Notes
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[1]
Quentin Skinner, Visions of politics, Volume 1, Regarding method, Cambridge, Cambridge University press, 2002. Pour la période contemporaine, on peut renvoyer, en particulier, à Pierre Bourdieu, L’Ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Minuit, 1988.
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[2]
Ces usages intransitifs des termes doivent, bien entendu, être distingués de l’emploi avec élision d’un terme mentionné explicitement plus tôt (« il est différent » vaut comme condensation de « il est différent de son frère » et « c’est un autre » comme condensation de : « ce n’est pas celui-ci, c’est celui-là »).
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[3]
Pour un modèle du genre, voir Henri Lefèbvre, Logique formelle et logique dialectique, Paris, Éditions sociales, 1946.
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[4]
Louis Pinto, La Théorie souveraine. Les philosophes français et la sociologie au XXe siècle, Paris, éd. du Cerf, 2009, p. 194 sq.
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[5]
Louis Pinto, La Vocation et le métier de philosophe. Pour une sociologie de la philosophie dans la France contemporaine, Paris, Seuil, 2007, p. 80-90.
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[6]
Sur les rapports philosophie-littérature voir L. Pinto, La Théorie souveraine. op. cit., p. 245 sq.
-
[7]
Gilles Deleuze : Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1962, Le bergsonisme, Paris, PUF, 1966, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968 ; J. Derrida : « Introduction » à E. Husserl, L'origine de la géométrie (1962), La Voix et le Phénomène Paris, PUF, 1967, L'écriture et la différence, Paris, Seuil,1967.
-
[8]
Gilles Deleuze, Différence et répétition, op. cit., p. I.
-
[9]
Deleuze est, le premier, semble-t-il, à avoir utilisé l’expression « philosophie de la différence ».
-
[10]
Sur les difficultés internes du concept de « différence », voir Vincent Descombes, Le Même et l’autre : quarante-cinq ans de philosophie française (1933-1978), Paris, Minuit, 1979, p. 182 sq.
-
[11]
Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, op. cit., p. 222.
-
[12]
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1960, p. 166.
-
[13]
Sur ce point, voir Louis Pinto, La Théorie souveraine, op. cit., p. 273-281.
-
[14]
Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947.
-
[15]
Jacques Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », première version parue dans la Revue Française de Psychanalyse, 1949, volume 13, n° 4, repris dans Écrits, Paris, Seuil, 1966.
-
[16]
Voir chez Jean-Paul Sartre, « L’existence d’autrui » dans L’Être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943 ; M. Merleau-Ponty, « Autrui et le monde humain » dans la Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.
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[17]
Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, op.cit., p. 309. Sur les analyses de Sartre, je me permets de renvoyer à Louis Pinto, La Théorie souveraine, op. cit., p. 143 sq.
-
[18]
Emmanuel Levinas, Totalité et infini, M. Nijhoff, La Haye, 1961.
-
[19]
Emmanuel Levinas, Totalité et infini, Paris, Le Livre de poche, 1971, p. 37.
-
[20]
Jacques Lacan, « La chose freudienne », L’Évolution psychiatrique, 1956, n° 1, republié dans Écrits, op. cit., puis Écrits1, Paris, Points Seuil, 1970, p. 242.
-
[21]
Michel Foucault, Folie et déraison : histoire de la folie à l'âge classique, Paris, Plon, 1961, réédité sous le titre Histoire de la folie à l'Âge classique, Gallimard, collection Tel, Paris, 1972 (les citations renvoient à cette édition).
-
[22]
Michel Foucault, Histoire de la folie, op. cit., p. 547.
-
[23]
Ibid., p. 548.
-
[24]
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 339.
-
[25]
Foucault vise par ce terme plus ou moins dépréciatif ces disciplines peu prestigieuses que sont à ses yeux, au moins à cette époque, la psychologie et la sociologie.
-
[26]
Michel Foucault, Les Mots et les choses, op. cit., p. 15.
-
[27]
Michel de Certeau, L’Absent de l’histoire, Paris, Mame, 1973.
-
[28]
Georges Bataille, « La valeur d'usage de D.A.F. de Sade » non daté, Œuvres complètes, tome 2, Paris, Gallimard, 1970, p. 62.
-
[29]
Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, UNESCO, 1952.
-
[30]
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques (Paris, Plon, 1955), Paris, 10/18, 1962, p. 347.
-
[31]
C’est dans cette lignée que s’inscrit beaucoup plus tard Benoît de l’Estoile lorsque, pour aborder la question du traitement savant et muséologique des sociétés étudiées par les ethnologues, il utilisera l’expression « le goût des autres » (Le Goût des autres. De l’Exposition coloniale au Musée des Arts premiers, Paris, Flammarion, 2007), sans doute beaucoup plus « plate » que le « goût de l’Autre ».
-
[32]
Robert Jaulin, Gens de soi, gens de l’autre, Paris, 10/18, 1973 p. 20-21.
-
[33]
P. Clastres, La Société contre l’État, Paris, Minuit, 1974.
-
[34]
Signe de consécration institutionelle : l’une de ces personnalités les plus en vue, ancien Président du Collège international, François Jullien, s’est vue attribuer en 2017 par la Fondation des sciences de l’homme, une « chaire sur l’altérité » dont il est « titulaire » (bel oxymore institutionnel qui suggère toute la difficulté à échapper au Même).
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[35]
Antonio Negri, « L’empire, la guerre et la sécurité » (interview), Le Passant ordinaire, mars-avril 2000.
-
[36]
Voir Liberté, Libertés. Réflexions du comité pour une Charte des libertés animé par Robert Badinter, Paris, Gallimard, 1976, p. 61.
-
[37]
Site des éditions Autrement consulté en juin 2008.
-
[38]
Sur le conservatisme d’allure progressiste des discours sur la diversité, voir Walter Benn Michaels, La Diversité contre l’égalité, Paris, Raisons d’agir Éditions, 2009.
-
[39]
Juius Evola, Éléments pour une éducation raciale, Puiseaux, Pardès, 1985, cité par Pierre-André Taguieff, La force du préjugé, Paris, la Découverte, 1987, p. 333.
-
[40]
Entretien en 2004 au magazine allemand Zinnober, cité dans l’article « différentialisme » de Wikipedia.
-
[41]
Claude Lévi-Strauss, « Race et culture », Revue internationale des sciences sociales, volume XXIII, n° 4, 1971 repris in Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983, p. 47-48.
-
[42]
Voir les échanges entre Jean Daniel et Paul Ricœur sur la question du « seuil » d’immigrés dans Louis Pinto, « L’air du temps philosophique » in Le Collectif et l’individuel. Considérations durkheimiennes, Paris, Raisons d’agir-éditions, 2009, p. 23 sq.
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[43]
Benoît de l’Estoile, Le Goût des autres, op. cit, p. 390.
« Think different »
1L’attribution de significations savantes à certains mots n’est jamais assurée d’en éliminer les usages profanes de locuteurs ordinaires. Dans presque toutes les productions symboliques, il entre une bonne part d’incertitude, de flou, et même de malentendu. La signification des mots varie, non pas sous l’effet d’interventions délibérées, mais souvent parce que, du fait des luttes intellectuelles, ils se trouvent insérés dans des réseaux sémantiques renouvelés sur le marché des échanges symboliques au sein duquel apparaissent des possibilités inédites de voisinage, d’équivalence, de combinaison. Le sens pratique des locuteurs lettrés leur permet de jouer sur les glissements, les doubles sens et les doubles jeux dans une pluralité d’espaces sociaux, et de s’y orienter au prix d’approximations et d’ajustements. Plutôt que de chercher les vraies significations cachées de mots déterminés, il s’agit donc de comprendre d’une part, le contexte historique dans lequel ils ont trouvé des utilisations effectives [1], et d’autre part, le rapport entre leurs propriétés et les fonctions qu’ils sont portés à remplir dans ce contexte. Ce que parler veut dire n’est pas séparable des questions de savoir qui parle et qui comprend.
2Les termes « altérité » et « différence » sont devenus depuis les années 1960 des éléments essentiels du lexique d’avant-garde. On peut se demander ce qui a pu en faire la fortune et quelles sont les règles grammaticales qui en faisaient des moyens expressifs privilégiés pour ceux qui ont visé à en faire des concepts de plein droit. Assez proches et parfois interchangeables, « autre » et « différent » ont d’abord pour fonction de signaler le caractère extraordinaire de certains contenus : cet usage emphatique, identifiable par une forme intransitive, se substitue aux usages transitifs ordinaires toujours associés à des pratiques de comparaison (« différent de … », « autre que… ») [2]. Ce glissement d’un usage comparatif à un usage superlatif a des équivalents dans le langage commun, comme le montrent des expressions admiratives (« ah ! c’est vraiment autre chose ! », « ah ! quelle différence ! », « c’est différent, ça n’a rien à voir ! », etc.) qui marquent l’accomplissement, l’éminence, « même » étant renvoyé à la routine, au quotidien (« c’est toujours la même chose », « c’est du pareil au même »…). Mais si le passage du transitif à l’intransitif, du relatif à l’absolu, et aussi du pluriel (les autres, les étrangers, les gens différents…) au singulier (l’altérité, la différence), peut désarçonner le sens commun, c’est parce qu’il enferme un mode de fonctionnement proprement philosophique, étrange et inédit. L’hypothèse proposée ici est que les usages savants (philosophiques) de ces mots sont toujours liés à des discours sur le monde social qui enferment une philosophie sociale dualiste opposant une humanité vouée à l’« identité » et une humanité accueillante à la (ou aux) « différence(s) ».
3Ce mode d’expression original doit beaucoup aux philosophes ayant joué un rôle central dans sa création et dans sa diffusion au cours des années 1960. S’il n’est pas question de réunir d’après le contenu explicite de leurs thèses des penseurs aussi divers que Deleuze, Derrida, Foucault et Levinas, il reste qu’ils puisaient en partie dans un même répertoire lexical. Pourquoi et comment ? Ce point mérite en soi l’analyse et pourtant il ne semble pas avoir intéressé les commentateurs, sans doute parce que beaucoup parlent ce langage comme on respire. Plutôt que d’analyse « interne » de discours, on voudrait esquisser une analyse – pragmatique, si l’on veut – de la façon dont des mots ont pu se prêter à des usages indissociablement logiques et politiques ajustés à des locuteurs savants réunis, au moins négativement, par une position académique atypique : les mots apparaissent comme des actes contribuant à délimiter des positions dans un ensemble d’espaces divers (intellectuels, politiques, religieux, etc.) unis par des relations d’homologie.
4S’ils sont apparentés, au moins comme ayant les mêmes contraires (« même », « identique »), « autre » et « différence » n’ont toutefois pas la même histoire. Alors que « autre » demeure plus ou moins ancré dans l’ordre des relations entre des individus singuliers (le problème d’autrui), « différence » semble se prêter à un degré supérieur d’abstraction.
Un grand partage
5La différence, devenue un instrument capital de dépassement dans la pensée de l’avant-garde française au début des années 1960, trouvait des précédents, sinon des modèles, dans la tradition philosophique. Hegel est le premier à avoir donné au mot « différence » un sens technique. Dans la « dialectique », processus d’engendrement d’entités ontologiques et de leurs rapports, la différence (Unterschied, Verschiedenheit) est le produit d’un mouvement de scission qui, succédant à l’« identité » première, rend possible l’existence de deux termes opposés, et donc le jugement et la discursivité. Tenue pour insurmontable dans la logique « analytique » d’« entendement » assujettie à des identités figées et bien délimitées et au principe du tiers-exclu, la contradiction des opposés trouve à être résolue à un niveau supérieur d’intelligibilité (la « dialectique », la « raison spéculative ») : par exemple, le dépassement de l’opposition être/non-être se réalise dans le devenir. Le dépassement de style dialectique (« Aufhebung ») est la grande contribution de Hegel à l’élaboration d’une logique philosophique souveraine (la « Science de la logique ») qui se distingue de la logique formelle, discipline ancillaire et bornée : ce style sert, en particulier dans la philosophie marxiste, à souligner la hiérarchie entre la science, soumise aux apparences de contradictions insolubles, et la philosophie, en mesure de les surmonter [3].
6Au début des années soixante, les aspirants philosophes d’avant-garde se sont affirmés autant contre le conformisme académique (« humaniste ») que contre les avant-gardes précédentes « hégéliano-marxistes » (Sartre, revue Arguments…). C’est pourquoi leur lutte a revêtu la forme d’une contestation des privilèges de la dialectique, de la conciliation et de la réconciliation [4]. Il s’agissait pour ces penseurs de montrer que les précédentes tentatives, insuffisamment radicales, retombaient malgré tout dans la tradition dominée par 1'« identité » : le conflit dialectique ne ferait, selon eux, qu’homogénéiser les termes opposés, les réduire à l’équivalence, les soumettre à la loi de 1'« identité ». D’où la nécessité d’un travail spécifique de formalisation philosophique qui, en dépassant les limites antérieures, dévoile un univers conceptuel réfractaire aux instruments de cette dernière. Reprenant le projet de dépassement théorique inscrit dans les usages scolaires des catégories de l’entendement philosophique [5], plusieurs auteurs de la nouvelle génération ont visé à le libérer des formes routinisées ou faussement novatrices (dialectiques) qu'il avait revêtues. Le rapport nouveau entretenu à la littérature et à la science a favorisé par ailleurs cette extension des schèmes philosophiques : les frontières entre la philosophie et ces univers étaient de plus en plus tenues pour conventionnelles et arbitraires. Artaud, Bataille, Blanchot délivraient une même leçon : la prééminence de l’expérience tragique de la « dispersion » contre la pensée conciliante de la « conciliation » [6].
7D'abord élaborée pour des commentaires d’auteurs majeurs ‒ Nietzsche et la philosophie (1962) et Le Bergsonisme (1966) de Deleuze, « l'introduction » à Husserl L'origine de la géométrie (1962) et La Voix et le Phénomène (1967) de Derrida ‒ la notion de différence tend progressivement à être constituée en objet sui generis de discours dans un recueil d'articles de Derrida intitulé L'écriture et la différence (1967) et dans la thèse de Deleuze Différence et répétition (1968) [7]. Ces deux auteurs, et d’autres à la suite, sont des historiens de la philosophie hérétiques (reproche adressé par Foucault à Derrida) qui, tout en continuant à commenter, explorent dans les textes des significations refoulées, rebelles, parasites. En avant-propos de ce livre, Deleuze évoquait les éléments propices de « l’air du temps » :
Le sujet traité ici est manifestement dans l'air du temps. On peut en relever les signes : l'orientation de plus en plus accentuée de Heidegger vers une philosophie de la Différence ontologique ; l'exercice du structuralisme fondé sur une distribution de caractères différentiels dans un espace de coexistence ; l'art du roman contemporain qui tourne autour de la différence et de la répétition, non seulement dans sa réflexion la plus abstraite, mais dans ses techniques effectives ; la découverte dans toutes sortes de domaines d'une puissance propre de répétition, qui serait aussi bien celle de l'inconscient, du langage, de l'art. Tous ces signes peuvent être mis au compte d'un anti-hégélianisme généralisé : la différence et la répétition ont pris la place de l'identique et du négatif, de l'identité et de la contradiction. Car la différence n'implique le négatif, et ne se laisse porter jusqu'à la contradiction, que dans la mesure où l'on continue à la subordonner à l'identique. Le primat de l'identité, de quelque manière que celle-ci soit conçue, définit le monde de la représentation. Mais la pensée moderne naît de la faillite de la représentation, comme de la perte des identités, et de la découverte de toutes les forces qui agissent sous la représentation de l'identique. Le monde moderne est celui des simulacres. L'homme n'y survit pas à Dieu, l'identité du sujet ne survit pas à celle de la substance. Toutes les identités ne sont que simulées, produites comme un "effet" optique, par un jeu plus profond qui est celui de la différence et de la répétition [8].
9Le premier à s’être risqué à rompre avec le cadre conceptuel hégélien a été Deleuze en 1956 dans son commentaire de Bergson, penseur tenu pour un « philosophe de la différence » [9]. Après quelques décennies de purgatoire, Bergson était réhabilité par un jeune philosophe prometteur, Hegel devenant un repoussoir : la « différence » bergsonienne, censée n’avoir rien à voir avec les « opposés » de la dialectique hégélienne, était envisagée comme une affirmation créatrice, permettant de penser le nouveau sans recourir à la négation et à l’opposition ; à la confrontation stérile de termes symétriques et clos se voyait opposée la fécondité généreuse de la « différence » qui produit la variation, la pluralité sans rupture et sans antagonisme. La « différence » n’était pas posée simplement comme symétrique à l’« identité », mais comme une entité irréductible, incontournable [10]. Mais c’est Nietzsche, sans doute plus exaltant et plus prophétique, qui devenait un héraut de la différence dans un livre de Deleuze, manifeste d’une nouvelle philosophie qui réhabilitait avec insistance la « tragédie » contre les conciliations misérables de la dialectique. D’un côté, la conciliation, d’un autre côté, le conflit, la tragédie : « il n'est pas de compromis possible entre Hegel et Nietzsche » [11].
10À la suite de Deleuze, les philosophes de la différence des années soixante en quête d’une logique philosophique radicalement nouvelle se sont efforcés comme lui de soustraire le terme aux présupposés d’une « dialectique » coupable de concilier les termes réduits au statut d’opposés ou de contraires, autrement dit d’équivalents, affectés simplement l’un, d’un signe positif (l’universel, l’essence…) et l’autre, d’un signe négatif (le singulier, l’apparence…). C’est également à partir de la dialectique que s’est constituée la réflexion de Derrida sur la différence. Mais cette réflexion relevait d’une autre inspiration que celle de Deleuze. Derrida partait de Husserl. Il cherchait à repérer tout ce qui ébranle les classements apparemment solides et établis de la pensée philosophique. Confrontée à certains objets, la pensée husserlienne a dû assouplir les contraintes « eidétiques » d’analyse d’essence propres à ces objets. Il en allait ainsi (comme l’avaient montré Jean Cavaillès et Tran Duc Thao), pour les objets engendrés dans et par une histoire. Il semblait impossible, dans le cas d’une science comme la géométrie, d’enfermer d’emblée dans une visée intentionnelle originelle, pleine et univoque, l’ensemble des contenus censés s’y inscrire. S’il y a bien, en effet, une rupture dans le cas du premier acte fondateur de Thalès, mythique créateur de la géométrie, on ne saurait pour autant enfermer dans cet acte une histoire non encore déployée. Autrement dit, ce qu’est la géométrie n’est pas donné par et dans l’origine, c’est un savoir vers lequel est en marche l’activité géométrique, terme idéal, Idée régulatrice, « Telos » qui reproduit d’une certaine façon l’origine ; loin d’être un moment clos et fixe, l’origine est un mouvement ouvert et labile d’emblée habité par ce Telos qui s’annonce en elle. La géométrie, étant historique, ne se livre jamais comme une essence pure : elle n’est jamais donnée mais seulement ajournée vers un moment futur indéfiniment différé. L’historicité qui habite la science la plus pure en apparence consiste dans la non-plénitude de l’essence dans un moment déterminé, le présent. Derrida a d’abord été tenté, pour désigner ce jeu de l’origine et du Telos, par le terme de dialectique qui rendait compte de la relation entre termes opposés, mais il lui a vite préféré celui de « contamination » qui suggère une relation plus floue, plus obscure.
11Les concepts bien délimités, fondements absolus de la pensée philosophique de Husserl ou de Platon, vacillent et c’est cette vacillation que désigne la différence. C’est toute l’histoire de la philosophie et l’ensemble des couples notionnels (intelligible-sensible, transcendantal-empirique, signifié-signifiant…) qui, selon Derrida, se trouvaient ainsi subvertis par une logique souterraine. Le primat des notions a (la parole, le signifié…) se dérobe puisqu’elles s’avèrent dépendantes des notions – a (l’écriture, le signifiant) qu’elles sont censées fonder. La différence est ce terme ∝, qui n’est ni a, terme dominant du couple d’opposés, ni – a, terme refoulé ou occulté par le primat de a. Notion ∝, condition de possibilité primordiale de a et de – a, elle contraste avec ces notions [a], soumises au règne (en fait illusoire) d’une détermination exclusive – la « présence », le « présent », le « sens », 1'« être », la « règle »… La « différence » est un terme générique permettant de désigner d’une part, l’écart avec les termes [a] et d’autre part, comme différence (avec un a, comme participe présent) l’acte de différer par lequel est engendré le couple a/-a.
12Notion centrale pour l'avant-garde philosophique, la différence tendait à devenir finalement un enjeu dans la lutte pour la rupture radicale et ultime avec les systèmes philosophiques de la « tradition » ainsi qu’avec des sciences positives présumées plus ou moins positivistes, qui s’en tiennent à des classements et à des objets bien délimités. Comme le suggère Deleuze dans le passage cité plus haut, la différence a pu bénéficier d’une alliance avec certaines disciplines de pointe. Ainsi, la linguistique saussurienne était présumée apporter à la philosophie une rupture décisive, la priorité des relations sur les termes reliés : « dans la langue, il n’y a que des différences. Bien plus : une différence suppose en général des termes positifs entre lesquels elle s’établit ; mais dans la langue il n’y a que des différences sans termes positifs » [12]. Alors que le terme de relation (ou de structure) s’inscrivait dans une pensée illustrée par divers auteurs (Cassirer, Bachelard, Lévi-Strauss) et dans différents univers de savoir (logique, psychologie, sociologie, etc.), avec la « différence », s’annonçait un enjeu plus fondamental, celui d’un renversement anti-métaphysique. Mais sur ces points, il y avait divergence. Alors que Deleuze cherchait à faire de Lévi-Strauss un allié pour une philosophie de la différence, Derrida s’efforçait de rejeter le structuralisme et, en général, les sciences de l’homme vers le purgatoire de l’identité et du présent [13].
13On ne saurait sous-estimer en outre la dimension politique, plus ou moins sublimée dans un répertoire esthético-éthique, présente chez les philosophes de la différence. Dans son Nietzsche, Deleuze ne se contentait pas de réfuter une option philosophique et d’en proposer une meilleure. Il insistait aussi sur le conflit entre deux humanités, l’une vouée à la négation, à la réaction, au ressentiment, à la morale, à l’égalitarisme, et l’autre adonnée à l’affirmation, à la création, à la joie, à une sorte d’ethos aristocratique de la distinction. La première était associée à la gauche traditionnelle (hégéliano-marxiste) et la seconde, au « maître » nietzschéen, conçu soit, de façon apolitique et « inactuelle » dans un premier temps (le « pathos de la distance ») soit, plus tard (après 1968), comme « rebelle » et « dissident ».
14Le discours de la « différence » est un exercice qui se prête à des contextes institutionnels et idéologiques très divers, permettant selon les cas de s’accorder à des humeurs esthétisantes, militantes et radicales, ou encore religieuses et mystiques. Au prix de quelques variantes terminologiques, elle a connu une fortune de plusieurs décennies grâce à Deleuze, Derrida, Lyotard et à quelques autres (François Jullien, François Laruelle, Antonio Negri) : au-delà des termes opposés, c’est à la fois un terme rebelle à toute capture et à tout nivellement, une notion plus fondamentale que toutes celles de la tradition et une entité plus originale que celles de la pensée dite « occidentale », commune ou savante.
L’altérité, un signifiant commode
15La diffusion de la pensée hégélienne en France à partir du milieu des années 1930 a favorisé la consécration savante du terme « autre » : la dialectique fait appel à l’« Anders-sein », l’« être-autre » opposé à l’« identité ». Mais en dehors de quelques usages abstraits d’inspiration hégélienne (« être pour un autre », « posé par un autre »), le terme « autre » a d’abord été renvoyé à un référent individuel quelconque comme dans la dialectique de la lutte des consciences, dite « du maître et de l’esclave », où il est question de l’« autre » et de l’« autre » conscience (de soi). On sait que cette dialectique qui était au centre des commentaires d’Alexandre Kojève sur Hegel [14] a connu une fortune considérable. On la retrouve, entre autres, chez Jean-Paul Sartre ainsi que chez Jacques Lacan avec sa conception du stade du miroir et du rôle de l’image spéculaire [15].
16La constitution de la problématique d’autrui dans ces années a donné une valeur à l’« autre » en tant que sujet/objet de regard, destinataire de la parole, co-équipier, dont la singularité n’est jamais réductible à un concept, à une perception, à une prise. Ainsi envisagé, l’autre relevait d’une analyse phénoménologique s’efforçant de rendre compte de son mode spécifique d’être et d’apparaître pour un « sujet » constituant. Pour Sartre comme pour Merleau-Ponty, l’autre est exclusivement autrui [16]. Sartre écrit par exemple : « S’il y a un Autre, quel qu’il soit, quels que soient ses rapports avec moi, sans même qu’il agisse autrement sur moi que par le pur surgissement de son être, j’ai un dehors, j’ai une nature ; ma chute originelle, c’est l’existence de l’autre (…) Je saisis le regard de l’autre au sein même de mon acte, comme solidification et aliénation de mes propres possibilités » [17]. La majuscule utilisée ici (« l’Autre ») sert à indiquer un individu quelconque (« quel qu’il soit ») ; ce qui est en cause est « l’existence de l’autre ». À aucun moment, n’est proposé par Sartre ou par Merleau-Ponty un usage nouveau du terme « autre ».
17Pour un existentialiste tardif comme Levinas, l’Autre ne se confond plus totalement avec autrui. Une partie de son livre Totalité et infini (1961) ayant pour titre « Le Même et l’autre » [18] indique une dualité tranchée des options d’ordre théorique et d’ordre éthique. Du côté du « Même », sont renvoyés la totalité, l’Être, l’ontologie, le concept, la science, la violence, la main, la maîtrise, la possession, l’État, la politique ; du côté de l’« Autre » sont placés l’infini, la métaphysique, l’éthique, la religion, autrui, le visage, la parole, le don, l’hospitalité, la famille. Ces équivalences et oppositions reposent sur un petit nombre de schèmes permettant de relier un grand nombre de termes relevant de domaines extrêmement diversifiés : « L’ontologie comme philosophie première est une philosophie de la puissance. Elle aboutit à l’État », « La possession est la forme par excellence sous laquelle l’Autre devient le Même en devenant mien » [19]. Renvoyés du côté de l’ontologie, les grands philosophes allemands, Hegel et Heidegger, sont ainsi associés à la maîtrise orgueilleuse du monde ainsi qu’aux sciences de l’homme. Pris dans un double jeu, l’« Autre » métaphysique et l’« autre » comme autrui sont présumés s’appeler mutuellement.
L’absolument Autre, c’est autrui » (p. 28) « Autrui n’est pas autre d’une altérité relative comme dans une comparaison (…) Autrui demeure infiniment transcendant, infiniment étranger, mais son visage où se produit son épiphanie et qui en appelle à moi, rompt avec le monde qui peut nous être commun (p. 211).
19L’originalité de Levinas tient à la combinaison de deux lignées conceptuelles jusqu’alors distinctes. La première est celle d’autrui, de l’autre personne : elle est elle-même issue de deux traditions intellectuelles, la phénoménologie d’autrui (Husserl, Scheler, Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty) et la philosophie personnaliste, chrétienne (Gabriel Marcel, Paul Ricœur) ou juive (Martin Buber). La seconde est la métaphysique générale avec son jeu d’oppositions abstraites (être-néant, même-autre, identique-différent…) demandant à être combinées ou conciliées. Levinas s’est employé à superposer ces lignées : l’autre personne devient ainsi le signe ou la trace de l’altérité avec laquelle elle ne se confond pas tout à fait, alors que le moi est renvoyé du côté du Même, de l’identité. Débordant le cadre antérieur de la phénoménologie de l’autre, Levinas s’engageait dans une direction ouvertement métaphysique et religieuse.
20Également utilisateur de l’expression autre (avec un petit a), Jacques Lacan s’était initialement inscrit dans la réflexion sur autrui de contemporains comme Alexandre Kojève et Henri Wallon (le stade du miroir). Puis, il avait tenté, vers le milieu des années 1950, d’attribuer au terme une dimension nouvelle attestée par la graphie (Autre avec un grand A) sans jamais faire appel à une définition formelle et constante. Cessant de référer à un individu déterminé, le terme était destiné à marquer ce qui, dans la parole, suggère un principe d’intelligibilité propre constitué par la relation à un destinataire : « L’Autre est donc le lieu où se constitue le je qui parle avec celui qui entend, ce que dit l’un étant déjà la réponse et l’autre décidant à l’entendre si l’un a ou non parlé » [20]. Ce « lieu », caractérisé par l’énonciation ou l’adresse, semble renvoyé à une configuration spécifique, une « autre scène » différente de celle des topiques freudiennes.
21On ne peut pas facilement établir si ces renouvellements lexicaux du mot « autre » proposés par ces auteurs restés longtemps marginaux ont eu des effets sur les philosophes avant la fin des années soixante. Leur diffusion semble avoir été rendue possible surtout grâce à Michel Foucault, l’une des figures montantes de la philosophie en France du début des années soixante, qui aura le plus contribué avec son premier livre Histoire de la folie en 1961 [21] à imposer l’usage de « autre » au singulier. « Autre » n’est pas autrui, un autre moi mais la propriété d’étrangeté, de dissemblance que partagent tous les individus non conformes à la définition de l’humanité normale. Plus encore : l’Autre n’est pas simplement l’humanité non normale, c’est ce dont la raison se distingue et, surtout, ce qu’elle exclut. Selon les cas, le terme désigne le corrélat de la domination (le fou enfermé, « aliéné ») ou son opposé (le fou dissemblable, non domesticable). Du coup, doté d’une dimension ambivalente et énigmatique, le terme tendait à se dédoubler entre deux pôles : un pôle diurne qui reflète une humanité contrôlée, opprimée, marquée par l’exclusion dont elle est la cible ; un pôle nocturne, maudit qui indique une humanité sauvage, rebelle à l’emprise de la raison et des techniques de dressage.
22À travers son travail empirique, Foucault entendait apporter une contribution à l’histoire de la « dialectique, toujours recommencée, du Même et de l’Autre » (p. 547). Quatre périodes principales étaient distinguées. Pendant le Moyen-Âge, la folie est conçue comme l’une des expressions, parmi d’autres, de la faiblesse humaine. À la Renaissance, le fou est celui qui donne à voir la condition de l’homme dans une dimension tragique (il y a du néant, de la nuit, de la violence au cœur de l’être, de la lumière, de l’ordre) et dans une dimension critique (le fou comme miroir révélant la vanité humaine), deux dimensions qui tendent ensuite à se dissocier. À l’Âge classique, en relation avec le « grand enfermement » des fous dans les asiles aux côtés des mendiants, des vagabonds et des voleurs, s’établit une ligne de partage claire et distincte entre le Même et l’Autre, la Raison et la Déraison, le positif et le négatif, la vérité et l’erreur. Enfin, la période contemporaine placée sous l’emblème de Pinel libérant les fous d’un asile jugé contraire à la dignité humaine se caractérise par l’intégration du fou dans un savoir qui se veut à la fois positif et thérapeutique. L’homme devient l’« aliéné », à la fois sujet et objet :
Dans cette folie, l’homme n’est plus considéré dans une sorte de retrait absolu par rapport à la vérité ; il y est sa vérité et le contraire de sa vérité ; il y est lui-même et autre chose que lui-même ; il est pris dans l’objectivité du vrai, mais il est une vraie subjectivité ; il est enfoncé dans ce qui le perd, mais il ne livre que ce qu’il veut donner ; il est innocent parce qu’il n’est pas ce qu’il est ; et coupable d’être ce qu’il n’est pas. Le grand partage critique de la déraison est remplacé maintenant par la proximité, toujours perdue et toujours retrouvée, de l’homme et de sa vérité. [22].
24Ce « cercle anthropologique » qui sera longuement étudié dans Les Mots et les choses, est présent dès la première œuvre de Foucault. L’Autre ne serait que la figure aliénée, brouillée du Même (redoublement). Le savoir anthropologique, celui des sciences de l’homme, repose sur le « jeu des reprises incessantes, des ajustements du sujet et de l’objet, de l’intérieur et de l’extérieur, du vécu et de la connaissance » (p. 549). Il y a un privilège de la folie :
La folie est la forme la plus pure, la forme principale et première du mouvement par lequel la vérité de l’homme passe du côté de l’objet et devient accessible à une perception scientifique » (p. 544). « L’homme et le fou sont liés (…) par ce lien impalpable d’une vérité réciproque et incompatible ; ils se disent l’un à l’autre cette vérité de leur essence qui disparaît d’avoir été dite à l’un par l’autre [23].
26Au sens de l’anthropologie, l’Autre n’est que le jumeau du Même (conscience, raison, ordre), il est pris dans la dialectique, pris dans le cercle, alors qu’au sens tragique, il est irréductible au Même. Seule la pensée « tragique » rend possible une séparation qui restituerait à l’Autre toute sa pureté et sa puissance. Où donc trouver cet Autre ? Foucault renvoyait dans ses œuvres du début à des possibilités futures en invoquant notamment les ressources de la littérature. Les méditations sur l’impossible, la transgression, la mort, l’absence, etc., d’écrivains aussi prestigieux qu’énigmatiques que Blanchot et Bataille permettaient de suggérer et de légitimer des voies inexplorées de la pensée.
27En 1966, dans Les Mots et les choses, Foucault approfondit son analyse du cercle anthropologique. Il croit en discerner l’expression privilégiée dans la phénoménologie husserlienne et dans sa tentative de dépasser le sujet transcendantal par une mise au jour d’un « impensé » (expériences d’arrière-plan, évidences tacites, pré-réflexives…) qui le cerne, le déborde, mais aussi le confirme et le maintient (« l’Autre de l’homme doit devenir le Même que lui » [24]). Dépassement illusoire qui ne serait finalement qu’un simple « redoublement » entre le sujet (transcendantal) de la science et le sujet (empirique) en tant qu’objet de science. Toutefois, il existe des savoirs qui, à la différence des « sciences humaines » [25], annoncent la possibilité d’échapper au cercle anthropologique du Même et de l’Autre ; il s’agit de la psychanalyse, de l’ethnologie et de la linguistique qui ne sont pas « des sciences humaines à côté des autres », (p. 390) : « elles peuvent se passer du concept d’homme » ; « elles dissolvent l’homme », elles « sont plutôt des « contre-sciences » (p. 391). Comme la littérature, elles ont affaire, au langage, aux signes.
28Foucault a contribué de façon décisive à la consécration de la terminologie de l’Autre et du Même utilisée plusieurs fois dans le livre. Don Quichotte, par exemple, est présenté comme « le héros du Même », homme sérieux croyant dans les histoires que racontent les livres (p. 61), et également, à la façon du fou, « joueur déréglé du Même et de l’Autre », prenant « les choses pour ce qu’elles ne sont pas, et les gens les uns pour les autres » (p. 63). La dernière page aborde à nouveau la question d’une « histoire du Même » et Foucault invite à voir toute son entreprise (« l’archéologie ») comme une enquête visant à couvrir tout l’espace possible du Même à l’Autre :
L’histoire de la folie serait l’histoire de l’Autre, -de ce qui, pour une culture, est à la fois intérieur et étranger, donc à exclure (pour en conjurer le péril intérieur) mais en l’enfermant (pour en réduire l’altérité) ; l’histoire de l’ordre des choses [titre d’abord envisagé pour Les Mots et les choses] serait l’histoire du Même, -de ce qui pour une culture est à la fois dispersé et apparenté, donc à distinguer par des marques et à recueillir dans des identités [26].
30À partir des années 1990, l’emploi foucaldien de « Autre » va se trouver de plus en plus mêlé à des emplois concurrents, d’une part, celui de la psychanalyse lacanienne, et d’autre part, celui de la métaphysique, notamment celle de Levinas, elle-même issue, en partie, de la philosophie personnaliste du « dialogue » (l’autre, le « Tout-Autre »). Michel de Certeau, situé entre recherche érudite, philosophie, psychanalyse et essayisme, médiateur par excellence entre disciplines, évoque dans L’Absent de l’histoire [27], la « question de l’autre ». Il fait appel à l’« hétérologie », terme emprunté à Georges Bataille qui désignait par là la « science de ce qui est tout autre ». Bataille était devenu l’une des références majeures pour des philosophes comme Foucault et Derrida qui ont contribué à sa consécration dès les années soixante. Son « hétérologie » aux connotations bergsoniennes, s’inscrivait aisément dans l’univers sémantique des avant-gardes philosophiques. À la science fondée sur l’ordre profane de l’espace, de l’intelligence, elle opposait l’ordre sacré de l’excès, de la mystique :
Lorsqu'on dit que l'hétérologie envisage scientifiquement les questions de l'hétérogénéité, on ne veut pas dire par là que l'hétérologie est, dans le sens habituel d'une telle formule, la science de l'hétérogène. L'hétérogène est même résolument placé hors de la portée de la connaissance scientifique qui par définition n'est applicable qu'aux éléments homogènes. Avant tout, l'hétérologie s'oppose à n'importe quelle représentation homogène du monde, c'est-à-dire à n'importe quel système philosophique [28].
32Les anthropologues, dont on aurait pu attendre un intérêt envers les ressources offertes par le terme, semblent ne pas avoir été tentés d’en faire usage avant les années 1970. Dans Race et Histoire [29], Lévi-Strauss se contentait de parler de la pluralité des « sociétés » et des « cultures », évoquant les « nôtres » et celles qui sont « différentes ». Dans Tristes tropiques il déclare à propos de l’activité de l’ethnographe : « Il a choisi les autres et doit subir les conséquences de cette opinion : son rôle sera seulement de comprendre ces autres au nom desquels il ne saurait agir, puisque le seul fait qu’ils sont autres l’empêche de penser, de vouloir à leur place, ce qui reviendrait à s’identifier à eux » [30]. L’usage sobre de la forme plurielle (« autres ») dispensait de recourir à la forme singulière et majuscule (l’« Autre ») [31].
33C’est au début des années soixante-dix que l’Autre, associé à la différence et à la pluralité, a réussi à s’imposer dans les sciences de l’homme surtout grâce à des médiateurs situés à l’intersection de plusieurs espaces (ethnologie, histoire, philosophie, philosophie politique). Des anthropologues, sans doute mieux placés que les sociologues pour emprunter au langage de la philosophie et proposer une vision globale, pouvaient ainsi prendre des distances envers le pôle « positiviste », « scientiste » et politiquement conservateur de leur discipline d’appartenance : ils s’en prennent à l’oppression coloniale, à l’État, au contrôle. Dans Gens de soi, gens de l’autre publié en 1973, Robert Jaulin, alors enseignant dans un nouvveau département de la jeune Université Paris VII, a voulu dévoiler le traitement de l’« Autre » par l’« Occident » dont l’aboutissement est « la réduction de l’autre à soi » : « l’Autre est l’ennemi, ouvert ou caché » [32]. De même, Pierre Clastres, recruté au CNRS en 1974, a cherché à montrer comment la forme étatique avait imposé à des sociétés primitives un renversement métaphysique en faveur de l’« Un », du « Même » [33].
34Hors de toutes prises, énigmatique, transcendant, rebelle à tout dogme qui en ferait un absolu, l’Autre tend ainsi à devenir l’un de ces « personnages conceptuels » dont parlaient Deleuze et Guattari, ayant pour fonction de susciter l’inquiétude, le trouble parmi les amis du Même. Enseignants de Vincennes et du Collège international de philosophie, essayistes et « éditorialistes » visant à monter en généralité ont contribué à la diffusion de cette terminologie rebelle qui a constitué l’esperanto intellectuel des dernières décennies [34]. La fortune politico-philosophique de la différence, complétée plus tard par des innovations comme la « multitude », la « singularité », la « subjectivité », l’« intraduisible », a été considérable parmi les penseurs d’avant-garde. Elle a persisté jusque dans les années 2010 parmi les auteurs postmodernes qui, comme Toni Negri (« la multitude est la multiplicité qui vit en tant que telle, une multiplicité de singularités, de forces, de libertés » [35]), luttent en philosophie contre l’Un, le Même et l’Identique, et en théorie politique contre le centre et le centralisme propre à la vieille tradition étatiste (bourgeoise ou marxiste).
Une philosophie populaire pour notre temps
35Depuis les années 1970, les usages savants ont été combinés avec des usages profanes qui héritaient de l’ambivalence des termes savants. L’Autre est, on l’a vu, soit un autre radical, incommensurable, soit un autre captif. À travers leur diversité, tous les utilisateurs semblaient s’accorder pour refuser l’Un, le Centre, la Totalité (et l’État), le Fondement, l’Absolu, la Définition, la Règle, la Théorie, l’« Occident ». Comment être « rebelle » en se libérant du marxisme ? Comment échapper à la complicité « dialectique » entre bourgeoisie et prolétariat, droite et gauche « stalinienne » ? Le « marginal », figure centrale de la contre-culture du début des années 1970, apparaissait alors comme l’incarnation la plus plausible d’une humanité placée sous l’emblème de l’altérité-différence radicale et indomptable. La « Charte des libertés » publiée en 1976 est l’un des signes de consécration de la « différence » Ce texte politico-philosophique a été rédigé à l'initiative du PS par un « comité d’études et de réflexion » auquel participaient François Châtelet et Elisabeth de Fontenay, et un comité de rédaction où figuraient Jacques Attali, Régis Debray et Michel Serres. Ces intellectuels agissaient comme intermédiaires entre un secteur d’avant-garde du champ intellectuel et un parti ayant à construire après 1968 une position de gauche originale, irréductible au gauchisme comme à l’idéologie du PCF. Dans un passage marqué par l’humeur anti-institutionnelle, les auteurs exaltaient la créativité et la pluralité :
Les contre-pouvoirs reconstruisent l'autonomie en défaisant partout la norme unique: pas de classe dominante, pas d'équivalent général, pas de vérité offıcielle, pas de langage obligatoire. Les contre-pouvoirs sont différenciés, ils construisent les différences. De force, de travail, d'échange et d'information. Ils sont contre le pouvoir et contre le pouvoir unique et ils ne peuvent plus se conduire à son imitation puisqu'ils sont multipliés, divers et, souvent, opposés entre eux… [36].
Mode d’emploi
Usages ordinaires | Usages politico-intellectuels | Usages philosophiques | |
---|---|---|---|
Autre | Autre que, autre (que) Autrui, un autre, les autres, étrange | Étranger non occidental, Orient, Chine immigré, colonisé | Altérité Autrui Autre - Autre exclu, réprimé - sauvage, rebelle - Autre sacré (Dieu, infini) |
Différent | Différent de, différent (de) Atypique, inhabituel | Étranger Marginal, nomade, minoritaire, déviant (fou, femme, homosexuel), exclu | Différence Dispersion, dissémination, marge, hybride Différence, indécidable (inclassable), différence Différé, non (re)présentable |
Même, identique | Le même, le même (que) Familier, normal | Sédentaire, centre, État, institution, code, classement, appareil Europe, Occident | Identique, identité, opposé, dialectique, origine, règle Présent, représenté, représentation, logos, logique, raison Moi, soi, domination |
Mode d’emploi
37En gros, il semble que l’on ait glissé en quelques années d’une célébration libérée-libertaire de la différence vers des discours d’exaltation des irréductibles « différences » de l’« autre », et finalement d’« accueil » de l’étranger. Toute une rhétorique de la « marge », de l’« exode », du « nomadisme », du « voyage » se diffuse qui tend à perdre ses connotations de « révolte » et à inviter au dépaysement : on parle aussi de l’« autre Amérique », de l’« Amérique autrement », d’une « autre économie », d’une « autre histoire », d’une « autre métaphysique ». « L’autre et l’ailleurs », au titre condensé, sert pour un hommage au sociologue Roger Bastide (1976), puis pour le livre du théologien hétérodoxe Stanislas Breton (1995). Il en va de même pour « autrement » à partir duquel sont engendrés « la politique autrement », « penser autrement », « voyager autrement »… Exploration, aventure, innovation se mêlent dans la présentation en 2008 de la revue Autrement créée en 1975 :
nous voulons appréhender globalement les sociétés contemporaines dans leurs flux permanents, où se mêlent l’ici et l’ailleurs, hier et aujourd’hui, le local et l’international, le privé et le public (…) Inscrit sur le long terme, alliant éthique et esthétique, profondeur et improvisation, sérieux et lisibilité, notre projet va évidemment au-delà d’un simple programme éditorial. Il s’agit en fait de bâtir un véritable « laboratoire », un lieu d’éveil et d’incitation, un accélérateur d’énergies [37].
39Les publicitaires aussi se sont intéressés aux termes de différence et d’altérité perçus comme nouveaux et « branchés », et les ont intégrés au vocabulaire de l’authenticité et du raffinement : « soyez différents », « écoutez la différence », « consommez la différence ». Apple dont le siège n’est pas très éloigné des campus californiens, invite à « penser différent » (1997) en prétendant s’adresser aux « fous », aux « marginaux », aux « rebelles », aux « anticonformistes », aux « dissidents », à « tous ceux qui voient les choses différemment ».
Indications lexicologiques
40Un des moments de vérité de cette terminologie est la question des principes de classification sociopolitiques. La célébration généralisée des « différences » concerne essentiellement le pluralisme des ethnies et des cultures, le « multiculturalisme ». La « diversité » tend à devenir un projet autosuffisant qui rend obsolètes les doctrines politiques « archaïques » [38] : c’est un discours de l’« accueil » faisant appel à l’éthique, à l’hospitalité, à la bonne volonté, à la bienveillance, au care et prenant acte de l’altérité comme essence irréductible.
41La différence avait déjà été admise et exaltée par les discours racistes mais, cette fois, avec des connotations de hiérarchie et de séparation. Ainsi, Julius Evola, grand penseur du fascisme, écrivait en 1941 : « le raciste reconnaît la différence et veut la différence » [39]. Les discours « différentialistes » d’extrême droite célèbrent le « pluralisme » et rejettent, eux aussi, « l'idéologie du Même », à la façon d’Alain de Benoist, théoricien du Groupement de recherche et d'études pour la civilisation européenne, qui pousse assez loin le pastiche de la philosophie de la différence :
Dans "ethnopluralisme", le mot important est "pluralisme". Ce que je n'ai cessé de combattre tout au long de ma vie se résume dans ce que j'ai appelé l'idéologie du Même, en l'occurrence toutes les formes de pensées, religieuses ou laïques, qui ont eu pour visée, ou pour effet, d'effacer les différences, c'est-à-dire de ramener l'humanité à l'Unique. Dans cette définition, c'est évidemment l'universalisme qui est visé, universalisme dont je me suis efforcé démontrer qu'il est toujours un ethnocentrisme masqué. [40]
43Mais il ne s’agit pas seulement de la ruse d’une idéologie en quête de respectabilité. Il a existé depuis longtemps chez les penseurs conservateurs une répulsion envers un mouvement historique soupçonné de « niveler » les classes, les individus, les cultures, les sociétés. On retrouve quelque chose de cette hantise chez l’éminent anthropologue Claude Lévi-Strauss :
On ne peut à la fois se fondre dans la jouissance de l’autre, s’identifier à lui, et se maintenir différent. Pleinement réussie, la communication intégrale avec l’autre condamne, à plus ou loin brève échéance, l’originalité de sa et de ma création. Les grandes époques créatrices furent celles où la communication était devenue suffisante pour que des partenaires éloignés se stimulent, sans être cependant assez fréquente et rapide pour que les obstacles, indispensables entre les individus comme entre les groupes, s’amenuisent au point que des échanges trop faciles égalisent et confondent leur diversité [41].
45La « diversité culturelle » peut être jugée aussi souhaitable que la biodiversité. Dans la Déclaration universelle de l’UNESCO de 2001 sur cette question, il est dit que « cette diversité s’incarne dans l’originalité et la pluralité des identités qui caractérisent les groupes et les sociétés composant l’humanité ». Que l’autre soit vu comme un inférieur méritant d’être reconnu et même « accueilli », comme un étranger avec lequel on peut cultiver l’« hybridation », le « mélange » et le « multiculturalisme » ou, au contraire, comme un étranger qu’il faut savoir tenir à distance (seuils, quotas…), son altérité est posée comme une donnée, une donnée qui fait problème [42]. Problème qui n’est pas d’ordre seulement théorique mais aussi politique puisqu’il implique la délimitation des « nationaux » et le choix de critères.
46Les usages et les utilisateurs varient tellement qu’il est difficile d’identifier ce qui demande à être subsumé sous le mot « Autre ». Une version positive désigne ceux qui, « rebelles », échappent à l’emprise du « Même », une version négative ceux qui subissent cette emprise (et, parfois, la contestent) et une version apparemment neutre ceux qui ont une identité « bien à eux » et qui est ce qu’elle est. Même bien intentionnée, cette terminologie entretient, en le déniant, l’essentialisme inscrit dans le principe du partage entre le même et l’autre.
47***
48La réussite profane d’usages savants greffés sur des mots du lexique profane tient à la part de flou qu’ils comportent ainsi qu’à l’effet de légitimité philosophique qu’ils obtiennent de la façon la plus économique, c’est-à-dire en combinant la hauteur intellectuelle et l’efficacité symbolique d’une parole semblant s’adresser un peu à tout le monde. On peut, pour finir, s’interroger sur les facteurs d’une telle réussite.
49C’est, bien sûr, d’abord aux caractéristiques du champ philosophique français qu’il faut renvoyer. Un premier aspect est la force du schème de dépassement philosophique, inscrit dans l’habitus disciplinaire, qui implique de montrer le caractère partiel ou illusoire des dépassements antérieurs. Ainsi la conciliation dialectique, tenue un temps pour le modèle indépassable de tout dépassement, a fini par être détrônée quand l’avant-garde nouvelle est parvenue à imposer dans le champ l’idée que la conciliation proposée, loin d’être d’un rang supérieur aux termes opposés (a et –a), était de même rang. L’altérité-différence est alors apparue comme un bon candidat à la fonction de dépassement, étant moins un concept que la promesse d’un dépassement radical, pur, à l’état pur, indépassable, irréductible aux alternatives de rang inférieur : signifiant disponible et ouvert à des usages multiples, elle dit l’extraordinaire de façon inédite, affranchie des répertoires théologiques (Dieu) et métaphysiques (l’Absolu, l’infini).
50Un deuxième aspect est lié aux hiérarchies philosophiques consacrées par l’institution scolaire et à la domination d’une tradition idéaliste (cartésienne, kantienne ou phénoménologique) qui pose le sujet, le moi comme premier, indubitable. Aussi exceptionnel, étrange ou autre que soit un objet, il renvoie au sujet dont il confirme, d’une certaine manière, le caractère indépassable, inobjectivable. Le sujet est ainsi à la fois chahuté et conservé par l’Autre. Mais, peut se demander un anthropologue, de quoi parle-t-on ?
Quand je parle d’altérité radicale, remarque Benoît de l’Estoile, je décris non pas un état du monde, mais mon expérience de ce monde ; j’ai recours à une catégorie qui donne sens à mon expérience, qui peut être de peur, de fascination, de malentendu, dans un monde qui m’est étranger. Je décris une expérience dans le langage de l’ontologie ; non pas « j’ai peur d’eux », mais « ils ne sont pas comme nous ». Il est donc vain de vouloir « saisir l’altérité » car je ne fais que me saisir moi-même, ou plutôt mon rapport aux autres. Autrement dit, l’altérité est une façon de qualifier une relation, non une réalité qui existerait dans le monde [43].
52Ces mots doubles, à la fois savants et profanes, n’auraient jamais connu pareille fortune s’ils n’avaient trouvé un appui auprès de groupes porteurs de formes intellectuelles de distinction : l’opposition « théorique » entre identité et différence a pour vérité celle entre deux types d’humanité, l’une qui est vouée au Même, et qui refoule la différence-altérité dans la négation et le ressentiment, l’autre qui l’assume de façon affirmative, joyeuse, créative. On peut dépasser la moyenne par le bas ou par le haut (alternativement ou simultanément). Par le bas : ce sont les sous-prolétaires, les marginaux, les exclus, les précaires, les gens venus d’ailleurs affectionnés par les discours d’allure radicale. Par le haut : ce sont les intellectuels prophétiques, philosophes « nietzschéens », artistes expérimentateurs d’avant-garde qui s’écartent des voies balisées dans le cercle du Même. La quête de l’extraordinaire impose un mode de pensée dualiste, forme élémentaire ou mythologique de la pensée théorique, qui interdit le recours aux procédés communs de l’analyse rationnelle, comme le classement, la mesure, la comparaison méthodique et contrôlée. Mais qui donc pourrait vouloir être du mauvais côté ?
Notes
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[1]
Quentin Skinner, Visions of politics, Volume 1, Regarding method, Cambridge, Cambridge University press, 2002. Pour la période contemporaine, on peut renvoyer, en particulier, à Pierre Bourdieu, L’Ontologie politique de Martin Heidegger, Paris, Minuit, 1988.
-
[2]
Ces usages intransitifs des termes doivent, bien entendu, être distingués de l’emploi avec élision d’un terme mentionné explicitement plus tôt (« il est différent » vaut comme condensation de « il est différent de son frère » et « c’est un autre » comme condensation de : « ce n’est pas celui-ci, c’est celui-là »).
-
[3]
Pour un modèle du genre, voir Henri Lefèbvre, Logique formelle et logique dialectique, Paris, Éditions sociales, 1946.
-
[4]
Louis Pinto, La Théorie souveraine. Les philosophes français et la sociologie au XXe siècle, Paris, éd. du Cerf, 2009, p. 194 sq.
-
[5]
Louis Pinto, La Vocation et le métier de philosophe. Pour une sociologie de la philosophie dans la France contemporaine, Paris, Seuil, 2007, p. 80-90.
-
[6]
Sur les rapports philosophie-littérature voir L. Pinto, La Théorie souveraine. op. cit., p. 245 sq.
-
[7]
Gilles Deleuze : Nietzsche et la philosophie, Paris, PUF, 1962, Le bergsonisme, Paris, PUF, 1966, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968 ; J. Derrida : « Introduction » à E. Husserl, L'origine de la géométrie (1962), La Voix et le Phénomène Paris, PUF, 1967, L'écriture et la différence, Paris, Seuil,1967.
-
[8]
Gilles Deleuze, Différence et répétition, op. cit., p. I.
-
[9]
Deleuze est, le premier, semble-t-il, à avoir utilisé l’expression « philosophie de la différence ».
-
[10]
Sur les difficultés internes du concept de « différence », voir Vincent Descombes, Le Même et l’autre : quarante-cinq ans de philosophie française (1933-1978), Paris, Minuit, 1979, p. 182 sq.
-
[11]
Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, op. cit., p. 222.
-
[12]
Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1960, p. 166.
-
[13]
Sur ce point, voir Louis Pinto, La Théorie souveraine, op. cit., p. 273-281.
-
[14]
Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947.
-
[15]
Jacques Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je, telle qu’elle nous est révélée dans l’expérience psychanalytique », première version parue dans la Revue Française de Psychanalyse, 1949, volume 13, n° 4, repris dans Écrits, Paris, Seuil, 1966.
-
[16]
Voir chez Jean-Paul Sartre, « L’existence d’autrui » dans L’Être et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943 ; M. Merleau-Ponty, « Autrui et le monde humain » dans la Phénoménologie de la perception, Paris, Gallimard, 1945.
-
[17]
Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, op.cit., p. 309. Sur les analyses de Sartre, je me permets de renvoyer à Louis Pinto, La Théorie souveraine, op. cit., p. 143 sq.
-
[18]
Emmanuel Levinas, Totalité et infini, M. Nijhoff, La Haye, 1961.
-
[19]
Emmanuel Levinas, Totalité et infini, Paris, Le Livre de poche, 1971, p. 37.
-
[20]
Jacques Lacan, « La chose freudienne », L’Évolution psychiatrique, 1956, n° 1, republié dans Écrits, op. cit., puis Écrits1, Paris, Points Seuil, 1970, p. 242.
-
[21]
Michel Foucault, Folie et déraison : histoire de la folie à l'âge classique, Paris, Plon, 1961, réédité sous le titre Histoire de la folie à l'Âge classique, Gallimard, collection Tel, Paris, 1972 (les citations renvoient à cette édition).
-
[22]
Michel Foucault, Histoire de la folie, op. cit., p. 547.
-
[23]
Ibid., p. 548.
-
[24]
Michel Foucault, Les Mots et les choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, 1966, p. 339.
-
[25]
Foucault vise par ce terme plus ou moins dépréciatif ces disciplines peu prestigieuses que sont à ses yeux, au moins à cette époque, la psychologie et la sociologie.
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[26]
Michel Foucault, Les Mots et les choses, op. cit., p. 15.
-
[27]
Michel de Certeau, L’Absent de l’histoire, Paris, Mame, 1973.
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[28]
Georges Bataille, « La valeur d'usage de D.A.F. de Sade » non daté, Œuvres complètes, tome 2, Paris, Gallimard, 1970, p. 62.
-
[29]
Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, UNESCO, 1952.
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[30]
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques (Paris, Plon, 1955), Paris, 10/18, 1962, p. 347.
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[31]
C’est dans cette lignée que s’inscrit beaucoup plus tard Benoît de l’Estoile lorsque, pour aborder la question du traitement savant et muséologique des sociétés étudiées par les ethnologues, il utilisera l’expression « le goût des autres » (Le Goût des autres. De l’Exposition coloniale au Musée des Arts premiers, Paris, Flammarion, 2007), sans doute beaucoup plus « plate » que le « goût de l’Autre ».
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[32]
Robert Jaulin, Gens de soi, gens de l’autre, Paris, 10/18, 1973 p. 20-21.
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[33]
P. Clastres, La Société contre l’État, Paris, Minuit, 1974.
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[34]
Signe de consécration institutionelle : l’une de ces personnalités les plus en vue, ancien Président du Collège international, François Jullien, s’est vue attribuer en 2017 par la Fondation des sciences de l’homme, une « chaire sur l’altérité » dont il est « titulaire » (bel oxymore institutionnel qui suggère toute la difficulté à échapper au Même).
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[35]
Antonio Negri, « L’empire, la guerre et la sécurité » (interview), Le Passant ordinaire, mars-avril 2000.
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[36]
Voir Liberté, Libertés. Réflexions du comité pour une Charte des libertés animé par Robert Badinter, Paris, Gallimard, 1976, p. 61.
-
[37]
Site des éditions Autrement consulté en juin 2008.
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[38]
Sur le conservatisme d’allure progressiste des discours sur la diversité, voir Walter Benn Michaels, La Diversité contre l’égalité, Paris, Raisons d’agir Éditions, 2009.
-
[39]
Juius Evola, Éléments pour une éducation raciale, Puiseaux, Pardès, 1985, cité par Pierre-André Taguieff, La force du préjugé, Paris, la Découverte, 1987, p. 333.
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[40]
Entretien en 2004 au magazine allemand Zinnober, cité dans l’article « différentialisme » de Wikipedia.
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[41]
Claude Lévi-Strauss, « Race et culture », Revue internationale des sciences sociales, volume XXIII, n° 4, 1971 repris in Le Regard éloigné, Paris, Plon, 1983, p. 47-48.
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[42]
Voir les échanges entre Jean Daniel et Paul Ricœur sur la question du « seuil » d’immigrés dans Louis Pinto, « L’air du temps philosophique » in Le Collectif et l’individuel. Considérations durkheimiennes, Paris, Raisons d’agir-éditions, 2009, p. 23 sq.
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[43]
Benoît de l’Estoile, Le Goût des autres, op. cit, p. 390.