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Article de revue

Philosophie et mystique chez Maritain

Pages 137 à 150

Notes

  • [1]
    B. Minvielle, Qui est mystique ? Un demi-siècle de débats 1890-1940, Paris, CLD Éditions, 2017.
  • [2]
    O. Lacombe fit sa thèse de doctorat sur L’Absolu selon le Védânta. Les notions de Brahman et d’Atman dans les systèmes de Çankara et Râmânoudja, publiée en 1937. L. Gardet écrit sur la mystique d’al-Ghazalî. Tous deux thomistes et disciples de J. Maritain, ils publieront un ouvrage commun après plus de cinquante années de travaux commencés dans les années 1920, L’Expérience du Soi : Étude de mystique comparée, Paris, Desclée de Brouwer, 1981.
  • [3]
    À l’instar de P. Janet, De l’angoisse à l’extase. Étude sur les croyances et les sentiments, t. 1, Paris, Alcan, 1926, et S. Freud, qui étudia le « sentiment océanique » de R. Rolland dans Le Malaise dans la civilisation, Paris, Seuil, 2010.
  • [4]
    H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 2000, p. 242.
  • [5]
    A. Gardeil, La Structure de l’âme et l’expérience mystique, 2 t., Paris, Gabalda, 1927. Réginald Garrigou-Lagrange, Traité de théologie ascétique et mystique, 2 t., Paris, Cerf, 1938-1939.
  • [6]
    Avec Bergson et le cercle des Maritain, citons l’universitaire J. Baruzi, les catholiques M. Blondel et J. Maréchal parmi les principaux auteurs qui étudiaient philosophiquement la mystique dans les années 1920-1930.
  • [7]
    A. N. Whitehead, Le Concept de nature, Paris, Vrin, 2006, p. 66.
  • [8]
    F. Gugelot, La Conversion des intellectuels au catholicisme en France (1885-1935), Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 442.
  • [9]
    Relations parmi lesquelles le philosophe russe L. Chestov, les orientalistes O. Lacombe et L. Gardet, qui se passionnaient tous à leur manière pour les mystiques.
  • [10]
    R. Maritain, Les Grandes amitiés, Paris, Desclée de Brouwer, 1949, p. 105.
  • [11]
    B. Minvielle, op. cit., p. 88.
  • [12]
    L. Lévy-Bruhl, La Mentalité primitive, Paris, PUF, 1922.
  • [13]
    L. Massignon, La Passion d’al-Hallâj, Paris, P. Geuthner, 1922. M. Asín Palacios, « Un précurseur hispano-musulman de saint Jean de la Croix », Études carmélitaines, 17, 1932. Pour L. Gardet, voir M. Borrmans, « Louis Gardet (1904-1986) : l’homme et l’œuvre », Annuaire de l’Afrique du Nord, t. XXV, 1986.
  • [14]
    B. Guérin montre comment Lacombe représentait l’ouverture du thomisme aux mystiques non chrétiennes, dans La mission d’Olivier Lacombe. L’ouverture à l’Inde du thomisme dans le contexte intellectuel de l’entre-deux-guerres, mémoire de Master d’histoire, sous la direction de M. Fourcade, Université Paul Valéry – Montpellier III, septembre 2014.
  • [15]
    B. Minvielle, op. cit., p. 93.
  • [16]
    R. Garrigou-Lagrange, « Prémystique naturelle et mystique surnaturelle », Études carmélitaines, 18, 2 octobre 1933.
  • [17]
    A. Stolz, Théologie de la mystique, Chèvetogne, Éditions des Bénédictins d’Amay, 1939, p. 255-256.
  • [18]
    Cité par M. Fourcade, « Sur les ruines de la guerre totale », in J.-R. Armogathe, Histoire générale du christianisme, vol. 2 : du XVIe siècle à nos jours, Paris, PUF, 2010, p. 1015.
  • [19]
    B. Minvielle op. cit., p. 89.
  • [20]
    J.-P. Roux, « L. Gardet, O. Lacombe. L’expérience du Soi. Étude de mystique comparée », Revue de l’histoire des religions, t. 200, 4, 1983, p. 429-430.
  • [21]
    H. Bergson, op. cit., p. 240.
  • [22]
    É. Bréhier, La Philosophie de Plotin, Paris, Boivin, 1928, ch. VII.
  • [23]
    O. Lacombe, « Note sur Plotin et la pensée indienne », Annuaire de l’École pratique des hautes études, 58, 1950, p. 8-9. J. Lacrosse a repris la question, et souligné que Plotin et Porphyre fréquentaient des milieux qui avaient montré un intérêt certain pour la philosophie indienne, et qui en possédaient une connaissance « assez précise ». J. Lacrosse, « Plotin, Porphyre et l’Inde : un ré-examen », Le Philosophoire, 41, 2014, p. 101.
  • [24]
    O. Lacombe, « Sur le yoga indien », Études carmélitaines, 22, octobre 1937.
  • [25]
    O. Lacombe, « Un exemple de mystique naturelle : l’Inde », Études carmélitaines, 23, octobre 1938.
  • [26]
    J. Maritain, Éléments de philosophie, t. 1, Paris, Pierre Téqui, 2000, p. 14.
  • [27]
    J. Maritain, Distinguer pour unir ou Les Degrés du savoir, Paris, Desclée de Brouwer, 1963, ch. VI.
  • [28]
    Ibid., p. 489-490.
  • [29]
    B. Guérin raconte comment Lacombe, orienté par Maritain vers les études indianistes, apporta des informations cruciales à son maître pour la compréhension de l’hindouisme. B. Guérin, « Maritain et Lacombe », in H. Borde, Dossier H Jacques Maritain, Lausanne, L’Âge d’Homme, à paraître en 2018.
  • [30]
    J. Maritain, « L’expérience mystique naturelle et le vide », Études carmélitaines, 23, octobre 1938. Repris dans J. Maritain, Quatre essais sur la condition charnelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1939, ch. III.
  • [31]
    J. Maritain, op. cit., p. 132.
  • [32]
    J. Maritain, op. cit., p. 139.
  • [33]
    J. Maritain, op. cit., p. 132-142.
  • [34]
    R. Maritain, Situation de la poésie, Paris, Desclée de Brouwer, 1938, p. 67.
  • [35]
    J. Maritain, op. cit., p. 158.
  • [36]
    J. Maritain, op. cit., p. 139.
  • [37]
    J. Maritain, op. cit., p. 138.
  • [38]
    J. Maritain, op. cit., p. 160.
  • [39]
    J. Trouillard, « Valeur critique de la mystique plotinienne », Revue philosophique de Louvain, 63, 1961, p. 438. Repris dans Raison et mystique. Études néoplatoniciennes, éd. M. Goy, préface J.-M. Narbonne, Paris, éd. du Cerf, 2014, p. 169.
  • [40]
    J. Maritain, op. cit., p. 172.
  • [41]
    J. Maritain, op. cit., p. 174.
  • [42]
    J. Maritain, op. cit., p. 139.

Le renouveau de la recherche sur la mystique dans les années 1930

1Dans les années 1930, le débat sur la mystique battait son plein chez les philosophes, quelle que soit leur confession ou leur appartenance intellectuelle. La mystique, comme l’explique Bernard Minvielle, était aussi devenue un objet d’étude important pour les psychologues, les médecins et les théologiens entre 1890 et 1940 [1]. À l’époque, il y eut un regain d’intérêt pour la vie religieuse et spirituelle intime, et pour les écrits concernant l’union avec l’absolu. L’intérêt pour la mystique prit alors des formes nouvelles, puisqu’en plus des expériences des grands mystiques chrétiens Jean de la Croix et Thérèse d’Avila, celles de Plotin et des mystiques juives, ils découvraient aussi, par l’intermédiaire des études orientalistes comme celles d’Olivier Lacombe et Louis Gardet, les textes philosophiques et religieux des Hindous et des Musulmans [2].

2Ce renouveau de la mystique a de quoi interroger. Pourquoi les philosophes s’emparaient-ils d’un sujet qui semble à première vue complètement différent, voire antinomique, de leur méthode et de leurs préoccupations ? Pour eux, il ne s’agissait pas de la seule curiosité scientifique et de la volonté de savoir propres aux psychologues et médecins qui analysaient les phénomènes psychopathologiques [3]. Bergson par exemple, critiqua la réduction des manifestations mystiques à des états morbides :

3

[Les mystiques] parlent de leurs visions, de leurs extases, de leurs ravissements. Ce sont là des phénomènes qui se produisent aussi bien chez des malades, et qui sont constitutifs de leur maladie. […]. Mais il y a des états morbides qui sont des imitations d’états sains : ceux-ci n’en sont pas moins sains, et les autres morbides. Un fou se croira empereur ; à ses gestes, à ses paroles et à ses actes il donnera une allure systématiquement napoléonienne, et ce sera justement sa folie : en rejaillira-t-il quelque chose sur Napoléon ? On pourra aussi bien parodier le mysticisme, et il y aura une folie mystique : suivra-t-il de là que le mysticisme soit folie ? [4]

4La mystique, bien qu’anormale ou exceptionnelle, et même si ses manifestations ressemblent à des symptômes pathologiques, n’était pas une folie pour Bergson. Le psychologue pouvait étudier les manifestations phénoménales de la mystique dans le psychisme, mais sa méthode était insuffisante pour rendre compte de l’essence du phénomène, ce qui laissait une place pour l’approche philosophique.

5Cependant, nous pourrions penser que la mystique est plutôt un objet d’étude théologique et religieux. D’éminents théologiens, parmi lesquels Ambroise Gardeil et Réginald Garrigou-Lagrange, ont fait de la mystique une doctrine et un système ordonnés [5]. Leur but n’était pas seulement intellectuel, mais aussi pratique : la réflexion sur la mystique permettait une meilleure direction spirituelle des âmes, en faisant le lien entre les récits de l’expérience intime de la présence de Dieu et la vie quotidienne du fidèle. Pourtant, le développement de la théologie mystique n’a pas empêché les philosophes, même croyants, de penser la mystique avec la raison naturelle et pas seulement la foi et les dogmes. C’est particulièrement le cas de Jacques Maritain, qui a mis toute sa vie la philosophie au service de l’Église catholique, en s’appuyant notamment sur saint Thomas d’Aquin. Mais il a également toujours tenu à se définir comme philosophe, sans jamais se donner de prétentions théologiques. En même temps que l’intérêt de son ancien maître Bergson concernant la mystique, qui publia les Deux sources de la morale et de la religion en 1932, Maritain publiait plusieurs textes fondamentaux sur le sujet, surtout le livre Distinguer pour unir ou Les Degrés du savoir en 1932 et l’article « L’expérience mystique naturelle et le vide » en 1938 [6]. Dès lors, nous pouvons nous poser la question de la pertinence d’une philosophie de la mystique.

La philosophie de la mystique

6Si l’enjeu n’était pas de classer scientifiquement la mystique dans la typologie des phénomènes psychiques inhabituels, ni au contraire de l’expliquer au moyen des dogmes et du donné révélé, pourquoi les philosophes s’y sont-ils intéressés ? La mystique n’est-elle pas fondamentalement éloignée de la démarche philosophique ? En effet, la philosophie pose des problèmes et élabore des réponses en se servant essentiellement du discours conceptuel. Elle ne se fonde pas sur des dogmes, des textes sacrés ou la révélation pour penser. Au contraire, la mystique est une expérience qui tend à dépasser le discours, qui peut utiliser la forme poétique et qui semble aboutir à un état indescriptible, inconceptualisable. Par conséquent, la volonté des philosophes, même croyants, d’introduire la mystique dans la philosophie ressemble à ce que Whitehead disait du recours à la métaphysique pour le philosophe des sciences : « lancer une allumette dans une poudrière » [7]. Cela revient à dire que la mystique fait « exploser » le cadre normal de la philosophie.

7Le contexte des années 1930 nous aide à comprendre cet intérêt de la philosophie pour la mystique. Tout d’abord, il y eut un renouveau majeur de la spiritualité et des questions religieuses, amorcé avant la Première Guerre mondiale. Ce renouveau fut symbolisé par une vague de conversions en France, à laquelle appartenait Jacques Maritain qui reçut le baptême avec sa compagne Raïssa en 1906. L’historien Frédéric Gugelot explique la constitution du « milieu Maritain » qui soutint les conversions à son tour [8]. Ces dernières n’étaient pas anecdotiques. Bergson lui-même voulut se convertir mais ne se fit pas baptiser, par solidarité avec les Juifs persécutés, comme il l’expliqua dans son testament de 1936. Même si les philosophes tenaient à l’autonomie de leur discipline, au moins en son ordre, leur intérêt pour la mystique allait de pair avec une foi vécue dans le cas des croyants, ou en tout cas l’expérience de la spiritualité pour les non-croyants. Ce renouveau de la spiritualité répondait à la déclaration trop hâtive de la fin des âges théologiques et métaphysiques. Il signifiait aussi le refus du renoncement à l’absolu, le refus de se résigner au règne du relatif et de la science sans âme. En ce sens, la mystique ne pouvait qu’attirer les philosophes en quête d’absolu et d’assise spirituelle. Cette quête se poursuivit dans l’entre-deux-guerres, après le traumatisme de 14-18 et au moment de la montée des totalitarismes en Europe. Les années 1930 furent une époque de crise de la raison, pendant laquelle des penseurs comme le couple Maritain et leurs relations [9], constituant le cercle de Meudon, se disaient que le rationalisme sec et non vivifié par la spiritualité était impuissant à sauver l’être humain du « nihilisme moral » [10].

L’ouverture aux mystiques du dehors

8Ce besoin de spiritualité dans l’entre-deux-guerres s’accompagna d’une ouverture aux « mystiques du dehors » [11], c’est-à-dire hors du christianisme. Ces mystiques étaient les expériences philosophiques et religieuses concernant l’absolu qui venaient d’Inde, de Chine, d’Afrique et de l’Islam. Les orientalistes et les missionnaires rapportèrent, traduisirent et étudièrent les textes, les traditions et les pratiques relatives aux mystiques du dehors, à la suite des travaux d’anthropologues comme Lucien Lévy-Bruhl sur la « mentalité primitive » [12]. C’est ainsi que Louis Massignon, Miguel Asín Palacios et Louis Gardet écrivirent sur le soufisme et les personnalités d’al-Hallâj, Ibn Arabi et al-Ghazalî [13]. Pour ce qui est de l’Inde et de l’hindouisme, Olivier Lacombe joua le rôle de passeur, tout en construisant une méthodologie pour comparer les mystiques entre elles. La vocation d’indianiste d’Olivier Lacombe en particulier fut déclenchée par son maître Jacques Maritain [14]. Les philosophes des années 1930 se passionnèrent pour l’altérité, confrontant leurs propres conceptions à celles des Autres.

9Nous pouvons alors nous demander quelle a été la singularité de l’approche philosophique de la mystique. Il nous semble que cette approche a permis plus d’universalité et moins d’ethnocentrisme. Si pour Bergson et Maritain, la mystique chrétienne était la mystique par excellence, reste qu’ils qualifièrent bien de « mystiques » les expériences en cadre non chrétien comme celles des Indiens ou de Plotin dans l’Antiquité tardive.

10En effet, l’approche théologique de la mystique, lorsqu’elle aborda le terrain de la mystique comparée, a pu tomber dans l’illusion ethnocentriste. Certains théologiens chrétiens refusèrent de qualifier de mystiques les expériences non chrétiennes de l’absolu, comme celles des Indiens ou des néoplatoniciens. L’historien Bernard Minvielle écrit : « Les auteurs catholiques ne reconnaissent néanmoins de mystique authentique que par participation, explicite ou non, à la grâce christique » [15]. Le théologien Réginald Garrigou-Lagrange, autorité sur le sujet dans les milieux catholiques et thomistes, parlait de « prémystique naturelle » en 1933 pour qualifier les mystiques du dehors [16]. Anselm Stolz affirma en 1936 que la prétendue mystique non chrétienne « ignore le véritable fond de la mystique », et qu’elle en diffère « essentiellement » [17]. Le réformé Hendrik Kraemer voyait dans les religions non chrétiennes des « obstacles à la révélation » en 1938 [18]. Quant à la mystique islamique, elle a pu être considérée comme émanant de sources chrétiennes et néoplatoniciennes, et non coraniques. C’est le cas de Joseph Maréchal, également philosophe de formation, qui changea d’avis suite aux travaux de Louis Massignon et finit par reconnaître l’authenticité de la mystique islamique de source coranique [19].

11Ces différentes positions rejetaient le relativisme et le syncrétisme, c’est-à-dire l’équivalence entre toutes les expériences mystiques du monde sans hiérarchie, et l’idée qu’il y aurait un fonds unique et commun à toutes les religions par-delà leurs différences affichées. Les philosophes Bergson, Maritain, ainsi que les maritainiens Lacombe et Gardet, tout en refusant absolument le syncrétisme comme l’explique l’historien Jean-Paul Roux [20], évitaient de tomber dans l’écueil qui consiste à ne trouver de mystique que dans le christianisme. Bergson trouva une mystique chez Plotin, qui a largement influencé sa philosophie, et chez les Indiens, tout en déplorant qu’elle s’en soit tenue à la contemplation. Seule la mystique chrétienne s’accomplit dans l’action pour Bergson, ce qui n’empêche que pour lui Plotin et les Indiens ont réellement expérimenté l’absolu comme tout mystique [21]. Quant à Lacombe, disciple de Maritain, il poursuivra toute sa vie les recherches entreprises dans les années 1930 sur les mystiques du dehors, et il expliquera à la suite de Bréhier [22] qu’il y a de fortes affinités entre l’expérience plotinienne de l’Un et l’expérience indienne du Soi. Il écrit :

12

L’introversion mystique, chez Plotin comme dans les Upanishad, est axée sur l’identité pure et simple du centre métaphysique de chacun et du centre universel : identité qu’il faut seulement éprouver et reconnaître et qui n’est pas à réaliser, puisqu’elle est réellement éternelle et actuelle. Le progrès spirituel ne consiste pas à développer la personnalité en assurant de pair l’enrichissement du système de relations dont elle forme le nœud, et sa simplification, son unification, mais à écarter les enveloppements qui masquent à la conscience la présence centrale et inamissible de l’absolu [23].

13De plus, ses deux articles sur la philosophie indienne dans les Études carmélitaines ont fait connaître à un public catholique les mystiques d’Inde et notamment le yoga [24]. Lacombe a fortement aidé son maître Maritain à développer la notion de « mystique naturelle » [25]. L’approche philosophique de la mystique a ainsi permis de chercher le noyau commun de toute mystique, qu’elle soit chrétienne ou non chrétienne, sans abolir la distinction entre les moyens naturels et la grâce surnaturelle.

La mystique naturelle

14Jacques Maritain a tenté de définir et distinguer la mystique naturelle et la mystique surnaturelle. La position du philosophe a beaucoup évolué sur cette question. En 1921, il qualifie les mystiques du dehors de « contrefaçons de la mystique divine » [26], avant de nuancer ce jugement en 1932 et d’adhérer aux thèses du père Garrigou-Lagrange qui en fait des prémystiques naturelles [27]. Dans Distinguer pour unir ou Les degrés du savoir, Maritain définit en effet la mystique comme la « connaissance expérimentale des profondeurs de Dieu » [28], par le moyen de la grâce, ce qui excluait d’emblée les expériences non chrétiennes. Mais suite à ses échanges avec Olivier Lacombe au sujet des recherches de ce dernier sur l’Inde et sur Plotin, Maritain modifia profondément sa position [29]. En 1938, dans son article majeur « L’expérience mystique naturelle et le vide » [30], il redéfinit la mystique comme l’« expérience fruitive de l’absolu » [31]. Il y théorisa les mystiques du dehors comme des « mystiques naturelles ». Entre 1921 et 1938, en partant de sa méfiance originelle, Maritain a été amené au contraire à qualifier les expériences hindoues d’authentiquement mystiques, quoique naturelles et non surnaturelles comme celles des chrétiens.

15L’expression « mystique naturelle » permit à Maritain de trouver une voie de sortie dans l’alternative entre le relativisme et le mépris des mystiques du dehors. Par mystique naturelle, il faut entendre une expérience de l’absolu qui ne fait appel qu’à des moyens naturels, c’est-à-dire l’effort intellectuel. La mystique surnaturelle, par contraste, est le résultat de l’action de la grâce et des dons du Saint-Esprit. La mystique naturelle suppose la mise en pratique d’une ascèse qui conduit à une expérience supra-conceptuelle par négation du verbe mental. La mystique surnaturelle nécessite l’intervention de la grâce divine, elle est un pâtir et l’effort ne suffit pas pour y parvenir. Pour autant, bien que la différence entre mystique naturelle et mystique surnaturelle soit marquée, employer le même qualificatif de « mystique » a permis d’exhiber un fonds commun aux expériences chrétiennes, hindoues et néoplatoniciennes. L’Inde n’était plus l’Autre que l’on excluait par arrogance et aveuglement. L’Inde devint l’expérience authentique avec laquelle nous avions des affinités spirituelles, sans pour autant en faire l’équivalent de la révélation chrétienne. Cela signifie aussi que le philosophe n’est pas obligé d’abandonner la mystique à la théologie. La mystique surnaturelle est certes l’objet du théologien, mais la mystique naturelle convient bien au niveau du philosophe. Celui-ci peut étudier son ontologie et sa gnoséologie sous-jacentes. Pourtant, la mystique naturelle comportait pour Maritain un « dépassement philosophique de la philosophie » [32], dont nous allons montrer qu’il n’est pas une auto-annulation.

La connaissance supra-conceptuelle du vide

16Maritain a distingué quatre sortes de connaissance par connaturalité [33]. La connaturalité est la convenance entre un mode de notre âme et une activité. Il y a la connaturalité affective, c’est l’expérience de la prudence dans la vie pratique et éthique. La connaturalité intellectuelle désigne la connaissance des objets proportionnés à l’intellect dans son mode spéculatif et conceptuel, à savoir les sciences et la métaphysique. Contrairement aux positivistes, Maritain accordait à l’intellect le pouvoir de connaître les réalités invisibles et spirituelles, y compris Dieu, mais seulement à partir du donné naturel, c’est-à-dire des créatures. La connaturalité poétique, quant à elle, est une connaissance sans concept que nous procure l’expérience de la création. Cette connaturalité est en situation de « voisinage avec la mystique », selon l’expression de Raïssa Maritain [34]. Enfin, Jacques Maritain identifia une connaturalité mystique, qu’il définit comme une « contemplation » et une « nescience fruitive ». Le terme de nescience indique que la mystique n’est pas une science, elle est plutôt un non-savoir se rapprochant en cela de la théologie négative. La mystique est une expérience « fruitive » au sens où elle produit en l’âme des effets manifestes, par la contemplation. L’âme est active dans la fruition de l’absolu, par l’intermédiaire de celui-ci.

17Maritain a établi la différence entre la mystique naturelle, qui procède de l’intellect uniquement, et la mystique surnaturelle qui comporte une dimension affective. Dans les deux cas, la mystique s’accompagne de la prise de conscience qu’aucune parole n’est adéquate pour parler de l’absolu, et qu’à la limite le silence est ce qui trahit le moins l’expérience de sa présence immédiate. Mais la mystique naturelle est un « dépassement philosophique de la philosophie » : elle procède par négations afin d’épurer notre conception de l’absolu et d’en faire l’expérience sans concepts ni images. Maritain prit soin de distinguer la mystique naturelle de la dialectique négative telle qu’on la trouve chez Platon, qui consiste à se servir du discours conceptuel pour nier les obstacles qui nous séparent de l’absolu [35]. En un sens, la mystique naturelle spécialement dans l’hindouisme fait plus et moins à la fois que la philosophie grecque : plus parce qu’elle parvient à s’élever au-delà du concept par des moyens non conceptuels, comme les techniques du yoga, moins parce qu’elle ne parvient pas à conceptualiser correctement son expérience selon Maritain.

18La mystique ne détruit pas pour autant la philosophie : en effet, la philosophie comprend d’elle-même que le savoir qui nous est acquis par l’exercice naturel de l’intellect n’est pas le tout du savoir. L’intellect peut aller vers « un rebroussement à contre-pente de la nature » [36]. Au lieu de conceptualiser les choses pour les connaître métaphysiquement, il peut dé-conceptualiser sa vision du monde pour s’élever jusqu’à l’absolu. C’est réellement un dépassement de la philosophie qui ne la nie pas au sens où la nescience n’est pas synonyme d’ignorance, mais de sur-connaissance et de sagesse. Certes, le concept est souverain en son ordre, qui est la connaturalité intellectuelle, mais il y a des expériences supra-conceptuelles, qui se trouvent par excellence chez les Indiens.

19Maritain proposait donc une quadripartition de la cognition humaine. La connaturalité mystique est en un sens la plus haute, mais elle a en commun avec la connaturalité métaphysique de dépasser le sensible, et avec la connaturalité poétique de se produire sans concept, c’est-à-dire de façon intuitive. Cependant, la connaturalité mystique diffère de la métaphysique en ce que cette dernière a pour instrument principal la raison discursive qui s’appuie sur la réception sensible des choses. La mystique diffère aussi de la poésie en ce que cette dernière n’est pas à strictement parler une contemplation, mais une création. De plus, si la mystique est intuitive au sens où elle est l’expérience immédiate en soi de l’absolu, sans construction conceptuelle, elle n’est cependant pas une intuition intellectuelle directe de l’essence de Dieu. La vision béatifique des bienheureux qui correspond à l’intuition que Dieu a de lui-même n’était possible qu’après la mort pour Maritain. Cela marquait une limite : même la mystique la plus poussée ne peut franchir le cadre de la condition corporelle, qu’elle soit naturelle ou même surnaturelle. C’est pourquoi Maritain se séparait de la tradition platonicienne qui d’après lui considérait comme possible « l’intuition naturelle […] de l’Un supersubstantiel » [37]. Nos moyens naturels ne peuvent nous donner une telle vision.

20Mais alors, que connaît précisément la mystique dite naturelle si ce n’est pas l’essence de l’absolu ? Pour Maritain, la mystique naturelle nous fait connaître notre âme en tant qu’inconnue. L’analogie avec la mystique surnaturelle est manifeste : celle-ci nous fait connaître Dieu comme inconnu. La mystique naturelle est un saut au-delà du concept qui nous fait faire l’expérience du vide, mais un vide qui n’est pas simple néant ou absence. C’est le vide substantiel de notre âme, le Soi qui est en nous et qui échappe à la connaissance conceptuelle. La mystique naturelle est donc l’effort intellectuel sans concept pour atteindre la nescience de notre moi. À la différence de la mystique surnaturelle pour laquelle le vide est seulement la condition de l’expérience, au sens de la dépossession de soi dans la charité, le moyen étant le don du Saint-Esprit, la mystique naturelle a le vide pour condition comme pour moyen [38]. C’est une mystique sans la grâce qui fait le vide dans l’esprit pour expérimenter l’absolu.

Le dépassement de la mystique naturelle

21Avec Maritain, nous pouvons penser la philosophie et la spiritualité indienne dans leur singularité. Expérience non conceptuelle de l’absolu sans l’intermédiaire de la grâce, elle est distincte des Grecs comme des Chrétiens sans pour autant être dépourvue de valeur. Au contraire, les Hindous possèdent une mystique originale qui d’ailleurs n’est pas sans point commun avec la mystique chrétienne, notamment la condition du vide. L’Inde prend alors pleinement sa place dans la philosophie, et ce d’une façon étonnante : comme métaphilosophie ou saut philosophique au-delà de la philosophie. Cependant, la notion de mystique naturelle n’était pas sans ambiguïtés. Si la mystique est l’expérience de la présence de l’absolu, ne dépasse-t-elle pas la nature ? N’est-elle pas un élan vers la transcendance ? La qualification de mystique naturelle pour désigner l’expérience plotinienne fut rejetée par Jean Trouillard, parce qu’elle servait simplement selon lui à différencier mystique « païenne » et mystique chrétienne. Il écrit : « Si l’extase est ainsi une communication de ce qui est le plus propre à l’Un et le moins communicable, on ne voit pas pourquoi on parlerait de mystique naturelle » [39]. L’Un chez Plotin n’a en effet rien de commun avec la nature, et l’expérience que nous faisons de lui nous amène à la dépasser.

22Maritain posait tout de même la question de l’existence d’une grâce ou d’un dépassement du naturalisme chez les Hindous. Il évoquait « le cas de la bhakti », une forme de piété qui attribue à l’amour un « rôle majeur » [40]. S’il existe une mystique naturelle qui a pour moyen l’amour et non plus seulement l’intellect, alors elle participe de « l’union surnaturelle de charité » [41]. Nous pouvons alors affirmer que dans le contexte des années 1930 et au sein des débats entre les catholiques sur la question des mystiques du dehors, Maritain modifia profondément les lignes de démarcation trop étroites. De plus, il montra que la grâce et le concept ne sont pas les seules voies possibles d’accès à l’être, puisque les techniques de suppression et de concentration développées par les Hindous sont aussi un moyen d’accès au substantiel – celui de l’âme en particulier. Enfin, Maritain rendait indissociables la métaphysique et la mystique, comme son ancien maître Bergson. La mystique apprend au métaphysicien ce qu’est le vide, la nescience supra-conceptuelle, alors qu’il cherchait dans son élan la connaissance conceptuelle. Mieux, la mystique révèle une tendance fondamentale de la métaphysique, « toute grande métaphysique est bien traversée par une aspiration mystique » écrit Maritain [42]. Contre le positivisme qui voudrait annuler les deux, la métaphysique et la mystique apparaissent comme deux disciplines sœurs qui se fécondent l’une l’autre pour construire et expérimenter un savoir de l’absolu.

Bibliographie

Bibliographie

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  • Maritain R., Situation de la poésie, Paris, Desclée de Brouwer, 1938.
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  • Trouillard J., « Valeur critique de la mystique plotinienne », Revue philosophique de Louvain, 63, 1961, repris dans Raison et mystique. Études néoplatoniciennes, éd. du Cerf, 2014, p. 163-174.
  • Whitehead A. N., Le Concept de nature (1920), Paris, Vrin, 2006.

Notes

  • [1]
    B. Minvielle, Qui est mystique ? Un demi-siècle de débats 1890-1940, Paris, CLD Éditions, 2017.
  • [2]
    O. Lacombe fit sa thèse de doctorat sur L’Absolu selon le Védânta. Les notions de Brahman et d’Atman dans les systèmes de Çankara et Râmânoudja, publiée en 1937. L. Gardet écrit sur la mystique d’al-Ghazalî. Tous deux thomistes et disciples de J. Maritain, ils publieront un ouvrage commun après plus de cinquante années de travaux commencés dans les années 1920, L’Expérience du Soi : Étude de mystique comparée, Paris, Desclée de Brouwer, 1981.
  • [3]
    À l’instar de P. Janet, De l’angoisse à l’extase. Étude sur les croyances et les sentiments, t. 1, Paris, Alcan, 1926, et S. Freud, qui étudia le « sentiment océanique » de R. Rolland dans Le Malaise dans la civilisation, Paris, Seuil, 2010.
  • [4]
    H. Bergson, Les Deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 2000, p. 242.
  • [5]
    A. Gardeil, La Structure de l’âme et l’expérience mystique, 2 t., Paris, Gabalda, 1927. Réginald Garrigou-Lagrange, Traité de théologie ascétique et mystique, 2 t., Paris, Cerf, 1938-1939.
  • [6]
    Avec Bergson et le cercle des Maritain, citons l’universitaire J. Baruzi, les catholiques M. Blondel et J. Maréchal parmi les principaux auteurs qui étudiaient philosophiquement la mystique dans les années 1920-1930.
  • [7]
    A. N. Whitehead, Le Concept de nature, Paris, Vrin, 2006, p. 66.
  • [8]
    F. Gugelot, La Conversion des intellectuels au catholicisme en France (1885-1935), Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 442.
  • [9]
    Relations parmi lesquelles le philosophe russe L. Chestov, les orientalistes O. Lacombe et L. Gardet, qui se passionnaient tous à leur manière pour les mystiques.
  • [10]
    R. Maritain, Les Grandes amitiés, Paris, Desclée de Brouwer, 1949, p. 105.
  • [11]
    B. Minvielle, op. cit., p. 88.
  • [12]
    L. Lévy-Bruhl, La Mentalité primitive, Paris, PUF, 1922.
  • [13]
    L. Massignon, La Passion d’al-Hallâj, Paris, P. Geuthner, 1922. M. Asín Palacios, « Un précurseur hispano-musulman de saint Jean de la Croix », Études carmélitaines, 17, 1932. Pour L. Gardet, voir M. Borrmans, « Louis Gardet (1904-1986) : l’homme et l’œuvre », Annuaire de l’Afrique du Nord, t. XXV, 1986.
  • [14]
    B. Guérin montre comment Lacombe représentait l’ouverture du thomisme aux mystiques non chrétiennes, dans La mission d’Olivier Lacombe. L’ouverture à l’Inde du thomisme dans le contexte intellectuel de l’entre-deux-guerres, mémoire de Master d’histoire, sous la direction de M. Fourcade, Université Paul Valéry – Montpellier III, septembre 2014.
  • [15]
    B. Minvielle, op. cit., p. 93.
  • [16]
    R. Garrigou-Lagrange, « Prémystique naturelle et mystique surnaturelle », Études carmélitaines, 18, 2 octobre 1933.
  • [17]
    A. Stolz, Théologie de la mystique, Chèvetogne, Éditions des Bénédictins d’Amay, 1939, p. 255-256.
  • [18]
    Cité par M. Fourcade, « Sur les ruines de la guerre totale », in J.-R. Armogathe, Histoire générale du christianisme, vol. 2 : du XVIe siècle à nos jours, Paris, PUF, 2010, p. 1015.
  • [19]
    B. Minvielle op. cit., p. 89.
  • [20]
    J.-P. Roux, « L. Gardet, O. Lacombe. L’expérience du Soi. Étude de mystique comparée », Revue de l’histoire des religions, t. 200, 4, 1983, p. 429-430.
  • [21]
    H. Bergson, op. cit., p. 240.
  • [22]
    É. Bréhier, La Philosophie de Plotin, Paris, Boivin, 1928, ch. VII.
  • [23]
    O. Lacombe, « Note sur Plotin et la pensée indienne », Annuaire de l’École pratique des hautes études, 58, 1950, p. 8-9. J. Lacrosse a repris la question, et souligné que Plotin et Porphyre fréquentaient des milieux qui avaient montré un intérêt certain pour la philosophie indienne, et qui en possédaient une connaissance « assez précise ». J. Lacrosse, « Plotin, Porphyre et l’Inde : un ré-examen », Le Philosophoire, 41, 2014, p. 101.
  • [24]
    O. Lacombe, « Sur le yoga indien », Études carmélitaines, 22, octobre 1937.
  • [25]
    O. Lacombe, « Un exemple de mystique naturelle : l’Inde », Études carmélitaines, 23, octobre 1938.
  • [26]
    J. Maritain, Éléments de philosophie, t. 1, Paris, Pierre Téqui, 2000, p. 14.
  • [27]
    J. Maritain, Distinguer pour unir ou Les Degrés du savoir, Paris, Desclée de Brouwer, 1963, ch. VI.
  • [28]
    Ibid., p. 489-490.
  • [29]
    B. Guérin raconte comment Lacombe, orienté par Maritain vers les études indianistes, apporta des informations cruciales à son maître pour la compréhension de l’hindouisme. B. Guérin, « Maritain et Lacombe », in H. Borde, Dossier H Jacques Maritain, Lausanne, L’Âge d’Homme, à paraître en 2018.
  • [30]
    J. Maritain, « L’expérience mystique naturelle et le vide », Études carmélitaines, 23, octobre 1938. Repris dans J. Maritain, Quatre essais sur la condition charnelle, Paris, Desclée de Brouwer, 1939, ch. III.
  • [31]
    J. Maritain, op. cit., p. 132.
  • [32]
    J. Maritain, op. cit., p. 139.
  • [33]
    J. Maritain, op. cit., p. 132-142.
  • [34]
    R. Maritain, Situation de la poésie, Paris, Desclée de Brouwer, 1938, p. 67.
  • [35]
    J. Maritain, op. cit., p. 158.
  • [36]
    J. Maritain, op. cit., p. 139.
  • [37]
    J. Maritain, op. cit., p. 138.
  • [38]
    J. Maritain, op. cit., p. 160.
  • [39]
    J. Trouillard, « Valeur critique de la mystique plotinienne », Revue philosophique de Louvain, 63, 1961, p. 438. Repris dans Raison et mystique. Études néoplatoniciennes, éd. M. Goy, préface J.-M. Narbonne, Paris, éd. du Cerf, 2014, p. 169.
  • [40]
    J. Maritain, op. cit., p. 172.
  • [41]
    J. Maritain, op. cit., p. 174.
  • [42]
    J. Maritain, op. cit., p. 139.
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