Couverture de PLD_101

Article de revue

Exclus des politiques de santé publique

Pages 31 à 34

1En 35 ans, le Comede a soigné et soutenu 130000 personnes de 150 nationalités différentes dans son centre de santé, à l’Espace Santé Droit, structure gérée en partenariat avec la Cimade, et via ses permanences téléphoniques.

2 De quels étrangers allons-nous parler ?

3 Principalement des étrangers qui ont la nationalité d’un pays tiers, c’est-à-dire hors Union européenne. Ce sont les principales victimes des politiques d’exclusion des soins au travers de la précarisation de leur statut administratif. Les Européens de l’Ouest, qui représentent plus du tiers des 3,8 millions d’étrangers résidant en France, n’ont pas de problèmes de santé et d’accès aux soins différents de ceux des Français (à l’exception de certains ressortissants considérés comme « inactifs »). En revanche, une grande partie des étrangers venant d’Afrique subsaharienne et, dans une moindre mesure, d’Europe de l’Est, d’Asie du Sud et d’Afrique du Nord, forment une population de plus d’un million de personnes en situation de grande vulnérabilité qui devraient bénéficier en priorité de politiques publiques de santé et d’insertion.

4 Leurs problèmes de santé sont-ils dus à leur origine géographique ou à leurs conditions de vie en France ?

5 Quand on est dans la culture de la survie au quotidien, les démarches administratives et sociales, la quête de la nourriture et de l’hébergement sont évidemment prioritaires, avant le recours aux soins et encore plus à la prévention, ce qui retarde les démarches pour la santé. Les facteurs de vulnérabilité sont fréquents : absence de titre de séjour ou titre de séjour au renouvellement incertain, hébergement précaire, faibles ressources faute de droit au travail, absence de protection maladie, isolement affectif et social, barrière de la langue – le recours aux interprètes est trop rare dans les hôpitaux et dans les administrations –, xénophobie en progression font obstacle à l’accès aux soins et sont parfois directement causes de pathologies.

6 Dans cette population de plus d’un million de personnes particulièrement « à risque », certaines sont-elles plus vulnérables que d’autres ?

7 Oui. Les femmes exilées, les migrants âgés, en moins grand nombre les demandeurs d’asile, les mineurs, et plus généralement les étrangers en situation précaire cumulent les facteurs de vulnérabilité.

8 Les femmes ?

9 C’est un fait reconnu par les pouvoirs publics et par nombre d’associations et que notre pratique quotidienne confirme : les femmes sont plus souvent malades que les hommes et bénéficient moins souvent d’une protection maladie. Elles sont plus souvent isolées et très pauvres : une sur quatre de celles reçues en 2013 n’avait pas mangé à sa faim au cours des derniers jours. Elles sont plus fréquemment atteintes de maladies graves, particulièrement d’affection à VIH (quatre fois plus que les hommes). Elles souffrent deux fois plus de traumatismes psychiques graves et de maladies cardiovasculaires. La grossesse et la périnatalité constituent pour elles des périodes particulièrement à risque. Le Comede a analysé les dossiers de 173 femmes enceintes reçues au centre de santé en 2012 et 2013, majoritairement originaires d’Afrique subsaharienne et arrivées récemment en France : pour la moitié de ces femmes, le suivi médical de la grossesse a démarré tardivement, les deux tiers d’entre elles n’avaient aucun soutien du père de l’enfant, et pour près d’un quart la grossesse faisait suite à un viol. Parmi les 838 femmes reçues au centre en 2013, 68 % ont été victimes de violence, 12 % ont subi des tortures et 32 % ont été victimes de violences liées au genre.

10 Ce poids des violences observé par le Comede n’est-il pas dû au fort pourcentage de demandeurs d’asile ?

Quels bilans de santé ?

Depuis 1984, en partenariat avec les laboratoires de la ville de Paris, le centre de santé du Comede propose à tous les patients un bilan de santé destiné à « faire le point » et à permettre le dépistage précoce et la mise en place des soins pour les maladies graves les plus fréquentes. Ce bilan comprend un examen clinique, incluant entretien et repérage de troubles psychiques, et des examens complémentaires. Il permet notamment de dépister, par ordre de fréquence décroissante, une infection chronique par le virus de l'hépatite B (VHB), une maladie cardiovasculaire, un diabète, une infection chronique par le virus de l'hépatite C (VHC), une infection à VIH, un cancer ou une tuberculose. En 2013, 90 % des patients ont bénéficié de ce bilan. Il peut être pratiqué gratuitement (pour les bénéficiaires de la sécurité sociale et de l’aide médicale d’État dans les centres d’examens de santé de la sécurité sociale. Contrairement à la visite médicale obligatoire de l’Office français de l’immigration et de l’intégration qui relève du contrôle médical, ces centres sont des dispositifs de soins et de prévention qui reposent sur le consentement éclairé de tous les patients aux examens proposés. A.V.

11 En partie, dans la mesure où les trois-quarts des patient·e·s du centre de santé ont fait une demande d’asile. Mais en dehors des antécédents de torture qui sont assez spécifiques des demandeurs d’asile, réfugiés et déboutés, les autres formes de violence sont également largement répandues parmi les autres exilés, de même que les conséquences psychotraumatiques.

12 Les étrangers souffrent-ils plus de certaines maladies que les Français ?

13 Plus de certaines maladies et moins d’autres. Les pouvoirs publics ont bien documenté la fréquence d’affections transmissibles – VIH et tuberculose –, particulièrement élevée dans certains groupes. Mises à part ces maladies, les données épidémiologiques relatives aux migrants sont rares. Les bilans de santé proposés par le Comede (voir encadré) ont mis en évidence, en 2013 comme les années précédentes, trois grands groupes de pathologies : des troubles psychiques graves dans 36 % des cas, des maladies infectieuses et parasitaires très rarement connues avant l’arrivée en France, dans 24 % des cas – l’hépatite B venant largement en tête (voir encadré) –, et des affections chroniques et risques médicaux graves – maladies cardio-vasculaires, diabète, asthme persistant – dans 40 % des cas. Il faut absolument développer les recherches sur la santé des migrants pour définir des stratégies de prévention et de dépistage et mettre en place des programmes de santé publique à leur intention.

14 Vous recommandez des actions de santé dirigées vers certaines communautés ?

15 C’est ce qui a été fait avec succès pour le sida en termes de dépistage et de prévention. Le recensement des déclarations obligatoires des cas de sida a amené l’Institut national de veille sanitaire à lancer, à la fin des années 1990, une alerte épidémiologique sur l’infection par le VIH des populations originaires d’Afrique subsaharienne vivant en France. Ceci a suscité des études sur les connaissances, les croyances, les attitudes, les comportements spécifiques de ces populations vis-à-vis du VIH. On a alors disposé du socle de connaissances indispensable pour leur adresser des messages qu’elles puissent s’approprier. Ce qui a permis des campagnes ciblées répétées à partir de 2002. Campagnes bien acceptées par plus de 80 % des migrants concernés et dont l’impact mesuré était bien supérieur à celui des campagnes grand public. Il faut maintenant diversifier de telles actions ciblées, en priorité pour la santé mentale, les hépatites virales, les maladies chroniques, en particulier les maladies cardiovasculaires et les cancers. Le premier pas serait d’introduire le critère de nationalité dans les études effectuées, pour analyser les phénomènes de vulnérabilité propres aux étrangers en séjour précaire.

16 En cas de maladie, comment les étrangers « sans papiers » ont-ils accès aux soins ? L’aide médicale d’État fonctionne-t-elle bien ?

17 Les étrangers sans papiers ont en principe accès à l’aide médicale d’État (AME), dispositif dans lequel ils sont confinés depuis la réforme de la CMU de 1999. Cependant, les restrictions légales à l’AME sont nombreuses : en particulier, les étrangers n’y ont pas droit pendant les trois premiers mois de leur présence en France et sont donc, pendant ce temps, exclus de soins qui éviteraient parfois une hospitalisation en urgence. La procédure d’instruction prioritaire est ignorée de la plupart des caisses, alors que le délai de traitement des dossiers s’allonge, ce qui peut amener une personne malade à attendre pendant plusieurs mois pour se faire soigner. Dans un contexte de restriction budgétaire et de xénophobie, la création de cette filière spécifique de protection maladie pour les étrangers sans papiers ne pouvait qu’entraîner une détérioration progressive du système. En mars dernier, après d’autres rapports, celui remis par le Défenseur des droits au gouvernement a recommandé de fusionner l’AME et la couverture maladie universelle (CMU) afin de simplifier les procédures, estimant que cela réduirait le nombre de refus de soins en médecine de ville et permettrait des économies de gestion.

18 Les étrangers en situation irrégulière ne sont pas les seuls à pâtir de cette situation. La politique d’immigration de plus en plus restrictive a des effets directs sur la pratique des caisses primaires d’assurance-maladie. La multiplication des titres de séjour précaires augmente le nombre de refus d’accès à l’assurance-maladie. À cette complexité administrative, souvent méconnue des agents de l’assurance maladie, s’ajoute la réduction du personnel des caisses affecté à l’accueil du public, qui pénalise fortement les personnes en situation précaire, celles qui ont besoin d’un accompagnement personnalisé.

19 L’analyse des obstacles à l’accès aux soins rencontrés par 253 patients du Comede tirés au sort parmi ceux reçus en 2012 montre qu’ils résultent le plus souvent (78 % des cas) de dysfonctionnements de la sécurité sociale : erreurs de droit, erreurs de procédure, difficultés d’accès.

Protection juridique au rabais

L’évolution du droit au séjour pour raison médicale est significative des tensions entre les logiques de protection de la santé et celles du contrôle de l’immigration au sein de l’appareil d’État. Dans l’observation du Comede, à critères médicaux constants, le droit a été appliqué jusqu’en 2003, puis les taux d’accord des préfectures ont chuté d’un tiers. Or jusqu’en 2012, secret médical oblige, les préfets suivaient systématiquement les avis rendus par les médecins des directions départementales de l’action sanitaire et sociale (DDASS) puis des agences régionales de santé (ARS). Cette baisse initiale de la protection s’est donc opérée « à droit constant », dans un contexte de pressions et d’intimidation des médecins par les services du ministère de l’intérieur. La situation s’était déjà aggravée avec la réforme législative du 16 juin 2011 limitant la protection à l’« absence du traitement approprié » dans le pays d’origine de la personne malade. En dépit des instructions données par le ministère de la santé (instruction DGS du 10 novembre 2011) sur la continuité de l’évaluation médicale, les préfectures multiplient les refus de séjour, souvent en contradiction avec l’avis du médecin de l’ARS. Publiées le 10 avril 2014 sur le site internet du ministère de l’intérieur, les données relatives à l’admission au séjour (première délivrance de titre) sont en baisse de 6 % pour les étrangers malades. A.V.

20 Et les 22 % restants ?

21 Ils résultent de dysfonctionnements des dispositifs de soins, particulièrement de l’hôpital public puisque c’est à lui que s’adressent en priorité les malades démunis. Les retards et les refus de soins s’accroissent, entraînant une aggravation de la maladie. Depuis septembre 2012, le Comede et l’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) documentent ces situations de restrictions et de refus de soins. Elles concernent surtout des personnes arrivées depuis moins de trois mois. Les cas d’étrangers sous visa peuvent être particulièrement dramatiques car de nombreux hôpitaux considèrent qu’ils n’ont droit à aucune prise en charge, même en cas d’urgence vitale.

22 Les pouvoirs publics dénoncent les « touristes médicaux »…

23 Parler de tourisme médical, c’est méconnaître la complexité du processus de migration contrainte. Ainsi, quand arrive en France le père ou la mère – âgé et parfois malade – d’un Français ou d’un étranger résidant en France, et qui va le plus souvent vivre au foyer de son fils ou de sa fille, comment faire la part du besoin de se rapprocher des siens quand vient la vieillesse, de celle de bénéficier du système de soins français ? Une minorité de patients disent être venus en France pour y être soignés. Ils sont tous atteints de maladie graves, incurables dans leur pays d’origine, et ont souvent des liens familiaux en France.

« Au pays, on n’a pas su… »

Il est congolais (RDC), et c’est seulement après son arrivée en France que l’hépatite B a été dépistée chez lui. Tout comme son voisin et compatriote, arrivé il y a quatre mois, et le troisième homme, venu de Guinée-Conakry l’an passé. Ils participent à une « réunion hépatite B » au centre de santé du Comede, au Kremlin-Bicêtre.
Les questions essentielles, ils les posent, l’un après l’autre : « Comment savoir quand le virus se réveille ? », « Comment faire pour ne pas contaminer son entourage ? », « Est-ce qu’on peut guérir tout à fait ? » Tous trois se savent atteints. Chez eux le virus est inactif, mais il est présent.
Michel Bonjour, « patient expert » de SOS Hépatites (n° Vert : 0800 004 372 ; www.soshepatites.org), anime la réunion avec Khalda Vescovacci, médecin de santé publique au Comede. Il répond, explique. La surveillance, indispensable, parce que le virus peut se réveiller à tout moment sans que le « porteur » s’en aperçoive. La nécessité des analyses de sang régulières. Pour traiter immédiatement si le virus s’emballe. Traitement simple qui empêchera la survenue des complications, de la cirrhose, du cancer du foie. Traitement à vie.
La protection de l’entourage ? Michel parle du préservatif. « Mais si on est en famille, tout le monde doit se faire dépister et vacciner. » Les contaminations familiales sont fréquentes : « Le virus de l’hépatite B est cent fois plus virulent que celui du sida, il peut rester vivant pendant plusieurs jours à l’air libre. » Avoir des enfants ? Oui, la femme enceinte sera soignée si elle porte le virus, l’enfant traité dès sa naissance.
Une heure est passée. Chacun repart avec une petite documentation. Et un rendez-vous pour une consultation en tête à tête.
Entre 2007 et 2013, le centre de santé du Comede a reçu 952 patients atteints d’hépatite B. Huit pour cent des diagnostics étaient connus au pays. Les réunions hépatites ont commencé en 2013. « Le jour où un patient m’a dit qu’il avait vu le spécialiste à l’hôpital pour la dernière fois un an et demi plus tôt, et que ce médecin lui avait dit : "Tout va bien !", ce jour-là nous avons compris la nécessité de l’éducation thérapeutique » explique Khalda Vescovacci. M.-A.A.

24 Comment expliquez-vous l’augmentation des refus de soins dans les hôpitaux ?

25 Les messages des directions hospitalières sur les « économies à réaliser » prennent le pas sur les missions d’accès aux soins des plus démunis. Les équipes soignantes sont sous la pression d’injonctions contradictoires : leur volonté de soigner – nourrie par leur formation et leur déontologie – est contrariée par des consignes financières le plus souvent officieuses – avant de soigner il faut savoir qui paiera les soins. Cette pression administrative alimente une xénophobie croissante : au nom de la protection de l’assurance maladie, certains estiment légitime d’écarter des soins les étrangers non solvables. Le diagnostic administratif prime alors sur le diagnostic médical en ignorant la déontologie des soignants et en contradiction avec le code de la santé publique. Ces phénomènes de restriction des soins (seuls les premiers soins sont délivrés) et de refus de soins se produisent dans de nombreux hôpitaux. Pourtant la loi contre les exclusions de 1998 a confié à tous les hôpitaux la mission permanence d’accès aux soins de santé (PASS) qui les oblige à délivrer des soins à l’ensemble des personnes démunies.

26 Si vous deviez citer trois mesures à prendre d’urgence pour faciliter l’accès aux soins ?

27 Tout d’abord, il faut fusionner l’aide médicale d’État et la couverture maladie universelle et, en attendant, simplifier les procédures d’accès aux droits. D’autre part, il est indispensable que les PASS soient mieux dotées financièrement pour pouvoir remplir leur mission. Enfin, il faudrait généraliser le recours à des interprètes professionnels pour l’accueil des étrangers non francophones en situation précaire, ce qui nécessite la mise en place d’un dispositif public accessible – au moins par téléphone – à tous les professionnels de santé. ?


Date de mise en ligne : 19/06/2014

https://doi.org/10.3917/pld.101.0031

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