1 La réglementation sur les contrôles d’identité est restée relativement stable depuis la dernière intervention du législateur en 1993. Ils sont régis par les articles 78-2 et suivants du code de procédure pénale et leur légalité suppose alors de démontrer l’existence d’un lien (direct ou indirect) entre l’individu contrôlé et une infraction (préparée, tentée ou commise), ou de justifier de circonstances particulières susceptibles de constituer une menace pour l’ordre public. De son côté, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) donne la possibilité à la police de demander à un étranger de justifier de la régularité de son séjour en France, en se dispensant de respecter le dispositif sur les contrôles d’identité. Elle doit alors faire état d’éléments objectifs lui ayant permis de présumer l’extranéité de la personne, l’autorisant ainsi à réquisitionner les documents sous couvert desquels celle-ci séjourne et circule sur le territoire français.
2 À cette relative stabilité des règles répond une évolution très nette des pratiques. Celle-ci est le fruit, pour une large part, des objectifs chiffrés que le gouvernement s’est donnés en matière d’éloignement du territoire français. Pour pouvoir atteindre les 30 000 reconduites à la frontière espérées, il faut nécessairement augmenter le nombre des interpellations en intégrant les obstacles à la mise en œuvre des départs forcés (défaut de documents d’état civil, délivrance de laissez-passer…). Ces nouvelles pratiques se nomment : interpellations au guichet, contrôles d’identité sous couvert de réquisitions du procureur de la République ou sur les lieux de travail, ou encore arrestations à domicile. Elles sont encouragées par des instructions et des circulaires. Ainsi, de triste mémoire, la circulaire du 21 février 2006 relative aux conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière décline tout un panel de procédures et de moyens à utiliser, en se situant aux limites de la légalité. Elle invite, sans le dire, les agents de police à multiplier les procédés déloyaux et les contrôles discriminatoires. Pour autant, le Conseil d’État, saisi par plusieurs associations d’un recours en annulation, ne trouve rien à redire, notamment sur les contrôles effectués au guichet des préfectures suscités par ces instructions (CE 7 février 2007, n° 292607, Ligue des droits de l’homme et a.).
3 Ces pratiques constituent des occasions pour le juge judiciaire de s’illustrer et de montrer qu’il est bien le gardien des libertés individuelles. En effet, il n’est pas rare que le juge des libertés et de la détention remette en liberté l’étranger et refuse de prolonger sa rétention au motif que la procédure d’interpellation ayant permis de constater sa situation administrative irrégulière contrevient à la loi. La Cour de cassation, quant à elle, a su poser quelques bornes que les tribunaux doivent respecter. Sa jurisprudence n’est toutefois pas à l’abri de critiques, en ce sens qu’elle ne protège sans doute pas assez des pratiques policières abusives.
Cass. civ. 1re, 6/02/2007 (n° 05-10880)
4 Juge des libertés et de la détention – Remise en liberté – Refus de prolonger la rétention administrative – Convocation à la préfecture – Interpellation au guichet – Déloyauté des services préfectoraux.
5 Par cette décision de principe, la Cour de cassation entend clairement condamner les interpellations au guichet consécutives à une convocation pour examen de situation. Ce procédé est déloyal car les personnes sont dans l’ignorance de la finalité première de la convocation, à savoir les arrêter et mettre à exécution leur éloignement forcé du territoire. La haute juridiction judiciaire, par un nouvel arrêt de principe en date du 25 juin 2008 (pourvoi n° 07-14985), a été amenée à réaffirmer sa position. Cela ne semble pas empêcher certaines préfectures de continuer à recourir à ces pratiques manifestement illégales.
6 En l’espèce, un ressortissant algérien, qui avait fait l’objet quelques mois auparavant d’un arrêté de reconduite à la frontière, se présente à la préfecture de Seine-Saint-Denis sur convocation. Celle-ci n’indique pas son objet. Il pouvait naturellement croire que cette convocation faisait suite à la demande de réexamen de sa situation administrative présentée par son avocat. Il est interpellé au guichet et placé en rétention administrative. Le juge des libertés et de la détention refuse de prolonger la privation de liberté au motif que la procédure d’interpellation est entachée d’irrégularité. Cette décision est confirmée en appel et devant le juge de la cassation. La Cour considère que les conditions d’une telle interpellation sont contraires à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. Cette disposition garantit le droit à la liberté et à la sûreté en condamnant toute arrestation et détention arbitraire. La Cour de cassation, sans le dire expressément, juge ces pratiques déloyales.
7 Notons toutefois que la jurisprudence n’interdit pas en soi les interpellations au guichet. Ainsi, elle considère comme régulière l’arrestation dans une préfecture d’un étranger qui s’y rend spontanément pour obtenir des informations sur sa situation (Cass. civ. 1re, 11/03/2009, n° 07- 21961) ou qui donne suite à une convocation de l’administration indiquant clairement qu’elle a pour objet « l’exécution de la mesure d’éloignement le concernant » (Cass. civ. 1re, 11/03/2009, n° 08-11252).
8 Le seul fait d’être convoqué au 8e bureau de la préfecture de police (bureau chargé à Paris de l’éloignement) ne suffit pas à considérer l’éventuelle interpellation comme résultant d’un procédé loyal (v. CA Paris, 27/04/2009, n° B 09/01621 : dans la mesure où l’intéressé avait fait une nouvelle demande de titre sur laquelle il n’avait pas encore été statué, requérant sa présence personnelle, le recours à la convocation pour le placer en rétention apparaît déloyal).
9 « Attendu, selon l’ordonnance confirmative attaquée (Paris, 31 décembre 2004), rendue par le premier président d’une cour d’appel, et les pièces de la procédure, que M.X..., ressortissant algérien, qui faisait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière du préfet de police de Paris du 2 juin 2004, notifié le même jour, s’est présenté à la préfecture de Seine-Saint-Denis, sur convocation, à la demande de son avocat qui sollicitait un réexamen de sa situation administrative ; que le préfet de Seine-Saint-Denis a pris à son encontre un arrêté, du 27 décembre 2004, de maintien en rétention dans un local ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ; que par ordonnance du 29 décembre 2004, le juge des libertés et de la détention a rejeté la demande de prolongation de la rétention administrative ;
10 Attendu qu’il est fait grief à l’ordonnance d’avoir confirmé cette décision, alors, selon le moyen, que l’étranger qui s’est présenté volontairement au service des étrangers de la préfecture et dont il est alors constaté par l’administration qu’il a fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière et que sa situation n’a pas évolué depuis ne fait pas l’objet d’une interpellation ; que, dès lors, c’est au prix d’une erreur de droit que le délégué du premier président de la cour d’appel de Paris a estimé que « l’interpellation » de M.X... constituait une pratique « déloyale » contraire à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme ; que par ailleurs, la circonstance relevée par les juges du fond que la seule constatation que l’intéressé était en situation irrégulière alors qu’il s’était présenté au guichet dans les conditions susvisées ne saurait caractériser un indice apparent d’un comportement délictueux est inopérante ; qu’ainsi l’ordonnance attaquée est entachée d’une violation de l’article 35 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945, ensemble de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
11 Mais attendu que l’administration ne peut utiliser la convocation à la préfecture d’un étranger, faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière, qui sollicite l’examen de sa situation administrative nécessitant sa présence personnelle, pour faire procéder à son interpellation en vue de son placement en rétention ; qu’ayant relevé que M.X... avait été convoqué, sur sa demande, pour l’examen de sa situation administrative, la cour d’appel a, par ce seul motif, jugé à bon droit, que les conditions de cette interpellation étaient contraires à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme ;
12 PAR CES MOTIFS : REJETTE LE POURVOI »
Cass. civ. 1re, 11/03/2009 (n° 08-11177)
13 Juge des libertés et de la détention – Remise en liberté – Refus de prolonger la rétention administrative – Projet de mariage – Convocation pour vérifier la réalité du consentement des époux – Pratique déloyale – Détournement de procédure.
14 La Cour de cassation a eu l’occasion de condamner pareillement les interpellations consécutives à des convocations ayant pour objet de vérifier la réalité du projet matrimonial. En vertu de l’article 175-2 du code civil, le procureur de la République peut surseoir à la célébration d’un mariage en cas de doute sur le consentement des époux, autrement dit s’il pressent l’existence d’un mariage de complaisance. La tendance est au doute… lorsque l’un des époux est en situation administrative irrégulière. Dans ce cas, il diligente une enquête, et les futurs époux sont convoqués dans les services de police ou de gendarmerie. Pour la Cour de cassation, cette convocation ne peut pas servir à interpeller l’étranger, à prendre contre lui un arrêté de reconduite à la frontière et à le placer en rétention.
15 En l’espèce, un ressortissant turc sans papiers se rend donc au commissariat de Montélimar sur convocation pour examen, demandé par le parquet, de son dossier de mariage. Il est placé en garde à vue, fait l’objet d’une mesure d’éloignement et est mis en rétention. Le juge des libertés et de la détention le remet en liberté. La décision est confirmée en appel. La Cour de cassation considère que la convocation a pour seul objet de s’assurer du consentement du futur époux, et qu’elle ne peut servir une autre finalité.
16 La personne qui vient se renseigner de sa propre initiative sur l’effectivité de son projet de mariage (à quel titre le mariage avec un Français donne-t-il droit et quelles sont les conditions à remplir) dans les services de la préfecture peut en revanche être régulièrement interpellée car cette arrestation, selon la jurisprudence, ne procède pas d’une déloyauté contraire à la convention européenne des droits de l’homme (Cass. civ. 1re, 11/03/2009, n° 07-21961).
17 « Attendu, selon l’ordonnance confirmative attaquée (Lyon, 15 janvier 2008), rendue par le premier président d’une cour d’appel, et les pièces de la procédure, que M.X..., de nationalité turque, en situation irrégulière en France, s’est présenté le 8 janvier 2008 au commissariat de police de Montélimar, sur convocation, pour l’examen, demandé par le parquet, de son dossier de mariage ; qu’il a été placé en garde à vue et a fait l’objet, le même jour, d’un arrêté de reconduite à la frontière et d’une décision de maintien en rétention pris par le préfet de la Drôme ; que par ordonnance du 11 janvier 2008, le juge des libertés et de la détention de Lyon a constaté l’irrégularité de la procédure et dit n’y avoir lieu à prolonger la rétention administrative de M.X... ;
18 Attendu que le procureur général près la cour d’appel de Lyon fait grief à l’ordonnance d’avoir confirmé cette décision, alors, selon le moyen, que la convocation de M.X... s’inscrivait dans l’exécution de deux enquêtes de nature civile et pénale ordonnées par le procureur de la République de Valence, à l’issue d’un signalement d’un officier d’état civil, enquêtes impliquant chacune la vérification de la situation administrative de l’intéressé, à l’issue de laquelle est intervenue l’interpellation en flagrant délit qui apparaît ainsi régulière ; qu’en jugeant que la procédure était irrégulière, la convocation verbale de M.X... s’étant faite dans un contexte correspondant à une pratique déloyale, le premier président a violé les articles 40, 62 et suivants du code de procédure pénale, 175-2 du code civil et L. 554-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
19 Attendu qu’ayant fait ressortir que les policiers avaient utilisé la convocation de M.X... pour un examen de son dossier de mariage nécessitant sa présence personnelle, pour procéder à son interpellation pour délit de séjour irrégulier en France, le premier président en a justement déduit que les conditions de cette interpellation étaient irrégulières ; que le moyen n’est pas fondé ;
20 PAR CES MOTIFS : REJETTE LE POURVOI . »
Cass. civ. 1re, 25/03/2009 (n° 08-11587)
21 Juge des libertés et de la détention – Prolongation de la rétention – Procédure régulière – Contrôle frontalier – Procès-verbal – Motivation insuffisante.
22 L’article 78-2 alinéa 4 du code de procédure pénale prévoit la faculté de procéder à des contrôles d’identité dans la zone frontalière qui est une zone comprise entre la frontière terrestre de 20 km entre la France et les États parties à la convention de Schengen. La même faculté est ouverte dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires et routières ouverts au trafic international. La police, qui intervient dans ce cadre légal, n’est pas obligée dans le procès-verbal de faire état d’une condition supplémentaire l’ayant amenée à interpeller telle personne plutôt qu’une autre. Il lui suffit d’agir dans une des zones permettant ce type de contrôle et de le spécifier dans le procès-verbal. C’est ce que la Cour de cassation a rappelé dans cette décision. Elle censure l’ordonnance du premier président de la cour d’appel qui, au contraire, avait jugé que la procédure d’interpellation était irrégulière dans la mesure où, à défaut de mentionner dans le procès-verbal des éléments objectifs extérieurs à la personne, les agents avaient nécessairement agi sur la base de son apparence. Pour la Cour de cassation, en statuant de la sorte, le premier président ajoute une condition que l’article 78-2 alinéa 4 ne comporte pas.
23 La jurisprudence semble constante sur ce point : les conditions légales sont satisfaites dès lors que le procès-verbal fait référence à l’exercice d’un contrôle frontalier. Le juge doit s’assurer toutefois que le contrôle a bien eu lieu dans une zone frontalière (dans la bande terrestre des 20 km ou dans un port, une gare ou un aéroport ouvert au trafic international). Lorsque la personne est sortie de la gare, la police doit invoquer un autre motif pour procéder à un contrôle des documents d’identité et/ou de séjour.
24 « Sur le moyen unique : Vu l’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale ;
25 Attendu, selon l’ordonnance attaquée, rendue par le premier président d’une cour d’appel, que M.X..., de nationalité algérienne, a fait l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière et a été maintenu en rétention dans un local ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ; qu’un juge des libertés et de la détention a refusé de prolonger cette rétention ;
26 Attendu que, pour confirmer cette décision, le premier président a retenu qu’il résultait du procès-verbal d’interpellation que M.X... a été contrôlé sur le fondement de l’article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale, sans qu’il ait été fait mention des éléments objectifs déduits des circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé et qu’ainsi il était établi qu’en l’absence de toute référence à son comportement les agents de police n’avaient pu que se référer à son apparence pour l’interpeller, ce qui entachait la procédure d’irrégularité ; Qu’en subordonnant ainsi la régularité du contrôle d’identité dans la zone frontalière terrestre de 20 kilomètres entre la France et les États parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 à la justification par l’autorité administrative de circonstances particulières tenant au comportement de l’intéressé, le premier président a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas et violé le texte susvisé ;
27 Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
28 Et attendu que, les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste rien à juger ;
29 PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE »
30 ? Dans le même sens
31 • Cass. civ. 1re, 14/11/2007 (n° 06-21408)
Cour d’appel Paris, 16/04/2009 (n° B 09/01304)
32 Juge des libertés et de la détention – Remise en liberté – Refus de prolonger la rétention administrative – Contrôle sur le lieu de travail – Réquisitions du procureur de la République – Désignation nominative de l’OPJ autorisé à intervenir.
33 Les contrôles sur les lieux de travail se sont multipliés depuis que le ministre de l’immigration a affiché la volonté de l’État de lutter contre le travail illégal. Au passage, il entretient la confusion entre les différentes formes de travail illégal, le travail dissimulé et l’emploi d’étrangers dépourvus d’un titre les autorisant à exercer une activité salariée. Si les interpellations dans les entreprises ont effectivement permis de mettre la main sur des travailleurs sans titre, il n’est pas établi que les condamnations prononcées à l’encontre des employeurs aient considérablement augmenté. En vertu de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale, les officiers de police judiciaire peuvent, sur réquisitions du procureur de la République, entrer dans les lieux de travail afin de constater des infractions de travail dissimulé et d’emploi d’étrangers sans autorisation de travail. Une fois dans l’entreprise, ils peuvent notamment contrôler l’identité des personnes occupées.
34 En l’espèce, des réquisitions prises par le procureur de la République de Bobigny désigne nominativement un adjudant (ou tout autre officier de police judiciaire désigné par lui de la brigade) à pénétrer dans les locaux d’une société installée à Pantin. C’est l’adjudant-chef qui, avec deux gendarmes, procède à l’opération prévue et contrôle deux personnes en activité sur les lieux, dont un ressortissant égyptien qui déclare ne pas disposer de carte lui permettant de séjourner et de travailler en France. Il fait l’objet d’une mesure d’éloignement. Le juge des libertés et de la détention prolonge son placement en rétention. L’ordonnance est infirmée par le président de la Cour d’appel au motif que la procédure d’interpellation était irrégulière car le procès-verbal n’indique pas que l’adjudant-chef ait été désigné par l’officier visé par les réquisitions (et ce d’autant plus qu’il n’était pas son subordonné).
35 La police peut aussi agir dans le cadre d’une procédure de flagrance. La Cour de cassation a en particulier jugé que lorsque l’officier de police judiciaire, valablement informé du délit de travail dissimulé qui se commettait, pénètre dans une entreprise (ici un supermarché), il peut librement contrôler les personnes à l’égard desquelles il existe un indice faisant présumer l’existence d’un lien avec l’infraction recherchée. Il n’est pas exigé qu’une activité de travail ait été vérifiée de façon certaine par l’inspecteur (URSSAF), entré avant la police et lui ayant du reste fourni l’information à l’origine de la flagrance (Cass. civ. 1re, 28/01/2009, n° 08-11251). Cette décision permet de « couvrir » des procédures contestables sur le plan éthique et juridique.
36 « Considérant que les réquisitions du procureur de la République de Bobigny du 26 mars 2009, au visa de l’article 78-2-1 du code de procédure pénale, ont désigné l’adjudant X ou tout autre officier de police judiciaire par lui désigné de la brigade territoriale autonome de Bobigny afin de pénétrer dans les locaux de la société […] ; que dès lors l’adjudant-chef Y n’indique pas, dans le procès-verbal d’intervention du 1er avril 2009 avoir été désigné par l’officier de police judiciaire de cette brigade, d’un grade moins élevé, mais nommément désigné par les réquisitions du procureur de la République et que celui qui a été requis n’est pas intervenu lors de cette opération, mais seulement à la brigade, à la suite de l’interpellation de l’intéressé ; il s’ensuit que le contrôle et l’interpellation, opérés suivant le procès-verbal précité, sont irréguliers . »
Cour d’Appel de Paris, 6/04/2009 (n° B 09/01307)
37 Juge des libertés et de la détention – Remise en liberté – Refus de prolonger la rétention administrative – Réquisitions du procureur de la République – Vérification de la situation administrative – Absence de signes extérieurs d’extranéité.
38 Sur réquisitions du procureur de la République, la police peut contrôler l’identité de toute personne dans des lieux et pour une période de temps déterminée par ce magistrat, en vue de rechercher et de poursuivre toutes infractions (art. 78-2 alinéa 6 du code de procédure pénale). Depuis quelques années, et sur instructions ministérielles, les parquets sont encouragés à recourir à cette faculté pour mener des opérations ciblées dans certains quartiers et/ou autour de foyers de migrants afin d’interpeller des étrangers en situation irrégulière. Dans les procès-verbaux, il suffit en principe de faire référence aux réquisitions pour que le contrôle effectué sur son fondement soit conforme à la loi. Il n’est pas exigé de l’agent qu’il s’explique sur le choix des personnes interpellées dans le périmètre couvert par les réquisitions. Certes, le fait de les sélectionner sur l’apparence tombe sous le coup de la discrimination, mais la preuve est difficile à établir (v. TGI Paris ord. 19/01/2008, Singh Amarpeet ; CA Paris 21/01/2008, n° B 08/0026 : la prolongation de la rétention est refusée car le procès-verbal lui-même révèle que le contrôle a été fondé sur l’apparence physique ; il mentionne le « type indien » de la personne interpellée). La Cour de cassation, pour l’instant, n’a pas posé beaucoup d’exigences, si ce n’est que les réquisitions soient datées, signées par le procureur, qu’elles indiquent le motif, la date et le lieu des contrôles et qu’elles soient expressément visées par les procès-verbaux.
39 En l’espèce, la personne, contrôlée dans le cadre de réquisitions prises par le procureur de la République, présente aux agents de l’ordre une carte Navigo. Sur la base de ce document, les agents demandent qu’elle justifie de la régularité de sa situation administrative. Étant dans l’impossibilité de le faire, ce ressortissant algérien est placé en garde à vue, fait l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière et d’un placement en rétention. Le juge des libertés et de la rétention de Bobigny ordonne la prolongation du maintien en rétention de l’intéressé. La cour d’appel infirme cette décision, estimant que la procédure d’interpellation a été irrégulière. Elle suit un raisonnement intéressant : certes la police peut demander à un individu de justifier de son identité dans le cadre de réquisitions (c’est prévu par la loi), mais il peut le faire par tous moyens (la réglementation n’oblige pas le port d’une carte nationale d’identité) ; partant, en montrant sa carte Navigo (qui présente un minimum de fiabilité, et indique l’état civil du titulaire, sans mention de la nationalité), l’individu contrôlé a justifié de son identité ; si la police entend lui demander de justifier de la régularité de sa situation administrative, il faut qu’elle fournisse les éléments qui lui ont permis de présumer la personne comme étrangère ; à défaut de l’avoir fait, la procédure est entachée d’illégalité. La consonance supposée étrangère du nom ne peut constituer une signe d’extranéité.
40 « Considérant que le contrôle d’identité a été fait, sur des réquisitions du procureur de la République, que l’intéressé a présenté une carte Navigo portant son identité, mais pas sa nationalité ; que le fonctionnaire de police, suivant le procès-verbal du 1er avril 2009 à 20h50 , à la vue de cette identité et sans élément d’extranéité quelconque, déduit de circonstance extérieure à la personne elle-même, a demandé à l’intéressé de présenter un titre lui permettant de séjourner sur le territoire français, ce dont il se déduit que l’interpellation est irrégulière, pour être consécutive à une demande de titre de séjour en l’absence de tout élément d’extranéité, justifiant cette demande ; que cette irrégularité affecte le placement en garde à vue et par voie de conséquence conduit à rejeter la demande de prolongation de la rétention, cette dernière étant consécutive à la garde à vue. »
41 Encore faut-il évidemment que la police se satisfasse de la carte Navigo comme preuve de l’identité. Si la preuve est libre, la police peut se considérer comme non convaincue par le document produit.
TGI Lyon, ordonnance, 21/10/2007 (n° 07/2661)
42 Juge des libertés et de la détention – Remise en liberté – Refus de prolonger la rétention administrative – Vérification de la situation administrative – Signes extérieurs d’extranéité – Immatriculation étrangère.
43 L’article L. 611-1 du Ceseda autorise la police à réquisitionner directement les documents sous couvert desquels les étrangers circulent et séjournent en France. Le Conseil constitutionnel exige alors que la police se soit fondée sur des critères objectifs et excluant toute discrimination entre les personnes (DC, 13/08/1993, n° 93- 325). Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, pour présumer de l’extranéité d’un individu et lui demander son titre de séjour ou de circulation, les agents de l’ordre doivent faire état « d’éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l’intéressé » (Cass. crim. 25/04/985, Bull. n° 159). L’apparence physique, la couleur de la peau, le fait de s’exprimer en une langue étrangère, le nom ou encore la tenue vestimentaire constituent des éléments qui ne peuvent être pris en compte pour présumer la nationalité étrangère. On a autrefois admis que puisse caractériser un tel élément le fait de circuler dans une voiture immatriculée à l’étranger.
44 En l’espèce, les passagers d’une voiture immatriculée au Portugal sont contrôlés. L’un se trouve être en situation administrative irrégulière. La procédure d’interpellation est jugée illégale. Pour que joue la présomption d’extranéité, il ne faut pas que l’immatriculation soit celle d’un pays membre de l’Union européenne. En effet, dans cette hypothèse, ses ressortissants bénéficient de la libre circulation et ne sont pas astreints à posséder un titre de séjour.
45 Selon le juge des libertés et de la détention, « si l’on pouvait présumer qu’il (le véhicule) était occupé par des ressortissants portugais, rien ne permettait d’imaginer raisonnablement que son ou ses passagers soient ressortissants d’un pays non membre de l’Union et donc sujets à autorisation pour séjourner ».
Cour d’Appel de Paris, 30/01/2009 (n° B 09/00307)
46 Juge des libertés et de la détention – Remise en liberté – Refus de prolonger la rétention administrative – Contrôle sur la voie publique – Absence de lien entre le contrôle et l’existence d’une infraction.
47 La police peut contrôler l’identité d’une personne à l’égard de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction (art. 78-2 alinéa 1). Le contrôle d’identité, dans cette hypothèse de nature judiciaire, est également justifié si l’individu interpellé se préparait à commettre un crime ou un délit. Encore faut-il que le procès-verbal comporte une motivation satisfaisante.
48 Dans cette affaire, M.K. a fait l’objet d’un contrôle à la sortie du Kremlin-Bicêtre. Dépourvu de titre de séjour, il est placé en garde à vue puis en rétention administrative après que le préfet a pris contre lui un arrêté de reconduite à la frontière. Le juge des libertés et de la détention refuse de prolonger la mesure de rétention et ordonne sa remise en liberté. La cour d’appel de Paris confirme cette décision. Le juge considère le contrôle d’identité ayant permis de constater la situation irrégulière de M.K. comme illégal. Dans le procès-verbal, les policiers faisaient valoir que leur attention avait été attirée par un individu accostant les passants à la sortie du métro, semblant leur proposer quelque chose à vendre ; toujours selon le PV, il avait rangé dans sa poche un objet rapidement alors que les deux agents descendaient de leur voiture et se dirigeaient vers lui. La Cour relève que le fait d’offrir, de mettre en vente ou d’exposer en vue de la vente des marchandises dans les lieux publics sans autorisation ne constitue une contravention que si cet acte est commis en violation de dispositions réglementaires relatives à la police des lieux (art. R. 644-3 du code pénal). À défaut d’avoir produit des éléments sur l’existence d’un tel règlement, on ne peut aucunement reprocher à M.K. d’avoir commis une infraction. Rien dans la situation décrite ne laisse présumer l’existence d’une raison plausible de croire que la personne avait commis ou tenté de commettre une infraction.
49 « Le fait d’offrir, de mettre en vente ou d’exposer en vue de la vente des marchandises ou d’exercer toute autre profession dans les lieux publics sans autorisation ou déclaration n’est réprimé par l’article R. 644-3 du code pénal que s’il est commis en violation des dispositions réglementaires sur la police de ces lieux. Aucun élément n’est produit concernant l’existence d’un tel règlement de police au Kremlin-Bicêtre de sorte que le comportement reproché à M.K. n’apparaît pas constitutif d’une infraction. Le préfet du Val-de-Marne ne précise pas dans sa déclaration d’appel quel serait le texte définissant et réprimant l’infraction de racolage commercial.
50 Au surplus, il ne peut être déduit des circonstances relatées par les services de police se bornant à mentionner que M.K. semble proposer quelque chose à la vente, élément purement hypothétique, qu’il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’il avait commis ou tenté de commettre une infraction, de sorte que le contrôle d’identité est irrégulier. »
51 ? En sens contraire
52 • Cass. civ. 1re, 17/12/2008 (n° 07-20897)