Notes
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[1]
La présente liste complète la bibliographie du DELG (dans sa version la plus récente, à savoir DELG 2009, p. xi-xiv) et du Supplément au DELG, constitué par les dix premières livraisons de la CEG (DELG 2009, p. 1379-1383), ainsi que les indications fournies à la fin de la CEG 11 (RPh 80/2, 2006[08], p. 367-369), de la CEG 12 (RPh 83/1, 2009[12], p. 326-328) et de la CEG 13 (RPh 85/2, 2011[13], p. 365-366).
Rédacteurs des notices
A.B. | Alain Blanc |
Ch. de L. | Charles de Lamberterie |
É.D. | Éric Dieu |
F.S. | Françoise Skoda |
M.E. | Markus Egetmeyer |
N.G. | Nicole Guilleux |
P.R. | Pierre Ragot |
R.V. | Rémy Viredaz |
S.A. | Suzanne Amigues |
Rédacteurs des notices
1Nous nous devons de signaler une publication importante dans le domaine de la linguistique grecque, à savoir une nouvelle édition de la Grammaire homérique de Pierre Chantraine. Cet ouvrage classique est, comme on sait, articulé en deux tomes : le premier, Phonétique et morphologie, paru en 1942, a fait l’objet en 1957 d’un retirage accompagné d’une conclusion nouvelle intitulée « Les éléments dialectaux de la langue épique » (p. 495-513), complément destiné à « faire le point de ce que le déchiffrement du mycénien apporte de neuf pour la connaissance de la langue homérique », pour reprendre les termes de l’auteur (p. 495) ; le second, Syntaxe, est paru en 1953. L’ensemble constitue les tomes I et IV de la « Collection de philologie classique » publiée par les Éditions Klincksieck (Paris).
2Nous disposons maintenant d’une nouvelle édition de ce magnum opus, revue et corrigée par Michel Casevitz (I, 2013 ; II, 2015 = tomes 3 et 24 de la « série linguistique » publiée par la Librairie Klincksieck). Cette nouvelle édition obéit aux mêmes principes que ceux qui ont été mis en œuvre pour le Dictionnaire étymologique de la langue grecque du même auteur, dont la nouvelle édition, publiée en 2009, succède à l’édition originale (1968-1980) ; nous renvoyons sur ce point à la note mise en tête de la CEG 12 (RPh 83/2, 2009[2012], p. 285-286). Le texte de P. Chantraine est resté inchangé sur le fond, mais il a été entièrement recomposé, ce qui a entraîné une modification de la pagination : p. 1-538 au lieu de 1-544 pour le premier tome, et p. 1-454 au lieu de i-viii + 1-379 pour le second, la différence s’expliquant ici par le fait que le corps des caractères utilisés dans la nouvelle édition de la Syntaxe est plus gros que dans l’ancienne. La révision opérée par M. Casevitz a consisté à corriger le plus possible de coquilles et de fautes d’accent, à vérifier et à préciser les références bibliographiques et textuelles, et, dans le premier tome, à intégrer au texte les « addenda et corrigenda » du tirage de 1957 (p. 514-518). Chacun des deux volumes comporte une « Bibliographie récapitulative » (p. 495-505 pour le tome I, p. 417-427 pour le tome II) qui permettra au lecteur de s’y retrouver plus facilement dans les références. Ainsi rajeunie, la Grammaire homérique de P. Chantraine continuera plus que jamais, bien qu’elle porte évidemment les marques de son âge, à être un ouvrage de référence qui rendra les plus grands services aux hellénistes et aux linguistes.
3L’objet de cette chronique reste le même que dans les livraisons précédentes : il s’agit de présenter au lecteur le résultat d’études philologiques ou étymologiques récentes, et de mettre à jour les notices du Dictionnaire étymologique de la langue grecque (DELG) de Pierre Chantraine. Chaque fois qu’une notice de la CEG se présente comme la modification ou le complément d’une notice existante, c’est précisément à la notice correspondante du DELG qu’il est fait référence, soit dans sa première édition (1968-1980), citée « DELG », soit dans sa deuxième édition avec supplément (2009), citée « DELG 2009 » (v. CEG 12, p. 285-286).
4δηκότες : « accablés, domptés » (Il. 10,98 ; 312 = 399 ; 471 ; Od. 12,281 et H.Ap. 460). – Ét. : Les problèmes insurmontables posés par le rapprochement avec l’hapax δήσειεν (Od. 1,134) auquel il convient, à la fois pour le mètre, le sens et la forme, de substituer la variante ancienne ἀηδήσειεν « trouver déplaisir à, prendre en dégoût », amènent Chantraine (DELG 20a s.u.) à privilégier le rattachement de δηκότες à la famille de ἄδην « à satiété », dont on trouve une variante δην avec - initial long en Il. 5,203 (v.l. ἄδην, ἄδδην) et à donner à l’expression καµάτῳ δηκότες le sens de « rassasiés/soûlés de fatigue ». Mais, dans la formule // καµάτῳ ἀδηκότες αἰνῷ (Il. 10,312 = 399), où le participe parfait est soudé à son complément, l’hiatus étonne car ἅδην présuppose un étymon *hᾰδ- < *săd- et, quand bien même le souffle sourd se serait conservé assez longtemps pour empêcher toute contraction ou élision, l’- de δηκότες ne peut guère tenir lieu de redoublement ni recouvrir *ἑαδ- < *ἐ-hᾰδ- < *hε-hᾰδ-. Dès lors, il vaut mieux privilégier l’explication de Ch. de Lamberterie, Adj. -ύς § 176, et rétablir, sous le texte transmis, un plus ancien *ϝεϝᾰδηκϝότες (← *ϝεϝᾰδηϝότες ?), défiguré par le lien que la tradition établissait avec ἄδην. Cette solution présente trois avantages : 1) sur le plan métrique, elle permet de reconstituer un dactyle au quatrième pied de la formule // καµάτῳ ἀδηκότες αἰνῷ (ll.cc.) ; 2) la langue épique disposant de nombreux participes parfaits qui attestent conjointement des formes en -ώς, -ηώς et -ηκώς, il est tentant de reconstruire, en regard de *ϝεϝᾰδηκϝότες, dont l’existence est garantie par locr. τα ϝεϝαδε̄ϙοτα « ce qui a été décidé », et sur le modèle de δεδαηκότες (Od. 2, 61) / δεδαώς (Od. 17, 519), un participe neutre plur. *ϝεϝᾰδϝότα > ἑᾱδότα (Il. 9, 173 = Od. 18, 422), dont l’ᾱ, loin de refléter le degré plein de la racine apophonique gr. *ϝhᾱδ- / *ϝhᾰδ- (sur laquelle voir CEG 10 s.u. ἑδανός), résulte sans doute d’un rajeunissement de la forme à degré zéro *ϝhᾰδ- consécutif à la chute de -ϝ- (cf. τετευχώς [Od. 12,423] ← *τετυχϝώς et myc. te-tu-ko-wo-a2 [PY Sa 682, etc.] /θεθυχϝόhα/) ; 3) étant donné que *ἑᾰδϝότα est le participe parfait de ἁνδάνω, qu’il est employé, dans les deux passages cités, avec le sens de « sembler bon, être décidé, approuvé », que δοκεῖν, le correspondant attique de ἁνδάνω en ce sens, a souvent la double valeur de « sembler bon » et « trouver bon », et qu’enfin on passe facilement de « trouver bon » à « acquiescer, céder, se soumettre », on peut rapporter δηκότες à ἁνδάνω en admettant que l’expression καµάτῳ ἀδηκότες signifiait originellement non pas « rassasié / repu de fatigue » mais « cédant à la fatigue, vaincus par la fatigue ». Le fait que // καµάτῳ ἀδηκότες αἰνῷ # (Il. 10,399) soit en distribution complémentaire avec // µαλακῷ δεδµηµένοι ὕπνῳ # (Il. 10,2) « domptés par le doux sommeil » vient étayer l’hypothèse étymologique proposée.
5P.R.
6ήρ, ἠέρος : 1) « brume légère, partie basse de l’atmosphère (Il. 14,288) » (Hom., Hés.) ; 2) « air, atmosphère » (att.). – Ét. : Comme l’indique Chantraine (DELG 27a s.u.), la solution ingénieuse de Meillet, BSL 26, 1925, 7 sqq., qui voit dans ἀϝήρ un nom-racine répondant à ἀϝείρω et signifiant « suspension », ne permet pas d’expliquer l’- initial long de ήρ. On lèvera cette difficulté si on adopte l’explication phonétique et sémantique de Kiparsky, Lang. 43, 1967, p. 625-626, pour qui ήρ repose en fait sur *aus-ḗr (< *h2(e) us-ḗr), l’ancien nom. sg. du nom de l’« aurore » dont *ἤερι (# ἠέριος), ἦρι et αὖρι (cf. s.uu.) sont les locatifs correspondants. Sur le plan phonétique, proto-gr. *ausḗr > gr. com. *ἀhϝήρ (pour le traitement du groupe *-us- intervocalique, cf. s.u. 1 ἕως) > éol. αὔηρ, dor. *ϝήρ (cf. lac. ἀβήρ), hom., att. ήρ / ἠερ- (avec maintien de l’- initial par influence dissimilante de -η- [cf. Lejeune, Phonétique, §§ 254 et 280 n. 1] mais passage régulier de - à ἠ- devant -ε-, à quoi il faut ajouter des réfections analogiques : gén. sg. ἠέρος # nom sg. ἠήρ [Hp.] vs nom. sg. ήρ → gén. sg. έρος [att.]). Sur le plan sémantique, on rendra compte du sens de ἀήρ en postulant une filiation « ce qui se forme le matin » (cf. Hajnal, HS 105, 1992, p. 62) > « brume légère » en regard de ἦρι et αὔριον qui présupposent une filiation « ce qui se forme le matin > aurore, aube » (cf. all. Morgengrauen « aube < grisaille / brume matinale »). Cette filiation sémantique se trouve confirmée en grec même 1) par le rapport antonymique constaté, dans la cosmologie homérique, entre la couche basse et brumeuse de l’atmosphère, appelée justement ἀήρ, et sa partie élevée, claire et brillante, appelée αἰθήρ / αἴθρη ; 2) par le double sens de « brumeux » et « matinal » (cf. aussi s.u. αὔρα) qui caractérise l’adj. hom. ἠέριος (cf. s.u.), lequel peut être synchroniquement réinterprété comme un dérivé de ήρ/ ἠέρ-. En faveur de l’explication de Kiparsky, v. aussi Beekes, EDG I, p. 27 s.u.
7P.R.
8ἄναξ : m. « seigneur ». – Les dérivés de ἄναξ posent la question du traitement phonétique du groupe *kty, dont les exemples sont rares (ἔξω « dehors » < *eks-tyō est un cas différent). La contradiction apparente entre l’assimilation inattendue *kty > *ty observée dans ἄνασσα (graphie mycénienne en s), ἀνάσσω, et le résultat plausible *kty > ξ que suppose l’étymologie admise διξός « double » < *-χθ-y- (voir sous δισσός), suscite deux tentatives de solution. L’une serait de partir d’un ancien *wanatk- (la métathèse en *kt est régulière) et de postuler une loi phonétique *tky > *ty, qui toutefois ne se laisse pas confirmer. L’autre consiste à observer que διξός est dialectal (ionien) et pourrait résulter d’une dissimilation de *ditsos sous l’influence de δίχα.
9Ét. : L’étymologie de ἄναξ a fait l’objet de plusieurs publications, dont la dernière (L. Willms, Glotta 86, 2010[11], 232-271) comporte une revue des précédentes. La plupart supposent un composé que l’on peut transcrire *wn̥-h2eĝ-t-, dont le second membre serait un nom d’agent de la racine *h2eĝ- « mener », tandis que les avis divergent sur la signification du premier : « clan » (Szemerényi, ou « alliés, compagnons » compte tenu de la discussion de *wen- chez Delamarre, DLGaul s.uu. *uenet-, *ueni-, avec réf.), « combattants » ou « victoire » (Georgiev), « biens » (Hajnal), « effort, bataille » (Willms). Toutefois, aucune de ces suggestions n’est suffisamment fondée (malgré la polysémie des racines *wen(H)-), et tant que l’on n’aura pas d’explication satisfaisante du premier membre présumé, toute la construction reste en l’air. – Le rapprochement du tokharien A nātäk « seigneur », féminin nāśi (Winter 1970, ap. Willms) échoue sur le fait que la chute de *w initial n’est attestée que devant sonante consonne indo-européenne et non devant sonante voyelle : w initial devenu antéconsonantique en tokharien même est conservé.
10R.V.
11Hors du grec, le mot ne se retrouve qu’en phrygien, notamment, à époque ancienne, dans la fameuse inscription dite du « tombeau de Midas » (date estimée : entre le viiie et le vie s. a.C. selon les auteurs) : midai lavagtaei vanaktei (M-01a dans Brixhe-Lejeune, CIPalPhryg, 1984, p. 6-9), séquence au datif où le nom du dédicataire est suivi de ses deux titres. Ainsi que l’a montré M. Lejeune dans une étude fondamentale (« À propos de la titulature de Midas », Athenaeum 47 [= Studi Meriggi], 1970, p. 179-192, reprise dans MPM III, 333-344), ces deux termes institutionnels correspondent rigoureusement à ce que révèlent les documents grecs du deuxième millénaire, où le wa-na-ka /wanaks/ (dat. wa-na-ka-te /wanaktei/) « souverain » et le ra-wa-ke-ta /lāwāgetās/ (dat. ra-wa-ke-ta /lāwāgetāi/) « chef de l’armée » sont respectivement le premier et le second personnage de l’État pylien. En phrygien même, wanakt- est connu aussi en néo-phrygien (Lejeune, o.c., p. 340). Ces deux mots paléo-phrygiens étaient, jusqu’à une date récente, considérés par la plupart des linguistes comme empruntés au grec ; c’était la doctrine que suivait P. Chantraine dans le DELG, s.uu. ἄναξ (p. 84b-85a) et λᾱός (p. 620a), et M. Lejeune la tenait lui aussi pour la plus vraisemblable, sans toutefois la tenir pour acquise et en remarquant que, si emprunt il y a, il s’agit d’un phénomène de date très ancienne (o.c., p. 344). Depuis lors, Cl. Brixhe, dans une série d’études (notamment Novalis Indogermanica [= Fest. Neumann], 2002, p. 60-71, et l’article « Phrygian » dans Anc. Lg. As. Min., 2008, p. 72), a donné de bonnes raisons d’y voir des mots indigènes ; ces correspondances témoignent de la relation particulièrement étroite que le grec entretient avec le phrygien, quelque interprétation qu’il faille en donner en l’occurrence : héritage de l’indo-européen balkanique ou fait de linguistique aréale imputable à des contacts entre peuples ? Cette thèse de Cl. Brixhe est aujourd’hui bien reçue, à juste titre : v. en dernier lieu la notice s.u. λᾱός dans CEG 12, 2012, p. 310 (Ch. de L.) et Ch. de L., J. Sav. 2013, p. 48-50, avec référence à des travaux récents qui vont dans le même sens (I. Hajnal, J. Matzinger).
12Ch. de L.
13ἄνεµος : « vent ». – Le composé à suffixe -ιος ὑπηνέµιος (cité DELG 86a), qui équivaut à ἀνεµιαῖος, dit des œufs clairs, inféconds, signifie « sous l’effet du vent », sens technique qui ressort aussi de la double équivalence οὔριος = ὑπηνέµιος et ζεφύριος = ὑπηνέµιος (Ar.). Il s’agit donc d’une formation hypostatique et non d’un composé possessif « ayant du vent à l’intérieur, vide » ; voir J. Jouanna dans Φιλολογία (= Mél. Casevitz), 2006, p. 99-108. Cet adjectif diffère, pour le sens, de l’autre forme hypostatique qu’est ὑπήνεµος « sous le vent, du côté opposé à celui d’où vient le vent », sur laquelle voir N. Rousseau, Les formes hypostatiques nominales à premier élément prépositionnel en grec ancien, Thèse Paris IV, 2003, p. 502-505.
14F.S.
15En ce qui concerne les composés, une lacune à combler dans l’article du DELG : la forme ancienne du composé privatif est νήνεµος « sans vent », bien attestée chez Homère et par la suite ainsi que le dérivé νηνεµία (ion. -ίη) « absence de vent, temps calme ». Elle fait l’objet d’une très brève entrée s.u. νήνεµος, p. 751, qui se résume à un renvoi au lemme ἄνεµος où elle ne figure pas (seule est citée la forme plus récente ἀνήνεµος, S.).
16Ch. de L.
17ἄνθραξ, -ακος : m. « charbon de bois ». – Selon D. Kölligan (MSS 63, 2003, p. 45-51), le substantif ἄνθραξ serait un dérivé en -ακ- d’un adjectif en *-ro- *ἀνθρός « sombre, noir » substantivé au masculin *ἄνθρος ou au neutre *ἄνθρον « le noir ». Cette dérivation se serait faite d’après des modèles tels que celui de λίθαξ « rocailleux ; pierre » en face de λίθος « pierre », et, éventuellement, par l’intermédiaire d’un collectif *ἄνθρᾱ par rapport auquel ἄνθραξ aurait une valeur singulative (cf. µύλαξ « pierre de meule », tiré de µύλη « meule »). On aurait également une trace de cet adjectif substantivé en *-ro- dans la forme verbale ἀνθρεῖ· κρύπτει (Hsch.), qui en serait dérivée. L’adjectif *ἀνθρός (< *h2n̥dh-ró-) serait à mettre en relation, dans le cadre du système de Caland, avec un neutre sigmatique *ἄνθος qui aurait disparu en raison de son homonymie avec ἄνθος « fleur », et qui serait le correspondant exact de véd. ándhas- « obscurité, ténèbres » (< *h2éndh-e/os-) ; cf. aussi l’adjectif véd. andhá- « aveugle, sombre » (< *h2ondh-ó- « *qui a de l’obscurité »), ainsi que gallo-lat. andabata « gladiateur aveuglé par un casque sans ouvertures » (sur -bata, voir Delamarre, DLGaul 46). Il faudrait admettre une spécialisation sémantique de « le noir » vers « charbon (noir) » dans ἄνθραξ, et d’« obscurcir » vers « cacher » dans ἀνθρεῖ (pour cette seconde évolution sémantique, cf. franç. marché noir, all. schwarzes Konto « compte secret », etc.). On peut ajouter que pour ἄνθραξ, une telle spécialisation à partir d’un terme de couleur pourrait être étayée par le cas comparable d’un autre nom du charbon, κάνδαρος (glosé par ἄνθραξ chez Hsch.), qui est susceptible d’avoir été tiré d’un adjectif *κανδαρός « incandescent » apparenté à véd. candrá- « brillant » (CEG 12, 306). En outre, à propos de *ἄνθος, l’étude de D. Kölligan pourrait éventuellement être confortée par une hypothèse, il est vrai fort spéculative, de J. Haudry, Rel. cosm. IE (1987), p. 254-257, qui considère que ce neutre sigmatique serait indirectement attesté en grec dans le nom de fête Ἀνθεστήρια (Anthestéries, fête de Dionysos et des morts) : habituellement rattaché à ἄνθος « fleur » (cf. DELG p. 89), ce nom serait en réalité celui de la fête « de celui qui traverse l’obscurité (hivernale) ». Mais cela est bien douteux. Pour une trace éventuelle de la racine *h2endh- en grec dans l’hydronymie (à savoir dans le nom de fleuve Ἀσωπός), voir en outre D. Kölligan, AION(Ling), N.S. 1, 2012, p. 215-229 (avec également, p. 226 n. 32, une nouvelle suggestion étymologique concernant ἄνθρωπος « homme, être humain », en rapport avec cette même racine indo-européenne).
18Pour des raisons phonétiques (gr. θ < *dh, arm. t‛ < *t ; mais *t > arm. d après *n), D. Kölligan rejette donc le rapprochement de ἄνθραξ avec arm. ant‛eł « charbon ardent, cendre », pourtant bien signalé par P. Chantraine, DELG p. 90, comme intéressant du point de vue du sens originel du terme grec (il est notable, à cet égard, que ce mot grec ait pu être appliqué à certaines pierres précieuses de couleur rouge ardent, comme l’escarboucle). Toutefois, l’idée d’un mot de substrat méditerranéen formé à partir d’une base radicale à sourde aspirée *anth-, qui se retrouverait en grec et en arménien, n’est peut-être pas à exclure définitivement. Voir le dossier, particulièrement complexe, dans EDArmIL p. 85, avec des tentatives d’explication de la finale -eł de l’arménien et du ρ de la forme grecque : des formes avec -r- au lieu de -ł(-) se retrouvent dialectalement en arménien sur ce qui apparaît donc synchroniquement comme une base radicale ant‛-. On peut y ajouter qu’en grec même, une dérivation d’un collectif *ἄνθρᾱ « braise, charbons ardents », qui serait à l’origine de ἄνθραξ dans les conditions vues précédemment (avec une valeur singulative du dérivé en -ακ-), était théoriquement possible à partir d’une base méditerranéenne *anth- : que le ρ ait ou non un rapport avec le r qui apparaît dialectalement en arménien, un modèle analogique pouvait jouer, à savoir celui de τέφρᾱ « cendres », dérivé en -ρᾱ à partir de la racine *dheguh- « brûler », où le ρ a chance de correspondre au r de lat. febris « fièvre » (avec une finale et un sémantisme voisins, on peut aussi signaler la forme ἐσχάρᾱ « foyer bas, brasier », bien qu’une influence immédiate de ce nom, qui reste inanalysable, sur une base *anth- ne puisse guère être défendue, d’autant que l’on aurait alors tout aussi bien pu attendre une forme *ἀνθάρᾱ au lieu de *ἄνθρᾱ).
19É.D.
20ἀπαρτής, -ές [nouveau lemme] : « bien réajusté », dit d’un nez cassé dont la fracture latérale a été réduite (Hp. Art. 38, Gal.). L’existence de cet hapax est assurée par le commentaire de Galien (18A.480.2 et 481.8 K). – Ét. : Traditionnellement, ἀπαρτής, qui était aussi posé sous forme ἀπάρτητος, était tenu pour un dérivé de ἀπαρτάω « suspendre », et on donnait donc comme traduction « suspensus » (Thesaurus d’H. Estienne), « raised up » (LSJ), « suspendu » (Bailly), « respingón » (DGE). Cette dérivation est impossible, car à l’époque classique les verbes en -άω ne fournissent pas de dérivés déverbaux en -εσ-. ἀπαρτής ne peut pas non plus être tiré de ἀπαρτίζω « ajuster exactement », car on attendrait *ἀπαρτιδής (cf. σχίζω → ἀσχιδής). Nous avons donc proposé de partir directement de la racine *h2er- de ἀραρίσκω en admettant un second membre de composé de sens passif, en *-t-, du type de lat. locu-plē-t- « riche en terres », man-suē-t- « habitué à la main », et grec ἀ-βλή-τ- « qui n’a jamais été lancé », ἀ-γνώ-τ- « ignoré ». Le grec ayant éliminé la plupart de ces composés, qui sont anciens, celui-ci a été refait par suffixation de l’élément sigmatique -εσ-, caractéristique bien connue présente dans un grand nombre d’adjectifs composés. Comme dans ἀπαρτίζω, le préfixe ἀπ(ο)- marque l’aboutissement du procès (donc « complètement réajusté »). Le composé homérique ἐπαρτής « équipé, préparé » (Od.) paraît avoir été formé de la même façon : sur la base ἐπ-αρ- de ἐπαραρίσκω a été formé un composé *ἐπ-αρ-τ- qui a été secondairement élargi par -εσ-. Voir A. Blanc, « Existence, sens et étymologie de l’adjectif ἀπαρτής », dans Hommages Skoda (2014), p. 19-32.
21A.B.
22ἀραρίσκω : « adapter, ajuster » (Il. +). [Ajouter, DELG 102a § 7, à propos de ἐπαρτής « équipé, préparé » (Od., A.R., Opp.) :] Que cet adjectif sigmatique ne procède pas d’un ancien substantif en *-(e/o)s- est également admis par Frisk et Beekes (cf. GEW I, 154 et EDG I, 142 s.u. ἀρτέοµαι). Pour Risch (WHS § 31h), ἐπαρτής a été formé sur ἀρτύνω « disposer, préparer » d’après l’analogie des couples πολυθαρσής « plein de confiance en soi » / θαρσύνω « enhardir, rassurer » et οἰνοβαρής « alourdi par le vin » / βαρύνω « alourdir, accabler ». Ajouter maintenant la solution d’A. Blanc, Hommages Skoda (2014), p. 32-33, qui voit dans cet adjectif archaïque l’avatar d’un ancien composé à second membre nom-racine ἐπ-αρτ- secondairement élargi par -εσ- et dont la formation est exactement parallèle à celle de ἀπ-αρτ-ής, lui aussi dérivé de la racine gr. ἀρ- (< i.-e. *h2er-), v. la notice s.u.
23P.R.
24ἀρναβώ f., ἀρναβόν n. [nouveau lemme] : « zédoaire », mots cités dans LSJ avec référence aux médecins d’époque tardive Paul d’Égine (viie s. p.C.) et Aétios d’Amida (vie s.). Le nom arabo-persan zarnab, entré en grec avec aphérèse de la consonne initiale et fréquent dans la littérature médicale arabe du viiie au xviiie s., présente une polysémie remarquable, étudiée dans ses aspects linguistiques et pharmacologiques par J. Bellakhdar sous le titre « Zarnab, une drogue énigmatique de la pharmacopée arabo-islamique : proposition d’élucidation », AAM (= Al-Andalus Magreb. Estudios Arabes e Islamicos, Université de Cadiz), 20, 2013, p. 23-54. L’examen approfondi d’environ 25 sources écrites arabes et une enquête dans la pharmacopée traditionnelle arabo-islamique ont conduit l’auteur à la conclusion suivante (p. 34-35) : « le premier zarnab qui apparaît historiquement dans l’espace arabo-persan – et qui passe en région méditerranéenne, comme l’attestent quelques mentions datant de l’Antiquité tardive – est un produit que les auteurs décrivent comme une herbe constituée de brins ou de bâtonnets […] et exhalant une odeur de citron […], ce qui faisait de lui un constituant des onguents parfumés. […] C’est également lui que Posidonios, Aëtius, Oribase et Paul d’Égine mentionnent sous les noms zarnabo/arnabo. Nous savons, de plus, par Oribase que c’est un produit étranger au monde gréco-romain […] et par diverses sources arabo-musulmanes qu’il provient d’Orient. » La recherche botanique et phytochimique permet de sélectionner un certain nombre de cupressacées riches en molécules à note citronnée, notamment en limonène, et en particulier une variété endémique du nord de l’Iran (côte sud de la mer Caspienne), Cupressus sempervirens L. var. horizontalis (Mill.) Gordon, qui porte encore localement le nom de zarbin. À ses qualités aromatiques s’ajoute une efficacité récemment reconnue par des chercheurs iraniens dans le traitement de l’herpès. Bellakhdar fonde sur cet ensemble de données l’identification qu’il propose (p. 38) : « le zarnab des textes anciens est vraisemblablement ce cyprès du Golestan ou un autre Cupressus à limonène dont les feuilles auraient été autrefois importées dans le Fars [la Perse] en provenance de l’Himalaya et qui aurait reçu, en arrivant en terre perse, le nom de l’espèce endémique locale. » L’Antiquité gréco-romaine n’est plus concernée (p. 39-49) par le transfert du nom zarnab à d’autres espèces orientales présentant des caractères plus ou moins proches. On notera seulement que la zédoaire indiquée sans réserve dans LSJ ne figure pas parmi elles, et que cette équivalence ne saurait par conséquent être admise comme un fait reconnu.
25S.A.
26ἄσµενος : « joyeux, content » (Hom., trag., ion.-att.). – Ét. : En faveur de l’hypothèse, déjà défendue ici (CEG 7 s.u. = DELG 2009, 1274), qui rattache ἄσµενος à la racine i.-e. *nes- de νέοµαι « rentrer sain et sauf » et postule, pour ce participe, un étymon *n̥s-meno- et une filière sémantique « s’étant sauvé > heureux d’être sain et sauf » (cf. ἄσµενοι ἐκ θανάτοιο « heureux d’être sauvés de la mort » [Od. 9,63, etc.]), se reporter désormais à l’article de Ch. de Lamberterie, Hommage Romilly (2014), p. 185-205, avec histoire de la question et références.
27P.R.
28ἀσπίς, -ίδος : f. « bouclier (rond) » (Hom., ion.-att.). – Ét. : Les données anatoliennes analysées par H.C. Melchert dans Verba Docenti (= Studies Jasanoff), 2007, p. 253-258, permettraient de fournir une étymologie convaincante à ce terme. La racine verbale sous-jacente serait *h2esp- « couper », représentée par hitt. et louv. cunéiforme ḫašp-, qui signifie « couper, abattre » (en parlant d’arbres), d’où, par extension au vocabulaire militaire, « détruire, tuer ». Le substantif grec ἀσπίς remonterait à un nom d’action *h2(e)sp-i- « action de couper ; chose coupée » > « peau, cuir » > « bouclier » (par synecdoque), élargi secondairement en *-d-. De fait, le type de bouclier dénoté par ἀσπίς était principalement constitué de plusieurs épaisseurs de cuir. L’évolution sémantique serait comparable à celle de gr. σάκος « bouclier (long) » en face de véd. tvác- « peau ». Melchert évoque les problèmes de vocalisme posés par ce dernier rapprochement si l’on veut également rattacher hitt. tu(e)kka- « corps, personne » à véd. tvác- « peau », et il renvoie sur ce point à une étude de B.D. Joseph (Mem. Ben Schwartz, 1988, p. 205-213), qui tendait à séparer hitt. tu(e)kka- de gr. σάκος et véd. tvác- (à l’inverse, en faveur d’une parenté entre hitt. tu(e)kka- et véd. tvác- à l’exclusion de gr. σάκος, voir EDHittIL 885-886, 896-897, avec bibl.). Mais il préfère maintenir ce vieux rapprochement de gr. σάκος avec véd. tvác-, dont le dérivé sigmatique (°)tvacas- fournirait un correspondant exact au neutre grec. Voir cependant EWAia I, 684, avec des indications bibliographiques dont, notamment, une étude de S. Jamison, IIJ 29/3, 1986, p. 169-170 et p. 179 n. 7, qui s’efforce de montrer, au moyen d’un examen de la métrique, que (°)tvacas- doit être une innovation de date védique. Si Beekes, EDG II, 1302, préfère voir dans σάκος un emprunt sémitique, cette préférence semble toutefois s’appuyer uniquement sur une référence à É. Masson, Emprunts sémit. p. 24-25, qui concerne en réalité le masculin σάκ(κ)ος « sac », et non le neutre σάκος « bouclier ». On pourrait également évoquer comme parallèle sémantique le cas, plus simple, de véd. cárman- : ce nom, issu de la racine *(s)ker- « couper » à laquelle remonte par exemple gr. κείρω « couper (dit entre autres, comme hitt.-louv. ḫašp-, du fait de couper des arbres), tondre ; ravager, détruire », signifie non seulement « peau, cuir », mais aussi, secondairement, « bouclier ». La racine *h2esp- se retrouverait, en outre, dans lat. asper « rocailleux, rugueux, rude, âpre » : selon Melchert, cet adjectif proviendrait de *h2esp-i-ro- « coupant, qui coupe », dérivé en *-ro- du nom d’action en *-i- reconstruit d’après grec ἀσπίς, plutôt que de *h2esp-aro- ou *h2esp-ero- ; pour le sens, cf. angl. mod. sharp « tranchant, coupant, aigu » (< germ. *skarpaz « coupant », de la racine *(s)ker- « couper »), qui, en vieil anglais, présentait aussi des sens tels que « rocailleux, rugueux, rude, âpre » et pouvait traduire lat. asper.
29É.D.
30Ἀττικός, -ή, -όν : « d’Athènes ». – Généralement considéré depuis Dittenberger, Hermes 41, 1906, p. 217, comme dérivé de Ἀτθίς (ainsi Chantraine, DELG s.u.), mais cette interprétation ne satisfait pas, car une telle désaspiration serait sans parallèle en grec. L’hypothèse d’un emprunt (ainsi Saussure chez Godel, Sources manuscrites [1957], p. 15, et Beekes, EDG s.u.) n’est pas nécessaire pour autant, car le mot s’explique comme un dérivé de ἀκτή « péninsule ». Tous les arguments pertinents sont déjà réunis par C. Angermann, Stud. zur griech. und lat. Gramm. 9, 1876, p. 252-255 : vraisemblance de ἀκτή comme désignation de l’Attique (p. 254), dissimilation dans *-κτ-κ-, usure phonétique facilitée par la fréquence d’emploi (p. 255), sans compter les témoignages de dénominations anciennes Ἀκτή, Ἀκταία, Ἀκτική (p. 254), que l’on peut mettre en doute. Tout au plus l’existence de l’hypocoristique Ἀτθίς a-t-elle pu favoriser la généralisation des formes dissimilées Ἀττικός, Ἀττική. Comme l’observe Dittenberger (l.c.), les graphies Α(τ)θικο- à Épidaure peuvent être des réfections plutôt que des archaïsmes.
31R.V.
32αὔρα : f. « brise, brume légère » (Hom. +). – Ét. : En raison des problèmes que pose le rattachement de αὔρα à la famille de ἄηµι « souffler » (détails DELG 142a s.u. αὔρα et 26b s.u. ἄηµι), le rapprochement entre hom. αὔ-ρη et ϝ-ήρ (> ήρ) est formellement plus satisfaisant en ce que le premier, en tant que thème en -ρη, paraît tiré du thème en *-r/n- que suppose le second, sur le modèle de αἴθ-ρη / αἰθ-ήρ (cf. Risch, WHS § 29a), mais il faut encore expliquer les écarts de structure et de sens entre les deux termes. Ces deux difficultés ont été levées par Kiparsky, Lang. 43, 1967, p. 626, qui a montré que -ήρ (cf. éol. αὔ-ηρ) repose sur un ancien nom. sg. du nom de l’« aurore », *ausḗr (< *h2(e)us-ḗr, avec traitement intervocalique du groupe *-us- : cf. s.u. 1 ἕως) en regard de αὔ-ρ-ᾱ /-ρ-η (<*h2(e)us-r-ā, cf. véd. usrā́-, lit. aušrà) dont la forme résulte de l’aboutissement du traitement pandialectal du groupe *-us- dans une séquence VRhC (cf. s.u. αὖρι). Quant aux sèmes de « brume légère » et de « brume matinale » qu’il faut postuler pour assurer le lien entre la famille de ήρ, ἦρι, αὔριον, ἕως et celle de αὔρα, ils sont indubitablement présents simultanément dans Od. 5,469 : αὔρη δ᾿ ἐκ ποταµοῦ ψυχρὴ πνέει ἠῶθι πρό « une brume matinale glaciale souffle du fleuve aux approches de l’aurore ». En ce sens, v. aussi Beekes, EDG I, 171-172 s.u.
33P.R.
34αὖρι : « rapidement » (AB, 464 et Hsch. α 8338 Latte s.u. αὐριβάτας = Æsch. fr. 280 Radt). – Ét. : La solution la plus économique et la plus crédible consiste à donner à αὖρι le sens primitif de « à l’aube, à l’aurore » (DELG 142b s.u.) et à suivre Kiparsky, Lang. 43, 1967, p. 625, qui tient cet adverbe non pour un « composé » (sic, Chantraine) mais pour un ancien locatif figé du nom i.-e. de l’« aurore » qui, contrairement à ἦρι et à ήρ (v. s.uu.) mais parallèlement au loc. véd. us-r-í, a généralisé le degré zéro du suffixe. On partira donc de *h2(e)us-r-i > proto-gr. *ausri > *auhri (absence d’interversion de la sonante et de la sifflante réduite à un souffle sourd dans une séquence VRhC) > *auri (amuïssement du souffle sourd et maintien de la sonante en position de second élément de diphtongue) > gr. αὖρι (cf. aussi s.u. αὔρα). Données morphologiques complémentaires chez Peters, Untersuchungen (1980), p. 33-34, Hajnal, HS 105, 1992, p. 60 et n. 11, Stüber, s-Stämme (2002), p. 106 et NIL, p. 358 et n. 40 ; v. aussi Beekes, EDG I, 172 s.u.
35P.R.
36ἄχυρα : pl. n. « paille ». – Le singulier ἄχυρον n’a pas, du moins dans les textes agronomiques de Théophraste, la relative rareté que lui attribue le DELG : sur les 6 occurrences répertoriées dans l’Index rerum et verborum de l’éd. Wimmer (1854), on compte 4 fois le singulier, 2 fois le pluriel. Ajouter d’une part le sens de « fanes », seul approprié dans CP IV, 12, 8 où τὰ ἄχυρα désigne les tiges, feuilles et cosses des fèves dont le battage sur l’aire a séparé les graines ; d’autre part l’adjectif composé πολυάχυρος « qui a beaucoup de paille », hapax de CP IV, 11,4.
37S.A.
38Sur le dérivé ἀχυρµιαί (Hom., AP) « tas de paille », voir F. Bader, Suffixes grecs en -m- (1974), §§ 29 et 32 ; sur la finale -υρα (-υρον), Ch. de L., Adj. en -υς, § 204 et n. 18 (p. 580).
39Ch. de L.
40ἀωτέω – Le dossier concernant le sens et l’étymologie de ce verbe a été renouvelé par D. Kölligan et D. Matić, IJDLLR 3, 2006, p. 51-59, qui considèrent ce verbe comme un dérivé de ἄωτον / ἄωτος « flocon de laine, etc. ». Suivant une analyse avancée par B. Jacquinod (CEG 2 s.u. = DELG 2009, 1279), ce substantif serait un ancien nom du type νόστος, issu de *h2u̯óhl-to-, répondant à ἄηµι « souffler » (< *h2u̯ehl-) et signifiant originellement « gonflement » (résultat de l’action de souffler). Pour des raisons sémantiques liées à la difficulté de rattacher ἀωτέω à l’idée d’un gonflement, D. Kölligan et D. Matić adoptent plutôt comme sens premier de *h2u̯óhl-to- celui de « souffle, respiration ». Ils avancent par ailleurs une reconstruction concurrente plus complexe pour ἄωτον / ἄωτος, d’après un schéma dérivationnel inspiré par une étude de B. Vine (Glotta 78, 2002, p. 203-221) : ἄωτον / ἄωτος remonterait à un nom d’action *h2u̯óhl-o- « souffle », dont l’instrumental *h2u̯óhl-o-hl (« avec souffle ») aurait servi de base de dérivation à un adjectif en *-to-, *h2u̯ohl-ohl-tó- > *ἀωτός « pourvu de souffle, qui respire », substantivé dans ἄωτον / ἄωτος. Pour le sens de « flocon de laine », etc., il faudrait admettre un passage sémantique de l’idée de « souffler » vers celle de « planer, flotter dans l’air », ἄωτον / ἄωτος étant alors « ce qui plane, ce qui flotte dans l’air, ce qui est léger » ; les auteurs évoquent comme parallèle le cas de lat. plūma « plume », mot qui se laisse peut-être rattacher à la racine *pleu̯- ou à la racine *pleu̯k-, dénotant l’idée de « nager » ou de « flotter dans l’air » (voir le dossier chez De Vaan, EDL 474). La disparition attendue du reflet de la laryngale initiale dans le contexte #HRo- suivant l’effet de Saussure aurait été entravée par l’influence analogique de ἄηµι. Le sens premier de ἀωτέω serait alors « souffler, respirer », et la construction de ce verbe avec l’accusatif du nom du sommeil, ὕπνος, pourrait être rapprochée des syntagmes θερµὸν ἄησιν ὕπνον « il/elle exhale un chaud sommeil » (Æesch. fr. 287 Mette = 177a Radt) et, avec une autre famille étymologique, ὕπνον βαρὺν ἐκφυσῶντας « exhalant un sommeil pesant » (Thcr. 24,47) ; en latin, cf. toto proflabat pectore somnum « il exhalait le sommeil de toute sa poitrine », « il ronflait à pleine poitrine » (Virg., Én. 9, 326).
41É.D.
42ἄωτον : n. et ἄωτος m. « flocon de laine, etc. » –. [Ajouter à la notice de B. Jacquinod dans CEG 2] Voir aussi la notice s.u. ἀωτέω.
43É.D.
44βαλλίον : « phallus » (Hérondas 6,69). – Parmi les dérivés, ajouter les anthroponymes Βάλλις et Βαλλᾶς (Colophon, ive s. a.C.) ainsi que Βιλλᾶς (Thèbes du Mycale, ve a.C. et Colophon fin ive), lequel est bâti sur la glose d’Hérodien (p. 158 Lentz) : βίλλος […] ἀνδρεῖον µόριον : cf. L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 83.
45P.R.
46βατταρίζω « bredouiller » (Hippon. +), Βάττος (Hdt. +), etc. – Avec O. Masson, OGS I, 269-283, reconstruire, à la base du sobriquet Βάττος, nom du célèbre fondateur de Cyrène, et comme l’y invite expressément Hérodote (4,155 παῖς ἰσχνόϕωνος καὶ τραῦλος « enfant à la voix grêle et bègue »), un adjectif *βαττός « bègue » duquel on tirera également sans difficulté (cf. L. Dubois, Hommages Skoda [2014], p. 84) le sobriquet Βα(τ)τᾶς (Colophon, Panticapée, ive s. a.C.) « Lebègue ». Malgré Chantraine, DELG 170a s.u. il semble difficile de tirer directement βατταρίζω de l’anthroponyme Βάτταρος (Hérondas 2,5). Il vaut mieux suivre Dubois, o.c., p. 84 n. 42 et postuler l’existence d’un adjectif *βαττ-αρός sur lequel fut formé βατταρ-ίζω ainsi que Βάτταρος (avec recul attendu de l’accent), lequel est lui-même à la source du sobriquet Βατταρᾶς (IG XII 6, 2, 652) : cf. Masson, OGS I, 111-115.
47P.R.
48βλιµάζω : « tâter, palper ». – Ajouter, dans la famille, à côté de βλίµη glosé par προπηλακισµός, ὕβρις (Hsch.), l’hapax βλιµῶδες (n.) qui qualifie une plaie, avec le sens de « violent, sauvage », variante du Corp. Hipp., Blessures de tête, c. 19, connue par la tradition d’Oribase ; voir J. Jouanna, REG 125, 2012, p. 273-282.
49F.S.
50γιγνώσκω : « apprendre à connaître, reconnaître » (Hom., ion.-att., etc.). – Parmi les dérivés nominaux étudiés DELG 224b, le neutre γνῶµα est cité avec le double sens de « signe de reconnaissance » et de « jugement », ce qui correspond à l’enseignement traditionnel (LSJ, Bailly, etc.). Nick van der Ben (« The meaning of ΓΝΩΜΑ », Glotta 73, 1995-96[97], p. 35-55) montre qu’en réalité γνῶµα ne signifie jamais « opinion, jugement » (γνώµη), ni « essai », ni « connaissance, avis, pensée », mais seulement « moyen de savoir, signe (de) ». En cette fonction, « le mot γνῶµα n’est pas le nom de quoi que ce soit », mais « seuls des objets déjà identifiés peuvent être prédiqués ou référés par γνῶµα » (p. 47-48). L’auteur discute en détail plusieurs textes où figure le mot (notamment Empédocle, fr. 110,10 DK), passages généralement mal compris jusqu’ici, voire souvent corrigés à tort. γνῶµα présente par ailleurs quelques spécialisations déjà connues (p. 52, 54-55) : « certaines dents d’un animal, en tant que signe de son âge » (synonyme γνώµονες), « marque de propriétaire sur un animal » (et par extension « tête de bétail »), « instrument de géomètre » (synonyme γνώµων).
51R.V.
52δεσπότης : m. « maître de la maison ». – Ét. : Le mycénien do-po-ta (hapax, théonyme, Docs.2 p. 541, DMic s.u.) renouvelle la question de l’étymologie. Une restitution *dm̥s- (G. Neumann, o-o-pe-ro-si [= Fest. Risch], 1986, p. 493) n’est guère possible (cf. myc. da-ko-ro s. u. ζακόρος ; rien n’étaie un traitement différent devant p). L’hypothèse d’une assimilation vocalique *despotā- > *dospotā- en mycénien (M. Peters, Novalis Indogermanica [= Fest. Neumann], 2002, p. 36016) est peu satisfaisante, car contraire à la chronologie des attestations. On préférera l’interprétation proposée voici un demi-siècle par Szemerényi, qui lit myc. dospotā- et voit dans δεσπότης une dissimilation (d’un type fréquent dans d’autres langues, mais à vrai dire rare en grec) : Syncope, p. 3771, 410 ; Scr. Min. III, p. 1582 [< article de 1971], 1443 [1974], 1510 [1979]. La restitution d’un génitif indo-européen *déms devrait dès lors être corrigée en *dóms, avec toutes les conséquences que cela implique pour la théorie des paradigmes nominaux, où le vocalisme *déms se voit accorder une confiance aveugle et un rôle de prémisse démesuré par rapport à sa base factuelle.
53R.V.
54Pour les comparatistes, la question reste ouverte et elle ne saurait donner lieu ici à une discussion détaillée. Il est regrettable que ni le nom i.-e. de la « maison » ni celui du « maître » n’apparaissent dans l’ouvrage, très bon par ailleurs, de D. Wodtko, B. Irslinger et C. Schneider, Nomina im Indogermanischen Lexikon (NIL), 2008.
55Ch. de L.
56δίδωµι : « donner, offrir ». – Citant au début de l’article du DELG les différents thèmes verbaux, Chantraine indique le futur δώσω, puis il remarque : « mais sur le thème de présent διδώσω, Od. 13,358, 24,314, peut-être avec le sens d’“offrir”, cf. Chantraine, Gr. Hom. 1, 442, malgré Schwyzer, Gr. Gr. 2, 266 ». Dans sa Grammaire homérique (l.c.), Chantraine est plus précis : « Le futur de δίδωµι est comme en ionien-attique δώσω (A 96, etc.), mais on a deux exemples de διδώσω (ν 358, ω 314) constitué sur le thème de présent au sens ‘indéterminé’ d’offrir ». Cette idée avait été développée auparavant par d’autres linguistes (notamment Brugmann, v. ci-dessous), mais aussi combattue : « Auch daß hom. διδώσω und δώσω als infektives und konfektives Futurum unterscheiden (Brugmann4 553), läßt sich nicht halten » (Schwyzer-Debrunner, Gr. Gr. II, p. 266). Malgré les réserves de Schwyzer-Debrunner, ces deux occurrences d’un futur à redoublement de δίδωµι poursuivent leur carrière. Elles sont indiquées chez H. van de Laar, Gr. Verb. (2000), p. 118, chez Y. Duhoux, Verb. Gr. (2000), p. 462, et chez Beekes, EDG I (2010), p. 331. L’isolement de ces formes et la constatation que, ces deux occurrences mises à part, le futur de δίδωµι est toujours δώσω, du mycénien (do-se / dōsei/) au grec byzantin, sont deux raisons qui amènent à douter de la réalité de ce prétendu futur redoublé. En fait, les deux passages de l’Odyssée admettent, pour le sens et pour la forme, le futur du verbe ἐπιδίδωµι, ἐπιδώσω. Le verbe ἐπιδίδωµι signifie soit « donner en dot », soit « donner en plus ». Ce dernier sens est possible en ν 358, où, après avoir remercié les Naïades par ses prières, Ulysse promet de leur donner, en plus, de magnifiques cadeaux dès qu’il le pourra, et en ω 314, où Épérite déclare avoir vu Ulysse, l’un et l’autre s’étant engagés à renouveler leurs relations d’hospitalité et à se donner, en plus, des présents magnifiques. Pour ce qui est de la forme, on constate que l’élision de l’alpha final de δῶρα « présents » est assez fréquente dans l’Iliade (9 formes élidées pour 45 non élidées), mais rare dans l’Odyssée (2 formes élidées pour 36 non élidées). Il y a donc eu, entre l’Iliade et l’Odyssée, une diminution des élisions. Si l’on admet que le texte de ν 358 et ω 314 contient des formes aberrantes qui ne peuvent être que des créations artificielles, on peut penser que les vers originaux étaient *χαίρετ′ · ἀτὰρ καὶ δῶρ′ ἐπιδώσοµεν, ὡς τὸ πάρος πέρ (ν 358) et *µίξεσθαι ξενίῃ ἠδ′ ἀγλαὰ δῶρ′ ἐπιδώσειν (ω 314). Comme les élisions sont en recul, il est permis de penser que des aèdes ont restitué δῶρα et que, pour rétablir le dactyle, ils ont été obligés de remplacer le préverbe ἐπι- par une syllabe unique, brève, et n’ont trouvé pour cela que l’élément δι- qui figure au présent. Le résultat, καὶ δῶρα διδώσοµεν/διδώσειν semble donc bien être, comme D.L. Page l’a déclaré, un « monstrum rhapsodicum ». Il n’y a pas de futur à redoublement pour τίθηµι, ἵηµι ou ἵστηµι ; il n’y a pas lieu d’en admettre un pour δίδωµι sur la foi de ces deux uniques témoignages. Voir A. Blanc, « L’élision dans l’Odyssée et le futur de δίδωµι », dans Polyphonia Romana (= Hommages Biville), I (2013), p. 19-26.
57A.B.
58διερός : « vif, rapide » (Homère), « liquide, fluide, humide » (à partir d’Hésiode). – Selon J.-L. García Ramón (RPh 65/1, 1991[93], p. 105-117), il s’agirait bien dans ces deux sens d’un seul et même mot, comme le pensait P. Chantraine (DELG p. 281). L’adjectif διερός remonterait à la racine *di̯ehl- / *dihl- « se hâter », dont provient notamment le verbe δίεµαι « se hâter, s’élancer ». La notion de « vivacité, rapidité » serait première. Celle d’« humidité » résulterait d’un effacement du sens hérité au profit d’un emploi contextuel (« [vivacité, rapidité associée à] humidité »). Ce passage sémantique aurait été favorisé par le fait que ces deux notions étaient assez proches pour les Grecs (cf. DELG p. 281), et il se serait peut-être effectué à partir de cas-limites où il était question d’eau courante ; pour un parallèle, cf. véd. (°)jīrá- « vif » (< *gu̯ih3-ró-) / jīrí- (< *gu̯ih3-rí-) « eau courante ». Cette évolution sémantique ne s’observerait pour διερός qu’à partir d’Hésiode, mais elle doit être plus ancienne, car le verbe διαίνω (qui devait signifier anciennement « rendre vif, vivifier », cf. s.u.) présente déjà le sens de « mouiller » dans l’Iliade. Sur le plan formel, διερός serait issu de *dihl-ró-, formation comparable à βριαρός « fort, vigoureux » et µιαρός « souillé, impur », qui remontent à *gu̯rih2-ró- et *mih2-ró- (plutôt qu’à des formations en *-eró-). Deux analyses sont alors envisagées par J.L. García Ramón (o.c., p. 113 n. 33 ; Rekonstruktion und relative Chronologie, 1992, p. 200 n. 95) : ces dérivés en *-ró- auraient été resyllabés en *dii̯ǝl-ró-, *gu̯rii̯ǝ2-ró- et *mii̯ǝ2-ró- (« doublets Lindeman »), ou bien, ce qui serait peut-être plus convaincant (cf., pour βριαρός et µιαρός, J. Rau, IE Nom. Morph., 2009, p. 166 n. 10, référence indiquée pour βριαρός dans CEG 12, p. 295), ils auraient été refaits en -ερός ou en -αρός d’après la base verbale correspondante (διερός d’après δίεµαι, 3e pers. du pluriel δίενται « se hâter, s’élancer » < *dihl-entoi̯ ; βριαρός d’après *βρίᾱµι, 3e pers. du pluriel *βρίαντι < *gu̯rih2-enti, cf. βριάω « rendre fort, être fort » ; µιαρός d’après µιαίνω « teindre ; souiller » < *mih2-n̥-i̯e/o-).
59É.D.
602 εἴρω « dire, déclarer ». – Au nom d’action ῥῆσις (Od. +) « parole » se rattachent les anthroponymes composés Ῥησίδικος, Ῥησίµαχος, Ῥησισθένης, à partir desquels ont été créés les abréviatifs Ῥῆσος et Ῥησώ, v. la notice s.u. Ῥῆσος.
61M.E.
62ἐννέα : nom de nombre « neuf ». – On admettra, à la suite d’A. Yasur-Landau (SMEA 47, 2005, 299-307), que le composé mycénien qualifiant des tables d’apparat e-ne-wo-pe-za (sg.) / e-ne-wo-pe-zo (du.), dont le sens restait discuté (cf. DMic s.u.), fait référence à des tables à neuf pieds, et non mesurant neuf pieds de long. La proposition de Yasur-Landau repose sur une analyse d’inventaires hittites et akkadiens qui attestent l’existence de petites tables d’apparat démontables et stockées en pièces détachées. Des trouvailles archéologiques (à Tirynthe et à Chypre) permettent d’assurer qu’il en était de même dans le monde grec de l’Âge du Bronze (voir en dernier lieu M.S. Speciale, « Furniture in Linear B : The Evidence for Tables », in Proc. 8th Cret. Coll., 231). Yasur-Landau renvoie également, pour les pieds eux-mêmes, à la documentation égéenne et proche-orientale contemporaine (sceaux de Kültepe ou d’Ebla, artefacts d’Ougarit et du domaine hittite). Il en ressort que le composé mycénien signifie « pourvue(s) de neuf éléments constituant les pieds ». Voir aussi infra ἕξ s.u.
63N.G.
64Ét. : L’origine de ce numéral a donné lieu à d’innombrables études, l’un des problèmes principaux étant de savoir comment rendre compte de la relation avec la forme arménienne inn, qui a en commun avec le grec de présenter une initiale *e- absente des autres langues indo-européennes, sans toutefois qu’on puisse restituer un étymon commun au grec et à l’arménien. Bon état de la question, avec une abondante bibliographie, chez Martirosyan, EDArmIL s.u., p. 301-3.
65Ch. de L.
66ἕξ : nom de nombre « six ». – À propos de myc. we-pe-za qualifiant une table, l’article d’A. Yasur-Landau (SMEA 47, 2005, 299-307) oblige à reconsidérer le sens de ce composé : comprendre désormais « pourvue de six éléments constituant les pieds ». Voir aussi supra ἐννέα s.u.
67N.G.
68Une inscription sur plomb en dialecte ionien du ve s. a.C. découverte à Pech Maho (près de Narbonne, département de l’Aude, dans le sud de la France) a révélé deux nouveaux mots grecs qui sont les éléments d’une série métrologique à suffixe -ανιο- jusqu’alors inconnue, à savoir ἡµιεκτάνιον « demi-sizain » et ἡµιοκτάνιον « demi-huitain », attestés l’un et l’autre après l’ordinal τρίτον, donc au sens de « deux sizains et demi » et « deux huitains et demi », l’unité de référence étant probablement le statère. Comme ἡµιοκτάνιον est formé sur le cardinal ὀκτώ, la forme ἡµιεκτάνιον a chance d’être, plutôt qu’un dérivé de l’ordinal ἕκτος, un lapsus pour *ἡµιεξάνιον (bâti sur le cardinal ἕξ) par écho de ἡµιοκτάνιον dans la mémoire du graveur. Voir l’ensemble du dossier chez M. Lejeune, CRAI 1988, p. 530-534 et Rev. Arch. de Narbonnaise, 21, 1988, p. 43, 45 et 51.
69Ch. de L.
70ἐρέχθω : « battre, marteler » (Il. 23,317 ; Od. 5,83 ; H. Ap. 358, Proclos). – Cl. Le Feuvre, RPh 85, 2011[14], p. 271-272 et 276-277, a montré que ἐρέχθω ne signifie pas « briser » (sens à la rigueur possible en Od. 5,82-83) mais « marteler, battre », comme le prouve Il. 23,316-7 : µήτι δ᾿ αὖτε κυβερνήτης ἐνὶ οἴνοπι πόντῳ / νῆα θοὴν ἰθύνει ἐρεχθοµένην ἀνέµοισι « c’est par l’intelligence encore que le pilote, sur la mer couleur de vin, dirige la nef rapide battue par les vents », passage dans lequel la nef n’est pas brisée par les vents puisqu’elle continue à voguer dans la tempête.
71Ét. : L’analyse ci-dessus ainsi que celle développée s.u. ῥοχθέω amènent Cl. Le Feuvre, l.c., p. 289-292, à reconsidérer favorablement le rapprochement jadis proposé entre gr. ἐρέχθω et le groupe de véd. rákṣas- « dommage, blessure », v.-av. rašah- « id. » car, dès lors que ἐρέχθω ne signifie pas « briser » mais « battre, marteler », l’obstacle sémantique est levé. Quant à ῥοχθέω, l’itératif de ἐρέχθω, il trouve un correspondant exact dans l’itératif iranien rāšaya- (av. réc. rāšaiieṇte « ils blessent », Yt. 10,21, etc.), si l’on admet que ce dernier procède de *răśšaya- et que l’ā de la forme attestée a été introduit secondairement après la chute de *ś qui transformait la syllabe initiale originellement fermée en une syllabe ouverte et entraînait une régularisation consécutive à la distribution issue de la loi de Brugmann. S’il ne fait aucun doute par ailleurs que gr. ἐρέχθω et ῥοχθέω reposent respectivement sur *hlreghdh-e/o- / *(hl)roghdh-eye/o- (avec chute de *hl- initial imputable à l’« effet Saussure »), il est plus difficile de reconstruire une racine commune au grec et à l’indo-iranien. L’ir. -š- présupposant un groupe *-k̑s- ou *-tk̑-, on pourra concilier l’ensemble des formes soit en posant *hlrek̑s- pour l’indo-iranien et une forme élargie *hlrek̑s-dh- pour le grec (ainsi LIV2, p. 505 s.u. *(hl)rek̑s-, solution jugée improbable par Beekes, EDG I, p. 456 s.u.), soit en posant *hlretk̑- pour l’indo-iranien et *hlretg̑h- pour le grec, en admettant que la variation du mode d’articulation de la consonne finale est imputable à d’anciennes formes athématiques (Cl. Le Feuvre). Quoi qu’il en soit du détail, on tiendra le rapprochement entre formes gr. et i.-ir. pour assuré.
72P.R.
731 ἕως : f. « aurore, matin » (Hom. +). – Ét. : On admet aujourd’hui que le nom i.-e. de l’« aurore » est un dérivé de la racine verbale *h2wes- / *h2us- « devenir clair comme la lumière matinale » (cf. LIV2, p. 292-293 s.u.) et on reconstruit, à la base de ce substantif et sur la foi des données indo-iraniennes, un neutre sigmatique à apophonie radicale et suffixale *h2éus-os- / *h2us-(s)-és (cf. Meillet, MSL 9, 1896, p. 369 n. 1 ; détails : EWAia I, 236 s.u. uṣás- et Stüber, s-Stämme [2002], p. 104-105) en regard duquel le grec a généralisé le degré o du suffixe. Si l’on n’a aucun moyen de savoir si les formes grecques reposent en définitive sur *h2eus-os- (degré plein radical généralisé) ou sur *h2us-os- (degré zéro radical généralisé), puisque l’un et l’autre aboutissent régulièrement à *aus-os- en proto-grec (cf. Peters, Untersuchungen [1980], p. 31-32, Stuber, o.c., p. 208 et NIL, p. 358 s.u. et n. 31), on ne peut plus, avec Chantraine, DELG 394-5, Lejeune, Phonétique, §§ 85, 187 et 225, et Ruijgh, Scr. Min. I, p. 557, rendre compte de la voyelle initiale longue desdites formes grecques en partant de *āus-os-, autrement dit en projetant en proto-grec une diphtongue à premier élément long héritée, alors même qu’elle n’est attestée nulle part ailleurs. Comme l’a montré Kiparsky, Lang. 43, 1967, p. 621 et 624-625, suivi par Lamberterie, Autour de Michel Lejeune (2009), p. 93 (cf. aussi Beekes, EDG I, 493 s.u. mais sans renvoi à Kiparsky), un groupe *-us- intervocalique subit le jeu normal de l’évolution phonétique : l’affaiblissement de la sifflante et sa réduction à un souffle sourd entraînent l’interversion des deux éléments, soit *-us- > *-uh- > *-hw-, traitement exactement parallèle à celui du groupe *-sw- > *-hw-. De la même façon que proto-gr. *nas-wó- « temple » > gr. com. *ναhϝός > éol. ναῦος, dor. νᾱός, ion. νηός, att. νεώς, on expliquera l’ensemble des formes grecques en partant de proto-gr. *aus-os- > *auh-os- > gr. com. (nom. sg.) *ἀhϝώς > éol. αὔως (avec assimilation de *-h- à la sonante subséquente), dor. ώς (avec allongement compensatoire, c’est-à-dire assimilation de *-h- à la voyelle précédente), ion. ἠώς, att. ἕως (avec abrègement de η en ε devant ω [cf. Lejeune, o.c., § 281], recul de l’accent sous l’influence de l’adverbe ἕωθεν « depuis l’aurore » [cf. DELG ibid., Ruijgh, Études, § 32 n. 49 et Stüber, ibid.] et esprit rude emprunté à ἥλιος ?).
74P.R.
75ζηµία : f. « dommage, perte, amende ». – O. Szemerényi (Mél. Chantraine, 1972, p. 247 = Scr. Min. III, 1987, p. 1386) rapproche plausiblement av. ziiāna-, ziiāni- « dommage, blessure », pers. ziyān « dommage, préjudice, perte ». Sur la racine sous-jacente, voir Mayrhofer, EWAia I, 602-3 (JYĀ) ; Kümmel, LIV2, 167 : « ?*ĝi̯eH- ‘berauben’ », à préciser dès lors en *ĝi̯eh2-.
76R.V.
77ἠέριος : 1) « brumeux » (Hom., Arat., A.R.) ; 2) « auroral, matinal » (Hom., A.R. 3,417). – [Ajouter à DELG 407a, l. 16 :] Discussion récente et commode des données homériques chez Hajnal, HS 105, 1992, p. 67.
78Ét. : Étant donné que le sens 2) permet de tirer l’adjectif ἠέριος de l’adverbe ἦρι « de bonne heure, dès l’aurore » (cf. αὖρι / αὔριον, πρω / πρώϊος) et que la longue initiale de ἦρι interdit tout rapprochement avec le neutre av. aiiar- « jour » et le premier terme de l’ancien composé ρῑστον « repas du matin », on suivra Kiparsky, Lang. 43, 1967, p. 625, Hajnal, l.c. et Beekes, EDG I, 510 s.u., qui voient dans ἠέριος un dérivé non contracte de l’ancien locatif adverbialisé du nom i.-e. de l’« aurore », *ἤερι (détails s.u. ἦρι, avec la bibliographie complémentaire), et on admettra que l’hiatus entre ἠ- et -ε- s’y est maintenu en raison des liens étymologiques, morphologiques et sémantiques qui font que ἠέριος est également un dérivé de ήρ/ ἠέρ- : v. détails s.u. ἀήρ.
79P.R.
80ἠϊκανός : « coq » (Hsch.). – Ét. : Chantraine (DELG 408b s.u.) reprend à son compte l’explication largement admise par les indo-européanistes depuis Pott (ainsi Wackernagel, Phil. 95, 1943 [article posthume], p. 182 sq. = Kl. Schr. II, p. 881 sq., résumé chez Risch, Sprachwissenschaft und Philologie [= Koll. Wackernagel], 1990, p. 242), qui voient dans ce terme un ancien composé régressif de sens actif signifiant originellement « qui chante à l’aurore » et dont le second membre contiendrait le seul reflet grec de la racine *kan- attestée par ailleurs dans lat. canō, -ere « chanter » (cf. Risch, l.c., p. 237, 243-244 et LIV1, p. 305 s.u. *kan-). Il s’agit donc d’un composé dont la création remonte nécessairement à une date assez haute. Or, si Risch (l.c.) a émis à l’égard de cette explication des réserves qu’on ne peut totalement ignorer, il n’a soulevé en définitive qu’une objection véritablement dirimante, dont on se fait parfois encore l’écho (ainsi NIL, p. 358 et 363 n. 25), selon laquelle le coq domestique n’aurait été introduit en Grèce que durant la seconde moitié du VIIIe s. a.C., époque où ἠϊκανός avait nécessairement perdu toute transparence. Toutefois, depuis que les archéologues ont découvert l’existence de poules domestiques sur le site de Lerne en Argolide à l’époque du Bronze moyen (env. 2000-1550 a.C., v. García-Ramón, Espace civil [2010], p. 75 et A Companion to Linear B, II [2011], p. 228 n. 48, avec réf.), l’objection est levée et l’explication traditionnelle confortée. Le premier terme de ἠϊ-κανός recouvrant très probablement un ancien loc. sg. du nom i.-e. de l’« aurore », *h2(e)us-(s)-i- > proto-gr. *ausi-, on peut, en appliquant le traitement phonétique du groupe *-us- intervocalique tel qu’il a été établi par Kiparsky (v. la notice s.u. 1 ἕως), reconstituer avec précision les étapes qui ont conduit à son émergence : proto-gr. *ausi- > gr. com. *ἀhϝι- > *ϝι- > *ϊ- > ion. (hom. ?) ἠϊ-. V. aussi Peters, Untersuchungen (1980), p. 32 ; Ruijgh, Scr. Min. I, p. 244 et 273 ; Risch, l.c., p. 242-243 ; Hajnal, HS 105, 1992, p. 62 n. 13 ; Beekes, EDG I, p. 512 s.u.
81P.R.
82ἦρι : adv. « de bonne heure, dès l’aurore » (Hom., béot.). – Ét. : La solution retenue par Chantraine (DELG 416-417 s.u.), qui consiste à voir dans ἦρι < *ἤερι un avatar de l’ancien locatif *ἄyερι du nom du « jour » tel qu’il est attesté par l’av. aiiar- (< *h2eyer/n- : détails NIL, p. 258-259 s.u.), oblige à projeter en i.-e. un étymon à degré long radical *āyeri par ailleurs inattesté, y compris en grec, puisque le nom du « repas matinal », ρῑστον (Il. 24,124 ; Od. 16,2), recouvre un plus ancien *
έρῑστον < *ἀyερῑ-δ-το-ν < *h2eyeri-hld-to- et présuppose donc l’ᾰ bref initial attendu. En conséquence, on préférera celle de Kiparsky, Lang. 43, 1967, p. 625, pour qui ἦρι est l’un des reflets de l’ancien locatif en *-er- du nom de l’« aurore » (cf. aussi s.u. ήρ). En appliquant le traitement du groupe i.-e. *-us- intervocalique qu’il a établi (cf. s.u. 1 ἕως), on peut partir d’un étymon proto- gr. *aus-er-i > gr. com. ἄhϝερι > *ϝερι > dor. *ερι, ion. *ἤερι (d’où ἠέριος, v. s.u.) > ἦρι en admettant que la forme a été précocement contractée en raison de son isolement (détails chez Hajnal, HS 105, 1992, p. 57-65 et 70-71). Cette explication rend compte de l’ᾱ- long initial originel d’une façon crédible et économique. Sur le plan morphologique, elle sort la forme grecque de son isolement puisque *aus-er-i, qui est susceptible de remonter aussi à bien à *h2eus-er-i qu’à *h2us-er-i, peut être directement rapporté au loc. véd. sans désinence uṣar- (cf. uṣar-búdh- [RV 1, 44, 1d, etc.] « qui s’éveille à l’aurore ») et, au degré suffixal près, au loc. véd. us-r-í (RV) et à lit. auš-r-à (cf. aussi s.u. αὖρι). Sur le plan sémantique, elle est étayée par le formulaire homérique où ἦρι / ἠρι- et ἠώς sont souvent rapprochés, que ce soit dans la formule Ἠοῦς ἠριγενείης # (Il. 8,508 ; Od. 12,3, etc.) « Aurore, fille du matin », le vers formulaire ἦµος δ᾿ ἠριγένεια ϕάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς (Il. 1,477 ; 24,788, etc.) « dès que parut la fille du matin, l’Aurore aux doigts de rose », ou encore dans Od. 19,319-320 : ὥς κ᾿ εὖ θαλπιόων χρυσόθρονον Ἠῶ ἵκηται # ἠῶθεν δὲ µάλ᾿ ἦρι λοέσσαι τε χρῖσαι τε # « [dressez un lit au mendiant] afin qu’il atteigne l’Aurore au trône d’or, bien au chaud ; dès l’aurore, au point du jour, baignez- le et frottez-le ». Bibliographie et analyse détaillée des données chez Peters, Untersuchungen (1980), p. 32-34, Hajnal, o.c., Stüber, s-Stämme (2002), p. 105-106 et NIL, p. 358 et n. 38. V. aussi Beekes, EDG I, p. 525 s.u.83P.R.
84θολός : m. « saleté dans l’eau ». – Ajouter à « parfois comme adj. (Ath., Olymp.) » la référence à Thphr., CP IV, 11, 3, où il est dit qu’un blé lourd absorbe « une nourriture plus abondante et plus chargée d’impuretés », τροϕὴν … θολωτέραν (texte sûr, conservé dans l’éd. Einarson-Link 1990), qui fait remonter au IVe s. la coexistence en fonction adjectivale de θολερός et de θολός. Peut-être s’explique-t-elle chez un même auteur (cf. CP V, 3,4 θολερώτεροι, sans variante) par une rédaction plus ou moins soignée, s’il est vrai que « les dérivés en -ερος appartiennent surtout à la langue soutenue » (Chantraine, Formation, p. 230).
85S.A.
86θρύπτω : « broyer, briser, ramollir ». – Sous III, à propos de τρυϕή, ajouter au dossier l’expression biblique παράδεισος τῆς τρυφῆς « jardin de délices » (Gen. 3,23), où le sens positif de τρυφή a notablement influencé la littérature chrétienne (v. le commentaire ad Gen. 2,8 dans la Bible d’Alexandrie, 1. Genèse, M. Harl éd., 101). Sur la remotivation et la christianisation de l’anthroponyme égyptien Τριφιόδωρος en Τρυφιόδωρος, v. G. Husson dans Selon les Septante (= Hommage Harl), 1995, p. 433-440, et infra Τρῑφίς s.u.
87N.G.
88ἵππος : m., f., « cheval » (Il. +). – Ét. : Parmi les correspondants celtiques du gr. ἵππος, ajouter gaul. epos, attesté notamment au premier membre de l’anthroponyme Epomeduos, lequel a un correspondant presque exact dans le gr. Ἱπποµέδων : détails s.u. µέδω.
89P.R.
90κέρκος : f. « queue, pénis » (Ar. +, Hsch.). – Parmi les sobriquets dérivés, ajouter Κερκᾶς à Istros et en Thrace (IIe s. p.C.) : cf. L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 83.
91P.R.
92κόκκος : m. 1) « noyau, pépin de grenade » (H. Dém. +) ; 2) « testicules » (Straton, AP 12, 222, 3). – D’après L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 83, le dérivé κόκκων, -ωνος a dû avoir aussi un sens sexuel si on en croit le sobriquet dérivé Κοκκωνᾶς (Luc. Alex. 6).
93P.R.
94κοττίς, -ίδος : f. « tête » (Poll. 2,29), terme dorien. – Parmi les anthroponymes bâtis sur le radical κοττ-, ajouter le sobriquet Κοττᾶς « Grossetête », attesté en Thessalie (IIIe s. a.C.) et en Lydie (Ier s. p.C.), v. L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 80.
95P.R.
96κυδάζοµαι : « injurier » (Æsch. +). – P. Chantraine (DELG 595) tendait, très prudemment il est vrai, à accepter le rattachement du substantif κυδοιµός « tumulte du combat » à la famille de κυδάζοµαι. Une étude de D. Petit (Ktèma 34 [= A-ti-do-ro, Étrennes Perpillou], 2009, p. 89-101) propose désormais de voir dans κυδοιµός un ancien composé dont l’accentuation serait analogique de celle des abstraits en -µός, et qui devrait être séparé du groupe de κυδάζοµαι : il s’agirait d’un composé tautologique d’un verbe *κυδ- « s’élancer » (cf. véd. códati « inciter, aiguillonner, stimuler ») et du substantif οἶµα « élan, assaut » < *hloi̯s(h2)-mn̥, issu de la contamination de l’ancien neutre attendu à degré e *hlei̯s(h2)-mn̥ avec la forme thématique *hloi̯s(h2)-mo- > av. aēšma- « rage, fureur ». Ce composé serait du même type qu’un verbe comme κερτοµέω « s’acharner sur, injurier, outrager », analysé par J.-L. Perpillou (o-o-pe-ro-si [= Fest. Risch], 1986, p. 79-80, repris dans RLGA, p. 120-121 ; cf. CEG 6 s.u.) comme composé de *κερ- « couper » (cf. κείρω) et de *-τεµ- « couper » (cf. τέµνω). La forme thématique en -οιµος s’explique sans difficulté en face du neutre en *-mn̥ : cf. ἀνώνυµος « sans nom » vs ὄνοµα « nom ».
97Le dossier de κυδοιµός a été repris plus récemment par M. Janda (Purpurnes Meer, 2014, p. 258-261). Sans connaître l’étude précédente, M. Janda analyse κυδοιµός comme un composé de deux membres issus des mêmes racines que celles qui sont envisagées par D. Petit, mais dans des conditions assez différentes et, à vrai dire, plus hasardeuses : κυδοιµός serait une kenning signifiant « qui aiguillonne, excite (κυδ-) la rage, la fureur (-οιµος, cf. οἶµα “élan, assaut” et, pour le sens, av. aēšma- “rage, fureur”, ainsi que lat. īra “colère” < *hlei̯s(h2)-eh2) ». Pour le second membre de composé, une difficulté réside dans le fait que le sens de « rage, fureur » ne se trouve clairement attesté qu’en dehors du grec, où il peut s’agir de développements indépendants en iranien et en latin, même si, selon M. Janda, on pourrait songer à le retrouver dans les emplois homériques de οἶµα (Il. 16,752 et 21,252). Pour M. Janda, cette étymologie n’interdirait pas de rapprocher κυδοιµός de κυδάζοµαι (le sens d’« injurier » se laisserait tirer de celui d’« *aiguillonner, stimuler [par des injures] »). L’auteur propose également, mais d’une manière plus ingénieuse que convaincante, de rattacher à cette famille de mots tout le groupe de κῦδος, qui ne devrait pas être compris au sens de « gloire », « force magique » (cf. v.sl. čudo « miracle », que M. Janda sépare donc de κῦδος), mais comme « stimulation, incitation » et « prix de victoire, victoire » (ce dans quoi l’incitation divine se manifeste).
98É.D.
991 κύσθος : m. « sexe féminin » (Eup., Ar.). – À la suite de L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 83, ajouter, comme dérivé du doublet κυσός, le sobriquet Κυσᾶς attesté à Priène (ier s. a./p.C.), ce qui suppose que κυσός signifiait aussi « derrière ». Ce fait est confirmé à la fois par Hésychius (cf. DELG 603a) et par EM 311, 45 : κυσὸν γὰρ εἰώθασιν οἱ κοµικοὶ καὶ τὸν πρωκτὸν καλεῖν « les poètes comiques ont effet l’habitude d’appeler aussi κυσός le derrière ».
100P.R.
101λέγω : « rassembler, cueillir, choisir » (Hom.), d’où « compter, dénombrer, énumérer » (Hom.), puis « raconter, dire » (Hés. +). – Dans le développement consacré aux formations à vocalisme o (B, 625b-626a), P. Chantraine ne cite qu’un tout petit nombre de composés en -λογος, en signalant qu’il en existe beaucoup d’autres ; quant au GEW (II, 95) et à l’EDG (841), on y chercherait en vain le moindre composé à premier membre nominal, les seuls mots mentionnés dans ces ouvrages étant la série de διά-, σύλ-λογος, etc. À l’intérieur de ce vaste ensemble, qui comporte nombre de mots importants pour l’histoire du lexique, il faut distinguer plusieurs types qui se trouvent mêlés dans le DELG alors qu’ils sont différents.
1021) Un groupe cohérent est constitué par les composés en -λόγος, caractérisés par l’accent sur la syllabe -λό- dans l’ensemble de la flexion. Ce sont des composés de dépendance régressifs dont le second membre est un nom d’agent, non attesté au simple, correspondant au présent λέγω (« x-λόγος = ὃς λέγει x »). L’accent est, selon la règle, sur la pénultième du fait que la base radicale comporte une syllabe légère, et ces formations s’intègrent dans le type bien connu de -δόρος, -νόµος, -τόµος, -τρόφος, -φόρος, -χόϝος en regard de δέρω, νέµω, τεµ-, τρέφω, φέρω, χέϝω, etc., auquel s’oppose l’accentuation finale lorsque la base radicale est lourde, ainsi dans -αµοιβός (-ηµοιβός), -ϝοργός, -ποµπός en regard de ἀµείβω, ϝεργ-, πέµπω, etc. (v. Vendryes, Accent, § 249 et Chantraine, Formation, § 7, mais sans mention du couple -λόγος / λέγω). Quant au sens, ces noms d’agent composés en -λόγος reflètent les étapes de l’évolution de λέγω, bien retracées au début de l’article du DELG (625a-b).
103a) La couche la plus archaïque à cet égard, même si ce n’est pas celle dont la date d’attestation est la plus ancienne, est celle qui conserve le sens de « recueillir » (vel sim.). Nos dictionnaires étymologiques n’en citent aucun exemple s.u. λέγω, alors qu’elle a été productive tout au long de l’histoire de la langue pour dénommer des personnes qui exercent un métier ou une fonction : ainsi λιθολόγος (Thc. +) « one who picks out stones for building (LSJ), maçon », avec les dérivés en -έω, -ία, -ηµα (réf. LSJ s.u., ce groupe n’est pas cité DELG s.u. λίθος) ; ἐλᾱολόγος (Ar.) « qui récolte les olives » ; κοπρολόγος (Ar.) « ramasseur d’ordures ou d’excréments » ; εἰκοστολόγος (Ar.) « percepteur du vingtième » et πεντηκοστολόγος (D., inscr.) « percepteur du cinquantième », puis φορολόγος (Spt. +) « collecteur d’impôts », d’où -έω (Plb. +), -ία (Spt. +) ; ξενολόγος (titre d’une comédie de Ménandre, et mot courant à l’époque hellénistique) « recruteur de mercenaires », avec le dérivé en -έω dès le ive s. (Isocr., D. +, v. DELG s.u. ξένος, 764a). Le mot σπερµατο- (Épich.), puis σπερµο-λόγος (Ar. +) désigne le « freux », oiseau « picoreur de graines », et s’applique, de façon imagée, à un colporteur de ragots (D. +, v. DELG s.u. σπείρω, 1035a) ; cf. aussi ποιολόγος (Arist.) « animal qui picore de l’herbe, paon », d’où -έω (Thcr.) « récolter le foin » et -ία (inscr. iiie s. a.C.) ; χορτολόγος (Str.) « fourrageur, récolteur de foin », d’où -έω (App.) « récolter le foin » et -ία (Plb. +) « fourrage » (termes à ajouter à l’article χόρτος du DELG, 1270b, où il est signalé que les composés en χορτο- ont une large productivité dans le vocabulaire de l’agriculture à l’époque hellénistique et romaine) ; καρπολόγος « qui récolte les fruits » (désigne un magistrat à Thasos, ive s. a.C.), d’où -έω (Thphr.) et -ία (Gp.). Ces formations comportant au premier membre un nom de plante ou de produit agricole sont très abondantes ; à défaut d’en dresser une liste complète, il faut au moins signaler le groupe de ἀνθολόγος (AP, d’où en latin le calque flōrilegus, Ov.), -έω (Arist. +), -ία (Luc.), qui s’applique à la cueillette des fleurs ou au butinage, le sens figuré de « anthologie » étant attesté pour le neutre ἀνθολόγιον dans la Souda (v. LSJ s.u. et DELG s.u. ἄνθος, 89a).
104b) Au sens de « dire, expliquer, raconter, discourir » et, plus généralement, « étudier, traiter d’une question, avoir une compétence dans un domaine », l’article du DELG cite βιολόγος, θεολόγος (Arist. +) et -ία (Pl. +, ajouter -έω, Arist. +), ἀρχαιολόγος (tardif) et -ία (Pl. +, renvoyer à R. Weil, L’Archéologie de Platon, Paris, 1959, et citer -έω [Thc.] « ressasser des propos rebattus »), ainsi que le verbe αἰσχρολογέω (Pl. +) « tenir des propos obscènes », à quoi il faut ajouter αἰσχρολογία (X. +), alors que αἰσχρολόγος est très tardif (réf. LSJ s.u.). Dans ces deux derniers exemples, comme dans nombre d’autres familles étymologiques, le verbe en -έω et le substantif en -ία qui en est le nom verbal sont connus bien plus tôt que le nom d’agent en -ος (lequel est parfois à peine attesté) ; cela témoigne d’une productivité de ces formations dans le lexique indépendamment du terme dont dérive la catégorie à laquelle elles appartiennent, comme si le mécanisme de création des mots sautait un échelon : αἰσχρολογέω est l’univerbation du syntagme αἰσχρὰ λέγω (mais avec une valeur aspectuelle particulière : désignation d’un trait de caractère ou d’une habitude), εὐλογέω (Æsch. +) « louer, faire l’éloge de », puis « bénir » (cité DELG 626a, ajouter le postverbal εὐλογία, Pd. +) de εὖ λέγω. P. Chantraine remarque, avec raison, que εὐλογέω n’a pas de rapport direct avec le composé possessif εὔλογος (Thc. +) « vraisemblable ».
105Le terme le plus ancien de la série est µαψιλόγος, qui apparaît dans l’expression µαψιλόγοισι … οἰωνοῖσι (H.Herm. 546) « vains présages », antonyme de τεληέντων οἰωνῶν « présages suivis d’effet » au v. 544 (dans un discours sur la divination tenu par Apollon, v. 526-49). Au vocabulaire de la mantique appartiennent aussi θεσφατηλόγος « diseur (-euse) d’oracles » (Cassandre chez Æsch., Ag. 1441) et χρησµολόγος (Hdt. +), attesté avec le double sens de « qui rend / interprète les oracles », d’où -έω (Ar. +) « prophétiser ». Dès la première moitié du ve s. on connaît κακολόγος (Pd. +) « détracteur », d’où -έω (Lys. +), -ία (Hdt. +) ; ensuite ψευδολόγος (Ar. +) « menteur » ; λεπτολόγος (Ar.) « qui argumente sur des points de détail », d’où -έω (Ar. +) « ergoter », et dans le même sens µικρολόγος (Pl., Isocr., D. +), d’où -έω (Lys., X. +), -ία (Pl. +), qui se dit d’individus pointilleux, chicaneurs ou mesquins (ou peut-être faut-il, dans ces deux mots, comprendre -λόγος comme « qui prend en compte > attache de l’importance à », cf. le verbe ἀλογέω [Hom. +] « négliger, dédaigner » étudié ci- dessous 2c). Noter aussi les groupes antithétiques de µακρολόγος (Pl. +), -έω (Hpc., Pl., X.), -ία (Pl.) et de βραχυλόγος (Pl. +), -έω (Plu.), -ία (Pl. +), qui s’appliquent à des orateurs faisant preuve soit de prolixité (dans le même sens aussi πολυλόγος, -ία, Pl., X.), soit, au contraire, de concision ; plus tardivement µαταιολόγος (NT) « qui tient de vains discours », d’où -έω (Str.), -ία (NT, Plu.). Chez les Pères de l’Église, c’est sans doute sur le modèle de εὐλογεῖν, -ία « bénir, bénédiction » qu’ont été créés δοξολογεῖν, -ία « glorifier, -fication », termes fréquents alors que δοξολόγος est rare (réf. Lampe s.u.). Sur βαττολογεῖν (NT) « bafouiller » et les formes apparentées (-ία Hsch., βαττολόγος en grec moderne), v. DELG s.u. βατταρίζω, Βάττος, 170a.
106Au sens de « indiquer », noter ὡρολόγιον (époque romaine) « horloge » (v. DELG s.u. ὥρα, 1303b), dont la formation est identique à celle de ἀνθολόγιον cité plus haut.
107Deux groupes importants dans le vocabulaire intellectuel à l’époque classique : celui de γενεᾱλογέω (ion. -η-) « raconter, étudier l’origine » (Hdt. +), d’où Γενεηλογίαι (titre d’un ouvrage d’Hécatée de Milet), et de µυθολόγος (Pl. +) « qui raconte des fables », d’où -έω (X., Isocr., Pl. +), -ία (Pl. +). Le développement des sciences entraîne la création de nombre de mots nouveaux, parmi lesquels µετεωρολόγος (Gorg., Eur. +) « expert (ou prétendu tel) en phénomènes célestes », d’où -έω, -ία, -ικός (Pl. +), avec un jeu sur le double sens de « être compétent » et de « discourir » ; ἀστρολόγος (X. +) « astronome », d’où -έω (Thphr. +), -ία (X. +), -ικός (Arist. +) ; φυσιολόγος (Arist. +) « qui étudie et explique les phénomènes naturels », d’où -έω, -ία (ibid.). Sur l’histoire des termes ἐτυµολογία, -εῖν, -ικός, qui ont été créés par les Stoïciens et sont ensuite passés dans les traités des grammairiens, v. J. Irigoin, RPh 65/1, 1991[93], 127 et J. Lallot, ibid., 135 (avec réf.). Ces formations n’ont pas cessé d’être productives, qu’il s’agisse de la terminologie médicale (ainsi παθολογεῖν et παθολογική [sc. τέχνη] « étude des maladies » chez Galien, etc.) ou d’autres disciplines, et elles étaient promises à un bel avenir : c’est sur cette base que les langues modernes créent, en nombre infini, des dénominations de spécialistes et de spécialités, en médecine (cardiologue, -logie, etc. : le mot cardiologie, courant depuis le xixe s. dans le lexique du français, a remplacé le plus ancien cardialogie, création du milieu du xviiie [indications fournies par le TLF]) ou dans d’autres champs du savoir, liés à la médecine ou autonomes, comme psychologie (fin xviie) et psychologue (milieu xviiie), les deux avec la graphie -co- jusqu’au xixe, sociologie (mot forgé par Auguste Comte, 1839) et sociologue (fin xixe), et bien d’autres ; cela sans parler de l’idéologie (mot forgé par Destutt de Tracy, 1796) et des idéologues (début xixe), ou de l’écologie (début xxe, emprunté à all. Ökologie, mot créé au milieu du xixe) et des écologistes (début xxe). Sur les formations de ce type, qui relèvent de ce que les linguistes appellent aujourd’hui la « composition néo-classique », voir en dernier lieu, pour le français, l’article de F. Villoing et F. Namer dans Verbum, 34/2, 2012[14], p. 213-231.
1082) Contrairement à cet ensemble bien individualisé, les formations à accent récessif ne constituent pas une unité, mais relèvent de plusieurs types.
109a) Il faut mettre à part la catégorie des substantifs dont le premier membre est un préverbe, à savoir διά-, ἐπί-, κατά-, σύλ-λογος (DELG 625b), ajouter πρόλογος (Ar. +). Ces formations ne relèvent pas de la composition nominale proprement dite, mais de la dérivation : διάλογος « discussion » est moins un composé de λόγος que le nom verbal de διαλέγοµαι « discuter », et il en va de même pour πρόλογος « prologue » à partir de προλέγω (Æsch., Hdt. +), etc.
110b) Les grammairiens grecs, et les modernes à leur suite, opposent le composé de dépendance régressif de sens actif πολυλόγος « qui parle beaucoup » à celui de sens passif πολύλογος « dont on parle beaucoup » (Vendryes, Accent, § 249), la remontée de l’accent dans ce dernier venant de ce qu’il est dans son principe un composé possessif comportant au second membre le substantif λόγος (Meillet-Vendryes, Traité, § 646 ; sur le syntagme sous-jacent λόγος πολύς, v. Ch. de L., Adj. en -υς, 608-9). Mais lorsque le premier membre est un préfixe / préverbe, ce système d’opposition accentuelle entre actif et passif ne fonctionne plus, et la distinction formelle entre noms d’action et noms d’agent ou adjectifs dérivés d’un thème verbal est neutralisée elle aussi : l’accent remonte même dans les noms d’agent (e.g. κατήγορος vs δηµηγόρος), et il en va de même pour des adjectifs comme διά-, σύµ-φορος, dérivés de δια-, συµ-φέρω vs φέρω / φόρος (subst.) / φορός (adj.), v. DELG s.u. φέρω, 1189b-1190a. Ainsi l’adjectif dérivé de ἀντιλέγω (Hdt. +) est-il ἀντίλογος (Eur.) « contradictoire », d’où -έω (S. +) « contester » (très proche de ἀντιλέγω pour le sens, et supposant pour l’adjectif le sens de « contradicteur »), -ία (Hdt. +), -ικός (Pl. +), -ίζοµαι (X.). De même en regard de ἀµφιλέγω a-t-on ἀµφίλογος (S. +), à la fois actif (« qui dispute ») et passif (« disputé ») ; ce mot est ancien, à preuve le nom en -ία dès Hés., Th. 229 Ἀµφιλ(λ)ογίας τε #, dans la liste des enfants de la Nuit à la suite de Ψευδέας τε Λόγους (à rapprocher du composé agentif ψευδολόγος cité plus haut) : « Paroles mensongères et Disputes ». C’est ici qu’il faut placer le seul composé homérique en -λογος, à savoir l’hapax παλίλλογα (Il. 1,126), qui se dit du butin « rassemblé à nouveau » pour annuler un partage ; le sens passif, qui se retrouve dans παλινάγρετον (Il. 1,526) « que l’on peut reprendre », invite à y voir, à la base, un composé possessif (Risch, WHS § 74b ; H.W. Nordheider, LfgrE III, 942 [fasc. 18, 2000]) formé sur λόγος qui garde ici son sens ancien de « rassemblement » ; mais c’est un sens évolué qu’atteste le verbe παλιλλογέω (Hdt. +) « répéter » (d’où -ία [Arist. +] « récapitulation, rétractation »), dont la formation rappelle celle de εὐλογέω cité ci-dessus (univerbation de πάλιν λέγω).
111Du fait que le subst. ἀπόλογος (Pl. +), assez rare, n’est connu qu’au sens de « récit, fable », le verbe usuel ἀπολογέοµαι (Hdt. +, d’où -ία Thc. +) « se défendre, réfuter un accusation » pourrait procéder d’un adj. *ἀπόλογος « qui se défend » ; noter, de toute manière, que ἀπολέγω (Hdt. +) n’est attesté qu’au sens de « choisir, trier » à date ancienne. Sur l’histoire de tout ce groupe, v. W. Belardi, « Apologo e apologia », RAL 9/15, 2004, p. 205-223.
112c) L’article du DELG (625b) mentionne les formations hypostatiques ἀνάλογος et παράλογος, ainsi que le composé privatif ἄλογος (S., Thc. +). Ce dernier, qui présente une large gamme d’emplois du fait de la polysémie de λόγος (détail LSJ s.u.), appelle deux remarques : (1) à en juger par le verbe dénominatif ἀλογέω (Hom. +, κατ- Hdt. +) « négliger, dédaigner », il existait déjà dans la langue archaïque au sens de « qui [ou : dont on] ne tient pas compte », le subst. ἀλογία (Hdt. +) signifie à la fois « dédain » et « déraison » ; (2) au sens de « dénué de raison », il a pour antonyme ἔλλογος (Arist., Plu.) « pourvu de raison » (litt. « qui a en soi la raison »), tandis que le verbe ἐλλογεῖν (NT +) est attesté au sens de « ἐν λόγῳ τιθέναι (LSJ s.u.), prendre en compte ». Quant au mot φιλόλογος (DELG 625b, avec réf.), il a connu la même histoire que les autres formations en φιλο- : il s’agit, au départ, de composés possessifs (« φιλο-x = à qui x est cher »), réinterprétés ensuite comme des composés de dépendance à premier membre verbal régissant (« φιλο-x = ὃς φιλεῖ x »), v. DELG s.u. φίλος (J. Taillardat), 1205a.
113Parmi les composés possessifs, outre εὔλογος « vraisemblable » (DELG 626a, et ci-dessus 1b), il faut signaler ὁµόλογος (X. +), très tôt réinterprété comme un composé de dépendance agentif (« dont le langage est le même > qui tient le même langage ») ; de là (et même, comme souvent, à une date antérieure) le verbe ὁµολογέω (S., Hdt. +) « être d’accord, avouer » et son postverbal ὁµολογία (Thc. +). Avec au premier membre un numéral, on a δίλογος (NT) « au double langage, fourbe », mais διλογέω (X.) signifie « δὶς λέγω, redire » (d’où -ία, ibid.). Les philologues anciens ont créé les mots τριλογία et τετραλογία (D.L., avec référence à des auteurs antérieurs) pour désigner une œuvre littéraire articulée en trois ou quatre parties, qu’il s’agisse de théâtre ou de prose. Pour désigner ce que nous appelons le Décalogue, Philon, dans son traité intitulé par la suite De Decalogo (tr. 23) comme dans l’ensemble de son œuvre, utilise soit le syntagme οἱ δέκα λόγοι, soit ἡ δεκάς « la décade » ; Clément d’Alexandrie (Paed. 3,12, Str. 6,16) a combiné les deux pour forger ἡ δεκάλογος. Ici aussi, les langues modernes ne cessent de créer des mots composés dont elles empruntent les éléments au grec ancien, à commencer, pour s’en tenir au français, par néologisme (mot créé dans la 1re moitié du xviiie s. d’après le TLF).
114d) Un cas à part : ἀξιόλογος (Hdt. +), univerbation du syntagme ἄξιος λόγου (cp. ἀξιέπαινος < ἄξιος ἐπαίνου, etc.) où transparaît l’histoire du mot λόγος : cet adjectif signifie « digne d’être pris en considération », mais aussi « digne d’être rapporté ». Sur ce type de formation, v. l’étude d’O. Tribulato, Mnemosyne, 60, 2007, p. 527-549 : l’exemple le plus ancien de la série est ἰσόθεος (Hom. +) « égal aux dieux », bâti sur le syntagme ἶσα θεοῖσιν (Hom.), et on recense 17 composés en ἀξιο- (p. 534-6 et 547).
115Note complémentaire. – En latin archaïque, deux phénomènes à remarquer : (1) des interférences se sont produites entre le verbe loquor « parler » et le mot grec λόγος, à preuve, chez Plaute, Men. 779 loquere … paucis, non longos logos « parle brièvement, sans faire de longs discours » ; (2) le latin a emprunté massivement au grec, ainsi ἀπόλογος > apologus (Pl.) et πρόλογος > prōlogus (Tér.), avec une longue due à l’influence de prōloquor. Cette situation a eu des conséquences sur la formation des noms. Le nom verbal de colloquor est, comme on l’attend, colloquium, mais en regard de ēloquor (Pl. +) on trouve non seulement ēloquium (Virg. +), mais aussi, et plus anciennement, ēlogium (Cat. +), par interférence avec le grec ; c’est la source du mot français éloge, emprunté au latin (mais le mot latin a une large polysémie, dont le détail importe peu ici). Noter aussi prōlogium (Pac.) et antelogium (Pl.) « avant-propos, prologue ». Sur ces formations hybrides en -logium, v. M. Puelma, « Zur Etymologie von lat. ēlogium », dans Gering und doch von Herzen (= Fest. Forssman), 1999, p. 225-235. Le mot ēlogium n’apparaît pas dans l’EDL (2008), ce qui s’explique par le fait que ce dictionnaire se limite à la partie du lexique latin héritée de l’indo-européen ; mais une brève mention s.u. loquor aurait été bienvenue.
116Ch. de L.
117λίᾱν : « très, trop ». – Selon une hypothèse de J. Taillardat (P. Valentin [éd.], La Comparaison, 1989, p. 123 ; F. Létoublon [éd.], La Langue et les textes en grec ancien, 1992, p. 162), l’adverbe ion. λίην, att. λίᾱν proviendrait de la racine *lei̯H- « verser » (LIV2 p. 405-406), qui est bien représentée, notamment, en baltique et en slave (cf. par exemple lit. líeti = lett. liêt « verser, déverser, arroser » <*lei̯H-ti-, lit. lýti = lett. lît « pleuvoir, couler à flots » < *liH-ti-, lit. lietùs = lett. liêtus « pluie » <*lei̯H-tu-, etc.), mais aussi en celtique (ainsi dans m. gall. dillydd « il coule, se déverse » : cf. S. Schumacher, Kelt. Primärverben, 2004, p. 451-452). L’évolution sémantique supposée refléterait « une matrice métaphorique “multitude, abondance (métaphorisé)” = “écoulement, déversement d’un liquide (métaphorisant)” ». Elle serait comparable à celle qu’a connue l’adverbe ῥυδόν « en abondance » (Od. 15,426 : ῥυδὸν ἀφνειοῖο « très riche », « pourvu de richesses en abondance » ; Call.), qui est dérivé de ῥέω « couler, s’écouler » ; cf. aussi lat. abundō « déborder ; abonder » (cf. unda « eau, onde, flot », undō « être agité ; ondoyer ; couler à flots »), français à flots, déborder de, etc. Sur cette étymologie, voir également É. Dieu, BSL 109/1, 2014, § 3.1.
118Une étymologie différente a été proposée par R. Gusmani (ZVS 100, 1987, p. 359-361). Celui-ci rejette le rattachement traditionnel de l’adjectif v.sl. lixŭ « excessif, surabondant, superflu » à la racine *lei̯ku̱- « laisser, rester en arrière, manquer », attestée par ailleurs dans v.sl. otŭlěkŭ « reste » (lixŭ < *lei̯ku̯-so- / -lěkŭ < *-loi̯ku̯-o-), à la fois pour des raisons formelles (à savoir la difficulté posée en slave, selon lui, par l’existence de formations adjectivales déverbatives en *-so-) et sémantiques (lixŭ dénote le dépassement de la juste mesure, tandis que la racine *lei̯ku̯- impliquerait surtout l’idée d’un manque pour atteindre la juste mesure ; mais cet argument n’est guère probant, cf. des formes comme skr. atirikta- « laissé comme surplus », atireka- « surplus, excès, démesure », où le sens de « reste », sous l’influence du préfixe ati- qui exprime l’idée d’excès, a évolué vers une notion comparable à celle que dénote v.sl. lixŭ, ou encore skr. udrikta- « excessif, démesuré ; superflu », udreka- « excès, prédominance, surplus »). Il cherche alors à rapprocher v.sl. lixŭ de gr. λίην, λίᾱν, en tirant lixŭ de *līso- et λίην, λίᾱν d’un substantif *līsā- figé à l’accusatif singulier. Mais, dans cette hypothèse, la racine verbale sous-jacente resterait inconnue.
119É.D.
120λικµάω : « vanner ». – Classé dans le DELG parmi les « termes techniques et familiers diversement déformés », ce verbe apparaît avec aphérèse de la liquide initiale dans des verbes composés : Platon, Tim. 53 a, où les éléments constitutifs de l’univers sont comparés à « des semences agitées et secouées », σειόµενα καὶ ἀναλικµώµενα (Rivaud [CUF 1925] d’après le manuscrit de base dans lequel ἀναλικµώµενα est une correction de ἀνικµώµενα) ; Théophraste, CP IV, 12,9 : « si (les fèves) sont vannées soigneusement… », ἐὰν διϊκµῶνται (mss., edd. ; hapax dans LSJ) ; ibid. 16,2 : (si le grain est attaqué par des parasites, il faut) « l’assainir en le vannant », ἁπικµῆσαι (mss., edd. à l’exception d’Heinsius qui corrige en ἀπολικµῆσαι ; hapax dans LSJ). Mais au lieu du verbe simple correspondant, ἰκµάω, attesté seulement par des gloses d’Hésychius qui peuvent être des reconstructions à partir des composés, Théophraste emploie la forme usuelle depuis Homère, λικµάω, ainsi HP VIII, 8,7 (la fève durcit si un vent froid l’atteint) « pendant le vannage », λικµώµενος ; de même dans la citation du passage par Plutarque, Mor. 701c : πνεῦµα λικµωµένοις ἐπιγινόµενον… Peut-être faut-il voir dans les composés des formes syncopées selon un processus de simplification usuel chez les gens de la terre et passé par contamination dans la langue des agronomes.
121S.A.
122λίπτω : « désirer ». – P. Chantraine (DELG p. 643) voyait d’un œil favorable l’idée d’un rattachement de λίπτω « désirer », λῑπαρέω « persister, réclamer, importuner », etc., à la famille de λίπα « grassement », λιπαρός « gras ». Il notait qu’en slave les verbes slovaques lipiet′ et lipnut′ « désirer vivement » se rattachent à la famille signifiant « être collant » (v.sl. prilĭpěti « s’attacher, être collant », etc.), qui, selon l’analyse traditionnelle, serait la même que celle de gr. λίπα (racine *lei̯p-) ; pour une autre étymologie de λίπα, avec un rattachement à la racine *u̯lei̯ku̯- « humecter », voir cependant M. Janda, Eleusis, 2000, p. 74-83, et Purpurnes Meer, 2014, p. 355, 457, ainsi que V. Martzloff dans A. Blanc – E. Dupraz (éds), Procédés synchroniques, 2007, p. 171-189. Les emplois du groupe de λίπτω et de celui de λῑπαρέω peuvent en tout cas se laisser rassembler à travers l’idée d’être attaché à quelque chose en un sens figuré. Cela est particulièrement net pour rendre compte des emplois de λῑπαρέω relatifs à l’idée de persistance et de persévérance : cf. µηδὲ λιπάρεε τῇ πόσι (Hdt. V,19) « et ne persiste pas à boire » (« et ne reste pas attaché à la boisson »), λιπαρέετε µένοντες (Hdt. IX,45) « restez ici avec constance » (« attachez-vous à rester ici »). Et cela peut également convenir pour λίπτω : cf. µάχης λελιµµένος (Æsch., Sept 380) « réclamant le combat », « brûlant de combattre » (« attaché au combat »).
123La vraisemblance d’une évolution sémantique vers des sens figurés à partir du sens de « coller, être attaché » de la racine *lei̯p- (cf. français être attaché à, tenir à, allemand an etwas hängen, etc.) peut être étayée non seulement par des données slaves et baltiques, mais aussi par des faits tokhariens. Il faut consulter sur ce dossier l’étude de G.-J. Pinault dans De Dunhuang à Istanbul, 2001, p. 253-256. Celui-ci accepte le rattachement, mis en doute dans DELG p. 643, de lit. liepiù, inf. liẽpti « ordonner, commander », v. pruss. pallaips « ordre », à cette même famille de mots, en admettant une évolution sémantique de « désirer » vers « exiger », d’où « ordonner » ; il indique, à cet égard, que certains dérivés nominaux de la racine de lit. limpù, inf. lìpti « rester coller, adhérer, être collant » présentent des sens qui suggèrent une évolution analogue à celle qui aboutit au sens de « désirer » (cf. lit. lipnùs, lipšnùs, liepšnùs, au sens propre « collant, attaché », et, au sens figuré, « amical, empressé, complaisant, obséquieux, pressant »). De fait, le sens de « désirer » est bien documenté en baltique : le verbe v. pruss. attesté sous les formes pallapsitwey, pallapsittwey, pallapsitwei et pallaipsītwei traduit régulièrement le verbe all. begehren « désirer » (cf. W. Smoczyński, Lex. AltPreuss. Verb., p. 251-252). Il faut préciser que le sens d’« ordonner, commander » de lit. liepiù, inf. liẽpti n’est guère éloigné de celui de gr. λῑπαρέω, qui signifie souvent « prier avec insistance, supplier d’une manière pressante », sens dérivé de « s’attacher à, persister, insister », sans, d’ailleurs, qu’il faille nécessairement passer par le sens de « désirer ». En tokharien, le sens de « désirer », représenté par tokh. A ṣālypi, forme interprétée par G.-J. Pinault au sens d’« attachement, désir, dévotion », coexiste non pas tant avec le sens de base de « coller, être attaché » qu’avec le sens dérivé de « rester » (< « *rester collé, fixé à »), qui se retrouve en germanique (cf. got. bi-laif [prét.] « rester », bi-laibjan « laisser de reste », all. bleiben « rester », etc.) : cf. tokh. AB lip- « rester, être de reste », lyipär « reste ». Le sens de « coller, être attaché » ne subsiste plus qu’indirectement à travers les formes préfixées en ṣā-lyp- : outre tokh. A ṣālypi, cf. aussi, suivant l’analyse de G.-J. Pinault, tokh. A ṣālypu « souillé, défectueux, vicieux, répugnant » < « marqué par une tache [indélébile] », qui supposerait une évolution de « coller » vers « coller, former une tache », avec l’idée d’une tache qui colle à la personne (pour le sens, cf. véd. rip-, lip- « enduire, oindre » < *lip-, et véd. riprá- et répas- « saleté, souillure ; impureté, vice »).
124Tout cela invite à rapprocher, en grec, les groupes de λίπτω et de λῑπαρέω de celui de λίπα, λιπαρός, du moins dans le cadre de l’étymologie traditionnelle qui admet le rattachement de λίπα, λιπαρός à la racine *lei̯p- de véd. rip-, lip- « enduire, oindre », etc. Il n’y aurait donc pas lieu de distinguer une racine *lei̯p- « désirer, réclamer, exiger » de la racine *lei̯p- dont proviennent λίπα, λιπαρός (cf. par exemple LIV2 p. 409, où la racine 2.*lei̯p- « begehren, verlangen » est toutefois prudemment présentée par M. Kümmel comme pouvant être rattachée à la racine 1.*lei̯p- « kleben bleiben »). Mais, comme il est indiqué dans DELG p. 643, la présence d’un ῑ reste difficile à expliquer dans λῑπαρέω et λῑπαρής. En revanche, il semble que le ι de λίπτω doive être tenu pour bref, ce que les ouvrages de référence ne signalent pas toujours très clairement (ainsi, on trouve dans GEW II, p. 131 et EDG I, p. 867, s.u. λιψουρία, une forme *λῖψαι comme inf. aor. de λίπτω, qui devrait être notée *λίψαι) : cf. Hdn. Gr. 1, 535 et 2, 10 Lentz, où il est dit que les verbes en -ίπτω, dont λίπτω, auraient un ι bref, à l’exception de πῑ́πτω « tomber » et de ῥῑ́πτω « jeter, lancer ». Outre chez Walde-Pokorny II, p. 403, l’idée d’un allongement rythmique a été retenue par B. Čop (KZ 74, 1956, p. 228-229), qui évoquait également la tendance générale, en grec, à éviter une succession de trois syllabes brèves. Mais les contre-exemples ne sont pas rares. Ou bien n’aurait-on pas plutôt affaire à un fait prosodique plus spécifique, destiné à associer à la nuance sémantique qui existait entre le groupe de λῑπαρέω et celui de λιπαρός une distinction formelle, d’après la syllabe longue par position de λιπτ-, -λιµµ- (λελιµµένος), λιψ- (λιψουρίᾱ) ?
125É.D.
126µέδω : « commander à, régner sur » (Od. +). – Aux héronymes de date homérique Εὐρυµέδων « qui gouverne largement / sur une vaste étendue », Λαοµέδων « qui dirige le peuple en armes » ou Φυλοµέδουσα (hapax, Il. 7,10) « qui gouverne la tribu », etc., ajouter l’archaïque Ἱπποµέδων (Æsch. +), détails sous Ét.
127Ét. : L’antiquité de l’anthroponyme Ἱπποµέδων (Æsch. +), composé régressif à second membre participial, est désormais garantie si, avec G.-J. Pinault, Gaulois et celt. contin. (2007), p. 291-307, on accepte d’en rapprocher le nom du notable arverne Epomeduos, dès lors que Epomeduos signifie non pas « ivre de cheval » (d’où « passionné de cheval ») avec -meduo- < celt. com. *-medw-o- < i.-e. *-medhw-o- (forme élargie et thématisée issue de l’i.-e. *médhu- « hydromel »), mais, à l’instar de son correspondant grec, « qui dirige les chevaux » et que le second membre *-medwo- reflète l’adjectif verbal *-med-wo- (proche de gr. µέδων) dont la structure est comparable, au degré radical près, à celle des adjectifs gr. ταναός « mince, étroit, long » (< *tn̥h2-wo-) et *-ϝιδϝος < *wid-wo- « qui sait » (cf. Πολύ-ϊδος, Il., avec ῑ). Cette hypothèse est étayée par l’expression latine equōs moderārī (Lucr., Caes. +) qui en découle et qui permet d’établir en outre que l’anthroponyme gréco-celtique ne s’applique pas à un palefrenier ni à un maître en hippologie mais à un homme capable de « modérer » les ardeurs incontrôlées des chevaux. En définitive, il apparaît que l’on a affaire à une phraséologie héritée qui invite à reconstruire un composé i.-e. *(hl)ek̑wo-medwo- de rection verbale (> gr. *Ἱππο-µέδϝων refait secondairement en Ἱππο-µέδων d’après le simple µέδων ?), solidaire d’un syntagme *(hl)ek̑wons *med- « diriger (modérer) les chevaux ».
128P.R.
129µοῦσα : f. « Muse ». – Le mycénien permet de lever les doutes qui pèsent sur l’étymologie du mot. Suivant M. Janda (Die Musik nach dem Chaos, 2010, p. 277-294 ; Die Sprache, 48 [= Fest. Eichner], 2009[10], p. 80-86), le nom de la divinité ma-na-sa (PY Tn 316.4) est à interpréter comme /Mnāsa/. Ainsi, toutes les formes du mot dérivent bien de la racine *men- « penser ». La forme mycénienne appartient à la forme élargie *mn-eh2- et l’analyse est soutenue par l’existence de l’anthroponyme composé ma-na-si-we-ko /Mnāsiwergos/, Μνησίεργος et des µνείαι à Chios (chez Plutarque et dans une inscription), ces derniers indiquant un singulier *mnā-i̯ā. En revanche, le nom classique µοῦσα des neuf filles de Μνηµοσύνη appartient à la forme simple de la racine et remonte à *monsa < *monti̯a (et non *montu̯a) < *món-tih2 (cf. le masc. µάντις). L’ensemble des formes désigne ces femmes comme des déesses de la mémoire. En intégrant les formes anatoliennes qui présupposent l’existence d’une racine *men- « voir » (LIV2 s.u. 1. *men- et *mneh2-), il est possible qu’on ait affaire à une évolution sémantique « voir » > « penser » comparable à celle de *wei̯d- « voir » > « savoir » (Janda, Musik, p. 293), l’anatolien présentant un archaïsme lexical.
130M.E.
131νέος : « jeune ». – Aux composés en νεο- il faut rattacher le nom Νιόβη, voir la notice s.u.
132M.E.
133Νιόβη [nouveau lemme]. – U. Remmer, « Νιόβη und die Navagvas : eine Dialektform in der griechischen Epik », Die Sprache, 48 (= Fest. Eichner), 2009[10], p. 139-144 propose une analyse séduisante de ce nom : *neu̯o-gu̯u̯-eh2 « qui a de jeunes vaches », à mettre en rapport avec skr. Návagva-. Le second membre est celui qu’on connaît dans ἑκατόµβη < *(hl/d)k̑m̥tom-gu̯u̯-eh2 « qui consiste en cent bœufs ». Pour l’explication de la forme surprenante /Nio-/ au lieu de /Neo-/ du premier membre, elle propose un lien avec le flottement e/i dans un environnement labial qu’on peut déjà constater à époque mycénienne, ce qui s’applique au cas de *e devant *-u̯o-gu̯u̯-. U. Remmer discute aussi la possibilité d’un lien avec le numéral « neuf », mais elle le considère seulement comme secondaire. On peut remarquer que ce problème apparaît encore sous un autre angle si l’on accepte (avec EWAia II, 24-25) la proposition de M. Peters selon laquelle le numéral serait issu de l’adjectif. Dans la mythologie, Niobé était connue pour sa richesse en enfants, ce qui est sans doute à mettre en lien avec l’analyse proposée.
134M.E.
135νῦσος : « boîteux » (Nonn. D. 9, 22 ; EM 280). – Ajouter, avec L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 77-78, le sobriquet Νυσᾶς (Halaesa, IIe s. a.C. : cf. L. Dubois, IGDS I [1989], n° 196, l. 12) « Leboitard » : cet anthroponyme, qui est directement tiré de l’adjectif νῦσος, vient confirmer l’antiquité et le caractère strictement sicilien de ce terme.
136P.R.
137ὀκτώ : « huit ». – Une inscription sur plomb en dialecte ionien du Ve s. a.C. découverte à Pech Maho (près de Narbonne, département de l’Aude, dans le sud de la France) a révélé deux nouveaux mots grecs qui sont les éléments d’une série métrologique à suffixe -ανιο- jusqu’alors inconnue, à savoir ἡµιεκτάνιον « demi-sizain » et ἡµιοκτάνιον « demi-huitain », attestés l’un et l’autre après l’ordinal τρίτον, donc au sens de « deux sizains et demi » et « deux huitains et demi », l’unité de référence étant probablement le statère. Comme ἡµιοκτάνιον est formé sur le cardinal ὀκτώ, la forme ἡµιεκτάνιον a chance d’être, plutôt qu’un dérivé de l’ordinal ἕκτος, un lapsus pour *ἡµιεξάνιον (bâti sur le cardinal ἕξ) par écho de ἡµιοκτάνιον dans la mémoire du graveur (v. supra la notice s.u. ἕξ). Voir M. Lejeune, CRAI 1988, p. 530-534 et Rev. Arch. de Narbonnaise, 21, 1988, p. 43, 45 et 51.
138Ch. de L.
139ὄπεας : n. « alène ». – Ce mot est étudié par Brent Vine, « Greek ὄπεας/ὄπεαρ ‘awl’ » (Glotta 72, 1994 [1995], p. 31-40). Réfutant en détail l’analyse *opā-wn̥t- (*okwā-wn̥t-) « pourvu d’un chas », Vine propose *opā-wr̥, formation comparable aux dérivés hittites en -ā-war. En mycénien, l’auteur suggère que o-pa-wo-ta recouvre deux homographes, l’un pour lequel l’interprétation traditionnelle /op-āworta/ reste plausible (peut-être les plaques d’une armure, cf. Docs. p. 375 sq.), tandis que l’autre, toujours déterminé par le génitif ko-ru-to ou l’adjectif o-pi-ko-ru-si-ja, serait à lire /opāwota/ et désignerait les « pointes » ou cornes dont sont pourvus certains casques minoens et mycéniens. Vine observe enfin que chez Hérodote 4,70 ὑπέατι ne désigne vraisemblablement pas une alène d’artisan mais une arme (pointue). Le sens « alène » ne sera donc que l’une des diverses spécialisations d’un terme plus général. L’origine du mot est inconnue.
140R.V.
141ὀπός : « suc d’une plante ». – Au premier terme du composé -κάρπασον / -κάλπασον « suc toxique du carpason » selon le DELG, sans identification de la plante. LSJ définit la drogue ainsi nommée « an acrid kind of myrrh, Balsamodendron Playfairii », avec référence à Galien, 14,56 K. (= De antidotis, livre I). Le texte visé indique seulement que l’opocalpason est différent de la myrrhe, mais il est dit plus loin (p. 57) qu’il est destructeur (τὸ δὲ ὀποκάλπασον ἀναιρητικόν ἐστι) et (p. 58) que, pris à l’intérieur du corps, c’est une drogue mortelle (εἴσω τοῦ σώµατος λαµβανόµενον θανάσιµόν ἐστι ϕάρµακον). Comme l’expose en détail J. Bellakhdar, « L’énigme de l’Opocalpason de Galien : proposition d’élucidation », Rev. d’Hist. de la Pharmacie, LX, n° 375 (2012), p. 355-368, la drogue en question, que l’on s’accorde à considérer comme la gomme-résine exsudée d’un arbre ou d’un arbrisseau de Somalie, d’Éthiopie et des pays voisins, n’a pas jusqu’ici été identifiée, en dépit de nombreuses tentatives. La difficulté vient de ce qu’il existe dans la vaste région désertique terminée par la Corne de l’Afrique de nombreuses espèces du genre Commiphora dont le type est la myrrhe vraie, C. myrrha, recherchée comme cosmétique et offrande cultuelle, mais qu’aucune n’était reconnue violemment toxique, à la manière de l’opocalpason de Galien. Bellakhdar a découvert (p. 361) « en consultant des études ethnobotaniques et des comptes rendus de voyageurs, que les tribus Somalis utilisaient autrefois un suc végétal qu’ils appellent habbak dunkal […] dans l’apprêt des flèches empoisonnées […]. C’est une sécrétion résineuse fournie […] par Commiphora erlangeriana Engl. et […] quelques espèces voisines.[…] (p. 362) Aujourd’hui encore, cette substance est connue localement pour sa grande toxicité par ingestion chez l’homme et chez l’animal. » Les résultats d’une analyse chimique accessible aux seuls spécialistes (p. 362-365) permettent à l’auteur de conclure que « cette variété de myrrhe toxique, l’Opocalpason, peut aujourd’hui être identifiée de manière indiscutable comme étant fournie par Commiphora erlangeriana Engl. et quelques espèces voisines endémiques de la Corne de l’Afrique. »
142S.A.
143ὀρεχθέω : 1) « être étendu » (Il. 23,30) ; 2) « gronder, mugir » (Æsch., Ar., etc.). – Ét. : À l’exception notable de Beekes, EDG 1100 s.u., pour qui ce verbe désigne fondamentalement un bruit, la plupart des linguistes modernes, dont Chantraine (DELG 818a s.u.), admettent, solution bien plus satisfaisante, que ὀρεχθέω signifie originellement « être étendu » (cf. Il. 23,30-31 πολλοὶ µὲν βόες ἀργοὶ ὀρέχθεον ἀµϕὶ σιδήρῳ # σϕαζόµενοι « de nombreux bœufs blancs étaient étendus tout autour, par le fer égorgés ») et se rattache au verbe ὀρέγοµαι, soit par l’intermédiaire d’un parfait *ὤρεχθα, soit par celui d’un verbe en -θω. Cl. Le Feuvre, RPh 85, 2011[14], p. 267-294 (surtout p. 281-287), qui a repris l’intégralité du dossier, montre que les deux intermédiaires posés pour rendre compte de l’émergence de ὀρεχθέω sont à rejeter. Contrairement à l’hapax hom. ἐγρηγόρθᾱσι // (Il. 10,419), qui remplace ἐγρηγόρᾱσι pour des raisons métriques et trouve sa source dans les formes moyennes du type inf. ἐγρήγορθαι (Il. 10,67), le supposé parfait *ὤρεχθα ne saurait procéder d’un ancien parfait moyen *ὤρεχθαι, car la langue homérique ne dispose que de la forme à redoublement attique ὀρωρέχαται (Il. 16,834). Quant aux présents en -θω, ils sont bâtis sur le thème de présent pourvu de la voyelle thématique (cf. ϕλεγ-ε- → ϕλεγ-έ-θω, etc.), ce qui laisserait attendre *ὀρεγέθω. Enfin, dans un cas comme dans l’autre, il faudrait encore expliquer le passage à la conjugaison contracte. Aussi l’auteur propose-t-elle de partir de l’aoriste passif épique ὠρέχθην de ὀρέγω et de postuler : 1) soit l’existence d’un subj. aor. pass. qui, suite à l’abrègement de -η- en hiatus (sg. 1 *ὀρεχθήω > *ὀρεχθέω) ou à la métathèse de quantité (pl. 1 *ὀρεχθήοµεν > *ὀρεχθέωµεν), pouvait, à l’intérieur même du dialecte ionien, être réinterprété synchroniquement comme le subj. prés. actif intransitif à voyelle longue issu d’un indicatif contracte (cf. *ὀρεχθέωµεν ← ὀρεχθέοµεν) ; 2) soit l’existence d’une formule éolienne *κεῖται ὀρέχθεις #, variante vocalique de κεῖτο τανυσθείς # (Il. 13,392, etc.), dans laquelle *ὀρέχθεις aurait été réanalysé par les aèdes ioniens comme une forme de participe présent éolien de ὀρεχθέω (cf. lesb. µόχθεντες [Alc. fr. 326,5 LP] vs hom. µοχθέοντες). C’est l’hypothèse la plus probable, car elle s’appuie sur la schol. bT ad Il. 23,30 ἐξετείνοντο ἀποθνῄσκοντες, ὡς τὸ ‘κεῖτο µέγας µεγαλωστί’ « ‘ils étaient étendus, mourants’ comme le ‘κεῖτο µέγας µεγαλωστί’ », qui, tout en renvoyant explicitement à Il. 16,776, invite aussi à rapprocher la formule complète d’Il. 18,26-27, µέγας µεγαλωστὶ τανυσθεὶς # κεῖτο « il gisait, grand corps étendu de tout son long », et suggère ainsi un lien implicite entre ὀρέχθεον et τανυσθείς. Le sens d’« être étendu » est évidemment exclu dans les occurrences de l’époque classique où la réinterprétation de ὀρεχθεῖν en un verbe de sonorité était acquise moyennant une resegmentation de ὀρέχ-θε-ον (← ὠρέχ-θη-ν) en ὀρέχθ-εον avec intégration de -θ- au radical.
144P.R.
145πέζα : « pied, coup de pied, bord ». – À propos des composés mycéniens e-ne-wo-pe-za et we-pe-za, v. les notices s.u. ἐννέα et ἕξ.
146N.G.
147περιρρηδής : « en s’étalant, en s’étendant » (Od. 22,84, AR 1,431), « en glissant » (Hp. Art. 16, Mul. 2,158). – Cet adjectif est accompagné de l’adverbe περιρρήδην « en glissant » (AR 4,1581). La coexistence d’un adjectif en -εσ- et d’un adverbe en -δην est un cas unique. Cette particularité met sur la voie d’une solution. Plusieurs adverbes en -δην se relient clairement à des thèmes verbaux d’aoriste à voyelle longue : (ἀµ)-βλήδην est en relation avec (συµ)-βλήµεναι (Hom.) et (ἐµ)-πλήγδην avec πληγῆναι. L’adverbe περιρρήδην suppose donc un thème verbal *περι-ρρη-. Si le grec n’a pas exactement cette forme, il a du moins le verbe περι-ρρέω, qui est conciliable avec cet adverbe sur le plan sémantique puisqu’il signifie « tomber en glissant, en s’affaissant ». Or ce verbe a pour aoriste περι-ρρυῆναι. La solution apparaît : dérivé de ce thème verbal, l’adverbe aurait dû comporter cinq syllabes, mais il a été réduit à quatre par consonantisation du [u] : *perisruēdān > *perisru̯ēdān > περιρρ(ϝ)ήδην. Enfin, cet adverbe a été adjectivé par adoption de la flexion sigmatique. Son sens est bien « qui tombe en glissant, en s’affaissant sur lui-même », et ce sens correspond tout à fait au sens du verbe περιρρέω. C’est cet accord sémantique qui justifie notre proposition étymologique. Pour rendre compte du -δ-, on cherchait autrefois un substantif *ῥῆδος (qui n’existe pas) et on rapprochait ῥαδινός « souple », mais il n’y a aucune proximité sémantique entre περιρρηδής et cet adjectif. Comme le suffixe qui permet de construire des adjectifs sigmatiques sur des verbes préverbés est -εσ-, et non -δεσ-, il faut faire le détour par l’adverbe περιρρήδην. Il n’y a pas là de tour de passe-passe, puisque cet adverbe a bel et bien existé et que, sans être fréquent, le phénomène de la création d’adjectifs sur des adverbes est bien connu en grec, comme en témoigne par exemple σχολαῖος « qui agit à loisir », dérivé de σχολῇ « à loisir ». Pour le détail de la démonstration, voir A. Blanc, « Hom. περιρρηδής ‘en s’affaissant’ : composé sigmatique à dérivation indirecte », REG 124, 2011, p. 115-135.
148A.B.
149πλίσσοµαι : « avancer au grand trot » [notice complétant celle publiée sous le même lemme dans CEG 13, 359]. – Pisani, Mél. Boisacq II (1938), p. 181-192, cité à deux reprises par Chantraine (DELG 918a), estime que les emplois poétiques, qui sont également les plus anciens, invitent à partir du sens de « mouvoir les jambes (rythmiquement) » > « danser », mais cette hypothèse ne rend pas compte des occurrences du Corpus hippocratique, où il n’est pas question de mouvoir les jambes mais de les écarter fortement. Comme le montre J. Jouanna, RPh 85, 2011[13], p. 75-102, le sens fondamental de la base πλιχ- est « faire de grands écarts entre les cuisses » (p. 90). Dans les textes techniques, elle indique un écart latéral obtenu en position statique, tandis que, dans les textes poétiques, l’écart est longitudinal, car provoqué par la position dynamique de celui qui se déplace (p. 88-89).
150Sur la forme de part. parf. médio-passif διαπεπλιγµένος (Archil. fr. 114,1 West) « au pas allongé », qui est en fait une correction due à Hemsterhuys, et sur les controverses qu’elle a suscitées encore récemment, v. Jouanna, o.c., p. 90-96 ; ajouter le neutre pl. διαπεπλιγµένα (Hp., Arét.), dit de membres inférieurs (σκέλη) très écartés (p. 79-84) ; corriger le parf. actif intransitif διαπεπλιχώς en διαπεπλιχός [στόµα] (Hp. Mul. II,167), appliqué à « l’orifice [sc. de la matrice] grande ouverte » (p. 85-86) ; mettre en parallèle l’impératif parf. passif sg. 3 ἐκπεπλίχθω (Hp. Prorrh. II,24), ces deux emplois procédant de celui d’« écarter les jambes », comme le suggère le part. aor. actif διαπλίξασα (Hp. Mul. II, 195). Ajouter aussi le part. parf. passif ἐκπεπλιγµένον (Hp. Fract. 25 et 32) « béant » que, par une nouvelle extension de sens, on a appliqué à une plaie sans référence à la partie anatomique qui sert de point de départ à la désignation. Sur περιπεπλιγµένα (Hp. Prog. 3, v.l. et Stratt. fr. 65,2 PCG VII K.-A.), v. o.c. p. 83 et 98-100 ; sur le f. passif sg. 2 καταπλιγήσει (Ar. fr. 205,4 PCG III/2 K.-A.) « tu seras abattu par la prise du grand écart », p. 96-98. – Parmi les formations nominales, préciser que πλίξ (schol. ad Ar. Ach. 217) désigne aussi « l’intervalle entre le pouce et l’index » (p. 88 n. 39) et que πλιχάς, -άδος (Hp. Fract. 20 et Art. 54) désigne très exactement « l’intervalle entre la naissance des membres inférieurs » (p. 83-84). En ce qui concerne l’adjectif sigmatique neutre πλιχῶδες [ἕλκος] (Hp. VC 19, v.l.), déjà signalé CEG 13 s.u. πλίσσοµαι, renvoyer maintenant à Jouanna, o.c., p. 87-88.
151P.R.
152πούς, gén. ποδός : m. « pied » (Hom. +). – [Ajouter à DELG 932b § 4 :] Il est possible d’établir un rapport entre l’appellatif myc. ti-ri-po-di-ko (MY Ue 611,4) /τριποδίσκοι/ « petits trépieds » et l’anthroponyme correspondant ti-ri-po-di-ko (PY CN 599,8) /Τριποδίσκωι/ (dat.) « Tripodiscos, Petittrépied » et de mettre ainsi en lumière la motivation de ce dernier si l’on admet, avec Ch. de Lamberterie, Hommages Skoda (2014), p. 47-56, que Τριποδ-ίσκος, diminutif de myc. ti-ri-po, hom. τρίπος comportant la même finale que νεᾱν-ίσκος [Hdt. +] « petit jeune homme », est un sobriquet désignant un « petit vieux », γηραλέος, en ce qu’il s’appuie sur un bâton pour s’en faire un troisième pied, cf. Arg. ad Eur. Ph. : γηραλέος δὲ πέλων τρίτατον πόδα βάκτρον ἐρείδει. En revanche, le toponyme du premier millénaire Τριποδίσκος (Thc. +) désigne un carrefour de trois routes. Voir l’ensemble du dossier chez Lamberterie, o.c., avec histoire de la question et références.
153P.R.
154Le texte de l’argument des Phéniciennes d’Euripide sur lequel je me suis appuyé pour justifier mon interprétation de l’anthroponyme mycénien raconte l’épisode célèbre de l’énigme de la Sphinx, et le vers cité ci-dessus est mis dans la bouche d’Œdipe qui résout l’énigme (l. 31 dans l’édition d’H. Grégoire, L. Méridier et F. Chapouthier, Paris, CUF, 1950). L’encodage de l’énigme, mis dans la bouche de la Sphinx, commence ainsi (l. 21-23) : Ἔστι δίπουν ἐπὶ γῆς καὶ τετράπον, οὗ µία φωνή #, καὶ τρίπον· ἀλλάσσει δὲ φυὴν µόνον, ὅσσ᾿ ἐπὶ γαῖαν # ἑρπετὰ κινεῖται ἀνά τ᾿ αἰθέρα καὶ κατὰ πόντον, texte que dans mon article j’avais traduit ainsi (p. 52) : « Il existe sur terre un être qui a deux, trois ou quatre pieds, mais une seule voix ; il est le seul à changer d’espèce parmi tous ceux qui se déplacent sur terre, sur mer ou dans les airs », en reprenant pour φωνή la traduction de la CUF et en rendant φυήν, que les éditeurs laissaient sans traduction, par « espèce ». Mais, ainsi que me le signale J. Lallot (per litt.), il vaut bien mieux donner ici à φωνή le sens de « mot, vocable, dénomination », attesté chez les grammairiens ; le fait que les lecteurs (anciens et modernes) du texte n’y songent pas immédiatement est précisément constitutif du caractère énigmatique de l’énoncé. Quant à φυήν, le texte comporte un jeu entre les deux acceptions principales du mot φυή, d’une part « croissance, stature, allure » et de l’autre « nature, caractère propre », proche en ce dernier sens de φύσις (v. LSJ s.u.). Le mot à trouver (φωνή) est ἄνθρωπος (l. 29, dans la solution de l’énigme [λύσις τοῦ αἰνίγµατος] donnée par Œdipe), être vivant bipède mais qui dans son enfance en est encore au stade du quadrupède, c’est-à-dire de l’animal. Cet emploi de δίπους et de τετράπους, qui a des origines indo-européennes, est signalé par Chantraine, l.c. (DELG 932b, § 3), avec renvoi à R. Schmitt, Dichtung (1967), § 431-444 ; ajouter maintenant, entre bien d’autres, Benveniste, Vocabulaire (1969), I, 47-61 et Indo-European and Indo-Europeans (1970), p. 307-320 ; Watkins, Hethitisch und Indogermanisch (1979), p. 269-287 (= Sel. Wr. II, 644-662) ; en dernier lieu Lamberterie, art. cit., p. 51-55, avec références.
155Ch. de L.
156πρόσωπον : n. « visage, devant, façade » (Hom. +). – Ét. : À la suite de Frisk, GEW II, p. 602 s.u., Chantraine fait de πρόσωπον un composé hypostatique issu de *προτι-ωπ-ον « ce qui est en face des yeux » en tenant le vocalisme ω du second membre pour originel, en raison des nombreuses traces que le nom-racine ὄψ « vue, regard » a laissées dans la langue (cf. DELG 812a s.u. ὄπωπα). Mais E. Hamp, BSL 68/1, 1973, p. 83-84, suivi par G.-J. Pinault, BSL 95/1, 2000, p. 94 et Cl. Le Feuvre, BSL 105/1, 2010, p. 128 et 132, fait observer avec raison qu’il faut préférer l’apophonie du correspondant védique, à la fois parce qu’elle s’accorde avec celle du lat. antīquus « ancien, antique » < *h2enti-h3kw-o- « qui regarde vers avant » et que son isolement en védique même interdit de l’expliquer à partir d’autres formes de la même famille. On partira donc d’un ancien composé adjectival *proti-h3kw-ó- → subst. *próti-h3kw-o- (avec recul de l’accent) > véd. prátīka- « surface, visage, forme », et on admettra que l’ancien *πρόσῑπον attendu en grec a été refait en πρόσωπον sous l’influence des nombreux composés grecs à second membre -ωψ et -ωπός. Comme l’indique Beekes, EDG II, p. 1240 s.u., il est peu probable qu’une séquence i.-e. *Cih3C ait évolué en *CyωC en proto-grec : sur ce point, v. aussi EWAia II, p. 177 s.u. prátīka- et NIL, p. 372 s.u. *-h3ōku̯-o-, avec la bibliographie.
157P.R.
158πρώην « récemment, avant-hier » (Hom., ion.-att.), πρω « de bonne heure, le matin, tôt » (Hom. +). – Ét. : À la base de ces deux formes, Chantraine (DELG 944b) reconstruit un adverbe à vocalisme long *πρώ < i.-e. *prō < *proH, doublet de πρό (en ce sens aussi CEG 6 s.u. et EDG II, p. 1243 s.u.). Contre cette solution, Cl. Le Feuvre, BSL 105/1, 2010, p. 129-135, fait valoir deux objections. L’existence de cette forme à vocalisme long n’est pas attestée en grec en dehors de ce mot et n’est guère mieux garantie par les formes lat. prō et av. frā, dont la voyelle longue est manifestement secondaire. D’autre part, l’adjectif v.sl. pravŭ « droit » présente un /a/ long intoné rude qui ne peut s’expliquer ni à partir de *proH-, forme à voyelle longue inexistante en baltique et en slave en dehors de la composition, ni à partir d’une forme dérivée et suffixée en *-Hwo- au lieu de *-wo- normalement attendu. On ne peut donc le faire remonter qu’à un ancien composé *pro-Hw-o- « qui regarde vers l’avant > tourné vers l’avant > droit, rectiligne », dans lequel *-Hw-o- reflète le degré zéro thématisé de la racine i.-e. *Heu- « voir » (cf. véd. uvé « je vois » et hitt. ūhhi / uwanzi « id. » (détails LIV2 p. 243 s.u. *hleu̯-) ; ajouter véd. āvíḥ = av. āuuiš « manifestement » < *Hou-is (Le Feuvre, o.c., p. 138). Dès lors, on rendra compte des formes grecques en donnant à *pro-Hw-o- > gr. *πρωϝο- (cf. aussi v.h.all. fruo « tôt » < g.c. *frōwa- < i.-e. *prōwo-) le sens temporel de « qui regarde avant > précédent » et en admettant que l’adverbe πρώην « récemment » est un ancien acc. sg. de thème en *-ā- fossilisé par l’intermédiaire du syntagme *πρωϝᾱ́ν (ἁµέρᾱν) → *πρώϝᾱν (avec recul de l’accent pour accompagner le passage au stade adverbial), le sens d’« avant-hier » s’expliquant par l’association avec χθές « hier » dans des expressions comme πρώην τε καὶ χθές (Hdt. 2,53, etc.). Quant à l’adverbe πρω « tôt ce matin / tôt demain matin », s’il doit incontestablement son -ι à l’analogie de ἦρι « de bonne heure » et de πέρυσι « l’année dernière », l’adjectif dérivé πρώϊος « matinal » < *πρώϝιος peut avoir été tiré soit de la forme refaite *πρωϝί, soit directement de *πρωϝ-ιος (← *πρωϝ-ο-).
159P.R.
160Ῥῆσος [nouveau lemme]. – Le nom du roi des Thraces (Il. 10, 435, 474 et 519) ne nous apprend rien sur la langue thrace et n’a aucun rapport avec lat. rēx « roi » ; il s’agit d’un anthroponyme parfaitement grec. À partir de noms composés comme Ῥησίδικος, Ῥησίµαχος, Ῥησισθένης, dont le premier membre est à relier à ῥῆσις « parole » (mot sur lequel v. DELG s.u. 2 εἴρω « parler », p. 325b, mais sans mention des composés), ont été créés les abréviatifs Ῥῆσος et Ῥησώ (nom de femme), selon un système identique à Λυσίδικος / Λῦσος / Λυσώ, Μνησίµαχος / Μνῆσος / Μνησώ, Κτησισθένης / Κτῆσος / Κτησώ (tous ces noms figurent dans LGPN). Cette explication, due à G. Neumann, est développée par R. Schmitt dans Novalis Indogermanica (= Fest. Neumann), 2002, p. 443-452.
161M.E.
162ῥοχθέω : « battre, marteler » d’où « bruire, mugir » (Od., A.R., Opp.). – Tenir compte désormais de l’étude de Cl. Le Feuvre, RPh 85, 2011[14], p. 273-274 et 287-289, qui montre qu’à l’instar de ἐρέχθω (cf. s.u.), ῥοχθέω, dont les contextes d’emploi sont figés, signifie originellement « marteler, battre contre », comme on peut le vérifier p. ex. Od. 5,402-403, ῥόχθει γὰρ µέγα κῦµα ποτὶ ξερὸν ἠπείροιο # δεινὸν ἐρευγόµενον « le flot puissant bat contre la terre ferme de la côte, mugissant affreusement », le sens de « bruire, mugir » s’expliquant à la fois par le principe de glose, qui a conduit les exégètes à tirer le sens de ce verbe du contexte et des termes formellement proches (ici ἐρεύγοµαι), et par le principe de permutation contextuelle, car nombreux sont les passages où il est question du bruit des vagues, ainsi Il. 17,264 # βέβρυχεν µέγα κῦµα ποτὶ ῥόον // « le flot puissant gronde en heurtant le courant ». Dans ces conditions, et comme l’indique déjà Chantraine (DELG 978b s.u.), le substantif ῥόχθος (Lyc., Nic.) « bruissement, mugissement (de la mer) » ne peut être qu’un dérivé inverse de ῥοχθέω dont la création a été favorisée par le rapprochement paronymique entre ῥοχθέω et le groupe de ῥοθέω (cf. ῥόθιος [Od. 5,412] « grondant ») : cf. Le Feuvre, o.c., p. 288.
163Ét. : Dans la mesure où ἐρέχθω et ῥοχθέω signifient tous deux « battre, marteler » et où, dans les passages où il est employé (Od. 5,402-403 et 12,60), ῥοχθέω indique non un coup ponctuel mais des coups continus et répétés (battement des vagues ou rafales de vent), on suivra Cl. Le Feuvre, o.c., et on verra dans ῥοχθέω non plus un verbe expressif (sic Chantraine) mais l’itératif de ἐρέχθω, le couple ἐρέχθω / ῥοχθέω étant exactement parallèle au couple bien connu ϕέρω / ϕορέω. Détails complémentaires s.u. ἐρέχθω.
164P.R.
165σάκος : « bouclier (long) ». – Sur l’étymologie de ce neutre sigmatique, et en particulier sur l’équation posée traditionnellement avec véd. (°)tvacas-, voir des éléments de bibliographie dans la notice s.u. ἀσπίς.
166É.D.
167σέσηρα : « montrer les dents, grincer des dents » (Hés. Sc. 268), parf. à sens présent. – Préciser que, contrairement à ce que laisse croire Chantraine (DELG 996b s.u.), la métaphore des lèvres de la plaie est bien connue de la médecine antique (cf. Hp. Fract. 32 et Arét. CA 6,2,9), et que le passage du sens propre « écarter les lèvres l’une de l’autre sans bouger l’os de la mâchoire > montrer les dents » (cf. Gal. 18B.597, 1-4 K.) au sens figuré « s’écarter (en parlant des bords d’une plaie) par effet de l’inflammation » (cf. Gal. 18B.544, 10-17 K.) s’y trouve clairement explicité : détails chez J. Jouanna, Hommages Skoda (2014), p. 117-124.
168P.R.
169τάρπη : f. « large panier d’osier » (inscr. att. IVe s. av., Poll. 10,158, EM, syracusain selon Hsch.) ; ταρπός m. « id. » (Poll. 1,174). – L’interprétation de myc. to-pa comme τάρπη (pour le vocalisme de la première syllabe, cf. to-pe-za / τράπεζα) est désormais confortée par la présence du composé to-pa-po-ro /torpāphoros/, vraisemblablement « porteur de corbeille du modèle τάρπη », attesté trois fois dans les tablettes de Thèbes (Av 101, Fq 341, Gp 184). Voir Jörg Weilhartner, « Die Teilnehmer Griechischen Kultprozessionen und die mykenischen Tätigkeitsbezeichnungen auf -po-ro- / -φόρος », dans Donum Mycenologicum (= Studies Aura Jorro), 2014, p. 201-219 (201-204 pour to-pa-po-ro).
170A.B.
171τέλος : n. « achèvement ». – Aux composés en -τελής (DELG 1101b-1102a) il faut rattacher le nom du philosophe Ἀριστοτέλης, qui se relie au sens 3 « détachement militaire ou naval, troupe », issu lui-même du sens 2 « ce qui est dû, taxe, douane, paiement » (A. Leukart, « Le nom d’Aristote », Philokypros [= Mél. Masson], 2000, p. 201-208). À époque mycénienne, la possession des terres impliquait une obligation de service militaire et un tel groupe armé à la charge du propriétaire était un télos *« charge qu’on porte » (donc aussi « charge morale »), dont les membres étaient les te-re-ta /teles-tai/ « hommes de service ». Le composé Ἀριστοτέλης signifie donc « celui qui a la meilleure troupe », avec une connotation guerrière et aristocratique (p. 206).
172M.E.
173τεύχω : « fabriquer ». – Pour Kümmel (LIV2 p. 148 s., 640), le verbe τεύχω, aoriste τέτυκον, ne continue pas seulement i.-e. *dheugh- « atteindre », source de τυγχάνω, ἔτυχον, mais aussi une racine *teuk- figurant notamment dans le slave tŭkati « tisser ». On ira volontiers jusqu’à supposer que seuls τυγχάνω et *τεύκω sont anciens, et que le second a reçu secondairement une aspiration par suite d’un rapprochement parétymologique avec certaines acceptions du premier. – Efstratios Sarischoulis, « Hinweise auf den Bedeutungsinhalt der Wurzel *dheugh-/*dhugh- aus der Linear B-Dokumentation » (Glotta 86, 2010[11], 98-108), recense les dérivés mycéniens de τεύχω et les diverses significations proposées pour chacun, dans l’intention d’éclairer le sens premier de τύχη. Toutefois, s’il faut distinguer en grec deux racines, resp. *thukh- (τυγχάνω) et *tuk- (τεύχω), il n’y aura aucune parenté entre τύχη « hasard, chance » d’une part et myc. /tetukwoha/, /toukā/, /teukos/ (n.), /opiteukeheus/ d’autre part.
174R.V.
175τρέφω : « nourrir ». – Ajouter aux composés à vocalisme o cités DELG 1134b l’hapax ἀσπιδοτρόφους et l’adjectif θηριοτρόφους (acc.) qui lui est coordonné, qualifiant les Marses (Galien, Sur la méthode thérapeutique à Glaucon, II,12). Contrairement aux interprétations qui voient en ces formes des composés proparoxytons de sens passif ἀσπιδότροφος et θηριότροφος « nourri d’aspics et de vipères », on les analysera comme des composés paroxytons de sens actif ἀσπιδοτρόφος et θηριοτρόφος « qui nourrit des aspics et des vipères », les Marses étant des chasseurs et des éleveurs de vipères (Galien, Des médicaments simples, XI,1) ; voir J. Jouanna et V. Boudon-Millot, REG 121, 2008, p. 771-782.
176F.S.
177Τρῑφίς (Τρειφ-), -ίδος : f. [nouveau lemme]. – Théonyme féminin d’origine égyptienne (référence des attestations épigraphiques chez H. Gauthier, BIFAO 3, 1903, 165-181 et A. Bernand, Pan du désert, Leiden, 1977, 215). Τρῑφίς représente la transposition grecque du titre honorifique égyptien Ta-Repit « la noble (dame) » porté par des divinités léontocéphales, dont l’une bénéficiait d’un culte dans la région d’Akhnîm-Panopolis (Haute-Égypte). Dérivé : toponyme Τρίφιον (= copte Triphiou, Atripe), où se trouvait un sanctuaire de la déesse. Composés : parmi les anthroponymes théophores, tous attestés dans cette même région (Ψεντα-τρῖφις [-τρῖπις], Τα-τρῖφις, Τατε-τρῖφις, Πετε-τρῖφις), noter le composé Τριφιό-δωρος, qui fut porté notamment par le poète et grammairien du ive siècle, auteur d’une Prise d’Ilion. En face de la graphie Τριφιόδωρος, qui est la mieux attestée désormais depuis la publication en 1964 du P. Beatty Panopolis 1, la graphie alternative Τρυφιόδωρος n’apparaît qu’à partir du vie s. Loin de témoigner de l’iotacisme, ce changement résulte plutôt de la remotivation synchronique de cet anthroponyme d’origine païenne, sous l’influence de la formule biblique παράδεισος τῆς τρυφῆς « jardin de délices » (Gen. 3.23), très fréquente dans les inscriptions funéraires d’Égypte et de Nubie ainsi que dans la liturgie copte locale. Sur l’ensemble de ce dossier, voir G. Husson, dans Selon les Septante (= Hommage Harl), 433-440, qui renvoie à É. Bernand, ZPE 96, 1993, 64-66 pour le détail des formes et des références bibliographiques.
178N.G.
179φαλλός, -οῦ : m. « pénis » (inscr., Hdt., etc.). – Parmi les noms propres, ajouter le sobriquet Φαλ(λ)ας (IG IX I, 5, 2042) : détails chez L. Dubois, Hommages Skoda (2014), p. 83-84.
180P.R.
181χόννος : m. « coupe de cuivre », mot crétois. – Chantraine indiquait dans la section étymologique : « Forme apparemment authentique, mais peu claire ; à relier avec χόανος, χῶνος, voir s.u. χέω ? ». Réflexions intéressantes d’Yves Duhoux, « La tablette Linéaire B TH X 105 », dans Donum Mycenologicum (= Studies Aura Jorro), 2014, p. 31-32 : plutôt que de comprendre to-sa ko-na (TH X 105) comme τόσσα κοινά « tant de choses communes », Duhoux propose *τόσσα χόννα ou *τόσσαι χόνναι « tant de coupes », « un inventaire de coupes [n’étant] pas déplacé dans les archives de la rue Pélopidou, puisque deux tablettes y font état de récipients » (p. 32). À côté du masculin χόννος on aurait donc eu une forme neutre (*χόννον) ou féminine (*χόννᾱ). Si cette hypothèse est juste, le rapprochement avec χόανος et l’étymologie par la racine i.-e. *ĝhew- « verser » sont impossibles, puisqu’un /w/ serait obligatoirement noté par l’écriture mycénienne, comme le remarque Duhoux.
182A.B.
183χρίµπτοµαι : « frôler, effleurer ; mener tout près de, faire approcher de, s’approcher ». – P. Chantraine (DELG 1277) préférait voir dans ce verbe une formation de date grecque, et ne mentionnait pas l’idée d’un rapprochement avec germ. *greipa- (cf. got. greipan, v.isl. grípa, v.angl. grīpan, v.h.a. grīfan, etc.) et lit. griẽbti « saisir, prendre ». Ce rapprochement a par ailleurs été mis en doute par E. Tichy, Onomatop. Verb. Gr., 1983, p. 46 n. 38, pour qui il semblait difficile de reconstruire un vieux présent à infixe nasal indo-européen à partir d’une racine comportant un *b. Le dossier a été repris par D. Kölligan (Indogermanistik und Linguistik im Dialog, 2011, p. 279-288), qui part d’une racine *ghrei̯bh- plutôt que d’une racine *ghrei̯b- : une sonore aspirée *bh convient mieux pour lit. griẽbti, car une sonore simple *b laisserait plutôt attendre une intonation radicale rude selon la loi de Winter ; et cette reconstruction ne pose pas nécessairement de difficultés en germanique, où la sourde *p peut relever d’un développement secondaire interne à ce groupe de langues, peut-être à partir de l’intensif germ. *grippija- (cf. R. Lühr, Expressivität und Lautgesetz im Germanischen, 1988, p. 356). Le verbe grec χρίµπτοµαι remonterait alors à un ancien présent à infixe nasal resuffixé en *-i̯e/o-, *ghri-n-bh-i̯e/o-. Son sens résulterait de la lexicalisation de la valeur imperfective du thème de présent (« *chercher à saisir, être sur le point de saisir » > « s’approcher », « frôler », etc.), tandis que les formes germaniques et baltiques refléteraient le sens télique du thème d’aoriste *ghrei̯bh- / *ghribh-.
184É.D.
185ὠµός : adj. « cru, non cuit » (Hom. +). – Ét. : Préciser que la correspondance parfaite entre gr. ὠµός, véd. āmá- et arm. hum, qui permet de postuler l’existence d’un adjectif i.-e. hérité *ōmó- (DELG 1302b), s’appuie également sur un formulaire hérité : outre le composé véd. āmā́d- « carnassier, mangeur de viande crue » < *ōmo-hléd- auquel le gr. répond par ὠµηστής « id. » (Il. +) < *ὠµ(ο)-ηδ-τᾱ́ς (← *ōmo-hléd-) et par les composés à second membre renouvelé ὠµο-ϕάγος (Hom. +) et ὠµο-βόρος (A.R., Æl. ; cf. calque arm. hm-a-ker), ajouter, à la suite de Euler, Gemeinsamkeiten, p. 35 et Garnier, BSL 106/1, 2011, p. 249-262, les concordances remarquables entre véd. # āmā́daḥ kṣvíṅkāḥ (RV 10, 87,7d), // āmā́do gŕ̥dhrāḥ (AV 11, 10,8d) « vautours carnassiers » et gr. οἰωνοὶ # ὠµησταί (Il. 10,453-454) « oiseaux carnassiers », ainsi qu’entre véd. gén. sg. āmásya kravíṣaḥ (RV 1, 162,10b) « chair crue » et gr. acc. pl. *ὠµὰ κρέϝαhα « id. » (cf. Il. 22,347 : # ὤµ(α) … κρέα ἔδµεναι).
186On pourra également retracer l’histoire de la genèse de l’adjectif *ōmó- en suivant les vues de R. Garnier, o.c., qui tient le véd. āmā́d- « carnassier » (< *ōmo-hléd-) pour un composé dans lequel le premier membre, qui était originellement un nom d’action, aurait été employé en fonction d’adjectif par le biais de la composition (cf. véd. gharmá-sveda- [RV 10, 67,7d] « dont la sueur est brûlante » < *« dont la sueur possède de la chaleur [gharmá-] »). Il propose donc de reconstruire, à la base de l’adj. i.-e. *ōmó-, un ancien nom d’action de la racine *hled-, *hlod-mó- « action de déchirer / dévorer » > « chair crue », par concrétisation sémantique sur le modèle de gr. βόρµος (Hsch.) « avoine » ← *βορµός (< *gwor(h3)-mó- avec « effet Saussure ») « pâture » (cf. gr. βορᾱ́ « id. »). Si, avec Kortlandt, on admet la possibilité d’une lénition de *-d- en *-hl- devant consonne (cf. CEG 6 s.uu. εἴκοσι, ἑκατόν, ἠθεος et πεντήκοντα), *hlod-mó- devait aboutir, dès l’i.-e., à *hlohl-mó- > *(H)oHmó- (l’étymon *h2/3eH(3)mos proposé par Beekes, EDG II, p. 1680 s.u. manque d’appuis). Cette reconstruction présente plusieurs avantages : 1) elle permet de comprendre pourquoi l’ancien substantif *ōmó- a très tôt perdu tout lien avec *hled-, sa base verbale, et ce, de façon encore plus radicale que gr. λοιµός (< *loi(h2)-mó-) « calamité, fléau » < *« ce qui s’abat sur » avec λιάζοµαι « s’abattre » (cf. CEG 13 s.uu.) ; 2) elle invite à admettre que le composé véd. āmā́d- repose sur une vieille figure étymologique *hlod-mó- *hled- « déchirer la chair crue », laquelle est encore bien attestée à la fois dans les composés grecs à premier terme ὠµο- susmentionnés et, sous forme analytique, dans les expressions homériques qui associent l’adj. ὠµός ou l’un desdits composés avec l’inf. ἔδµεναι (cf. Il. 22,347) ou avec les verbes synonymes βιβρώσκω « dévorer » (cf. Il. 4,35 : ὠµὸν βεβρώθοις Πρίαµον Πριάµοιό τε παῖδας « [si tu] dévorais tout crus Priam et ses enfants ») et δαρδάπτω « déchiqueter » (cf. Il. 11,479 : ὠµοϕάγοι µιν [sc. ἔλαϕον] θῶες […] δαρδάπτουσιν « des chacals carnassiers le [sc. le cerf] déchiquettent ») ; 3) elle vient opportunément confirmer que la racine *hled- signifiait primitivement « déchirer, dévorer », comme le laissait déjà supposer le nom i.-e. de la « dent » (< *« celle qui déchire »), *hld-ónt-s / *hld-n̥t-és (cf. CEG 5 s.uu. ὀδών et νωδός), ainsi que v.-isl. jǫtunn « géant » et v.-angl. eoten « ogre » < germ. com. *etunaz, reflets d’un dérivé à vr̥ddhi *hléd-un-o- « cannibale, dévoreur » < *« pourvu de voracité », à rapprocher des dérivés possessifs véd. dat-vánt- (RV +) « pourvu de dents » et myc. o-da-twe-ta (KN 4430b, etc.), o-da-tu-we-ta (KN 894.4) /ὀδάτϝεντα/ « (roues) à dentelures » et du nom d’action *hléd-wr̥ / *hld-wén-s « action de dévorer, nourriture » (> gr. *ἔδ-ϝαρ > hom. εἶδαρ). Une fois que la racine *hled- eut acquis le sens de « manger » et se fut spécialisée pour désigner l’alimentation des humains (cf. Od. 10,101 : […] ἀνέρες […] σῖτον ἔδοντες), l’« effet Kortlandt » n’opérait plus dans des formes fondées et motivées comme véd. ád-man- (RV 1, 58,2a) « nourriture » et gr. hom. εἶδαρ (cf. Od. 1,140 ; 11,123, etc.) « id. ».
187P.R.
Bibliographie
Abréviations et bibliographie [1]
- Autour de Michel Lejeune = Frédérique Biville & Isabelle Boehm (éds.), Autour de Michel Lejeune. Actes des Journées d’étude organisées à l’Université Lumière-Lyon 2 – Maison de l’Orient et de la Méditerranée (2-3 février 2006), Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, 2009 (Collection de la Maison de l’Orient, 43).
- Brixhe, Claude et Michel Lejeune, Corpus des inscriptions paléo-phrygiennes (CIPalPhryg). I : Texte – II : Planches, Paris, Éditions Recherche sur les Civilisations (Mémoire, n° 45), 1984.
- CIPalPhryg : voir Cl. Brixhe et M. Lejeune.
- De Dunhuang à Istanbul = Louis Bazin et Peter Zieme (éds.), De Dunhuang à Istanbul. Hommage à James Russell Hamilton (Silk Road Studies, V), Turnhout, Brepols, 2001.
- Delamarre, Xavier, Dictionnaire de la langue gauloise (DLGaul), Paris, Éd. Errance, 2e éd., 2003 (1re éd., 2001).
- DLGaul : voir X. Delamarre.
- Donum Mycenologicum = Alberto Bernabé & Eugenio R. Luján (eds.), Donum Mycenologicum : Mycenaean Studies in Honour of Francisco Aura Jorro, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2014 (Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 131).
- Dubois, Laurent, Inscriptions grecques dialectales de Sicile (IGDS). I, Rome, École française de Rome, 1989 (Collection de l’ÉFR, vol. 119) ; II, Paris-Genève, Droz, 2008 (École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques – III : Hautes études du monde gréco-romain, 40).
- Duhoux, Yves, Le Verbe grec ancien. Éléments de morphologie et de syntaxe historiques (Verb. Gr.), 2e éd., Louvain-la-Neuve, Peeters, 2000 (Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 104) [1re éd., 1992].
- EDHittIL : voir A. Kloekhorst.
- EDL : voir M. de Vaan.
- Euler, Wolfram, Indoiranisch-griechische Gemeinsamkeiten der Nominalbildung und deren indogermanische Grundlagen, Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Sprachwissenschaft (Bd 30), 1979.
- Gaulois et celt. contin. = Pierre-Yves Lambert et Georges-Jean Pinault (éds.), Gaulois et celtique continental (Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 13-15 mars 1998), Paris- Genève, Droz, 2007 (École pratique des hautes études, Sciences historiques et philologiques – III : Hautes études du monde gréco-romain, 39).
- Godel, Robert, Les Sources manuscrites du Cours de linguistique générale de F. de Saussure, Genève, Droz – Paris, Minard, 1957 (Société de publications romanes et françaises, 61).
- Haudry, Jean, La Religion cosmique des Indo-Européens, Milan, Archè, 1987.
- Hethitisch und Indogermanisch = Erich Neu & Wolfgang Meid (hrsgb.), Hethitisch und Indogermanisch. Vergleichende Studien zur historischen Grammatik und zur dialektgeographischen Stellung der indogermanischen Sprachgruppe Altkleinasiens, Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Sprachwissenschaft (Bd 25), 1979.
- Hommage Romilly = Marc Fumaroli, Jacques Jouanna, Monique Trédé et Michel Zink (éds.), Hommage à Jacqueline de Romilly : L’empreinte de son œuvre. Actes du colloque organisé les 27-28 octobre 2011, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2014.
- Hommages Skoda = Isabelle Boehm et Nathalie Rousseau (dir.), L’expressivité du lexique médical en Grèce et à Rome : Hommages à Françoise Skoda, Paris, Presses de l’université Paris-Sorbonne, 2014.
- IGDS : voir L. Dubois.
- IJDLLR = International Journal of Diachronic Linguistics and Linguistic Reconstruction, 1-, 2004-.
- Indogermanistik und Linguistik im Dialog = Thomas Krisch & Thomas Lindner (hrsgb.), Indogermanistik und Linguistik im Dialog. Akten der XIII. Fachtagung der Indogermanischen Gesellschaft, Salzburg, 21.-27. September 2008, Wiesbaden, Reichert, 2011.
- Janda, Michael, Die Musik nach dem Chaos. Der Schöpfungsmythos der europäischen Vorzeit, Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Kulturwissenschaft (Neue Folge, Bd 1), 2010.
- Janda, Michael, Purpurnes Meer. Sprache und Kultur der homerischen Welt, Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Kulturwissenschaft (Neue Folge, Bd 7), 2014.
- Kloekhorst, Alwin, Etymological Dictionary of the Hittite Inherited Lexicon (EDHittIL), Leiden, Brill, 2008 (Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series, 5).
- Lex. AltPreuss. Verb. : voir W. Smoczyński.
- Lühr, Rosemarie, Expressivität und Lautgesetz im Germanischen, Heidelberg, Winter, 1988.
- Meillet, Antoine et Joseph Vendryes, Traité de grammaire comparée des langues classiques, 2e éd. (J.V.), Paris, Champion, 1948 (1re éd., 1924[25]).
- Meissner, Torsten, S-Stem Nouns and Adjectives in Greek and Proto-Indo-European : A Diachronic Study in Word Formation, Oxford, Oxford University Press, 2006.
- Mél. Boisacq = Mélanges Émile Boisacq, I-II, Bruxelles, Annuaire de l’Institut de philologie et d’histoire orientales et slaves, V (1937) – VI (1938).
- Mél. Casevitz : voir Φιλολογία.
- Mem. Ben Schwartz = Yoël L. Arbeitman (ed.), A Linguistic Happening in Memory of Ben Schwartz. Studies in Anatolian, Italic and Other Indo-European Languages, Louvain-la-Neuve, Peeters, 1988 (Bibliothèque des Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, 42).
- Φιλολογία, Mélanges offerts à Michel Casevitz, édités par Pascale Brillet-Dubois et Édith Parmentier, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux, 2006 (Collection de la Maison de l’Orient, 35).
- Polyphonia Romana = Alessandro Garcea, Marie-Karine Lhommé et Daniel Vallat (éds.), Polyphonia Romana. Hommages à Frédérique Biville, 1-2, Hildesheim – Zurich – New York, Georg Olms Verlag, 2013 (coll. Spudasmata, Bd 155).
- Schumacher, Stefan, Die keltischen Primärverben. Ein vergleichendes, etymologisches und morphologisches Lexikon, unter Mitarbeit von Britta Schulze-Thulin und Caroline aan de Wiel, Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Sprachwissenschaft (Bd 110), 2004.
- Selon les Septante = Gilles Dorival & Olivier Munnich (dir.), Selon les Septante (Κατὰ τοὺς ο′) : Trente études sur la Bible grecque des Septante en hommage à Marguerite Harl, Paris, Les Éditions du Cerf, 1995.
- Smoczyński, Wojciech, Lexikon der altpreussischen Verben (Lex. AltPreuss. Verb.), Innsbruck, Innsbrucker Beiträge zur Sprachwissenschaft (Bd 117), 2005.
- Sprachwissenschaft und Philologie = Heiner Eichner & Helmut Rix (hrsg.), Sprachwissenschaft und Philologie. Jacob Wackernagel und die Indogermanistik heute. Kolloquium der Indogermanischen Gesellschaft vom 13. bis 15. Oktober 1988 in Basel, Wiesbaden, Dr. Reichert Verlag, 1990.
- Tichy, Eva, Onomatopoetische Verbalbildungen des Griechischen (Onomatop. Verb. Gr.), Wien, Verlag der Öst. Ak. der Wiss. (Phil.-Hist. Klasse, Sitzungsberichte, 409. Bd), 1983.
- Vaan, Michiel de, Etymological Dictionary of Latin and the Other Italic Languages (EDL), Leiden, Brill, 2008 (Leiden Indo-European Etymological Dictionary Series, 7).
- van de Laar, Henri M.F.M., Description of the Greek Individual Verbal Systems (Gr. Verb.), Amsterdam – Atlanta GA, Rodopi, 2000 (Leiden Studies in Indo-European, 11).
- Verba Docenti = Alan J. Nussbaum (ed.), Verba Docenti. Studies in Historical and Indo-European Linguistics Presented to Jay H. Jasanoff by Students, Colleagues, and Friends, Ann Arbor – New York, Beech Stave Press, 2007.
Notes
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[1]
La présente liste complète la bibliographie du DELG (dans sa version la plus récente, à savoir DELG 2009, p. xi-xiv) et du Supplément au DELG, constitué par les dix premières livraisons de la CEG (DELG 2009, p. 1379-1383), ainsi que les indications fournies à la fin de la CEG 11 (RPh 80/2, 2006[08], p. 367-369), de la CEG 12 (RPh 83/1, 2009[12], p. 326-328) et de la CEG 13 (RPh 85/2, 2011[13], p. 365-366).