Notes
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[1]
Nous reviendrons plus bas sur l’interprétation qu’à faite Alain Touraine du mouvement de grèves, de manifestations et de coordination des luttes qui a éclaté à la fin de 1995 et qui lui a valu l’opprobre des intellectuels engagés à gauche.
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[2]
Nous employons ici le terme « sociétal » pour préciser qu’il s’agit bien de l’histoire de la société, de sa dimension historique, et non de l’histoire du social, des luttes, des politiques et/ou du travail social.
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[3]
Exposée dans A. Touraine, La voix et le regard, Seuil, 1978.
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[4]
A. Touraine (avec F. Dubet et M. Wieviorka), Le mouvement ouvrier, Fayard, 1984 ; A. Touraine (avec F. Dubet, Z. Hegedus et M. Wieviorka), Lutte étudiante, Seuil, 1978 ; A. Touraine (avec F. Dubet, Z. Hegedus et M. Wieviorka), Le pays contre l’Etat, Seuil, 1981 ; A. Touraine (avec F. Dubet, Z. Hegedus et M. Wieviorka), La prophétie antinucléaire, Seuil, 1980.
-
[5]
C’est ainsi que l’on peut comprendre l’attention portée par le sociologue aux sociétés sud-américaines dont témoignent Vie et mort du Chili populaire (Seuil, 1973) et La parole et le sang (Odile Jacob, 1988). Nous prenons ici le parti de ne pas prendre en compte cet aspect du travail d’Alain Touraine dont il rappelle lui-même qu’il aura certes constitué une source d’inspiration supplémentaire de sa réflexion mais surtout un repli et une esquive face aux attaques répétées dont il a pu faire l’objet, en particulier en raison du caractère réformiste de ses engagements (Cf. A. Touraine, F. Khosrokhavar, La recherche de soi. Dialogue sur le sujet, Fayard, 2000). De même, le mouvement « Solidarnosc » en Pologne au tout début des années 80 représente, en raison de son contexte socio-politique, un mouvement trop particulier pour que l’analyse qu’en a faite le CADIS (Cf. A. Touraine avec F. Dubet, J. Strzelecki et M. Wieviorka, Solidarité, Fayard, 1982) puisse être mise sur le même plan que celles qu’il a faite des autres mouvements sociaux français.
-
[6]
In A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op. cit.
-
[7]
Cf. A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op.cit.
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[8]
Cf. A. Touraine, La conscience ouvrière, Seuil, 1966.
-
[9]
A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op.cit., p. 113.
-
[10]
A. Touraine, Production de la société, Seuil, 1973.
-
[11]
A. Touraine, 1973, op.cit.
-
[12]
A. Touraine, 1984, op.cit, p. 18.
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[13]
A. Touraine, 1973, op.cit.
-
[14]
A. Touraine, Sociologie de l’action, Seuil, 1965.
-
[15]
L’action, dit Touraine, l’emporte sur la structure. « Contre le fonctionnalisme, j’ai cru à la confrontation brutale entre un système social dominé par un pouvoir et des mouvements sociaux cherchant à le faire basculer (…) Mes livres d’avant 1968 se sont construits autour de cette affirmation de l’action » (A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op.cit., p. 55).
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[16]
« Appel pour une réforme de fond de la Sécurité sociale », Le Monde des 3-4 décembre 1995. Rappelons que la principale raison du soutien de ce sociologue, qui a toujours honnêtement affiché ses opinions en faveurs des politiques sociales (Cf. A. Touraine, Lettre à Lionel, Michel, Jacques, Martine, Bernard, Dominique… et vous, Fayard, 1995), réside dans l’urgente nécessité de résoudre le problème de la baisse programmée des cotisations-retraite et de la hausse programmée des pensionnés, diagnostiqué dès 1992 dans le Livre blanc remis à Michel Rocard alors Premier ministre, et non dans la liquidation de l’économie publique et du système social. Ainsi, il persistera, 6 mois après la polémique, à se demander « comment peut-on refuser de modifier un système de retraites quand l’évolution démographique conduit inéluctablement à l’augmentation massive des cotisations ou à une baisse forte des prestations, si n’est modifiée au moins la troisième variable du système, la durée des cotisations ? » (A. Touraine, 1996, op.cit., p. 45). Au reste, cet appel émettait les plus grandes réserves sur la méthode brutale employée par le gouvernement pour définir et mener cette réforme et surtout sur ses propositions concernant l’allongement de la durée des cotisations qui auraient supposé, à tout le moins, la mise en route d’une procédure de réflexion, d’analyse et de négociations avec l’ensemble des partenaires sociaux.
-
[17]
« Appel des intellectuels en soutien aux grévistes », Le Monde du 15 décembre 1995.
-
[18]
A. Touraine, 1996, op.cit, p. 13.
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[19]
« La question ainsi précisée, écrit-il, je suis obligé de lui répondre par la négative. Non, la grève de novembre-décembre, si importante qu’elle ait été, n’était pas un mouvement social. Mais j’ajoute aussitôt qu’elle fut un grand refus, profond et prolongé, soutenu fortement par l’opinion publique. Elle fut tout autre chose que la défense d’intérêts acquis – ne parlons même pas de privilèges, ce mot devant être réservé à des catégories plus fortunées et plus puissantes –, elle fut l’expression d’une grande inquiétude et du rejet d’un système économique détruisant, au nom des lois du marché, les conquêtes sociales de tout un demi-siècle, étendant les emplois précaires, accroissant le chômage et pesant aussi sur les salaires. De telles craintes étaient manifestement justifiées par la montée, depuis des années, du chômage et de la précarité. Mais la force du refus ne suffit pas à définir le projet transformateur d’un mouvement social. » (A. Touraine, 1996, op.cit, p. 47).
-
[20]
A. Touraine, Le mouvement de Mai ou le communisme utopique, Seuil, 1968.
-
[21]
« Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation associée à l’existence du service public (nota bene : c’est nous qui soulignons), celle de l’égalité républicaine des droits, droits à l’éducation, à la santé, à la culture, à la recherche, à l’art, et, par-dessus tout, au travail (…) Cheminots, postiers, enseignants, employés des services publics, étudiants, et tant d’autres, activement ou passivement engagés dans le mouvement, ont posé, par leurs manifestations, par leurs déclarations, par les réflexions innombrables qu’ils ont déclenchées et que le couvercle médiatique s’efforce en vain d’étouffer, des problèmes tout à fait fondamentaux, trop importants pour être laissés à des technocrates aussi suffisants qu’insuffisants : comment restituer aux premiers intéressés, c’est-à-dire à chacun de nous, la définition éclairée et raisonnable de l’avenir des services publics, la santé, l’éducation, les transports, etc., en liaison notamment avec ceux qui, dans les autres pays d’Europe, sont exposés aux mêmes menaces ? Comment réinventer l’école de la République, en refusant la mise en place progressive, au niveau de l’enseignement supérieur, d’une éducation à deux vitesses, symbolisée par l’opposition entre les grandes écoles et les facultés ? Et l’on peut poser la même question à propos de la santé ou des transports. Comment lutter contre la précarisation qui frappe tous les personnels des services publics et qui entraîne des formes de dépendance et de soumission particulièrement funestes dans les entreprises de diffusion culturelle (radio, télévision ou journalisme), par l’effet de censure qu’elles exercent, ou même dans l’enseignement ? » (extrait de « Combattre la technocratie sur son terrain », Discours aux cheminots grévistes, Paris, Gare de Lyon, 12 décembre 1995, publié dans Libération du 14 décembre 1995).
-
[22]
A. Touraine, 1984, op.cit.
-
[23]
A. Touraine, 1996, op.cit.
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[24]
Cf. A. Jazouli, Une saison en banlieue, Plon, 1995.
-
[25]
A. Touraine, Comment sortir du libéralisme ?, Fayard, 1999, p. 36.
-
[26]
Ch. Tilly, La France conteste. De 1600 à nos jours, Fayard, 1984.
-
[27]
Ch. Tilly, 1984, op. cit.
-
[28]
DAL, Le logement ; un droit pour tous, Le cherche-midi éditeur, 1996, p. 121.
-
[29]
A. Touraine, 1996, op. cit., p. 7-8.
-
[30]
S. Tarrow, Power in movement. Social movements, collective action and politics, Cambridge University Press, 1994, pp. 3-4.
-
[31]
D. A. Snow, R. Burke, S. Worden, R. D. Benford, « Frame alignment processes, micromobilization and movements participation », American Sociological Review, vol. 51, 1981 ; American Sociological Review, n° 6, vol. 61, « Social movements and frames », december 1996.
-
[32]
Nous empruntons ce concept à Pierre Bourdieu (« Quelques propriétés des champs », Questions de sociologie, Minuit, 1984) en lui ôtant, toutefois, la statique des pouvoirs qu’elle contient.
-
[33]
« Nonviolence as contentious interaction », Political studies, June 2000.
-
[34]
G. H. Mead, Mind, Self and Society from the standpoint of a social behaviorist, University of Chicago Press, 1934.
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[35]
E. Goffman, Les rites d’interaction, Minuit, 1974.
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[36]
G. H. Mead, 1934, op. cit.
-
[37]
A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op. cit., p. 114.
-
[38]
A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op. cit., p. 45.
1Comme nous le montrent les historiens de la philosophie et les sociologues des sciences ou de la littérature, la philosophie est une discipline historique, au sens où elle est ancrée dans un contexte temporel et dans une époque donnée. De même, les théories et les analyses des sciences sociales, qui procèdent par abstraction à partir du réel et par hypothèses destinées à donner sens aux événements perçus, avec cette contrainte que les faits observés leurs correspondent, ces théories et analyses, donc, reposent, en ce qui les concernent, sur des « philosophies » : pas de discours sur la société, nulle enquête qui n’impliquent à son tour des présupposés ontiques posant comme des choses réelles du monde l’existence de concepts aussi abstraits que celui, par exemple, d’acteur social, celle d’un espace mental et spatial regroupant les individus sous diverses formes (organisations, institutions, société, communauté) ou encore celle de processus et mécaniques tels que mouvements et tendances sociales. Mais ces présupposés peuvent aussi voiler le regard de l’observateur de la société et occasionner des erreurs d’interprétation.
2La théorie sociologique d’Alain Touraine n’échappe pas à cette règle, qui colporte avec elle une vision complète et cohérente de la société. Au-delà de la polémique suscitée par les prises de position du sociologue au moment du mouvement social de 1995 [1], nous voudrions ici tenter de montrer en quoi cette prise de position relève d’une certaine conception du temps social, de l’histoire sociétale [2] considérée comme linéaire, orientée vers une fin, ou, tout au moins, traversant des étapes qui se suivent logiquement, et où la dimension d’événementialité joue un rôle important. Bien sûr, dans cette affaire, le désormais classique travail d’analyse effectué par Alain Touraine et l’équipe du CADIS (Centre d’Analyse et d’Intervention Sociologique) par des procédures d’enquête prolongée et exhaustive selon la méthode de l’Intervention Sociologique [3] sur ce qu’ils ont appelé les « nouveaux mouvements sociaux » [4] n’est pas à remettre en cause : en retraçant le discours et les valeurs que ces mouvements ont véhiculés et promus, en révélant les motivations et les représentations des acteurs et en les confrontant entre eux et avec celles de leurs interlocuteurs, partenaires et adversaires, il les a creusés dans toute leur profondeur et en a révélé le sens sociétal profond. Et s’il a contribué à leur donner intelligibilité et visibilité, c’est aussi parce qu’il s’appuyait sur une théorie homogène et cohérente de la société élevée par la sociologie au rang de véritable paradigme pour la lecture des mouvements sociaux. Mais, en portant essentiellement sur des mouvements sociaux de grande ampleur et visibles à travers des manifestations de masse, cette conception de l’histoire sociétale aura aussi gêné l’appréhension de mouvements plus discrets ou plus souterrains, mais qui n’en affectent pas moins la société en profondeur et participent à son travail de changement perpétuel, et ce en dehors de ses crises et convulsions les plus visibles.
3Le problème que pose cette sociologie n’est donc pas méthodologique mais conceptuel. Il réside dans la conception qu’elle se fait de la société, laquelle, parce qu’essentiellement macrosociale et historiciste, comporte toujours le risque d’empêcher d’appréhender le travail constant de la société sur elle-même. Nous voudrions alors poser la question de l’historicité de la société au regard de ce qui ne peut être nommé au sens propre du terme des « mouvements sociaux », de cette mobilisation permanente des militants politiques, des acteurs de la contre-culture ou encore des citoyens engagés à quelque niveau que ce soit (global ou local). Nous voudrions ainsi plaider pour une conception « plate » de l’historicité sociétale en vertu de laquelle on pourrait concevoir que la société puisse connaître des changements non pas seulement lors de ses crises et convulsions, mais aussi, pourrions-nous dire, par temps calme et dans ses remous permanents et incessants qui, finalement, la composent et lui donnent vie.
Une théorie de la subjectivation
4Bien qu’elle se déploie sur près de quarante ans d’histoire et de réflexion sociale et politique, la théorie de la société d’Alain Touraine a su maintenir une certaine cohérence. Son évolution, depuis une sociologie de la conscience ouvrière jusqu’à une théorie du sujet en passant par une analyse des mouvements sociaux, aura connu des modifications et des détours [5] mais jamais à proprement parler de rupture. Mieux – et l’auteur la présente lui-même comme telle, de manière, il est vrai, rétrospective [6] – cette réflexion se comprend comme une longue méditation sur le sujet ou, plus exactement, sur le devenir-sujet, sur la « subjectivation ». Ce questionnement se développe particulièrement dans l’analyse des mouvements sociaux des années 60-70 comme mode de construction de catégories dominées de la population (prolétariat, femmes, minorités culturelles, etc.) en acteur social puis en sujet [7].
5La question à laquelle les premiers travaux d’Alain Touraine tentent de répondre est celle de la possibilité de constitution du prolétariat comme classe sociale consistante et homogène [8]. On connaît en effet la théorie marxiste puis léniniste de constitution (et même de construction) par l’action d’un parti des prolétaires puis d’une élite révolutionnaire du prolétariat comme classe sociale assumant un rôle d’acteur historique dans le processus de changement sociétal. Cette théorie repose notamment sur un travail de « conscientisation » des prolétaires, de prise de conscience de leur position de dominés au sein des rapports de production, de leur appartenance à une classe sociale réelle et homogène et, en tant que classe sociale détentrice de la force productive, d’acteur historique détenant le monopole de la possibilité de faire l’histoire. Ainsi, Marx et Engels écrivent-ils dans leur Manifeste du Parti communiste de 1848 :
Quelle est la position des communistes vis-à-vis des prolétaires pris en masse ? Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux partis ouvriers. Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent du prolétariat en général. Ils ne proclament pas de principes sectaires sur lesquels ils voudraient modeler le mouvement ouvrier. Les communistes ne se distinguent des autres partis ouvriers que sur deux points ; 1. Dans les différentes luttes nationales prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts communs du prolétariat. 2. Dans les différentes phases évolutives de la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours et partout les intérêts du mouvement général. Pratiquement, les communistes sont donc la section la plus résolue, la plus avancée de chaque pays, la section qui anime toutes les autres ; théoriquement, ils ont sur le reste du prolétariat l’avantage d’une intelligence nette des conditions, de la marche et des fins générales du mouvement prolétarien (nota bene : c’est nous qui soulignons !). Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les autres partis prolétariens : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat.
7De même, en 1902, Lénine expose dans Que faire ? qu’il importe de créer une organisation restreinte et clandestine de révolutionnaires professionnels afin de compléter la spontanéité du mouvement ouvrier (forme embryonnaire du conscient) et sa conscience trade-unioniste (c’est-à-dire à la conviction qu’il faut s’unir en syndicats, mener la lutte contre le patronat, réclamer du gouvernement telles ou telles lois nécessaires aux ouvriers, etc.) par une conscience politique de l’opposition irréductible de ses intérêts avec tout l’ordre politique et social existant. Fortement marquée par une dimension volontariste, cette conception marxiste pose donc comme relevant du parti des ouvriers puis des élites qui le dirigent de procéder au travail de conscientisation du prolétariat.
8Chez Touraine, la mécanique est plus spontanée et la question est prise en sens inverse : l’observation du mouvement ouvrier suffit à montrer que ce processus n’a pas besoin d’être impulsé ni travaillé, mais qu’il se fait de lui-même à travers la mobilisation des travailleurs au cours de mouvements sociaux. La conscience ouvrière, affirme le sociologue, n’est pas à prendre comme donnée, ni comme promise nécessairement en vertu de la dialectique des rapports entre classes sociales, mais comme construite à la croisée d’une expérience de travail et d’une expérience de mobilisation. Elle est composée d’une « conscience prolétaire » faite d’un sentiment de manque et de privation et liée à la position de dominé dans les rapports de production, mais aussi d’une « conscience fière », faite de représentations et de valeurs morales spécifiques et de savoir-faire particuliers. Dans ce chiasme interne à la conscience ouvrière réside le devenir-sujet du prolétariat. Le problème va alors consister à comprendre par quel mécanisme et à travers quelles pratiques concrètes cette classe sociale va parvenir à se constituer comme groupe social homogène et comme acteur historique, porteur des changements de la société. Sur ce point, la mobilisation collective dans le cadre des mouvements sociaux joue un rôle considérable.
9« On n’est acteur, dit Touraine, que dans la mesure où on se constitue soi-même comme sujet de sa propre vie et de ses actes [9] ». Et devenir sujet, pour un groupe social, signifie assumer sa condition sociale objective. Sa mobilisation dans le cadre d’un mouvement social manifeste cette prise en charge de soi par ce groupe tout en même temps qu’elle la favorise en l’obligeant à énoncer cette position, à l’expliciter et à formuler des revendications pour y remédier. Ainsi, à la manière des énoncés performatifs, la fonction du mouvement social dans ce processus est double : un groupe social devient sujet dans et par la mobilisation collective qui en fait, du même coup, un acteur historique. Ce mouvement interne au sujet, le passage du « sujet vide », de cet « avant-sujet » défini par le vide et le manque, au « sujet plein », formulant des revendications, avançant un choix de société et assumant sa responsabilité historique, revient à associer dans ses conduites la poursuite dans l’action du désir de liberté personnelle (principe d’individualité), l’ancrage dans une culture de groupe social (principe d’identité) et l’appel à la raison par la formulation et la défense d’énoncés partageables (principe de raison universelle). Par cet appel à la « responsabilité morale », il opère un passage de l’appartenance à des identités individuelles et collectives qui caractérisent le groupe (culture, valeurs) au statut de sujet s’assumant soi-même au-delà de sa seule condition sociale (celle de travailleur, de femme, d’Occitan ou de Breton) comme acteur de la société susceptible d’influer sur son devenir.
Historicité de la société
10L’idée d’une historicité de la société est corrélative de cette analyse des mouvements sociaux dans le cadre théorique du devenir-sujet des minorités sociales et culturelles. Les groupes sociaux mobilisés au sein des mouvements sociaux en sont les véritables responsables. La sociologie tourainienne, qui est d’abord une sociologie de l’action, considère en effet la société comme le produit de son travail à travers les rapports sociaux des acteurs [10]. Ce que Touraine nomme son « historicité » provient de cette production d’elle-même par elle-même, ou plutôt de certaines de ses composantes par d’autres de ses composantes. Pour lui, la société est fondamentalement composée de l’« organisation sociale » d’un côté, c’est-à-dire de la société civile non-politique, et des institutions de l’autre, soit la société politico-institutionnelle et c’est l’interaction entre ces deux pôles au sein d’un « champ d’historicité » qui assure son mouvement, son historicité. En effet, selon Touraine, la société fonctionne comme un ensemble sur la base d’orientations sociales et culturelles organisées en un « système d’action historique » (SAH) dont la définition et le contrôle font l’objet de la lutte entre les groupes dominants et dominés de la société (classes dirigeantes/classes populaires ; hommes/femmes ; majorités/minorités culturelles) [11]. Avec l’« organisation sociale » et « les institutions », le SAH est la troisième composante de la société qui concentre là son principe régulateur. Aussi, contrôler la définition du contenu du SAH, c’est contrôler ce qui va régir la société.
11Ainsi, la portée sociétale d’un mouvement social réside essentiellement dans la possibilité qu’il contient de redéfinir ces valeurs et orientations sociétales. Dans ce cadre théorique, le mouvement ouvrier est « l’action organisée de la société par laquelle la classe ouvrière met en cause les modèles de gestion sociale de la production industrielle et, plus largement, la domination qu’exercent, selon ses représentants, les détenteurs du capital sur l’ensemble de la vie sociale et culturelle [12] ». Le mouvement ouvrier ne revendique pas uniquement pour améliorer son sort et obtenir des mesures sociales avantageuses, mais, comme tout mouvement social, il vise toujours aussi les orientations fondamentales de la société et il en va de même pour les autres mouvements sociaux : le mouvement écologiste et anti-nucléaire vise la fin du productivisme qui régit la société industrielle, le mouvement féministe, la fin de la domination masculine qui régit la société patriarcale et le mouvement régionaliste, la fin du centralisme jacobin et de la négation des identités particulières régionales.
12L’historicité est ce qui fait que la société connaît des changements, qu’il y a de l’histoire. Comme véritable moteur du changement de la société, ce concept recouvre deux dimensions : la première renvoie au mécanisme interne du moteur, à son fonctionnement et à sa « vertu propre » qui est celle de permettre le changement de la société. La seconde dimension inscrit la société dans une trajectoire temporelle du changement, dans une histoire linéaire.
Historicisme et systémisme
13Dans la théorie tourainienne, la société connaît une histoire et celle-ci apparaît comme un processus linéaire et plus ou moins logique, à défaut d’être nécessaire. Ainsi, le mouvement ouvrier est le mouvement qui aura animé la société industrielle fondée sur le productivisme et la conduite de la société par le politique. Les nouveaux mouvements sociaux des années 70, fondés sur des revendications plus culturelles que sociales (féminisme, régionalisme, écologie), auront pour leur part annoncé le passage à la société post-industrielle qu’ils auront contribué à créer. Au bout du compte, la « société programmée » apparaît comme un telos idéal et idéel de cette évolution sociétale et, d’une certaine manière, une « fin de l’histoire » inaccessible : fondée sur « l’accumulation de la capacité de produire de la production », elle figure le triomphe de l’historicité de la société car le modèle de développement de la société devient de plus en plus interne à son fonctionnement même [13]. Ainsi, dans la théorie tourainienne, tout se passe comme si, derrière la lutte entre institutions et société civile pour le contrôle de l’historicité de la société, l’histoire sociétale recelait une logique propre et un fonctionnement autonome. Le passage d’un type de société à un autre relève des éléments actuels de la société (son mode de production, son mode de gouvernement, la présence ou non des grands acteurs qui la structurent et leur nature et du mouvement que lui imprime leur confrontation) et d’une mécanique quasi-nécessaire entre eux que les mouvements sociaux font advenir.
14La théorie tourainienne des mouvements sociaux est donc celle du groupe social devenant sujet et acteur social à travers et par les luttes sociales. Mais cette dimension historiciste marque également sa conception de la société, de ses évolutions et de ses changements. Finalement, l’histoire propre du sujet y recoupe celle de la société. Mieux : elles sont l’une à l’autre consubstantielles car le processus par lequel le groupe social devient sujet est celui par lequel la société connaît des changements et des évolutions. Celle-ci n’a de dimension historique, d’historicité, que parce qu’elle est composée et produite par des acteurs connaissant eux-mêmes une histoire personnelle et subjective.
15En somme, tout s’y tient. C’est que la société tourainienne comporte une large dimension systémique à laquelle est liée son historicité. Cette sociologie de l’action a certes entendu réintroduire une dimension diachronique dans l’analyse de l’action sociale et rompre ainsi avec la statique du fonctionnalisme issue de la sociologie de T.Parsons [14]. La macro-sociologie tourainienne du changement et des mouvements sociaux préfère mettre l’accent sur la contestation des orientations de la société plutôt que sur le processus d’intégration des normes sociales par les sujets [15]. Mais cette réaction quasi œdipienne au modèle fonctionnaliste ne la déleste pas pour autant de la dimension systémique qu’elle en a héritée. En effet, le propre du mode d’interprétation systémique est de poser comme principe d’explication une corrélation généralisée entre les différents éléments et composantes du système. Il en va ainsi dans la société tourainienne dont les changements et évolutions affectent l’ensemble de la société considérée comme un tout, certes, non-monolythique, mais néanmoins suffisant (au sens où les changements qu’elle connaît trouvent toute leur possibilité d’explication dans ses éléments et composantes). Le SAH est avant tout un système de valeurs, de normes et de représentations qui orientent la société, et les conflits sociaux visent (et parfois parviennent) à le changer. Mais si la société connaît des changements et des évolutions, c’est dans la modification de l’ensemble de ses composantes et modalités de fonctionnement par le biais de la modification du SAH.
16Comme nous l’avons dit plus haut, la théorie touranienne, si cohérente soit-elle, a évolué. La disparition progressive du SAH, pourtant si présent dans les premiers grands ouvrages théoriques des débuts, illustre particulièrement bien ce passage d’une théorie des classes sociales vers une sociologie des mouvements sociaux puis vers une théorie du sujet. Bref, si la sociologie tourainienne s’est délestée au fur et à mesure de sa volonté de donner une théorie globale de la société sur la base d’une analyse de ses mouvements concrets, on peut dire qu’elle en est actuellement à vouloir formuler une théorie de la subjectivation sur la base d’une individualité collective abstraite (le concept de sujet). Mais cette théorie du sujet n’en a pas pour autant évacué la dimension systémique de son substrat théorique et tout le processus de subjectivation de l’acteur social repose encore sur cette conception de la société comme orientée, en mouvement sur une ligne historique. Abstraction théorique, que ce SAH. Aucune existence réelle ne le soutient, sauf celle d’un modèle destiné à fournir un schéma en vue de donner sens et cohérence aux phénomènes observés sans que rien ne garantisse pour autant sa réalité. C’est pourtant l’existence de cette grille de lecture à l’esprit du sociologue qui comporte, croyons-nous, le risque de ne pas permettre de percevoir en certaines catégories de faits sociaux la portée sociétale attribuée aux mouvements sociaux.
Le mouvement de 1995 …
17C’est en tous cas de cette manière que l’on pourrait expliquer l’analyse désillusionnée qu’Alain Touraine a pu faire du mouvement social de 1995. Rappelons brièvement les faits.
18Octobre-novembre 1995 : le gouvernement Juppé annonce sa volonté de résoudre le problème du financement de la Sécurité sociale et de diminuer les dépenses publiques de manière à réduire le déficit budgétaire et à préparer l’entrée de la France dans la monnaie unique selon les critères prévus par le Traité de Maastricht, balayant ainsi les engagements du candidat Chirac aux récentes élections présidentielles. Il fait voter à cet effet le principe de la réforme de la Sécurité sociale qui prévoit en particulier l’encadrement par le Parlement des dépenses au titre de l’assurance maladie et l’alignement des conditions d’accès à la retraite pleine et entière du secteur public sur le secteur privé (40 annuités au lieu de 37 ans et demi). Dans le même but, le projet de contrat de plan Etat-SNCF prévoit pour sa part des réductions budgétaires importantes et la baisse des investissements étatiques dans le domaine ferroviaire. A la suite des fonctionnaires, les syndicats de cheminots appellent donc à la grève suivis, fin novembre, par les employés de la RATP puis par les traminots marseillais.
19Parallèlement, la controverse s’engage entre intellectuels avec le soutien de certains d’entre eux (dont Alain Touraine) à la position de Nicole Notât, secrétaire générale de la CFDT et favorable à la réforme de la Sécurité sociale [16], auquel répond, quinze jours plus tard, le soutien d’autres intellectuels (dont Pierre Bourdieu) aux grévistes et manifestants [17]. Les principales écoles de pensée de la gauche intellectuelle s’y affrontent en deux camps : analystes des mouvements sociaux de l’école d’Alain Touraine (équipe du CADIS), sociologues de l’économie sociale et solidaire (J.-L. Laville, J.-B. de Foucauld, B. Eme,…), philosophes humanistes-chrétiens et piliers de la revue Esprit (O. Mongin, P.Thibault, J. Roman, P. Ricœur,…) contre sociologues bourdieusiens ou assimilés (G. Mauger, Ph. Champagne, L. Boltanski,…), sociologues politiques (L. Thévenot, Ph. Corcuff, N. Mayer,…) et philosophes marxistes (J. Bidet, E. Balibar, A. Brossat, R. Debray,…). Sur le terrain, les journées d’action et les manifestations s’enchaînent pour culminer le 12 décembre avec 1 million (selon la police) à 2 millions (selon les organisateurs) de manifestants dans toute la France, journée d’action renouvelée dans les mêmes proportions quatre jours après. La crise retombe à la suite du statu quo obtenu au cours du Sommet social réunissant le 21 décembre gouvernement et syndicats et, au niveau des entreprises publiques, avec la signature de protocoles d’accord garantissant le maintien des acquis catégoriels (notamment des régimes particuliers de retraite). La mobilisation étudiante qui avait démarré quelques mois auparavant s’apaise avec le plan d’urgence et les Etats généraux de l’Université annoncés par F. Bayrou. De nombreuses manifestations localisées émailleront encore çà et là les deux années suivantes à propos de conflits internes aux institutions et entreprises publiques ou privées (Education nationale, transports marseillais et toulousains, Alcathel-Alsthom, fonction publique, routiers, Renault-Vilvorde).
20Pour Alain Touraine, ces mobilisations, dont il reconnaît le caractère massif et l’inquiétude qu’elles ont exprimée, restent néanmoins dépourvues de tout projet de société et n’ont donc en rien figuré un mouvement social. Pire, elles manifestent l’incapacité du désarroi d’une frange importante de la population à trouver un débouché réformiste dans des propositions concrètes. « Le mouvement de décembre, écrit-il, a été, surtout dans les réactions de soutien à la grève, un grand refus qui allait bien au-delà de la défense des avantages acquis, mais la force de la mobilisation a montré aussi une absence de perspectives, de programme et même d’analyses [18]. » Refus des politiques libérales et des nouvelles menaces sur l’emploi, la formation, le système de protection sociale et les services publics : ce phénomène se caractérise à ses yeux par un manque singulier de projet de société. Rappelons que, pour Alain Touraine, la force du mouvement ouvrier puis des « nouveaux mouvements sociaux », aura été de proposer de nouvelles valeurs économiques, sociales, puis culturelles pour orienter la société, en modifier un « système d’action historique » dépassé. Ainsi, les événements de 1995 ne figurent pas un mouvement social, car, dans la théorie tourainienne, celui-ci ne doit pas se contenter de « refuser » la société telle qu’elle est ou les réformes qui lui sont proposées, mais il doit aussi et surtout combiner un conflit social et un projet de gestion sociétale [19].
… et son ombre portée
21Mais, si les événements de 1995 ont marqué les consciences et l’imaginaire des citoyens comme ceux des observateurs, on aurait cependant tort de voir dans la période qu’ils inaugurent un mouvement unique et homogène. Bien au contraire, et de la même façon que Mai 68 avait articulé deux types de contestation radicalement différents et incompatibles entre eux (et ce malgré toutes les tentatives de jonction des luttes) – celui des ouvriers, marqué par des revendications et des formes de mobilisation archaïques (occupation d’usine, grève, etc.) et celui des étudiants qui allait préfigurer la forme et le contenu des nouveaux mouvements sociaux à venir [20] – les événements de 1995 et ses suites ont vu se juxtaposer, d’une part, une mobilisation de la part du monde du travail, orientée vers la défense des acquis sociaux catégoriels et, à travers eux, vers le maintien d’un certain type de société que l’on peut nommer société régulée, fordiste, welfare state ou encore Etat social (ce fut, avec la dénonciation du gouvernement des élites technocratiques, le sens de l’engagement de Pierre Bourdieu notamment à travers son soutien aux cheminots [21]), et d’autre part, l’émergence de nombreux mouvements et modes d’actions innovants que l’on nommera ici « nouveaux nouveaux mouvements sociaux », par référence aux « nouveaux mouvements sociaux » analysés par l’équipe du CADIS.
22En effet, à la suite du mouvement de 1995, le syndicat SUD, à l’époque émanation récente du courant radical de la CFDT (dit « courant trotskyste »), compte une nouvelle section dans le secteur du rail avec le départ de la CFDT de nombreux employés déçus par l’attitude de leur centrale lors du conflit. Ce syndicat est à l’heure actuelle l’un des acteurs français du mouvement anti-mondialisation en relation avec de nombreuses autres organisations avec lesquelles il collabore activement. Par ailleurs, la question des sans-papiers a pris au cours de ces années de plus en plus de visibilité, en particulier après l’évacuation forcée de l’Eglise St Bernard en août 1996 puis avec les manifestations contre le projet de loi Debré sur la réforme du code de la nationalité. L’année suivante, les marches européennes contre le chômage et la précarité à l’occasion de la conférence intergouvernementale d’Amsterdam sur le Traité de Maastricht inaugurent les formes de mobilisation transversales et internationales que l’on retrouvera dans le mouvement anti-mondialisation. A la fin 1997, le mouvement des chômeurs occupe les antennes ASSEDIC, soutenu par des organisations de chômeurs récentes comme Agir contre le chômage (AC !), l’APEIS ou le Mouvement National des Chômeurs et Précaires. Lors des discussions qui s’ensuivront avec l’UNEDIC, ces organisations seront rejetées de la table des négociations par les syndicats traditionnels qui les considéreront comme illégitimes. Bref, au cours des années 1995-1998 et en parallèle au mouvement social, semble s’être opéré, après 15 ans d’apathie politique due, entre autres, à l’arrivée de la gauche au pouvoir et à la paralysie du « peuple de gauche », un réveil de la citoyenneté active et du militantisme contestataire auparavant contraint dans des formes de luttes sociales obsolètes. L’imprévisible et foudroyant succès de l’association ATTAC, créée en 1998, tant en termes d’adhésions que de gain de visibilité, manifeste particulièrement bien ce phénomène.
23Tout se passe donc comme si ces organisations, regroupant des catégories de population caractérisées par la précarité de leur situation ou luttant pour « une autre société », prenaient le relais des anciennes formes de mobilisation telles que le mouvement ouvrier – dont l’extinction avait été diagnostiquée par Alain Touraine en 1984 [22] – et tentaient à leur tour de modifier les orientations fondamentales de la société. Ainsi, le mouvement social de 1995 aura représenté pour le sociologue une des dernières convulsions d’un cadavre dont la mort était programmée, nostalgique d’un modèle de société désormais caduque [23].
24Le problème théorique que posent néanmoins les « nouveaux nouveaux mouvements sociaux » au sociologue de la subjectivation réside principalement dans la définition négative qu’ils donnent des minorités qu’ils regroupent : au-delà de leur dénomination par le manque (on a pu ainsi les regrouper sous le terme de « mouvement des sans » : sans-papiers, sans-toit, sans-emplois), un mouvement social qui se définit uniquement par l’exclusion qui caractérise la catégorie de population qu’il regroupe lui interdit de pouvoir se constituer en agent historique, de pouvoir passer du statut de « sujet vide » à celui de « sujet plein », faute de revendication de droits positifs. Les mouvements sociaux doivent ainsi savoir combiner leurs revendications particulières de groupe minoritaire à la défense de principes reconnus par la société pour transformer des victimes en acteurs sociaux. C’est, aux yeux d’Alain Touraine, le cas du mouvement des beurs des années 80 [24] ou celui du mouvement gay et lesbien qui, à travers sa participation active aux politiques de prévention du SIDA, a permis l’émergence d’une « conscience collective beure » ou encore la construction et la promotion de la culture gay et l’acquisition de droits nouveaux. Or, selon Touraine, les nouveaux nouveaux mouvements sociaux se définissent autour de la protection de l’identité culturelle, et non de la défense de droits sociaux en principes applicables à tous (à l’exception, estime-t-il, du mouvement des sans-papiers).
25A cette « sortie par le bas », Touraine préfère une « sortie vers le possible »ou vers l’avant : la sortie de la menace libérale, écrit-il, ne peut se faire que vers la « reconstruction de notre capacité d’action politique [25] », par une adaptation créatrice des politiques sociales à la nouvelle donne de l’économie internationalisée pour combiner progrès social et modernisation économique, objectifs sociaux et contraintes internationales. La société française, estime-t-il, se trouve désormais scindée en trois catégories de travailleurs : ceux des secteurs protégés par l’Etat, ceux des secteurs libéraux, concurrentiels et condamnés à être performants et les « autres », précaires, exclus, chômeurs, assistés, marginalisés. En temps de « crise » ou de récession (ou d’avancées libérales, dirons d’autres), le « privilège » réside à présent non dans le niveau de rémunération mais dans la garantie de l’emploi. Le « possible réformiste » consiste alors à transférer la main-d’œuvre peu ou pas qualifiée vers les emplois de haute technologie et les emplois de service par des actions de formation dans le cadre de la protection sociale.
Fragments d’une sociologie des formes de la mobilisation
26Plus encore que dans leur discours, les nouveaux nouveaux mouvements sociaux développent une organisation et des activités à la fois auto- et hétéro-centrées : la production de connaissance relève de l’action personnelle des militants mais doit circuler entre les militants et être largement diffusée aux citoyens non organisés ; la coordination de l’action, la mobilisation des compétences et la diffusion de l’information s’appuient sur les militants faisant réseau autour d’eux, mobilisant leurs relations personnelles et croisant les genres entre les différents collectifs et organisations. Il en va ainsi avec Droit Au Logement, Droits Devants ou AC ! qui fondent leur action sur la mobilisation des premiers intéressés (sans-logis, sans-papiers, chômeurs) secondés par des militants chevronnés ou encore avec ATTAC qui articule la production de connaissances et l’organisation des luttes à l’intersection des savoirs du « conseil scientifique » et du bureau de l’association et du travail des multiples comités locaux.
27Au niveau du système social global, ces nouveaux nouveaux mouvements sociaux n’ont pas de traduction dans les instances politiques ou syndicales institutionnelles et même s’en défient, mais tentent de s’y assurer des relais informels. Ainsi, il en va pour eux comme pour les « anciens nouveaux mouvements sociaux » qui, nous dit Touraine, se distinguaient du mouvement ouvrier en ce que les acteurs sociaux revendiquaient la nécessaire séparation de l’action politique et des mouvements sociaux, tout en affirmant leur nécessaire relation. Aussi, pris dans un ensemble, ces nouveaux nouveaux mouvements sociaux forment-ils une société civile consciente et reliée et annoncent-ils la « prise en main » de ses affaires par la société civile non-représentée.
28Autre caractéristique des nouveaux nouveaux mouvements sociaux ; ils se fondent sur l’activité de nombreuses organisations locales. Le mouvement antimondialisation est un phénomène global de contestation qui s’appuie sur une pléiade d’organisations promouvant de petites actions au niveau d’un périmètre géographiquement restreint ou sur des thématiques ponctuelles. Ce fut d’ailleurs aussi l’objet du dernier Forum Social Mondial de Porto Alegre (le troisième du genre) que de souligner la nécessité de définir une vision commune autour de principes partagés par l’ensemble des acteurs du mouvement alter-mondialiste et, en explorant entre autres les possibilités de l’économie solidaire, du commerce équitable ou de la démocratie participative, de devenir un mouvement alter-mondialiste porteur d’un projet d’une autre société, alternative à celui d’une société d’économie libérale ou d’économie d’Etat. De même, DAL ne fait qu’encadrer au niveau national l’activité des multiples comités locaux « labellisés » DAL par leur adhésion à la charte du mouvement. Aussi, au plan formel de l’organisation du mouvement, le réseau et la coordination des différents acteurs ne sont pas que des « ressources » ou des contraintes de l’action, pour reprendre le vocabulaire de la science politique ; ce sont aussi des formes d’agir en commun qui en disent long sur les valeurs que promeuvent ces nouveaux nouveaux mouvements sociaux.
29Les nouveaux nouveaux mouvements sociaux ont amené un renouvellement du répertoire classique des actions collectives [26]. DAL, créé en 1990 dans l’action et sur le terrain des luttes pour un logement décent, formule très bien ce « nouveau » répertoire d’actions [27] lorsqu’il précise « (…) les méthodes à employer (…) : occupation de logements vides, installations d’un campement, soutien de diverses personnalités, regroupement des associations et organisations [28] ». Ces formes nouvelles d’action constituent un adieu aux formes anciennes de manifestations fondées sur le poids de la masse, vers l’information et l’auto-organisation des groupes sociaux minoritaires et précaires. En outre, l’action directe, reprise de la tradition anarcho-syndicaliste et des luttes de Georges Cochon et de la Fédération Nationale des Locataires pour le logement au début du siècle (réquisition de logements vides par DAL mais aussi de postes d’emploi inoccupés par AC !, occupation des antennes ASSEDIC) et la « dramatisation des manifestations » (campements du DAL dans la rue, die-in d’Act-Up) relaient une activité militante quotidienne et notamment la gestion par les militants des situations personnelles ou collectives (travail d’information juridique, suivi des dossiers personnels des mal-logés, des malades et des sans-papiers). L’activité militante continue de ces mouvements rompt avec l’événementialité des manifestations traditionnelles qui à leur tour apparaissent comme une manière de ré-événementialiser un mouvement qui travaille en continu par des initiatives où le festif occupe une place importante. Par exemple, les « Big Brother Awards », parodie de remise de prix dénonçant les atteintes sécuritaires aux libertés publiques et récompensant les actions préventives dans ce domaine, ont décerné cette année un prix spécial à Act Up Paris pour « leur travail constant de ré-information et de défense des droits et des libertés des plus démunis, notamment sur les traitements des données médicales, pour son travail attentif de suivi lors de la constitution du fichier des maladies infectieuses à déclaration obligatoire, mis en place depuis quelques mois, et pour lequel Act Up et d’autres associations ont obtenu des garanties sur l’intégrité des données, le double anonymat et une information entière et directe des patients. » Enfin, ces organisations combinent militantisme et travail quotidien aussi bien chez les militants que chez les catégories de population qu’elles défendent, constituant une réponse à l’inquiétude du sociologue sur leur capacité à susciter la « mobilisation des salariés les plus exposés au chômage et à l’insécurité [29] ».
30Le mouvement social tourainien vise à prendre le contrôle de l’historicité au niveau national. Il est frappant de constater sur ce point que les analyses des mouvements sociaux faites par le CADIS ne se concentrent que sur des mouvements de portée nationale (abstraction faite des mouvements sud-américains, bien entendu, et compte-tenu que ces études ont été réalisées bien avant que la globalisation des rapports marchands ne suscite l’émotion des citoyens). Les valeurs promues par les nouveaux nouveaux mouvements sociaux ne visent plus le seul niveau national mais bien, sur le fondement d’actions locales, une société mondiale, la société-monde, ou plus exactement la définition d’un « vivre-ensemble » à l’échelle planétaire. Une autre société est possible, disent les alter-mondialistes mais, plutôt que d’attendre que les Etats y adhèrent, elle est déjà en place dans les pratiques concrètes des organisations et associations. Si les valeurs centrales de la société sont effectivement visées (un toit pour tous et le droit au logement au-delà de la spéculation immobilière, la libre circulation des populations sans contraintes ni frontières, la contestation du droit de propriété, l’auto-gestion), la forme, qui privilégie l’auto-organisation et la mobilisation permanente, en dit finalement autant que le fond quant aux valeurs que véhiculent ces nouveaux nouveaux mouvements sociaux.
31La question se pose donc de savoir si on peut traiter ces nouveaux nouveaux mouvements sociaux de la même manière que le mouvement plus classique de 1995. Dans la théorie tourainienne, la part des mouvements sociaux au processus de subjectivation des groupes sociaux minoritaires repose sur leur orientation en direction de la définition des valeurs centrales de la société, c’est-à-dire vers le contrôle de son historicité. L’historicité de la société est d’abord un travail sur le projet commun qui la sous-tend et la lutte visant à s’assurer le contrôle de sa définition à travers le contrôle du système d’action historique revient à s’assurer un pouvoir sociétal. Non pas le pouvoir institutionnel, mais le pouvoir d’action sur la société. Dès lors, comment considérer comme mouvement social historique ou repérer comme tel – tout simplement comment voir – un phénomène comme celui des nouveaux nouveaux mouvements sociaux alors qu’ils ne sont pas orientés vers le lieu conceptuel du pouvoir sociétal.
Pluralité en mouvement
32On peut certes encore se poser la question de l’homogénéité de ce mouvement. Composé de plusieurs organisations, multipliant les fronts de la lutte, additionnant les acteurs, l’usage du terme de mouvement social pour qualifier cet agrégat de plusieurs mobilisations pourrait être abusif En fait, cette question n’a de sens que si l’on considère la société comme un tout homogène composé d’entités complètes, sujets ou acteurs sociaux. Mais les choses vont différemment quand on privilégie une conception agrégative du mouvement social : de mouvement social, il n’est point, que de regroupement et agrégation de différents individus, reliés entre eux par des pratiques de coordination de l’action, d’information, d’échanges de points de vue, d’entraide, etc.
33Ainsi, le politologue Sydney Tarrow définit-il un mouvement social comme une « contestation collective avec des objectifs communs et un sentiment de solidarité dans une interaction prolongée avec les élites, opposants et autorité [30] ». La différence principale de cette définition avec la conception tourainienne du mouvement social réside précisément en ce qu’elle réserve une place à la pluralité dans le mouvement social et insiste moins sur la constitution de l’acteur social en une unité (le sujet) que sur ce qiù rassemble des acteurs individuels et collectifs différents (les objectifs communs ou les « alignements de cadres perceptifs » [31]) et sur leur inscription dans un contexte de lutte concret composé d’opposants ou de partenaires effectifs. Celui-ci n’est pas « la société » comprise comme un tout, mais un champ [32] d’acteurs qui se soutiennent ou s’opposent et qui dessine une configuration concrète influant sur les types d’actions, les stratégies, les comportements, les ajustements des différents acteurs. L’importance de ce contexte est telle que, comme l’indiquent D. Mac Adam et S. Tarrow, les choix stratégiques des mouvements non-violents sont eux-mêmes extrêmement soumis aux exigences du champ de dispute (field of contention) marqué par la conflictualité où ils sont plongés. [33]
34La composante interactionniste de cette définition (« une interaction prolongée avec les élites, opposants et autorité ») souligne en outre l’importance des relations entre les acteurs au sein de ce contexte sociologique où se trouve plongé le mouvement social. L’activité des nouveaux nouveaux mouvements sociaux, comme celle de n’importe quel autre mouvement de contestation de la société, suppose une confrontation permanente, toujours renouvelée avec les autres acteurs sociaux, opposants ou alliés. Un mouvement social n’existe pas en dehors de ce contexte et de ces interactions et ceux-ci se résument toujours à un affrontement entre le détenteur du pouvoir et ses challengeurs. Les contradictions qui opposent société civile et institutions ne sont pas que structurelles, liées à la position de l’acteur dans la structure sociale, mais elles sont aussi contextuelles : elles prennent corps dans des confrontations concrètes qui contribuent aussi à les nourrir et à les modifier.
35L’analyse des mouvements sociaux et de leur portée sociétale peut donc largement tirer bénéfice du paradigme interactionniste. La subjectivité se construit certes par la manifestation de la capacité d’action du sujet comme acteur socio-historique, mais aussi dans la relation, voire la résistance du moi à un autrui, dans l’affirmation de son existence. La logique de l’estime de soi peut expliquer de nombreux comportements individuels ou collectifs, y compris dans le processus de construction du sujet : on développe son soi dans le rapport aux autres [34]. La nécessité de « sauver la face [35] », le rapport à soi est constitutif du sujet et inaugure sa construction. Il y a dans le processus de subjectivation, un jeu entre la psychique du sujet et le social environnant qui renvoie à celui qui peut exister dans l’interaction entre le soi et l’autrui généralisé [36].
36Cette mécanique est pour partie présente au sein de la théorie tourainienne : la subjectivation, dit le sociologue, est un processus indissociable de l’estime de soi et du rapport à l’autre dans le respect de sa subjectivité [37]. Mais ce processus est toujours conçu dans le cadre d’une société systémique. Si Touraine reconnaît à l’interactionnisme de E. Goffman et H. Blumer le statut de sociologie de l’acteur, celui-ci pêche néanmoins en ce qu’il est une sociologie sans système [38]. Si interaction il y a, ce n’est qu’entre ces acteurs sociaux globaux que sont les acteurs historiques (mouvements sociaux, organisations, institutions, Etat) et c’est surtout comme interrelation constante entre ces acteurs et le système social où ils se trouvent.
Un mouvement social est d’abord un mouvement
37L’historicité de la société recouvre deux dimensions, disions-nous et, de ces deux dimensions, c’est bien la première, celle du « moteur interne de la société », son principe de fonctionnement et de changement, que soulignent les nouveaux nouveaux mouvements sociaux.
38Un mouvement social est d’abord un mouvement. Sa signification sociétale réside certes dans son contenu, dans les valeurs qu’il véhicule, mais aussi dans sa forme, dans les pratiques concrètes de ses acteurs car à travers elles s’exprime en acte la société à laquelle ils aspirent. La sociologie des formes de la mobilisation ne suffit certes pas à donner tout leur sens aux mouvements sociaux et il convient aussi de les resituer dans un thème d’interprétation global de la société et de ses mouvements internes. Mais elle apparaît néanmoins d’un soutien non-négligeable dans cette entreprise car elle ancre le discours énoncé par les acteurs dans des pratiques qui, bien qu’elles ne soient pas pensées comme telles, manifestent les formes d’une société désirée, d’un vivre-ensemble considéré comme souhaitable.
39Alors, le changement social apparaît moins comme un bouleversement des valeurs centrales de la société que comme un processus d’influencement mutuel. Les nouveaux nouveaux mouvements sociaux ne cherchent pas à accéder aux instruments du pouvoir et se méfient des traductions politiques de leurs revendications car, d’une certaine manière, à travers la pratique militante et le travail social qu’ils réalisent concrètement auprès des plus précaires, ils construisent ici et maintenant la société qu’ils veulent. La seule existence de ces activités suffit à changer les mentalités ou, au contraire, à susciter les réactions.
40L’historicité de la société, cette mécanique permanente qui fait que la société change, réside bien dans ce dialogue constant du mouvement social avec l’Etat ou, si l’on veut, de la société civile avec les institutions. Elle n’est pas une vertu inhérente à la société mais le produit de l’interaction de ses éléments entre eux et ces interactions sont concrètes, presque physiques. Elle fait que la société est vivante, en instance permanente d’être modifiée. Elle fait que son futur est ouvert.
Addendum
41Ce gouvernement Raffarin-Sarkozy-Juppé a compris la leçon de 1995 qui avait entamé la légitimité du gouvernement Juppé et préparé sa chute presque un an plus tard : il sait désormais qu’il faut se défier des mouvements sociaux et qu’il est possible de le faire à coup de propagande télévisée, d’incrimination des plus faibles et de gestion de la peur des masses. L’apathie générale actuelle montre que sa tactique fonctionne parfaitement malgré l’énormité des réformes et des lois régressives qu’il enchaîne (remise en cause de la Couverture Maladie Universelle et menace sur l’Aide Médicale d’Etat, Lois sur la Sécurité Intérieure, dites lois Sarkozy, lois Perben révisant notamment la présomption d’innocence et les délais légaux de garde-à-vue, révision de la loi Aubry sur les 35 heures et suppression des emplois-jeunes, réduction des crédits alloués à l’Education nationale, à la recherche et à la culture et augmentation des crédits alloués à la Justice et à la police).
42De leur côté, les organisations continuent d’œuvrer. DAL continue d’investir des lieux vides et de soutenir les initiatives des familles et personnes mal-logées, Act-up étend son champ d’action aux prostituées menacées par la LSI qui, à leur tour, s’organisent, Droits Devant ! tente de relancer un mouvement des sans-papiers coincé entre dissipation et fermeture des portes de la régularisation et AC ! essaie de former le nouveau sous-prolétariat des travailleurs précaires (Mac Donald, petit personnel et employés de ménage) à la lutte revendicative. En cette période de recul social, de glaciation sécuritaire et de répression des catégories marginales et les plus faibles de la population, ces organisations, en continuant la lutte et l’information, nous assurent que la société civile consciente continue d’agir.
Notes
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[1]
Nous reviendrons plus bas sur l’interprétation qu’à faite Alain Touraine du mouvement de grèves, de manifestations et de coordination des luttes qui a éclaté à la fin de 1995 et qui lui a valu l’opprobre des intellectuels engagés à gauche.
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[2]
Nous employons ici le terme « sociétal » pour préciser qu’il s’agit bien de l’histoire de la société, de sa dimension historique, et non de l’histoire du social, des luttes, des politiques et/ou du travail social.
-
[3]
Exposée dans A. Touraine, La voix et le regard, Seuil, 1978.
-
[4]
A. Touraine (avec F. Dubet et M. Wieviorka), Le mouvement ouvrier, Fayard, 1984 ; A. Touraine (avec F. Dubet, Z. Hegedus et M. Wieviorka), Lutte étudiante, Seuil, 1978 ; A. Touraine (avec F. Dubet, Z. Hegedus et M. Wieviorka), Le pays contre l’Etat, Seuil, 1981 ; A. Touraine (avec F. Dubet, Z. Hegedus et M. Wieviorka), La prophétie antinucléaire, Seuil, 1980.
-
[5]
C’est ainsi que l’on peut comprendre l’attention portée par le sociologue aux sociétés sud-américaines dont témoignent Vie et mort du Chili populaire (Seuil, 1973) et La parole et le sang (Odile Jacob, 1988). Nous prenons ici le parti de ne pas prendre en compte cet aspect du travail d’Alain Touraine dont il rappelle lui-même qu’il aura certes constitué une source d’inspiration supplémentaire de sa réflexion mais surtout un repli et une esquive face aux attaques répétées dont il a pu faire l’objet, en particulier en raison du caractère réformiste de ses engagements (Cf. A. Touraine, F. Khosrokhavar, La recherche de soi. Dialogue sur le sujet, Fayard, 2000). De même, le mouvement « Solidarnosc » en Pologne au tout début des années 80 représente, en raison de son contexte socio-politique, un mouvement trop particulier pour que l’analyse qu’en a faite le CADIS (Cf. A. Touraine avec F. Dubet, J. Strzelecki et M. Wieviorka, Solidarité, Fayard, 1982) puisse être mise sur le même plan que celles qu’il a faite des autres mouvements sociaux français.
-
[6]
In A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op. cit.
-
[7]
Cf. A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op.cit.
-
[8]
Cf. A. Touraine, La conscience ouvrière, Seuil, 1966.
-
[9]
A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op.cit., p. 113.
-
[10]
A. Touraine, Production de la société, Seuil, 1973.
-
[11]
A. Touraine, 1973, op.cit.
-
[12]
A. Touraine, 1984, op.cit, p. 18.
-
[13]
A. Touraine, 1973, op.cit.
-
[14]
A. Touraine, Sociologie de l’action, Seuil, 1965.
-
[15]
L’action, dit Touraine, l’emporte sur la structure. « Contre le fonctionnalisme, j’ai cru à la confrontation brutale entre un système social dominé par un pouvoir et des mouvements sociaux cherchant à le faire basculer (…) Mes livres d’avant 1968 se sont construits autour de cette affirmation de l’action » (A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op.cit., p. 55).
-
[16]
« Appel pour une réforme de fond de la Sécurité sociale », Le Monde des 3-4 décembre 1995. Rappelons que la principale raison du soutien de ce sociologue, qui a toujours honnêtement affiché ses opinions en faveurs des politiques sociales (Cf. A. Touraine, Lettre à Lionel, Michel, Jacques, Martine, Bernard, Dominique… et vous, Fayard, 1995), réside dans l’urgente nécessité de résoudre le problème de la baisse programmée des cotisations-retraite et de la hausse programmée des pensionnés, diagnostiqué dès 1992 dans le Livre blanc remis à Michel Rocard alors Premier ministre, et non dans la liquidation de l’économie publique et du système social. Ainsi, il persistera, 6 mois après la polémique, à se demander « comment peut-on refuser de modifier un système de retraites quand l’évolution démographique conduit inéluctablement à l’augmentation massive des cotisations ou à une baisse forte des prestations, si n’est modifiée au moins la troisième variable du système, la durée des cotisations ? » (A. Touraine, 1996, op.cit., p. 45). Au reste, cet appel émettait les plus grandes réserves sur la méthode brutale employée par le gouvernement pour définir et mener cette réforme et surtout sur ses propositions concernant l’allongement de la durée des cotisations qui auraient supposé, à tout le moins, la mise en route d’une procédure de réflexion, d’analyse et de négociations avec l’ensemble des partenaires sociaux.
-
[17]
« Appel des intellectuels en soutien aux grévistes », Le Monde du 15 décembre 1995.
-
[18]
A. Touraine, 1996, op.cit, p. 13.
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[19]
« La question ainsi précisée, écrit-il, je suis obligé de lui répondre par la négative. Non, la grève de novembre-décembre, si importante qu’elle ait été, n’était pas un mouvement social. Mais j’ajoute aussitôt qu’elle fut un grand refus, profond et prolongé, soutenu fortement par l’opinion publique. Elle fut tout autre chose que la défense d’intérêts acquis – ne parlons même pas de privilèges, ce mot devant être réservé à des catégories plus fortunées et plus puissantes –, elle fut l’expression d’une grande inquiétude et du rejet d’un système économique détruisant, au nom des lois du marché, les conquêtes sociales de tout un demi-siècle, étendant les emplois précaires, accroissant le chômage et pesant aussi sur les salaires. De telles craintes étaient manifestement justifiées par la montée, depuis des années, du chômage et de la précarité. Mais la force du refus ne suffit pas à définir le projet transformateur d’un mouvement social. » (A. Touraine, 1996, op.cit, p. 47).
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[20]
A. Touraine, Le mouvement de Mai ou le communisme utopique, Seuil, 1968.
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[21]
« Je suis ici pour dire notre soutien à tous ceux qui luttent, depuis trois semaines, contre la destruction d’une civilisation associée à l’existence du service public (nota bene : c’est nous qui soulignons), celle de l’égalité républicaine des droits, droits à l’éducation, à la santé, à la culture, à la recherche, à l’art, et, par-dessus tout, au travail (…) Cheminots, postiers, enseignants, employés des services publics, étudiants, et tant d’autres, activement ou passivement engagés dans le mouvement, ont posé, par leurs manifestations, par leurs déclarations, par les réflexions innombrables qu’ils ont déclenchées et que le couvercle médiatique s’efforce en vain d’étouffer, des problèmes tout à fait fondamentaux, trop importants pour être laissés à des technocrates aussi suffisants qu’insuffisants : comment restituer aux premiers intéressés, c’est-à-dire à chacun de nous, la définition éclairée et raisonnable de l’avenir des services publics, la santé, l’éducation, les transports, etc., en liaison notamment avec ceux qui, dans les autres pays d’Europe, sont exposés aux mêmes menaces ? Comment réinventer l’école de la République, en refusant la mise en place progressive, au niveau de l’enseignement supérieur, d’une éducation à deux vitesses, symbolisée par l’opposition entre les grandes écoles et les facultés ? Et l’on peut poser la même question à propos de la santé ou des transports. Comment lutter contre la précarisation qui frappe tous les personnels des services publics et qui entraîne des formes de dépendance et de soumission particulièrement funestes dans les entreprises de diffusion culturelle (radio, télévision ou journalisme), par l’effet de censure qu’elles exercent, ou même dans l’enseignement ? » (extrait de « Combattre la technocratie sur son terrain », Discours aux cheminots grévistes, Paris, Gare de Lyon, 12 décembre 1995, publié dans Libération du 14 décembre 1995).
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[22]
A. Touraine, 1984, op.cit.
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[23]
A. Touraine, 1996, op.cit.
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[24]
Cf. A. Jazouli, Une saison en banlieue, Plon, 1995.
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[25]
A. Touraine, Comment sortir du libéralisme ?, Fayard, 1999, p. 36.
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[26]
Ch. Tilly, La France conteste. De 1600 à nos jours, Fayard, 1984.
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[27]
Ch. Tilly, 1984, op. cit.
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[28]
DAL, Le logement ; un droit pour tous, Le cherche-midi éditeur, 1996, p. 121.
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[29]
A. Touraine, 1996, op. cit., p. 7-8.
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[30]
S. Tarrow, Power in movement. Social movements, collective action and politics, Cambridge University Press, 1994, pp. 3-4.
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[31]
D. A. Snow, R. Burke, S. Worden, R. D. Benford, « Frame alignment processes, micromobilization and movements participation », American Sociological Review, vol. 51, 1981 ; American Sociological Review, n° 6, vol. 61, « Social movements and frames », december 1996.
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[32]
Nous empruntons ce concept à Pierre Bourdieu (« Quelques propriétés des champs », Questions de sociologie, Minuit, 1984) en lui ôtant, toutefois, la statique des pouvoirs qu’elle contient.
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[33]
« Nonviolence as contentious interaction », Political studies, June 2000.
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[34]
G. H. Mead, Mind, Self and Society from the standpoint of a social behaviorist, University of Chicago Press, 1934.
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[35]
E. Goffman, Les rites d’interaction, Minuit, 1974.
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[36]
G. H. Mead, 1934, op. cit.
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[37]
A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op. cit., p. 114.
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[38]
A. Touraine, F. Khosrokhavar, 2000, op. cit., p. 45.