chacun est engagé au quotidien s’identifie avec la bataille de la communauté tout entière : tous ont les mêmes armes, tous affrontent les mêmes obstacles, le même ennemi, l’ennemi de toujours. Tous font l’expérience de l’épiphanie des mêmes symboles : l’espace individuel de chacun, dominé par les symboles personnels qui lui appartiennent, la possibilité qu’a chacun de se réfugier loin du temps historique grâce à ses symboles et à ses mythes individuels, se déploient pour devenir l’espace symbolique commun à une collectivité tout entière, le refuge loin du temps historique où une collectivité tout entière peut s’échapper.

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34Toute révolte est délimitée par des frontières précises dans le temps et dans l’espace historiques. Avant elle et après elle s’étendent la terre de personne et la durée de la vie de tous, au sein desquelles se mènent des batailles individuelles sans fin. Le concept de révolution permanente révèle (plutôt qu’une durée ininterrompue de la révolte au sein du temps historique) la volonté de pouvoir à tout moment suspendre le temps historique pour trouver un refuge collectif dans l’espace et dans le temps collectif de la révolte.

35Jusqu’au moment qui précède l’affrontement lui-même ou l’action programmée qui doit donner naissance à la révolte, le révolté potentiel vit chez lui, ou dans son refuge peut-être, et souvent avec ses proches ; et pour provisoires, précaires et conditionnés par la révolte imminente que soient cette résidence et ce milieu, tant que la révolte n’a pas commencé, ils sont le siège d’une bataille individuelle, plus ou moins solitaire, qui est la même que la bataille menée pendant les jours où la révolte ne semblait pas imminente : la bataille individuelle entre le bien et le mal, entre la survie et la mort, entre la réussite et l’échec, entre les adultes et les autres. Le sommeil d’avant la révolte (dans l’hypothèse où la révolte aurait lieu à l’aube) pourra être aussi tranquille que le sommeil du prince de Condé [13], mais il ne possèdera pas le calme paradoxal de l’instant de l’affrontement.

36On peut aimer une ville, on peut retrouver ses maisons et ses rues dans ses souvenirs les plus enfouis et les plus secrets ; mais c’est seulement à l’heure de la révolte qu’on peut sentir la ville comme le « haut lieu » et en même temps comme sa ville : comme la sienne précisément parce qu’elle est celle du moi et en même temps celle des « autres » ; comme la sienne, parce qu’elle est le champ de bataille qu’on a choisi et que la collectivité a choisi ; comme la sienne parce qu’elle est cet espace délimité où le temps historique est suspendu et où tout acte vaut pour lui-même, dans ses conséquences les plus immédiates. On s’approprie bien plus une ville en avançant ou en reculant dans l’alternance des batailles qu’on ne le fait en jouant enfant dans ses cours et dans ses rues, ou en s’y promenant plus tard avec une femme. À l’heure de la révolte on n’est plus seul dans sa ville. Mais quand la révolte est passée, et quelle que soit son issue, on redevient un individu dans une société qui peut être meilleure ou pire que celle qui précède ou même identique à elle. Quand l’affrontement a pris fin – et on peut se trouver en prison, dans une cache, ou tranquillement chez soi –, les batailles individuelles reprennent le dessus. Si le temps historique n’est plus suspendu, dans des circonstances et pour des raisons qui peuvent être celles de la révolte, on recommence à évaluer tout événement et toute action sur la base de ses conséquences, certaines ou supposées. La révolte avait coïncidé avec l’apparition subite et fulgurante d’un temps de qualité inhabituelle, où tout ce qui arrivait, à une très grande rapidité, semblait arriver pour toujours. Il ne s’agissait plus de vivre et d’agir dans le cadre de la tactique et de la stratégie, où les objectifs intermédiaires peuvent bien être très éloignés de l’objectif final, mais le préfigurent – plus la distance est grande, plus l’attente est chargée d’angoisse. « Maintenant ou plus jamais ! » Il s’agissait d’agir une fois pour toutes, et le fruit de l’action était contenu dans l’action elle-même. Tout choix décisif, toute action irrévocable signifiaient un accord avec le temps : tout délai être hors du temps. Quant tout prit fin, quelques-uns des véritables protagonistes avaient quitté la scène pour toujours.

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37Le privilège de la condition de l’enfance est le présupposé tactique de la révolte de Rimbaud. Nous utilisons ici aussi le mot de « privilège », parce que la condition de l’enfance du Bateau ivre, est celle qui peut jouir de la vision et surtout celle selon laquelle la vision s’articule. Le poème est pris entre deux mirages, celui du sacrifice des adultes, cloués aux poteaux par les Peaux Rouges, et celui de la petitesse et de la fragilité sans responsabilité (d’une chose minuscule et fragile dans les mains d’un enfant). Il s’agit dans les deux cas d’un mirage de non responsabilité : dans le mirage initial, c’est l’enfant-chose qui a la vision de la non responsabilité acquise grâce à la mort sacrificielle des adultes. Dans le mirage final c’est la chose-de-l’enfant qui, à la manière d’un enfant, a la vision d’un royaume où il y a des souverains enfants et des sujets enfants, « l’enfant accroupi » et le « bateau frêle ». La vision d’un royaume, donc, où la responsabilité se trouve rapetissée à la mesure des jeux d’enfants et où la fragilité par excès est une libération objective de la responsabilité, à l’intérieur d’une nature derrière laquelle se dissimulent l’Europe, les « anciens parapets », les adultes. Si la nature des « incroyables Florides » est étrangère aux adultes (et donc, précisément, « incroyable »), celle de l’Europe est comme une émanation des adultes. Pour l’enfant accroupi, la « flache noire et froide » aussi bien que le « crépuscule embaumé » sont des émanations ambivalentes du super royaume que les adultes gouvernent comme le cadre d’horizon de son propre royaume.

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38Le mirage initial est la suspension du temps historique par le biais du sacrifice humain ; le mirage final la suspension du temps historique par le biais du rapetissement. L’un comme l’autre sont des mirages de révolte, les prophéties de révolte des autres  ; « Dans l’air, très éloignés, des cris innocents et sauvages » [14]. Jusqu’à maintenant nous avons utilisé le terme « privilège » pour désigner à la fois ces œuvres d’art faites de lieux communs et qui sont aussi un lieu commun à la surface de la création d’un artiste, et la condition de l’enfance qui est celle qui permet la vision et surtout celle selon laquelle la vision s’articule. Ainsi établi, le rapport entre lieu commun et enfance sert de prélude à la reconnaissance d’une affinité objective entre la condition du « lieu commun » et la condition de l’enfance. La condition de l’artiste qui agit de telle sorte que sa création soit une marchandise, une chose dont on peut se servir, une chose qui peut rapporter, est la condition de « lieu commun ». En agissant ainsi, il s’ouvre aux lieux communs qui affluent parfois dans cette ouverture et façonnent son œuvre. La condition de l’enfance est celle de l’enfant chose, qui agit au sein de sa propre choséité et aime par conséquent son être non responsable et s’ouvre ainsi à une double vision : celle de la mise à mort des adultes, d’où provient sa non responsabilité, et celle de son être une chose d’enfant, chose non responsable dans les mains d’un enfant souverain, « bateau frêle ». C’est sur cette affinité objective que se fonde la prophétie de révolte de Rimbaud, opposée à la fausse objectivité pédagogique des adultes et à la fausse objectivité de l’exploitation de ceux qui produisent des marchandises. La prophétie trouva pendant ces années l’occasion de démontrer l’exactitude de la maxime selon laquelle « tout ce qui a été promis se produira ». Certes, l’expérience de la Commune à l’intérieur du temps et de l’espace de l’histoire est bien loin de l’expérience de Rimbaud. Mais la vie de Rimbaud, après 1873 et son décalage[15] par rapport à la révolte, semble bien correspondre au paradigme de la révolte d’hier et d’aujourd’hui : quant tout prit fin, quelques-uns des véritables protagonistes avaient quitté la scène pour toujours.

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39Comme nous avons écrit que le poète s’est ouvert aux lieux communs et qu’ils ont fini par arriver, il paraît légitime de se demander dans quelle mesure et de quelle manière les lieux communs (au sens que nous avons dégagé) détiennent une certaine objectivité. Nous les avons considérés jusqu’à maintenant comme de véritables entités, comme des choses qui finissent par arriver dans l’expérience créative d’un artiste et en prennent possession. Mais d’où arrivent-ils ? Et d’abord : les réponses éventuelles à ces questions valent-elles seulement à l’intérieur du poème de Rimbaud et de sa poétique, ou bien peuvent-elles aller au-delà de ce poème et procéder d’un milieu hypothétiquement plus large au sein duquel, dans sa plus grande ampleur, elles resteraient encore significatives ?

40« J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeuls, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs » [16] : c’est en ces termes, bien sûr, que Rimbaud a parlé des lieux communs. Ces derniers, mentionnés dans une Saison en enfer, sont des lieux communs qui correspondent pour l’essentiel à notre définition : une catégorie de matière poétique indiquée par la fonction de marchandise que le poète attribue à l’œuvre. Il s’agit à chaque fois de marchandises : marchandises qui ne se révèlent comme telles à la postérité, hors de l’instant où elles serviront, et qui, par le fait même d’être désormais hors d’usage, des marchandises disqualifiées, servent comme ingrédient à « l’Alchimie du verbe » [17]. Le Bateau ivre lui-même est fait de telles marchandises dévaluées et récupérées par le poète à travers une opération alchimique qui leur permet de fonctionner à nouveau comme de bonnes marchandises. « Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges ». Mais s’agit-il vraiment de lieux communs qui coïncident avec notre définition ? Que savons-nous de l’essence respective des uns et des autres ? Tout comme les mythes [18], il s’agit d’abord de quelque chose dont l’expérience créative tend à nous faire accepter l’existence tout en tenant son essence bien cachée. Peut-on alors vraiment dire des lieux communs qu’ils sont, qu’ils finissent par arriver, qu’ils prennent possession ? Pour en manifester l’existence, Rimbaud introduit avec un « j’aimais » les apparences qui devraient les renfermer et coïncider avec leur essence au point de la traduire en surface extérieure. « J’aimais », écrit-il dans Une saison en enfer, mais un autre « j’aimais », est implicite et répété à plusieurs reprises dans les formes verbales conjuguées à la première personne de l’imparfait et du passé simple dans le Bateau ivre : « j’étais », « j’ai vu », « j’ai rêvé », « j’ai suivi », « j’ai heurté ». On a bien affaire ici à une machine mythologique, à la machine mythologique [19], qui produit des mythologies et conduit à croire, de manière pressante, qu’elle-même dissimule un mythe à l’intérieur de ses propres murs impénétrables. Si les lieux communs possèdent une existence et une essence objectives, autonomes, ils proviennent d’un « autre monde », car c’est la seule façon que nous avons pour désigner un monde qui n’est pas le nôtre puisque ce sont eux qui l’habitent à côté de nous, indépendamment de nous, sans qu’ils interagissent le moins du monde avec nous : pour nous toucher, ils doivent bien finir par arriver. Croire à cela c’est croire que le mythe existe de manière autonome à l’intérieur de la machine mythologique, située, comme elle nous suggère elle-même de le croire, aux confins des deux mondes. Le parallélisme entre ces deux actes de foi est de nature à faire suspecter quelque chose de plus qu’une équivalence : une coïncidence essentielle en vertu de laquelle un même « autre monde » se présente dans ce monde et rencontre l’histoire pour la suspendre, de telle manière que son épiphanie prend les formes à chaque fois authentiques de lieu commun ou de mythologème. Ne pas y croire revient au contraire à ne pas croire à l’existence autonome du mythe à l’intérieur de la machine mythologique ; équivaut à être persuadé que la machine mythologique est en réalité vide (ou seulement pleine d’elle-même, ce qui revient au même), et que le mythe, tout comme l’essence des lieux communs exploitables dans l’Alchimie du verbe, n’est qu’un vide auquel la machine mythologique ne cesse de renvoyer – et l’essence des lieux communs un vide auquel l’Alchimie du verbe ne cesse de renvoyer. Dans ce cas aussi la coïncidence est particulièrement significative : machine mythologique et « Alchimie du verbe » semblent des acceptions probables d’un même ensemble fonctionnel, d’une même machine, dont la fonction première consiste à renvoyer au vide d’être.

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41Arrivés à ce point, il semble qu’on se trouve face à une alternative : foi ou non foi. Et néanmoins, au moins à l’intérieur des limites de notre langage (donc à l’intérieur des limites où le terme « alternative » a du sens), cette alternative n’existe pas. Croire que le mythe existe de manière autonome à l’intérieur de la machine mythologique – que l’essence du lieu commun existe de manière autonome à l’intérieur de l’Alchimie du verbe – ne peut rien vouloir dire d’autre que : il n’y a pas de mythe ; que : il n’y a pas d’essence du lieu commun. S’ils sont, ils sont dans un autre monde : ils n’y sont pas. (« J’écrivais des silences… je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges »). Même le plus convaincu des partisans de la non foi est forcé d’accepter un acte de foi involontaire : il n’y a pas de foi plus exacte en un « autre monde » que le il n’y a pas qui est propre à la déclaration qu’il n’y a pas d’autre monde. La particule « y » adhère étroitement au « j’aimais » de Rimbaud et indique seulement la différence entre l’adhésion délibérée à quelque chose et l’adhésion involontaire.

42Il y a d’ailleurs une différence importante entre nier pour affirmer et nier pour nier, entre dire qu’il n’y a pas d’« autre » monde et dire que ce monde n’est pas. Si une telle différence ne peut absolument pas nous dire quoi que ce soit à propos du monde puisque notre langage reste inerte face au mirage de devenir « la flèche [qui] vient à bout de la corde pour être rassemblée/ dans son jaillissement plus que soi » [20], il n’en reste pas moins qu’elle peut nous apprendre beaucoup sur le comportement des hommes qu’elle discrimine. Les uns, hommes du « il n’y a pas » peuvent être les hommes de la révolte, et ont certainement une prédisposition à devenir ses prophètes, à être utilisés comme ses prophètes ou comme les partisans qui promettent qu’elle peut être répétée ; les autres, hommes du « n’est pas » n’ont que la révolution devant eux, ou la conservation s’ils décident de renoncer à eux-mêmes et d’accepter les rapports de force dans lesquels ils se trouvent. L’attrait de la révolte consiste avant toutes choses dans son inévitabilité immédiate : elle doit arriver de manière inéluctable. Le temps est suspendu : ce qui est, est une fois pour toutes. De la même manière, dans l’alchimie, si l’expérience échoue, cela signifie que l’on n’était pas suffisamment conscients et purs. Il y aura une autre suspension du temps, mille autres suspensions du temps, et peut-être une fois serons-nous suffisamment conscients et purs. Le prophète annonce la suspension du temps mais aussi que les suspensions du temps peuvent se répéter. La révolution ne peut exercer qu’un attrait mineur parce qu’il est extrêmement difficile et incertain de décider si le temps juste est arrivé pour elle, et aussi parce que, à partir du moment où elle n’est pas inévitable dans ce temps juste, si elle n’a pas lieu au bon moment, elle n’arrivera peut-être plus pendant un très long intervalle de temps.

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43L’une et l’autre d’ailleurs, la révolte et la révolution, ne contredisent pas, au niveau conceptuel, le modèle proposé par la machine mythologique. Au contraire : dans les perspectives qu’elles ouvrent l’une et l’autre, un tel modèle finit par s’identifier avec l’a priori qui reste le fondement tout à la fois solide et obscur du processus gnoséologique. Face à l’essence du lieu commun (ou à l’essence du mythe), il n’y a aucune alternative conceptuelle authentique, mais bien plutôt des alternatives entre des gestes ou des comportements, mais des comportements qui restent délimités à l’intérieur des murs de la machine mythologique. Révolte et révolution, au niveau conceptuel, ne sont pour finir que des articulations différentes (suspension du temps ; temps « juste ») du temps en vigueur à l’intérieur de cette boîte. Le « bateau ivre » n’a pas mis ce temps en pièces : il s’est contenté de jouir de sa suspension, limitée et surtout il ne l’a pas causée. Elle est arrivée comme une épiphanie de sorte qu’il pût en jouir : « je ne me sentis plus… » Et quand bien même, en lieu et place d’une révolte, on aurait assisté à une révolution (si le « bateau », après avoir calculé le moment le plus approprié, le moment « juste », s’était débarrassé des hommes d’équipage : Potemkine menaçant et ne supportant ni les officiers, ni même le reste de l’humanité), le temps n’aurait pas volé en éclats : on aurait eu affaire à un temps privilégié, on l’aurait déclaré « juste », mais il n’aurait pas éclaté, parce que face à la racine du temps, face au vide d’être qui se trouve au cœur de la machine mythologique et auquel la machine mythologique ne cesse de renvoyer, la révolution aurait déclaré un « n’est pas » parfaitement conforme à l’argument ontologique.

44Dans le Bateau ivre, l’échec de l’expérience du règne de la liberté conçue en termes de matière poétique ouvre la voie à Rimbaud d’une critique au privilège de la matière poétique, qui finira par le conduire à l’abandon de l’activité créative et à l’expérience de l’Abyssinie : il sera passé du lieu commun en poésie au lieu commun en matière de gestes et de comportement. Si l’activité poétique de Rimbaud constitue bien un moment de révolte, son activité de commerçant et de voyageur en Afrique constitue un moment de révolution. Il s’agit cependant d’une révolution solitaire et pessimiste, qui naît de la conviction de l’impossibilité de rompre le temps et surtout de celle de rompre la racine du temps : le vide d’être que nous pouvons appeler « mythe » ou « essence des lieux communs ». Pouvoir briser cette racine ce serait disposer d’un langage ou d’un ensemble de gestes qui rendrait possible d’affronter la machine mythologique sur un plan qui permettrait de déclarer tout à la fois l’existence et la non existence de ce que la machine dit contenir : « J’écrivais des silences… je notais l’inexprimable ». C’est justement dans le pessimisme et dans le caractère individuel, solitaire, de cette révolution que vient s’échouer la part infantile de la seconde partie de la vie de Rimbaud, après l’abandon de la poésie. L’abandon de l’Europe est certainement un lieu commun qu’on peut concilier avec l’enfance : mais choisir d’abandonner l’Europe quand on ne croit plus à l’efficacité libératoire de l’abandon c’est renoncer à la condition d’enfant et gagner le royaume des adultes qui sont bien les seuls à pouvoir accepter de se consacrer à des révolutions dont ils savent dès le départ qu’elles sont vouées à l’échec. Si le Bateau ivre a été écrit pour être présenté « aux gens de Paris », la seconde partie de la vie de Rimbaud fut elle aussi vécue comme une marchandise pour que le royaume des adultes pût voir Arthur Rimbaud devenu adulte.

45© Quodlibet, 1996, Macerata

Notes

  • [1]
    La revue Comunità qui remonte à 1946 fut un haut lieu de la vie de l’esprit dans l’Italie d’après guerre. Elle appartenait à la famille Olivetti.
  • [2]
    « En un ce sens, la Lecture représente véritablement dans la biographie intellectuelle de Jesi, un des ces moments privilégiés où il est donné à un auteur de contempler avec lucidité, l’espace d’un instant, par une sorte de divination désenchantée, sa limite dernière et de se heurter, pour ainsi dire, à la racine la plus intime de son expérience du langage » p. 8. En 1972, Jesi a trente-deux ans. Il meurt en 1980.
  • [3]
    La Festa, Turin, Rosenberg & Tellier, 1977.
  • [4]
    Cf. la postface d’Andrea Cavaletti, p. 35.
  • [5]
    En français dans le texte. [N.d.T.]
  • [6]
    Martin Heidegger « Qu’est-ce que la métaphysique ? » Questions I & II, Paris, Gallimard, 1968, p. 84.
  • [7]
    [Steve Murphy, lui, en doute. Dans sa lecture du Bateau ivre, il estime que les « racontars » de Delahaye ont pour unique fonction de conforter son statut de témoin privilégié et d’accréditer l’image d’un Rimbaud pré-symboliste, décidé à rompre en visière avec Banville et les parnassiens. Cf. « Logiques du Bateau ivre » Littératures, n°54 : Rimbaud dans le texte, Presses Universitaires du Mirail, 2006, p. 25-86, ici, p. 27-33. N.d.T.].
  • [8]
    Cette citation est la suivante proviennent du commentaire de R. de Réneville et de J. Mouquet à l’édition des œuvres complètes de Rimbaud dans la Pléiade.
  • [9]
    On sait que Rimbaud a feuilleté les annales du Magasin Pittoresque à Douai, en septembre-octobre 1870. Cf. E. de Rougemont, H. de Bouillane de Lacoste et P. Izambard, « Recherches sur les sources du Bateau ivre et de quelques autres poèmes de Rimbaud » Mercure de France, 15 août 1935.
  • [10]
    En français dans le texte. [N.d.T.]
  • [11]
    [Sur tout ce qui suit, cf. Furio Jesi, Spartakus, simbologia della rivolta, Turin, Bollati Boringhieri, 2000 – cf. aussi la préface d’Andrea Cavaletti, p. V-XXVIII. N.d.T.].
  • [12]
    [Cf. « La suspension du temps historique » ibidem, p. 18-33].
  • [13]
    [« À la nuit qu’il fallut passer en présence des ennemis, comme un vigilant capitaine il reposa le dernier, mais jamais il ne reposa plus paisiblement. À la veille d’un si grand jour, et dès la première bataille, il est tranquille, tant il se trouve dans son naturel ; et on sait que le lendemain, à l’heure marquée, il fallut réveiller d’un profond sommeil cet autre Alexandre ». Tels sont les mots par lesquels Bossuet décrit le sommeil du grand Condé à la veille de la bataille de Rocroi le 16 mai 1643 ; Louis de Bourbon, duc d’Enghien et futur grand Condé, avait alors 22 ans. Cf. Oraison funèbre du très haut et très puissance prince Louis de Bourbon. N.d.T.].
  • [14]
    Avant dernière didascalie de Trommeln in der Nacht de Brecht.
  • [15]
    En français dans le texte. [N.d.T.]
  • [16]
    A. Rimbaud, Œuvres complètes, Pléiade, Paris, 1954, p. 232.
  • [17]
    C’est le titre du paragraphe d’une Saison en enfer d’où est tirée la citation précédente.
  • [18]
    [Cette thèse sur les mythes a été développée par Jesi dans de nombreux ouvrages. Cf. Letteratura e mito, Torino, Einaudi, 1968 ; La vera terra. Antologia di storici e prosatori sul mito e sulla storia, avec un essai introductif de Georges Dumézil, Paravia, Torino 1974 ; Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976 et Macerata, Quodlibet, 2002. Cf. aussi Giorgio Agamben « Sur l’impossibilité de dire Je, paradigmes épistémologiques et paradigmes poétiques chez Furio Jesi » in La puissance de la pensée, Essais et conférences, Paris, Rivages, 2006, p. 93-104. N.d.T.].
  • [19]
    [Il semble que ce soit la première occurrence de la « machine mythologique » dans l’œuvre de Jesi. Cf. les deux projets de préface à La machine mythologique retrouvés dans les inédits de Jesi et présentés dans Cultura tedesca, 1999, n° 19, numéro consacré à Furio Jesi : « Dans le cadre de mes recherches, le modèle machine mythologique reste efficace, c’est-à-dire qu’il satisfait de la meilleure façon les besoins gnoséologiques que j’ai ressentis en étudiant la mythologie, il remplit leurs formes en creux de manière adéquate, à la condition qu’il ne devienne pas à proprement parler une forme. Pour ne pas sortir de cette métaphore, le modèle ne reste efficace, opératoire que tant que sa coulée dans l’empreinte de ces besoins reste une matière si subtile qu’elle peut former une très mince pellicule adhérente à l’empreinte, reproduire fidèlement la cavité, plutôt que de constituer un flux abondant qui remplirait toute cavité, pour la combler, statuaire ». Cf. aussi : « Cette pellicule est l’occasion et l’actualité du fonctionnement de la science mythologique composée selon des modalités qui, reprises de manière organique, forment la machine mythologique : simultanément objet de connaissance et modalité du connaître » Cultura tedesca, p. 93. Cf. aussi le commentaire de G. Agamben, op. cit. p. 94-96. Agamben précise : « Ce n’est certes pas un hasard si la première apparition de la machine se rencontre dans la Lecture du « Bateau ivre » de 1972 où elle doit expliquer le mécanisme productif de la poésie de Rimbaud ».
  • [20]
    R. M. Rilke « La première Élégie » Élégies de Duino in Œuvres poétiques et théâtrales, Paris, Gallimard, bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 528, traduction Jean-Pierre Lefebvre. [Cf. Furio Jesi, Rilke, La Nuova Italia, Firenze 1971 et Esoterismo e linguaggio mitologico, Studi su Rainer Maria Rilke, D’Anna, Firenze, Messina, 1976 et Macerata, Quodlibet, 2002. N.d.T.].
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