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Article de revue

L'obscurantisme démocratique. Prolégomènes à une déconstruction du discours intimidant

Pages 41 à 62

Notes

  • [1]
    A. Comte, Considérations philosophiques sur les sciences et les savants, réédité dans le Système de politique positive, Paris, Anthropos, 1970, t. IV, p. 143 (éd. originale : 1825).
  • [2]
    A. Comte, Cours de philosophie positive, leçon 1, rééd. Paris, Hermann, 1975, vol. I, p. 38 (éd. Originale : 1830).
  • [3]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, GF, t. I, p. 492, éd. Laski, t. I, p. 390 (éd. originale : 1835-1840).
  • [4]
    Voir notamment le § 242 de Par delà bien et mal, Œuvres Complètes, Gallimard, traduction de l’édition Colli-Montinari, sous la responsabilité de Gilles Deleuze et Maurice de Gandillac, t. VII, p. 161-162 (désormais : OC).
  • [5]
    L’analyse qui suit est volontairement symptomatologique et évite le piège du systématisme dans lequel s’enferment bon nombre de thèses indémontrables, notamment les thèses conspirationnistes.
  • [6]
    « Un bouddhiste se met à voyager en pays bouddhiste ; plus il voit de gens persuadés comme lui de la vérité des incarnations de Bouddha, plus sa foi en ses dogmes se fortifie » (G. Tarde, La logique sociale, Synthélabo, 1999, p. 133, éd. originale : 1893).
  • [7]
    Voir Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 17-18, éd. Laski, t. II, p. 18.
  • [8]
    Janet, L’amour et la haine, Paris, Maloine, 1932, p. 86.
  • [9]
    Janet, De l’angoisse à l’extase, Paris, Alcan, 1926, t. I, pp. 223-224.
  • [10]
    Pascal, Pensées, édition Brunschvicg n° 252 (Lafuma n° 821), Paris, GF, 1976, p. 123.
  • [11]
    Tarde observe cependant certains mouvements d’attraction vers le bas comme la pénétration de l’argot dans le parler des bourgeois, mais il n’en conclut pas à un fatal nivellement. Il y voit une imitation réciproque analogue aux échanges thermodynamiques : l’énergie se transfère plus massivement du corps chaud vers le corps froid que du froid vers le chaud. Voir Les lois de l’imitation, rééd. Kimé, 1993, p. 233-234 (2ème édition : 1895).
  • [12]
    Tarde, Les lois de l’imitation, p. 275.
  • [13]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 146, éd. Laski, t. II, p. 121.
  • [14]
    Janet, De l’angoisse à l’extase, t. I, p. 224.
  • [15]
    Expression employée (en toute bonne conscience) par Pierre-André Taguieff, dans La République menacée, Entretien avec Philippe Petit, Paris, Editions Textuel, 1996, p. 35.
  • [16]
    C’est ainsi que le libéralisme, subdivisé en libéralisme libertaire et libéralisme sécuritaire, peut se propager sous l’apparence d’un conflit gauche- droite.
  • [17]
    Nietzsche, Ecce homo, OC. t. VIII, p. 294.
  • [18]
    « Le vrai rôle du gouvernement n’est pas de gouverner les hommes […] c’est de leur apprendre à se gouverner eux-mêmes […] Tel doit être par-dessus tout le gouvernement démocratique : la vraie démocratie n’est pas celle où chacun peut devenir le maître de tous les autres, mais où tous sont leur propre maître » (Jules Barni, La morale dans la démocratie, Paris, Germer Baillière, 1868, p. 176).
  • [19]
    Catherine Kintzler, Tolérance et laïcité, Editions Pleins feux, 1998, p. 37.
  • [20]
    Catherine Kintzler, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Vrin, 2007, p. 33.
  • [21]
    Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985, p. 65.
  • [22]
    Sur « l’illusion des idéalistes », voir Nietzsche, Humain, trop humain, § 490, OC. t. III, vol. 1, p. 267.
  • [23]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 17, éd. Laski, t. II, p. 18.
  • [24]
    Tarde, Les lois de l’imitation, p. 250.
  • [25]
    Durkheim affirme que le groupe se pense lui-même dans des représentations collectives et qu’il y a donc une conscience collective qui a ses propres lois d’« idéation collective ». Non seulement les faits sociaux diffèrent en nature des faits psychologiques, mais ils ont « un autre substrat ». Embarrassé toutefois par ses propres affirmations et leurs éventuelles connotations ontologiques, il précise qu’il n’est pas nécessaire d’hypostasier la conscience collective : il la désigne par un terme spécial pour faire comprendre au lecteur que la méthode d’étude des phénomènes sociaux ne peut pas se réduire à la méthode utilisée par la psychologie et même par ce que l’on entend généralement sous le terme de psychologie sociale. Durkheim invite son lecteur à voir dans les distinctions qu’il opère des distinctions méthodologiques et non ontologiques. Voir Les règles de la méthode sociologique, PUF, Quadrige, 1999, Préface de la seconde édition (en particulier pp. XVII-XIX et p. 103 note).
  • [26]
    Durkheim, L’éducation morale, Paris, Alcan, 1934, p. 33.
  • [27]
    Ibid., p. 89.
  • [28]
    Rappelons que le mot « autorité » vient du latin auctoritas qui renvoie à auctor (auteur) et s’apparente au verbe augere (« augmenter »).
  • [29]
    Durkheim, L’individualisme et les intellectuels, Mille et une nuits, 2002, pp. 19-20 (éd. originale : 1898).
  • [30]
    Le raisonnement n’aurait aucune peine à démêler certaines incohérences dans les sermons multiculturalistes ; par exemple, il ne serait pas difficile de montrer qu’une France métissée serait un pays dans lequel, à terme, il n’y aurait plus de différences visibles, donc plus de « diversité » au sens idéologique du mot.
  • [31]
    Durkheim, Sociologie et philosophie, Paris, PUF, 1967, p. 79 (1ère édition : 1924).
  • [32]
    Alain, Définitions, Paris, NRF, 1953, p. 89.
  • [33]
    Sur le rapport des lois Gayssot à « l’éthique de la croyance », voir Jacques Bouveresse, Peut-on ne pas croire ? Marseille, Agone, 2007, p. 73.
  • [34]
    Très révélatrice, l’affaire Gouguenheim déclenchée en avril 2008 par un ouvrage de vulgarisation dans lequel l’historien médiéviste soutenait la thèse d’une filière occidentale dans la transmission de l’héritage grec. Pour avoir osé contester une vérité officielle, Gouguenheim subit la pression d’un certain nombre d’universitaires qui l’accusèrent d’islamophobie et de racisme et organisèrent contre lui des pétitions. Face à cette réaction déchaînée et totalement disproportionnée s’agissant d’un sujet aussi académique, des spécialistes de la question prirent sa défense, ainsi que des historiens polonais qui reconnurent dans ces méthodes d’intimidation les pratiques de l’époque soviétique.
  • [35]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. I, p. 353, éd. Laski, t. I, p. 266.
  • [36]
    Ibid., GF, t. I, p. 354, éd. Laski, t. I, p. 267.
  • [37]
    Ibid., GF, t. I, p. 355, éd. Laski, t. I, p. 267.
  • [38]
    L’ironie du révisionnisme, si l’on veut bien faire abstraction de son arrière-fond sinistre, consiste à prendre la démocratie en défaut en lui adressant une demande de « libre examen » dans un domaine où cette pratique intellectuelle n’est plus autorisée.
  • [39]
    Renaud Camus, La dictature de la petite bourgeoisie, Toulouse, Privat, 2005, p. 23.
  • [40]
    Durkheim, Textes, éd. de Minuit, 1975, t. 2, pp. 277-278.
  • [41]
    Comte, Catéchisme positiviste, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 215 (éd. originale : 1852).
  • [42]
    Ibid., pp. 215-216.
  • [43]
    Ibid., p. 216.
  • [44]
    Durkheim, L’éducation morale, p. 220.
  • [45]
    On va culpabiliser, par exemple, tout individu qui ose tenir des propos vaguement « eugénistes », donc politiquement incorrects, mais paradoxalement, on n’accusera jamais les responsables du dépistage prénatal et des lois sur l’avortement qui ont pourtant favorisé un eugénisme réel. Sur cet eugéniste non étatique, mais procédant de l’addition d’actes personnels encouragés par la pression sociale et les pouvoirs publics, on renvoie au livre de Catherine Bachelard-Jobard : L’eugénisme, la science et le droit, PUF, 2001, pp. 97-115.
  • [46]
    Cette attitude réactive se manifeste de nos jours dans la justification théorique des émeutes suburbaines, considérées comme des réactions normales à une injustice dont l’existence est plutôt affirmée que démontrée.
  • [47]
    Je me permets de renvoyer à mon article : « Le devoir comme application à soi d’une conduite acquise en fonction des autres » paru dans le n° 30 du Philosophoire (automne 2008), pp. 45-53.
  • [48]
    Le comble est atteint lorsque les candidats au baccalauréat doivent commenter « Lily » de Pierre Perret, chanson dont il est indiqué qu’elle a valu à son auteur le prix de la Licra, puis composer, pour le sujet dit « d’invention », un texte dénonçant le racisme subi par la Somalienne à son arrivée en France. Parmi les réactions suscitées par cette instrumentalisation idéologique de l’école, on lira Jean-Paul Brighelli : La fabrique du crétin, Gawsewitch, 2005, pp. 92-93.
  • [49]
    Pour s’en convaincre, on relira l’interview de Foucault dans laquelle ce dernier affirme vouloir « effacer cette frontière profonde entre l’innocence et la culpabilité » et cite la déclaration de Genet à propos d’un détournement d’avion par un groupe palestinien (« Un juge serait-il innocent, et une dame américaine qui a assez d’argent pour faire du tourisme de cette manière-là ? […] »). Propos recueillis dans Dits et écrits, Gallimard, 1994, t. II, p. 231.
  • [50]
    La victimisation actuelle des délinquants, des « sans papiers », les Palestiniens, des « jeunes des banlieues » réputés « stigmatisés » et la culpabilisation de la société française, rongée par sa « mauvaise conscience », sont, d’après nous, des croyances fortement impliquées dans les comportements identificatoires culturellement régressifs d’une large partie de la jeunesse non défavorisée.
  • [51]
    Le discours écolo-catastrophiste s’appuie sur des images spectaculaires pour déclencher « une prise de conscience » (pour augmenter, en réalité, la croyance en un « réchauffement climatique » global dont le concept est, tel quel, scientifiquement irrecevable). Il est intéressant de noter que ce discours fait l’impasse sur la surpopulation planétaire, pourtant directement responsable de l’augmentation des gaz à effet de serre et menaçante à bien d’autres égards pour le bien-être des générations à venir. L’alliance objective de l’écolo-catastrophisme et du catéchisme multiculturaliste est rendue évidente par les connexions internes de l’altermondialisme.
  • [52]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 208, éd. Laski, t. II, p. 174.
  • [53]
    Ibid., GF, t. I, p. 520, éd. Laski, t. I, p. 414.
  • [54]
    Ibid., GF, t. II, p. 16, éd. Laski, t. II, p. 17.
  • [55]
    Ibid., GF, t. II, p. 25, éd. Laski, t. II, p. 23.
  • [56]
    Ibid., GF, t. II, p. 55, éd. Laski, t. II, p. 48.
  • [57]
    Nietzsche, Généalogie de la morale, p. 14, OC, t. VII, p. 220.
  • [58]
    Julien Benda, La jeunesse d’un clerc, suivi de Un régulier dans le siècle et de Exercice d’un enterré vif, Gallimard, 1968, p. 170 et p. 354.
  • [59]
    Benda, Du style d’idées, Gallimard, 1948, p. 247.
  • [60]
    Benda, La jeunesse d’un clerc…, p 363.
  • [61]
    Ibid., p 362.
  • [62]
    Ibid., p. 213 et pp. 182, 341 et 346.
  • [63]
    Fouillée, La propriété sociale et la démocratie, Paris, Hachette, 1884, p. 77.
  • [64]
    Benda, La jeunesse d’un clerc…, p. 358-359
  • [65]
    Ibid., p. 358-359.
  • [66]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. I, p. 273, éd. Laski, t. I, p. 193.
  • [67]
    Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1986, p. 158.
  • [68]
    Alain, Définitions, p. 72. Voir aussi Propos sur les pouvoirs, éd. Gallimard, Folio Essais, 1985, p. 332 (« l’individu qui pense contre la société qui dort, voilà l’histoire éternelle ») et p. 352 (« C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit »).
  • [69]
    Nietzsche, Humain, trop humain, § 226, OC. t. III, vol. 1, pp. 160-161.
  • [70]
    Cité par Bouveresse dans Peut-on ne pas croire ?, p. 154.
  • [71]
    Voir Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, p. 188.
  • [72]
    Ibid., p. 352.
  • [73]
    Un exemple de traduction emphatique (dans le discours des grands idéaux) de principes d’action circonstanciels : la question du temps de travail. La diminution du temps de travail peut être souhaitable dans des conditions professionnelles anxiogènes, mais on ne saurait légitimement en déduire, comme on nous le suggère pourtant, que le travail est en soi une malédiction ; et l’inverse est aussi vrai : il peut être souhaitable de travailler davantage en des temps de malaise économique, mais on ne saurait en déduire pour autant que le travail est une « valeur ». Le travail comme malédiction et le travail comme valeur sont des croyances.
  • [74]
    Alain définit le contrat comme neutralisation d’une ruse par une autre. Voir ce contrat de partage entre deux héritiers : « Tu fais les parts et je choisis, ou bien je fais les parts et tu choisis » (Définitions, p. 134).
  • [75]
    Nietzsche, Par delà bien et mal, § 199, OC t. VII, pp. 110-111.
  • [76]
    Ainsi les Etats-Unis ont-ils attaqué l’Irak sans l’aval de l’ONU, parce que le Conseil de sécurité n’était pas majoritairement favorable à une intervention militaire, mais ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres…
English version

1Passant par-dessus les critères formels de la démocratie, l’article qu’on va lire se veut une contribution à l’analyse critique et démystificatrice de « notre situation » et vaudrait peut-être pour n’importe quel régime politique à l’ère des masses, l’idée de fond étant qu’une certaine passivité grégaire est requise pour unifier une société et qu’en conséquence ce n’est pas « le politique », mais l’individu qui seul peut, s’il est malheureux, « changer quelque chose » (pour lui-même). Comme le note Auguste Comte, « aucune société réelle et compacte ne peut se former et se maintenir sans l’influence d’un système d’idées quelconque, capable de surmonter l’opposition des tendances individuelles, si prononcées à l’origine, et de les faire concourir à un ordre constant » [1]. Comte insiste sur la nécessité de rallier l’opinion à des idées et valeurs communes pour aboutir à une communion intellectuelle et morale : « Tant que les intelligences individuelles n’auront pas adhéré par un sentiment unanime à un certain nombre d’idées générales capables de former une doctrine sociale commune, on ne peut se dissimuler que l’état des nations restera, de toute nécessité, essentiellement révolutionnaire » [2]. Cette communion intellectuelle et morale est d’autant plus indispensable dans un régime fondé sur le principe de l’égalité où l’épanouissement des individus se renforce naturellement au détriment de l’unité collective. Tocqueville partage ce point de vue puisqu’il n’y a de société, selon lui, que « quand des hommes considèrent un grand nombre d’objets sous le même aspect ; lorsque, sur un grand nombre de sujets, ils ont les mêmes opinions ; quand enfin les mêmes faits font naître en eux les mêmes impressions et les mêmes pensées » [3]. Cette généralisation va dans le sens de ce que nous voulons dire : au-delà de l’égalisation des conditions, le règne de la similitude pourrait bien être le fait social par excellence. Ce qui spécifie la démocratie de ce point de vue, c’est que les idées dominantes qui s’imposent au plus grand nombre sont les « idées démocratiques ». Dans le contexte mondialiste et nomade qui est le nôtre, dont Nietzsche, plus près de nous que Tocqueville, avait perçu les signes avant-coureurs [4], les idées dominantes sont égalitaristes, individualistes, mondialistes, antiracistes, libérales et sociales : cet ensemble n’a pas de nom bien défini parce qu’il est aussi mouvant que peut l’être le devenir des sociétés contemporaines, mais apparaît néanmoins assez cohérent et assez prégnant pour se laisser globalement cerner comme un nouvel obscurantisme. C’est ce phénomène que nous tentons ici d’analyser [5]. Le citoyen pourrait profiter des avantages de la démocratie, notamment du bien-être qu’elle lui procure, sans adhérer aux idées dominantes. Comment expliquer son adhésion ? Pour essayer de répondre à cette question, on tentera de dégager quelques pistes.

Première piste : les lignes de moindre résistance

2La plupart des individus suivent le flux, font ce que font les autres dans l’entourage, pensent ce que pensent les autres, obéissent sans savoir pourquoi, simplement en voyant les autres obéir, croient ce qu’ils voient cru autour d’eux et désirent ce qu’autrui désire [6]. La majorité donne aux individus des opinions toutes faites. On est ainsi dispensé de s’inventer une position personnelle [7]. Il est en effet plus facile de s’en remettre à la majorité que de penser par soi-même, plus facile d’imiter que de créer. Imiter, c’est continuer l’acte commencé par autrui comme nous continuons nos propres actes. Cette définition proposée jadis par le psychologue Pierre Janet [8] a été confirmée par la découverte des « neurones miroirs » : lorsque nous voyons autrui effectuer un mouvement, par exemple un saut, certaines de nos cellules cérébrales s’activent de la même manière que si nous accomplissions nous-mêmes cette action. La loi d’idée-motricité, connue depuis longtemps notamment sous la forme des « idées-forces » de Fouillée et du « vertige mental » de Renouvier, nous apprend qu’une idée, loin d’être représentation passive, est un commencement d’action. Par exemple, l’idée de vengeance provoque une tension des muscles de la mâchoire. En règle générale, une idée qui ne rencontre pas la résistance d’une idée contraire tend à s’imposer et à provoquer infailliblement un mouvement correspondant.

3L’imitation et la croyance non réfléchie sont des phénomènes psychologiques de suggestion. La suggestion est l’activation d’une tendance et une tendance, si l’on se réfère à Janet, est une disposition à agir et à réagir toujours de la même façon, qui peut être plus ou moins forte selon les individus. En général, les tendances élémentaires, celles permettant de réagir à un danger, par exemple, sont fortement chargées et rapidement excitables. Janet parle d’un stade « où l’on croit ce que l’on désire ou ce que l’on craint et où les croyances fondées sur des motifs aussi accidentels s’imposent avec une énergie, une ténacité que l’on ne retrouvera plus dans les croyances plus raisonnables » [9]. Il suffit qu’une affirmation quelconque soit accompagnée d’une tendance fortement activée, d’un désir puissant, pour que la croyance s’impose. La hiérarchie des tendances connaît des écarts individuels dus à la biographie de chacun, mais si l’on admet que la prédominance statistique d’une tendance peut être influencée par l’état de la société dans laquelle on vit, alors il y a toutes les chances pour qu’un individu vivant dans une société qui cultive les tendances individualistes adopte toute idée susceptible d’activer ces tendances, fût-elle plus ou moins extravagante. Toutefois, si une idée contraire s’interpose, alors il y aura conflit interne et probablement hésitation. Bien que l’idée soit déjà un commencement d’action, l’interposition d’une idée contraire peut empêcher le passage à l’acte. C’est pourquoi la force des raisons est, selon Pascal, insuffisante, et doit être complétée par l’habitude et la coutume, étant admis que « nous sommes automate autant qu’esprit » [10].

4La contagion des idées peut donc être enrayée, ou freinée, par la résistance d’une idée opposée ou d’une tendance opposée. Dans son analyse de l’imitation, Tarde décrit ces conflits de tendances à l’échelle psychologique des individus et à l’échelle sociale. Les conflits partent chez l’individu de petites oppositions élémentaires qui peuvent se propager et s’amplifier pour produire dans la société, qui est faite de rapports interindividuels, des effets de seuil. Les flux imitatifs peuvent éventuellement s’inverser en fonction des obstacles rencontrés (la recherche de l’utilité optimale par exemple) mais ils suivent toujours plus ou moins le même mouvement du supérieur vers l’inférieur (les vainqueurs sont imités par les vaincus, la cour par la bourgeoisie et les villes par les campagnes) [11] et de la coutume vers la mode puis de la mode vers la coutume (un emprunt se répand à l’extérieur et finit par s’enraciner dans une nouvelle tradition) [12]. De nos jours, la contagion des idées est puissamment relayée par les media, qui agissent comme des pompes aspirantes et refoulantes et transforment l’imitation de proche en proche en un phénomène instantané. « Un journal, écrit Tocqueville, parle à chacun de ses lecteurs au nom de tous les autres, et il les entraîne d’autant plus aisément qu’ils sont individuellement plus faibles » [13].

5Les conflits psychologiques internes viennent de contradictions sociales. C’est seulement quand on doit s’expliquer avec autrui que l’on met de l’ordre dans ses idées et que l’on s’interroge soi-même. S’interroger ainsi, c’est proprement réfléchir. Janet définit la réflexion comme « une conduite qui reproduit au-dedans de nous-mêmes la discussion d’une assemblée » [14]. Le pluripartisme des régimes démocratiques et la concurrence pour l’exercice du pouvoir pourraient laisser penser que la démocratie favorise la discussion et par suite la réflexion intérieure. Or ce phénomène trouve ses limites dans le verrouillage de l’espace de compétition, tant sur le plan des idées que sur le plan des partis qui les incarnent. Dans les élections, tous les courants peuvent être, en droit, représentés, mais tous n’ont pas, en fait, les mêmes chances d’emporter la majorité des suffrages, et cela, indépendamment de la valeur rationnelle des arguments des uns et des autres. En dehors des périodes électorales, les débats d’idées organisés dans « l’espace public » développent souvent de fausses alternatives en mettant en présence des représentants de différents courants appartenant à « la société politique “normale” et culturellement légitime » [15]. En procédant par dichotomie interne, en convoquant de faux subversifs et des « idiots utiles », en faussant les lois de la symétrie et en marginalisant les contradicteurs sérieux, le système peut se reproduire à l’infini sans entorse apparente au principe du pluralisme [16]. En réalité, les conflits sont limités à champ prédéterminé, bien circonscrit. La difficulté actuelle à admettre dans l’espace public des pensées alternatives (« hors système ») est un indice de cette limitation. Nietzsche l’avait compris, lui qui tenait à se démarquer des libres penseurs, contestataires en apparence, mais acquis en réalité au système des idées modernes [17].

6Montaigne disait être chrétien comme on est Périgourdin ou Allemand, mais on pourrait dire pareillement que l’on est aujourd’hui démocrate comme autrefois on était chrétien, à cette différence près que les valeurs chrétiennes véhiculées par la coutume du temps de Montaigne étaient des valeurs conservatrices, organiques, tandis que les nôtres sont des valeurs critiques. Cette différence n’est pas essentielle. Il est devenu « coutumier » de critiquer l’ordre, la religion, la famille traditionnelle, et ces idées anticonformistes, comme le ton « politiquement incorrect » des media autorisés, n’ont rien que de très conformiste. L’anti-religion peut devenir une nouvelle religion, la critique des traditions peut donner naissance à une espèce de tradition, de même d’ailleurs que la critique de la mode peut n’être qu’un phénomène de mode. Si les idées dominantes en démocratie portent de façon si paradoxale leur propre préjugé, au point qu’on puisse parler d’une véritable subversion générale, c’est en raison des idées qui sont contenues dans le concept de démocratie et qui peuvent se résumer à la fiction d’une société dans laquelle les hommes se gouverneraient rationnellement [18]. Le principe de la démocratie contredit en théorie les conditions effectives de son avènement, qui supposent, comme tout processus historique, une dynamique sous-jacente sans rationalité consciente.

7Un exemple de cette contradiction nous est fourni par la conception républicaine de la laïcité, que j’appellerais volontiers « idéaliste ». La laïcité n’est pas une doctrine, en principe, mais un dispositif permettant, comme l’explique Catherine Kintzler, « de produire un espace qui rend possible a priori la liberté des opinions non seulement réelles mais possibles » [19]. « La laïcité n’est pas un courant de pensée parmi d’autres. Elle professe que la puissance publique n’a rien à professer qui soit de l’ordre d’une option religieuse ou philosophique déterminée pour penser et pour construire la cité libre » [20]. Mais la laïcité, que l’on présente ainsi comme un concept non dogmatique vis-à-vis des possibilités de croyances, présuppose une conception du religieux dans laquelle celui-ci aurait assimilé, au minimum, la distinction de la sphère privée et de la sphère publique. Elle est donc, quoi qu’on en dise, normative par rapport à la manière dont la religion doit se penser elle-même dans ses principales fonctions, et elle ne peut convenir qu’à des formes religieuses déjà « intégrées », celles, de préférence, qui se fondent sur des interprétations symboliques et qui considèrent la vie religieuse authentique comme une expérience individuelle et intérieure. Or de telles caractéristiques sont déjà des symptômes d’une progression vers la sortie de l’état religieux. Comme l’a montré Marcel Gauchet, la pensée religieuse authentique est un cadre de référence total avec le dehors comme source (une origine mythique, un fondement transcendant, un récit d’avant les temps) et l’immuable pour règle (la répétition coutumière, le rôle instituant de la parole sacrée), tandis que « ces développements majeurs […] que l’on observe au sein des hautes cultures représentent en réalité, sous des dehors théoriques d’affirmation de la personne et de la puissance des dieux, autant d’étapes sur le chemin d’une réduction pratique de l’altérité du fondement » [21], c’est-à-dire une rationalisation des mentalités en un système de « convictions ». La laïcité n’est donc un dispositif rationnel au sens juridique et abstrait qu’illusoirement (idéalement, dirait Nietzche [22]), puisqu’en réalité elle prend place dans le mouvement historique et concret de dislocation des religions traditionnelles dont elle exprime l’ultime stade de décomposition. La laïcité correspond à une interprétation du fait religieux non moins « exclusive » qu’une autre, puisqu’elle prend la religion en un sens restrictif qui semble plus « vrai » seulement parce qu’il est en phase avec le développement historique des sociétés et avec notre « présent » : la sécularisation des institutions et la relégation des croyances dans la sphère privée des convictions. Contrairement à ce que prétend un idéalisme rationaliste et contractualiste tout à fait utopique, ce n’est pas la laïcité qui a produit le régime de compromis que nous connaissons dans les sociétés occidentales modernes ; c’est au contraire l’évolution continue des sociétés en direction d’une individualisation de plus en plus poussée et d’une perte d’autorité des institutions traditionnelles qui a conduit à une situation dans laquelle des réformes laïques ont pu s’imposer à la faveur d’intérêts bien compris.

Deuxième piste : l’individu, le citoyen, est intimidé

8L’individu, le citoyen est intimidé par la majorité ou par la société dans son rôle de « sujet collectif ». En démocratie, chaque citoyen se pense comme égal à tout autre mais comme inférieur à tous les autres réunis. Il s’en remet à « l’opinion publique » en la créditant d’une sagesse et d’une pertinence qu’il n’a pas lui-même, et renonce de son propre chef à toute idée personnelle qui serait non conforme. Dans les temps d’égalité, remarque Tocqueville, « les hommes n’ont aucune foi les uns dans les autres, à cause de leur similitude ; mais cette même similitude leur donne une confiance presque illimitée dans le jugement du public » [23]. Commentant cette analyse tocquevillienne, Tarde fait remarquer que le jugement du « plus grand nombre » n’est pas une somme d’opinions indépendantes dont les écarts se neutraliseraient mais la répétition d’une même opinion à une multitude d’exemplaires. « Quand une idée sort triomphante d’un scrutin, on serait infiniment moins porté à s’incliner devant elle si l’on songeait que les 999 millièmes des voix obtenues par elles sont des échos […] Il faut se méfier beaucoup des unanimités ; rien ne dénote mieux l’intensité de l’entraînement imitatif » [24]. Cette analyse de Tarde nous ramène au schéma précédent : plutôt qu’un crédit accordé au collectif, il n’y aurait que des flux imitatifs et une propagation de proche en proche selon des lignes de moindre résistance.

9Le crédit accordé au collectif s’enracine pourtant, d’après moi, dans une idée juste. La société, en tant que totalité formée par des relations interindividuelles de type coopératif et perpétuée dans le temps par la continuité des générations, place l’individu dans une situation de dette. Nous bénéficions, chacun, dès la naissance, d’un patrimoine collectif dont nous sommes tributaires et que nous avons la charge de faire fructifier. En tant que pourvoyeuse de richesses matérielles et spirituelles, la société nous apparaît donc comme une force devant laquelle, individuellement, nous devons nous incliner. Durkheim voit dans cette force et dans l’obligation qui en résulte la marque même des faits sociaux : ainsi, ce n’est pas parce qu’elle est générale qu’une croyance est sociale, mais parce qu’elle est plus ou moins obligatoire, autrement dit parce qu’elle nous contraint comme en s’imposant du dehors. Toutefois, la personnification de la société doit être comprise de façon critique comme une métaphore. Compte tenu des effets produits par l’organisation sociale, c’est-à-dire par les opérations des éléments réunis et structurés, la sociologie est habilitée à décrire le tout social comme supérieur à la simple addition des parties et comme s’il y avait une extériorité et une hétérogénéité des phénomènes collectifs par rapport aux phénomènes individuels. Mais entendons-nous : cette modélisation ne permet nullement de conclure à la réalité d’une « pensée collective » ou à l’existence réelle d’une « conscience collective » qui aurait son siège dans ce sujet général qu’est la société. Dans le même registre : on peut utiliser l’analogie organique, mais à condition d’en faire un usage critique et limité. Le terme de « représentations collectives », équivoque, ne peut raisonnablement désigner que des représentations individuelles habitant des individus socialement organisés [25]. L’« opinion publique », pareillement, ne peut désigner que la ressemblance entre les opinions d’une multitude d’individus. Pourquoi est-on intimidé quand on doit parler en public ? Parce qu’on imagine qu’on a en face de soi une intelligence démultipliée. Mais des auditeurs assis côte à côte, sans possibilité de communiquer, pensent chacun séparément ; dans cette collection d’individus, seuls les plus intelligents sont réellement intimidants. Le « regard intimidant » du public (ou de l’opinion publique) n’a donc aucune réalité, car une foule ne pense pas. Il n’en va pas de même pour un jury où les points de vue se conjuguent (durant la délibération) pour aboutir à un jugement qualitativement supérieur à celui du plus intelligent des participants. Un groupe organisé n’est pas une multitude. C’est ainsi que la société produit du savoir, des décisions, des jugements, grâce à ses organes compétents (scientifiques, politiques, judiciaires, etc.). La capacité collective de produire des jugements à valeur normative n’est pas tant « l’opinion publique » que « l’esprit public » formé dans « l’espace public ». Cependant, la conception proposée par Habermas d’une communauté illimitée de participants prenant part à un échange intersubjectif qui respecterait les présuppositions universelles de l’argumentation n’est pour le moment qu’un modèle formel, car à part dans les démocraties locales, on n’a encore jamais vu un échange réglé entre tous les citoyens déboucher sur une décision politique, sociale, économique ou culturelle. Il est significatif qu’aucun débat, ni même aucune consultation, n’ait eu lieu en France sur une question aussi importante que celle de la gestion des flux migratoires. Au demeurant, si le modèle habermassien venait à se réaliser, il aboutirait, par sa dimension nécessairement réflexive, à la disparition des croyances non réfléchies.

10Quoi qu’il en soit, la croyance de chacun en la force supérieure du tout, croyance qui incline le citoyen à se soumettre à l’autorité morale ou spirituelle de la collectivité (ou des instances majoritaires qui la représentent) est un phénomène fondamental. Durkheim définit l’autorité comme « l’ascendant qu’exerce sur nous toute puissance morale que nous reconnaissons comme supérieure à nous » [26] et le prestige comme « une sorte de force morale dont l’énergie se mesure à la puissance de son action » [27]. S’il est incontestable que la rupture avec les fondements transcendants de la société entraîne une régression de l’autorité religieuse et traditionnelle, toute forme d’autorité ne disparaît pas dans le passage à la démocratie. Pour en revenir à la contradiction que j’énonçais plus haut, les idées anti-autoritaires ont la même « autorité » de nos jours que les idées autoritaires du passé. En démocratie, la discussion rationnelle n’est qu’un modèle théorique ; la réalité, c’est le règne du principe d’autorité, suivant un mécanisme qu’il convient de préciser. Toute autorité satisfait à des conditions de compétence (si le sujet est réellement « auteur » de ses actes, il s’augmente lui-même et augmente les autres [28]), de transmission (il est investi d’une mission qui lui donne autorité) et de reconnaissance (il a l’autorité s’il est reconnu et respecté). L’obéissance à l’autorité n’est pas soumission, ni esclavage : l’autorité inspire le respect et non la crainte, elle oblige sans contraindre. L’autorité n’est pas assimilable à la force, encore moins à la violence. Elle implique néanmoins une dénivellation, elle est inégalitaire. On la distingue du pouvoir parce qu’elle ne relève pas du domaine de la décision, mais d’un conseil « autorisé ». Ces caractéristiques généralement reconnues dans le champ philosophique laissent toutefois échapper une source fondamentale de l’autorité : le pouvoir sur les choses et l’action efficace (pouvoir surnaturel du sorcier, pouvoir d’explication du maître d’école, etc.). Les philosophes qui, comme Arendt et (dans une moindre mesure) Kojève, cherchaient à dénouer le lien de l’autorité et de la force, de l’autorité et du pouvoir, avaient en mémoire les crimes du XXème siècle et étaient tentés pour cette raison de se référer à un concept de « force » réducteur : la force assimilée à la force brute… Mais l’action, qui s’étend par définition à tout ce qui modifie un état de choses, est un « pouvoir » plus ou moins fort sur les choses (ou sur les autres, ou sur soi). Ainsi les prêtres des sociétés archaïques doivent-ils leur autorité à leur pouvoir (supposé) de communiquer avec le divin. « L’argument d’autorité » s’enracine dans la croyance en un pouvoir supérieur (vision prophétique, vérité infuse, etc.). Or il en va des idées démocratiques comme des idées mystiques. Pour qu’elles fassent autorité, il suffit que le plus grand nombre soit convaincu de leur nécessité (qui est ici de nature globalement téléologique, référée au « sens de l’histoire » et à la « vérité » de celui qui vit avec son temps). On peut certes objecter que le plus grand nombre est incapable d’une telle croyance, même intuitive, et que le respect pour les idées dominantes se propage par mimétisme selon le schéma examiné plus haut. Mais alors ce phénomène conduit en retour à renforcer l’autorité des idées dominantes, puisque celles-ci manifestent finalement un pouvoir (là encore) que d’autres n’ont pas : celui de s’imposer.

Troisième piste : le discours intimidant

11L’autorité quasi-religieuse des principes modernes, Durkheim l’avait perçue dans l’affaire Dreyfus, révélatrice à bien des égards de « cette religion de l’humanité dont la morale individualiste est l’expression rationnelle » [29]. Cette quasi-religion sortie de la conception des Droits de l’Homme a pris de nos jours la forme plus spécifique et contraignante d’un culte des différences et du brassage généralisé, culte du métissage et de la « diversité » [30] allié au mondialisme dans ses deux versions dominantes : consumériste-hédoniste et écolo-catastrophiste. Moins légitime, historiquement, que la religion de l’humanité issue des Lumières, ce dogmatisme a besoin, pour s’imposer, d’un discours intimidant ayant la puissance normative d’une morale religieuse (et comme le souligne Durkheim, « la morale ne serait plus la morale si elle n’avait plus rien de religieux » [31]). Nous vivons actuellement, surtout en France, sous le règne de ce discours intimidant, avec ses dogmes (des principes sur lesquels on n’a pas à revenir parce que, comme dit Alain, « les compétences en ont décidé » [32]), sa phraséologie (voir ces noms de code : « diversité », « sans papiers », « quartiers sensibles »…), ses gardiens de l’orthodoxie (journalistes, enseignants, groupes de « vigilance »), son instrumentalisation du droit (dispositif juridique limitant la liberté d’expression [33]) et ses moyens de dissuasion ou de répression (l’exclusion comme sanction sociale).

12Renaud Camus, Peter Sloterdijk, Maurice Dantec, Alain Soral, Olivier Pétré-Grenouilleau, Sylvain Gouguenheim [34], Aymeric Chauprade font figure d’« intellectuels dissidents », parce qu’ils ont eu l’audace d’exprimer un point de vue personnel distinct des croyances obligatoires ou de s’exprimer dans des termes qui avaient été mis à l’index par les forces bien-pensantes, ce qui s’appelle, dans la phraséologie du discours intimidant : « franchir la ligne rouge » ou « commettre un dérapage ». Retenons ces métaphores : elles sont intéressantes parce qu’elles révèlent sans la moindre ambigüité l’existence d’une « zone d’acceptabilité », autrement dit d’un espace discursif normalisé à fonction intimidante.

13La délimitation d’un périmètre d’acceptabilité est un phénomène que Tocqueville repérait déjà dans la démocratie américaine : « En Amérique, la majorité trace un cercle formidable autour de la pensée. Au-dedans de ces limites, l’écrivain est libre ; mais malheur à lui s’il ose en sortir » [35]. L’intimidation n’est pas ici menace de mort, mais menace de rejet : « vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous » [36]. Dans ces conditions, les écrivains et intellectuels ont tendance à s’autocensurer : « L’Inquisition n’a jamais pu empêcher qu’il ne circulât en Espagne des livres contraires à la religion du plus grand nombre. L’empire de la majorité fait mieux aux Etats-Unis : elle a ôté jusqu’à la pensée d’en publier » [37]. Le citoyen intimidé craint donc d’être blâmé, conspué, jugé infréquentable et rejeté (parfois simplement par le groupe de ses collègues). La zone d’acceptabilité correspond à ce qu’une société peut consentir à critiquer, à mettre en doute, à soumettre à la discussion [38]. Au-delà, l’individu transgresse un interdit et s’expose donc à une exclusion symbolique, à une condamnation judiciaire (les lois Gayssot ont cette fonction), ou au lynchage médiatique, le risque étant ici de se retrouver exposé, pour avoir pensé quelque chose, à une foule qui, par définition, ne pense pas. Sans se réclamer de Tocqueville, mais en s’y référant volontiers, Renaud Camus indexe le lynchage médiatique qu’il a lui-même subi sur ce qu’il appelle « la dictature de la petite bourgeoisie », c’est-à-dire le pouvoir de nivellement normatif d’une classe moyenne intégrationniste qui aime l’étranger comme un autre « soi-même » assimilable, mais refuse toute extériorité et cherche à suturer toutes les failles, à réduire toutes les fractures et à autocélébrer sans cesse « sa globalité, sa massivité, son unicité symbolique » [39].

14J’appelle donc « discours intimidant » ces actes de langage qui ont pour fonction de contenir l’individu ou le citoyen dans la « zone d’acceptabilité ». Un tel discours présente trois caractéristiques essentielles.

15Premièrement, c’est un discours exclusif, une permanente menace d’exclusion. L’exclusion est, selon Durkheim, la réaction privilégiée de la société à la violation du sacré, qu’elle soit symbolique (blâme moral) ou civique (ostracisme, atimie, dégradation civique, etc.) [40]. Par une démarche en sens inverse, l’exclusion permettrait sans doute aux sociologues d’identifier l’espace d’inviolabilité en quoi consiste le sacré moderne (aujourd’hui, le « village planétaire » comme horizon total, à la fois économique, culturel, moral et politique). L’exclusion comme instrument de normalisation a été théorisée par Auguste Comte dans un programme de « politique positive » qui nous éclaire par anticipation sur notre propre situation, d’autant mieux qu’il s’agissait d’un programme mondial. Dans la cité positiviste où chacun accepte de « vivre pour autrui » mais aussi de « vivre au grand jour » (donc exposé au regard public), la transgression des règles morales et religieuses entraîne une réaction graduée des gardiens de la religion de l’Humanité. Le sacerdoce, à la différence du gouvernement, s’interdit tout recours à la force, car il n’y a que des consciences qui puissent agir sur des consciences. La procédure est alors la suivante. Dans un premier temps : persuader et convaincre le coupable, « sans aucune influence coercitive » [41]. Si cela ne suffit pas, on passe à la seconde étape : la réprobation. Elle comprend trois degrés : d’abord « la simple remontrance domestique » devant des proches ou des amis qui seront convoqués à cette occasion, puis « le blâme public » procédé qui consiste (Comte est bien obligé de l’avouer) à utiliser « la pression d’une force vraiment coercitive », même si cette force demeure « purement morale » ; enfin, pour les cas extrêmes, « l’excommunication sociale, temporaire ou perpétuelle » [42] : le coupable sera « graduellement abandonné de ses subordonnés, de ses domestiques, et même de ses plus proches parents » [43]. La sociologie confirme la généralité de cette pratique : la collectivité punit l’individu en l’excluant, en le condamnant à une mort sociale. Selon Durkheim, tout groupe humain a besoin de cette force d’intimidation : « L’individu ne se contient que s’il se sent contenu, s’il est en face de forces morales qu’il respecte et sur lesquelles il n’ose pas empiéter. Sinon, il ne connaît plus de bornes […] » [44].

16Deuxièmement, le discours intimidant est un discours culpabilisant, qui diabolise, criminalise, anathémise, déshonore toute pensée non-conforme en la désignant comme fasciste, négationniste, monstrueuse et pathologique. Dans une atmosphère de vindicte générale, le coupable doit en venir à se mépriser, à se regarder comme infâme, indigne d’appartenir à l’humanité, il doit se détester ou se repentir [45]. Dans la communication courante, l’une des formes les plus élémentaires de l’intimidation consiste à prendre un air ébahi et scandalisé face à son interlocuteur : par ce jeu théâtral, on rejette la parole de l’autre hors de la zone d’acceptabilité, on le pousse à rougir, à se sentir honteux de penser ce qu’il pense et de dire ce qu’il dit. Le discours intimidant n’a pas d’adversaire, notion qui suppose la possibilité d’un combat à armes égales. Il joue sur le registre de la « honte » et de la « mauvaise conscience » selon un schéma qui nous est familier depuis Nietzsche. Le ressentiment est pour Nietzsche le propre d’une société de faibles et de souffrants qui cherchent une cause à leur souffrance ; l’homme du ressentiment, incapable d’agir, de créer, est un homme réactif, qui ne peut se légitimer qu’en dénigrant ce qui n’est pas lui. « Tu es méchant, donc je suis bon » [46]. La mauvaise conscience prend le relais lorsque l’homme du ressentiment, ne trouvant plus d’ennemis extérieurs, retourne ses forces réactives contre lui-même et se persécute. On pourrait dire de manière analogue que la honte est la conduite d’un individu qui se juge lui-même comme les autres le jugent ou pourraient le juger. L’éducation participe à ce processus en cherchant à produire chez le jeune individu la capacité de provoquer en lui-même un groupe institutionnalisé de réactions. Si l’on admet avec H. G. Mead que le fonctionnement de la société dépend en grande partie de la possibilité pour chacun de prendre les attitudes de tous les autres individus à l’égard des différentes activités possibles [47], on comprend que l’éducation morale à l’école consiste à déterminer en chacun des conduites d’auto-suspicion et à les éviter par l’adoption de pensées et de comportements conformes. Chez nous, l’école a poussé cette logique jusqu’à une dictature de la repentance qui rend très actuelles les analyses nietzschéennes. Au terme de sa « démocratisation », l’école est devenue une entreprise de formatage chargée d’inculquer les jugements conformes, standardisés, cyniquement présentés comme les productions d’un citoyen qui aurait appris à « penser par lui-même » [48].

17Troisièmement, le discours intimidant est un discours compassionnel. La culpabilisation et la victimisation sont des opérations complémentaires, au service d’une même « stratégie ». Dans sa version populaire, la victimisation est compatissante. Dans l’humanisme chrétien et l’humanitarisme démocratique, on se met à la place des victimes souffrantes (esclaves, prolétaires exploités, condamnés à mort, etc.) pour susciter un sentiment de pitié qui débouchera sur des appels à la justice ou à la charité. George Sand, Victor Hugo, Pierre Leroux, représentent bien cette option. L’antihumanisme de Foucault et de ses successeurs s’en démarque en s’attaquant à des dispositifs et des agencements. Il ne s’agit plus de plaindre des personnes, mais de contester les stratégies disciplinaires d’un pouvoir anonyme perçu comme fondamentalement mauvais et générateur d’injustices. Cette volonté de subversion se traduit par un renversement de l’ordre des responsabilités : on exonère les coupables et on culpabilise le système (la discipline, l’ordre, « la société », la raison, l’universalisme et finalement les normes de la civilisation occidentale… [49]). Toute victimisation- culpabilisation ne requiert pas nécessairement l’élément compassionnel, mais dans un contexte démocratique (où les media doivent toucher le plus grand nombre), le registre des sentiments et des émotions reprend le dessus, comme de nos jours, et renoue avec les procédés de la « littérature populaire » du XIXème siècle [50]. Le triomphe du pathétique sur la pensée méthodique, patiente, construite, démonstrative [51], profite, entre autres, à la rhétorique antiraciste. La tactique consiste à isoler un point de vue de son contexte et à lui trouver des ressemblances avec un autre point de vue qui, dans un autre contexte, a entraîné des conséquences horribles. En insistant sur les conséquences horribles, « l’argument » provoque une émotion dont le double effet est de bloquer les facultés critiques qui permettraient de démasquer le sophisme, et de détourner l’attention de toute idée qui pourrait opposer une résistance.

18La démocratie, par l’égalisation des conditions qui la caractérise, offre un terrain favorable aux réflexes compassionnels. Cela aussi, Tocqueville l’avait repéré. Les aristocrates ne s’imaginaient pas ce que c’était que de souffrir quand on n’était pas gentilhomme ; dans les temps d’égalité, au contraire, « tous les hommes ayant à peu près la même manière de penser et de sentir, chacun d’eux peut juger en un moment des sensations de tous les autres » et chacun imagine aussitôt la misère de l’autre [52]. Dans le prolongement implicite de ces analyses, Renaud Camus dénonce le souci petit-bourgeois d’être « soi-même », c’est-à-dire semblable à tous les autres, qui implique la liquidation des conceptions patrimoniales et transmissives de la culture au profit d’une approche instantanéiste du monde. La négation « présentiste » de toutes les médiations, notamment langagières, ne laisse place qu’à l’immédiateté affective. Il est remarquable que la démocratie, chez Tocqueville ne se fonde jamais sur la réflexion des citoyens, contrairement à ce que l’on trouve dans les théories qui insistent sur l’éducation des électeurs (Condorcet, Barni, Renouvier, Jules Simon, etc.). Selon lui, en effet, chaque homme a des capacités rationnelles suffisantes pour se diriger lui-même « dans les choses qui l’intéressent exclusivement » [53], mais « un homme qui entreprendrait d’examiner tout par lui-même ne pourrait accorder que peu de temps et d’attention à chaque chose » [54]. La démocratie fait passer la vie active devant la vie contemplative : « les hommes qui vivent dans les siècles d’égalité ont beaucoup de curiosité et peu de loisir ; leur vie est si pratique, si compliquée, si agitée, si active, qu’il ne leur reste que peu de temps pour penser » [55]. Mieux encore : « Non seulement les hommes qui vivent dans les sociétés démocratiques se livrent difficilement à la méditation, mais ils ont naturellement peu d’estime pour elle » [56].

19Cette critique de la démocratie, qu’on peut juger banale, s’accompagne chez certains philosophes d’une analyse spécifique des mécanismes de la captation sentimentale. Outre l’aversion bien connue de Nietzsche pour « la honteuse effémination sentimentale d’aujourd’hui » [57], on peut citer Julien Benda qui déjoue tout recyclage de son propre discours dans le circuit de la victimisation en adoptant une posture paradoxalement misanthropique, posture apparemment efficace puisque Benda reste un auteur maudit échappant à toute forme de récupération. « En tant que clerc », confesse-t-il, « j’aime la justice, et peu m’importe le sort du monde […] Je dois avouer que je hais plus ceux qui exercent l’injustice que je ne plains ceux qui la subissent. C’est ce que j’ai senti lors de l’affaire Dreyfus, où je détestais le général Mercier bien plus que je ne compatissais au bagne de sa victime […] Au vrai, j’aurai été ému, devant l’injustice humaine, de principes qu’on violait plus que d’humains qui souffraient » [58]. Mais, selon Benda, la valeur des idées échappe au plus grand nombre. La pensée proprement dite (non imagée, non polluée par les « bons sentiments »), avec les activités qui la conditionnent (« souci des définitions précises, maniement de l’abstraction, attention à distinguer les concepts, à ne tirer des prémisses que les conséquences qu’elles contiennent, à se méfier des sophismes insidieux […], à conserver l’accord avec soi-même, à organiser les idées ») ne convient pas au « vulgaire » qui « n’éprouve pour elle aucun attrait » [59]. Benda le dreyfusard et l’antinationaliste est ainsi amené à se demander jusqu’à quel point il peut se dire démocrate : « […] Pour en finir avec la démocratie, quand je songe que, par la domination du plus grand nombre, elle implique nécessairement le triomphe de l’agréable et du clinquant et l’indifférence à la pensée sérieuse ou tâchant de l’être, c’est-à-dire va directement contre mes intérêts personnels, je pense que je fais œuvre d’une certaine dose d’abnégation en soutenant cette forme de régime » [60]. Son soutien consiste d’ailleurs « beaucoup moins à aimer ce régime qu’à haïr ceux qui s’y opposent » [61]. Position réactive, dira-t-on, mais parfaitement assumée et tirée au clair par ce « bourgeois janséniste » qui dit aussi avoir « la passion » des principes [62].

20L’une des analyses les plus pertinentes de Benda sur ce terrain consiste à démolir le dogme républicain de la « solidarité ». Pour comprendre son analyse, il faut remonter à l’argument développé par l’école solidariste. Cet argument est très actuel puisqu’il est repris de nos jours par les mouvements de gauche contre la doctrine libérale. En résumé, les occupants d’un territoire doivent aux nouveaux arrivants des moyens de subsistance ou la possibilité de s’en procurer par le travail ; ce devoir cesse lorsque les ressources sont trop limitées ; la collectivité peut alors vouloir contrôler les naissances et les flux migratoires de manière que le nombre d’habitants n’excède pas le nombre de places disponibles. Remarquons que, d’après ce principe, les « sans papiers » n’ont aucun « droit » à un hébergement et à un travail dans un pays censé contrôler ses frontières. Peut en revanche se manifester un sentiment de fraternité universelle ; la formule de Térence : « rien de ce qui est humain ne m’est étranger » reprise par le socialisme évangélique de 1848, a été réinvestie dans la sémantique compassionnelle de la gauche politique et intellectuelle. Mais cela mis à part, un pays qui ne pratique pas le contrôle des naissances s’engage implicitement à fournir aux familles pauvres les moyens de nourrir et d’éduquer les enfants qu’elles mettent au monde. Tel est l’argument qu’Alfred Fouillée opposait déjà à Malthus [63]. Or c’est là une interprétation tout à fait contestable. Benda la réfute en faisant remarquer que l’absence de contrôle de la natalité rend chaque famille seule responsable de ses choix, et que c’est au contraire dans les pays où il existe une législation sur cette question que les familles auraient droit, quand elles seraient en règle avec la loi, de réclamer l’aide publique. La société n’est tenue à aucun devoir « parce qu’il a plu à deux humains de faire un enfant sans la consulter sur les moyens de pourvoir à sa vie » [64]. Benda dénonce un chantage compassionnel en parlant d’un dogme qui dérive « non de l’esprit de justice, mais de la pure sentimentalité », et il déplore l’injustice dont l’enfant est victime… par la faute de ses parents [65].

Remarques finales sur les croyances et l’idéologie

21Selon Tocqueville, « la majorité des hommes s’arrêtera toujours dans l’un de ces deux états : elle croira sans savoir pourquoi, ou ne saura pas précisément ce qu’il faut croire » [66]. Parallèlement, « une doctrine ne devient active qu’en devenant aveugle ». Cette formule de Taine s’applique aux préjugés de la philosophie rationaliste du XVIIIème siècle qui domine l’esprit politique contemporain et entrave toute compréhension des phénomènes traditionnels. « Pour entrer dans la pratique, pour prendre le gouvernement des âmes, pour se transformer en un ressort d’action, il faut qu’elle [cette doctrine] se dépose dans les esprits à l’état de croyance faite, d’habitude prise, d’inclination établie, de tradition domestique […] Mais du même coup elle a cessé d’être critique et clairvoyante ; elle ne tolère plus les contradictions ou le doute, elle n’admet plus les restrictions ni les nuances » [67]. Dans toute société, les idées communes nécessaires à la conservation de l’unité sont des croyances. Une croyance est une affirmation renvoyant à une action qui n’est pas immédiatement exécutable : c’est une promesse d’action, comme le montre Janet. Prenons l’exemple des droits de l’homme : ils reposent sur une certaine idée de l’homme qui pourrait théoriquement se vérifier chez tous les hommes, sauf que cette vérification est impossible, notamment parce que les qualités prêtées aux hommes sont de simples dispositions et non des manifestations phénoménales observables et contrôlables. Alain donne cette définition : « Croyance. C’est le mot commun qui désigne toute certitude sans preuve. La foi est la croyance volontaire. La croyance désigne au contraire quelque disposition involontaire à accepter soit une doctrine, soit un jugement, soit un fait. On nomme crédulité une disposition à croire dans ce sens inférieur du mot » [68]. Et Nietzsche : « L’accoutumance à des principes intellectuels sans raisons est ce qu’on nomme croyance » [69]. Les idées dominantes admises sans démonstration par « le plus grand nombre » se révèlent tout à fait discutables dès qu’on prend la peine de les examiner et de s’en désaccoutumer.

22Les croyances les plus extravagantes peuvent avoir cours en démocratie comme ailleurs. Alan Sokal se dit déconcerté par une société dans laquelle 50% de la population adulte croit à la perception extrasensorielle, 42% aux maisons hantées, 41% à la possession par le diable, et il se dit plus inquiet encore quand 21 à 32% de la population américaine pense que le gouvernement de Saddam Hussein était impliqué dans les attentats du 11 septembre [70]. Mais on pourrait trouver tout aussi stupéfiant que bon nombre de députés français justifient l’IVG par « le droit des femmes à disposer de leur corps » [71], alors qu’il est pour le moins discutable qu’un embryon contenant toutes les virtualités de l’être humain qu’il deviendra (et qu’il est déjà « en puissance » [72]) puisse être assimilé à un fragment corporel, à supposer même qu’il soit pertinent, dans une société faite d’individus interdépendants, de reconnaître à chacun un droit à « disposer de son corps ». Si on analyse de manière sociologique et historique (donc d’un point de vue extérieur) ce « droit des femmes à disposer de leurs corps », on s’aperçoit qu’il traduit dans le langage des « droits naturels », de la vérité, des valeurs, de la raison, etc., une prise de pouvoir par les femmes de la petite-bourgeoisie dans un monde auparavant dominé exclusivement par les hommes. Cette traduction d’un rapport de force dans le langage des « vérités démocratiques » se retrouve dans toutes les situations politiques où l’on refuse d’assumer les choix de société comme des options commandées par l’état de la société (et non par la réalisation sur terre d’un idéal absolu) [73]. L’objet qui s’impose ici à la croyance citoyenne présente toutes les caractéristiques de l’idéologie : c’est un discours qui prétend à une « vérité universelle » (déclaration de « droits imprescriptibles »), masque ses origines (une inversion historique des rapports de force), légitime un état de fait (les intérêts des femmes émancipées), et produit un rapport au réel faussé par la médiation des idées dominantes (en l’occurrence : l’illusion d’une discontinuité du vivant créée par l’alibi éthique de la dépénalisation). On en dirait autant du droit en général, qu’on présente en démocratie comme le dépassement définitif de la logique de la violence, mais qui consiste plus vraisemblablement dans la neutralisation provisoire de rapports de force [74]. Nietzsche dénonce déjà cette hypocrisie en remarquant que les dirigeants modernes, soucieux de dissimuler l’exercice de leur domination, disent « obéir » à la Constitution [75]. On pourrait remarquer également (ce qui constitue une preuve par l’absurde) que le droit est violé ou contourné par ses propres auteurs lorsqu’il n’est plus en leur faveur ou que les rapports de force ont changé [76]. Bien entendu, tout système de croyances ne possède pas cette dimension idéologique : on atteint ici un niveau très élaboré d’endoctrinement, qui toutefois n’est pas exceptionnel dans nos sociétés. Mais il y a un trait commun à toutes les manifestations d’obscurantisme démocratique : c’est la propension des idées dominantes à se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas : des « vérités ». Or on peut toujours adhérer à telle ou telle croyance, mais face au discours intimidant, la pensée philosophique se doit d’être une pensée sans complaisance.

Bibliographie

Bibliographie

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  • Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1986.
  • Veil Simone, Une vie, Stock, 2007.

Notes

  • [1]
    A. Comte, Considérations philosophiques sur les sciences et les savants, réédité dans le Système de politique positive, Paris, Anthropos, 1970, t. IV, p. 143 (éd. originale : 1825).
  • [2]
    A. Comte, Cours de philosophie positive, leçon 1, rééd. Paris, Hermann, 1975, vol. I, p. 38 (éd. Originale : 1830).
  • [3]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, Paris, GF, t. I, p. 492, éd. Laski, t. I, p. 390 (éd. originale : 1835-1840).
  • [4]
    Voir notamment le § 242 de Par delà bien et mal, Œuvres Complètes, Gallimard, traduction de l’édition Colli-Montinari, sous la responsabilité de Gilles Deleuze et Maurice de Gandillac, t. VII, p. 161-162 (désormais : OC).
  • [5]
    L’analyse qui suit est volontairement symptomatologique et évite le piège du systématisme dans lequel s’enferment bon nombre de thèses indémontrables, notamment les thèses conspirationnistes.
  • [6]
    « Un bouddhiste se met à voyager en pays bouddhiste ; plus il voit de gens persuadés comme lui de la vérité des incarnations de Bouddha, plus sa foi en ses dogmes se fortifie » (G. Tarde, La logique sociale, Synthélabo, 1999, p. 133, éd. originale : 1893).
  • [7]
    Voir Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 17-18, éd. Laski, t. II, p. 18.
  • [8]
    Janet, L’amour et la haine, Paris, Maloine, 1932, p. 86.
  • [9]
    Janet, De l’angoisse à l’extase, Paris, Alcan, 1926, t. I, pp. 223-224.
  • [10]
    Pascal, Pensées, édition Brunschvicg n° 252 (Lafuma n° 821), Paris, GF, 1976, p. 123.
  • [11]
    Tarde observe cependant certains mouvements d’attraction vers le bas comme la pénétration de l’argot dans le parler des bourgeois, mais il n’en conclut pas à un fatal nivellement. Il y voit une imitation réciproque analogue aux échanges thermodynamiques : l’énergie se transfère plus massivement du corps chaud vers le corps froid que du froid vers le chaud. Voir Les lois de l’imitation, rééd. Kimé, 1993, p. 233-234 (2ème édition : 1895).
  • [12]
    Tarde, Les lois de l’imitation, p. 275.
  • [13]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 146, éd. Laski, t. II, p. 121.
  • [14]
    Janet, De l’angoisse à l’extase, t. I, p. 224.
  • [15]
    Expression employée (en toute bonne conscience) par Pierre-André Taguieff, dans La République menacée, Entretien avec Philippe Petit, Paris, Editions Textuel, 1996, p. 35.
  • [16]
    C’est ainsi que le libéralisme, subdivisé en libéralisme libertaire et libéralisme sécuritaire, peut se propager sous l’apparence d’un conflit gauche- droite.
  • [17]
    Nietzsche, Ecce homo, OC. t. VIII, p. 294.
  • [18]
    « Le vrai rôle du gouvernement n’est pas de gouverner les hommes […] c’est de leur apprendre à se gouverner eux-mêmes […] Tel doit être par-dessus tout le gouvernement démocratique : la vraie démocratie n’est pas celle où chacun peut devenir le maître de tous les autres, mais où tous sont leur propre maître » (Jules Barni, La morale dans la démocratie, Paris, Germer Baillière, 1868, p. 176).
  • [19]
    Catherine Kintzler, Tolérance et laïcité, Editions Pleins feux, 1998, p. 37.
  • [20]
    Catherine Kintzler, Qu’est-ce que la laïcité ?, Paris, Vrin, 2007, p. 33.
  • [21]
    Marcel Gauchet, Le désenchantement du monde, Paris, Gallimard, 1985, p. 65.
  • [22]
    Sur « l’illusion des idéalistes », voir Nietzsche, Humain, trop humain, § 490, OC. t. III, vol. 1, p. 267.
  • [23]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 17, éd. Laski, t. II, p. 18.
  • [24]
    Tarde, Les lois de l’imitation, p. 250.
  • [25]
    Durkheim affirme que le groupe se pense lui-même dans des représentations collectives et qu’il y a donc une conscience collective qui a ses propres lois d’« idéation collective ». Non seulement les faits sociaux diffèrent en nature des faits psychologiques, mais ils ont « un autre substrat ». Embarrassé toutefois par ses propres affirmations et leurs éventuelles connotations ontologiques, il précise qu’il n’est pas nécessaire d’hypostasier la conscience collective : il la désigne par un terme spécial pour faire comprendre au lecteur que la méthode d’étude des phénomènes sociaux ne peut pas se réduire à la méthode utilisée par la psychologie et même par ce que l’on entend généralement sous le terme de psychologie sociale. Durkheim invite son lecteur à voir dans les distinctions qu’il opère des distinctions méthodologiques et non ontologiques. Voir Les règles de la méthode sociologique, PUF, Quadrige, 1999, Préface de la seconde édition (en particulier pp. XVII-XIX et p. 103 note).
  • [26]
    Durkheim, L’éducation morale, Paris, Alcan, 1934, p. 33.
  • [27]
    Ibid., p. 89.
  • [28]
    Rappelons que le mot « autorité » vient du latin auctoritas qui renvoie à auctor (auteur) et s’apparente au verbe augere (« augmenter »).
  • [29]
    Durkheim, L’individualisme et les intellectuels, Mille et une nuits, 2002, pp. 19-20 (éd. originale : 1898).
  • [30]
    Le raisonnement n’aurait aucune peine à démêler certaines incohérences dans les sermons multiculturalistes ; par exemple, il ne serait pas difficile de montrer qu’une France métissée serait un pays dans lequel, à terme, il n’y aurait plus de différences visibles, donc plus de « diversité » au sens idéologique du mot.
  • [31]
    Durkheim, Sociologie et philosophie, Paris, PUF, 1967, p. 79 (1ère édition : 1924).
  • [32]
    Alain, Définitions, Paris, NRF, 1953, p. 89.
  • [33]
    Sur le rapport des lois Gayssot à « l’éthique de la croyance », voir Jacques Bouveresse, Peut-on ne pas croire ? Marseille, Agone, 2007, p. 73.
  • [34]
    Très révélatrice, l’affaire Gouguenheim déclenchée en avril 2008 par un ouvrage de vulgarisation dans lequel l’historien médiéviste soutenait la thèse d’une filière occidentale dans la transmission de l’héritage grec. Pour avoir osé contester une vérité officielle, Gouguenheim subit la pression d’un certain nombre d’universitaires qui l’accusèrent d’islamophobie et de racisme et organisèrent contre lui des pétitions. Face à cette réaction déchaînée et totalement disproportionnée s’agissant d’un sujet aussi académique, des spécialistes de la question prirent sa défense, ainsi que des historiens polonais qui reconnurent dans ces méthodes d’intimidation les pratiques de l’époque soviétique.
  • [35]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. I, p. 353, éd. Laski, t. I, p. 266.
  • [36]
    Ibid., GF, t. I, p. 354, éd. Laski, t. I, p. 267.
  • [37]
    Ibid., GF, t. I, p. 355, éd. Laski, t. I, p. 267.
  • [38]
    L’ironie du révisionnisme, si l’on veut bien faire abstraction de son arrière-fond sinistre, consiste à prendre la démocratie en défaut en lui adressant une demande de « libre examen » dans un domaine où cette pratique intellectuelle n’est plus autorisée.
  • [39]
    Renaud Camus, La dictature de la petite bourgeoisie, Toulouse, Privat, 2005, p. 23.
  • [40]
    Durkheim, Textes, éd. de Minuit, 1975, t. 2, pp. 277-278.
  • [41]
    Comte, Catéchisme positiviste, Paris, Garnier-Flammarion, 1966, p. 215 (éd. originale : 1852).
  • [42]
    Ibid., pp. 215-216.
  • [43]
    Ibid., p. 216.
  • [44]
    Durkheim, L’éducation morale, p. 220.
  • [45]
    On va culpabiliser, par exemple, tout individu qui ose tenir des propos vaguement « eugénistes », donc politiquement incorrects, mais paradoxalement, on n’accusera jamais les responsables du dépistage prénatal et des lois sur l’avortement qui ont pourtant favorisé un eugénisme réel. Sur cet eugéniste non étatique, mais procédant de l’addition d’actes personnels encouragés par la pression sociale et les pouvoirs publics, on renvoie au livre de Catherine Bachelard-Jobard : L’eugénisme, la science et le droit, PUF, 2001, pp. 97-115.
  • [46]
    Cette attitude réactive se manifeste de nos jours dans la justification théorique des émeutes suburbaines, considérées comme des réactions normales à une injustice dont l’existence est plutôt affirmée que démontrée.
  • [47]
    Je me permets de renvoyer à mon article : « Le devoir comme application à soi d’une conduite acquise en fonction des autres » paru dans le n° 30 du Philosophoire (automne 2008), pp. 45-53.
  • [48]
    Le comble est atteint lorsque les candidats au baccalauréat doivent commenter « Lily » de Pierre Perret, chanson dont il est indiqué qu’elle a valu à son auteur le prix de la Licra, puis composer, pour le sujet dit « d’invention », un texte dénonçant le racisme subi par la Somalienne à son arrivée en France. Parmi les réactions suscitées par cette instrumentalisation idéologique de l’école, on lira Jean-Paul Brighelli : La fabrique du crétin, Gawsewitch, 2005, pp. 92-93.
  • [49]
    Pour s’en convaincre, on relira l’interview de Foucault dans laquelle ce dernier affirme vouloir « effacer cette frontière profonde entre l’innocence et la culpabilité » et cite la déclaration de Genet à propos d’un détournement d’avion par un groupe palestinien (« Un juge serait-il innocent, et une dame américaine qui a assez d’argent pour faire du tourisme de cette manière-là ? […] »). Propos recueillis dans Dits et écrits, Gallimard, 1994, t. II, p. 231.
  • [50]
    La victimisation actuelle des délinquants, des « sans papiers », les Palestiniens, des « jeunes des banlieues » réputés « stigmatisés » et la culpabilisation de la société française, rongée par sa « mauvaise conscience », sont, d’après nous, des croyances fortement impliquées dans les comportements identificatoires culturellement régressifs d’une large partie de la jeunesse non défavorisée.
  • [51]
    Le discours écolo-catastrophiste s’appuie sur des images spectaculaires pour déclencher « une prise de conscience » (pour augmenter, en réalité, la croyance en un « réchauffement climatique » global dont le concept est, tel quel, scientifiquement irrecevable). Il est intéressant de noter que ce discours fait l’impasse sur la surpopulation planétaire, pourtant directement responsable de l’augmentation des gaz à effet de serre et menaçante à bien d’autres égards pour le bien-être des générations à venir. L’alliance objective de l’écolo-catastrophisme et du catéchisme multiculturaliste est rendue évidente par les connexions internes de l’altermondialisme.
  • [52]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. II, p. 208, éd. Laski, t. II, p. 174.
  • [53]
    Ibid., GF, t. I, p. 520, éd. Laski, t. I, p. 414.
  • [54]
    Ibid., GF, t. II, p. 16, éd. Laski, t. II, p. 17.
  • [55]
    Ibid., GF, t. II, p. 25, éd. Laski, t. II, p. 23.
  • [56]
    Ibid., GF, t. II, p. 55, éd. Laski, t. II, p. 48.
  • [57]
    Nietzsche, Généalogie de la morale, p. 14, OC, t. VII, p. 220.
  • [58]
    Julien Benda, La jeunesse d’un clerc, suivi de Un régulier dans le siècle et de Exercice d’un enterré vif, Gallimard, 1968, p. 170 et p. 354.
  • [59]
    Benda, Du style d’idées, Gallimard, 1948, p. 247.
  • [60]
    Benda, La jeunesse d’un clerc…, p 363.
  • [61]
    Ibid., p 362.
  • [62]
    Ibid., p. 213 et pp. 182, 341 et 346.
  • [63]
    Fouillée, La propriété sociale et la démocratie, Paris, Hachette, 1884, p. 77.
  • [64]
    Benda, La jeunesse d’un clerc…, p. 358-359
  • [65]
    Ibid., p. 358-359.
  • [66]
    Tocqueville, De la démocratie en Amérique, GF, t. I, p. 273, éd. Laski, t. I, p. 193.
  • [67]
    Taine, Les Origines de la France contemporaine, Paris, R. Laffont, coll. « Bouquins », 1986, p. 158.
  • [68]
    Alain, Définitions, p. 72. Voir aussi Propos sur les pouvoirs, éd. Gallimard, Folio Essais, 1985, p. 332 (« l’individu qui pense contre la société qui dort, voilà l’histoire éternelle ») et p. 352 (« C’est par croire que les hommes sont esclaves. Réfléchir, c’est nier ce que l’on croit »).
  • [69]
    Nietzsche, Humain, trop humain, § 226, OC. t. III, vol. 1, pp. 160-161.
  • [70]
    Cité par Bouveresse dans Peut-on ne pas croire ?, p. 154.
  • [71]
    Voir Simone Veil, Une vie, Stock, 2007, p. 188.
  • [72]
    Ibid., p. 352.
  • [73]
    Un exemple de traduction emphatique (dans le discours des grands idéaux) de principes d’action circonstanciels : la question du temps de travail. La diminution du temps de travail peut être souhaitable dans des conditions professionnelles anxiogènes, mais on ne saurait légitimement en déduire, comme on nous le suggère pourtant, que le travail est en soi une malédiction ; et l’inverse est aussi vrai : il peut être souhaitable de travailler davantage en des temps de malaise économique, mais on ne saurait en déduire pour autant que le travail est une « valeur ». Le travail comme malédiction et le travail comme valeur sont des croyances.
  • [74]
    Alain définit le contrat comme neutralisation d’une ruse par une autre. Voir ce contrat de partage entre deux héritiers : « Tu fais les parts et je choisis, ou bien je fais les parts et tu choisis » (Définitions, p. 134).
  • [75]
    Nietzsche, Par delà bien et mal, § 199, OC t. VII, pp. 110-111.
  • [76]
    Ainsi les Etats-Unis ont-ils attaqué l’Irak sans l’aval de l’ONU, parce que le Conseil de sécurité n’était pas majoritairement favorable à une intervention militaire, mais ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres…
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