Couverture de PHIL_872

Article de revue

Bulletin bibliographique

Pages 203 à 256

Notes

  • [1]
    Pour plus de précisions sur le parcours de Jean Bouffartigue, voir Charles Guittard, « Commémoration de Jean Bouffartigue », RET, Supplément 3, 2014, p. XV-XIX ; voir également Culture classique et christianisme. Mélanges offerts à Jean Bouffartigue, Paris, Picard, 2008, qui rassemble différents articles organisés autour de six thèmes : l’empereur Julien ; le mouvement continu de la philosophie ; idées, croyances, culture ; littérature grecque impériale et tardive ; le règne animal ; les mots qui changent et qui s’échangent.
  • [2]
    En particulier dans la bibliographie établie par Danièle Auger et Étienne Wolff, Culture classique et christianisme (cité n. 1), p. 8-11.
  • [3]
    Voir à ce sujet « Problématiques de l’animal dans l’Antiquité grecque », Lalies, 23, 2003, p. 131-168 ; « Les animaux techniciens. Réflexions sur l’animal faber vu par les Anciens », Actes du 38e Congrès international de l’Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur, Nice, 2006, p. 51-61 ; « Science et poésie dans l’Intelligence des Animaux de Plutarque », Troïka. Parcours antiques, Besançon, 2007, p. 241-258 ; « Les animaux savent-ils ? Réponses grecques antiques à cette question », Schedae, 2009, prépublication n° 11 (fascicule n° 2), p. 21-32.
  • [4]
    Jean Bouffartigue, « Science et poésie dans l’Intelligence des Animaux de Plutarque » (cité n. 3), p. 241.
  • [5]
    Vd. in proposito D.P. Taormina, « Porfirio ha scritto un trattato Περὶ τοῦ ἐφ᾿ ἡµῖν ? », in F. Karfik, E. Song (eds.), Plato Revived. Essays on Ancient Platonism in Honour of Dominic J. O’Meara, Berlin, De Gruyter, 2013, p. 199-214.
  • [6]
    Secondo la testimonianza di Procl. in Remp. p. 318. 4ss. (= fr. 187 Smith), a proposito di Repubblica X 620b dove si dice all’anima di Aiace è spettato il ventesimo turno per scegliere la propria vita, Porfirio afferma che Platone fa riferimento ai tempi di ascensione dei segni dello zodiaco appresi dagli Egizi.
  • [7]
    Intr. Ptol. CCAG V 4 p. 210. 12-15 ed. E. Boer & S. Weinstock, Bruxellis, 1940. L’attribuzione dell’opera a Porfirio, sostenuta già da F. Boll, Sphaera. Neue griechische Texte und Untersuchungen zur Geschichte der Sternbilder, Leipzig, 1903, p. 7 n. 2, è stata recentemente messa in dubbio. In proposito, vd. G. Bezza, in R. Goulet (ed.), Dictionnaire des philosophes antiques, vol. Va : De Paccius à Plotin, Paris, CNRS, 2012, s.v. Porphyre de Tyr, con ricche indicazioni bibliografiche.
  • [8]
    Per i testi e i loro rapporti nonché per l’aspetto più propriamente tecnico di tale concezione, oltre i lavori classici di A. Bouché-Leclercq, L’Astrologie grecque, Paris, E. Leroux Éditeur, 1899, p. 602, F. Boll, « Studien über Claudius Ptolemaeus », Jahrbuch für Classische Philologie, Suppl. Bd. 21, 1894, p. 66-254 : 114ss., vd. E. Buchner, « Horologium Augusti », Gymnasium, 90, 1983, p. 494-508, soprattutto 498-501 ; W. Knappich, Geschichte der Astrologie, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1988, p. 42, nonché il recente approfondito studio di K. Frommhold, Die Bedeutung und Berechnung der Empfängnis in der Astrologie der Antike, Diss. Münster, 2003, p. 70-189.
  • [9]
    De civ. Dei V 5.
  • [10]
    Procl. in remp. II p. 59. 3 Kroll.
  • [11]
    Fr. 271. 38-48 Smith = Stob. p. 169. 21-170. 6.
  • [12]
    Il passo è considerato corrotto da W. Deuse, Untersuchungen zur mittelplatonischen und neuplatonischen Seelenlehre, Mainz, Akademie der Wissenschaften und Literatur, 1983, p. 152, n. 78.
  • [13]
    John A. MacPhail, Jr., l’ultimo editore delle Quaestiones Homericae (Porphyry’s Homeric Questions on the Iliad : Text, Translation, Commentary. Texte und Kommentare, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2011), ha abbandonato il criterio stilistico adottato da H. Schrader (Porphyrii quaestionum homericarum ad Iliadem pertinentium reliquiae, Leipzig, 1882) e ha distinto estratti delle Questioni Omeriche, epitomi di tali estratti e scoli porfiriani. In base ai criteri adottati, egli ha escluso dal testo i due passi concernenti Il. IX 497 che Schrader (p. 133. 19-22 ; 140. 24-28) aveva attribuito a Porfirio.
  • [14]
    Collection dirigée par F. Acerbi et B. Vitrac. Le premier volume publié est : Diofanto, De polygonis numeris, introduction, texte critique, traduction italienne et commentaire de F. Acerbi, 2011.
  • [15]
    Selon Marinus, Proclus, § 26.1-14, Syrianus s’étant proposé d’expliquer soit les poèmes orphiques, soit les Oracles chaldaïques, il a demandé à Damnianus et à Proclus de choisir entre les deux : Damnianus a choisi Orphée, Proclus les Oracles.
  • [16]
    L’ouvrage dépasse de loin les deux traductions récentes de l’Encheiridion : P. Brown, The Manual of Domninus, The Harvard Review of Philosophy, VIII, 2000, p. 82-100, et Fr. Romano, dans sa monographie : Domnino di Larissa. La svolta impossibile de la filosofia matematica neoplatonica. Manuale di introduzione all’arithmetica. Introduzione, testo e traduzione, Catania, 2000.
  • [17]
    Voir D. O’Meara, Pythagoras revived, Oxford, 1989.
  • [18]
    Voir aussi Réponse à Porphyre (De mysteriis), éd. Saffrey-Segonds-Lecerf, VIII, 8, p. 201.1 = De mysteriis, p. 271.13 des Places (à propos de ces deux éditions, voir n. 6 infra).
  • [19]
    Vinel renvoie, pour le De mysteriis, à l’édition de Parthey (Berlin, 1857 ; Amsterdam, 19653), sans mentionner celle d’Éd. des Places (Collection des Universités de France, Paris, 1966). Il faut dorénavant renvoyer à Jamblique, Réponse à Porphyre (De mysteriis), texte établi, traduit et annoté par H.D. Saffrey et A.-Ph. Segonds, avec la collaboration d’A. Lecerf, Collection des Universités de France, Paris, 2013, parue trop récemment pour que Vinel ait pu en faire état. Autre remarque de détail : les Fragments d’Aristote sont cités d’après l’édition de Rose, Leipzig, 1886 ; il est cependant plus commode de renvoyer à l’édition de Ross, Oxford, 1955 (nombreuses réimpressions).
  • [20]
    À la page 29, il faut corriger la figure du carré. Non pas :
    figure im1
    2 3 mais : 1 2 3 4 5 5 4 5 6 6 8 9 7 8 9
  • [21]
    Voir N. Vinel, « Un carré magique pythagoricien ? Jamblique précurseur des témoins arabo-byzantins », dans Archive for History of Exact Sciences, 59, 2005, p. 545-562.
  • [22]
    John Dillon souligne ce point dans son compte rendu paru dans la Bryn Mawr Classical Review (2014.10.37). L’édition de Pistelli a été rééditée par U. Klein (Stuttgart, 1975).
  • [23]
    R. Pfeiffer, History of Classical Scholarship, Oxford, 1968, p. 141-142 et 284-285.
  • [24]
    GL précise (p. XI) : « Chaque fois que cela était nécessaire pour la compréhension des scholies, notamment en matière d’étymologie, nous avons inséré dans la traduction les mots grecs, sans recourir aux parenthèses ». On n’a cependant pas l’impression que ce soit le principe appliqué : les mots grecs « insérés » ne sont justement pas traduits, ce qui pourrait affecter la « compréhension des scholies ».
  • [25]
    Dans l’édition des Argonautiques de F. Vian, t. II, C.U.F., Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 82.
  • [26]
    Voir le site internet, qui fournit de nombreuses ressources documentaires : http://emotions.classics.ox.ac.uk/
  • [27]
    A. Chaniotis and P. Ducrey (dir.), Unveiling Emotions II. Emotions in Greece and Rome : Texts, Images, Material Culture, Stuttgart, 2013 ; Chr. Kotsifou (dir.), Unveiling Emotions III. Emotional Display, Persuasion and Rhetoric in Papyri (en préparation).
  • [28]
    F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, tome 1, Paris, 1966.
  • [29]
    P. Horden et N. Purcell, The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, 2000.
  • [30]
    Ch. Constantakopoulou, The Dance of the Islands, Insularity, Networks, The Athenian Empire and the Aegean World, Oxford, 2007.
English version

Plutarque, Œuvres morales. Tome XIV, 1re partie. Traité 63. L’Intelligence des animaux, texte établi et traduit par Jean Bouffartigue, Collection des Universités de France. Série grecque, 487, Paris, Les Belles Lettres, 2012, LXIII + 209 pages dont 65 doubles

1Helléniste, historien, philologue, spécialiste non seulement d’histoire religieuse grecque et romaine, mais aussi de littérature grecque impériale et tardive, Jean Bouffartigue incarnait une érudition ouverte [1] qui lui permettait d’outrepasser les frontières des disciplines, comme le souligne son intérêt pour le monde animal dans l’antiquité. La large palette de ses publications [2] exprime tout à la fois le souci du détail propre au philologue et une hauteur de vue nourrie par la connaissance approfondie des textes et de leur contextualisation historique. Attentif aux nouveaux champs de la recherche et aux questionnements en cours, son apport sur l’étude et la connaissance de la problématique animale est indéniable.

2Cette question animale suscite en effet depuis plusieurs années un intérêt grandissant, comme en témoignent de nombreux travaux qui, dans la plupart des cas, ont renouvelé en profondeur la thématique et introduit de nouvelles perspectives de recherche. Jean Bouffartigue y a contribué à sa manière par des articles majeurs [3] ; cette nouvelle traduction du discours de Plutarque sur l’intelligence des animaux en fait d’ailleurs partie intégrante.

3L’Intelligence des animaux, dont le titre exact est Des animaux terrestres ou aquatiques, lesquels sont les plus intelligents, propose une réflexion sur le statut de l’animal dans l’échelle des êtres vivants en prenant comme point de départ la question de l’intelligence. Cette intelligence (phronêsis) est définie de manière précise ; elle s’articule non seulement à la raison (logos), mais aussi à la pensée (dianoia) et à l’intellect (noein) selon les cas (voir p. XXIV). Jean Bouffartigue insiste sur les différentes dimensions du texte : exercice d’école (voir p. VIII) sous la forme de débat rhétorique, de réfutation philosophique des idées stoïciennes, avec comme toile de fond une dimension zoologique et même éthologique. Cette polysémie, parfaitement explicitée dès l’introduction (en particulier p. VIII à X), conditionne les choix de traduction opérés. Parmi tous les exemples possibles, je ne retiendrai que le passage situé en 976C, développé dans la note 274 p. 106. L’auteur opte pour une traduction prenant en compte la connaissance des déplacements des poissons avec l’expression « mouvements de nage » plutôt que « tours » qui pourrait s’appliquer à n’importe quel animal en mouvement.

4L’auteur souligne la modernité de ce dialogue qui s’exprime tant par le sujet que par la manière de le traiter, alliant joute oratoire, mirabilia divertissants, et réflexion philosophique. Le texte est introduit par une enquête centrée sur les points qui font débat, comme le statut du texte (p. VII-XIV), les personnages (p. XIV-XVII), le lieu où le discours est prononcé (p. XVIII-XIX) et la date de sa composition (p. XX-XXI). Cette contextualisation ne fait pas l’impasse sur l’environnement intellectuel dans lequel il se situe. L’auteur reprend le dossier du discours sur la chasse attribué à Plutarque (p. XXI-XXIV) ; il s’arrête ensuite longuement sur la façon dont Plutarque présente l’intelligence des animaux (p. XXIV-XXXVI) avant de revenir aux sources même du texte (p. XXXVI-LII).

5L’analyse est ponctuée par diverses mises au point tant sur la nature du texte que sur sa construction : un aspect capital pour « un texte qui ne s’autodéfinit pas et qui ne revendique aucun statut » [4]. Les précisions données sur l’historia des Grecs au sens de « connaissance des faits sensibles dans toute leur diversité » (p. X) en sont un exemple : elles introduisent ce qui relève dans le discours des jeunes gens de l’observation personnelle, du témoignage des proches et des amis, du témoignage de différents informateurs et des documents livresques (p. XI-XII).

6La parenté entre le texte des Caractéristiques des animaux d’Élien et celui de Plutarque fait l’objet d’une étude détaillée (p. XXVI-XL), avec comme souci majeur celui de comprendre « le rôle de miroir que jouent les passages parallèles d’Élien (…), miroir d’une tradition que Plutarque a exploitée, qu’il s’agisse d’une source unique, de deux variantes d’une même source, ou de sources dispersées ».

7Texte composite tant par son style que par sa démarche, il constitue un apport important du point de vue zoologique et éthologique : cet aspect est particulièrement bien souligné dans les notes. Dans ce débat philosophico-rhétorique, ce qui est en jeu, en même temps que l’intelligence des animaux et ses conséquences pour les hommes, c’est la conception de la connaissance et la manière dont elle s’élabore au second siècle de notre ère.

8Les connaissances zoologiques, réelles et imaginaires, exploitées par Plutarque font partie d’une sorte de répertoire qui s’est constitué depuis l’époque classique ; si l’apport d’Aristote est essentiel, il n’en constitue pas l’unique source. Plutarque utilise les auteurs ayant mentionné des animaux comme autant de références, qu’il s’agisse de poètes (Homère, Hésiode, Eschyle), de naturalistes (Aratos, Antigone de Carystos, Cléanthe), ou de philosophes comme Philon d’Alexandrie par exemple. Chaque mention d’animal donne lieu à une présentation précise construite à partir des différents points de vue connus à l’époque de Plutarque, et ce quel que soit l’animal, les fourmis précédant l’éléphant ; pour les fourmis, par exemple (967E 11), sont évoqués successivement Homère, puis Cléanthe, suivi par Aratos, Théophraste, Virgile et Pline.

9Jean Bouffartigue, par sa fréquentation assidue de Plutarque, n’hésite pas à relier ce dialogue aux autres œuvres de Plutarque, en particulier sous forme de notes abondantes. Ce parti-pris lui permet ainsi de mettre en valeur les lignes de force de sa pensée et de sa vision des animaux, sans en occulter ni les contradictions, ni les nuances. Si traiter de « l’intelligence des animaux » conduit assez naturellement à s’interroger sur la consommation de viande, cette question ouvre la voie à de très nombreuses autres questions qui, bien que présentées de manière rhétorique, n’en sont pas moins essentielles et très actuelles.

10Marie-Claude Charpentier

Spectacles et désordre à Alexandrie. Dion de Pruse, Discours aux Alexandrins, traduction et commentaire par Dimitri Kasprzyk et Christophe Vendries, Collection Histoire. Série Histoire ancienne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 214 pages

11Le Discours aux Alexandrins (= Disc. XXXII) est un discours assez long (50 pages dans l’édition de la Loeb Classical Library) qui fut prononcé par Dion Chrysostome, le célèbre rhéteur de Pruse, dans le grand théâtre d’Alexandrie à une date qui n’est pas connue précisément, mais qui pourrait se situer sous le règne de Vespasien. Dion, qui se dit investi d’une mission (au nom de l’empereur ?), y fustige le goût excessif des Alexandrins pour les jeux et les spectacles et leur caractère frondeur et indiscipliné, source de désordre social préjudiciable pour la cité. Dans le corpus des discours de Dion, le Discours aux Alexandrins figure parmi les plus importants. Curieusement, il n’avait encore jamais fait l’objet d’une traduction française. C’est maintenant chose faite grâce à cet excellent volume qui ne se contente pas d’offrir une traduction inédite, mais qui l’accompagne de notes et d’un commentaire substantiel sous la forme de trois études ciblées.

12Le volume débute par une très courte introduction, utile surtout pour le résumé de deux pages qu’elle fait du Discours aux Alexandrins, dont la progression de la pensée, comme souvent chez Dion, n’est pas parfaitement limpide à la première lecture, en raison des nombreuses allusions et digressions. La traduction, qui rend bien le style de l’auteur et qui est d’une lecture agréable, est basée sur le texte grec de J.W. Cohoon et H. Lamar Crosby dans la Loeb Classical Library (vol. III, 1940), qui est ici reproduit en regard de la traduction française (lorsque les auteurs s’en écartent, ils le signalent dûment dans les notes). La traduction est accompagnée de 293 notes qui expliquent utilement les nombreuses citations et les multiples allusions littéraires, historiques et mythologiques qui parsèment le discours de Dion et qui le rendent si dense et parfois cryptique. De nombreux renvois à la bibliographie spécialisée et la mention de textes parallèles rendent ces notes ponctuelles particulièrement précieuses. Un commentaire d’envergure (d’une centaine de pages) est offert dans la seconde partie de l’ouvrage ; il prend la forme de trois chapitres traitant chacun un aspect particulier du discours.

13Le premier (« Les spectacles et leur public à Alexandrie »), sous la plume de Chr. Vendries, discute tout d’abord brièvement la question de la date et des circonstances du discours, estimant « qu’il y a de fortes présomptions pour considérer que ce discours (…) a bien été prononcé sous le règne de Vespasien » (p. 82), sans écarter toutefois la possibilité d’une datation trajanienne, puis il examine les deux griefs principaux de Dion à l’encontre des Alexandrins, à savoir leur folle passion pour les spectacles (de musique principalement) et leur goût excessif pour les courses de chevaux. Suivant de près l’argumentation de Dion, Vendries met ces deux thèmes en relation avec ce que nous savons du monde des spectacles et des jeux à Alexandrie et ailleurs dans le monde antique. Il termine par des pages très intéressantes sur la dimension politique des critiques de Dion, qui visent à contenir les débordements des Alexandrins pour prévenir une éventuelle intervention de l’autorité romaine. Cet aspect est repris, sous un angle différent, dans le deuxième chapitre (« Politique et philosophie »), dû à D. Kasprzyk. C’est la dimension éthique et philosophique du message de Dion qui est passée sous la loupe : l’importance de la paideia, les vices des Alexandrins, leur fanatisme, leur manque de vertu politique, les dangers de leur comportement, que Dion parvient habilement à mettre en évidence en procédant par métaphores musicales et littéraires. Le troisième chapitre (« La fabrique du discours »), également rédigé par D. Kasprzyk, est consacré aux aspects littéraires et rhétoriques du discours de Dion : tout d’abord sont examinés les différents masques adoptés, selon son habitude, par le rhéteur (poète, mythographe, messager des dieux, philosophe-médecin, etc.), puis ce sont les questions du genre du discours (entre éloge et blâme) et des qualités rhétoriques de l’écriture de Dion qui font l’objet d’une analyse détaillée.

14Outre une brève conclusion, le volume est muni d’un glossaire des termes techniques, d’une bibliographie abondante et à jour, ainsi que de trois index (passages cités, noms propres, notions). Grâce à la traduction inédite proposée et aux riches commentaires qui l’accompagnent, il constitue un ajout majeur et bienvenu dans le paysage des études dionéennes.

15Thomas Schmidt

Porphyre, Lettre à Anébon l’Égyptien, texte établi, traduit et commenté par Henri Dominique Saffrey et Alain-Philippe Segonds (†), Collection des Universités de France. Série grecque, 492, Paris, Les Belles Lettres, 2012, CXXI + 181 pages dont 89 doubles

16La Lettera ad Anebo di Porfirio ci è giunta in forma frammentaria attraverso sei fonti : Giamblico, Risposta del Maestro Abamone … (più nota con il titolo De mysteriis) ; Eusebio, Praeparatio evangelica ; Teodoreto di Ciro, Therapeutica (che dipende generalmente da Eusebio) ; Cirillo di Alessandria, Contra Julianum ; Agostino, De civitate Dei ; Giuseppe di Tiberiade, Hypomnesticon. Essa è conosciuta anche nella tradizione araba.

17Dopo il lavoro di Th. Gale (testo greco e traduzione latina, Oxonii, 1678) riprodotto da G. Parthey (Berolini, 1857) e quelli di G. Faggin (Firenze, 1954), A.R. Sodano (Napoli, 1958) e G. Muscolino (Milano, 2011), quest’opera estremamente significativa è stata pubblicata nel 2012 nella Série grecque di CUF.

18Questa nuova edizione è frutto della collaborazione tra Saffrey e Segonds, i quali per decenni hanno condotto un lavoro comune raggiungendo risultati notevoli, tra i quali si rammenti almeno la pregevole edizione di Marino di Neapoli, Proclus ou sur le bonheur (Paris, CUF, 2001). In particolare, la Lettre à Anébon l’Égyptien costituisce il primo risultato di un progetto più ampio, volto a fornire una nuova edizione di Giamblico : Jamblique, Réponse à Porphyre (De mysteriis), Paris, Les Belles Lettres, 2013. A causa della prematura scomparsa di Segonds, la pubblicazione delle due opere è stata portata a termine da Saffrey, il quale per la Lettera di Porfirio si è avvalso delle competenze egittologiche di Elsa Oréal (vd. in particolare p. XXXII-XXVI), dell’amichevole ausilio di Adrien Lecerf nonché della scrupolosa revisione di Richard Goulet (le cui notazioni più elaborate sono citate verbatim, seguite dalla sigla R.G., vd. p. 62 e p. 64).

19Secondo l’uso di CUF, l’opera si apre sull’Avant-propos (p. IX-X) e consta di due parti. La prima parte è costituita da un’introduzione (p. XI-CXI) suddivisa in cinque capitoli (I : Vie de Porphyre ; II : La fiction égyptienne ; III : Réception de la Lettre à Anébon ; IV : Sources principales ; V : Essai de reconstitution de la Lettre à Anébon), corredata da un’esplicitazione dei criteri seguiti per editare il testo (p. CIX-CXI) e da una bibliografia (p. CXIII-CXIX). La seconda parte contiene il testo dei frammenti della Lettera con traduzione francese a fronte e provvisto di un utile commento a piè di pagina (p. 1-86, con doppia numerazione) ; a seguire, in appendice, un passo dell’Opusc. 74 dei Theologica di Michele Psello (I, p. 292-297, ll. 124-145), anch’esso tradotto e riccamente annotato (p. 87-89). Chiude il vol. una Table des matières (p. 91-92).

20Questo lavoro è della più grande importanza. Esso apporta rilevanti novità e precisazioni nell’ambito degli studi porfiriani e, più in generale, conduce a individuare e precisare temi fondamentali del dibattito filosofico a cavallo tra III e IV sec. d.C. Almeno alcuni punti di questa ricostruzione meritano di essere menzionati.

21In primo luogo sono ricostruite sia pur ipoteticamente, ma attraverso una solida e del tutto convincente lettura delle fonti, le circostanze della lettera. Essa fu redatta verosimilmente tra il 295 e il 300 d.C., quando Porfirio era verso la fine della sua carriera e, sessantenne e ormai celebre, portava a termine l’edizione delle Enneadi e divulgava a Roma la filosofia di Plotino (p. XLV, cf. H.D. Saffrey, « Pourquoi Porphyre a-t-il édité Plotin ? Réponse provisoire », in L. Brisson et al., Porphyre. La vie de PlotinII, Études d’introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, Paris, 1992, p. 31-57).

22In secondo luogo, si chiarisce l’intricata vicenda che ruota attorno al misterioso nome del destinatario della Lettera di Porfirio : Anebo. Come suggerisce E. Oréal, non si tratta di un nome reale, bensì artificiale che foneticamente può provenire dal termine egiziano che significa « Grande(-è)-il suo maestro » (p. XXXIII). Questa proposta ci riconduce alla finzione egizia della Lettera. Anebo, ossia « Grande(-è)-il suo maestro », sembra infatti alludere alla relazione tra il dio patrono dell’ermetismo (Hermes il Trismegisto, cioè il tre volte grande) e il difensore della teurgia. Si rafforza così ulteriormente la tesi, oggi maggioritaria, che considera Giamblico il destinatario reale della Lettera e le ragioni che spingono questi, nella sua Risposta a Porfirio, a nascondersi dietro il nome di Abamone : rispettare la finzione egizia, come già Proclo aveva indicato nello scolio che figura all’inizio dei due manoscritti principali dell’opera, e volgerla a proprio vantaggio rivendicando lo statuto del maestro (Abamone indicando secondo l’ipotesi di Saffrey « Padre di Amone ») e relegando Anebo a ruolo di discepolo (per gli studi precedenti su questa vicenda, vd. H.D. Saffrey, s.v. 1. Abam(m)on, in R. Goulet (ed.), Dictionnaire des philosophes antiques, I, Paris, 1989, p. 43).

23In terzo luogo, si precisa il genere letterario dello scritto : è una « lettera aperta » che appartiene al genere degli Zetemata (anche se in realtà Porfirio finge di porre questioni) e ha per oggetto le diverse forme della nostra relazione al divino a partire da quattro fonti in materia di teologia : la teologia caldea, l’egiziana, la greca, le nozioni comuni.

24Da ultimo la storia della ricezione della Lettera nella cultura cristiana e pagana, accompagnata da un’analisi comparativa delle fonti, permette di mostrare che sovente Giamblico distorce il testo di Porfirio e lo manipola per accentuare la distanza che lo separa dal suo interlocutore (p. XCVI-XCVII).

25L’edizione dei frammenti è del tutto innovativa. Mentre tutti i lavori precedenti, a partire da Gale, hanno tentato di ricostruire la Lettera ad Anebo in modo continuo, a ragione Saffrey e Segonds ritengono tale modo di procedere del tutto illusorio. Di conseguenza presentano i frammenti nel contesto della loro fonte, differenziando graficamente (in corsivo o in corsivo spaziato) le sezioni di testo che si possono ritenere genuinamente porfiriane.

26La costituzione del testo, nel caso dei passi estratti da Giamblico, anticipa il nuovo testo critico del Jamblique, Réponse à Porphyre (De mysteriis). In generale sono recuperate buone congetture di Ficino e di Gale che des Places non aveva accettato (vd. ad es. frr. 10, 26) e ne sono avanzate di nuove (vd. ad es. frr. 34, 40, 85). Importanti anche gli interventi testuali sul passo da Giuseppe da Tiberiade (fr. 43).

27L’edizione mette così il lettore di fronte a una consapevolezza critica e storicotestuale e costituisce uno strumento fondamentale di lavoro per l’interpretazione storica, pur non sostituendosi a essa.

28Quest’ultima è affidata al cap. V dell’Introduction (p. XCIX-CVIII), che fornisce una ricostruzione complessiva della Lettera, nonché al commento che accompagna ciascun frammento. Esso infatti offre un’utile interpretazione delle questioni che Porfirio pone e, inserendole nel movimento continuo del suo pensiero, mostra l’importanza filosofica che egli accorda a esse. In tal senso sono importanti gli accostamenti proposti tra la Lettera e altri scritti porfiriani, soprattutto il De abstinentia (ma vd. anche il rapporto tra il fr. 65a e il De regressu animae).

29Si tratta di un’opera importante. Ricca di elementi di analisi filosofica e filologica, essa mostra la peculiarità della Lettera nel suo insieme e negli aspetti più puntuali. Meriterebbe perciò una discussione approfondita. In questa sede mi limiterò a qualche nota a margine su un esiguo numero di frammenti. Proporrò alcuni accostamenti tra testi al fine di mettere ulteriormente in evidenza, del tutto in linea con l’impostazione proposta dagli editori, che gli argomenti trattati nella Lettera o alcune nozioni o ricostruzioni proposte in essa non rimangono isolati nell’insieme dell’opera porfiriana.

30Sui frammenti 81, 87 : tra necessità e libertà

31Un primo punto sul quale credo valga la pena soffermarsi brevemente è la questione dei rapporti tra necessità e libertà, che nei frr. 81 e 87 della Lettera presenta interessanti parallelismi, di dottrina e di metodo, con altri scritti porfiriani. Il primo di tali frammenti, il fr. 81, concerne la dottrina degli Egizi sui principi dell’universo esposta dal sacro scriba Cheremone, e coinvolge anche il principio che consente all’anima individuale di autodeterminarsi. Le linee del fr. in cui è affrontato quest’ultimo aspetto, trasmesse sia da Eusebio sia da Giamblico, sono quelle in cui Porfirio espone il ruolo che gli Egizi attribuiscono al movimento degli astri e la connessione che essi istituiscono fra tale movimento, ciò che è in nostro potere (τὸ ἐϕ᾿ἡµῖν) e la necessità (ἀνάγκη) (vd. in partic. p. 76). Eusebio e Giamblico concordano nel riferire che nella Lettera si afferma :

32

« … la maggior parte degli Egizi fanno dipendere ciò che è in nostro potere dal movimento degli astri… » e legano tutte le cose « per mezzo di non so quali legami indissolubili della Necessità… »

33Nella formulazione di Giamblico :

34

Λέγεις τοίνυν ὡς Αἰγυπτίων οἱ πλείους καὶ τὸ ἐϕ᾿ἡµῖν ἐκ τῆς τῶν ἀστέρων ἀνῆψαν κινήσεως … Οὐκέτι δὴ οὖν, ὃ σὺ ἀπορεῖς, δεσµοῖς ἀλύτοις ἀνάγκης, ἣν εἱµαρµένην καλοῦµεν, ἐνδέδεται πάντα… (VIII 6 p. 268. 15-16 ; VIII 7 p. 269. 13-14 [= p. 198. 22-24 ; p. 199. 13-15 Saffrey-Segonds] ; cf. Eus. III 4, 2 p. 117. 2-4 : ὧν οἱ πλείους [scil. Αἰγυπτίων] καὶ τὸ ἐϕ᾿ ἡµῖν ἐκ τῆς τῶν ἀστέρων ἀνῆψαν κινήσεως, οὐκ οἶδ᾿ ὅπως δεσµοῖς ἀλύτοις Ἀνάγκης, ἣν Εἱµαρµένην λέγουσιν, πάντα καταδήσαντες…).

35In termini estremi, gli Egizi sembrano annullare il potere di autodeterminazione dell’anima individuale e affidare lo svolgimento della sua vita nel mondo del divenire alla Necessità, vale a dire al movimento degli astri.

36Quest’interpretazione della concezione ermetica, che Giamblico confuta, appare genuinamente porfiriana. La si ritrova, infatti, nel fr. 271 Smith, tràdito da Giovanni Stobeo ed estratto secondo Saffrey e Segonds da un trattato Περὶ τοῦ ἐϕ′ ἡµῖν, ma più probabilmente proveniente da un commento al mito di Er della Repubblica[5]. Qui Porfirio, dopo aver spiegato che secondo Platone la vita umana si svolge tra scelta e necessità (frr. 268-271. 38), introduce un’indagine sulle fonti platoniche e congettura che questi abbia fatto ricorso ai saggi d’Egitto, ossia alla tradizione ermetica (fr. 271. 38ss. = Stob. II 8. 42 p. 169. 21ss.). È il tema del Platone Egizio (ossia della cultura egizia fonte di Platone), particolarmente consono all’interpretazione del mito di Er e al quale Porfirio deve aver prestato particolare attenzione, in quanto anche secondo una testimonianza di Proclo egli ritiene che Platone abbia appreso dagli Egizi il tempo concernente l’ascensione degli astri [6].

37Nel fr. 271 Smith, Porfirio si concentra sul tema degli oroscopi e del doppio oroscopo, quello del concepimento e quello della nascita. Si tratta di una concezione nota come « regola di Petosiris », alla quale fa riferimento anche l’Introductio in Tetrabiblum Ptolemaei attribuita da F. Boll a Porfirio [7], attestata nella tradizione astrologica (Vettio Valente, lo pseudo-Tolomeo autore del Karpos, Efestione di Tebe) [8] e alla quale accennano anche Agostino e Ippolito [9]. Nel nostro fr., Porfirio l’attribuisce agli Egizi e, dopo di lui, Proclo preciserà che gli Egizi in questione sono sia Petosiris e i suoi sia Zoroastro [10].

38Porfirio lavora quindi sui parallelismi e le differenze tra la tradizione astrologica egizia e il mito di Er e sembrerebbe mettere in evidenza come Platone, rispetto a questa tradizione, accentui lo spazio di libertà concesso all’individuo. Secondo gli oroscopi, infatti, i vari tipi di esistenza corrispondono alla carta astrale e al modo in cui gli astri, al momento delle nascite, sono disposti rispetto alle costellazioni presenti nei segni dello zodiaco. Sicché le varie configurazioni impongono (fr. 271. 46 = Stob. p. 170. 4 : ἀναγκάζειν) una certa condizione di vita per l’anima che si dirige verso la generazione [11]. A questa posizione Porfirio contrappone quella di Platone, secondo il quale le configurazioni astrali « indicano » semplicemente i tipi di esistenza (fr. 271. 52 = Stob. p. 170. 10 : σηµαίνουσιν ; cf. fr. 271. 87-89 = Stob. p. 171. 19-20, dove si ribadisce che nella concezione platonica le configurazioni astrali indicano i tipi di esistenza, ma non costringono : σηµαίνειν… τοὺς βίους… ἀναγκάζειν δὲ οὐκέτι). Ne deriva che le anime scelgono « grazie alla loro autodeterminazione » (fr. 271. 54 = Stob. p. 170. 11-12 : … τὰς ἑλοµένας διὰ µὲν τὸ αὐτεξούσιον) anche se, una volta che hanno scelto, conducono necessariamente fino in fondo ciò che è scritto nel cielo (fr. 271. 57 = Stob. p. 170. 14-15 : ἀνάγκῃ ἐκτελεῖν τὰ γεγραµµένα) [12].

39Il parallelismo tra questo fr. 271 Smith e il fr. 81 della Lettera ad Anebo è chiaro. In entrambi i casi Porfirio attribuisce agli Egizi la concezione secondo la quale il movimento degli astri ha un potere costrittivo sulla vita dell’anima individuale. Ne deriva allora che, letto in questo contesto, il senso del fr. 81 si arricchisce e si precisano i termini generali del dibattito con Giamblico, da porre sullo sfondo della tematica dei rapporti tra Platone e la tradizione egizia.

40Il problema specifico del calcolo del pianeta o dei pianeti signori della casa della nascita è poi affrontato nel fr. 87 della Lettera. Tale calcolo, detto in termini tecnici calcolo dell’οἰκοδεσπότης, è quello del pianeta o dei pianeti che esercitano un influsso predominante sul genere di vita individuale. Porfirio afferma che gli astrologi stessi ammettono che esso sia « inconoscibile », ἀκατάληπτος. Ai diversi metodi di tale calcolo l’Introductio in Tetrabiblum Ptolemaei già menzionata dedica una dettagliata trattazione che si chiude osservandone la difficoltà (cf. p. 206. 1-208. 5 Boer-Weinstock, in partic. p. 207. 1ss.). Sull’inconoscibilità da parte degli uomini del moto degli astri e degli eventi che ne derivano Porfirio si è espresso a più riprese nella Lettera (cf. fr. 85) e anche in altre opere. Una chiara eco di questa posizione si trova in particolare nei frr. 340 e 340a Smith, comunemente ricondotti al De philosophia ex oraculis :

41

« … la conoscenza esatta del moto [degli astri] e delle combinazioni che ne derivano è inconoscibile per gli uomini… » (fr. 340. 4-8 = Eus. VI 5. 1 : … τὴν γνῶσιν τῆς ϕορᾶς τὴν ἀκριβῆ καὶ τὰς ἐκ τούτων συµβάσεις ἀκαταλήπτον εἶναι ἀνθρώποις…). Cf. fr. 340a 6-9 : per gli uomini « il moto esatto degli astri e le combinazioni che ne derivano sono inconoscibili, ἀκαταλήπτους ».

42Sul frammento 81 : simbologia egizia

43Ancora nel fr. 81 della Lettera, nella sola testimonianza di Eusebio, Praep. Evang. III 4. 1 (p. 116. 18-19 e 117. 1-2 Mras), Porfirio deduce a partire dalla concezione di Cheremone che nella religione egiziana tutto è materiale :

44

[scil. Χαιρήµων] Ἑώρα γὰρ τοὺς τὸν ἥλιον δηµιουργὸν ϕαµένους καὶ τὰ περὶ τὸν Ὄσιριν καὶ τὴν Ἶσιν καὶ πάντας τοὺς ἱερατικοὺς µύθους… καὶ ὅλως πάντα εἰς τὰ ϕυσικὰ καὶ οὐδὲν εἰς ἀσωµάτους καὶ ζώσας οὐσίας ἑρµηνεύοντας.

45Nella traduzione Saffrey e Segonds (p. 76) il passo suona :

46

« [Chérémon] voyait en effet que ceux qui disent que le Soleil est le démiurge, interprétaient aussi l’histoire d’Osiris et d’Isis et tous les mythes sacrés… bref ils interprétaient toutes choses en les rapportant à des réalités naturelles et aucune en la rapportant à des substances incorporelles et vivantes ».

47Questa dottrina dei principi contrasta con quanto afferma Giamblico, il quale attesta sì che nella Lettera si fa riferimento agli astri e alle fasi lunari, ma aggiunge che gli Egizi riconoscono una potenza vivificante (ζωτικὴν δύναµιν) anteriore (πρό) alle cose generate (VIII 4 p. 267. 3-4 [= p. 197. 17-20 Saffrey-Segonds]).

48La posizione riferita da Eusebio e ascritta dagli editori alla Lettera è ripresa da Eusebio in altri due passi del III libro della Praeparatio Evangelica, III 9. 15 (p. 130. 12-16 Mras) e III 13. 8 (p. 147. 4-8 Mras), quest’ultimo corrisponde al fr. 353 Smith ed è comunemente considerato appartenente al Sulle immagini degli dèi (sottolineo la corrispondenza tra i due testi) :

49

… ἀκήκοας γὰρ ἐν τοῖς πρόσθεν ὅπως τὸν Χαιρήµονα καὶ πλείους ἄλλους ὡµολόγει µηδ᾽ ἄλλο τι πρὸ τῶν ὁρωµένων κόσµων ἡγεῖσθαι ἐν ἀρχῆς τε λόγῳ τίθεσθαι τοὺς Αἰγυπτίους· τούτους γὰρ πάντα εἰς τὰ ϕυσικὰ καὶ οὐδὲν εἰς ἀσωµάτους καὶ ζώσας οὐσίας ἑρµηνεύειν. (fr. 353. 9-13 Smith = Eus. p. 147. 4-8)
« Hai appreso, infatti, in ciò che precede come egli [i.e. Porfirio] ammettesse che Cheremone e molti altri reputassero che non ci fosse nient’altro oltre i cosmi visibili e che gli Egizi ponessero [un’idea di questo genere] in ragione di principio. Questi infatti interpretano tutte le cose in riferimento alle realtà fisiche e nient’affatto in riferimento a sostanze incorporee e viventi ».

50Lo stretto parallelismo tra i due passi di Eusebio induce certamente a ritenere genuina la citazione da Porfirio (πάντα εἰς τὰ ϕυσικὰ… ἑρµηνεύειν). Tuttavia la presenza della medesima pericope testuale in tre luoghi diversi del medesimo libro III della Praeparatio Evangelica pone anche dei problemi e spinge a ulteriori riflessioni sul metodo di lavoro tanto di Eusebio che di Porfirio.

51Sul fr. 82 : dèi che si lasciano piegare

52Il fr. 82, da Giamblico (VIII 8, p. 271. 17-272. 1 = p. 201. 6-8 Saffrey-Segonds), si inserisce ancora in un contesto polemico, volto a mostrare che gli dèi liberano le anime dal mondo del divenire in virtù di leggi intellettuali e non perché siano suscettibili di un cambiamento per opera di un rito posteriore a tali leggi. In particolare Giamblico ritiene empia la citazione che Porfirio introduce di Iliade IX 497, dove è detto che Achille deve lasciarsi piegare dalla preghiera di Fenice perché « anche gli dèi si lasciano piegare » (στρεπτοὶ δέ τε καὶ θεοὶ αὐτοί) con sacrifici, suppliche, libagioni, fumo. Come opportunamente segnalano gli editori una citazione omerica da parte di Porfirio non stupisce, in quanto egli ha scritto diverse opere di esegesi omerica. In particolare può essere utile evocare che Iliade IX 497 è un verso al quale gli interpreti di Omero hanno prestato particolare attenzione e che si ritrova più volte citato nelle note marginali di tre manoscritti omerici (Marc. gr. 453, Marc. gr. 454, Leidensis Voss. gr. 64), note che Schrader attribuiva a Porfirio in ragione della loro forma per questioni, ma adesso espunte dal testo porfiriano [13]. Senza entrare in merito alla attribuzione di questi scoli, vale comunque la pena osservare che in essi il v. 497 è citato, in contrapposizione ad Ade, in una prospettiva del tutto compatibile con quanto riferito nel fr. 82 della Lettera :

53

διὰ τί οἱ µὲν ἄλλοι θεοὶ στρεπτοὶ λέγονται, τὸν δὲ Ἅιδην ἀνελεήµονά ϕησιν εἶναι ; ὅτι ἐκεῖνοι µὲν περὶ τῶν εἰς ἑαυτοὺς χαλεπαίνουσιν ἁµαρτηµάτων, διὸ καὶ συγγινώσκουσιν, ὁ δὲ περὶ τῶν ἰδίων καὶ ἀλλοτρίων, διὸ καὶ ἄκαµπτός ἐστιν· ὅθεν ἐν οὐδεµιᾷ πόλει Ἅιδου βωµός ἐστιν. (p. 133. 19-22 Schrader)
« Perché gli dèi sono detti ‘lasciarsi piegare’, mentre dice essere l’Ade ‘senza pietà’ ? Perché quelli si adirano riguardo agli errori verso se stessi, perciò anche comprendono ; invece [l’Ade si adira] riguardo a quelli propri e altrui, perciò anche è senza pietà ».

54Si potrebbero aggiungere altre notazioni, tuttavia quanto detto mi sembra sufficiente per mettere in luce la ricchezza di questi frammenti e l’importanza di questa edizione. Essa è destinata a costituire il punto di riferimento imprescindibile per tutti coloro che, spinti da esigenze differenti, si troveranno ad analizzare la Lettera ad Anebo.

55Daniela Patrizia Taormina

Domninus of Larissa, Encheiridion and Spurious Works, introduction, texte critique, traduction anglaise et commentaire par Peter Riedlberger, Mathematica Graeca Antiqua, 2, Pise-Rome, Fabrizio Serra Editore, 2013, 282 pages. Jamblique, In Nicomachi Arithmeticam, introduction, texte critique, traduction française et notes de commentaire par Nicolas Vinel, Mathematica Graeca Antiqua, 3, Pise-Rome, Fabrizio Serra Editore, 2014, 348 pages

56Ces deux beaux volumes d’une nouvelle et excellente collection, Mathematica Graeca Antiqua[14], présentent une même facture d’ensemble : une introduction substantielle qui inclut un chapitre complet sur l’histoire et l’établissement du texte ; une édition (ou une réédition) critique du texte avec une traduction en regard du texte ; un commentaire linéaire détaillé sous forme de Notes Complémentaires ; une bibliographie parfaitement documentée, et plusieurs indices, en particulier un très utile index des mots grecs où figurent toutes les notions philosophiques et mathématiques (avec leur traduction). Leur qualité scientifique est indéniable.

57Le premier de ces ouvrages est consacré à Domninus de Larissa, élève de Syrianus en même temps que Proclus, au ve siècle. Proclus fait référence deux fois à son « camarade » (ἑταῖρος) Domninus dans son Commentaire sur le Timée, écrit dans sa jeunesse, à 27 ans (cf. In Timaeum I, 109.31 et 122.18 Diehl). La « camaraderie » n’a pas duré. Proclus s’est irrité des interprétations que Domninus pouvait faire des textes de Platon ; à ses yeux elles pervertissaient la philosophie platonicienne (cf. Souda Δ 1355 Δοµνῖνος). De fait, comme nous le fait remarquer Riedlberger, Proclus ne fera plus jamais mention de Domninus dans ses autres écrits.

58L’introduction (en l’occurrence la Preface) comprend cinq chapitres. Dans le premier (I. « A short Introduction to the cultural Backdrop », p. 19-41) est exposé l’arrière-plan culturel en regard duquel il faut situer Domninus. Traitant des précurseurs des Néoplatoniciens, Riedlberger rejette les étiquettes « médio » et « néoplatoniciens » (p. 30). À ses yeux, un tel partage masque la continuité doctrinale qu’il y a depuis l’époque impériale jusqu’à l’Antiquité tardive : c’est une même philosophie, le néopythagorisme, qui se développe grosso modo du iie au vie siècle de notre ère. Ce chapitre se clôt sur une section consacrée au rapport entre mathématiques et philosophie dans le Néoplatonisme tardif (p. 31-41). Certes, comme l’ont bien montré les travaux de D. O’Meara, les mathématiques jouent pour les Néoplatoniciens un rôle essentiel : c’est le passage par excellence qui conduit l’âme du Sensible à l’Intelligible. Riedlberger nous rappelle que cette haute valeur accordée aux mathématiques par les philosophes néoplatoniciens (à une époque où l’enseignement des mathématiques n’était pas poussé très loin) a conduit à l’invention au vie siècle de notre ère de cette fameuse sentence attribuée à Platon : « Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre ».

59Le second chapitre (II. « Domninus of Larissa », p. 43-64) propose un gros plan sur le personnage lui-même. Riedlberger part de la notice de la Souda mentionnée plus haut, qu’il cite intégralement et traduit. Puis il remonte aux sources : Damascius (Histoire philosophique) est la plus importante ; viennent ensuite Marinus (Proclus ou Sur le bonheur) et Proclus (Commentaire sur le Timée). Il en conclut (p. 63 et suivantes) que le « Domninus » étroitement mathématicien par opposition au philosophe théologien est une image réductrice du personnage. Heureusement, ajoute-t-il, il nous reste des textes de lui, qui peuvent nous permettre de redresser cette image convenue, à condition de faire le tri entre l’authentique et l’inauthentique.

60Dans le troisième chapitre (III. « Domninus’ works », p. 65-90), Riedlberger s’emploie précisément à faire ce tri. Par « textes de Domninus qui ne nous ont pas été conservés », Riedlberger entend ceux qui ont été effectivement écrits mais perdus (on pourrait dire : ceux que nous n’avons plus maintenant), et ceux qui (mentionnés par Domninus lui-même) n’ont pas été écrits (ceux donc que personne n’a jamais eus, et qui n’ont donc pas été perdus), d’où le titre de la première section « 3.1. Possible lost works of Domninus » (p. 65-72), comme on a « 3.2. Possible extant works of Domninus » (p. 72-90). Les œuvres peut-être perdues sont : un commentaire sur le Timée de Platon, un commentaire sur les Réfutations sophistiques d’Aristote, et une Στοιχείωσις ἀριθµητική. Le commentaire sur le Timée n’a, selon Riedlberger, probablement pas été écrit (et donc on ne peut dire qu’il nous a été perdu) car, dans le cas contraire, Proclus en aurait fait plus souvent mention. Une très érudite étude de la tradition manuscrite du commentaire sur les Réfutations sophistiques et un savant examen de plusieurs listes de catalogues (notamment de la Bibliothèque de l’Escurial) permettent de conclure au contraire que ce commentaire sur Aristote a bien existé. Quant à la Στοιχείωσις ἀριθµητική, Riedlberger nous rappelle l’ambiguïté du mot στοιχείωσις, qui peut signifier (i) étymologiquement « mise en éléments » et par là « Éléments », comme les Éléments d’Euclide ou les Éléments de théologie de Proclus, ou (ii) « introduction », « résumé » – un manuel « élémentaire ». Quoi qu’il en soit, ce traité ne nous a pas été préservé. On ne peut donc dire s’il a été écrit, même si Domninus y fait référence dans son Ἐγχειρίδιον ἀριθµητικῆς εἰσαγωγῆς. En revanche, quatre textes attribués à ou cités sous le nom de Domninus nous ont été conservés : l’Ἐγχειρίδιον ἀριθµητικῆς εἰσαγωγῆς, Comment un rapport peut être retiré d’un rapport, des Scholies à Nicomaque, et un Sommaire des principes d’optique. Seul le premier, selon Riedlberger, est authentique. Lui-même traduit le titre transmis par les manuscrits les plus fiables par Encheiridion of « Arithmetical Introduction », en ne traduisant délibérément pas ἐγχειρίδιον par « manual », parce que ce mot, nous dit-il (p. 73), n’implique plus de nos jours nécessairement l’idée d’un petit nombre de pages. Plus important, Riedlberger justifie sa traduction en disant (p. 75) que le titre ne veut pas dire « Manuel d’introduction à l’arithmétique » ; il faut bien plutôt comprendre : « Abrégé de l’Introduction arithmétique (sc. de Nicomaque) », en anglais : « A Pocketbook Version of Arithmetical Introduction ». Autre point important : contrairement à l’idée reçue (depuis Tannery) selon laquelle ce « pocketbook » a été écrit dans l’esprit d’un retour à Euclide en réaction contre le néopythagorisme de l’Introduction à l’arithmétique de Nicomaque de Gérase (iie siècle), Riedlberger soutient que ce livret n’est en rien l’ouvrage d’un dissident « euclidien » et qu’il s’inscrit dans la tradition des textes mathématiques « nicomachéens » (néopythagoriciens). C’est ce qui est développé par la suite de manière très convaincante dans son commentaire détaillé. Quant au court traité Comment un rapport peut être retiré d’un rapport, une analyse savante de la tradition manuscrite conduit Riedlberger à la conclusion qu’il est inauthentique : ce texte devra dorénavant être référencé sous le nom de Pseudo-Domninus. Mais comme établir ce point demande une étude comparative approfondie des textes et de leur transmission, et qu’il s’agit manifestement d’un texte mathématique de l’Antiquité tardive, son édition à côté de celle de l’Encheiridion est tout à fait justifiée. C’est pour les mêmes raisons que les Scholies, elles aussi inauthentiques, sont éditées, pour la première fois, comme troisième texte dans le volume. Le Sommaire des principes d’optique, lui, n’y figure pas : ce texte, qui a été transmis sous le nom d’un certain Damianus, sera édité à part dans les Mathematica Graeca Antiqua par F. Acerbi, l’un des directeurs de cette collection.

61Le court chapitre quatre (IV. « Domninus of Larissa : an appraisal », p. 91 et suivantes) récapitule les principaux enseignements que Riedlberger tire de son étude. À ce qui a déjà été relevé plus haut, en particulier sur le statut de l’Encheiridion, il faut ajouter ceci : Domninus a vécu vraisemblablement entre 410 et 485 (un « contemporain » donc, au sens strict du terme, de Proclus : 411-485) ; il appartenait à une riche et puissance famille de Larissa, en Syrie ; il n’était pas d’origine juive ; il était un membre à part entière de l’École néoplatonicienne d’Athènes et n’était pas un scientifique borné (l’interprétation physique qu’il donnait du mythe de Phaéton d’après le témoignage de Proclus n’est pas proprement « scientifique ») ; c’est Damascius qui lui reprochait son goût excessif pour les sciences au détriment de la philosophie ; mais Domninus s’intéressait aussi à la logique et aux Orphiques [15]. Tout ceci va, pour une bonne part, à l’encontre des idées reçues concernant notre personnage.

62Le chapitre cinq (V. « Prolegomena to the editions », p. 93-106) est une notice complète, en bonne et due forme, sur les éditions antérieures, sur les manuscrits utilisés pour la présente édition et sur les règles suivies pour celle-ci.

63L’édition des textes satisfait ainsi à toutes les exigences scientifiques. Nombre des corrections faites par Tannery sur l’Encheiridion sont reprises par Riedlberger : ce dernier souligne d’ailleurs (p. 93) la grande valeur du travail de Tannery. Les textes sont découpés en paragraphes, pour certains pour la première fois, sinon selon une numérotation inédite (c’est le cas de l’Encheiridion), et en tout cas toujours fondée sur le texte. On peut regretter que, pour ce qui est de l’Encheiridion, la structure du texte ne soit pas rendue visible dans la traduction (ce que l’on a dans l’édition de l’In Nic. arithm. de Jamblique par Vinel). En effet, dans sa « Preface » (section III, 2.1, p. 74), Riedlberger donne un plan détaillé de l’Encheiridion (proche dans l’ensemble de celui de la fameuse Introduction arithmétique de Nicomaque, sur laquelle je reviendrai) ; ce plan détaillé aurait pu apparaître (par l’insertion de titres en italiques) dans les pages de la traduction anglaise. La traduction est volontairement plutôt littérale (cf. p. 105). On notera par exemple que µονάς est rendu par « monad » (Riedlberger s’en explique p. 137), tandis que Vinel traduit (en suivant la tradition latine) par « unité ».

64Le commentaire est substantiel (p. 137 à 238 pour les trois textes, p. 137 à 198 pour le seul Encheiridion). Le seul terme de µονάς fait l’objet d’un commentaire extrêmement intéressant de six pages (p. 137-142). Riedlberger fait manifestement preuve d’une connaissance impressionnante de la littérature primaire et de la littérature secondaire. L’ouvrage est littéralement un puits de science [16].

65Avec Jamblique de Chalcis (en Syrie), nous remontons un peu le temps. Jamblique fut l’élève de Porphyre, lui-même disciple de Plotin et éditeur des leçons de son maître qu’il regroupa de manière à constituer un corpus de six Ennéades, précédé d’une Vie de Plotin. Tout en s’inscrivant dans la tradition platonicienne, Jamblique marque au iiie-ive s. après J.-C. un tournant dans l’histoire du Néoplatonisme. L’infléchissement dû à Jamblique présente les deux caractères suivants : (i) l’importance toute particulière accordée à la figure de Pythagore, au point que Jamblique semble vouloir lui donner, en réaction contre Porphyre, une autorité supérieure à celle de Plotin et de Platon, et (ii), corrélativement, le rôle central attribué aux mathématiques, qui a conduit à une forme de mathématisation de la philosophie platonicienne, en particulier de la physique et de la métaphysique [17].

66Ce grand programme de « pythagoréisation » de la philosophie de Platon (dans l’idée que Platon est lui-même un pythagoricien) est perceptible dans ce qui nous est resté comme témoignages des nombreux commentaires perdus de Jamblique (en majorité sur Platon mais aussi sur Aristote) ; mais c’est surtout l’œuvre monumentale de Jamblique consacrée à Pythagore et à la philosophie pythagoricienne, et intitulée Sur la secte pythagoricienne, qui réalise ce programme de la manière la plus systématique et la plus évidente. Le premier folio du manuscrit F (le Laurentianus 86,3), qui est du xive siècle et qui est le plus ancien dans la tradition manuscrite récente de l’In Nicomachi arithmeticam, donne la liste des neuf premiers livres de la somme pythagoricienne de Jamblique (cf. Vinel, p. 12) :

  1. « Vie de Pythagore »
  2. « Protreptique à la philosophie »
  3. « Sur la science mathématique commune »
  4. « Sur l’introduction arithmétique de Nicomaque »
  5. « Sur la science arithmétique en physique »
  6. « Sur la science arithmétique en éthique »
  7. « Sur la science arithmétique en théologie »
  8. « Sur la géométrie des Pythagoriciens »
  9. « Sur la musique des Pythagoriciens ».

67Comme Jamblique annonce dans le quatrième livre de cette liste qu’il va traiter de l’astronomie, il faut penser que cette somme sur les mathématiques pythagoriciennes comprenait un dixième livre : « Sur l’astronomie des Pythagoriciens ». En outre, la philosophie pythagoricienne ne se réduit pas aux mathématiques. La somme sur les mathématiques pythagoriciennes ne couvre qu’une partie du réel, en ne traitant pas des réalités immatérielles, séparées, éternelles, divines. Jamblique a donc dû fort probablement concevoir une suite, avec un ou plusieurs livres consacrés au monde intelligible, et plus précisément aux dieux. De fait, dans le Proptreptique (ch. 21, p. 146.6 des Places) [18], une référence de Jamblique à son traité Sur les dieux pourrait conforter cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, de ce monument grandiose, seuls les quatre premiers livres nous sont parvenus.

68On n’aura pas manqué de remarquer que le titre du quatrième livre dans l’édition de N. Vinel, In Nicomachi arithmeticam (Sur l’arithmétique de Nicomaque) n’est pas exactement celui qui est transmis par les manuscrits : Sur l’introduction arithmétique de Nicomaque. De fait, comme l’explique très bien N. Vinel dans son Introduction (p. 14 et suivantes), il faut corriger le titre transmis ; ce quatrième livre n’est pas en effet un commentaire sur l’Introduction à l’arithmétique de Nicomaque de Gérase (un des représentants du néopythagorisme au iie siècle). Loin d’être une simple paraphrase ou une nouvelle édition revue et augmentée de cette Introduction, c’est bien plutôt une introduction à « la science arithmétique » de Nicomaque (et par là à l’arithmétique pythagoricienne), une introduction qui utilise librement plusieurs autres traités de Nicomaque, ainsi que beaucoup de littérature (pseudo-pythagoricienne). N. Vinel souligne ainsi (p. 20 et suivantes) l’aspect original et innovant de ce texte, et son importance aussi pour notre connaissance de l’arithmo-géométrie pythagoricienne. C’est dans cette perspective d’une « défense des principes de l’arithmétique pythagoricienne » que Jamblique, selon Vinel (p. 23), critique à plusieurs reprises Euclide (par exemple sur la confusion de l’impairement-pair et du pairement-impair, In Nic. arithm. II, § 54, ou sur la définition du point, ibid. III, § 9 et IV, § 6). C’est là peut-être une thèse discutable. Pour Proclus, Euclide est un platonicien (cf. In Euclidem, p. 68.20s. Friedlein : « Il [sc. Euclide] appartient à la secte platonicienne et il est familier de la philosophie de Platon » ; 70.19-71.5 : le but des Éléments d’Euclide, c’est la construction des figures cosmiques platoniciennes) ; ce qui n’empêche pas Proclus de corriger ou de compléter Euclide, par exemple en démontrant le cinquième postulat euclidien, dit « postulat des parallèles », ou en livrant, à côté des démonstrations euclidiennes de certaines propositions, des démonstrations alternatives. Une remarque à ce sujet : dans la note 159, In Nic. arithm. IV, § 6 (p. 236 des Notes Complémentaires), Vinel fait référence à Proclus, In Euclidem, 94.4-7. Le texte grec est : µόνον γὰρ οὐχὶ λέγει σαϕῶς, ὅτι τὸ ἀµερὲς κατ᾿ ἐµὲ σηµεῖόν ἐστι καὶ ἡ ἐµὴ ἀρχή, καὶ τὸ ἁπλούστατον οὐδὲν ἄλλο ἐστὶν ἢ τοῦτο. Il faut corriger la traduction donnée par Vinel pour ce passage (« Il y a une seule chose qu’il [sc. Euclide] ne dit pas clairement : “le point est ce qui est sans parties en ce qui me concerne” … ») ; le sens est en effet : « Peu s’en faut en effet qu’Euclide ne dise clairement : “ce qui est selon moi sans parties, c’est le point” … » (µόνον οὐ, µόνον οὐχί signifie « peut s’en faut que », « presque »).

69Beaucoup d’autres sujets d’intérêt sont abordés dans l’Introduction très complète (p. 11-66) qui précède le texte et sa traduction. C’est ainsi, par exemple, que l’origine sémitique du nom « Jamblique » (sur la racine mlk « roi ») est, indique Vinel (p. 11), « sensible dans les critiques adressées aux “Grecs” par le De mysteriis » [19]. En réaction contre les critiques sévères portées par les Modernes sur le style de Jamblique, N. Vinel rappelle que les Anciens lui donnaient l’épithète de « divin », et que si Jamblique avait certes la réputation d’être difficile, il était aussi capable de pasticher la Bible grecque d’Alexandrie.

70Dans une section intitulée « L’arithmétique de la justice et les carrés dits “magiques” » (p. 23-36) [20], N. Vinel, en s’appuyant sur une analyse des matériaux pythagoriciens inédits utilisés par Jamblique dans l’In Nic. arithm., soutient de manière convaincante la thèse de l’origine ancienne et pythagoricienne des « carrés magiques », tels qu’on les trouve dans la tradition arabe (Xe-XIe siècles), et dont le témoin le plus ancien connu dans la tradition grecque est un passage de l’Expositio de Théon de Smyrne (iie siècle) qui donne le premier exemple d’un de ces carrés : le « carré de Théon », soit la figure

  • 1 4 7
  • 2 5 8
  • 3 6 9

71où 5 est la moyenne arithmétique de 1 + 9, 4 + 6, 7 + 3, 8 + 2. Cette origine ancienne des « carrés magiques » est, selon N. Vinel, corroborée par le carré sator de Pompéi [21].

72Autre point important : l’interprétation et la traduction de ψαυστῶν ἀδιαστασία ἢ διαστάντων ἀψωστία (In Nic. arithm. IV § 6.1, p. 126 Vinel), qui est traité dans la section 5 de l’Introduction (p. 35-41). Le contexte est ici l’argument bien connu selon lequel une ligne n’est pas plusieurs points (Aristote, Phys. VI, 1, 231a 21-b 18), et encore moins bien sûr un seul point. Accordons en effet qu’une ligne soit composée de plusieurs points alignés (juxtaposés) ; ou bien ces points sont en contact, et ipso facto ils ne font qu’un point (car, n’ayant pas de parties, c’est tout entier qu’un point touche un autre point tout entier : Aristote, Phys. 231b 3) ; ou bien ils ne sont pas en contact (ils sont espacés), il n’y a alors pas de continuité, donc pas de ligne. Vinel rejette la traduction possible et traditionnelle (depuis Ficin) de ἀδιαστασία par « non-espacement » (indistantia) ou « absence d’intervalle » (« senza intervallo » : trad. Romano), et celle de διαστάντων par « espacés » (distantium : trad. Ficin ; « intervallati » : trad. Romano) car on tombe, dit-il (p. 39), dans la tautologie ; lui-même traduit : « s’ils (sc. les points) sont en contact, il n’y a pas de dimension [et non pas : il n’y a pas d’intervalle, ou d’espacement] et, s’ils prennent une dimension [et non pas : s’ils sont espacés], il n’y a plus de contact », en donnant à « dimension » ici un sens arithmétique : « il est parfaitement cohérent de concevoir que l’addition des points, bien que ἀδιάστατοι d’un point de vue géométrique, produise une “dimension” au sens arithmétique » (p. 40). Si je comprends bien, « addition » de points veut dire « juxtaposition » de points (espacés), et au lieu de dire : si les points sont espacés, il n’y a plus de continuité, Jamblique dirait : si les points sont additionnés, il n’y a pas de dimension géométrique, mais bien une dimension arithmétique ; mais une telle dimension exclut le contact. C’est là une lecture très suggestive, qui mérite un examen approfondi. En tout cas, dire que la dimension linéaire (et les figures d’une manière générale) préexiste dans les nombres sous un mode non étendu (spatialement) est tout à fait néoplatonicien (ou peut-être faut-il dire néopythagoricien) : « Les figures existent dans les nombres sous le rapport causal » (Proclus, In Euclidem, 61.7s. Friedlein). En même temps, N. Vinel souligne la virtuosité lexicale et langagière dont fait preuve Jamblique en résumant tout un argument dans une courte disjonctive comprenant trois hapax. La section 5.2 (p. 37-39) est d’ailleurs consacrée aux néologismes de Jamblique.

73La section 6 de l’Introduction a pour titre : « La naissance oubliée du concept de zéro » (p. 41-53). Elle est la dernière section sur le contenu proprement philosophique de l’In Nic. arithm., parce ce que c’est aussi celle qui met précisément le plus en relief la « richesse conceptuelle » (p. 23) de ce traité. En réaction contre l’opinio communis selon laquelle les Grecs n’ont pas connu le zéro, N. Vinel défend l’idée que l’on a chez Jamblique l’élaboration d’un concept très proche de notre zéro arithmétique : le concept du « rien » (cf. In Nic. arithm. II, 32-52). Contrairement au « rien » chez Aristote et Nicomaque, le « rien » chez Jamblique est un authentique concept arithmétique, situé au début de la série des nombres. De même que 2 = 1 + 3 : 2, ou 3 = 2 + 4 : 2 de même 1 = rien + 2 : 2 (In Nic. arithm. II, § 45). Selon N. Vinel, c’est une raison philosophique forte qui a conduit Jamblique à cette innovation audacieuse et radicale : le « rien » arithmétique est analogue au principe ontologique que Jamblique pose au-dessus de l’Un. 1 est le moyen terme entre le rien et le deux comme l’Un est le moyen terme entre l’Ineffable et la Dyade du Limitant et de l’Illimité. Mais les Néoplatoniciens après Jamblique (Proclus, ou Asclépius de Tralles) vont rejeter l’Ineffable jamblichéen, et aussi, en même temps, le concept arithmétique de zéro, parce que ce concept semble impliquer l’existence d’un nombre avant l’unité. Affirmer que c’est un souci de cohérence entre ontologie et arithmétique qui a amené Jamblique à poser avant les nombres et avant l’unité le « rien » est une thèse quelque peu spéculative, mais là encore très suggestive, qui mériterait d’être argumentée plus amplement, ce que N. Vinel ne pouvait faire dans le cadre d’une introduction. La question du statut de la négation dans le mot rien, οὐδ – ἕν, « non un » en tant que « pas même un », celle du statut de principe qui semble être attribué au « rien » arithmétique (« situé au début de la série des nombres », p. 53), et celle de l’analogie elle-même entre le Totalement Ineffable et le « rien » arithmétique sont grosses d’apories telles que celles que Damascius s’est plu un siècle plus tard à déployer de manière vertigineuse à propos du Principe Absolu qu’est l’Ineffable. À ceux qui font du premier principe un néant, l’auteur anonyme du commentaire sur le Parménide de Platon (attribué par P. Hadot à Porphyre) répond : « C’est nous qui sommes le néant (τὸ οὐδέν) par rapport à Lui, quant à Lui, il est le seul véritablement étant (si l’on entend dans le sens où je le dis) par rapport aux choses qui sont après Lui … Mais, semble-t-il, nous transportons en Lui nos propres affections parce que nous sommes véritablement néant » ([Porphyre ?], Sur le Parménide, fr. 4.26-5.2 dans Hadot, Porphyre et Victorinus, II, Paris, 1968, p. 77 et suivantes).

74L’édition du texte grec est remarquable, et bien meilleure que celle de Pistelli (Teubner, 1894) [22]. Vinel (p. 54-65) critique sévèrement Pistelli (i) pour sa répugnance à corriger le texte du Laurentianus 86,3 (= F, xive siècle), et aussi (ii) pour avoir fait du Laurentianus 86,3 l’archétype de toute la tradition manuscrite de l’In Nic. arithm. C’est d’un autre manuscrit, le Laurentianus 86, 29 (= L, xve siècle), que Vinel fait dépendre tous les témoins postérieurs du texte. On peut espérer que l’édition vraiment critique de Vinel sera dorénavant l’édition de référence (son inscription dans la collection Mathematica Graeca Antiqua à côté d’autres éditions critiques modernes de textes de mathématique grecque ancienne ne peut que conforter cet espoir). On peut espérer aussi qu’au titre trompeur qui a été attribué à l’In Nicomachi arithmeticam, et qui fait encore autorité depuis l’édition de Pistelli, sera substitué le titre corrigé dans l’édition de Vinel. Deux apparats, l’un des sources et l’autre des passages parallèles, complètent très utilement l’apparat critique.

75La traduction est fluide, claire, précise (au passage, ἀρχή dans l’index graecitatis est rendu par « début », « commencement », « principe » ; on trouve aussi parfois, dans la traduction, « origine » mis pour « principe » ; dans certains contextes, « principe » me paraît meilleur que « origine », cf. e.g. II, § 7, p. 77 Vinel : Μονὰς δέ ἐστι … ἀρχὴ ποσοῦ, « L’unité est … l’origine de la quantité » [trad. Vinel] ; pourquoi pas : « L’unité est … le principe de la quantité » – comme par exemple p. 41, ligne 9, dans l’Introduction ? Le mot principe, plus philosophiquement marqué, implique plus clairement que le mot origine l’idée d’une cause une antérieure à et séparée de la série).

76Le découpage (pour la première fois) du texte grec en paragraphes et l’insertion dans la traduction de titres de chapitres et de sous-titres pour les sections donnent une très grande intelligibilité au texte (on trouvera dans l’Introduction, p. 16-19, un plan détaillé de tout le traité). La mise en page est très soignée. Les Notes Complémentaires (p. 199-264), sections par sections, donnent de très claires et très utiles explications, en particulier sur l’histoire et le sens des concepts mathématiques et philosophiques. Les passages parallèles sont cités, placés à côté des passages repris dans Jamblique, et la proximité, littéralement soulignée, fait l’objet d’analyses précises. L’ensemble, qui repose là aussi sur une très solide connaissance des littératures primaire et secondaire, est remarquable. Plusieurs indices enrichissent très utilement ce beau volume : un index graecitatis, comprenant un index des noms propres et un index des notions philosophiques et mathématiques ; auxquels s’ajoutent trois autres indices : des lieux, des manuscrits, des noms. Une bibliographie (p. 345-348) – riche de littérature pythagoricienne bien sûr –, clôt le tout (on notera l’absence de littérature secondaire en langue allemande, à l’exception d’éditions ou d’ouvrages traduits de l’allemand, le plus souvent en anglais).

77Après avoir été d’une manière générale injustement méprisé, l’In Nicomachi Arithmeticam de Jamblique peut maintenant être apprécié à sa juste valeur. Ce texte est en effet un « témoin précieux » de l’histoire des mathématiques pythagoriciennes et en même temps un texte très innovant, autant sur le plan mathématique que sur le plan philosophique. L’édition de N. Vinel le fait ainsi accéder au rang de texte majeur pour notre connaissance du Néoplatonisme de l’Antiquité tardive.

78Alain Lernould

Proclus the Successor, On Poetics and the Homeric Poems. Essays 5 and 6 of His Commentary on the Republic of Plato, texte, traduction, notes et introduction par Robert Lamberton, Writings from the Greco-Roman World, 34, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2012, XLII + 322 pages

79Des dix-sept Essais qui composent le Commentaire de Proclus à la République, l’Essai 5 traite, en dix questions et à la manière d’une introduction néo-platonicienne à la République de Platon, de « L’opinion défendue par Platon sur la poétique et ses espèces, sur les meilleures harmonies et les meilleurs rythmes » (Περὶ ποιητικῆς καὶ τῶν ὑπ᾿ αὐτὴν εἰδῶν καὶ τῆς ἀρίστης ἁρµονίας καὶ ῥυθµοῦ τὰ Πλάτωνι δοκοῦντα, p. 2-55). L’Essai 6, qui s’intitule « Proclus le Successeur : Ce qui a été dit par Platon dans la République sur Homère et la poétique » (Πρόκλου διαδόχου περὶ τῶν ἐν Πολιτείᾳ πρὸς Ὅµηρον καὶ ποιητικὴν Πλάτωνι ῥηθέντων, p. 58-307) et qui se divise en deux livres, présente une défense d’Homère par Proclus contre les critiques que le Socrate de la République avait pu formuler contre lui, en démontrant notamment – et à la suite de Syrianus – que Platon et Homère sont en réalité, l’un comme l’autre, les contemplateurs des choses divines, qu’ils enseignent la même chose sur les mêmes sujets et qu’ils sont tous deux les interprètes d’une même vérité (voir p. 60-61, dans la traduction de Lamberton : « In this way, each of them would be revealed to us as a thoughtful and knowledgeable contemplator of the divine beings, both of them teaching the same things about the same things, and both interpreters of the same truth about reality, participating in the procession of the same god and taking their places in the same chain »).

80Lamberton propose dans ce livre la première traduction anglaise moderne de ces deux Essais – traduction qui est ici accompagnée d’un nombre de notes relativement réduit, qui ont été pour la plupart empruntées à A.-J. Festugière (1970) quand il s’agissait d’éclairer le sens du texte.

81La traduction de Lamberton, dont il arrive que l’élégance et la clarté soient sacrifiées à quelque imprécision (par exemple, les deux termes de µίµησις et d’ὁµοίωµα ne sont pas distingués l’un de l’autre ni dans la traduction, ni dans une note : ainsi p. 10, l. 11 du texte grec), est précédée d’une introduction, rédigée de manière concise et plaisante, présentant Proclus (1. Proclus : Life and Works, p. xi-xiv) et son Commentaire à la République (2. The Commentary on the Republic, p. xiv-xvii), et fournissant des éléments d’interprétation pour les Essais 5 et 6, en réinscrivant le texte de Proclus dans son contexte historique et philosophique, mais aussi, brièvement, dans l’histoire de la théorie herméneutique (3. Proclus on Poetics and Allegory, p. xvii-xxvi ; 4. The Defense of Homer, p. xxvi-xxx).

82Le texte grec, imprimé ici en regard, reprend – en le divisant en paragraphes – celui de l’édition Kroll (1899), avec quelques conjectures et additions. Deux addenda présentent une traduction anglaise de la table des matières, proposée par Kroll, du Commentaire de Proclus à la République (p. xxxi-xxxiii), et la traduction anglaise de la préface de Kroll au vol. i de son édition du Commentaire (p. xxxiii-xxxv) – dont une partie reste inutile dans la mesure où elle explique et justifie la présence des sigles d’un apparat que Lamberton n’a pas reproduit dans son livre.

83Le livre de Lamberton ne s’adresse pas (exclusivement) aux spécialistes de la philosophie néo-platonicienne, ni encore moins aux spécialistes de Proclus, qui trouveront ailleurs commentaires précis et bibliographies détaillées ; il se présente comme la tentative, réussie, de rendre ce texte désormais lisible en anglais, et de le mettre à la disposition de tous ceux qui travaillent d’une manière ou d’une autre sur la question de l’exégèse, de l’herméneutique – de la rhétorique dans ce qu’elle peut avoir de plus général.

84Frédérique Woerther

Scholies à Pindare. Volume I. Vies de Pindare et scholies à la première Olympique. « Un chemin de paroles » (O. I, 110), texte, traduction et commentaires par Cécile Daude, Sylvie David, Michel Fartzoff et Claire Muckensturm-Poulle, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2013, 496 pages

85Fruit d’un travail collectif de longue haleine, la somme que Cécile Daude et son équipe livrent au public spécialiste et profane force à tous égards le respect.

86L’œuvre de Pindare suscite l’interprétation, comme le rappelle l’éminent pindariste Michel Briand dans la Préface. Héritant de la longue histoire de la critique pindarique, l’équipe bisontine est engagée dans un travail de type « archéologique ». Paru quatre ans après le volume Traduire les scholies de Pindare… I. De la Traduction au commentaire : problèmes de méthode (2009) issu de deux tables rondes, ce gros ouvrage est la première traduction intégrale en français (et plus largement même dans une langue moderne) des scholies anciennes relatives à la Première Olympique de Pindare. Le corpus exégétique est ainsi mis à la portée d’un public plus large que celui des seuls professionnels de la philologie grecque. Égales à celles qui ont été rencontrées par les scholiastes anciens, les difficultés auxquelles se heurtent les commentateurs modernes se trouvent augmentées du filtre supplémentaire du long temps écoulé depuis l’Antiquité.

87L’Introduction (30 pages) de Cécile Daude éclaire les coulisses d’un projet aussi titanesque que novateur. Parfois reléguées au rang de sources subalternes dont la finalité première est pédagogique, les scholies forment un « texte inhospitalier » (p. 15), hétéroclite, répétitif et morcelé, comparable à « un archipel de récifs issu de l’éruption d’un volcan sous-marin » (p. 15). Le travail de Louis Robert sur les inscriptions, ou encore les traductions des grammairiens et rhéteurs grecs par Jean Lallot et Pierre Chiron servent de modèle à l’entreprise collective dont le présent ouvrage recueille les fruits. Les remarques sur la tradition manuscrite puisent ouvertement dans les travaux de Jean Irigoin, et les notes techniques dans la somme d’A.B. Drachmann. La traduction aide le lecteur averti à reconnaître le texte grec, dont les mots importants sont translittérés à l’intention des profanes. Constituées d’un métalangage ajusté à la synchronie où il est façonné et usité, les scholies sont un terrain d’observation inépuisable des mécanismes de l’interprétation linguistique telle qu’elle est pratiquée dans l’Antiquité classique.

88La traduction des Vies (p. 47-173) est précédée d’une notice introductive et suivie d’un commentaire minutieux où les idées importantes sont surlignées en caractères gras pour servir de repères dans le développement. S’attarder sur un exemple isolé reviendrait à démembrer le tissu dense et serré des explications relatives aux principaux thèmes et enjeux du lyrisme choral incarné par le grand poète grec : le caractère inséparablement musical et verbal de la poésie pindarique ; la récurrence des métaphores artisanales connotant les différentes facettes du métier de poète ; le mythe de la fondation des concours olympiques dans la Vie thomanienne ; le tissage d’un sens arborescent ; la polysémie du terme « harmonie » ; etc.

89La même démarche s’applique à la traduction des scholies de la Première Olympique (p. 175-451) dont le détail ne peut être discuté ici. Divers passages inspirés, voire virtuoses, retiennent tout particulièrement l’attention : l’assimilation de la poésie ou du logos au registre de la peinture ; la terminologie propre des scholies (allôs, noûs, to de exês, to de holon eipein, periphrasis et ses dérivés, etc.) fondée sur une reformulation paraphrastique éclairant le sens du poème ; la finalité explicative de la pratique synonymique ; les thèmes récurrents de l’ode commentée ; etc.

90La langue simple et claire des pédagogues soucieux d’être compris que sont aussi les maîtres de philologie de ce volume sert avantageusement leur projet d’éclaircissement exégétique. L’ambitieuse entreprise menée à bien par l’équipe de Besançon non seulement déplie, éclaire et met au jour le sens du métadiscours scholiographique, mais aussi (sans la moindre arrière-pensée ni malice) trahit la relative pauvreté de certaines explications et, partant, la myopie ou l’inintelligence des scholiastes, lesquels seraient assurément les premiers surpris de l’attention que notre époque lointaine porte à leur activité d’annotation conjoncturelle.

91Le corpus des scholies de Pindare est un océan à lui tout seul : sa traduction intégrale requerrait la patience de plusieurs décennies. Si telle est l’intention des instigateurs de ce projet d’envergure, la question se posera alors aussi de l’intérêt d’entreprendre la même démarche pour les autres auteurs de la littérature grecque et latine. Une bibliographie existe (en langue anglaise, allemande, italienne, etc.) que ce volume omet de mentionner sur le rôle du métatexte exégétique à l’intérieur de la tradition philologique. Si la prose fonctionnelle (à visée pédagogique) des scholies est la forme la plus communément représentée du métadiscours dans l’Antiquité (autrement dit d’un texte second ou discours au second degré), cela justifie-t-il une traduction, c’est-à-dire la production d’un texte au troisième degré ? L’idée n’est encore venue à personne de traduire (sauf cas rarissimes) un dictionnaire unilingue/bilingue de grec/latin, ni les éditions annotées de la Renaissance, ou les commentaires vernaculaires de la seconde modernité (XVIIIe-XIXe siècles). À notre époque où le sens de la langue semble s’émousser dans toutes les couches de la société, l’« attachement » à la matière originelle des mots apparaît comme l’unique (et peut-être la dernière) garantie d’un enracinement salutaire dans le terreau de la signification. Tandis que la philologie fouille les ornières du passé, la traduction à l’inverse donne plutôt l’impression de s’éloigner de la source où s’abreuve l’intelligence des choses. Ces remarques d’ordre général n’enlèvent rien évidemment au mérite immense du courageux travail recensé ici.

92Pascale Hummel

Scholies à Apollonios de Rhodes, textes traduits et commentés par Guy Lachenaud, Fragments, Paris, Les Belles Lettres, 2010, XLVI + 578 pages

93Les commentaires anciens des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes sont connus pour leur qualité. On les doit aux travaux combinés de trois savants d’époques diverses, Lucillus de Tarrha (iie s. apr. J.-C.), Sophocleios (iie s. apr. J.-C. ?), et Théon d’Alexandrie (ier s. av. J.-C.). On se félicitera donc de les voir proposés en traduction. Ce livre témoigne d’un projet louable : mettre à la disposition d’un large public les trésors d’érudition contenus dans les « scholies » (commentaires datant de l’Antiquité). L’habitude est que les œuvres de l’Antiquité soient traduites et retraduites au cours des siècles, cependant que les commentaires anciens qui les accompagnent, les scholies, demeurent un domaine réservé à qui sait lire dans la langue originale. Or il se trouve souvent que les informations recherchées dans un texte ancien par quelqu’un qui n’en est pas un spécialiste se trouvent, justement, dans les scholies. Désormais, pour les scholies des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, l’accès se trouve facilité. Avant la parution de ce livre, l’excellente édition de Karl Wendel, qui sert de base à Guy Lachenaud (GL), était le livre de référence mais, bien entendu, il ne comporte pas de traduction (Scholia in Apollonium Rhodium vetera, rec. Carolus Wendel, Berlin, 19582, l’édition originale date de 1935). Il va de soi que cette belle médaille a son revers : en traduisant des textes qui ne pouvaient être lus jusqu’alors que dans l’original, ne court-on pas le risque de donner un argument facile à quiconque recule devant l’effort d’acquérir la connaissance de la langue originale ? Pas nécessairement. Observons simplement, dans ce cas comme dans d’autres, que même en étant helléniste on peut trouver utile de vérifier comment un(e) autre helléniste aura compris le texte. Et l’on pourrait illustrer ce point en recourant précisément aux scholies d’Apollonios. Dans la seconde des deux biographies d’Apollonios qui figurent en tête des scholies, on lit la phrase suivante : « (Apollonios, de retour à Alexandrie, obtint un succès considérable…), ὡς καὶ τῶν βιβλιοθηκῶν <καὶ> τοῦ Μουσείου ἀξιωθῆναι αὐτόν κτλ. ». Ces mots ont longtemps été compris comme signifiant qu’Apollonios, à cette occasion, avait été nommé directeur de la bibliothèque et du Musée d’Alexandrie (ce qui est en fait attesté par le papyrus d’Oxyrhynque P. Oxy. 10, 1241). L’apparat critique de l’édition de Wendel (p. 2) enregistre le fait que Meineke avait même voulu introduire le mot προστασίας (« direction ») devant τῶν βιβλιοθηκῶν. Or le sens de la phrase, et par conséquent le récit de la biographie d’Apollonios, ont fait l’objet d’une révision totale de la part de Rudolf Pfeiffer : un parallèle qu’il trouve chez Eusèbe de Césarée fait apparaître clairement que les mots τῶν βιβλιοθηκῶν – ἀξιωθῆναι signifient que les livres d’Apollonios furent jugés dignes de figurer dans la bibliothèque [23] et que, par conséquent, la phrase n’a pas de rapport avec les fonctions d’Apollonios à la tête de la bibliothèque d’Alexandrie. C’est d’ailleurs un point sur lequel GL a suivi Pfeiffer, et l’on voit à quel point la traduction est ici de première importance pour guider le lecteur, helléniste ou non, vers le sens retenu.

94Dans une présentation attrayante, quoique de maniement quelque peu difficile étant donné son volume et son type de reliure, ce livre comporte pour l’essentiel le texte grec des scholies (en principe selon l’édition de Wendel) avec, en regard sur la page de gauche, la traduction de GL (p. 2-529). Cette partie est précédée d’une introduction (p. XI-XLV) et suivie d’une annexe ainsi que de deux index (p. 531-576).

95Dans l’introduction, GL présente de manière concise l’histoire des commentaires anciens d’Apollonios et de leur transmission. Il offre aussi des aperçus utilement compartimentés du contenu des scholies (e.g. auteurs cités, formes de savoir, langue et grammaire). Incidemment, on peut voir là quel large éventail de compétences le traducteur a déployé.

96L’annexe est formée de six tableaux de généalogies mythiques. Elle rendra de grands services au lecteur, grâce à un dispositif qui consiste à placer sur les pages de gauche les traditions fondatrices de la généalogie envisagée et sur la page de droite les références aux passages des scholies qui les mentionnent.

97Les deux index (index des noms d’auteurs, index des noms) renvoient, sauf exception, aux pages de la traduction, ce qui facilitera la consultation. Pour l’index des noms, il est précisé (p. 555, n. 1) que le nom de Jason est omis, ce qui s’explique sans doute par sa fréquence (voir les Indices de Wendel p. 350). Peut-être aurait-il fallu également avertir le lecteur que le nom de Médée est lui aussi omis (il est également fréquent ; voir, chez Wendel, p. 352). Ce détail indique que l’on peut encore tirer profit des index de Wendel et que les lecteurs de GL auraient tort de les oublier.

98La traduction, partout où j’ai pu le vérifier, est élégante et précise. Elle est accompagnée de nombreuses notes de bas de page, sobres et bienvenues. Le regret que l’on pourrait avoir tient au choix de ne pas traduire les mots ou segments de texte commentés (« lemmes »). Si l’on veut faciliter l’accès aux scholies, pourquoi laisser subsister un obstacle qui pourrait être parfois de taille [24] ? Deux exemples suffiront, qui valent pour l’ensemble. Dans la scholie au vers 3.752, on lit ceci chez GL (p. 382) :

99

Αἰσονίδεω πόθωι l’emploi de πόθος au lieu de ἔρως n’est pas correct. En effet, on dit πόθος quand on recherche l’être aimé, alors que l’amour est un sentiment intense.

100Sans insister sur le fait que, dans le texte grec de la scholie, l’absence de ponctuation après le lemme produit une syntaxe incompréhensible (défaut systématique auquel on finit par s’habituer en rectifiant automatiquement), ne considérons que la traduction. Certes, il est bon que les mots-clés de cette note sur le vocabulaire amoureux figurent dans leur forme originale (peut-être aurait-on pu faciliter la tâche au non-helléniste en transcrivant pothos et erôs ?), mais pourquoi ne traduire en définitive que l’un des deux (ἔρως traduit très normalement par « amour », mais dans sa deuxième occurrence) ? Émile Delage traduit πόθος par « passion » [25] : n’aurait-il pas été plus utile au lecteur d’adopter cette traduction et de la flanquer du mot grec, transcrit ou non ? Il n’échappe à personne que ce passage des scholies est d’un intérêt qui dépasse le cadre de la lecture d’Apollonios ; le rendre aussi facile d’accès que possible n’est donc pas indifférent.

101Le deuxième passage (scholie aux vers 1.1003-1005, p. 148) intéresse la théorie littéraire. Dans ce texte qui appartient à la catégorie des scholies relativement développées, le commentateur se prononce sur la question importante de l’adéquation d’une comparaison avec le comparé (il s’agit des monstrueux « fils de la terre » qui, tués par les Argonautes, sont comparés à des arbres abattus et mis à l’eau pour gonfler). On trouve là non seulement un lemme initial (le début du vers 1.1003), mais une citation incluse, à savoir l’entier du vers 1.1005. C’est à ce vers que se réfère toute la suite de la scholie. Ne pas le traduire, c’est contraindre le lecteur non helléniste à rechercher de son côté une traduction. Autrement dit, on manque à l’évidence une occasion de lui rendre service.

102On voit ce qui peut motiver le regret. Cependant, se concentrer sur ce choix particulier et sur ses conséquences ne rend pas justice au travail accompli par l’auteur. Il avait ses raisons de procéder ainsi, le lecteur peut avoir les siennes de le regretter. Globalement, au travers de la traduction, mais aussi grâce à une introduction bienvenue et à ses annexes, le livre apporte une contribution de grande importance. C’est un livre qui vient à son heure. Il rendra des services à l’étude d’une période de la littérature grecque qui connaît depuis quelques décennies un regain d’intérêt particulièrement marqué.

103André Hurst

Michel Masson, Du sémitique en grec, Affinités Langues & Civilisations, Paris, Éditions alfAbarre, 2013, 340 pages

104Sémitisant de formation, Michel Masson vient de rouvrir l’épineux dossier des emprunts faits par le grec aux langues sémitiques. Revenant sur une étude qu’il avait présentée sur la question en 1984, il publie maintenant Du sémitique en grec, un ouvrage dont la lecture est à la fois passionnante et salutaire.

105Sans doute faut-il surmonter quelques obstacles pour en apprécier pleinement la valeur. On doit tout d’abord faire taire les réticences que l’on peut éprouver face aux nouvelles normes orthographiques adoptées par l’auteur, qui a pris le parti de se conformer aux récentes recommandations de l’Académie française. S’il ne connaît pas les traits caractéristiques fondamentaux des langues sémitiques, l’helléniste devra en outre prendre la peine d’en acquérir quelques notions pour pouvoir suivre l’auteur dans des développements parfois complexes. Enfin, la démonstration d’ensemble ne va pas sans un certain nombre de redites qui nuisent parfois à la clarté du raisonnement.

106En fait, on peut imputer un certain nombre de ces redites à l’hyperprudence de l’auteur, qui se trouve dans une position inconfortable. Étant lui-même sémitisant, il est persuadé que P. Chantraine et E. Masson – dont les travaux font autorité, surtout en France, et qui n’étaient pas sémitisants – ont été trop parcimonieux dans leur acceptation des étymons sémitiques repérables dans la langue grecque, et son article de 1984 allait déjà en ce sens. Mais est alors venu le Black Athena de Martin Bernal, qui a déchaîné les passions. Certes, M. Masson partage certains des points de vue de Bernal ; mais il en reconnaît aussi les excès : en voulant étendre son exploration à l’Égypte ancienne et en se servant abondamment des noms propres, Bernal a trop souvent manqué de rigueur, et a par ailleurs fait un procès d’intention outré aux hellénistes, accusés de se prêter à un complot isolationniste. On comprendra donc que M. Masson se soit senti obligé de faire preuve d’une prudence presque excessive, en soulignant par exemple qu’en toute rigueur P. Chantraine n’aurait même pas dû accepter tel ou tel étymon sémitique.

107Le démarrage de l’ouvrage est donc un peu laborieux car M. Masson tient, dans sa première partie, à clarifier sa position. Cette partie est consacrée aux « mots voyageurs », des mots techniques souvent liés aux activités commerciales, qui constituent l’essentiel du corpus d’emprunts aux langues sémitiques (environ 60 mots) admis par Chantraine et E. Masson. Sa parfaite connaissance du fonctionnement des langues sémitiques (croisement d’une racine trilittère avec un schème ; correspondances phonétiques, etc.) lui permet de montrer que tel ou tel étymon est sémitique (ou a toute chance de l’être), même si les formes parallèles invoquées appartiennent à des langues plus tardivement attestées comme l’arabe. Pas à pas, il démontre ainsi que l’on peut aisément ajouter une quarantaine de mots grecs à cette liste initiale (par exemple les mots gaza, kalathos, kidaris, sphaira).

108Dans la deuxième partie, intitulée « Nouvelles perspectives », M. Masson avance avec plus de hardiesse, même s’il multiplie ce qu’il appelle des « garde-fous ».

  1. Pour ouvrir l’horizon, il n’hésite pas à utiliser la notion de « parallélisme sémantique » : si les Grecs ont emprunté les deux sens d’un mot sémitique de même consonance, cela signifie qu’ils subissaient une influence linguistique plus importante que certains ne veulent le croire ; on lira par exemple avec intérêt le développement sur le mot kosmos (p. 182-192).
  2. Il relève toutes les implications de l’adoption de l’alphabet par les Grecs, notamment en ce qui concerne les possibilités d’emprunts de mots liés à la sphère culturelle.
  3. À partir de là il explore, par cercles successifs et extrapolations « plus périlleuses », un champ nettement plus vaste. Certains mots (par exemple rhaptō, kairos) ont droit à un traitement bref ; d’autres bénéficient de développements beaucoup plus longs, comme tuphōn, skhetlios, atē, thauma.

109M. Masson parvient ainsi à ajouter encore une centaine de mots grecs à sa liste. Parfois il considère le résultat comme acquis, mais parfois aussi il s’agit pour lui d’une simple proposition (par exemple pour kairos). Sans dogmatisme, il invite donc les hellénistes à reconsidérer sereinement certaines étymologies et à nouer avec les sémitisants un dialogue fécond.

110Bernadette Leclercq-Neveu

Sophie Minon, Diffusion de l’attique et expansion des koinai dans le Péloponnèse et en Grèce centrale. Actes de la journée internationale de dialectologie grecque du 18 mars 2011, Université Paris-Ouest Nanterre, École pratique des hautes études. Sciences historiques et philologiques. III : Hautes études du monde gréco-romain, 50, Genève, Droz, 2014, X + 222 pages

111Comme le souligne Catherine Dobias-Lalou dans l’avant-propos, le choix des limites géographiques résulte, entre autres, du rôle des ligues achéenne et étolienne dans la période concernée. Sophie Minon, dans l’introduction, « Pour une géographie historique et sociale de la koinéisation du grec ancien » (p. 1-18), rappelle à ce propos qu’en ce qui concerne la Ligue étolienne, la koina du Nord-Ouest se distingue à peine du dialecte local de Delphes. Stephen Colvin, « Perceptions synchroniques des dialectes et de la koiné » (p. 19-28), défend l’idée que « dans chaque région, l’émergence de la koiné est le fruit d’une relation dynamique avec les dialectes locaux », et que « la nouvelle langue grecque était le reflet d’un changement d’identité ethnique et politique ». Sophie Minon, « Les mutations des alphabets péloponnésiens au contact de l’alphabet attique ionisé, ca 450-350 av. » (p. 29-55), montre en particulier que l’introduction progressive de êta, avec sa valeur vocalique, est antérieure, dans le Péloponnèse, à la réforme alphabétique athénienne de 403/2. Emilio Crespo, « Diffusion de l’attique et développement de koinai dans le Péloponnèse, première moitié du ive av. » (p. 57-68), montre que c’est d’abord l’attique qui s’est employé « pour la communication internationale entre cités et pour la communication dans laquelle l’un des interlocuteurs était Athénien ». Enrique Nieto Izquierdo, « La diffusion de la koinè en Argolide au ive av. : les premières étapes » (p. 69-86), souligne en particulier que l’on a trop tendance à attribuer à la koinè des évolutions phonétiques qui, en réalité, sont celles des dialectes ; le traitement de eo soulève de fait des problèmes beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait (p. 77). Laurent Dubois, « Dialecte et langues communes en Arcadie à l’époque hellénistique » (p. 87-96), souligne que l’Arcadie, au dialecte si typique, a été soumise à deux influences, l’ionienne et la dorienne. Mathilde Douthe, « La koina du Nord-Ouest : nature et développement » (p. 97-115), rappelle utilement que « la koina du Nord-Ouest est une notion uniquement moderne, qui n’est pas mentionnée par les auteurs anciens ». L’idée qu’une koina se soit diffusée, en particulier à Delphes, à partir d’une domination politique étolienne est, selon MD, par trop simplificatrice. Nicole Lanérès, « Le messénien : un dialecte introuvable ? » (p. 117-139), conclut que « le dialecte de Messénie se présente à l’époque de la domination spartiate comme un laconien dénué de ses traits les plus rudes ». Alcorac Alonso Déniz, « L’esprit du temps : koinè, dialecte et hyperdialecte dans les inscriptions agonistiques du sanctuaire d’Artémis Orthia à Sparte » (p. 141-168), revient, dans un article extrêmement intéressant, sur le problème du néolaconien : à partir d’environ 140 de notre ère, on observe dans les dédicaces à Artémis Orthia, et seulement dans ces dédicaces, un renouveau du dialecte laconien. Ce phénomène n’a aucun parallèle dans l’histoire de la langue grecque, non plus que la persistance, jusqu’à aujourd’hui, du dialecte tsaconien. Le volume est complété par d’utiles résumés, en français et en anglais, une bibliographie sélective, un index des sources, un index témoignant de la diffusion de l’attique et de la koinèisation, et un index des notions.

112L’impression qui ressort de ces actes est que l’expansion de la koinè, concept indiscutable, est un phénomène complexe, qui dépend non seulement de particularités géographiques et géopolitiques, mais aussi de facteurs sociologiques. Le concept de koina, qui n’est pas antique, est beaucoup plus flou, et semble se ramener à l’élimination de traits par trop discriminants de certains dialectes doriens. Les auteurs remarquent souvent que nous en sommes réduits à nous fonder sur des sources essentiellement épigraphiques, qui ne reflètent pas nécessairement la réalité orale des dialectes parlés. On signalera à ce propos que la publication récente d’un nombre considérable de lamelles oraculaires de Dodone, où les consultants s’expriment chacun dans son dialecte et sous le sceau du secret, donc sans aucun contrôle linguistique, permettra sans doute d’y voir plus clair dans la réalité orale des dialectes jusqu’en 167 av. : Σ. Δάκαρη, Ι. Βοκοτοπούλου, Α.Φ. Χρηστίδη, Τα χρηστήρια ελάσµατα της Δωδώνης των ανασκαφών Δ. Ευαγγελίδη, Athènes, 2013, corpus de 4 216 numéros, en deux volumes.

113Éric Lhôte

Catherine Collobert, Parier sur le temps. La quête héroïque d’immortalité dans l’épopée homérique, Études anciennes. Série grecque, 143, Paris, Les Belles Lettres, 2011, 304 pages

114Fruit d’une réflexion amorcée dès 2001, comme en témoigne la liste des articles dont il reprend la teneur, l’ouvrage de Catherine Collobert se distingue parmi la pléthorique bibliographie homérique par la justesse et la finesse de ses analyses comme par la profondeur et la cohérence de son propos. L’auteur, spécialiste de philosophie ancienne, y présente en effet une réflexion dont l’ampleur se laisse deviner dès le sous-titre – « la quête d’immortalité » paraissant bien évidemment un aspect essentiel de l’épopée homérique – et à laquelle le titre « parier sur le temps », intrigant au premier abord, donne une véritable unité. En effet, « l’éthique héroïque repose essentiellement sur la quête d’immortalité. Or cette quête est précisément le résultat d’un rapport spécifique au temps, puisque l’immortalité est comprise comme la négation de l’action destructrice du temps, qui se traduit pour l’être humain par la vieillesse puis la mort » (p. 13) ; et le temps constitue le fil directeur d’un ouvrage qui, après les « représentations et expériences héroïques du temps » (Partie 1), étudie « l’éthique héroïque : maîtriser le temps » (Partie 2), puis « l’épopée : une poétique du temps » (Partie 3).

115Il vaut la peine de rendre compte des principales étapes de la réflexion.

116L’introduction part de la singularité de la vision grecque de la condition humaine pour laquelle, sans espoir de paradis après la mort, la « question éthique fondamentale » consiste à « devenir un être d’exception qui se distingue dans le cycle sans fin des générations » (p. 13). Il s’agira dès lors de « montrer que la temporalisation du temps est au fondement de l’éthique » dans l’épopée (p. 14). L’auteur s’attache en outre à justifier la « lecture philosophique » (p. 21) d’Homère par le fait que « la poésie épique est, d’une part, le résultat et l’expression d’une expérience humaine du temps et (que), d’autre part, elle constitue, avec son corollaire indispensable, l’héroïsme, une réponse à cette expérience » (p. 23).

117La première partie évoque tout d’abord la représentation « cosmologique » ou « cosmogonique » du temps : le partage du monde entre Zeus, Hadès et Poséidon, moment de rupture qui fonde un « temps nouveau qui diffère en nature en ce qu’il permet la production d’événements nouveaux, et non la répétition inlassable des mêmes événements », en même temps que « la période où le cosmos est organisé et ordonné » (p. 29) constitue la « naissance du temps » (titre du premier chapitre). Cela ne signifie pas que le temps cyclique soit aboli : il reste celui de la nature, et « le héros se pense comme un moment du cycle des générations » (p. 45), en même temps qu’il a la conscience du déroulement d’un « temps successif, diachronique et irréversible » (p. 52), que le vieillissement rend visible. Mais ce temps est surtout pour le héros « source d’incertitude » (titre du chapitre 3), car « le héros se sait soumis aux fluctuations de la vie », « réalité essentiellement mouvante » (p. 53) : l’auteur présente de très fines réflexions sur ce qu’elle appelle « la variable divine », c’est-à-dire les interventions des dieux dans la vie des hommes (p. 61-65) – dont « la destinée personnelle est loin d’être déterminée absolument » (p. 65). Le temps apparaît finalement comme « un temps vide qui sollicite », un « milieu dans lequel se déroulent des événements », et « vivre c’est donner au temps un contenu, faire en sorte que les événements adviennent. L’action héroïque se place donc dans une perspective volontariste » (p. 66). Mais le temps est aussi « destinal » (chapitre 4) : l’homme ne dispose que d’une durée de vie limitée, l’aiôn, « quantité pure de temps » (p. 74), mais aussi moira, aisa ou èmar, qui « signifient également la destinée et sont, en ce cas, fréquemment associés, dans l’épopée, à la mort » (p. 55) ; le temps est dès lors « porteur d’événements », (p. 78), ce que marquent les expressions où èmar est suivi d’un adjectif. « Ce temps, actif et plein, est vécu négativement. Ce qu’il apporte, et contre quoi le héros lutte, est le malheur et, plus fréquemment, la mort » (p. 79). Or « ces deux représentations du temps sont moins contradictoires que complémentaires et définissent la conscience héroïque du temps, qui repose sur l’idée essentielle que l’homme est par nature éphémère, mais que le héros est cependant voué à dépasser sa nature » (p. 85), idées que développe le cinquième chapitre : Hadès n’offrant « aucune consolation » (p. 90), la seule solution pour le « héros mortel et éphémère » (p. 85) est de « laisser une trace immortelle après sa mort » (p. 90). « Agir pour triompher de la mort exige de vivre dans un temps qui peut être rempli par l’action humaine » ; « c’est pourquoi la manière dont le héros emplit le temps repose sur l’idée que le présent est orienté vers le futur » (p. 91). Finalement, « le tableau homérique de la condition humaine présente la finitude et le désir de la dépasser comme inséparables » (p. 94).

118La seconde partie est fondée sur l’idée que « les deux expériences essentielles du temps (ouvert et vide ou plein et fermé) sont au fondement de deux postures éthiques : la prudence et la recherche du kléos » (p. 95), l’Iliade privilégiant la seconde incarnée par Achille, tandis que l’Odyssée « les présente comme inséparables dans la figure d’Ulysse – la prudence étant la condition de la renommée ». Le premier chapitre définit en effet « une éthique de la prudence », « réponse héroïque à l’incertitude » (p. 97), qui rassemble « les moyens qui permettent aux héros de défendre sa timè et d’assurer sa renommée » (p. 98) : cette prudence, qui rassemble des « capacités essentiellement intellectuelles » (p. 99), donne à l’auteur l’occasion de développer une très riche réflexion sur le héros homérique doté d’une véritable « conscience de soi » (p. 102) : le héros, qui « a conscience de sa singularité et de sa différence au sein de la communauté », « prend conscience de soi dans le regard de l’autre et en se mesurant et répondant aux sollicitations que le monde lui offre » (p. 103). Les différentes facultés, intellectuelles et morales, sont très finement analysées, sans que le lien avec le thème du temps soit perdu, puisque (p. 115) « la prise de décision est inséparable d’une projection du héros dans le futur » et que (p. 120) « être prudent requiert d’inférer le futur du passé ». Le chapitre 2, qui définit « une éthique de la renommée », approfondit la réflexion amorcée en introduction sur la mortalité du héros et sur la valeur de la vie humaine, la mort étant « un mal du fait de la perte de ce bien qu’est la vie » (p. 128), et l’immortalité pouvant seulement se trouver en « se distinguant dans la série indéfinie des générations sous la forme d’un souvenir impérissable » (p. 129), tout en tenant le fil de la réflexion sur la place du héros dans le monde : le héros a « le désir de continuer à être présent à l’autre », « parce que la représentation de soi se construit dans la relation interpersonnelle » (p. 128) ; « l’autre immortalité, qui consiste à vivre toujours », étant rejetée par Achille comme par Ulysse (p. 130). La question de la destinée du héros se pose alors à nouveau : de manière originale, l’auteur souligne que, s’il y a bien une destinée individuelle (« Patrocle ne pourra pas outrepasser le rôle que lui a fixé le destin », car « une adéquation entre les exploits et la stature du héros est nécessaire et, en dernier ressort, entre sa stature et sa mort », p. 133), il y a néanmoins « une certaine plasticité de l’ethos » du héros, qui peut évoluer et progresser (p. 134). Ainsi, « bien qu’ils se plaignent souvent de ce que les dieux leur réservent, les héros ne se pensent pas moins comme possédant une forme de liberté » (p. 136), car il y a « différentes manières de tenir ce rôle » (héroïque), et donc « une certaine liberté à l’égard du code héroïque » (p. 137). Mais certains points sont constants : « l’action exceptionnelle se déploie dans la lutte qui constitue le moyen d’accéder à la renommée. (…) C’est dans la lutte que l’excellence, la vertu, s’exprime chez le héros mais (…) cette lutte a ses règles : le héros ne saurait atteindre une noble renommée s’il ne fait pas preuve d’aidôs » (p. 138), idées que développe la fin de la seconde partie.

119La troisième partie, enfin, s’attache à définir la poétique de l’épopée, « art par lequel le kleos se déploie à travers l’espace et le temps » (p. 155). L’auteur commence par revenir sur le rapport entretenu avec la réalité par l’épopée, définie comme à la fois « récit du passé et récit de fiction » et comme « une totalité poétique où éléments réels passés et présents et éléments poétiques se juxtaposent en un récit appartenant au genre épique » (p. 161). Les Muses en effet authentifient le récit puisque, omniprésentes et voyant tout, elles donnent au poète la même capacité de voir le passé : « L’invocation aux Muses consacre à cet égard le chant épique comme un chant de mémoire » (p. 162-163). Néanmoins, le poète, ne pouvant tout dire, fait acte de « sélection » : « la construction du récit (…) est ainsi la part du poète » (p. 167), qui « revendique un rôle actif » et « par la voix de son narrateur singularise son chant qui doit apparaître à son auditoire original et différent des autres chants du cycle épique ». Cette affirmation de la liberté du poète ouvre sur une réflexion à la fois profonde et originale sur le réalisme épique : « l’épopée est réaliste en ce sens que premièrement le récit produit un “effet de réel” (…), deuxièmement, le récit est vraisemblable et enfin, il est crédible » (p. 172) – les différents moyens de production de ce réalisme étant analysés avec précision. Mais l’épopée ne prétend pas reproduire le réel : l’analyse, notamment, des récits d’Ulysse amène C. Collobert à affirmer qu’« entre le récit vrai et le récit mensonger se tient le récit poétique » (p. 180) : « le poète crée ainsi une réalité (…) vraisemblable » ; le récit doit « emporter l’adhésion de l’auditoire » (p. 183) mais il est « dispensé d’une parfaite conformité au réel ». C’est que finalement, « l’art épique est une entreprise de transfiguration de la réalité qui vise la fabrique du monde héroïque » (p. 185) : « le monde réel est ainsi comparable à une matière brute mise en forme par l’activité transformatrice du poète en un monde héroïque selon des exigences propres au monde épique. C’est pourquoi le monde héroïque n’est pas plus une création imaginaire qu’une reproduction de la réalité » (p. 189). Le chapitre 2 peut dès lors envisager « la réception de l’épopée », analyse nécessaire puisque la « préservation » des actions héroïques « sera effective uniquement si le chant lui-même est préservé. Cela signifie que le pouvoir d’immortalisation du poète se mesure à l’aune de son pouvoir d’enchantement » (p. 193) : l’auteur analyse dès lors « l’enchantement » poétique, « captation de l’esprit, ravissement au sens fort du terme » (p. 194), mais aussi et surtout le « paradoxe » du chant épique qui « prend pour objet les maux et les souffrances » mais provoque le « plaisir » (p. 195). C’est justement l’écart entre monde épique et monde réel mis en lumière dans le chapitre précédent qui explique la possibilité de ce plaisir, car « la pitié que soulève le poète en chantant les souffrances est une émotion d’une nature particulière, puisqu’il s’agit d’une émotion libérée de toute exigence d’action ou de tout sentiment de culpabilité (…) puisqu’elle n’est pas produite par la souffrance d’individus véritables » (p. 198). La distance de l’auditoire à ce qui est raconté est donc cruciale pour la réussite du projet épique. Pour finir, l’auteur analyse « la structure émotionnelle de l’Iliade » (p. 112), montrant que « l’Iliade est la mise en récit d’un mouvement émotionnel qui va de la colère à la pitié et dont le but est de conduire l’auditeur à privilégier une vision coopérative du monde et à justifier une certaine posture éthique. Ce mouvement incarné dans le personnage principal d’Achille s’achève dans la réconciliation et l’apaisement » (p. 212). Finalement, « c’est par les émotions qu’il peint chez ses personnages et qu’il suscite chez son auditoire que le poète nous offre une compréhension du monde pensé comme théâtre de l’action humaine », et le chant épique constitue une « expérience et une leçon de vie » (p. 227).

120La conclusion générale peut alors rassembler les fils de la réflexion, montrant que « l’immortalité héroïque est dans le temps et non pas hors du temps. Il s’agit d’exister toujours ici et maintenant », et que pour cela « la puissance d’évocation de la poésie, cette capacité que possède le poète de rendre vivants ses héros », est cruciale (p. 235). « Achille et Ulysse, ou plutôt Homère, sont parvenus à se distinguer dans le cycle sans fin des générations en pariant sur le temps » (p. 238).

121L’ouvrage se construit ainsi dans une grande cohérence, révélant dans le rapport au temps le fondement même de l’éthique héroïque et de la poétique épique. La richesse de la réflexion, visible dans le propos d’ensemble, se mesure mieux encore si on considère le grand nombre de notions essentielles analysées (faciles à repérer grâce à un index nominum et rerum bien conçu, ce qu’il faut souligner). L’auteur livre en effet des analyses très fines, toujours personnelles et d’une justesse remarquable, sur de nombreuses questions qui suscitent des débats acharnés : ainsi du rapport du poète et des Muses, qui apparaît, on l’a vu ci-dessus, plus complexe qu’on ne le dit d’ordinaire ; de la question de l’individualité du héros, au travers d’une analyse des notions de thumos, phrenes, noos, kardiè, kêr et ètor, qui l’amène à conclure qu’« il n’y a donc pas un organe pour une fonction et [qu’]une même fonction est accomplie par plusieurs organes », et que « loin d’apparaître fragmentaire et éclaté le moi est, au contraire, un moi immanent et structurant en ce qu’il subsume et rassemble les différents organes, dont la plupart sont interchangeables » (p. 102). On peut citer encore – parmi bien d’autres – l’analyse du rapport entre ce héros doté d’individualité et la communauté, autour de la notion fondamentale d’aidôs, ou encore la question du rapport entre le héros, les dieux et le destin, avec l’analyse de la moira et de l’aisa. Les réponses apportées à ces problèmes complexes allient toujours finesse et clarté. On sera enfin sensible à certaines remarques incidentes, mais particulièrement éclairantes. Ainsi, p. 89, n. 3, de l’idée que « le héros meurt avec un certain sentiment qu’il conserve dans sa mort, parce que la mort est un arrêt du temps qui rend évidemment impossible toute modification ultérieure du héros » : peut-on mieux expliquer la préoccupation constante, chez Homère mais aussi dans toute la culture grecque postérieure, de la belle mort ?

122On pourrait multiplier les exemples qui rendent la lecture de l’ouvrage particulièrement stimulante. Les seules réserves sont appelées par la bibliographie. La rubrique « éditions commentées et dictionnaires » mêle en effet, de manière discutable, ces deux types d’ouvrage, mais aussi les grammaires de Chantraine et Schwyzer (ce dernier nom bizarrement rangé entre Frisk et Heubeck), et surtout ignore l’inestimable Gesamtkommentar dirigé à Bâle par J. Latacz aussi bien que le non moins monumental et précieux Lexikon des frühgriechischen Epos (seul l’article de Seiler sur aiôn est cité plus loin). Manque également, sans doute, une rubrique concernant les éditions utilisées pour les œuvres autres qu’homériques citées dans le texte (et recensées dans l’index locorum) : seuls les Fragmenta Hesiodea de Merkelbach et West sont présents, dans la rubrique « études », et les Fragmente der Vorsokratiker de Diels et Kranz… parmi les « traductions italiennes » de l’Odyssée. Cette erreur d’inadvertance manifeste correspond à un nombre irritant de coquilles (une vingtaine) et, si le lecteur corrigera aisément Cambrigde en Cambridge (p. 258 et 276), voire plusieurs fautes dans des titres en langues étrangères (p. 246, 247, 252, 253, 256, 260, 265), il est plus ennuyeux de voir le titre d’un article de J.-P. Crielaard ou d’un ouvrage de M. Trédé tronqués (p. 252 et 278), et les ouvrages de Jenny Strauss Clay apparaître deux fois, à « Clay » puis « Strauss Clay ». La richesse de la bibliographie, très fournie (41 pages) et large, alliant philosophie et philologie, excuse largement l’auteur de ces erreurs, qui témoignent néanmoins d’un défaut de relecture malheureusement fréquent dans l’édition scientifique récente.

123Ces quelques réserves n’enlèvent rien à la remarquable qualité d’une réflexion qui sera désormais indispensable dans la bibliothèque de tout lecteur et de tout « passeur » d’Homère en raison de sa justesse et de sa profondeur – et ce d’autant plus que l’élégance de l’expression en fait un constant plaisir de lecture.

124Ariane Guieu

Cécile Bost-Pouderon et Bernard Pouderon (dir.), Les Hommes et les dieux dans l’ancien roman. Actes du colloque de Tours, 22-24 octobre 2009, Collection de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée 48. Série Littéraire et Philosophique 16, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2012, 350 pages

125Cette publication présente les actes du cinquième colloque de Tours consacré à l’ancien roman – le premier s’est tenu en 1999, le deuxième en 2002, le troisième en 2004 et le quatrième en 2006 ; les actes de tous ces colloques ont été publiés dans la Collection de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, à Lyon. La majorité des participants du cinquième colloque sont des universitaires français auxquels se joignent deux Italiens, trois Anglais, deux Belges et un Américain. La continuité et la belle régularité avec lesquelles ont lieu les colloques de Tours tout comme le choix pertinent des thématiques de chaque édition incitent les chercheurs à revenir et leur permettent d’instaurer entre eux un dialogue enrichissant, parfois diachronique lorsqu’il se réfère aux colloques précédents.

126Les éditeurs, Cécile Bost-Pouderon et Bernard Pouderon, qui a assuré seul ou en collaboration également la publication des actes des colloques précédents, ouvrent le volume avec une introduction (p. 9-14). Ils y explicitent le choix de la thématique et rappellent l’évolution qu’a connue l’interprétation du fait divin et des relations entre les hommes et les dieux dans le corpus des textes envisagés, qui embrasse un long laps de temps et un vaste espace géographique, comme le montrent les titres cités ci-dessous. Les deux éditeurs expliquent ensuite leur choix de regrouper les vingt contributions d’abord selon deux grands ensembles correspondant aux deux principaux angles d’approche adoptés, puis, à l’intérieur de ceux-ci, en fonction de quelques grands axes. Tous les articles sont rédigés en français ; précédés d’un résumé en français et en anglais, ils se terminent par une bibliographie.

127Le premier grand ensemble, « Les potentialités littéraires de la religion (ou le fait religieux et l’écriture romanesque) », se divise en trois sous-groupes. Le premier, « Rôle structurant du divin ou du religieux dans la trame romanesque », contient quatre contributions. Dans « Cultes, rites et récits dans le roman d’Achille Tatius » (p. 19-32), Alain Billault montre qu’Achille Tatius se sert de la religion comme élément structurel, sujet de discours et de récits et moteur dramatique ; mais que contrairement aux autres auteurs de romans grecs anciens, il prend de la distance face à la religion et ne présente pas les aventures de ses héros comme la réalisation des volontés du dieu Éros. Le roman d’Achille Tatius se trouve également au centre de la contribution de Jean-Philippe Guez, « Le royaume d’Aphrodite et la grotte d’Artémis : amour et chasteté chez Achille Tatius » (p. 33-53) : l’auteur y démontre qu’à travers tout le roman, les deux déesses sont en conflit et que par conséquent, l’amour est une puissance d’ubiquité, investissant les territoires protégés par Artémis. Françoise Létoublon et Nicolas Boulic, les deux auteurs de la troisième contribution, présentent dans « Éros doux-amer » (p. 55-72) les liens que l’Éros des romans entretient avec les modèles littéraires antérieurs, tant lyriques et méliques que philosophiques. La première section du premier ensemble se clôt sur l’article de Marie-Ange Calvet-Sebasti, « La relation au ‘Seigneur’ dans les Actes apocryphes d’André » (p. 73-83) ; il y est question des rapports de ce texte fragmentaire datant de 150-200 avec la littérature classique et du mode d’intervention du Seigneur, toujours en réponse à des prières d’André. La deuxième section, « Fonction méta-littéraire du fait religieux ou du ‘personnel religieux’ (divinités ou clergé) », qui compte cinq contributions, s’ouvre par « Hommes sacrés, sacrés hommes : fonction du prêtre dans le roman grec » (p. 87-99). Romain Berthes y analyse la fonction des prêtres et des prophètes dans le roman grec, oscillant entre dégradation, parodie et caractère sacré et conclut que le culte qu’ils rendent est destiné essentiellement à la fiction. Dans « L’érotique (et le dionysiaque) dans les Pastorales de Longus, ou la fiction comme rite et thérapie » (p. 101-116), Michel Briand revient à Éros, selon lui un dieu en même temps qu’un sentiment passionné, un personnage en même temps que le maître de l’intrigue et qu’un interprète-médiateur ; les personnages principaux endossent également le rôle d’interprète-médiateurs ; le lecteur, s’identifiant avec l’auteur et avec les personnages, bénéficie de la lecture comme d’un rite et d’une thérapie. Christophe Cusset s’attache également au dieu Éros : dans « Éros parmi les hommes : une divinité très poétique dans le roman de Longus » (p. 117-132), il examine la transformation que le dieu subit au cours du roman, devenant de destinateur du récit le dédicataire des activités pastorales dans la fiction et de la composition pastorale littéraire hors de la fiction ; de nature profondément littéraire, Éros incarne également le romancier. Dans « Hommes et dieux chez les Éthiopiens d’Héliodore » (p. 133-142), Hélène Frangoulis soutient que si le romancier montre les Éthiopiens entretenant des relations ambiguës avec leurs dieux et les utilisant à des fins mensongères, c’est pour faire douter son lecteur des fondements de son propre roman. Dans « La fête du Dieu Rire dans les Métamorphoses d’Apulée » (p. 143-158), Giovanni Garbugino se tourne vers Apulée : en s’attachant plus particulièrement au phénomène du rire, il s’interroge sur l’existence d’une source grecque du roman latin, sur les épisodes que cette source aurait contenus et sur les modifications auxquelles Apulée aurait procédé. La troisième section du premier ensemble, « Dieu / religion et caractérisation des personnages », finalement, n’est composée que de deux articles. Dans le premier, « Dieux humains et hommes divins dans le roman grec ancien » (p. 161-173), Koen De Remmerman examine l’impact du besoin d’auto-présentation des personnages et de leurs intentions rhétoriques sur les associations qu’ils établissent entre eux-mêmes et des dieux et demi-dieux. Le deuxième article de cette section et en même temps dernier article du premier ensemble est intitulé « Leurs yeux se rencontrèrent… ou Les fêtes religieuses des romans grecs et l’ἔκφρασις χρόνων (καίρων) des traités de rhétorique » (p. 175-192). Cécile Bost-Pouderon y compare la description que la plupart des romanciers donnent de la fête religieuse au cours de laquelle les héros se rencontrent et le traitement de l’ἔκφρασις tel que le préconisent les écoles de rhétorique ; elle conclut que seul Héliodore a fourni une véritable ecphrasis de fête religieuse.

128Le second grand ensemble, « Le fonds religieux », se subdivise également en trois. Quatre contributions constituent la première section, « Approches philosophiques ou spirituelles ». Sébastien Montanari s’attache à montrer dans « Les dieux-hommes d’Évhémère » (p. 197-212) qu’Évhémère, loin d’être l’athée rationaliste qu’on voit généralement en lui, a en réalité adapté les mythes pour donner à son époque la mythologie dont elle avait besoin. Ken Dowden revient à Apulée : dans « Apulée et le culte » (p. 213-224), il montre que si l’on excepte l’épisode d’Amour et Psyché, Apulée s’intéresse moins aux dieux que les romanciers grecs et oriente le lecteur davantage vers la philosophie, surtout celle de Plutarque. L’épisode d’Amour et Psyché se trouve au centre de la contribution suivante, « Nostalgie et déclin du mythe dans la ‘fable’ d’Amour et Psyché » (p. 225-236) : son auteur, Mariangela Scarsi Garbugino, insiste sur le fondement philosophique, surtout platonicien, de ce « conte » et sur les allusions qu’il contient au théâtre de Plaute. La dernière contribution de cette section, « Joseph et Aséneth : érotisme et religion » (p. 237-251), est consacrée à ce texte anonyme méconnu ; son auteur, Tim Whitmarsh, montre que ce texte complexe examine les problèmes et tensions que génère la sexualité en face de l’idéologie juive. La deuxième section, « Lectures allégoriques », s’ouvre par l’article de John R. Morgan, « Le culte du Nil chez Héliodore » (p. 255-267). L’auteur montre que la description du Nil au neuvième livre des Éthiopiques est disposée comme une hiérarchie des croyances religieuses et qu’elle constitue une image métalittéraire de la structure religieuse du roman. La seconde contribution de cette section, « Foi et reniement, vie régulière et séculière : une lecture du roman d’Imbérios et Margarona » (p. 269-283), est due à Michel Lassithiotakis. En rapprochant ce roman grec du xvie s. de son probable modèle français, Pierre de Provence et la belle Maguelonne, l’auteur montre que les adaptateurs grecs ne se sont pas contentés de traduire leur modèle, mais qu’ils l’ont modifié de façon à helléniser profondément les personnages et à refléter la situation socio-culturelle historique contemporaine, où se côtoyaient orthodoxie, catholicisme et islam. L’article « Du roman grec au roman byzantin : réflexions sur le rôle de la tyché » (p. 287-304) ouvre la dernière section. Corinne Jouanno y étudie les romans byzantins du xiie s. et le rôle que tyché y joue et elle conclut que les romanciers se sont interrogés sur la question théologique des rapports entre tyché et la Providence. Dans « Polythéisme et christianisme dans le roman byzantin du xiie siècle » (p. 305-326), Florence Meunier montre que les romans byzantins, tout en réutilisant le matériau polythéiste des romans grecs anciens, le réinterprètent chacun de manière spécifique. Le troisième article de cette section finalement, en même temps le dernier du second ensemble et aussi du volume, est intitulé « La religion dans le roman grec au xixe siècle » (p. 327-335) ; Henri Tonnet y traite de quatre écrivains du xixe s., à savoir M. Perdikaris, P. Soutsos, A. Papadiamantis et E. Rhoïdis, et montre qu’influencés par les Lumières, le romantisme français et le naturalisme, ces romanciers ne doivent presque plus rien à l’ancien roman.

129Le volume se clôt par un index locorum (p. 339-345) et un index nominum (p. 347-349), tous deux fort utiles. La couverture présente un tableau d’Ambroise Dubois, Le cortège des Thessaliens et de Chariclée lors du sacrifice ; triomphe de Diane (vers 1610), emblématique de la fascination qu’exerce le roman antique, que ce soit sur d’autres auteurs plus ou moins proches chronologiquement ou sur les lecteurs et les spécialistes d’aujourd’hui, alimentant à chaque fois un dialogue fourni.

130Antje Kolde

Angelos Chaniotis (dir.), Unveiling Emotions. Sources and Methods for the Study of Emotions in the Greek World, Heidelberger Althistorische Beiträge und Epigraphische Studien, 52, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2012, 490 pages

131Cette publication collective est le fruit de recherches menées entre 2009 et 2013 à Oxford au sein du programme européen « The Social and Cultural Construction of Emotions : The Greek Paradigm » [26]. Elle est la première d’une série de trois volumes, dont le dernier devrait paraître sous peu [27]. Une longue introduction, dense et touffue, présente les enjeux du projet et fournit une mise au point historiographique très complète sur la question des émotions, qui suscite l’intérêt des historiens, anthropologues et sociologues depuis l’affective turn qu’ont connu les sciences sociales il y a une trentaine d’années.

132Quatre sections composent le volume. La première vise à fournir l’éventail le plus large possible des types de sources disponibles pour écrire une histoire des émotions dans le monde grec : textes littéraires, jusque-là majoritairement sollicités, mais surtout épigraphie, papyrologie, archéologie et iconographie. Les quatre contributions (Chr. Kotsifou pour les papyrus, A. Chaniotis pour les inscriptions, J. Masséglia pour l’archéologie et E. Sanders pour la littérature) montrent qu’il ne s’agit pas de mobiliser des documents inédits, mais plutôt d’envisager ceux dont nous disposons déjà sous un jour nouveau, en tant que témoins de stratégies et de relations sociales qui engagent des dispositifs émotionnels spécifiques au sein de communautés données (la famille, l’association cultuelle, la cité…). Les trois sections suivantes ont pour objectif d’éprouver les méthodes et les questionnements en abordant des dossiers précis, dans différents types de situations de communication : entre les hommes et les dieux, au sein de l’espace public, entre individus ou groupes d’individus.

133Les quatre contributions de la section 2 (« Emotions in the interaction between mortals and gods ») révèlent la prégnance de sentiments mêlés de peur, d’angoisse, de respect, d’admiration et d’espoir chez les fidèles dans le cadre du culte – que ce soit sur le plan individuel ou collectif. Elles insistent aussi sur le rôle du rituel dans l’expérience émotionnelle : les textes (et parfois, dans le cas des stèles, les images qui les accompagnent) étudiés par les historiens ne sont que la trace encore visible d’un dispositif plus large construit par la parole, les gestes et les mises en scène. Ainsi, les iamata, récits de guérisons miraculeuses du sanctuaire d’Asclépios à Épidaure (fin du IVe s. av. J.-C.) étudiés par P. Martzavou, ont plusieurs fonctions : les prêtres qui ont compilé ces textes et les ont affichés sur des stèles placées dans l’abaton y trouvaient un moyen de construire la personnalité du dieu mais aussi de susciter une disposition émotionnelle spécifique chez les pèlerins. Les inscriptions faisaient donc partie intégrante du processus de guérison, en agissant comme des pharmaka. A. Chaniotis recourt à d’autres types de témoignages épigraphiques d’époque hellénistique et romaine, notamment les « stèles de confession » (qu’il faudrait rebaptiser « records of divine punishment », p. 216), pour mettre en lumière la nature asymétrique de la relation entre hommes et dieux, et le lien qui unit eusebeia (piété) et deisidaimonia (crainte des dieux). C’est au sentiment d’impunité et au désir de vengeance et de justice que s’intéresse l’étude d’I. Salvo, à partir des prières aux dieux gravées sur des stèles funéraires. Sont prises en compte aussi bien les adresses au Dieu des Juifs que celles qui sont destinées aux dieux du polythéisme grec (Hélios, Zeus, Déméter et Korè…). L’auteur estime que ce type de documents, bien distincts des tablettes de defixio (de par leur visibilité dans l’espace public, en particulier), contribuaient à apaiser les tensions sociales. Dans la contribution suivante, P. Martzavou traite du culte d’Isis et des textes épigraphiques qui célèbrent la puissance de la déesse. Les inscriptions de Kymè et Maronée, éclairées par le témoignage d’Apulée et les données archéologiques, suggèrent que les arétalogies isiaques participaient des étapes du rite d’initiation accompli par les dévots d’Isis.

134Les trois articles de la section suivante (« Emotions in the public space ») mettent en lumière le rôle des émotions dans la vie politique des cités de l’époque hellénistique jusqu’à la fin de l’Antiquité. C. Kuhn s’intéresse aux acclamations, une forme d’expression collective qui était à l’origine orale, mais qui a pu laisser des traces dans la pierre. En prenant des exemples dans l’Orient grec sous domination romaine, l’auteur décèle un changement à partir du iie s. apr. J.-C., qui témoignerait selon lui d’une plus grande théâtralisation et « émotionnalisation » de la vie politique. Chr. Kotsifou puise dans la documentation papyrologique pour étudier des textes d’un genre différent : des pétitions adressées par des particuliers aux autorités, afin de demander justice. Les stratégies narratives mises en œuvre dans la lettre d’une certaine Artémis au préfet d’Égypte (Fayoum, fin du iiie s. apr. J.-C.) confirment que les émotions ont une place à jouer au cours d’une procédure juridique : on recherche l’empathie pour faire aboutir la requête. Dans sa contribution, J. Masséglia mobilise la documentation archéologique afin de reconstituer l’histoire des statues et édifices d’Éphèse : ces marqueurs d’espace, de par leur érection, leur destruction, leur réutilisation ou leur réhabilitation, témoignent des évolutions de l’ambiance émotionnelle qui caractérise la communauté civique au cours de son histoire et varient en fonction du contexte politique. L’auteur rend ici sensibles les limites d’une enquête fondée uniquement sur l’archéologie : sources littéraires, épigraphiques, voire numismatiques, doivent être sollicitées afin de fournir des clefs d’interprétation des vestiges mis au jour.

135La dernière section du volume (« Emotions in interpersonal communication ») met l’accent sur l’articulation entre émotions individuelles et émotions collectives, entre le subjectif et le culturel. L’étude d’E. Sanders se fonde sur le corpus des discours judiciaires attiques : l’orateur joue sur l’émotivité du jury, non pas tant par des adresses directes que par des procédés plus subtils qui mobilisent le système de valeurs partagé par les citoyens d’Athènes. Pour susciter colère, haine et ressentiment (le terme phthonos n’est pas aisé à traduire), l’adversaire est accusé d’hybris, d’être un sycophante ou un sophiste, un profiteur ou un corrompu. Dans l’article de Chr. Kotsifou, l’analyse des lettres de condoléances conservées sur papyrus (ier-viie s. apr. J.-C.) offre l’occasion d’explorer les manifestations individuelles de la peine et de la douleur, mais aussi la nature des relations familiales dans l’Égypte romaine. Enfin, J. Masséglia investit le champ de l’histoire de l’art en analysant un type iconographique populaire dans la plastique hellénistique : la figure de la vieille femme ivre, connue par plusieurs statues et statuettes. Il est malaisé de reconstituer les effets émotionnels que devait susciter cette image dans l’Antiquité – sans doute étaient-ils ambigus – ; une mise en série avec d’autres œuvres et un recours aux sources littéraires permettent cependant d’étayer l’étude iconographique.

136Un envoi clôt le volume : M. Theodoropoulou revient sur des questions qui divisent historiens, sociologues, anthropologues et neuroscientifiques. Les émotions relèvent-elles de l’inné ou de l’acquis ? Sont-elles universelles ou culturellement déterminées ? La réponse se situe sans doute dans un entre-deux : paramètres biologiques et socio-culturels interfèrent étroitement. Le corps et le langage jouent chacun un rôle dans l’expérience émotionnelle d’un individu. L’helléniste, qui a surtout accès à des textes, ne dispose donc que d’une information tronquée pour étudier les émotions des Grecs – mais M. Theodoropoulou insiste sur la richesse des analyses que l’on peut mener à partir des expressions linguistiques, en particulier les cris et interjections, les métonymies et les métaphores.

137Le volume offre ainsi une riche collection d’études de cas, centrée principalement sur des corpus épigraphiques couvrant une large période (de l’époque hellénistique à la fin de l’Antiquité), pour tenter de cerner, dans la synchronie et dans la diachronie, la variété des significations accordées aux émotions dans le monde grec. Certes, de tels documents offrent un éclairage partiel et partial ; ils nous renseignent principalement sur une partie de la société, à savoir la frange la plus aisée des cités, et majoritairement des hommes – la question du genre est d’ailleurs évoquée dans plusieurs articles. De plus, le risque est grand de vouloir forcer l’analyse, de surinterpréter les témoignages et d’accorder la priorité aux facteurs émotionnels là où d’autres paramètres interviennent et priment. Mais les contributions n’éludent pas ces difficultés et proposent souvent des réponses nuancées ainsi que des perspectives fécondes et éclairantes pour des recherches futures.

138Adeline Grand-Clément

Fritz Gschnitzer, Griechische Sozialgeschichte. Von der mykenischen bis zum Ausgang der klassischen Zeit, 2e édition augmentée d’une bibliographie, Franz Steiner Verlag, 2013, VI + 294 pages

139Peu après avoir réédité le livre de G. Alföldy, Römische Sozialgeschichte, les éditions Steiner offrent une seconde édition du livre correspondant en histoire grecque, dû à Fr. Gschnitzer. Il s’agit de deux manuels, très proches par leur définition de l’objet et leur structure. Celui d’Alföldy date de 1975, la 4e édition de 2011 ; celui de Gschnitzer date de 1981, la 2e édition de 2013. Seul le premier a été traduit en français, en 1991 (Histoire sociale de Rome, Paris, Picard, traduction reposant sur la 3e édition allemande de 1984).

140Pourquoi rééditer un tel manuel ? La question se pose d’autant plus que l’auteur disparu en 2008 n’avait pas eu le temps d’en préparer un texte revu et actualisé, comme il en avait l’intention. Une préface due à ses élèves A. Chaniotis et C. Trümpy, ainsi que des compléments bibliographiques préparés par ces derniers, constituent ce qu’il y a de nouveau dans cette 2e édition. Le texte et son architecture sont ceux de la première édition. Il n’en reste pas moins que cette nouvelle édition est louable et arrive à point nommé. Elle remet en effet entre toutes les mains ce volume dont la première édition, épuisée depuis longtemps, ne se trouvait que dans peu de bibliothèques en dehors des pays germanophones, où il n’est pas certain, à en juger par les citations, qu’on lui ait toujours donné la place qui lui revient. Cette édition arrive, de plus, peu après le recueil des Kleine Schriften de Gschnitzer, parus en deux volumes, chez Steiner également, en 2001 et 2003, et finit ainsi de rendre disponible et surtout accessible l’ensemble de l’œuvre de Gschnitzer.

141Mais il y a autre chose. Très peu d’ouvrages portent, ou pourraient porter, un tel titre – histoire sociale de la Grèce. Conçu comme un manuel, il est appelé à remplir un vide, tant l’exercice de la synthèse est devenu rare en histoire grecque, en France comme ailleurs. Chaniotis et Trümpy insistent, dans leur préface, sur le rôle novateur du livre, qui a ouvert la voie à des développements ultérieurs nombreux, parmi lesquels, avant tout, de nouvelles approches, qui auraient du coup rendu le livre obsolète sur un grand nombre de points (p. 2). Parmi ces nouvelles approches sont cités les identités sociales, les émotions, le genre et la sexualité, les comportements ritualisés, la santé (ibid.). La partie la plus actuelle du livre serait, à l’inverse, celle qui porte sur la société mycénienne (p. 3-6). Même si le lecteur peut être tenté de reconnaître deux plumes différentes dans cette préface, il est certain que les deux approches sont justes. Néanmoins, sans prétendre y retrouver toute l’histoire sociale de la Grèce, il faut se demander en quoi la lecture d’un tel ouvrage a un sens aujourd’hui.

142Les réponses sont multiples. Elles tiennent à la fois aux discussions de détail et aux définitions des objets relevant de l’histoire sociale. Gschnitzer était un historien complet, spécialiste des textes mycéniens et des épopées, n’ignorant rien des textes, connaissant parfaitement l’épigraphie, et très au courant de l’archéologie. Il est certain, comme les auteurs de la préface le relèvent, que l’archéologie devrait être plus présente dans un livre qui porterait aujourd’hui le même titre que celui-ci. Mais cela n’empêche pas ce livre d’offrir parmi les plus claires et précises analyses des réformes de Solon, de la société mycénienne ou des législations archaïques disponibles aujourd’hui. Le texte comme la bibliographie permettent toujours d’aller très vite aux développements historiographiques et aux discussions en cours. On peut parfaitement considérer, comme la préface l’affirme, que presque rien ne devrait être changé, dans une édition actualisée, à la présentation de la société mycénienne. Les tensions entre palais, temple et communauté locale, tout comme les connaissances sur chacun des groupes sociaux connus, sont parfaitement placées dans la dynamique d’un ensemble fragile. Gschnitzer fait parfois place à certaines de ses hypothèses, par exemple sur l’origine des esclaves sacrés mycéniens, mais distingue toujours bien ce qui est hypothèse et ce qui semble plus assuré. La qualité des pages sur la société mycénienne n’enlève cependant rien à celle des pages sur la colonisation archaïque, la société homérique ou les législateurs. La bibliographie d’origine, enfin, permet un accès à une production scientifique dans toutes les langues usuelles parfois étouffée, aujourd’hui, par la passion de la nouveauté.

143Enfin et surtout, ce qui fait l’intérêt de ce livre est le découpage choisi. L’histoire sociale de la Grèce ne saurait se passer de l’époque mycénienne ; Gschnitzer est lui-même l’auteur d’articles importants sur le passage du Bronze récent à l’époque archaïque, bien au-delà de l’opposition simpliste entre rupture et continuité. Il esquisse ici un véritable développement historique où l’époque mycénienne n’explique pas tout mais permet d’entrevoir beaucoup d’héritages, parmi lesquels l’esclavage. La Grèce dont il s’agit ici n’est d’ailleurs pas – et c’est lié – celle de Sparte et d’Athènes ; on trouvera ici, notamment, la Crète et Lipara. D’autre part, fidèle en cela à d’autres de ses articles importants, Gschnitzer écrit un chapitre sur la société homérique, qui est une source historique ni plus ni moins fiable qu’une autre – encore une opposition simpliste – mais qui, analysée avec ses critères propres, est précieuse. On relèvera, d’ailleurs, que l’histoire sociale est ici en lien étroit avec l’histoire politique et économique, et que le droit y occupe une place importante.

144Il est légitime de se demander ce qu’il faudrait écrire aujourd’hui dans un livre portant un tel titre, et donc aussi ce qu’il faudrait changer ou supprimer. Mais on peut aussi relever ce qui, aujourd’hui, nous donne à réfléchir. L’orthodoxie de l’anthropologie culturelle ne domine plus aujourd’hui l’histoire et l’archéologie grecques en France ; et en France comme ailleurs, la passion de la nouveauté, des slogans et des concepts nouveaux atteint ses limites. Relire Gschnitzer n’est pas seulement un retour aux fondamentaux, c’est aussi la découverte de voies nouvelles, par-delà les oppositions entre Anciens et Modernes.

145Il faut donc lire et relire Gschnitzer. Il faut aussi espérer que cette nouvelle édition, en mettant ce livre à nouveau à portée de tous, permettra de lui donner toute la place qui lui revient dans la pratique actuelle de l’histoire grecque, et qui sait, pourrait permettre une traduction française de ce livre, déjà disponible en espagnol, grec moderne et italien. Il aurait une place toute trouvée parmi les manuels disponibles en français comme parmi les trop rares ouvrages de synthèse.

146Julien Zurbach

Charikleia Papageorgiadou-Banis et Angeliki Giannikouri (dir.), Sailing in the Aegean. Readings on the Economy and Trade Routes, MELETHMATA, 53, Athènes, Research Centre for Greek and Roman Antiquity. National Hellenic Research Foundation, 2008, XIV + 256 pages

147Cet ouvrage, qui rassemble une série d’articles émanant d’historiens et d’archéologues grecs et turcs, se place dans la lignée du renouveau actuel des études sur la Méditerranée et les réseaux. Ce volume n’a pas pour ambition de traiter de façon exhaustive ces nouveautés historiographiques sur un temps court, mais plutôt d’offrir, à travers les dix chapitres retenus pour la publication, un aperçu varié du sujet. L’horizon géographique choisi est très vaste (une grande partie des îles de la mer Égée est évoquée, avec toutefois une nette prédominance de Rhodes), de même que les bornes chronologiques fixées : le parti pris est celui de la longue durée, puisque le premier article s’intéresse à la période préhistorique tandis que le dernier fait voyager le lecteur jusqu’en 1522. Ce tableau général de la navigation en mer Égée rappelle donc à la fois les travaux de F. Braudel [28] et l’ouvrage récent The Corrupting Sea de P. Horden et N. Purcell [29], la perspective étant de stimuler à nouveau les recherches sur ce thème.

148Dès la préface, les éditrices explicitent leur position dans le débat que l’on vient d’évoquer. L’eau est ainsi perçue comme un facteur d’unification bien plus que de séparation pour les peuples vivant sur les îles égéennes, perspective nettement située dans la lignée de l’ouvrage The Corrupting Sea, dans lequel la Méditerranée est marquée par le mouvement, la fluidité et la connectivité. Cette connectivité, tout comme les échanges de biens entre les îles de l’Égée, sont ici étudiés comme autant d’éléments essentiels à la survie des insulaires, le biotope égéen ne leur permettant guère de vivre en autarcie. Le climat serait donc, en particulier, à l’origine de la connectivité égéenne, celle-ci apparaissant presque comme le laboratoire des réseaux du monde grec.

149L’analyse de l’ensemble fait émerger trois axes de réflexion : la prédominance de Rhodes au sein des réseaux égéens (Christos Doumas, Pavlos Triantafyllidis, Angeliki Katsioti, Georgios Deligiannakis et Anna-Maria Kasdagli) ; les routes commerciales utilisées pour les transferts de biens et de technologies entre les îles égéennes, témoignant de l’interaction entre celles-ci (Incifer Banu Dogan, Anna Michailidou, Marina Panagiotaki, Ioannis Touratsoglou, Konstantinos Tsakos, Lydia Palaiokrassa, Evangelos Vivliodetis) ; et enfin le rôle de la monnaie dans les échanges en Égée (Panagiotis Tseleka, Charikleia Papageorgiadou-Banis, Anna-Maria Kasdagli). Dans cet ensemble nécessairement disparate, les deux premiers thèmes semblent les plus intéressants et novateurs. On pourrait ainsi montrer que, si la place de Rhodes se trouve bel et bien réaffirmée au sein des Cyclades, elle l’est également face aux autres îles traditionnellement considérées comme des thalassocraties, à l’instar de la Crète, dont les sources littéraires classiques vantaient l’hégémonie en mer Égée. L’apport de Rhodes dans les lois et règles de navigation, notamment avec le Nomos Rhodiôn Nautikos, est ici remis en avant par les archéologues, ce qui permet de déplacer le centre de gravité des échanges égéens par rapport à la tradition littéraire.

150De même, la production de faïence dans toutes les Cyclades montre bien les transferts de technologies et de biens dans le monde égéen, attestant de fait l’existence d’interactions et de réseaux qui dépassent le simple cadre économique. Si les techniques suivies pour produire ce matériau de prestige furent partout les mêmes, la faïence fut néanmoins soumise à des adaptations esthétiques locales permanentes afin de répondre aux demandes des élites de chaque île, sans jamais se départir de la symbolique qu’elle revêtait en Égypte, son lieu présumé de création : celle de la vie, de la mort et de la renaissance. Les réseaux cultuels laissent donc suffisamment de liberté pour que chaque point nodal puisse adapter à ses besoins une base commune – ici la faïence – sans pour autant en trahir la symbolique originelle.

151Si cet ouvrage propose une vue d’ensemble plutôt intéressante sur les réseaux maritimes en Égée, certains éléments appellent néanmoins quelques critiques. On peut ainsi déplorer une utilisation quasi exclusive des sources numismatiques et archéologiques, au détriment des sources littéraires et épigraphiques, rarement mentionnées. L’approche résolument régionale choisie par les auteurs s’avère, par ailleurs, problématique. Cela tend en effet à transformer le volume en une quasi-compilation de monographies, qui revendiquent leur indépendance les unes par rapport aux autres et entrent parfois même en contradiction directe, puisque chaque archéologue tente de montrer la centralité de l’île qu’il a fouillée au sein des échanges égéens. Il y aurait ainsi autant de points nodaux et de carrefours commerciaux de première importance que de Cyclades, celles-ci devenant plus rivales que complémentaires les unes des autres. Les liens entre îles paraissent ainsi plus ou moins ignorés, alors que des études récentes, comme celle de Ch. Constantakopoulou [30], ont cherché au contraire à dessiner un réseau insulaire. La thèse principale des éditrices sur l’existence d’une connectivité entre les îles de la mer Égée, annoncée dès la préface et réaffirmée au fil de l’ouvrage, est, finalement, mise à mal par l’hétérogénéité du volume.

152Anne-Charlotte Panissié

Orazio Portuese, Il carme 67 di Catullo. Introduzione, edizione critica, traduzione e commento, Quaderni di « Paideia », 16, Cesena, Stilgraf Editrice, 2013, 418 pages

153Orazio Portuese propose, en s’appuyant sur un solide savoir-faire philologique, un nouvel établissement du texte du poème 67 de Catulle.

154Une abondante bibliographie de plus de 500 titres ouvre l’étude (p. 13-62). Le premier chapitre s’intéresse à tradition manuscrite et entreprend de faire la genèse du titulus Ad ianuam, attesté à partir de 1450 environ. Ce titulus (reprenant normalement les premiers mots du premier vers) permet, en relation avec d’autres analyses (notamment énonciatives, inspirées du travail de C. Calame), d’inférer que les deux premiers vers traditionnellement associés au poème 67 appartiennent en réalité au poème précédent, et jouent le rôle de sphragis. Le poème commencerait donc en réalité ainsi : Ianua, « quam Balbo » – dicunt… Le second chapitre s’intéresse aux caractères généraux du poème : l’auteur examine les topoi du poème, les rapprochements possibles et les divergences avec le genre du paraclausithuron, le lien entre la personnification de la porte et la comédie grecque (un thème en outre repris chez Plaute et déjà présent dans la tragédie). Les verbes dicunt, ferunt, narro qui introduisent puis structurent l’anecdote (uerba loquendi) semblent renvoyer quant à eux à une parodie du discours étiologique grec ou des hymnes homériques. Quant à la distribution des répliques entre le poète et la porte, O. P. permet d’en suivre l’histoire, de la répartition proposée par l’humaniste Parthenius en 1485 puis par Palladius en 1496, jusqu’à F. Pucci en 1502. Un tableau synthétique permet de poursuivre cette histoire jusqu’en 1882 (p. 373). Le texte est ensuite présenté p. 137-139. Quelques différences marquantes avec l’édition française proposée par la CUF : O. P. ne retient pas au vers 5 le terme nato adopté par G. Lafaye et maintient uoto entre cruces ; le vers 12 présente lui aussi partiellement un passage problématique entre cruces interprété différemment chez l’un et l’autre (istius / istis ; qui te / quidque). On peut mentionner également au vers 32, chinea au lieu de Cycneae dans la CUF. Le commentaire apporte un éclairage convaincant sur ce choix p. 255 sq.

155Le commentaire, p. 141 à 317, est la partie la plus fournie. Il est fondé sur une exigence de clarté : des tableaux (p. 184) et des schémas (p. 251) viennent éclairer la chronologie et la topographie de l’anecdote, permettant de s’y retrouver entre les temps anciens (l’époque de Balbus senex) et présents (celui des adultères), entre Brescia (où naît la fama) et Vérone, où se trouve la porte. Le commentaire est également précieux pour son histoire des interprétations. L’auteur n’hésite jamais à prendre position. Par exemple, p. 317 lorsqu’il s’agit d’interpréter le uenter mendax du dernier vers ou bien lorsqu’il s’agit de dissocier l’étape de la sponsio à Brescia et celle du matrimonium à Vérone.

156L’érudition et l’ingéniosité de ce travail brillant sont indéniables et rendront de précieux services aux études catulliennes. On peut regretter toutefois que les analyses spécifiquement littéraires n’aient pas été mieux exploitées par le commentateur. J. Godwin, dans son édition des carmina longa (1995), proposait d’indispensables analyses concernant notamment les échos thématiques et structurels entre les huit poèmes longs du recueil catullien (amour, mariage, trahison, inceste). L’ouvrage de Ph. Moreau sur l’incestus pouvait être mentionné, alors que la question est centrale dans le poème 67 et récurrente chez Catulle, comme cela apparaît dans les vers 401-402 du poème 64, tandis que, dans ce même poème 64, la filiation est envisagée sous un angle problématique. Pour mieux comprendre cet énigmatique poème de la fama, il convient de ne pas le séparer durablement du reste du corpus catullien.

157Une traduction et des tableaux synthétiques complètent ce travail qui rendra de précieux services à la communauté scientifique.

158Jean-Pierre De Giorgio

Mathilde Simon, Le rivage grec de l’Italie romaine. La Grande Grèce dans l’historiographie augustéenne, Collection de l’École Française de Rome, 442, Rome, École Française de Rome, 2011, 520 pages

159À la croisée entre l’historiographie de la Grande Grèce et de Rome, l’ouvrage de Mathilde Simon propose une lecture nouvelle de l’œuvre de Tite-Live, notamment des livres VII-X, consacrés aux guerres samnites et à l’expédition italique d’Alexandre le Molosse. La construction du récit de l’historien padouan, ses sources et sa pensée font l’objet d’une analyse serrée qui parvient à retracer les étapes des stratifications et des contacts politiques et culturels qui touchent la Péninsule italique depuis le ve siècle jusqu’au début du Principat.

160Quel est donc le regard porté sur l’Italie grecque par l’historien de Padoue au moment crucial de la refondation augustéenne de l’Italie ? Voici la question que les pages de ce livre sous-tendent et développent avec une remarquable cohérence, malgré la diversité des arguments abordés. L’ouvrage se compose de trois sections, la première (p. 49-188) consacrée à la notion d’Italia et de maior Graecia, la deuxième (p. 189-338) aux étapes des contacts entre les Romains et la Grande Grèce, la troisième (p. 339-430) aux caractères culturels et ethnographiques de l’Italia dans l’ouvrage de Tite-Live. Un noyau thématique important est constitué par l’histoire des noms géographiques – Italia, maior Graecia – et des confins politiques qu’ils désignent, changeants au fil des époques. La polysémie des termes et des réalités politiques sous-entendues apparaît comme un élément fondateur du récit de Tite-Live, comme les usages multiples du mot Italia le montrent bien. Ce terme est employé tout d’abord dans son acception restreinte, limitée à la partie méridionale de la Péninsule, selon l’usage attesté au ve siècle (Antiochos de Syracuse chez Strabon). Mais le nom apparaît aussi dans le sens élargi qu’il avait pris après la guerre sociale et la pacification augustéenne, où la tota Italia désigne désormais toutes les régions en deçà des Alpes. C’est ainsi que les découpages territoriaux et politiques de Tite-Live impliquent deux perceptions géographiques : l’une abstraite, fondée sur une pensée géométrique et sur les calculs de mesures, l’autre empirique, où les distances sont évaluées par le temps du trajet maritime et par la morphologie des paysages. L’analyse que Mathilde Simon développe dans ces pages tire profit des dernières orientations de la recherche, sans oublier l’apport d’ouvrages moins récents mais toujours fondateurs. On remarquera ainsi l’usage très approprié du concept de « parcours hodologique », forgé par Pietro Janni (La mappa e il periplo, 1984).

161Quant aux contacts culturels entre Rome et le monde grec d’Occident, ils prennent souvent, sous la plume de Tite-Live, la forme d’occasions manquées ou tardivement réalisées. Il y a là peut-être une déformation due non seulement aux sources de l’historien mais aussi à ses propres convictions, car c’est bien l’« autarcie culturelle » (p. 409) de la Rome archaïque et républicaine qu’il lui importe d’étudier, plus que l’impact des emprunts et des suggestions venues de l’extérieur. Aussi, son récit semble presque négliger les nombreuses occasions de contacts entre Rome et le sud de la Péninsule avant l’alliance avec les Apuliens et les Lucaniens de 326, pendant la deuxième guerre samnite. Une telle reconstruction est démentie par l’archéologie et par l’histoire des cultes, qui s’accordent pour prouver la longue chaîne de fréquentations antérieures à cette époque. Un autre exemple éloquent est la position de Tite-Live sur le pythagorisme prétendu du roi Numa, tradition qu’il rejette non seulement pour son anachronisme chronologique évident, mais aussi pour des raisons plus profondes, à savoir la volonté d’affirmer l’autonomie intellectuelle de la Rome ancienne par rapport au monde grec. Or, à la fin du ive siècle il y a bien eu une pénétration du pythagorisme à Rome, comme des allusions de Cicéron le prouvent (Tusc. IV, 4). Dès lors, les positions de Tite-Live reflètent son adhésion au vaste courant qui compte aussi plusieurs historiens grecs, affichant une position très critique à l’égard de la mollesse (tryphè) des cités grecques occidentales. Ce courant avait trouvé ses adeptes à Rome depuis le iie siècle au moins et avait largement alimenté les sources annalistiques qui forment la trame de fond de la fresque historique du Padouan. Que ce soit dans le dénouement des expéditions guerrières ou des relations diplomatiques, le récit de Tite-Live souligne l’écart entre les actes et le discours rhétorique des Grecs, conduite qui affecte tout particulièrement les citoyens des poleis occidentales, les Graeculi de Tarente au premier rang.

162Aussi, à l’exception de Naples et de Thourioi, la Grande Grèce occupe une place plutôt secondaire dans la fresque historique de Tite-Live, qui semble ainsi vouloir amoindrir le danger potentiel que le monde grec d’Occident a pu constituer pour Rome. Cette volonté est particulièrement évidente dans le récit livien de l’expédition d’Alexandre le Molosse (334/333-341), dont l’analyse est sans doute l’un des points de force de l’ouvrage de Mathilde Simon, ainsi que de ses travaux précédents. L’aventure occidentale du Molosse a pris une tournure singulière, puisqu’elle a dépassé largement le but avéré à l’origine (la défense de Tarente) pour aspirer à la conquête de l’Italie méridionale, projet qui aurait pu bouleverser les desseins d’expansion romaine vers le Sud de la Péninsule. En même temps, elle a eu un impact fondamental sur le développement culturel de l’Italie méridionale. En particulier, elle a encouragé la formation d’une élite apulienne fortement inspirée des valeurs macédoniennes, qui accorde une importance particulière au domaine militaire et à la mise en scène ostentatoire des symboles du pouvoir. Cette expédition est ainsi racontée par Tite-Live avec une grande minutie qui n’est pas à l’abri d’erreurs, à commencer par la chronologie de l’expédition du Molosse. Dans ce contexte moralisant, la mort d’Alexandre prend la valeur d’un exemplum négatif, où plusieurs éléments convergent : la faiblesse du roi, la cruauté des Barbares, enfin la tentative inutile d’échapper au fatum.

163En contrepoint de la vision partiellement négative de la maior Graecia, l’image des peuples de l’Italie ancienne se trouve grandie dans l’œuvre de Tite-Live. Les Samnites, malgré leur cruauté et leur barbarie, sont considérés comme de vaillants adversaires, qui ont même transmis à l’armée romaine des nouveautés tactiques fondamentales. Ils partagent les valeurs fondatrices de la société romaine ancienne et adhèrent aussi aux enseignements et prescriptions de la philosophie grecque, notamment pythagoricienne. Les pages consacrées par Mathilde Simon à l’ethnographie des Samnites seront profitables pour tous ceux qui abordent ces questions complexes.

164Dans ce vaste brassage de thèmes, quelques points particuliers pourraient susciter d’intéressants débats. Par exemple : la fidélité apulienne lors de la deuxième guerre samnite (p. 265) est-elle si solide ? La trahison de Luceria, occupée par les Samnites en 326, semble montrer les failles de cette alliance, qui se reflète dans le récit de Tite-Live sur la fondation de la colonie latine (315/314), inter tam infestas gentes. En outre, le caractère des Samnites agrestes atque montani (p. 348-354) et leur occupation clairsemée du territoire sont-ils une simple image littéraire (comme l’auteur semble le suggérer) ou correspondent-ils à une véritable organisation politique et spatiale que les recherches récentes continuent, me semble-t-il, de confirmer ?

165Ces points de détail ne sauraient ébranler l’architecture solide, l’ampleur de la documentation et la capacité de synthèse dont l’ouvrage fait preuve. Ce livre s’impose comme une référence pour les travaux futurs sur l’historiographie et l’histoire de l’Italie antique.

166Maria Cecilia D’Ercole

Olivier Devillers et Guillaume Flamerie de Lachapelle (dir.), Poésie augustéenne et mémoires du passé de Rome. En hommage au Professeur Lucienne Deschamps, Scripta Antiqua, 50, Bordeaux, Ausonius Éditions, 2013, 244 pages

167Fidèle à la tradition des mélanges, ce recueil rappelle la bibliographie de L. Deschamps, spécialiste de l’œuvre de Varron et de poésie augustéenne. Mais le volume observe une étroite unité de thème en se focalisant sur le rôle joué par la mémoire et par l’histoire dans ce dernier corpus. Cette forte cohérence, qui ne va pas sans d’intéressants désaccords entre points de vue, est soutenue par une bibliographie générale, un index des sources détaillé et un index général plus léger mais utile pour des figures transversales comme Romulus.

168L’Énéide de Virgile donne lieu à plusieurs articles polémiques stimulants : S. Franchet d’Espèrey, en réponse à F. Dupont (Rome, la ville sans origines, 2011), réactualise le concept de fondation dans toute sa complexité (multiplication des fondations annoncées ou secondaires, effacement des fondations attendues, en particulier du geste de Romulus au profit de celui d’Auguste, mélange des « races »). – F. Ripoll rouvre le dossier de la violence d’Énée qu’il éclaire par une comparaison avec le Thésée de la Thébaide de Stace. Contestant l’hypothèse d’une évolution de l’esthétique épique vers une plus grande humanité des héros ainsi que la lecture pessimiste de « l’école d’Harvard », l’auteur défend l’idée, à la suite de L. Morgan, que la violence d’Énée joue un rôle dialectique en proposant « l’exemple paradoxal et exceptionnel d’une violence à la fois fratricide et fondatrice » (p. 191), destinée à excuser la violence d’Auguste. – Le choix des épisodes représentés sur le bouclier d’Énée est commenté par J.-B. Riocreux dans la perspective d’une réflexion sur le sens de l’histoire proposé par le poème : les différences de focalisation entre les trois grandes prophéties permettent de combiner temps linéaire et temps cyclique et de faire des événements historiques des vignettes exemplaires intemporelles. – E. Raymond y décèle quant à elle, avec une grande sûreté conceptuelle, les éléments de la construction d’une « mémoire culturelle » (J. Assmann) romaine, collective et partisane. – L’étude sémantique d’A. Deschard montre (malgré une brève confusion entre termes d’âge et de parenté, p. 17) comment le poète a développé l’emploi de l’adj. longaeuus pour valoriser le grand âge, face au terme senex, ambivalent. – J. Thomas explique pourquoi l’Énéide nous touche aujourd’hui : par la dimension initiatique d’un récit de la résilience, la force d’un mythe fondateur structuré par l’échange et la relation, le rôle de la mémoire sensorielle du poète dans sa composition.

169L’œuvre d’Ovide donne également lieu à de vives discussions : alors que P.-M. Martin, à partir d’un dossier fourni, propose de lire dans la dépréciation de Romulus vis-à-vis d’Auguste (Fastes, II, 133-134) une critique visant César de façon voilée, H. Vial, en s’appuyant sur les Métamorphoses, défend au contraire l’idée qu’Ovide témoigne d’une plus grande considération pour César que pour Auguste. – G. Puccini-Delbey étudie comment le poète intègre, de façon légère et tendancieuse, l’histoire au genre de l’élégie érotique.

170O. Devillers se fonde sur l’œuvre de Properce pour mettre à jour deux utilisations politiques de la figure de Marius selon que l’on rappelle ses victoires en Afrique (précédent aux victoires de César et d’Octave dans la guerre civile) ou en Germanie (victoire sur des peuples extérieurs). – G. Libermann discute une liste de loci controversés dans l’édition des œuvres d’Horace. – De façon transversale, G. Freyburger fait émerger, entre différents poètes augustéens, un débat concernant la figure et le culte de Liber-Bacchus, protecteur des poètes, mais adoré d’Antoine. – Du point de vue de la réception, F. Daspet nous apprend beaucoup sur les méthodes des commentateurs de Virgile (Iunius Philargyrius et Servius) à partir de leurs explications allégoriques et étymologiques du nom de Corydon. – A.-I. Bouton-Touboulic révèle comment Augustin, au lendemain du sac de Rome de 410, cite et instrumentalise l’Énéide au service de l’apologétique chrétienne qu’il développe dans la Cité de Dieu. – J.-P. Levet souligne la dette de Gerbert d’Aurillac envers les poètes augustéens dans l’élaboration d’une œuvre et d’un enseignement où se rejoignent la logique, la physique, la sagesse et la poésie.

171Marine Bretin-Chabrol

Robert Bedon (dir.), Confinia. Confins et périphéries dans l’Occident romain, Caesarodunum, XLV-XLVI, Limoges, PULIM, 2014, 618 pages

172Les vingt-cinq articles qui composent cet ouvrage de 617 pages s’organisent en quatre grandes parties. Après trois textes formant un avant-propos introductif, une première partie s’intéresse aux sources antiques sur les confins de l’Occident romain ; dans les trois autres, les articles sont présentés selon un découpage géographique méthodique du monde romain : confins gaulois, ibériques et africains.

173Afin de renouveler la vision des limites du monde antique, les éditeurs et organisateurs du colloque ont choisi utiliser le terme latin Confinia qui permet d’éviter deux débats anciens : l’opposition entre centre et périphérie et les problématiques de l’archéologie du limes (cf. l’article de synthèse de J. France, p. 18). Ce pari est tenu par la collecte de ces différents textes dont la plupart concernent la période impériale.

174En effet, il s’agit bien, comme l’indique la page de titre, de la réunion de plusieurs textes issus d’un colloque tenu à Limoges les 19 et 20 octobre 2012, ce qui explique les quelques phénomènes d’échos entre les articles (ceux de J.-P. Laporte et d’A. Hilali par exemple ou ceux de D. Acolat et de A. Delattre). Si la plupart des textes reprennent les problématiques du colloque initial, certains, qui ont choisi de traiter des dossiers spécifiques (que ce soit un lot numismatique ou des sites précis comme ceux de Guérande ou de Chassenon), s’en éloignent parfois mais proposent de la sorte des coups de projecteur plus appuyés ou un bilan archéologique et bibliographique utile sur leur sujet.

175La partie centrale, la plus développée, dresse un panorama des territoires gaulois du nord au sud en passant par l’Atlantique. Le lecteur peut être frappé par la variété aussi bien des approches que des contenus, alors que les autres parties, sur la péninsule Ibérique et sur l’Afrique, sont plus homogènes.

176L’ensemble est intéressant et permet de dresser un bilan contrasté de la perception des confins dans le monde occidental romain. Certains articles auraient pu être développés avec plus de profit encore, car leur sujet est loin d’être épuisé : citons par exemple celui sur les sanctuaires de confins (G. Moitrieux), celui sur les premières traces de culture romaine dans la partie orientale des Pyrénées (G. Gastellvi, J. Kotarba) qui pose de bonnes questions mais qui offre surtout un catalogue des dernières fouilles, ou encore celui sur l’intégration onomastique des élites indigènes en Lusitanie (M. Alves Dias) qui étrangement ne fait pas mention de la thèse importante de José María Vallejo Ruiz, parue en 2005 sur le même sujet.

177Il reste plusieurs coquilles dans le texte (couleur, veuves et orphelines, harmonisation dans l’emploi des capitales, composition du grec) et quelques fautes d’orthographe aisément amendables. Cette mise en forme n’est pas un problème et ne nuit pas à l’intérêt des textes. On regrettera cependant que les illustrations, comme les cartes dans l’article de D. Acolat ou celles de Fr. Réchin, ne soient pas de meilleure qualité afin d’accompagner plus avantageusement le propos.

178Ces remarques de forme ne doivent pas détourner de la lecture de cet ouvrage intéressant qui fournit un tableau à l’image de la diversité des confins étudiés et qui pourra servir, en reprenant une jolie formule finale de Stéphanie Guédon, de « passeur de territoire » pour l’étude de ces Confinia.

179Coline Ruiz Darasse

Stéphane Ratti, en collaboration avec Jean-Yves Guillaumin, Paul-Marius Martin et Étienne Wolff (dir.), Écrire l’histoire à Rome, Paris, Les Belles Lettres, 2009, 388 pages

180Dans cet ouvrage destiné, comme l’indique l’avant-propos, à un public d’étudiants, l’éditeur scientifique propose un panorama de l’historiographie latine, avec un accent mis délibérément sur la période tardive, qui a été longtemps négligée dans ce domaine. Le livre se présente comme une suite de synthèses sur les grands noms de l’Histoire à Rome, de César à Ammien Marcellin, particulièrement bien traité. Il est dommage que tout ce qui concerne les périodes antérieures à César, transmis certes de manière fragmentaire, mais qui constituait, pour n’évoquer que ce seul aspect, le terreau à partir duquel s’est élaborée l’œuvre de Tite-Live, et qui informait déjà Cicéron, ait été passé sous silence alors même que la perspective adoptée est diachronique, sinon exhaustive.

181La première notice, relative à César et due à J.-Y. Guillaumin, est un récit très vivant, ponctué de rapprochements avec l’époque contemporaine, et qui reprend les grandes questions posées par l’œuvre : nature des Commentaires (la qualité d’emblée littéraire du texte mériterait peut-être d’être réexaminée), rédaction unique ou étapes successives de rédaction, date de la publication du Bellum ciuile. Suivent deux explications de textes, judicieusement choisis parmi des discours de César – hélas, choisis dans le seul Bellum ciuile, mais l’auteur a préféré mettre en regard deux passages d’une même œuvre, ce qui est en effet pertinent pour étayer la démonstration de l’habileté dont fait preuve César dans le maniement des outils oratoires.

182Le deuxième auteur présenté est Salluste, dont la notice est l’occasion pour P.-M. Martin de proposer une synthèse rapide sur l’historiographie républicaine antérieure et sur la conception cicéronienne de l’histoire, puis une mise au point sur la « tempête » précédant la chute de la République. Une étude approfondie de l’œuvre de Salluste, s’appuyant sur l’étude de la structure des deux grands textes qui nous sont parvenus, mais aussi sur la seconde lettre à César, met en relief ses grandes caractéristiques : pour ce qui est de la construction du récit, importance des développements extérieurs à la trame narrative, influence de Thucydide et César, et sur le plan idéologique, analyse avant tout anti-syllanienne des faits, relation ambiguë à Cicéron. Un style enlevé rend la lecture de cette section, dont les références vont d’Isocrate à Yves Guéna, particulièrement plaisante.

183Vient la présentation de Tite-Live, due à S. Ratti : l’analyse de l’idéologie augustéenne met à juste titre en question le « pompéianisme de Tite-Live », mais il aurait été intéressant de citer à ce sujet, à côté du long extrait du livre XXXIX sur Prusias, le précieux excursus du livre IX. Les multiples procédés de dramatisation liviens font l’objet d’un traitement précis et efficace, et l’explication du récit de la bataille du Métaure confirme ces belles analyses. Le développement final sur le premier livre et l’asylum romuléen reprend judicieusement l’un des points les plus travaillés par la critique récente. Manquent, faute de place, les aspects géographiques et ethnographiques. Dans la bibliographie très sélective, on pourra ajouter à propos de Chiomara l’article de L. Méry, « Amour, histoire et romanité chez Tite-Live », dans M. Simon (dir.), Identités romaines, Paris, Éditions Rue d’Ulm, 2011, p. 57-72.

184La notice relative à Tacite, due au même auteur, met en valeur les parallélismes de construction des différents livres des Histoires, puis propose des synthèses sur les grands problèmes que pose la lecture de Tacite : la question des sources, celle du projet de Tacite qui instruit des dangers de la tyrannie, mais donne aussi des leçons de « réalisme politique », de sa peinture d’une société avilie, celle du pessimisme à nuancer de l’auteur sont présentées de manière à la fois resserrée et argumentée.

185É. Wolff présente Suétone, longtemps regardé avec condescendance et aujourd’hui, en partie réhabilité, pour des raisons que l’auteur justifie dans cet exposé clair et bien informé ; É. Wolff réussit, alors que Suétone se plaît à mêler les fils narratifs, à proposer un schéma-type de la biographie et dresse un tableau nuancé des sources de Suétone, insistant justement sur l’« omission tendancieuse ». Une analyse précieuse du style de l’écrivain, en particulier de sa prose métrique, complète la présentation.

186S. Ratti revient ensuite sur les historiens mineurs de la seconde moitié du ive siècle, dans une synthèse particulièrement utile sur ce phénomène littéraire souvent négligé dans les histoires littéraires. Les enjeux idéologiques de l’œuvre d’Eutrope, dont l’auteur est un spécialiste, sont présentés de manière très stimulante pour qui s’intéresse à cette période fondamentale de la « Renaissance païenne » ; certaines notices historiques de Servius pourraient être mises en rapport avec cette floraison.

187Ce sont aussi d’historiens qui lui sont très familiers que traite S. Ratti à la fin du volume, lorsqu’il présente l’Histoire Auguste puis Ammien Marcellin. Les mémorables – et toujours actuelles – controverses sur l’auteur et la date du premier ouvrage font l’objet d’un développement passionnant, mais dont la conclusion, qui met en valeur la « solution de l’énigme » défendue par l’auteur (celle d’une rédaction due à Nicomaque Flavien l’Ancien) omet de préciser que les débats ne sont pas, sur ce point, terminés… Le chapitre consacré à Ammien Marcellin est plus apaisé et fournit de précieux instruments d’analyse, idéologiques et stylistiques : l’auteur rend justice aux admirables commentaires de G. Sabbah et J. Fontaine sur le grandissement épique chez Ammien. Les références à Quinte-Curce, à propos de l’exotisme, rappellent que ce dernier est hélas, absent du volume.

188Il s’agit, pour conclure, d’un ouvrage fort utile, qui présente un panorama clair et bien informé de l’histoire à Rome ; on peut regretter certaines omissions, dues aux contraintes de longueur du volume, mais l’ensemble constitue un précieux viatique pour aborder un genre qui mérite encore, ce livre vient le rappeler, de nombreux travaux.

189Mathilde Simon

Thomas Baier, Geschichte der römischen Literatur, Munich, Beck, 2010, 128 pages

190C’est à un exercice difficile que s’est attelé Thomas Baier, professeur à l’université de Würzbourg, en rédigeant une nouvelle histoire de la littérature latine, destinée d’abord à un public d’étudiants et d’amateurs, en une centaine de pages : cela suppose une ample culture, le sens de la synthèse et la capacité à donner la priorité aux aspects les plus représentatifs des caractéristiques et des évolutions des Lettres latines. Fort de ces qualités, T. Baier relève avec brio ce défi et procure ainsi un ouvrage certes généraliste, mais dont les développements sont sur certains points très approfondis et s’avèrent stimulants même pour les spécialistes.

191De facture classique, l’ouvrage adopte une perspective à la fois chronologique et générique, abordant les genres littéraires au fur et à mesure de leur apparition à Rome. On pourra regretter que l’auteur ne traite pas la période postérieure au milieu du iiie siècle apr. J.-C., mais il s’en explique dans l’avant-propos et le format très resserré du livre justifie à lui seul ce choix, qui laisse dans l’ombre tout un pan de la latinité. L’émergence de l’épopée latine, marquée par l’interpretatio Romana de motifs et de formes grecs, est présentée avec précision et l’on apprécie que cette genèse de la littérature latine, longtemps tenue pour des antécédents de peu d’intérêt, soit traitée avec l’importance qu’elle mérite. La contrepartie en est une présentation vraiment elliptique de l’Énéide, mais qui en indique les enjeux essentiels. Lucain et Valérius Flaccus, particulièrement familiers à l’auteur, font l’objet de développements personnels, sur le rapport au pouvoir impérial et les choix esthétiques de poètes influencés par l’épopée hellénistique. La poésie didactique, ou plus largement, érudite, est à juste titre longuement commentée, en particulier les ambiguïtés du carmen ovidien, deductum et perpetuum.

192À propos du théâtre, T. Baier rend justice à l’apport de la Grande Grèce ; c’est aussi le cas pour les premières manifestations de la satire, sous la forme par exemple des carmina triumphalia ; le rôle de Pacuvius, qui a fait l’objet de travaux récents, est aussi souligné. Une page entière est consacrée à la tragédie prétexte, deux à la palliata : ce n’est pas le moindre mérite de l’ouvrage que de mettre en valeur l’importance à Rome de formes littéraires dont la perte peut conduire à mésestimer le poids – c’est le cas aussi un peu plus loin à propos de l’œuvre de Gallus. Dans cette perspective, la question de la transmission des textes dramatiques est abordée, ce qui constitue une des originalités du livre.

193La section consacrée au lyrisme débute par une utile mise au point sur la naissance de l’élégie grecque, puis sur les enjeux sociaux de la revendication de la militia amoris. Le motif de l’exclusus amator sert ensuite de fil conducteur à la mise en perspective de l’élégie et de la comédie. On s’étonne seulement que Catulle soit traité, comme poète « néotérique », après Properce et Ovide, mais la diversité métrique et thématique du corpus catullien, bien mise en valeur, peut justifier ce choix.

194Les grandes tendances de l’historiographie sont présentées, depuis Fabius Pictor jusqu’à Florus, avec précision, en particulier la relation tourmentée entre rhétorique et histoire et la dimension morale du genre. Faute de place, il manque un paragraphe sur les aspects ethnographiques.

195Après des aperçus synthétiques sur les genres romanesque et épistolaire, un long développement est consacré à Cicéron, orateur et philosophe, de manière chronologique, ce qui permet de mettre en valeur la cohérence de son œuvre, ainsi qu’à Sénèque.

196Un format aussi réduit suscite d’inévitables regrets, car il impose des choix, que T. Baier fait de manière toujours pertinente ; il approfondit certains thèmes qui peuvent paraître secondaires, parce qu’ils rendent compte de phénomènes plus larges dans l’histoire de la littérature latine, ainsi des personnages comiques. Il rend compte aussi des œuvres qui ont été perdues. Pour toutes ces raisons, cet ouvrage bref, mais très bien informé et organisé sera un viatique précieux pour tous, étudiants, professeurs, amateurs des Lettres latines.

197Mathilde Simon

Florence Garambois et Daniel Vallat (dir.), Le Lierre et la Statue. La nature et son espace littéraire dans l’épigramme gréco-latine tardive, Mémoires du Centre Jean Palerne, XXXVII, Saint-Étienne, 2013, 314 pages

198Cet ouvrage réunit les quatorze contributions qui ont été présentées lors d’un colloque qui s’est tenu les 7 et 8 novembre 2011 à Saint-Étienne et à Lyon. Toutes les contributions, sauf deux, sont rédigées en français. Le thème retenu est explicité dans l’introduction : « la description des jardins, des lieux de promenade, de villégiature, de cadres propres au culte, à la réflexion et au rêve, du locus amoenus ou du locus horridus », en d’autres termes « une nature concrète, qui englobe le règne minéral, végétal, animal, le monde aquatique, les grands cycles saisonniers, etc. » (p. 8-9). Les contributions sont réparties en quatre chapitres selon une progression chronologique ; chaque chapitre est précédé d’une introduction qui précise de manière claire et efficace la situation historique et les enjeux génériques du corpus étudié.

199La première partie (p. 13-43) réunit les deux contributions consacrées au poète Ausone. B. Goldlust et F. Garambois-Vasquez insistent tous deux sur le statut paradoxal de la nature chez ce poète si on le compare à Claudien. Les deux auteurs montrent néanmoins comment cette thématique est réinvestie par Ausone au moyen de la propagande politique (décrire le Danube permet d’insister sur les frontières naturelles de l’Empire) ou du thème de l’art surpassant la nature, illustré par la célèbre vache de Myron.

200La deuxième partie (p. 47-176) réunit six contributions centrées sur des « natures romaines sous domination barbare » et concerne essentiellement l’époque vandale. É. Wolff présente une étude synthétique sur les épigrammes d’époque vandale, tandis que M.-F. Guipponi-Gineste étudie les différents animaux représentés chez Luxorius ; D. Vallat analyse ensuite les topoi convoqués par trois épigrammes ecphrastiques consacrées à Vénus, tandis que L. Galli Milić se penche sur les Thermes d’Alianae. A. Stoehr-Monjou s’attache aux poèmes du De mensibus de Dracontius (p. 117-156). C. Urlacher-Becht consacre son étude à la source d’Apone chez Ennode de Pavie selon l’angle du carmen insertum (poème inséré dans une épître).

201La troisième partie (p. 179-231) réunit trois contributions consacrées aux rapports entre christianisme et nature dans le genre épigrammatique et montre que l’épigramme chrétienne n’a que progressivement réinvesti ce thème longtemps associé au paganisme. Dans la lignée du récent commentaire d’A. Friedrich (2002) qui a proposé d’y voir une œuvre de jeunesse de Lactance, A. Canellis présente une analyse du symposium XII Sapientium, qui révèle avec clarté l’architecture complexe de cette œuvre. M. Cutino analyse ensuite une sélection d’épigrammes de Prosper d’Aquitaine, avant que N. Hecquet-Noti ne montre comment s’entremêlent les interprétations littéraires et architecturales dans la dédicace de la cathédrale de Lyon que Sidoine Apollinaire a composée pour ce bâtiment qu’il connaissait bien.

202La quatrième partie réunit les trois contributions consacrées aux épigrammes grecques d’époque byzantine (p. 235-273). G. Agosti analyse le paradoxe de la poésie bucolique de l’époque : omniprésente dans la littérature latine et l’iconographie, elle demeure, par comparaison, fort discrète dans la littérature grecque contemporaine. C. Greco étudie la constitution d’un paysage littéraire dans plusieurs épigrammes, avant que A. Rhoby ne referme ce livre sur l’analyse de l’usage métaphorique de la nature dans les poèmes du Byzantin Manuel Philès (xive siècle).

203Cet ouvrage qui réunit quatorze contributions de très grande qualité doit être resitué dans un ensemble de manifestations transdisciplinaires consacrées à l’épigramme antique qui ont été organisées ces dernières années. Sans prétendre à l’exhaustivité, je citerai notamment : « Epigramma longum » (Cassino, 2006) ; « L’épigramme dans tous ses états » (Lyon, 2010) ; « La renaissance de l’épigramme dans la latinité tardive » (Mulhouse, 2011) ; « Greek Literary Epigrams » (Londres, 2013) ; les assises de l’A.P.L.A.E.S. (Lyon, 2014), et bientôt « la rhétorique du “petit” dans l’épigramme grecque et latine » (Strasbourg, 2015).

204Hamidou Richer

Therese Fuhrer et Almut-Barbara Renger (dir.), Performanz von Wissen. Strategien der Wissensvermittlung in der Vormoderne, Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften, 134, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2012, VI + 230 pages

205Issu d’un colloque organisé en juillet 2010 à la « Freie Universität » de Berlin, le volume 134 de l’ambitieuse collection « Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften » aborde le thème de la conversion des expériences en connaissance et le traite du point de vue de la transmission du savoir par l’image ou les textes au sein des cultures pré-modernes de l’Antiquité et du premier Moyen Âge. Les textes examinés datent de l’Antiquité égyptienne, grecque et romaine, des périodes chrétienne primitive, arabe classique et médiévale, où le savoir religieux, philosophique, politique et social irrigue la société tout entière. Véhiculé d’abord par des langages, des codes et des signes, le savoir est conjointement mis en scène par des gestes et des expressions verbales.

206La figure du scribe (Susanne Bickel, « Sichtbar und geheim. Aspekte altägyptischer Performanz von Wissen ») est dans l’Égypte ancienne l’expression favorite du prestige et de la réussite sociale, comme l’atteste l’iconographie des tombes de la troisième dynastie. La nécessité de préserver le savoir sacré pousse l’élite à se mettre en scène.

207Dans la Grèce antique, le « public » des sophistes est créé de toutes pièces en tant que destinataire d’un enseignement dispensé par des spécialistes vénaux (Martin Hose, « Die Erfindung des Experten. Über Sophisten und ihr Auftreten »).

208L’idée de transmission acousmatique s’applique à l’enseignement que Pythagore dispense derrière un rideau pour mieux orienter l’attention de ses auditeurs vers le seul contenu de sa pensée ; le terme désigne également les disciples non initiés, lesquels se contentent de répéter les aphorismes de Pythagore sans en comprendre le sens ni en connaître l’origine (John T. Hamilton, « Der pythagoreische Kult und die akousmatische Mitteilung von Wissen »).

209Dans le domaine latin, le procédé de la mise en abyme inhérent au jeu théâtral et scénique (en l’occurrence, les Ménechmes de Plaute) révèle l’échec de certaines « stratégies » de transmission (Antje Wessels, « Gescheit(ert)e Strategien der Vermittlung von Wissen ? Zur Arztszene in Plautus’ Menaechmi [876-965] »). L’instauration d’un cadre institutionnel donne naissance à un « nouum genus disciplinae » orienté vers l’art de parler (Fabian Goldbeck, « Strategien der Wissensvermittlung in Rom. Zum sog. tirocinium fori in der späten Republik und der frühen Kaiserzeit ») fondé sur un dispositif rhétorique subtil.

210Comme l’atteste le cas de Pline le Jeune, la représentation de soi sous les traits d’un évergète esthète est un moyen original de se distinguer (Elke Hartmann, « Die Kunst der edlen Selbstdarstellung. Plinius der Jüngere als Kunstkenner und Euerget »). L’auteur, quel qu’il soit, n’est pas une entité désincarnée : son identité humaine se pare de masques littéraires conjoncturels (Therese Fuhrer, « Autor-Figurationen. Literatur als Ort der Inszenierung von Kompetenz »).

211La question de la transmission est au cœur de la tradition chrétienne et du soupçon d’inauthenticité entachant les écrits apocryphes (Christoph Markschies, « Wie vermitteln apokryph gewordene christliche Schriften Wissen ? – ein Prospekt »). La religion nouvelle du christianisme est un ferment de solidarité et un levier de diffusion : au cours des derniers siècles de l’Antiquité, l’enseignement de la Bible façonne une nouvelle « paideia » (Guy G. Stroumsa, « Bibel und paideia. ‘Textgemeinschaften’ in der Spätantike »).

212À la construction de soi par soi la tradition ajoute le façonnage d’une image pour la postérité : les saints eux-mêmes (ici le célèbre Simon le Stylite) n’échappent pas à la mise en forme et en récit de leur existence (Almut-Barbara Renger et Alexandra Stellmacher, « Die Modellierung des Styliten Simeon (d. Ä.) im Zusammenspiel von Text, Bild und Performance »). Rédigé à la même époque dans une aire géographique voisine, le traité d’agronomie L’Agriculture nabatéenne est au Moyen Âge tenu pour un ouvrage d’ésotérisme et de magie relayant l’idolâtrie païenne (Isabel Toral-Niehoff, « Warum geheimes Wissen nicht vermittelt werden soll – oder doch ? Der Einführungsdialog der ‘Nabatäischen Landwirtschaft’ »).

213Ce livre que couronnent quatre index détaillés (abréviations, auteurs, passages, noms et choses) est réalisé avec intelligence et minutie. L’habillage du contenu cependant laisse songeur : parés des atours fallacieux d’un jargon inutilement moderne, des articles que rien a priori ne destine à la juxtaposition se rencontrent dans le seul but d’illustrer un « thème » procédant d’un choix plus ou moins arbitraire.

214Pascale Hummel

Jean-François Balaudé et Patrick Wotling (dir.), « L’art de bien lire ». Nietzsche et la philologie, Tradition de la pensée classique, Paris, Vrin, 2012, 298 pages

215Intitulée « La philosophie comme lecture ? », la Préface associe deux termes flous dont les éditeurs scientifiques ne se soucient guère de circonscrire rigoureusement le sens. Les travaux réunis sont issus d’un colloque organisé en octobre 2006 à Reims et à Nanterre. La figure de Nietzsche qui n’en finit pas de faire couler l’encre de tous ceux qui le lisent sans (toujours) le comprendre plane sur cet ouvrage collectif réalisé par des « philosophes » extérieurs à la pratique effective de la philologie. Si la philosophie a pour tare fondamentale la « bouffonnerie » inhérente au « manque de philologie », Nietzsche toutefois lui prête une vertu explicative. Pour les préfaciers, les deux activités intellectuelles « n’ont guère en commun que la proximité phonétique de leur dénomination » (p. 8). Le lien que Nietzsche établit entre elles possède d’abord un fondement biographique : élève du philologue Ritschl et critique envers la pensée de son temps, le philosophe allemand calque la philosophie sur le modèle de l’activité philologique, érigée en parangon de la rigueur intellectuelle. La philologie est « une image » (p. 10) inscrite dans un vaste réseau métaphorique. La logique préconisée fait appel à la « notion » (p. 11) de philologie.

216La première partie examine « La philologie face à la culture grecque ». Anomal parce qu’il n’écrit pas (Giuliano Campioni, « Le Socrate monstrum de Friedrich Nietzsche ») et préfère l’instinct à la raison, Socrate est un esprit libre qui scrute et questionne : Xénophon en brosse un portrait humain, Platon le caricature. Aux questions existentielles fondamentales, Socrate le décadent trouve une réponse dans la tyrannie d’une raison ennemie des instincts. Wilamowitz-Moellendorff conteste vivement l’analyse que le philosophe propose du Socrate de la tradition théâtrale (le socratisme esthétique d’Euripide éloigné du dionysisme originel).

217L’étude philologique et littéraire des écrits d’Aristote est le laboratoire de La Naissance de la tragédie. Nourrie de la pensée de Goethe, la conception nietzschéenne de la « katharsis » n’est pas sans rappeler l’interprétation de Jacob Bernays, même si les véritables inspirateurs de l’idée de « décharge affective » semblent être les contemporains Schopenhauer et Wagner (Jean-François Balaudé, « Nietzsche et la katharsis tragique »).

218L’articulation entre « Philologie et psychologie » est au cœur de la deuxième partie. Nietzsche jette le soupçon sur les valeurs et les buts de la morale, laquelle est pétrie de contradictions et de mauvaise foi (Robert C. Solomon, « Nietzsche : le philologue comme psychologue “de la profondeur” »). Cousine de la psychologie, la méthode de compréhension définissant la philologie engage une transformation de soi ; le cadre de vérité qu’elle dessine suppose une falsification continuelle de la vie par elle-même (Chiara Piazzesi, « Pour une nouvelle conception du rapport entre théorie et pratique : la philologie comme éthique et méthodologie »). La philologie est une école de probité supposant un attachement scrupuleux au texte ; « surmorale » (p. 103), la synonymie des termes de la chaîne « Redlichkeit, Rechtschaffenheit, Wahrhaftigkeit » est la condition d’une justice nouvelle (Blaise Benoit, « Die Redlichkeit [“Als Problem”] : la vertu du philologue ? Probité et justice selon Nietzsche »).

219La question « La philosophie comme méthode ? » occupe la troisième partie. À la philologie, la philosophie fournit les moyens de s’affranchir de l’historicisme et du scientisme : toute interprétation procédant d’une perspective donnée, la manière de comprendre un texte est aussi une voie d’accès à la connaissance de soi-même. En même temps qu’elle invite à « donner du sens aux mots », l’expérience philologique façonne les contenus autant que les modalités de la transmission (Monique Dixsaut, « “On n’a pas été philologue en vain” »). Complémentaire de la philosophie, la philologie est la métaphore ajustée à une méthode réversible (philologique et philosophique) de type herméneutico-critique (Céline Denat, « De la méthode de la philologie à la philologie comme méthode : en quel sens parler d’une méthodologie nietzschéenne ? »). En tant que philologue, Nietzsche est aussi l’archéologue ou le généalogiste du monde (Scarlett Marton, « La philologie : l’astuce du philosophe généalogiste »).

220La quatrième partie conduit « Des préplatoniciens aux modernes : les objets de la philologie ». La conférence préparatoire à La Naissance de la tragédie mentionne une lettre de Voltaire au cardinal Quirini (Guillaume Métayer, « Nietzsche, Voltaire et la philologie de l’opéra »). L’esthétique dramaturgique du penseur des Lumières, en lequel Nietzsche voit un prototype, est empreinte d’une forte attirance pour la Grèce. Comme l’atteste la réception allemande de l’épître dédicatoire introduisant la pièce Sémiramis, la langue réalise l’assimilation de la tragédie à l’opéra. Rejetant pareillement la supériorité admise de l’époque classique sur les temps présocratiques, Nietzsche affiche ouvertement sa prédilection pour la figure d’Empédocle. Son éloge de l’atomisme le porte vers une métaphysique anti-dualiste et anti-téléologique fondée sur le postulat d’une totalité holistique (Christof Rapp, « Friedrich Nietzsche et la philosophie préplatonicienne »).

221« Lire selon Nietzsche et lire Nietzsche » est l’enjeu de la cinquième partie. L’Ecce homo est à la fois mise en œuvre et mise à l’épreuve de la généalogie ; les images qui l’émaillent tissent le motif dionysiaque (Éric Blondel, « Du sujet d’Ecce Homo : le moi, la belle humeur et l’alcyonien »). Tandis que le philologue ressemble au prêtre doté de la parole oraculaire, le lecteur idéal est semblable au fidèle le consultant : les meilleurs textes pénètrent la vie du bon lecteur (Kathleen M. Higgins, « La lecture de l’oracle »). Au paragraphe 52 de L’Antéchrist, la philologie est définie : l’art de bien lire débarrassé de l’écueil de la fausse interprétation. L’obsession de comprendre à tout prix est un risque pour le philosophe, car elle expose le texte originel à la mutilation. La traduction étant la première tâche du philosophe, les morales sont la « traduction » d’un texte originel (Patrick Wotling, « La théorie des fautes de lecture et la philosophie comme traduction selon Nietzsche »). Le penseur contemporain trouve dans les écrits insondables de Nietzsche des thèses intemporelles et le ferment d’une polysémie inépuisable (Werner Stegmaier, « La philologie et Nietzsche : lignes directrices pour une philologie adaptée à la philosophie de Nietzsche aujourd’hui »). Auprès des penseurs et des universitaires qui s’en font les exégètes, l’œuvre du philosophe allemand est souvent abordée dans un esprit non-philologique, voire anti-philologique.

222Ce volume à plusieurs mains procède de la même veine hyperexégétique que la « Nietzsche-Industrie » alimentée depuis un siècle par une abondante glose institutionnelle. La recherche de la vérité peut difficilement se passer toutefois du terreau de la langue (en l’occurrence, grecque et allemande) : à défaut de connaître (bien) l’un et l’autre idiome, les exégètes de Nietzsche sont dans leur grande majorité tributaires de la traduction ; leur pensée s’élabore à partir d’un texte second, voire second au carré, puisque l’œuvre entière du philosophe de Weimar est congénitalement enracinée dans la langue hellénique qui forma son esprit.

223Pascale Hummel

Jürgen Leonhardt, Silke Leopold et Mischa Meier (dir.), Wege, Umwege und Abwege. Antike und Oper in der 1. Hälfte des 20. Jahrhunderts, Musikwissenschaft, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2011, 128 pages

224Comme pour donner le ton, la partition de l’Antigone de Carl Orff orne élégamment la couverture de l’ouvrage. Les trois essais sur l’opéra du xxe siècle naissant qui le composent font du retour à l’antique un facteur déterminant de toute renaissance artistique et littéraire. L’histoire de l’opéra moderne est jalonnée de tentatives pour renouer avec le genre de la tragédie antique : dès la fin du xvie siècle à Florence, les expérimentations mélodramatiques prennent la musique grecque pour modèle d’une transposition musicale ajustée à la parole humaine, l’entreprise se trouvant paradoxalement facilitée par la méconnaissance de la réalité antique. À leur suite, d’autres tentatives relient l’opéra à la tragédie grecque, en laquelle le genre mélodramatique est supposé prendre racine. L’ensemble de ces expériences culmine dans l’idée d’œuvre totale forgée par Richard Wagner, pour lequel la désillusion politique se mue en un programme artistique d’innovation esthétique. Divers principes président à la sublimation de l’expérience historique : 1. le statut de célébration religieuse cimentant la communauté ; 2. l’alchimie combinatoire entre musique, danse et poésie ; 3. la manifestation de l’esprit d’une nation (« Volksgeist ») dans le drame devenu acte politique et sa cristallisation dans le mythe.

225Les trois études du volume examinent la façon dont les compositeurs postérieurs à Wagner, Carl Orff notamment, s’affranchissent progressivement du postulat holistique, chaque nouveauté se faisant renouvellement et dépassement. Le genre opératique naît dans un contexte historique et idéologique particulier (Mischa Meier, « Abschied von ‘Gesamtkunstwerk’ – Emanzipation von der Antike : Das deutschsprachige Musiktheater im späten 19. und frühen 20. Jahrhundert »). Richard Wagner est inséparablement compositeur et théoricien. De son vivant comme après sa mort, ses détracteurs sont aussi nombreux que ses adulateurs. La production post-wagnérienne soulève des problèmes de classification. August Bungert compose la tétralogie Homerische Welt (1896-1903), Felix Draeseke l’oratorio tétralogique Christus. Ein Mysterium in einem Vorspiel und drei Oratorien (1912), Zdenek Fibich le mélodrame Hippodamie (1888-1891), et Julius Bittner Der Bergsee (1911). Ces productions sont autant d’avatars de l’idée de « Kunstwerk der Zukunft » (l’œuvre d’art du futur). Au cours du demi-siècle suivant la disparition de Richard Wagner, la question de la pertinence des critères préoccupe les épigones : le parti pris psychologisant du traitement scénographique ; le mythe comme reflet de l’esprit national ; le passage de la catastrophe à la résolution ; le lien unissant art, religion et politique ; l’expérience esthético-affective ; l’ambition de totalité. L’opéra de l’époque post-wagnérienne hésite entre l’idéal utopique de « l’œuvre à venir » et l’émergence de formes individuelles liées au contexte historique.

226Les opéras de l’époque peuvent être analysés à l’aune de ces principes : Richard Strauss, Salomé (1905), Électre (1909), Le Chevalier à la rose (1911), Ariane à Naxos (1916). Pour ainsi dire hystérie sublimée en musique, le psycho-drame reflète l’esprit fin-de-siècle donnant naissance au type récurrent de la femme décadente (femme fatale, femme fragile, femme enfant) : le monodrame Erwartung (1909-1924) d’Arnold Schoenberg met en scène une femme attendant son bien-aimé. Les sujets sont tirés de la mythologie germanique : illustrant le passage de l’opéra romantique (nourri du répertoire fantasmagorique des contes) à l’imaginaire des années 1920, La Femme sans ombre (1919) de Richard Strauss sur un livret de Hugo von Hofmannsthal allie conte de fée, drame de réconciliation, psychanalyse et symbolisme « Jugendstil ». Le méta-conte An allem ist Hütchen schuld (1917) de Siegfried Wagner croise rêve et réalité. La dépolitisation de l’art entraîne l’esthétisation, et corrélativement la sublimation du politique ; les épigones de Wagner sont apolitiques, tel Hans Pfitzner, Palestrina (1917). Les nouvelles possibilités artistiques fascinent : Der ferne Klang (1902-1910) et Die Gezeichneten (1913-1915) de Franz Schreker associent l’idéal romantique de l’artiste passionné et le drame socio-critique contemporain. Carl Orff (1895-1982) exploite généreusement le répertoire antique (Jürgen Leonhardt, « Sprachbehandlung und antike Poesie bei Carl Orff ») : Catulli Carmina (1943), Trionfo di Afrodite (1953), Antigonae (1949), Ödipus der Tyrann (1959), Prometheus (1968), à quoi s’ajoutent les Carmina Burana (1937) d’inspiration médiévale. Orff s’attache à la forme plus qu’au contenu ; le philologue Wolfgang Schadewaldt (1900-1975) retrouve dans son œuvre la quantité syllabique des Anciens.

227Carl Orff s’intéresse en pionnier à l’Orfeo de Monteverdi, dont il réécrit le livret en soignant la complémentarité entre musique et texte (Silke Leopold, « Orffeo. Carl Orff bearbeitet Monteverdi »).

228Le présent livre sera du plus grand intérêt pour les profanes non musicologues.


Date de mise en ligne : 06/04/2016

https://doi.org/10.3917/phil.872.0203

Notes

  • [1]
    Pour plus de précisions sur le parcours de Jean Bouffartigue, voir Charles Guittard, « Commémoration de Jean Bouffartigue », RET, Supplément 3, 2014, p. XV-XIX ; voir également Culture classique et christianisme. Mélanges offerts à Jean Bouffartigue, Paris, Picard, 2008, qui rassemble différents articles organisés autour de six thèmes : l’empereur Julien ; le mouvement continu de la philosophie ; idées, croyances, culture ; littérature grecque impériale et tardive ; le règne animal ; les mots qui changent et qui s’échangent.
  • [2]
    En particulier dans la bibliographie établie par Danièle Auger et Étienne Wolff, Culture classique et christianisme (cité n. 1), p. 8-11.
  • [3]
    Voir à ce sujet « Problématiques de l’animal dans l’Antiquité grecque », Lalies, 23, 2003, p. 131-168 ; « Les animaux techniciens. Réflexions sur l’animal faber vu par les Anciens », Actes du 38e Congrès international de l’Association des Professeurs de Langues Anciennes de l’Enseignement Supérieur, Nice, 2006, p. 51-61 ; « Science et poésie dans l’Intelligence des Animaux de Plutarque », Troïka. Parcours antiques, Besançon, 2007, p. 241-258 ; « Les animaux savent-ils ? Réponses grecques antiques à cette question », Schedae, 2009, prépublication n° 11 (fascicule n° 2), p. 21-32.
  • [4]
    Jean Bouffartigue, « Science et poésie dans l’Intelligence des Animaux de Plutarque » (cité n. 3), p. 241.
  • [5]
    Vd. in proposito D.P. Taormina, « Porfirio ha scritto un trattato Περὶ τοῦ ἐφ᾿ ἡµῖν ? », in F. Karfik, E. Song (eds.), Plato Revived. Essays on Ancient Platonism in Honour of Dominic J. O’Meara, Berlin, De Gruyter, 2013, p. 199-214.
  • [6]
    Secondo la testimonianza di Procl. in Remp. p. 318. 4ss. (= fr. 187 Smith), a proposito di Repubblica X 620b dove si dice all’anima di Aiace è spettato il ventesimo turno per scegliere la propria vita, Porfirio afferma che Platone fa riferimento ai tempi di ascensione dei segni dello zodiaco appresi dagli Egizi.
  • [7]
    Intr. Ptol. CCAG V 4 p. 210. 12-15 ed. E. Boer & S. Weinstock, Bruxellis, 1940. L’attribuzione dell’opera a Porfirio, sostenuta già da F. Boll, Sphaera. Neue griechische Texte und Untersuchungen zur Geschichte der Sternbilder, Leipzig, 1903, p. 7 n. 2, è stata recentemente messa in dubbio. In proposito, vd. G. Bezza, in R. Goulet (ed.), Dictionnaire des philosophes antiques, vol. Va : De Paccius à Plotin, Paris, CNRS, 2012, s.v. Porphyre de Tyr, con ricche indicazioni bibliografiche.
  • [8]
    Per i testi e i loro rapporti nonché per l’aspetto più propriamente tecnico di tale concezione, oltre i lavori classici di A. Bouché-Leclercq, L’Astrologie grecque, Paris, E. Leroux Éditeur, 1899, p. 602, F. Boll, « Studien über Claudius Ptolemaeus », Jahrbuch für Classische Philologie, Suppl. Bd. 21, 1894, p. 66-254 : 114ss., vd. E. Buchner, « Horologium Augusti », Gymnasium, 90, 1983, p. 494-508, soprattutto 498-501 ; W. Knappich, Geschichte der Astrologie, Frankfurt am Main, V. Klostermann, 1988, p. 42, nonché il recente approfondito studio di K. Frommhold, Die Bedeutung und Berechnung der Empfängnis in der Astrologie der Antike, Diss. Münster, 2003, p. 70-189.
  • [9]
    De civ. Dei V 5.
  • [10]
    Procl. in remp. II p. 59. 3 Kroll.
  • [11]
    Fr. 271. 38-48 Smith = Stob. p. 169. 21-170. 6.
  • [12]
    Il passo è considerato corrotto da W. Deuse, Untersuchungen zur mittelplatonischen und neuplatonischen Seelenlehre, Mainz, Akademie der Wissenschaften und Literatur, 1983, p. 152, n. 78.
  • [13]
    John A. MacPhail, Jr., l’ultimo editore delle Quaestiones Homericae (Porphyry’s Homeric Questions on the Iliad : Text, Translation, Commentary. Texte und Kommentare, Berlin/New York, Walter de Gruyter, 2011), ha abbandonato il criterio stilistico adottato da H. Schrader (Porphyrii quaestionum homericarum ad Iliadem pertinentium reliquiae, Leipzig, 1882) e ha distinto estratti delle Questioni Omeriche, epitomi di tali estratti e scoli porfiriani. In base ai criteri adottati, egli ha escluso dal testo i due passi concernenti Il. IX 497 che Schrader (p. 133. 19-22 ; 140. 24-28) aveva attribuito a Porfirio.
  • [14]
    Collection dirigée par F. Acerbi et B. Vitrac. Le premier volume publié est : Diofanto, De polygonis numeris, introduction, texte critique, traduction italienne et commentaire de F. Acerbi, 2011.
  • [15]
    Selon Marinus, Proclus, § 26.1-14, Syrianus s’étant proposé d’expliquer soit les poèmes orphiques, soit les Oracles chaldaïques, il a demandé à Damnianus et à Proclus de choisir entre les deux : Damnianus a choisi Orphée, Proclus les Oracles.
  • [16]
    L’ouvrage dépasse de loin les deux traductions récentes de l’Encheiridion : P. Brown, The Manual of Domninus, The Harvard Review of Philosophy, VIII, 2000, p. 82-100, et Fr. Romano, dans sa monographie : Domnino di Larissa. La svolta impossibile de la filosofia matematica neoplatonica. Manuale di introduzione all’arithmetica. Introduzione, testo e traduzione, Catania, 2000.
  • [17]
    Voir D. O’Meara, Pythagoras revived, Oxford, 1989.
  • [18]
    Voir aussi Réponse à Porphyre (De mysteriis), éd. Saffrey-Segonds-Lecerf, VIII, 8, p. 201.1 = De mysteriis, p. 271.13 des Places (à propos de ces deux éditions, voir n. 6 infra).
  • [19]
    Vinel renvoie, pour le De mysteriis, à l’édition de Parthey (Berlin, 1857 ; Amsterdam, 19653), sans mentionner celle d’Éd. des Places (Collection des Universités de France, Paris, 1966). Il faut dorénavant renvoyer à Jamblique, Réponse à Porphyre (De mysteriis), texte établi, traduit et annoté par H.D. Saffrey et A.-Ph. Segonds, avec la collaboration d’A. Lecerf, Collection des Universités de France, Paris, 2013, parue trop récemment pour que Vinel ait pu en faire état. Autre remarque de détail : les Fragments d’Aristote sont cités d’après l’édition de Rose, Leipzig, 1886 ; il est cependant plus commode de renvoyer à l’édition de Ross, Oxford, 1955 (nombreuses réimpressions).
  • [20]
    À la page 29, il faut corriger la figure du carré. Non pas :
    figure im1
    2 3 mais : 1 2 3 4 5 5 4 5 6 6 8 9 7 8 9
  • [21]
    Voir N. Vinel, « Un carré magique pythagoricien ? Jamblique précurseur des témoins arabo-byzantins », dans Archive for History of Exact Sciences, 59, 2005, p. 545-562.
  • [22]
    John Dillon souligne ce point dans son compte rendu paru dans la Bryn Mawr Classical Review (2014.10.37). L’édition de Pistelli a été rééditée par U. Klein (Stuttgart, 1975).
  • [23]
    R. Pfeiffer, History of Classical Scholarship, Oxford, 1968, p. 141-142 et 284-285.
  • [24]
    GL précise (p. XI) : « Chaque fois que cela était nécessaire pour la compréhension des scholies, notamment en matière d’étymologie, nous avons inséré dans la traduction les mots grecs, sans recourir aux parenthèses ». On n’a cependant pas l’impression que ce soit le principe appliqué : les mots grecs « insérés » ne sont justement pas traduits, ce qui pourrait affecter la « compréhension des scholies ».
  • [25]
    Dans l’édition des Argonautiques de F. Vian, t. II, C.U.F., Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 82.
  • [26]
    Voir le site internet, qui fournit de nombreuses ressources documentaires : http://emotions.classics.ox.ac.uk/
  • [27]
    A. Chaniotis and P. Ducrey (dir.), Unveiling Emotions II. Emotions in Greece and Rome : Texts, Images, Material Culture, Stuttgart, 2013 ; Chr. Kotsifou (dir.), Unveiling Emotions III. Emotional Display, Persuasion and Rhetoric in Papyri (en préparation).
  • [28]
    F. Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, tome 1, Paris, 1966.
  • [29]
    P. Horden et N. Purcell, The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History, Oxford, 2000.
  • [30]
    Ch. Constantakopoulou, The Dance of the Islands, Insularity, Networks, The Athenian Empire and the Aegean World, Oxford, 2007.

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