Notes
-
[1]
Dans ses Entretiens d’Ariste et d’Eugène, publiés en 1671.
-
[2]
Op. cit., p. 76.
-
[3]
Ibid., p. 77.
-
[4]
Gorgias, 503-e.
-
[5]
Qu’est-ce que l’esthétique ?, op. cit., p. 229.
-
[6]
Ibid.
-
[7]
Ibid., p. 231.
-
[8]
Ibid., p. 90.
-
[9]
Essai sur le goût, 1757.
-
[10]
J. Clair, La responsabilité de l’artiste, les avant-gardes entre terreur et raison, Gallimard, 1997.
-
[11]
Op. cit., p. 65.
-
[12]
Qu’est-ce que l’esthétique ?, op. cit., p. 199-202.
-
[13]
Cité dans La querelle de l’art contemporain, p. 83.
-
[14]
La querelle de l’art contemporain, op. cit., p. 152.
-
[15]
Y. Michaud, La crise de l’art contemporain, PUF, 1997.
-
[16]
La querelle de l’art contemporain, op. cit., p. 158.
-
[17]
Ibid., p. 313.
-
[18]
Respectivement en 2008 et 2010.
1Marc Jimenez est Professeur émérite à l’Université de Paris I – Panthéon-Sorbonne. Il a enseigné l’esthétique à l’UFR d’Arts plastiques et sciences de l’art où il a dirigé le laboratoire d’esthétique théorique et appliquée. Il est également directeur de la « Collection d’esthétique » aux éditions Klincksieck. Traducteur d’Adorno (Théorie esthétique, Modèles critiques), de Peter Bürger (La prose de la modernité), et d’A.W. Schlegel (La doctrine de l’art), il a notamment publié : Qu’est-ce que l’esthétique ? (Gallimard, 1997) et La querelle de l’art contemporain (Gallimard, 2005).
2Jean-Claude Poizat : La réflexion philosophique sur le beau s’inscrit d’emblée dans un paradoxe ou une possible contradiction : il peut sembler en effet difficile, voire impossible, de tenter de saisir dans un discours rationnel ce qui, potentiellement, échappe à l’ordre du discours et de la rationalité, à savoir précisément : le « beau » – ce « je-ne-sais-quoi » pour reprendre l’expression consacrée par l’ouvrage du père Bouhours [1]. Comme vous l’écrivez vous-même, dans Qu’est-ce que l’esthétique ?, « une esthétique – science ou philosophie – ne peut se définir que dans la distance qui sépare la raison … de ce qui n’est pas la raison » [2]. Cependant, il est clair que cet « Autre » de la raison qui nous interpelle, chaque fois qu’il est question du beau, qu’il s’agisse de l’imagination, du sentiment ou bien encore de la sensibilité, ne saurait se réduire purement et simplement à l’irrationnel, faute de quoi on mettrait immédiatement un terme à l’investigation philosophique. Je vous cite encore : « Il convient assurément de trouver la bonne distance entre une raison qui n’empiète pas sur la sensibilité et une sphère du sensible qui n’empiète pas sur l’irrationnel » [3]. Cela signifie-t-il que l’esthétique – au sens d’une réflexion critique sur le beau – doit se tenir à l’écart de deux écueils symétriques : à savoir, d’une part, un rationalisme dogmatique qui risquerait d’étouffer la sensibilité individuelle, et, d’autre part, un « sensualisme » relativiste et sceptique qui risquerait de décourager tout effort de réflexion rationnelle ?
3Marc Jimenez : Vous parlez de « paradoxe » à juste titre. L’un des défis de l’esthétique philosophique, dès son origine au xviiie siècle, fut de trouver la bonne distance entre une raison, non seulement jugée infaillible, mais surtout seule capable de juger, et une imagination, une sensibilité, une intuition imprécises, approximatives, incapables d’aboutir à la vérité et de porter un jugement fiable. Il suffit de relire l’ouvrage d’Alexander G. Baumgarten Ästhetica pour mesurer les difficultés qu’il a dû surmonter, d’une part pour aboutir à une définition acceptable du néologisme qu’il venait de créer, d’autre part pour imposer son usage. Baumgarten est parti, en fait, de la distinction que l’on trouve chez Platon et Aristote entre les choses sensibles (aisthêta) et les choses intelligibles (noêta). Dès 1735, il écrit que les noêta sont l’objet de la logique tandis que les aisthêta sont l’objet de l’esthétique, qu’il nomme tout d’abord epistemê aisthetikê. Une deuxième définition est formulée quelques années plus tard, en 1739 : « La science du mode de connaissance et d’exposition sensible est l’esthétique », définition à laquelle il donne sa forme définitive en 1750 et qui ouvre l’Ästhetica : « L’esthétique (ou théorie des arts libéraux, gnoséologie inférieure, art de la beauté du penser, art de l’analogon de la raison) est la science de la connaissance sensible ». Notons — et cela répond à votre remarque — qu’il ne s’agit pas d’ouvrir sur un domaine irrationnel. Baumgarten parle bien d’« analogon de la raison ». Mais on perçoit tout son embarras à travers cette définition quelque peu ampoulée, qui peut paraître redondante et pléonastique : « gnoséologie, théorie, science de la connaissance ». Baumgarten, professeur de logique et de mathématique sait tout cela, mais il persiste néanmoins dans cette volonté de subsumer sous un même concept l’expérience sensible, le goût, les beaux-arts (à son époque on parle de belles-lettres), et la « beauté » séparée, enfin, du « bien ». Son grand mérite est d’avoir mis à jour la dimension cognitive de l’esthétique. On pourrait dire que ce maître en rhétorique assume pleinement l’amphibologie du « sens », qui renvoie à la fois à la signification et à la sensibilité. On connaît l’équivoque susceptible de résulter parfois de l’emploi d’expressions comme « je vous entends » ou, plus familièrement, « je le sens bien » lorsqu’on est sûr de bien comprendre le sens de ce qu’on fait. Alors, oui, bien sûr, faire de l’esthétique, c’est se tenir à l’écart des deux écueils que vous nommez le rationalisme et le sensualisme, la raison et l’imagination. Plutôt que les maintenir à l’écart, on peut aussi tenter de les concilier. Allier le rêve et la réalité, allier la « formation intellectuelle » à la « mentalité poétique », pour employer des expressions d’André Breton, fut l’une des grandes ambitions de la création poétique mise en œuvre par le surréalisme. Pensons aussi, bien avant Breton et d’Aragon, au projet des premiers romantiques allemands, tous, ou presque, à la fois philosophes et poètes.
4JCP : Dans l’ouvrage que vous avez consacré à cette question, vous décrivez l’émergence historique d’une esthétique moderne – c’est-à-dire en fait d’une « esthétique » proprement dite – au cours des xviie et surtout xviiie siècles européens, vous utilisez les termes de « déliaison » et d’« autonomie », ce qui traduit le fait qu’une authentique réflexion critique sur le beau ne saurait se déployer qu’en remettant en cause la tutelle des institutions et des valeurs traditionnelles - notamment théologiques, métaphysiques et philosophiques – mais sans toutefois rompre absolument avec elles. Est-ce à dire qu’une authentique réflexion critique sur le beau – l’« esthétique » au sens strict du terme - doit savoir se tenir « à bonne distance » de la raison philosophique - ni trop près ni trop loin.
5MJ : Le terme déliaison est ici préférable à celui de rupture qui caractérise davantage l’art moderne. Déliaison désigne un processus lent d’autonomisation vis-à-vis des autorités religieuse, morale, philosophique, métaphysique, idéologique, sociale, culturelle qui inhibent le développement d’une sphère d’activité particulière. Au xviie siècle, l’un des exemples les plus connus est celui de la science, notamment de la physique et de l’astronomie. On sait ce qui est arrivé à Galilée, partisan de Copernic, remettant en cause l’héliocentrisme et s’attirant les foudres de la communauté scientifique de son temps et aussi celles de la sainte église catholique, apostolique et romaine, laquelle n’a reconnu ses torts qu’au xxe siècle ! Cette déliaison concerne également la réflexion esthétique et la théorie des arts. L’idée que la réflexion sur le beau puisse être libre et critique a mis des siècles avant de s’imposer. L’histoire de la représentation artistique du corps en Occident livre un bon exemple de déliaison, en particulier à l’égard de la religion. Le xviiie siècle se veut en rupture par rapport aux tabous qui pesaient sur l’image de la nudité, au Moyen Âge et encore à la Renaissance. Au début du xve siècle, le tableau de Masaccio, Adam et Eve chassés du paradis, dans lequel Eve cache pudiquement son sexe de sa main gauche et de l’autre sa poitrine, choque les contemporains. Des censeurs pudibonds du xviie siècle ajouteront des feuilles de vigne qui ne seront retirées qu’en … 1984 ! Mais, là aussi, ce qui se passe au xviiie siècle est décisif. Le sulfureux tableau de François Boucher L’odalisque brune fait scandale car il représente la femme nue allongée sur le ventre, exposant son postérieur dans une pose plus que suggestive. Cette époque marque véritablement le point de départ d’un mouvement d’affranchissement des artistes, non seulement à l’égard des canons académiques mais aussi vis-à-vis des autorités morales, religieuses voire politiques de leur temps, même s’ils n’échappent pas parfois à la censure ni aux scandales. Ces scandales qui vont se multiplier au xixe siècle – pensons à la Maja desnuda de Goya, à Olympia ou au Déjeuner sur l’herbe de Manet, à l’Origine du Monde de Courbet – et également au xxe, à travers les œuvres du peintre viennois Egon Schiele, et plus tard, à celles de ceux qu’on nomme les « actionnistes viennois », Otto Muehl, Günter Brus, Hermann Nitsch, Rudolf Schwarzkogler. Autant de « déliaisons » artistiques spectaculaires. Maintenant, sur un plan théorie et philosophique, il faut bien réaliser que la genèse de l’esthétique moderne résulte d’une conjonction étonnante au siècle des Lumières. Cette genèse est contemporaine à la fois de la naissance l’histoire moderne de l’art – grâce à Winckelmann –, de l’apparition de la critique d’art – le premier « salon » de Diderot date de 1759 – de l’identification des ruines de Pompéi – d’où l’archéologie moderne et la prise de conscience du caractère temporelle de l’art – du développement d’un marché de l’art, notamment sous sa forme internationale, de l’expansion de l’espace public, et de l’émergence d’un esprit critique, voire « multicritique ». Autant de déliaisons qu’on pourrait qualifier, en cette fin de xviiie siècle, de prérévolutionnaire !
6Mais soyons clairs : la « réflexion critique sur le beau » – appelons la « esthétique » – est toujours seconde par rapport à la création artistique. Les premiers à remettre en cause la tutelle des institutions et des valeurs traditionnelles, ce sont les artistes. On vient d’en citer quelques-uns. L’esthétique demeure philosophique dans la mesure où elle se tient, pour le coup, à distance de la spontanéité et de l’immédiateté du jugement de goût. Elle s’efforce d’aboutir à un jugement esthétique, argumenté et critique, communicable à autrui, par-delà la « diversité des goûts et des couleurs ». Tel fut d’ailleurs, on le sait, le projet exposé par Emmanuel Kant dans la Critique de la Faculté de juger.
7JCP : Si l’on suit toujours votre analyse, il conviendrait donc de dire – par un paradoxe qui n’est qu’apparent – que la réflexion esthétique à proprement parler serait absente de la pensée et de l’œuvre philosophique d’un Platon – c’est-à-dire plus particulièrement de sa « doctrine des Idées » – dans la mesure où l’auteur de la République aurait précisément tenté de fonder son esthétique idéaliste sur une Idée du beau en soi, en interdisant par là même toute possibilité d’exercer un quelconque jugement critique individuel sur ce qu’il convient de considérer comme beau ou non. À l’encontre des hypothèses et des interrogations soulevées dans le dialogue de l’Hippias majeur, la doctrine platonicienne s’appuie fondamentalement sur le postulat selon lequel il existerait une beauté objective réalisée dans une « Idée » ou une « Essence » (« eidos ») du beau. Ainsi Socrate objecte-t-il à son interlocuteur, le sophiste Gorgias - dans le dialogue platonicien du même nom -, que le beau n’est pas relatif au point de vue de chacun, mais qu’il se réfère à un archétype unique (l’Idée du beau) qui sert de modèle à l’ordre naturel des choses, et par voie de conséquence également aux artistes : « Tu peux à ton choix envisager l’exemple des peintres, des architectes (…) : chacun d’eux se propose un certain ordre quand il met à sa place chacune des choses qu’il a à placer, et il contraint l’une à être ce qui convient à l’autre, à s’ajuster à elle jusqu’à ce que l’ensemble constitue une œuvre qui réalise un ordre et un arrangement » [4]. Tout au plus trouverait-on chez Platon une sorte d’esthétique présente « négativement » – je vous cite [5], comme « en creux », à savoir une « esthétique de la réception, de l’effet » [6] produit par les œuvres d’art sur les individus ?
8MJ : Il y a le Platon des Idées, celui de la doctrine idéaliste qui ne traite pas seulement du beau, mais plus généralement des essences immuables. Hippias majeur, le Gorgias, Phèdre sont des mises en scène visant à suggérer des définitions acceptables de ce qui peut-être considéré comme « beau ». On connaît effectivement, comme vous le rappelez indirectement les définitions d’Hippias (l’or, une belle fille, une vie heureuse) et les réponses de Socrate (l’utile, l’avantageux, le plaisir de la vue et de l’ouïe). Et les protagonistes, Socrate le premier, comprennent qu’il est difficile de traiter de la chose en soi, du pur intelligible sans le ramener au sensible. On connaît le proverbe grec, le mot de la fin du Banquet énoncé par Socrate : les belles choses sont difficiles. N’oublions pas toutefois qu’Hippias majeur traite du « Kalon », dont le sens est beaucoup plus vaste que notre concept de beau. Il ne traite pas de la beauté artistique ou esthétique.
9Il y a aussi – si je peux dire – le Platon philosophe du désir, de l’amour comme puissance créatrice. Ce n’est pas un hasard si le sculpteur grec du ive siècle av. J.-C. Silanion a cru bon de représenter, dans ses portraits, Platon et la poétesse de Lesbos Sappho, Sappho, très appréciée par le philosophe qui lui rendit, semble-t-il, un magistral hommage en la qualifiant de « dixième muse ».
10Il y a enfin le Platon qui s’interroge sur le rôle de l’art et la fonction de la création artistique à l’intérieur de la Cité. Il s’en méfie car il la sait source de plaisir et de jouissance capable de pervertir la jeunesse et de détourner celle-ci de sa tâche de « gardienne » de la Cité. Il honore les poètes, tous y compris les poètes tragiques mais, sitôt après, les condamne à l’exil. Toutefois, au-delà de la question pédagogique, de la paideia – Platon veille jalousement à l’éducation en enfants – il y a la question philosophique majeure, celle de l’antagonisme entre le poète et le philosophe, entre le sensible et l’intelligible, entre deux logos, celui de la sensibilité et celui de la raison, le seul qui prétendre avoir accès à la Vérité. Tel est l’objet de la République, notamment du livre X. Le seul spectacle autorisé pour le philosophe, ce n’est pas celui qu’offre la tragédie, c’est celui de la vérité.
11JCP : Vous n’accordez guère plus de crédit, semble-t-il, au disciple « rebelle » de Platon, Aristote ? Même si, comme vous l’écrivez encore, ce dernier « associe le plaisir à l’imitation artistique de la nature » et si, par là même, il « rend aux arts leurs lettres de noblesse et attribue à la poésie, à la musique, à la peinture et à la sculpture des vertus bénéfiques, aussi bien pour l’individu que pour la société », il n’en demeure pas moins vrai également, selon vous, que « ses conceptions ont largement contribué, au moins autant que celles de son maître, à la dévalorisation séculaire de la création artistique et à la minoration du rôle social de l’artiste » [7]…
12MJ : Il faudrait élucider le paradoxe qui veut, du moins dans la tradition occidentale, que les grands artistes furent et sont toujours encensés, adulés, célébrés sans jamais toutefois faire taire complètement la doxa qui dit que ces mêmes artistes doivent être regardés avec méfiance. À la différence de Platon, Aristote se fait, comme l’on sait, le défenseur de l’imitation. La mimésis devient donc légitime, naturelle et condition de toute véritable création. Elle est de surcroît source de plaisir et de connaissance. Aristote ne chasse donc pas les poètes, notamment les poètes tragiques, hors de la cité, mais au contraire leur fixe pour règle de susciter crainte et pitié à travers des récits susceptibles, dès lors, de satisfaire de public. On peut faire l’hypothèse qu’Aristote n’ignorait pas la fonction sociale et politique de la « catharsis », de cette purgation des passions qui libère le spectateur du poids d’affects potentiellement violents. Lui-même mentionne l’effet thérapeutique de cette catharsis. Parlant des vertus de l’enthousiasme, il écrit : « Certains individus ont une réceptivité particulière pour cette sorte d’émotions, et nous voyons ces gens-là, sous l’effet des chants sacrés, recouvrer leur calme comme sous l’action d’une “cure médicale” ou d’une purgation ».
13Mais cela suffit-il pour permettre une pleine et entière reconnaissance du rôle social de l’artiste ? Certes non, car ce que la postérité va retenir et valider pour des siècles, c’est la subordination de l’art, comme simple « technè », activité poïétique, aux activités théorétiques, à la philosophie, à l’intellect, et aux activités pratiques, comme la morale et la politique. Il faudra attendre la Renaissance tardive pour que commence à disparaître le préjugé envers l’artisanat et les arts mécaniques opposés aux arts libéraux. On comprend mieux, même si elle est quelque peu exagérée, la virulence de Montesquieu, homme des Lumières, contre la philosophie antique, qualifiée de « véritable fléau » et de « tissu de sophismes ».
14JCP : Est-ce à dire que, d’une manière générale, le privilège accordé par les grands penseurs grecs de l’antiquité à l’intelligence, à l’esprit au détriment du corps et de ses plaisirs, leur interdisait d’accorder de la valeur à l’art et au beau en tant que tels ? Que leur esthétique somme toute idéaliste et intellectualiste, leur interdisait de développer une véritable réflexion esthétique ? Bien plus : que leur influence profonde et durable sur la tradition de pensée occidentale explique l’émergence tardive de l’autonomie esthétique au cours du xviiie siècle européen ?
15MJ : La question ne se pose pas en termes d’esthétique idéaliste et intellectualiste. Il faut s’en tenir ici à la séparation platonicienne entre le monde intelligible et le monde sensible qui aura tant de conséquences, non seulement sur Aristote mais aussi sur les autres penseurs néoplatoniciens, jusqu’à Marsile Ficin au xve siècle et à la Renaissance. Les penseurs et les philosophes grecs ne privilégiaient pas l’esprit au détriment du corps et des plaisirs de la chair. Il suffit de relire le Banquet. La fête nocturne, tout au moins la première, organisée par Agathon, est l’occasion de tous les excès, notamment en beuverie et autres menus plaisirs. Par la suite, les corps s’apaisent et chacun des convives va tenter de s’exprimer sur l’amour, de faire l’éloge d’Éros, avant que Socrate-Diotime n’expose la doctrine des formes intelligibles et la possibilité de connaître le beau en soi. Il ne s’agit aucunement d’une esthétique, ni d’une réflexion sur l’art ou sur le goût tel que nous l’entendons, mais d’une théorie de l’amour, reposant sur cette éventualité d’une participation, d’une réminiscence – la fameuse anamnèse – de ce qu’est le monde des Idées, celui des I???, des valeurs et principes éternels, immuables et universels.
16On est donc bien loin de la question de l’« aisthesis », de la sensibilité, de l’imagination, de l’intuition, du sentiment du beau, toutes choses qui vont, dès le xviie siècle, en Occident, déboucher ou dériver vers une théorie du goût et du jugement sur le goût. Cette évolution passe par la remise en cause progressive du « modèle grec », par le rejet d’une forme de classicisme, de cette idéalisation de la beauté parfaite, inspirée évidemment du platonisme, qui repose sur l’harmonie, la symétrie, les proportions mathématiques, etc., principes auxquels croit encore fermement, en plein xviiie siècle, J.-J. Winckelmann, ardent propagateur du mythe grec et de la « calme grandeur et la noble simplicité » de l’art. Si, bravant l’anachronisme, on peut toutefois parler d’esthétique et de réflexion esthétique chez Platon, c’est dans la mesure où la relation qu’il établit entre l’art et la philosophie est ambiguë. D’un côté, la « poïésis », liée au sens et aux affects en général, de l’autre l’esprit et l’intelligible. Mais cette séparation est trompeuse car l’art est au service de la philosophie et celle-ci est elle-même liée à la politique, c’est-à-dire à l’organisation de la Cité. Le programme artistique élaboré par Platon en vue de constituer la « Callipolis » – la Cité parfaite, idéale, dans toute sa plénitude - repose sur des jugements évaluatifs et argumentés décidant de ce qui est convenable et admissible pour l’éducation des jeunes gens. Si l’on joue sur les anachronismes, on pourrait dire, ainsi, que son « esthétique » n’est guère « moderne » mais plutôt « conservatrice ». Platon se montre réticent envers les nouveautés et les excès, en musique, en architecture, en chorégraphies, en poésie, en peinture, bref, dans tous les arts. Cette attitude quelque peu rigoriste, où l’art est assujetti à une morale et à une pédagogie édifiantes, a fait dire à certains que la théorie platonicienne des arts était quasiment réactionnaire (autre anachronisme !). Le philosophe François Châtelet n’était pas loin de le penser dans son Platon (Paris, Gallimard, Idées, 1965). Je crois, au contraire, que Platon a parfaitement perçu la puissance subversive de la « poïésis », de l’acte de création au point qu’on peut se demander si Platon n’est pas, à son insu, l’avocat, voire l’apologiste le plus ardent de l’art moderne et anticonformiste. En jetant l’anathème sur les poètes et artistes, dangereux selon lui, il focalise l’attention sur les plaisirs que peut procurer leur fréquentation. Le cas d’Aristote est différent. Sa Poétique prend en considération des créations littéraires précises, par exemple la tragédie. Il lève l’anathème sur la mimésis, et libère en quelque sorte l’activité poïétique, étroitement liée, de façon pragmatique, à la « technè » qui demeure toutefois inférieure à la philosophie, à la politique et à la morale. C’est en cela, notamment, qu’Aristote, ou plutôt l’aristotélisme a instauré, pour des siècles, l’idée que l’imitation constituait le seul canon de la représentation plastique, et cela jusqu’à la Renaissance.
17JCP : À l’inverse, l’une des conditions de l’émergence de la réflexion esthétique « moderne » (j’entends ici la période qui s’ouvre à la fin du Moyen Âge européen et qui se terminera vers le milieu du xixe siècle) en tant que « domaine de réflexion spécifique » est, comme vous le rappelez dans votre ouvrage consacré à cette question, l’idée de « création » artistique : « Aucune esthétique philosophique n’aurait pu voir le jour sans la constitution des idées de création autonome et de sujet créateur » [8]. L’autonomie esthétique a ainsi été rendue possible grâce à l’émergence de l’idée moderne de l’« artiste » en tant que « créateur » original (ou « génial ») dont l’œuvre serait susceptible de faire concurrence à celle de Dieu lui-même - une idée apparue au moment de la Renaissance, plus précisément en Italie au moment du quattrocento, et qui s’est largement développée au cours des siècles suivants dans la culture européenne. Ainsi, on pourrait donc dire, schématiquement, que l’on est passé d’une esthétique « classique » (inspirée d’Aristote) de l’imitation de la nature ou de la « mimesis », à une esthétique moderne de la création de formes originales - ou « poiesis » ?
18MJ : Plusieurs facteurs concourent à l’émergence de l’autonomie esthétique. On parle bien de l’esthétique comme réflexion autonome, indépendante des tutelles religieuse, métaphysique, politique ou morale. La remise en cause de la scolastique, c’est-à-dire de l’héritage d’Aristote et aussi, plus généralement, de la pensée antique, dès le xve siècle, notamment grâce aux écrits d’Érasme, aux travaux des humanistes et aux critiques virulentes de la Réforme engendre une nouvelle vision du monde, une Weltanschauung caractérisée par un changement fondamental de la relation entre l’homme et la nature. L’idée que l’homme puisse être un créateur de formes, de valeurs d’œuvres s’impose dès lors qu’il n’est plus considéré comme le rival de Dieu mais comme le serviteur de l’omnipotence divine à laquelle ses actions ne cessent de rendre hommage. Il ne s’agit donc pas de concurrencer Dieu. C’est justement parce qu’il reste créature - Dieu étant incréé - que l’homme, ou plus exactement l’artiste, peut se voir reconnaître une capacité de création dans les limites que Dieu lui a imposées. C’est effectivement à la Renaissance, et en particulier pendant la période du Quattrocento italien, que sont tirées les conséquences de cette autonomisation de l’idée de création, notamment sur le plan du statut social de l’artiste, de sa reconnaissance, de son rôle et de sa fonction à l’intérieur de la société. Tous les artistes de cette époque, qu’il s’agisse d’Alberti au xve siècle, ou un peu plus tard de Léonard de Vinci ou de Michel-Ange, entendent être reconnus en tant qu’artistes, détenteurs d’un savoir considérable dans presque toutes les disciplines, et non plus artisan. Dans mon livre, je cite ce portrait en quelques mots que le peintre florentin Landino trace de ses contemporains et qui résume très bien la conception que la Renaissance se fait de l’artiste créateur : « Fra Filippo Lippi peignait avec grâce et ornement ; il était excessivement habile et il fut excellent […] également pour les ornements qu’il les imitât ou qu’il les inventât. Andrea del Castagno a été un grand maître du dessin et du relief ; il aimait particulièrement les difficultés de son art et les effets de perspective ; il était plein de vie et très prompt, il avait une grande aisance dans le travail […]. Fra Angelico était enjoué, dévot, très orné et doué de la plus grande aisance ».
19À la Renaissance, c’est donc l’homme, comme artiste et comme objet de représentation picturale ou sculpturale, qui prend la mesure de l’acte créateur, qui est toutefois un acte de dévotion à Dieu. Le beau est défini comme harmonie, convenance raisonnable, dépendant du savoir rationnel et scientifique. La période classique, au siècle suivant, hérite de problèmes non résolus concernant d’autres définitions possibles de la beauté – naturelle ou artistique – sur le rôle du sentiment, de l’imagination et surtout sur la question du goût. Mais la voie est évidemment ouverte vers la subjectivité, celle du jugement de goût justement et donc de la critique.
20JCP : Seriez-vous d’accord pour dire qu’il s’est produit une « subjectivisation » du beau au cours de l’époque « moderne » (au sens où nous avons déjà défini ce terme ci-dessus), affectant aussi bien, du reste, le « producteur » que le « récepteur » de ces objets particuliers appelés désormais « œuvres d’arts » ? La beauté ne résiderait plus dès lors dans l’ordre naturel des choses du monde, mais dans l’âme du sujet qui est capable de la voir et/ou d’en rendre les effets dans son œuvre. C’est là, en tout cas, une vue générale de l’histoire de la pensée esthétique occidentale que résume assez bien le propos suivant de Montesquieu : « Ce sont les différents plaisirs de notre âme qui forment les objets du goût, comme le beau … Les Anciens n’avaient pas très bien démêlé ceci. Ils regardaient comme des qualités positives toutes les qualités relatives à notre âme … Les sources du Beau, du Bon, de l’Agréable sont donc dans nous-mêmes ; et en chercher la raison, c’est chercher la cause des plaisirs de notre âme » [9]. Est-ce que cette présentation historique, malgré son caractère sans doute trop général, vous paraît correcte ? Et peut-on dire, en ce sens, que l’intérêt pour l’art et le beau en tant que tels est une préoccupation caractéristique des Modernes, qui distingue nettement ceux-ci des Anciens ?
21MJ : On peut parler effectivement de subjectivisation du beau, processus « moderne » qui s’accompagne également d’une désacralisation progressive de la sphère esthétique et artistique. Les deux phénomènes sont liés : distance vis-à-vis des dogmes religieux, plus généralement vis-à-vis du sacré (pas trop tout de même jusqu’au xixe siècle) et montée en puissance du sujet autonome. Ce processus, on le pressent déjà chez Descartes qui considérait que le beau n’est pas mesurable car beaucoup trop dépendant des caprices de l’individu. On voit le problème : si le beau échappe à toute mesure rationnelle – on est loin du pythagorisme d’un Platon – qu’est-ce qui peut permettre de le déterminer, de l’évaluer : la sensibilité, le sentiment ? La phrase de Montesquieu – à mettre en relation avec ses vitupérations contre les survivances, à son époque, de la pensée antique – résume à elle seule ce qui est presque de l’ordre d’une révolution copernicienne esthétique à la manière de Kant. Pour résumer, et paraphraser Protagoras, en art, c’est le sujet esthétique qui devient la mesure de toute chose. Et si, pour Kant, la beauté demeure le symbole de la moralité et du bon, Hegel, dans son Cours d’esthétique, est l’un des premiers à pressentir cette subjectivisation de la sphère artistique, et à séparer l’esthétique de la morale.
22JCP : Mais il y a tout de même ici un paradoxe me semble-t-il. S’il est vrai en effet que l’évolution historique résumée à grands traits ci-dessus explique en grande partie l’émergence d’un intérêt spécifique pour le beau qui serait proprement moderne – et plus précisément : l’émergence de la pensée esthétique du xviiie siècle dont Emmanuel Kant a tenté de synthétiser les différentes tendances dans sa Critique de la faculté de juger (1790) –, ne comporte-t-elle pas aussi le risque de voir cet intérêt pour le beau s’effacer progressivement derrière l’affirmation de l’autonomie ou de la liberté du sujet – que ce soit la liberté de la création ou bien la liberté du jugement ? Si tant est que l’artiste puise au fond de son être individuel, et non dans les modèles que lui présente la nature, l’« inspiration » qui lui permet de « créer », alors sa puissance créatrice n’a-t-elle pas plus d’importance et de valeur en elle-même que la réalisation de ses œuvres ? Le pouvoir d’inventer du nouveau ne menace-t-il pas de l’emporter sur la capacité de saisir la beauté ? Bref, ne risque-t-on pas de voir les notions d’« œuvre », d’« art » et de « beau » ainsi relativisées, sinon reléguées à l’arrière-plan ? Dit autrement : la conception « moderne » de l’art (celle qui est née en Italie à la Renaissance et que nous venons d’évoquer, par opposition à une conception « antique ») ne contient-elle pas en germe les tendances qui s’affirmeront avec virulence dans la période suivante, à savoir celle qui correspond à l’émergence de ce que l’on appelle « l’art moderne » - mais cette fois en un tout autre sens du mot « moderne » ? (Jean Clair, dans un essai de 1997, opposait deux sens du mot moderne : « Autrefois norme, équilibre, mesure et même harmonie, accord avec le temps, le moderne devient à l’inverse excès, démesure, inquiétude, dissonance » [10])
23MJ : Que l’autonomie du sujet et l’invention du nouveau puissent porter préjudice au beau et la modernité faire tort à la beauté ? Je crois que c’est tout le contraire. Pourquoi ? Parce qu’il est impossible, aujourd’hui, de penser l’art avec une idée de beau, dont nous avons dit, sans même revenir à Socrate ou à Descartes, que le beau n’est pas définissable. Ne revenons pas là-dessus. L’autonomie esthétique signifie que la référence à un concept de beau idéalisé, idéaliste, beau en soi ou beauté idéale, type Idée platonicienne, située dans un arrière-monde transcendant, est caduque. Si l’on veut éviter toute confusion, il faut éviter de parler de conception « moderne » de l’art à la Renaissance par opposition à la conception antique. La Renaissance, quelle que soit l’extraordinaire fécondité artistique qu’engendrent le renouvellement des formes, des styles, des matériaux et l’esprit de l’humanisme, ne rompt pas avec le modèle antique, notamment en ce qui concerne les sources de son inspiration. Le principe d’imitation reste en vigueur, renforcé par la nouvelle convention perspectiviste élaborée par Alberti et Brunelleschi. La coupure entre les arts mécaniques et les arts libéraux en vigueur à cette époque est bien d’origine aristotélicienne. On en trouverait des survivances dans la séparation aujourd’hui encore nette entre les arts appliqués et les arts plastiques ! Pour éviter toute confusion, réservons le terme moderne – du moins en art – à l’invention du nouveau ou, pour reprendre l’intitulé de la récente exposition de Manet au musée d’Orsay, à l’invention du Moderne au xixe siècle. Je ne pense absolument pas que ce qui se produit à la Renaissance puis à l’époque classique contient en germe ce qu’on nomme l’art moderne. Le terme de modernité appliqué au domaine artistique, notamment à la peinture, n’apparaît qu’en 1823, chez Honoré de Balzac qui parle de la « riante mythologie de la modernité ». Il s’agit très vite, dans l’esprit de l’époque, d’écrire un autre « récit » que celui de l’Antiquité. La modernité, c’est donc la rupture avec le passé, la tradition, l’académisme, et une façon d’intégrer les profonds bouleversements qui affectent la société transformée par la révolution industrielle. La figure de Charles Baudelaire, dont l’œuvre enregistre et traduit les tensions et les paradoxes d’une époque encore partagée entre la tradition et le moderne, l’archaïsme et la nouveauté, l’éternité et l’éphémère, peut être ainsi considérée comme emblématique de la modernité artistique et culturelle. La référence à Jean Clair, notamment au texte dans lequel il assimile les avant-gardes aux totalitarismes du xxe siècle, introduit une regrettable confusion. Jean Clair affecte d’oublier que Baudelaire, lui-même, se fait l’avocat de la dissonance et l’apôtre de la « discrépance » (« Vous n’aimez pas la discrépance, la dissonance », déplore l’auteur des Fleurs du Mal dans L’Art romantique).
24L’idée de beauté – et non pas la beauté – ne s’est pas dissipée dans l’effervescence des premiers mouvements d’avant-garde du xixe siècle. Simplement, l’art délaisse désormais la transcendance du beau et du sublime. Il opère, aurait dit Gilles Deleuze, sur un plan d’immanence. Il ne renonce pas au beau, ni au sublime, ni au laid. Il absorbe le tout, libéré de tout idéalisme, et surtout de l’illusion selon laquelle il pourrait réenchanter le monde. Je trouve particulièrement révélateur de notre époque que la 11e biennale de Lyon s’intitulait « Une terrible beauté est née ». Cet oxymore est très éloquent. Il signifie que l’idée de beauté est qualifiable. Elle comporte des degrés, des nuances, elle est modulable et non pas absolue. On peut la dire fantastique, violente, intense, redoutable, prodigieuse, etc. Pourquoi pas ?
25JCP : Dans le prolongement de la question précédente, je souhaiterais aborder avec vous la question de ce que l’on appelle « l’art moderne » stricto sensu - avant d’en venir enfin à ce qui constitue notre actualité, à savoir la question de l’art dit « contemporain ». Même s’il est vrai, comme vous le soulignez dans La querelle de l’art contemporain, que les questions de chronologie et de périodisation en art sont « quasiment insolubles » [11], on peut néanmoins situer la naissance de « l’art moderne » au milieu du xixe siècle, qui marque l’essor de la révolution industrielle et la fin de l’âge romantique (Baudelaire publie Le peintre de la vie moderne en 1845), et on peut situer sa fin dans la seconde moitié du xxe siècle, au cours de la décennie 1970 (la biennale de Venise de 1980, en consacrant la « transavant-garde » et le « postmodernisme » semble avoir fait date à cet égard, sinon même avoir signé l’acte de décès de la modernité artistique). Êtes-vous d’accord, pour commencer, avec un tel découpage historique ?
26MJ : Je suis d’accord avec ce découpage … pour commencer.
27JCP : Ce qui caractérise avant tout la période couverte par « l’art moderne » est la rapide succession de divers courants artistiques nettement distincts et identifiés par des terminaisons en « -ismes », dont le dénominateur commun serait le constant souci d’innovation et de rupture par rapport aux courants antérieurs : réalisme, impressionnisme, pointillisme, fauvisme, cubisme, dadaïsme, surréalisme … C’est un art que l’on pourrait qualifier de « post-hégélien », au sens où il est profondément marqué par l’historicisme et où son obsession permanente du mouvement, du changement, de l’innovation et de l’avenir le conduit à rejeter sans cesse dans un passé révolu les conventions artistiques ayant été successivement établies, dans une sorte de course effrénée qui semble ne plus jamais devoir finir. Selon vous, Hegel se serait ainsi tenu au seuil de « l’art moderne » dont il aurait pressenti l’avènement : « l’art romantique n’est plus, mais l’art moderne pointe, et avec lui la liberté infinie de choisir selon sa subjectivité et de faire table rase du passé (…) Le mérite de Hegel est d’avoir pensé que la fin de l’art romantique marquait, en son temps, le seuil de l’art et de l’esthétique moderne » [12]. De ce point de vue, l’art moderne serait donc en rupture avec la longue période historico-artistique qui s’est ouverte en Europe à la fin du Moyen Âge et qui reposait fondamentalement sur les notions de « création », de « génie », d’« inspiration » et de « goût ». Ce qui justifierait a posteriori le propos bien connu de Hegel sur « la fin de l’art ». Mais en quoi consiste précisément ici la rupture ? En quoi est-elle une rupture plus radicale que tous les changements qui avaient déjà eu cours précédemment dans l’histoire de l’art ? Du reste, comme toute rupture, celle-ci n’est-elle pas aussi paradoxalement influencée par ce qui la précède, de sorte qu’elle serait en quelque manière aussi une continuation du passé ?
28MJ : Revenons rapidement à Hegel. Le philosophe meurt en 1831. Il se passionne pour tous les arts de son temps, notamment pour la peinture hollandaise et pour la musique, celle de Mozart et de Rossini, en particulier. En ce premier tiers du xixe siècle, il n’a aucun exemple concret de cet art qui va devenir « moderne » quelques petites décennies plus tard. Pourtant, il pressent l’importance des changements qui tendent déjà à bouleverser la société. Il parle du monde « agité », des ouvriers victimes de la division du travail et de la paupérisation, d’une industrie qui prépare sa révolution. L’art peut-il continuer à jouer désormais le rôle qu’il remplissait dans l’Antiquité, notamment chez les Grecs ? Peut-il satisfaire notre besoin d’absolu ? Peut-il encore concurrencer la religion et la philosophie ? On connaît les réponses : « Seul le présent existe dans toute sa fraîcheur, le reste est fané et flétri […] « Les beaux jours de l’art grec et l’âge d’or du Moyen Âge avancé sont révolus » – « Nul Homère, nul Sophocle, nul Dante, nul Arioste, nul Shakespeare ne peuvent plus être produits par notre époque », etc.
29On sait aussi les conclusions qu’en tire le philosophe, à savoir que la subjectivité de l’art s’affranchit désormais, des « conditions données de tel ou tel contenu et de telle ou telle forme ». Affranchi de toute contrainte « extérieure », l’artiste garde toute sa « liberté de choix et de production ». Parce qu’il ne peut plus, maintenant, à la fin de l’art romantique aller plus loin dans la spiritualisation et la subjectivisation, il cède la place à la philosophie de l’art – à l’esthétique en quelque sorte, mais Hegel n’aime pas ce terme – c’est-à-dire à une réflexion sur la fonction de l’art et sur sa place « dans l’ensemble de notre vie » précise-t-il.
30La rupture avec le paradigme « classique », pressentie par Hegel, est donc réelle. Que l’artiste puisse être libre de créer des formes et contenus inédits sans en rendre à qui que ce soit, est évidemment une brèche ouverte dans le système des beaux-arts édifié depuis le xviie siècle. Une autre rupture est en préparation, annoncée par la modernité, par la découverte, grâce à Niépce, de l’héliogravure, dès 1825 (Hegel est encore vivant), puis de la photographie, inventions qui dépossèdent la peinture et la sculpture de leur privilège de représenter fidèlement, « mimétiquement », la réalité de façon figurative, réaliste ou naturaliste. On sait que de nombreux peintres vont souffrir de cette concurrence évidemment déloyale à leurs yeux. Un autre paradigme est donc en train de naître, auquel est attaché parfois le nom de Baudelaire, paradigme qui prend corps avec les mouvements, les écoles, souvent en « -ismes », qui vont se succéder à partir de l’impressionnisme en 1874.
31Si l’effondrement avec la tradition n’est pas brutal, si l’académisme survit, si un certain néoclassicisme tente de résister, il n’empêche que l’ensemble des normes, canons, règles, conventions qui structurent le système artistique académique et traditionnel subit irrémédiablement une série de transgressions qui vont en nombre croissant : mise en cause de la figuration, de la représentation des volumes, des couleurs, avant même que naissent le cubisme et l’abstraction au début du xxe siècle.
32JCP : « L’art moderne » ne marquerait-il pas, paradoxalement, un retour à une conception somme toute antique ou « classique » de l’art, j’entends ici tout du moins : une conception idéaliste et intellectualiste, une conception selon laquelle les moyens esthétiques mis en œuvre par l’artiste pour produire une œuvre ne sont précisément que des « moyens » en vue d’une fin plus haute que l’art lui-même, à savoir la vérité, la connaissance ou le savoir – à ceci près que cette vérité (ou cette connaissance ou ce savoir) ne serait pas (comme chez Platon) une Idée éternelle et immuable, ni (comme chez Aristote) le bel ordonnancement de la nature susceptible d’être « imité » par l’artiste, mais un but futur qu’il s’agirait d’atteindre et même de réaliser, au travers d’un processus historique dont l’artiste devrait précisément se faire l’« agent » ? De là viendrait le peu d’intérêt des artistes modernes pour le beau … quand ils ne manifestent pas un goût prononcé pour la laideur ! Les impressionnistes ont tenté, d’une façon quasi-scientifique, de rendre sur la toile les données immédiates de la vision, par-delà les conventions artistiques et esthétiques établies – et dénoncées par eux comme « académisme ». Les cubistes voulurent par la suite également appréhender et montrer la réalité dans toutes ses dimensions, par-delà le cadre étroit de la vision subjective, et au mépris encore une fois des conventions et de l’esthétisme. Les dadaïstes entendaient dénoncer l’hypocrisie des conventions sociales, morales et bien entendu esthétiques, derrière lesquelles se dissimule l’ordre bourgeois, les surréalistes ont cherché à explorer les tréfonds obscurs et inquiétants de l’âme humaine, l’inconscient récemment découvert par Freud … Toutes ces tendances de « l’art moderne » pourraient, semble-t-il, être rassemblées sous le mot d’ordre du peintre Paul Klee selon lequel « l’art » ne doit pas « représenter » le visible mais plutôt « rendre visible », autrement dit : nous permettre d’atteindre l’essence du réel, par-delà les apparences des choses qui sont certes séduisantes mais trompeuses. En résumé : vous paraît-il correct de dire que « l’art moderne » entend rompre avec l’impératif du beau au nom d’une exigence supérieure de vérité ? L’art moderne est-il platonicien ?
33MJ : Je réponds tout de suite à la dernière interrogation : non, l’art moderne n’est pas platonicien en ce qu’il est, avant tout, l’expression de la subjectivité et renonce, comme je l’ai dit, à toute transcendance du beau. La modernité, produit des conditions historiques qui l’ont engendrée, abandonne le rêve trompeur, l’utopie fallacieuse – comme toute utopie – d’un monde harmonieux, réconcilié sous le charme d’une belle apparence. Elle marque donc effectivement la fin de l’harmonie, de la sublimation, de la transfiguration illusoire de la réalité en paradis universel. Elle intègre le laid ou la laideur comme une catégorie esthétique, non pas aberrante, mais comme un moment esthétique à part entière, nécessaire pour dénoncer le monde qui produit cette laideur. Je renvoie ici au magistral écrit de Karl Rosenkranz, philosophe allemand, hégélien convaincu, auteur, en 1853, d’une Esthétique du laid, dont s’inspirera, plus tard, Theodor Adorno dans sa Théorie esthétique. Contre ses détracteurs, Rosenkranz a eu beau jeu de renvoyer à Lessing et à sa façon très réaliste de traiter du laid et du repoussant dans son Laocoon. Le laid, tout comme le beau, ne descend pas sur terre en tombant du ciel étoilé. Rosenkranz a cette formule étonnante : « L’enfer n’est pas seulement religieux ou éthique, c’est aussi un enfer esthétique. […] C’est dans cet enfer du beau que nous voulons descendre. »
34On ne peut faire plus anti-platonicien, même si l’on peut s’avouer surpris par la définition qu’il donne du laid comme « beau négatif » qui tendrait à faire croire qu’il était encore sous le coup de l’idéal classique du beau… négativement. Belle dialectique en perspective ! Petite précision : la phrase exacte de Paul Klee, extraite d’une conférence donnée en 1924, est « Kunst gibt nichts Sichtbares wieder, Kunst macht sichtbar » que l’on peut traduire par « L’art ne reflète (restitue, reproduit) rien de visible mais rend visible ». S’il avait employé « représenter », sa remarque n’aurait eu aucun sens. Je ne pense pas qu’on puisse interpréter ce « slogan » de la modernité picturale dans un sens essentialiste. En opposition totale avec la « mimésis » et la figuration classique, Klee, ami des inventeurs de l’art abstrait, Vassili Kandinsky et de Franz Marc, veut dire que l’art a pour fonction de faire apparaître précisément ce qu’on ne voit pas dans la réalité parce que masqué par la quotidienneté. L’important, dans un tableau, n’est pas ce qui est présenté ou représenter sur la toile, mais ce qui est justement imprésentable. On retrouve ici la définition que le philosophe Jean-François Lyotard, parlant de peinture, nomme le « sublime », loin de toute vérité métaphysique.
35JCP : Revenons, si vous le voulez bien, sur l’un des aspects particulièrement frappants du paradoxe, déjà évoqué ci-dessus, concernant la volonté de « l’art moderne » de rompre avec le passé, avec la « tradition moderne » du « grand art ». Parmi les œuvres les plus emblématiques de la nouvelle période de l’art qui s’est ouverte dans la deuxième moitié du xixe siècle, dans le sillage de la révolution industrielle, on trouve les célèbres « ready-made » de Marcel Duchamp, et plus précisément son « œuvre » de 1917, l’urinoir en faïence baptisé « Fontaine ». Les « œuvres » de Duchamp sont-elles de « l’art » ? Peuvent-elles être comptées au nombre des objets à vocation principalement « esthétique », qui n’ont d’autre finalité que d’être contemplés pour eux-mêmes et non pas utilisés en vue de satisfaire des besoins ? Certes, Duchamp a paradoxalement réussi à intégrer son urinoir dans la catégorie des « œuvres d’art » … alors même que son intention première, inspirée du dadaïsme, était de faire voler en éclats les notions d’« œuvre », d’« art », de « goût », d’« esthétique » et de « beau ». Or c’est au prix d’une ambiguïté dont il a sans doute joué lui-même, mais dont il a aussi été en grande partie le jouet involontaire. Plusieurs décennies après qu’il eut fini de « produire » ses ready-made, Duchamp devait faire le constat d’une difficulté dont on peut dire qu’elle concerne les œuvres relevant de « l’art moderne » dans leur ensemble : à savoir que le geste de refus des conventions artistiques et esthétiques qui caractérise cette époque de l’histoire de l’art, a régulièrement été l’objet au cours du xxe siècle de ce que l’on pourrait appeler une « récupération » par le « système » artistique - par l’ensemble des institutions, des acteurs, et même des spectateurs ou du public qui font que quelque chose comme « l’art » existe. Ainsi, alors que Duchamp dénonçait en 1962 l’ambiguïté de ses successeurs et héritiers en « art moderne », il semble bien que sa propre critique puisse être retournée contre lui-même : « Ce néodada qui se nomme maintenant Nouveau Réalisme, Pop’Art, assemblage … est une distraction à bon marché qui vit de ce que Dada a fait. Lorsque j’ai découvert les ready-made, j’espérais décourager ce carnaval d’esthétisme. Mais les néodadaïstes utilisent les ready-made pour leur découvrir une valeur esthétique. Je leur ai jeté le porte-bouteilles et l’urinoir à la tête comme une provocation et voilà qu’ils en admirent la beauté » [13]. Bref, « l’art moderne » qui se pense en rupture avec la « tradition moderne » de « l’art », issue du quattrocento, ne serait-il rien d’autre que sa continuation par d’autres moyens ? Ce « double jeu » ou cette « duplicité » ne trahit-elle pas l’impossibilité de sortir du cadre institutionnel et du système de valeurs que la tradition de la modernité nous a légué – et donc de l’impossibilité de renoncer à « l’art », à la « création », au « goût » et, in fine, à l’« esthétique » et au « beau » ?
36MJ : Quelques précisions et mises au point sur Marcel Duchamp. Écartons d’emblée les stupidités proférées pendant de la crise de l’art à la fin des années 1990. Certains historiens de l’art et contempteurs de l’art contemporain n’ont pas hésité à considérer Marcel Duchamp comme le « père » de la décadence de l’art du xxe siècle, principal responsable de sa prétendue déchéance. Le ready-made et les objets qui inaugurent la série – la roue de bicyclette, le porte-bouteilles, l’urinoir, le peigne, la pelle à neige, etc. – qui tous ne sont pas des ready-made mais seront ainsi qualifiés plus tard, sont clairement des provocations iconoclastes et de mauvais goût. Duchamp en était parfaitement conscient et vous avez raison de rappeler ce qu’il en disait lui-même, à savoir qu’on peut faire « avaler n’importe quoi aux gens » lesquels vont réussir à se délecter du non-délectable.
37Mais ce serait une erreur historique, du moins au regard de l’histoire de l’art, d’inscrire le ready-made dans le sillage des mouvements d’avant-garde du xixe siècle. Duchamp n’a jamais considéré son ready-made comme une œuvre d’art, tout au plus comme un objet d’art érigé par l’institution, et non pas par lui-même, à la « dignité » d’œuvre d’art. Le ready-made est avant tout un geste inédit, unique en principe non rééditable. C’est une sorte d’hapax artistique, un canular dadaïste qui piège, très longtemps après son apparition, l’institution de l’art. « Fountain » (1917) n’attira véritablement l’attention que peu de temps avant la Seconde Guerre mondiale et ne fut véritablement connue qu’en 1964. Dans les années 1910, l’œuvre que l’on peut considérer comme s’inscrivant dans le sillage de l’art moderne, est Nu descendant un escalier (1912), d’inspiration plus ou moins futuriste et cubiste, exposée à New York en 1913, la même année que la Roue de Bicyclette.
38Il reste que cette action a déstabilisé le monde traditionnel de l’art. L’« anartiste » qui publie sous le pseudonyme Marchand du Sel, contrepèterie anodine, se déclare hostile envers la « peinture rétinienne », la peinture de chevalet et l’académisme. Il bouscule les paramètres artistiques qui déterminent habituellement le goût artistique. Il remet en cause le monde de représentation picturale en vigueur depuis la Renaissance. Il déplace, voire transgresse les frontières traditionnelles de l’art. Enfin, il oblige à détourner le regard de l’objet banal, sans intérêt ni artistique ni esthétique, vers l’originalité du geste : mouvement d’abstraction, de dématérialisation de la chose artistique qui, si elle évoque – de loin – la « cosa mentale », l’activité intellectuelle chère à Léonard de Vinci, enclenche surtout le processus de dématérialisation de l’objet d’art, de minimalisme, de conceptualisation, autant de tendances artistiques marquantes à partir des années 1960.
39Cela fait évidemment beaucoup pour un seul homme. Simplement, ce n’est pas un seul homme qui, au début du xxe siècle, a miné le terrain de l’art en enfouissant, ici et là, ce que j’appelle des « mines à effet retard ». Le monde de l’art, sur un plan international, s’est très vite remis des facéties dadaïstes et n’a pas tardé à exploiter ce qui très vite est apparu comme un filon rentable. Aujourd’hui, et depuis déjà plusieurs décennies, la puissante machine culturelle qui exploite le fonds artistique mondial n’a rien de commun avec le cadre institutionnel et le système de valeurs légués par la modernité. Le système culturel postmoderne est en mesure d’intégrer tous les formes et tous les styles, les matériaux et les procédures de l’art passé, moderne et actuel. Les catégories traditionnelles d’art, de création, de goût, d’esthétique, de beau se sont, en quelque sorte, réfugiées dans la sphère privée. Rien ni personne ne vous empêche, en tant qu’individu, d’apprécier, de juger, de trouver une œuvre belle ou laide, etc. Mais, elles n’ont plus valeur de normes et n’ont plus guère de pertinence dès lors qu’elles obéissent à une logique culturelle – et non plus à une logique esthétique – qui est celle du marché et de la spéculation.
40JCP : Venons-en, enfin, à « l’art contemporain », qui lui aussi s’inscrit en rupture – et donc aussi en quelque manière en continuité – avec « l’art moderne ». Là encore, la périodisation ne va pas sans poser de problème. On peut considérer que « l’art contemporain » est apparu presque subrepticement au cours des années 1960-1970, moins semblet-il à cause d’une volonté organisée de rupture avec le passé de la part des artistes concernés, que par une sorte d’épuisement des mouvements modernistes du xxe siècle. Il s’agissait en quelque sorte, aussi paradoxal que cela puisse paraître, de rompre avec la volonté de rupture et d’innovation qui caractérise la « modernité artistique » au xxe siècle, en s’autorisant notamment à revisiter librement le passé plus lointain, à réintroduire le souci de l’ornement, de l’agréable, voire du beau … Il semble toutefois possible de dater précisément la naissance du terme « postmoderne » appliqué à cette tendance, lequel est utilisé pour la première fois en 1975 par Charles Jencks, un (alors) jeune architecte américain opposé au « fonctionnalisme » qui caractérise l’architecture moderne du xxe siècle dans son ensemble - sous l’influence notamment du « Bauhaus » de Walter Gropius, ce mouvement moderniste né en Allemagne au début des années 1920. Est-ce là selon vous un repère pertinent – parmi d’autres possibles bien entendu ?
41MJ : Le repère est pertinent en ce qui concerne l’histoire de l’architecture postmoderne, née de la réaction d’un certain nombre d’architectes, tels Charles Moore, contre la modernité et le fonctionnalisme de l’École de Chicago, elle-même issue du Bauhaus. En fait, les polémiques ont commencé aux États-Unis dans les années soixante. Les architectes américains, dont Moore, Robert Venturi, Oswald Mathias Ungers, Aldo Rossi, s’opposent au modernisme puriste des héritiers de Gropius et de Le Corbusier et renouvellent le vocabulaire et la grammaire architecturale. Tel est d’ailleurs à peu près le titre de l’ouvrage du critique d’architecture Charles Jencks, écrit en 1977 et publié en 1978 : The Language of Post-Modern Architecture. Il s’agit clairement de rejeter le nouveau style international et de revisiter la modernité. Les architectes renouent avec la fonction symbolique et communicationnelle des édifices et accordent une place primordiale à la façade, à la décoration, à l’ornement en empruntant au passé, fût-il lointain : chapiteau, colonnades, etc. En ce qui concerne les autres arts, notamment la peinture et la sculpture, c’est l’ouvrage du critique d’art italien Achille Bonito Oliva sur la Transavant-garde (en 1979), terme rassemblant sous un même vocable la pluralité des mouvements néoexpressionnistes et néofiguratifs en Italie, qui va lancer internationalement, par la suite, ce courant qu’on va nommer rapidement le postmodernisme. Pluralité des styles, historicisme, citations, éclectisme, historicisme, hybridation des formes et des matériaux vont infiltrer tous les arts, en particulier les arts plastiques, dès les années 1980.
42JCP : En ce qui concerne la tendance dite « contemporaine » de l’art actuel à proprement parler (tout l’art actuel n’étant pas « contemporain » au sens strict !), la difficulté est redoublée du fait que ce qui la caractérise essentiellement … c’est sa « diversité » et son « pluralisme », de sorte qu’il paraît difficile de l’identifier et de la définir précisément. L’un des principaux problèmes posés par cette nouvelle époque de l’art est donc celui des critères permettant de l’évaluer, de la juger. Négativement, on peut définir cet art selon vous de la façon suivante : « On qualifiera de contemporaine une tendance, ou une œuvre, qui n’appartient à aucun des mouvements ou courants dûment répertoriés dans l’histoire de l’art moderne ». Positivement, vous le caractérisez ainsi : « Le renouvellement, l’appropriation, l’hybridation, le métissage des matériaux, des formes, des styles et des procédés – librement utilisés sans souci de hiérarchisation – jouent un rôle essentiel dans cette “contemporanéité” » [14]. Y a-t-il des caractéristiques plus précises qui permettraient d’identifier cet ensemble disparate que l’on désigne habituellement sous l’étiquette de « l’art contemporain », sans toujours bien savoir ce qu’elle recouvre ?
43MJ : La postmodernité signe la fin des tendances, des écoles, des courants dominants. Ce que l’on nomme « art contemporain » hérite directement de cette disparition. Je maintiens ma définition négative, tout en ajoutant un élément afin de répondre plus précisément à la question de l’identification. « Art contemporain » est devenu, au fil du temps, un label attribué par l’institution publique (ministère de la culture) et les institutions privées pour qualifier les œuvres d’art qui ont réussi à franchir sans encombre le véritable parcours du combattant la voie périlleuse de la reconnaissance. Les obstacles, c’est-à-dire le circuit des médiations obligées mises en place par le monde de l’art pour qu’un artiste, jouissant au départ d’une notoriété « locale », provinciale, puis nationale accède au statut d’artiste international puis atteindre le public, sont nombreux : conservateurs, commissaires d’exposition, critiques d’art, experts, historiens de l’art, galeristes, commissaires priseurs, collectionneurs, marchands, etc., j’en passe ! Reste la question de la valorisation de l’art contemporain, une question qui préoccupe fréquemment le public non averti et peu au courant des méthodes de « cotation » des artistes. Ce public peut avoir l’impression que cette valeur et cette qualité dépendent plus de l’efficacité de la chaîne des médiations et de la médiatisation, de la mode et de la spéculation financière, que des propriétés des œuvres. La presque totalité des productions inscrites sous le label « art contemporain » – si l’on prend quelques exemples – sont ici concernées : cela va des artistes post-duchampiens – tel l’artiste américain Robert Gober - à Christian Boltanski, à Wim Delvoye, à Damien Hirst, à Lucian Freud, à Jeff Koons, à Maurizio Cattelan. Tous ces artistes, auteurs d’œuvres souvent remarquables, alimentent le business des biens culturels. Un business mondial : l’art contemporain international donne lieu à une spéculation active et rentable sur le marché globalisé de l’art. La galerie londonienne Saatchi et son agence de communication Saatchi & Saatchi investissent des millions de dollars dans l’art actuel. Elle peut se permettre d’accueillir un installateur comme Damien Hirst, connu en particulier pour conserver dans du formol divers cadavres d’animaux : requin, vache, fœtus de veau, etc. En août 2007, Damien Hirst bat un record en cédant pour 100 millions de dollars une pièce intitulée For the Love of God, réplique en platine du crâne d’un homme décédé au siècle, incrustée de 8 601 diamants.
44Toutefois, l’art contemporain ne se réduit pas à ces quelques d’affiches, qui se situent au hit-parade du classement mondial des artistes, ce qu’on appelle le Kunstkompass. Et j’ajouterai à ma définition négative que cet art hétérogène nécessite au plus haut point un régime d’évaluation, de discussion, d’argumentation applicable à chaque œuvre particulière et non pas à l’art contemporain en général, expression qui, si l’on y regarde bien, ne veut rien dire.
45JCP : Cette nouvelle tendance de l’art est régulièrement l’objet d’attaques virulentes depuis une trentaine d’années de la part d’intellectuels, essayistes, philosophes, écrivains ou critiques d’art, ce qui crée les conditions d’une « crise » (si l’on reprend le titre de l’ouvrage d’Yves Michaud paru en 1997) [15] ou bien d’une « querelle », pour reprendre votre propre terme - dans l’ouvrage, déjà cité, qui nous intéresse ici. Voici comment vous résumez ce débat, ou plutôt ce procès, dans lequel les arguments « à charge » se réduisent à un slogan aussi lancinant qu’indigent, et reposent en outre, comme vous le soulignez, sur une contradiction flagrante : « Le « n’importe quoi » si souvent reproché aux pratiques contemporaines exclut, par définition, toute référence à un idéal de beauté. Le beau ayant déserté la sphère artistique, certains en tirent la conclusion évidente : l’art n’est plus art et l’œuvre d’art n’est plus une œuvre d’art » [16]. Selon vous, il serait donc contradictoire de reprocher à l’art dit « contemporain » de ne pas se conformer à des critères artistiques et esthétiques que, précisément, celui-ci récuse – et qui sont souvent associés, du reste, dans l’esprit de ses détracteurs, à une esthétique « traditionnelle » aux contours assez flous, celle d’un « grand art » qui se situe généralement dans un passé aussi idéalisé qu’incertain ?
46MJ : Accuser les œuvres contemporaines d’être n’importe quoi et de les condamner sous prétexte qu’elles ne respectent les critères qu’elles entendent précisément remettre en cause est évidemment contradictoire. Le débat des années 1990 a tourné court en partie à cause de ce genre d’arguties. Les détracteurs de l’art contemporain ont refusé de voir que le prétendu n’importe quoi – qui, au demeurant, n’est pas fait n’importe où, n’importe quand et par n’importe qui – est capable de provoquer d’intéressant sur le plan de l’expérience esthétique, quelque chose d’autre qu’une vague référence à la beauté.
47JCP : Or cette situation ne signifie pas, toujours selon vous, qu’il faille abdiquer toute volonté de jugement ou d’évaluation des œuvres en question, tout au contraire ! Si je vous comprends correctement, il semble que l’on pourrait même aller jusqu’à dire que « l’art contemporain » constitue en quelque sorte une chance historique, dans la mesure où il nous oblige à revoir de fond en comble nos critères de pensée et de jugement concernant ce qu’il est convenu d’appeler « l’art » - étant entendu que si « crise » il y a, celle-ci toucherait moins les œuvres d’art elles-mêmes, ni même les artistes ou leur public, ni enfin le « monde de l’art » en général (institutions publiques ou privées, collectionneurs, critiques, connaisseurs etc.), que le discours esthétique et philosophique sur l’art : « Plutôt que d’une crise de la légitimité de l’art ou d’une crise de la représentation de l’art, écrivez-vous, mieux vaudrait parler, d’une crise du discours esthétique dans sa tentative de prendre en charge la création actuelle » [17]. Pensez-vous donc que la situation actuelle de l’art soit riche de promesses pour une réflexion esthétique censée prendre en charge une interrogation sur les critères de l’art et du beau ? Quelles raisons avez-vous (et pouvez-vous nous donner) de ne pas céder aux sirènes de la nostalgie et du conservatisme en la matière – alors que résonnent sans cesse dans le débat public les échos de polémiques récurrentes, des années 1980 à nos jours, de l’installation définitive des colonnes de Buren au Palais-Royal jusqu’à l’exposition, plus récemment, des « œuvres » de Jeff Koons ou Takashi Murakami à Versailles [18] ?
48MJ : C’est précisément parce que les critères qui nous permettaient de juger l’art du passé semblent obsolètes ou ont disparu qu’il revient à l’esthétique et à la philosophie de l’art de retrouver des repères d’évaluation autre que les « critères » purement économiques, de rentabilité ou de spéculation utilisés par le marché international de l’art. Dans un monde artistique frappé lui aussi par une sorte de dérégulation, dans l’absence de normes imposées d’en-haut, seul un discours esthétique argumenté et rationnel, entre spécialistes et public, experts et profanes peut permettre de s’y retrouver. La beauté n’est plus ce qu’elle était, soit. Mais s’arrêter à cela, est faire preuve d’une naïveté un peu ridicule. Le monde non plus n’est plus ce qu’il était. Baudelaire, à l’époque de la révolution industrielle avait compris que le monde devenait dissonant, discordant. Theodor Adorno se demande si la création poétique, voire toute création, est encore impossible après Auschwitz. Et dans des sociétés en crise généralisée, désorientées et chaotiques, l’art continue aujourd’hui d’enregistrer les soubresauts du monde. Mais l’art contemporain ne se résume pas à quelques œuvres spectaculaires comme celles que nous venons d’évoquer, promues par le marché international de l’art et par notre système culturel. Contrairement à ce que pensent certains spécialistes de l’art contemporain, en adéquation d’ailleurs avec l’air du temps, la création artistique actuelle n’est pas entièrement placée sous le régime de l’émotion. Elle reste très souvent transgressive, dérangeante et s’adresse autant à l’intellect qu’à la sensibilité. Pour reprendre et paraphraser une expression du philosophe Jacques Rancière, il ne s’agit pas uniquement de « partager le sensible » mais de partager le sens et la signification. Quelques exemples : Un Hula Hoop en fil de fer barbelé qui, petit à petit, au rythme des rotations, mord jusqu’au sang dans la chair, les hanches et le ventre d’un très beau corps de jeune femme nue est l’une des œuvres vidéo - Barbed Hula - qui m’ont le plus troublé récemment. C’est une œuvre de l’artiste israélienne Sigalit Landau qui, dans ce film, se met en scène elle-même. Cette œuvre recèle selon moi tous les éléments du trouble esthétique certain. Comme on ne repère pas immédiatement les barbes de métal du cerceau, on croit voir une scène érotique – Sigalit Landau se tient de face, dos à la mer, sur une plage – mais la cruauté du dispositif ne tarde pas à se révéler et l’on comprend peu à peu la signification de cette performance. La portée politique est facile à déchiffrer. Les barbelés renvoient à la frontière entre Gaza, la Palestine et Israël, à l’atrocité d’une guerre permanente. C’est la révélation progressive de son caractère sacrificiel, rituel et douloureux qui rend cette scène éminemment émouvante … j’ai même envie de dire « belle » ! Les polémiques et les controverses à propos de l’art contemporain sont là pour témoigner de la vitalité et de la fécondité de la création artistique actuelle. Cet art est infiniment inventif. Il multiplie les configurations à l’infini, déroute les attentes, infiltre la vie quotidienne. Qu’il alimente les nostalgies, cela a été le cas pratiquement à toutes les époques. Très souvent, les polémiques sur les œuvres d’art contemporain, lorsqu’elles ne sont pas uniquement le fait de préjugés, de partis pris idéologiques, révèlent surtout une totale méconnaissance de l’histoire de l’art, de l’histoire des formes, des procédures, des styles. Elles ignorent ou affectent d’ignorer que l’histoire de l’art occidental pourrait s’écrire sous la forme d’une histoire des transgressions qui se sont succédé pendant des siècles. Les exemples que vous citez, celui de Jeff Koons et de Takashi Murakami sont assez éclairants ici. Je laisse de côté le caractère provocateur ou ressenti comme tel relatif à l’exposition de ces artistes dans le château de Versailles. Leurs œuvres ont provoqué un déchaînement spectaculaire de réactions extrêmement virulentes caractérisées par l’absence totale d’analyse artistique et esthétique de l’œuvre de Murakami. Or, à la différence des œuvres kitsch de Jeff Koons, le travail extrêmement élaboré de l’artiste japonais était, sur le plan plastique et celui de l’idée, le plus cohérent par rapport au lieu. Personne n’a signalé ce fait, sauf l’artiste lui-même, pas plus qu’on a noté le caractère humoristique et un peu ironique des représentations à la fois puériles et ludiques de ses représentations inspirées des mangas. À l’époque, dans Le Monde, j’ai même parlé de séduction et du côté ludique de cette installation temporaire. Il m’apparaissait important de faire front contre l’incroyable hargne que pouvait susciter une telle œuvre.
49JCP : Je voudrais préciser ma question concernant les critères d’évaluation de l’art « contemporain » et donc de l’actualité de la réflexion esthétique. Il semble que, si la philosophie analytique d’inspiration anglo-saxonne soit particulièrement « en phase » avec cette nouvelle tendance de l’art apparue au cours de la décennie 1970, notamment en raison du fait qu’elle est davantage « descriptive » et moins « normative » que la philosophie dite « continentale » – vous évoquez, dans votre dernier ouvrage, les travaux d’Arthur Danto, de George Dickie ou encore de Nelson Goodman, pour ne citer que ces penseurs –, elle suscite néanmoins chez vous des réserves. Est-ce seulement parce qu’il s’agit d’un courant philosophique qui est étroitement lié au contexte historico-social actuel et qui semble manquer du recul critique nécessaire qui lui permettrait de mettre « l’art contemporain » en perspective, notamment au regard de l’histoire de l’art, ainsi que de l’histoire sociale et politique dans son ensemble ?
50MJ : Le mérite de la philosophie anglo-saxonne a été d’éclairer le problème de la définition de l’art sous un jour nouveau, à partir du geste de Marcel Duchamp. La philosophie analytique, et ses variantes pragmatiste, fonctionnaliste ou institutionnelle, permettent de résoudre les questions insolubles, plus ou moins néo ou post-platoniciennes, que se pose la théorie traditionnelle de l’art concernant le problème ontologique de l’art et de l’œuvre d’art : qu’est-ce que l’art ? À ces interrogations de type essentialiste, elles substituent des questions existentielles du type : Quand y a-t-il art ? Ou bien : Quand un objet fonctionne-t-il comme œuvre d’art ? En attirant l’attention sur nos usages linguistiques, ou en tenant compte des interactions entre l’œuvre, l’artiste et le « monde de l’art », on éclaire ainsi certains aspects de l’art contemporain, souvent mal compris, en rupture avec les formes, les matériaux et les procédures du passé. On parvient ainsi à montrer que la création actuelle, déroutante, profondément marquée par Marcel Duchamp et ses ready-made provocants, n’est pas nécessairement n’importe quoi, ou si elle l’est, ce ne peut être qu’avec la complicité soit de l’institution, soit du public, soit encore du marché. Mes réserves tiennent au fait que ces théories, qui connaissent toujours un succès considérable dans les milieux philosophiques européens, s’accordent parfaitement avec l’idéologie pragmatiste nord-américaine. Elles s’accommodent difficilement d’une philosophie de l’art, celle de tradition européenne, qui nous est historiquement, culturellement et intellectuellement plus familière, une philosophie de l’art qui conserve l’idée que les œuvres d’art, et plus généralement toutes les créations aussi bien artistiques qu’intellectuelles, recèlent un potentiel critique qui les rend rebelles à leur intégration pure et simple dans le système actuel.
51JCP : Mais s’il est vrai, d’une part, que l’esthétique philosophique moderne de type « continental » – notamment celle d’inspiration kantienne – s’avère inopérante pour juger des œuvres actuelles, et s’il s’avère, d’autre part, que la philosophie analytique ne nous donne pas les moyens suffisants pour réfléchir sur l’art d’aujourd’hui, où trouverons-nous les ressources nécessaires pour bâtir une réflexion esthétique en rapport avec le temps présent ?
52MJ : Chacune de ces philosophies recèle des éléments qui permettent de construire une esthétique du temps présent, l’esprit critique pour la tradition continentale, le pragmatisme pour la philosophie d’inspiration analytique. Mais il est vrai qu’entre des formes contemporaines de création et d’expression qui, en permanence, lui lancent de redoutables défis, et une mondialisation culturelle qui tend à lui retirer toute légitimation, la réflexion esthétique a donc fort à faire. Le « tout culturel » mercantile et mondialisé qui règne aujourd’hui est inquiétant dans la mesure où il crée une sorte de relativisme esthétique et un pluralisme consensuel érigé en nouveau paradigme culturel. Post-avant-gardiste, ce pluralisme consensuel repose sur l’idée qu’il peut exister une parfaite adéquation entre l’art, la culture, et plus généralement le travail intellectuel, d’une part, et le système politique et économique d’autre part. Ce nouveau paradigme esthétique et philosophique ne signifie rien d’autre que la dépolitisation de la sphère de l’art et l’épuration, ou la purification, d’une réflexion esthétique et philosophique débarrassée de toute trace d’élément critique à l’encontre du social, du politique et de l’idéologie. La démocratie libérale à l’occidental, y compris sous ses formes exportées en dehors même de l’Occident, posséderait désormais l’art et la culture qu’elle mérite, un art et une culture considérés comme porteurs des valeurs et des idéaux que le libéralisme démocratique exporte à travers le monde. En réalité, il suffit d’un peu de curiosité au philosophe, au sociologue ou à l’esthéticien pour prendre la mesure du hiatus qui existe entre les motivations et les propositions de certains artistes ou de certains intellectuels et le discours culturel dominant. L’enveloppe culturelle, mondialisée par les nouvelles technologies, témoigne chaque jour davantage de son aptitude à absorber et à désamorcer tout ce qui tenterait de s’opposer à un mécanisme institutionnel, médiatique et mercantile extrêmement performant et rentable. Chacun sait, par exemple dans le domaine de l’art contemporain, qu’on est passé depuis longtemps, comme je l’évoquais tout à l’heure, d’une posture esthétique vis-à-vis de la création artistique à une logique culturelle. Situation qui engendre ce qu’on appelle le consensus. Peu d’œuvre d’art détient aujourd’hui le pouvoir de faire scandale vis-à-vis d’une réalité économique et politique surpuissante capable de convertir l’art en culturel ou en dollars. Le principe de performativité actuel est en passe d’annihiler l’utopie – cette subversion du réel – que toute œuvre, pourtant, recèle en secret. Raison de plus pour faire de l’esthétique. On revient aux propos que nous avons échangés au début de cet entretien. L’esthétique, comme réflexion philosophique, a ouvert historiquement un espace inouï, celui de la critique, bien sûr, mais autrement dit celui de la crise - si tant est que l’étymologie autorise cette parenté - qui dépassant la question de l’art a affecté, comme on l’a dit, tous les principes d’autorité, métaphysique, philosophique, politique et religieux. Cela continue. Faire de l’esthétique, c’est toujours faire l’exercice de la liberté de pensée contre les multiples conditionnements intellectuels et prêts à penser culturels qui nous assaillent quotidiennement, surtout à l’ère du numérique et d’Internet. Et la liberté de pensée, qui constitue le principe même de la démarche philosophique, consiste - comme le disait Gilles Deleuze - à créer des concepts afin d’explorer le champ du sensible, du goût, de l’imagination, des passions, des intuitions, des émotions. En d’autres termes, c’est permettre à la double nature - nature souvent duelle - de l’homme, à la fois raison et sensibilité, de faire alliance. J’ai envie de dire que c’est en cela que l’esthétique est un humanisme.
53JCP : Monsieur Jimenez, je vous remercie pour cet entretien.
Notes
-
[1]
Dans ses Entretiens d’Ariste et d’Eugène, publiés en 1671.
-
[2]
Op. cit., p. 76.
-
[3]
Ibid., p. 77.
-
[4]
Gorgias, 503-e.
-
[5]
Qu’est-ce que l’esthétique ?, op. cit., p. 229.
-
[6]
Ibid.
-
[7]
Ibid., p. 231.
-
[8]
Ibid., p. 90.
-
[9]
Essai sur le goût, 1757.
-
[10]
J. Clair, La responsabilité de l’artiste, les avant-gardes entre terreur et raison, Gallimard, 1997.
-
[11]
Op. cit., p. 65.
-
[12]
Qu’est-ce que l’esthétique ?, op. cit., p. 199-202.
-
[13]
Cité dans La querelle de l’art contemporain, p. 83.
-
[14]
La querelle de l’art contemporain, op. cit., p. 152.
-
[15]
Y. Michaud, La crise de l’art contemporain, PUF, 1997.
-
[16]
La querelle de l’art contemporain, op. cit., p. 158.
-
[17]
Ibid., p. 313.
-
[18]
Respectivement en 2008 et 2010.