Couverture de PHIL_871

Article de revue

Bibliographie critique

Pages 173 à 196

Notes

  • [1]
    « Sella, subsellium, meretrix : sonantes-voyelles et ‘effet Saussure’ en grec ancien », dans J.H.W. Penney (dir.), Indo-European Perspectives. Studies in Honor of Anna Morpurgo Davies, Oxford, Oxford University Press, p. 236-253. Voir aussi CÉG, 10 (RPh, 79/1, 2005), p. 169-170.
  • [2]
    Sur l’idée de traces métriques du *r? dans l’épopée homérique, on pourra se reporter à l’état de la question qui est fait par Ch. de Lamberterie, op. cit., p. 239-241.
  • [3]
    Outre les données qui se trouvent dans le Diccionario micénico (F. Aura Jorro, 1985-1993, Madrid), II, p. 362, voir, sur ce dernier point, J.-L. Perpillou, BSL, 76/1, 1981, p. 227-228.
  • [4]
    Voir les comptes rendus parus dans la RPh 80/1, p. 159-160, et 86/2, p. 193-195.
  • [5]
    Voir M. de Haro Sanchez & N. Carlig, Amulettes ou exercices scolaires : sur les difficultés de la catégorisation des papyrus chrétiens, à paraître dans les Actes du colloque international « Écrire la magie dans l’Antiquité – Scrivere la magia nell’antichità » (Liège, 13-15 octobre 2011), Presses Universitaires de Liège, coll. Papyrologica Leodiensia (10 p.).
  • [6]
    On aurait pu attendre ici des renvois, sinon systématiques, du moins sporadiques à S. Schad, A Lexicon of Latin Grammatical Terminology, Pise-Rome, 2007.
  • [7]
    La note 61 (p. 197) me semble quelque peu incomplète : l’emploi anaphorique et l’emploi indéfini d’un adverbe sont non seulement fonction du temps de l’énoncé, mais aussi de sa modalité.
English version

Vassilis L. Aravantinos, Maurizio Del Freo, Louis Godart et Anna Sacconi, Thèbes. Fouilles de la Cadmée. IV. Les Textes de Thèbes (1-433). Translitération et tableaux des scribes, Biblioteca di « Pasiphae ». Collana di Filologia e antichità egee, 4, Pise-Rome, Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali, 2005, XII + 340 pages

1Ce volume est le complément du tome III de la même collection paru sous le titre de Corpus des documents d’archives en linéaire B de Thèbes. Comme ce dernier volume, ce complément important reprend la translitération des différents documents dans l’ordre suivi précédemment : séries définies selon leur objet par des clés à deux lettres, rangées dans l’ordre alphabétique, cependant que, dans ces séries elles-mêmes, chaque tablette porte en outre son numéro d’inventaire initial : le total de 433 est atteint par l’ensemble des documents écrits alors connus, tablettes et fragments, nodules déjà anciennement découverts, probablement associés à des transferts de bétail. Seules les inscriptions peintes vasculaires, qui ne relèvent pas de la comptabilité palatiale, n’ont pas été retenues. Chaque transcription, ici sans la photo et le fac-similé qui constituent la matière même du corpus proprement dit, est accompagnée d’une fiche nourrie qui donne ou rappelle tous les détails de l’origine locale (rues Œdipe et Pélopidas omniprésentes, emplacement précis, date, auteur de la découverte), de l’état de conservation, de la forme (page, ou feuille de palmier), des dimensions, de la fabrication (traces d’une brindille de renforcement, traces d’ongles, bourrelet au dos qui révèle un tour de main des aides des scribes…), de la couleur même et, bien sûr, des difficultés éventuelles de lecture (à cet égard, on note deux petites corrections touchant les textes n° Fq 254 [+] 255 et X 386).

2On ne peut renoncer à saluer au passage certains nodules dont les animaux de référence sont probablement destinés à des sacrifices. Les nodules Wu 52 et 68 portent tous deux une indication SUS+SI où est abrégée la forme bien connue à Pylos de si-a2-ro (= ??????) pour des porcs apparemment en bon point, cependant que Wu 75 porte SUSm e-qi-ti-wo-e, avec un participe parfait désormais célèbre (= ???????? plur., ou -? du.), lequel ne veut pas forcément dire qu’ils soient morts, mais plus probablement mal en point (trop maigres ?).

3Enfin, le chiffre de 433 n’est plus le dernier, car au moins une tablette, publiée sous le n° 434, outre d’autres trouvailles qui ont pu la suivre éventuellement, est apparue sous la main heureuse de V. Aravantinos. Trouvée en quatre morceaux, cette grande tablette-page note une distribution de peaux à des personnages porteurs de noms connus et surtout inconnus. La publication complète, avec photo et fac-similé en taille réelle, en a été donnée lors du colloque mycénien de Rome 2006 : V.L. Aravantinos, L. Godart, A. Sacconi, « La tavoletta Uq 434 », dans Colloquium Romanum. Atti del XII Colloquio Internazionale di Micenologia. Roma 20-25 Febbraio 2006, « Pasiphae », I, Pise-Rome, 2008, vol. 1, p. 23 et suivantes.

4La suite du volume est consacrée à la présentation graphique des scribes : une première série de tableaux (p. 147-233) présente, pour chacune des treize « mains » classées à Thèbes depuis un n° 301 jusqu’à 315 (les mains 310 et 313 manquent, ayant été reclassées l’une en 304, l’autre parmi les mains non identifiées), un inventaire complet de son écriture avec fac-similé de chacune de ses réalisations de chaque syllabogramme. Cela va de présences discrètes, telle celle du scribe 308, dont on n’a qu’une tablette, portant 17 signes, ou celle de 309, dont les 6 signes correspondent à un fragment isolé, à celle, dominante, du scribe 305 qui, avec 1438 signes, emploie pratiquement tout le syllabaire. De tels déséquilibres peuvent être dus au morcellement des archives de Thèbes en plusieurs emplacements de la Cadmée, des séries entières pouvant n’avoir pas été retrouvées, comme correspondre à la prédominance d’un agent du palais (on songe alors au rôle du scribe n° 1 de Pylos).

5Les tableaux suivants (p. 237-260) sont synoptiques du répertoire graphique de chaque scribe, disposé sur la page selon le quadrillage du linéaire B, non point phonétique ni phonologique, mais selon un ordre purement matériel de complexité graphique croissante. Un « tableau des syllabogrammes de Thèbes », curieusement rejeté en fin de volume (p. 337), offre un modèle collectif qui ne diffère à vrai dire aucunement du modèle théorique que l’on trouve partout, hors le fait qu’il se fonde ici sur le meilleur d’écritures réelles, suggérant ainsi les ductus. Il va de soi que le tableau de 305 est quasiment complet, mais celui de 309 d’un grand vide.

6Suivent divers tableaux de concordance (p. 263-303) selon les séries, puis selon les numéros, les scribes, les endroits de trouvaille, celui des scribes étant certainement le plus utile. Les 32 dernières pages rebattent le jeu pour produire un index des mots, un des idéogrammes, un inverse, et enfin les tableaux des syllabogrammes et des idéogrammes de Thèbes (voir ci-dessus).

7Bref, un outil très complet qui, si l’on oublie les polémiques suscitées par l’interprétation de ces textes de Thèbes, complète heureusement leur publication.

8Jean-Louis Perpillou

Apollodore de Pergame, Thédore de Gadara, Fragments et témoignages, texte établi, traduit et commenté par Frédérique Woerther, Collection des Universités de France. Série grecque, 493, Paris, Les Belles Lettres, 2013, XLVIII + 230 pages dont 34 doubles

9La controversia tra Apollodoro di Pergamo e Teodoro di Gadara e le loro scuole è oggetto di un ormai consolidato filone di studi che concepisce il rapporto tra le teorie dei due retori come un reticolo sistematico di opposizioni. Tali studi, non certo privi di fondamento, operano però, in molti casi, estrapolazioni e generalizzazioni basate su un numero limitato di testimonianze non sempre esplicitamente attribuite ai due retori o tendono a supplire alle lacune della documentazione con paralleli tratti da altre fonti, con evidenti effetti distorsivi. Le dottrine di Apollodoro e di Teodoro sono così state inquadrate entro una griglia di opposizioni tra categorie talora generiche e di difficile delimitazione, come rigidità della precettistica vs libertà, tradizione vs innovazione, o esse stesse oggetto di dibattito, come atticismo vs asianesimo. Tali interpretazioni, finalizzate alla ricostruzione di una dottrina coerente a partire da una documentazione frammentaria e lacunosa, sono fortemente congetturali e rivelano, a un attento esame, tutta la loro fragilità. In questo panorama critico, l’edizione di Woerther si segnala per un taglio indiscutibilmente innovativo, che mira a ricostruire le teorie dei due retori come entità autonome, liberandole da qualunque sistema di opposizioni artificiosamente precostituito. Questo mutamento di prospettiva costituisce un presupposto sicuramente condivisibile ma dà luogo a conclusioni non sempre altrettanto convincenti : pur senza negare la realtà storica della polemica, Woerther tende a ridimensionarne e a sottostimarne la portata, come quando afferma che « la rivalité entre les deux rhéteurs n’est par ailleurs explicitement attestée que dans cinq témoignages » (p. xxv) senza tenere conto che, in un corpus documentario così esiguo, anche cinque testimonianze possono costituire elementi di prova decisivi. In altri casi, Woerther tende a mettere in dubbio il carattere propriamente dottrinario della polemica, ponendo il quesito se essa coinvolgesse solo la teoria o non fosse una rivalità di natura economica per l’educazione della gioventù greca e romana (p. xxvii), due prospettive che, a mio avviso, non appaiono affatto inconciliabili perché la controversia dottrinaria, mirante ad affermare la supremazia di una delle due scuole, poteva essere finalizzata anche ad arruolare una folta schiera di allievi provenienti dalle facoltose e influenti famiglie della nobilitas. Inoltre Woerther cerca di spostare la polemica dal piano della teoria retorica a quello della prassi oratoria : secondo la testimonianza di Seneca il Vecchio (Contr. 2.1.36), l’oratore Bruttedio Niger avrebbe criticato Siriaco per aver omesso la narratio ; la risposta di Siriaco fu che Bruttedio aveva avuto come maestro Apollodoro secondo il quale la narratio non deve mai essere omessa, mentre lui aveva avuto come maestro Teodoro che è di parere diverso. Secondo Woerther (p. 83), l’aneddoto non documenta necessariamente una regola rigida che i due retori avrebbero introdotto nel loro insegnamento ma potrebbe riferirsi a preferenze o abitudini dei due maestri ; tuttavia non mi sembra molto rilevante stabilire se la trasmissione di questo principio fosse affidata a lezioni teoriche o alla prassi oratoria, perché, di fatto, la prassi del maestro veniva a costituire per gli allievi una regola : non a caso la stessa norma è attribuita dall’Anonimo Segueriano agli apollodorei (Ars orat. ciuil. 113-115) ; nel commento al passo dell’Anonimo (p. 91) Woerther sottolinea che si tratta di una preferenza enunciata dagli allievi di Apollodoro e non dal maestro, nonostante Bruttedio Niger, come documenta Seneca il Vecchio, la attribuisse esplicitamente ad Apollodoro : diversamente non si spiegherebbe perché lo studioso collochi il passo senecano tra le testimonianze relative ad Apollodoro e non agli apollodorei. È quindi evidente che Woerther tende a ridimensionare la portata della polemica tra i due retori cercando di attribuirla agli allievi, anche a prezzo di qualche incongruenza. Inoltre il commento focalizza l’attenzione sulle convergenze tra le due teorie marginalizzando le differenze. Secondo la testimonianza di Quintiliano (3.6.35-36), Apollodoro e Teodoro avrebbero elaborato una teoria bipartita degli status : la prima categoria era denominata da Apollodoro ????µ?????? e si collocava in rebus extra positis, quibus coniectura explicatur, mentre da Teodoro era designata ???? ??????, cioè de eo an sit. Le due distinte formulazioni vengono fatte confluire da Quintiliano in un’unica categoria, la coniectura, mediante un procedimento di unificazione concettuale che rimuove le differenze tra dottrine non del tutto sovrapponibili per terminologia e per definizioni con l’obiettivo di ricondurle all’interno di una stessa casella classificatoria. In realtà, queste differenze implicavano una diversa concettualizzazione della coniectura e ciò poteva costituire un non trascurabile motivo di attrito tra le due scuole. La seconda categoria è denominata da Apollodoro ???? ???????, in quanto si colloca in nostris opinionibus, e comprende due status : qualitas e de nomine ; Teodoro la qualifica invece come (????) ??µ?????????, ossia de accidentibus ei quod esse constat, e la suddivide in quattro status : quid, quale, quantum, ad aliquid. Nell’impossibilità di ricondurre a unità due tipologie così eterogenee Quintiliano le descrive come reliqua, facendole confluire in una casella vuota in cui collocare tutto quello che non rientra nella coniectura. Ora, la classificazione quintilianea presuppone un processo di omologazione che la rende non sempre attendibile ai fini della ricostruzione delle dottrine ad essa sottese. Woerther (p. 80) sottolinea ripetutamente la convergenza tra le teorie di Apollodoro e Teodoro determinata dalla bipartizione, nonostante le numerose e preponderanti divergenze nelle definizioni, nel numero e nei tipi degli status segnalino una profonda frattura tra le due dottrine. Questa linea interpretativa rischia di approdare a una visione antitetica a quella vulgata ma non meno unilaterale. È quindi opportuno che questa nuova edizione, il cui alto profilo scientifico è fuori discussione, rappresenti per gli studiosi un valido punto di partenza per un riesame complessivo della documentazione che, attraverso un’attenta disamina degli elementi di convergenza e di divergenza, pervenga a una più equilibrata visione della controversia tra teodorei e apollodorei.

10Cesare Marco Calcante

Richard Bouchon, Pascale Brillet-Dubois et Nadine Le Meur-Weissman (dir.), Hymnes de la Grèce antique : approches littéraires et historiques. Actes du colloque international de Lyon, 19-21 juin 2008, Collection de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée 50. Série Littéraire et Philosophique 17, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2012, 408 pages

11Le volume, qui constitue les actes d’un colloque international (Lyon, 2008), s’ouvre sur quelques pages introductives (p. 9-18) relatives au contexte du colloque et aux questions qui s’y sont posées. Encouragés par les résultats obtenus au sein d’un groupe de travail interdisciplinaire autour d’Apollon Pythien et par des publications de référence traitant de l’hymne en général et de domaines voisins tels que la musique antique, les organisateurs ont décidé de convier des spécialistes de la poésie hymnique grecque antique pour l’aborder avec eux sous divers angles. L’un d’eux questionne la distinction entre hymne cultuel et hymne littéraire tout comme le lien qui les unit ; un autre s’attache aux raisons de conserver par écrit un texte conçu pour une exécution orale et aux changements que cette conservation induit quant au statut de ce texte ; un autre encore s’interroge sur les contraintes générées par la tradition et les modèles hymniques ; le dernier traite de l’appréhension d’un hymne, fruit aujourd’hui d’un travail tant philologique qu’historique, et pose la question de savoir si l’ambiguïté que peut présenter un texte se retrouvait dans le rituel. Une question récurrente posée par l’Introduction est celle de l’(in)adéquation de nos catégories à celles de l’antiquité.

12L’introduction est suivie de trois chapitres, qui regroupent les diverses contributions. Ces chapitres ne reprennent pas les questions soulevées dans l’introduction et les éditeurs n’expliquent pas l’articulation entre lesdites questions et les trois chapitres. À l’intérieur des chapitres, les contributions, dont la moitié est rédigée en anglais, sont classées chronologiquement dans le premier chapitre, thématiquement dans les deuxième et troisième.

13Le premier chapitre, intitulé « Hymnes et procédures hymniques » (p. 19-165), contient huit contributions : Fr. Létoublon s’intéresse aux formules d’ouverture des hymnes, Chr. Hunziger au narrataire dans les Hymnes homériques, Cl. Calame aux procédures hymniques dans les vers des sages cosmologues, N. Le Meur-Weissman aux catégories génériques, se demandant si les dithyrambes de Pindare et de Bacchylide sont des hymnes, M. Vamvouri Ruffy à une lecture intertextuelle de l’Hymne homérique à Hermès et du Protagoras de Platon, B. Acosta-Hugues et Chr. Cusset à la relation entre le recueil des Hymnes de Callimaque et celui des Hymnes homériques, É. Prioux aux liens entre les hymnes qui chantent les dieux et ceux qui glorifient les rois, J.M. Bremer finalement au destin d’une épigramme gravée en l’honneur d’Auguste après sa victoire à Actium.

14Le deuxième chapitre, « Commenter un Hymne homérique » (p. 167-198), réunit cinq interventions faites lors d’une table ronde : N. Richardson traite des pans philologique et historique du commentaire à un Hymne homérique, A. Faulkner de l’exécution de l’Hymne homérique à Aphrodite, M. Chappell de l’ouverture de l’Hymne homérique à Apollon, O. Thomas des vers 103-141 de l’Hymne homérique à Hermès et A. Vergados revient aux composantes philologiques et historiques d’un commentaire, centré cette fois sur l’Hymne homérique à Hermès.

15Si les Hymnes homériques sont bien présents également dans le troisième chapitre, « Hymne, histoire religieuse et théologie » (p. 199-312), d’autres hymnes, dont les épigraphiques, y sont également traités : S. Lebreton se penche sur les épiclèses dans les Hymnes orphiques, se concentrant sur l’exemple de Dionysos, R. Wagman sur la poésie sacrée et le renouveau religieux dans l’Épidaure romaine, W.D. Furley sur l’hymne épidaurien à la Mère des dieux, P. Brulé sur le Zeus de Palaikastros et sur le lien entre le panthéon panhellénique et le panthéon local, N. Felson sur la victoire et la virilité dans l’Hymne homérique à Apollon, D. Jaillard sur l’Hymne homérique à Hermès et sa place dans la pratique polythéiste grecque et S.L. Schein sur le divin et l’humain dans l’Hymne homérique à Aphrodite.

16Après la conclusion (p. 313-322), où J. Strauss Clay traite de l’espace dans lequel s’inscrivent les Hymnes homériques, le livre se clôt sur une bibliographie (p. 323-359), des illustrations (p. 361-372) et quatre index (p. 373-407), à savoir auteurs et textes cités, inscriptions, noms propres et notions.

17L’introduction évoque un colloque italien en 1991 qui a relancé en Europe la recherche sur les hymnes antiques. Nul doute que ce volume si riche jouera un rôle essentiel dans la recherche sur l’hymne grec antique, et ce sur un plan international.

18Antje Kolde

Benjamin Acosta-Hughes, Christophe Cusset, Yannick Durbec et Didier Pralon (dir.), Homère revisité. Parodie et humour dans les réécritures homériques, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2011, 220 pages

19Ce volume, issu d’un colloque qui s’est tenu en octobre 2008 à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, rassemble une douzaine d’études portant sur la réécriture parodique ou humoristique de la poésie homérique principalement à l’époque hellénistique et impériale, un pan de la réception antique d’Homère assez largement négligé jusqu’ici. Il fait attendre avec intérêt la publication de travaux menés dans la même veine sur la Présence des épopées archaïques dans les épigrammes grecques et latines (colloque organisé à la MMSH par Y. Durbec, D. Pralon, F. Trajber, en novembre 2012, actes à paraître chez Peeters).

20Seules deux œuvres proprement parodiques sont abordées. D. Pralon [p. 133-158] propose une traduction et un commentaire suivi des fragments du Margitès édités récemment par A. Gostoli (2007), première forme de détournement satirique du genre et des valeurs épiques (plutôt que simple réécriture homérique) qui nous soit connue. R. Garnier s’intéresse avec minutie à la langue composite de la Batrachomyomachie et à ses procédés de manipulation comique ; il propose in fine, sur un faisceau sans doute un peu ténu, de voir en Lucien son auteur [« un texte polyphonique », p. 107-121].

21Les principaux poètes hellénistiques, maîtres des croisements génériques, sont particulièrement bien représentés dans le volume. Différents exemples de dégradation de l’univers héroïque sont proposés, essentiellement sous la forme d’études particulières dont la visée humoristique est en réalité plus ou moins marquée : transpositions triviales autour de la figure d’Héraclès chez Callimaque (Aitia, fr. 26 et Hymne à Artémis, 142-161) et jeux d’énigmes avec le catalogue iliadique des vaisseaux chez Lycophron [Y. Durbec, « Manger, boire, batailler et mourir », p. 81-93] ; exploitation des ambiguïtés de la figure d’Ulysse dans l’Alexandra [V. Gigante Lanzara, « Il gioco dei contrari », p. 123-129] ou du statut héroïque délicat de Ménélas chez Théocrite, au service d’une charge politique [C. Cusset et F. Levin, « Aspects parodiques et humoristiques de la figure de Ménélas dans l’Épithalame d’Hélène », p. 51-63].

22Un autre ensemble s’intéresse à l’épopée tardive, spécifiquement à la rivalité hyperbolique qui caractérise les rapports de Nonnos avec son modèle : soit à travers le réemploi de formules homériques [C. De Stefani, p. 65-79], soit à partir d’un épisode particulier, réécriture des amours d’Aphrodite au chant XXIV des Dionysiaques [V. Gigante Lanzara, p. 129-132], ou Tromperie d’Arès au chant XXIX [H. Frangoulis, p. 95-106].

23Le genre de l’épigramme intéresse A. Sens, qui étudie des jeux de citation dans quelques épigrammes du grammairien Lucillius [« Notes on Homeric humor in Lucillius », p. 179-191], tandis que E. Sistakou explore des mécanismes de déplacement de motifs épiques dans des épigrammes érotiques de Rufinus et Straton [« Mock epic in the Greek Anthology », p. 193-210].

24La prose impériale est représentée par deux dialogues. M. Casevitz étudie le retournement de l’épisode de Circé qu’opère devant Ulysse le Gryllos de Plutarque, pourceau qui veut le rester [« Homère en prose : Plutarque et la réutilisation de l’Odyssée dans le traité Sur le fait que les animaux se servent de raison », p. 15-25]. J.-L. Charrière [p. 27-49] explore la gamme des références homériques dans le Charon de Lucien, entre allusion, pastiche, parodie explicite et centon, exploitation critique du pouvoir de la poésie – qui peut rappeler certaines scènes de la comédie ancienne.

25É. Prioux propose enfin une ouverture sur les images, en particulier trois mises en scène dégradées (Homère et les pêcheurs de Pompéi, l’Homère vomissant attribué à Galaton) ou décalée (Images de Philostrate) de la figure d’Homère qui constituent autant de prises de position esthétiques [« Parodie, humour et subversion dans les images inspirées de la vie et de l’œuvre d’Homère », p. 159-177].

26Le volume offre ainsi une série d’études particulières de cas, une impression qu’accentue sa curieuse organisation, par ordre alphabétique des contributeurs. L’un de ses mérites, et non le moindre, est de souligner constamment le potentiel parodique porté par les épopées homériques elles-mêmes, qui mettent d’ailleurs en scène ici ou là le rire des héros et des dieux (voir en particulier S. Halliwell, Greek Laughter, Cambridge, 2008). On regrettera cependant le silence de l’avant-propos sur les définitions, antiques et modernes, et sur les mécanismes et enjeux de la parodie (et autres procédés d’écriture connexes : pastiche, grotesque, caricature, etc.) : dans cette perspective, une réflexion sur les rapports de la comédie à l’épopée, pratiques mais aussi théoriques (les quelques lignes du chapitre 2 de la Poétique, la discussion du livre XV d’Athénée), aurait pu contribuer aux lignes de force de l’ouvrage.

27Sandrine Dubel

Sébastien Morlet et Lorenzo Perrone (dir.), Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique. Commentaire. Tome I : Études d’introduction, Anagôgê, 6, Paris, Les Belles Lettres / Les Éditions du Cerf, 2012, X + 414 pages

28L’Histoire ecclésiastique (HE) d’Eusèbe de Césarée est un texte à la fois capital pour la connaissance du christianisme antique et extrêmement complexe : les problèmes philologiques, littéraires et historiques qu’il soulève nécessitent un guide de lecture aussi riche et rigoureux que celui que nous proposent aujourd’hui, sous la direction de S. Morlet et L. Perrone, des chercheurs français, italiens et suisse, aux compétences complémentaires, engagés dans un projet d’édition commentée de cette œuvre, dont nous pouvons lire ici l’introduction.

29Sébastien Morlet (« Eusèbe de Césarée : biographie, chronologie, profil intellectuel », p. 1-31) ouvre le volume avec une mise en contexte de l’HE claire et bien documentée, permettant de revenir sur certains clichés attachés à cet auteur, perçu trop souvent comme un « théologien de cour », « manipulateur de ses sources », « érudit mais sans relief. » S. Morlet souligne au contraire l’originalité de la théologie de l’histoire d’Eusèbe, ainsi que la complexité de son « profil intellectuel » : polémiste, Eusèbe est aussi un savant arrimé à ses sources, attentif aux textes, mais qui ne sacrifie pas pour autant sa propre interprétation, ce qui donne lieu à une pratique ambiguë de la citation, tantôt fidèle, tantôt infidèle. Cette contribution comprend aussi une mise au point fort utile sur la chronologie des œuvres d’Eusèbe, qui, comme le reste des études, dresse un état des recherches les plus récentes sur le sujet.

30Non moins intéressants, mais plus obscurs, sont les deux articles suivants, traduits de l’italien ; celui d’O. Andrei (p. 33-82) porte sur les liens qui existent entre les Canons chronologiques et l’HE, et montre comment Eusèbe renouvelle la tradition chronographique. Une étude de genre, au sens plus large, mais qui n’évite pas toujours les redites par rapport à la précédente, est ensuite menée par E. Prinzivalli (p. 83-111) : fondateur d’un genre voué à une énorme postérité, Eusèbe s’inscrit aussi, en les révolutionnant, dans les traditions antérieures de la chronographie et de l’histoire judéo-hellénistique. Malgré les deux sections qui divisent l’œuvre, la première partie, constituée des sept premiers livres, couvrant trois siècles et abordant des thèmes variés, la seconde, formée des trois derniers livres, retraçant essentiellement, sur une vingtaine d’années, les persécutions de Dioclétien, l’auteur a su lui donner une homogénéité très forte, due à la structure idéologique providentialiste adoptée. L’article, intéressant, n’a pas le caractère synthétique attendu dans une introduction : il explique ainsi dans le détail et de manière suivie le prologue et le résumé initial de l’HE, ce qui risque de faire double emploi avec le volume à venir de commentaire.

31Puis E. Junod propose une très utile « description sommaire » de l’Histoire ecclésiastique (p. 113-150), avant que s’ouvre la seconde partie de l’ouvrage, consacrée à la tradition textuelle.

32V. Neri établit un « bilan critique » des éditions des livres VIII-IX et indique des « perspectives de recherche » (p. 151-183) : reprenant les observations de Schwartz, il cherche de nouveaux indices des réélaborations successives du livre IX, modifié en fonction de la dégradation de la relation entre Constantin et Licinius (de l’alliance à la rupture, après 324). Eusèbe chercha à unifier l’ensemble après avoir profondément changé sa perspective historique, ce qui justifie que l’on parle d’éditions différentes de l’œuvre.

33M. Cassin, M. Debié et M.-Y. Perrin, dans l’article suivant (« La question des éditions de l’Histoire ecclésiastique et le livre X », p. 185-206), préfèrent à la notion d’« édition » celle d’« états successifs » d’un texte en constante élaboration, et reviennent sur les conditions pratiques de production de son ouvrage par Eusèbe, qui supervisait une entreprise collective procédant largement par compilation d’extraits, souvent difficiles à harmoniser : il est donc peu convaincant d’attribuer les deux recensions du texte à deux éditions publiées par l’auteur. Mieux vaut parler de révisions successives, plutôt que d’édition, au sens propre du terme.

34La traduction manuscrite grecque est ensuite examinée par M. Cassin (p. 209-242), la version latine de Rufin par L. Ciccolini, avec, en complément, une analyse de S. Morlet sur le travail de traducteur de Rufin, la version copte par A. Boud’hors et S. Morlet, la version syriaque par M. Debié et la version arménienne par J.-P. Mahé. L’histoire du texte, sous tous ses aspects, est ainsi finement retracée, par d’excellents spécialistes de chaque langue ancienne.

35Enfin, deux indices (index des citations et allusions, par O. Munnich, index des auteurs et œuvres citées) complètent utilement l’ensemble, ainsi qu’une bibliographie (S. Morlet, L. Perrone), dont la partie thématique, profitable à un étudiant, ne permet pas toujours un repérage aisé des références.

36Ce volume, de très haute tenue scientifique, dépasse donc les visées d’une introduction classique : si la préférence donnée à l’analyse, précise et fouillée, sur la synthèse, et la prolifération des pistes de recherche et des hypothèses d’interprétation, peuvent désorienter le large public auquel l’entreprise tente aussi de s’adresser, ce travail remarquable satisfera néanmoins pleinement les spécialistes de nos disciplines.

37Joëlle Soler

Claude Brixhe et Guy Vottéro (dir.), Folia Graeca in Honorem Edouard Will. Linguistica, Études anciennes, 50, Nancy, Association pour la Diffusion de la Recherche sur l’Antiquité (A.D.R.A.), 2012, 196 pages

38Ce volume rassemble six études linguistiques rédigées par des enseignants-chercheurs de l’Université de Lorraine en hommage à Édouard Will (1920-1997), helléniste et historien connu notamment pour son Histoire politique du monde hellénistique, ainsi que pour Le Monde grec et l’Orient, à l’occasion du vingtième anniversaire de leur équipe d’accueil.

39Dans un long article intitulé « Prolégomènes aux Lois de Gortyne I. Statut de la femme et ordre social » (p. 7-63), Monique Bile, spécialiste du dialecte crétois, s’intéresse au statut de la femme dans le corpus des Lois de Gortyne. Elle a recours, pour une part, aux méthodes de la philologie traditionnelle, mais elle s’efforce surtout d’adopter une perspective anthropologique et comparatiste, et ce non seulement à travers la comparaison avec d’autres cités grecques, comme on le fait traditionnellement, mais aussi avec l’utopie platonicienne de la fondation d’une cité en Crète (dans les Lois), ainsi qu’avec des sociétés éloignées dans le temps et l’espace par rapport à la société crétoise étudiée.

40Claude Brixhe (« Le pseudo-pidgin de l’étranger non grec chez Aristophane », p. 65-81) évoque les conditions de la production du parler de l’archer scythe des Thesmophories, ainsi que, plus sporadiquement, des parlers de Pseudartabas, l’envoyé du Grand Roi dans les Acharniens, et du dieu Triballe des Oiseaux : il s’agit de langues non stabilisées (d’où le terme de « pseudo-pidgin »), saisies au stade du débutant, de l’esclave arrivé depuis peu, au moment d’une appropriation spontanée d’une langue-cible qui est celle des classes populaires ou des classes moyennes, et donc de langues qui, loin de devoir être tenues pour fantaisistes, sont très largement authentiques.

41En réponse à une étude de Jacques Jouanna (RÉG, 112/1, 1999, p. 99-126) qui mettait en rapport le second élément du composé ????????????? chez Sappho avec le nom du trône, ??????, tout en soulignant le fait que Sappho y détournait en même temps une expression homérique où se trouvait le neutre ????? « fleurs ; plantes (médicinales ou magiques) » (Il. 22, 441 : ????? ??????? « des fleurs variées », « des motifs floraux variés »), René Hodot (« Les robes à fleurs des déesses », p. 83-96), quant à lui, considère que le second élément de ????????????? reposerait sur le neutre ?????, et qu’il en serait peut-être de même dans tous les autres composés en -??????, bien qu’il faille admettre parfois l’introduction d’une polysémie sous l’influence du nom du trône. L’étude de René Hodot, qui s’inscrit dans une vieille controverse (voir l’essentiel de la bibliographie dans l’article de J. Jouanna), s’appuie principalement sur deux éléments : d’une part, l’iconographie, à travers les représentations plastiques d’Aurore et d’Aphrodite ; d’autre part, la tablette mycénienne de Pylos Fr 1222 où se trouve un composé to-no-e-ke-te-ri-jo, dont il rattache le premier élément to-no-, qui a chance de se lire /thorno-/, à ?????, et qu’il interprète, à la suite de Yannis Probonas dans un ouvrage publié en 1974, par l’idée d’une fête de « procession du voile » (avec to-no- au sens de « voile orné de motifs floraux », et un second élément en rapport avec le verbe ???? « tirer, traîner »). René Hodot indique que l’analyse de Yannis Probonas ne semble guère être connue, mais il faut préciser qu’elle se trouve également mentionnée et discutée dans une étude assez récente de Vassilis P. Petrakis (« To-no-e-ke-te-ri-jo reconsidered », Minos, N.S. 37-38, 2002-2003, p. 293-316), où, par ailleurs, le composé mycénien est interprété comme renvoyant à l’idée de porter des fleurs ou des herbes dans un contexte rituel (avec to-no- au sens de « fleurs ; herbes », et un second élément rapproché de ???), et où cette interprétation différente est également étayée par un examen des données iconographiques.

42Il faut reconnaître toutefois que pour ce qui concerne le premier élément du composé mycénien, les analyses retenues par René Hodot et Vassilis P. Petrakis, sans être impossibles, semblent a priori plus difficiles que l’hypothèse traditionnelle qui voit dans to-no- le nom du trône, et ce pour des raisons formelles qui ne sont pas abordées par ces auteurs. De fait, une syllabation /thorno-/ s’explique aisément avec le nom du trône, qui est de toute façon clairement attesté sous cette forme (to-no) dans d’autres tablettes de Pylos : selon une analyse de Charles de Lamberterie [1], ?????? « trône », sous l’influence de formes telles que ?????? (ion.-att., etc.) « poutre transversale ; banc, escabeau » et hom. ?????? (myc. ta-ra-nu /thr?nus/) « tabouret de pied ; banc de rameurs » (<*dhr?h2-), provient d’une réfection de *?????? (myc. to-no), qui remonterait à *dhor(h2)-no-s, avec chute de la laryngale en présence d’un degré radical o suivant l’effet de Saussure (*dherh2- étant une forme élargie de la racine *dher- « soutenir, (s’)appuyer »). Il n’est pas évident, en revanche, qu’une syllabation /thorno-/ s’explique dans le cas du neutre ?????, dont l’étymologie est inconnue. Rien n’indique que ????? soit le produit d’une réfection comparable à celle qu’a subie le nom du trône, ni, par ailleurs, que le groupe ?? y remonte à un *r? qui serait reflété par /or/ en mycénien ; dans la seule occurrence ancienne de ?????, dans l’Iliade, le groupe ?? fait position, à la différence, par exemple, du groupe ?? de ??????? « table » (où ?? répond à /or/ de myc. to-pe-za /torpeza/) dans la séquence homérique de fin de vers // ??? ???????? #, ce qui a chance de constituer une trace métrique de l’ancien *r? que l’on reconstruit dans ce nom de la table [2]. Il importerait également de discuter l’interprétation de to-no-e-ke-te-ri-jo comme un composé du nom du trône et du verbe ???? « tirer, traîner », plutôt que de la rejeter sans examen réel (cf. p. 84 : « le premier élément […] est généralement mis en rapport avec ? ?????? “trône”, sans qu’on s’interroge alors sur ce qu’aurait pu être une “procession du trône” »), et de renvoyer à la bibliographie sur la question, où l’on trouve quelquefois des argumentations plus développées que ne le suggère René Hodot [3].

43Après une présentation circonstanciée des données antiques sur Corinne et un historique de la question de la date de Corinne, Guy Vottéro (« Remarques sur les graphies et la langue des papyrus de Corinne », p. 97-159) procède à une analyse critique serrée des données disponibles : papyrus, manuscrits (dont les graphies sont comparées à celles des inscriptions béotiennes), données iconographiques. Il en conclut que, selon toute vraisemblance, Corinne n’est pas une poétesse hellénistique, comme on a pu le penser d’après les graphies des papyrus, mais qu’elle est antérieure au ive siècle av. J.-C. ; elle pourrait donc parfaitement dater de la fin du vie siècle et du début du ve siècle, comme le veulent les traditions antiques.

44Enfin, deux études d’Emmanuel Weiss terminent ce volume : « Le système numéral du grec d’Italie du Sud, de Rhégion à Tarente » (p. 161-186), et « Quelques problèmes de traduction dans les Tables grecques d’Héraclée de Lucanie (fin ive / début iiie siècles av. J.-C.) » (p. 187-194) ; ce second article s’intéresse à des termes connus de sens connu (?????µ???, qui s’applique à des bâtiments « munis d’un toit ») ou de sens nouveau (????µ??, qui peut signifier dans ce corpus « chemin de séparation » ; ?????? « rang » [de vignes]), ainsi qu’à des termes nouveaux de sens transparent (?????? « barrer » [les fossés et les ruisseaux]) ou opaque (???µ???).

45Ce très beau livre témoigne ainsi de la vitalité de l’Université de Lorraine en matière de linguistique et de dialectologie grecques.

46Éric Dieu

Claudia Antonetti et Stefania De Vido (dir.), Temi selinuntini, Pise, Edizioni ETS, 2009, 310 pages

47Ce volume réunit les contributions des doctorants d’Histoire Ancienne, des étudiants du Master « Histoire, Philologie et Littératures du monde antique » et du Master « Archéologie et Conservation des Biens Archéologiques » du Département de Sciences de l’Antiquité et du Proche-Orient de l’Université Ca’ Foscari de Venise, de leurs enseignants, ainsi que d’autres spécialistes, ayant participé à un séminaire animé par Claudia Antonietti et Stefania De Vido, en 2006-2007, consacré à Sélinonte. C’est sous la direction de ces deux spécialistes que ce volume est édité.

48Les 17 articles qui le composent sont précédés par une présentation de F.M. Carinci, président de la Faculté de Lettres et Philosophie de l’Université vénitienne, et par un préambule de Claudia Antonietti, qui, avec Stefania De Vido, ont consacré leurs enseignements d’épigraphie et d’histoire grecques des années 2005-2006 et 2006-2007 à Sélinonte, avant de terminer cette expérience « sélinontine » par un séminaire, dont les résultats sont donc publiés dans ce volume, et un voyage d’étude en Sicile occidentale.

49Les contributions sont mélangées : il n’y a pas de sections consacrées à l’une ou à l’autre spécialité, de même qu’aucune distinction n’est faite entre les enseignants et les étudiants.

50Ainsi la première étude, « Daedalica Selinuntia II. Osservazioni sulla coroplastica selinuntina d’età tardo-orientalizzante », due à M. Martocchi, met celle-ci sur les traces de P. Orsi, qui avait étudié, en 1916, cinq fragments en terre cuite de Sélinonte conservés au musée de Syracuse, et surtout sur celles de E. Gabrici, auteur en 1924 d’un article intitulé Daedalica Selinuntia, lequel fait référence à l’activité mythique de Dédale en Sicile, et à l’influence crétoise sur la production des figurines en terre cuite de Sélinonte. Elle en vient à rejeter l’idée d’une influence crétoise exclusive considérée comme établie par les publications précédentes, et à reconnaître, sur certains groupes de figurines, qui viennent surtout du sanctuaire de la Malophoros, les traits d’une production locale inspirée par Corinthe, présente aussi dans d’autres centres siciliens (Syracuse et Mégara Hyblaea). Les importations de Corinthe, entre la fin du viie s. et 550 av. J.-C., ont dû influencer cet artisanat local, et l’inciter à créer des types corinthianisants, à côté de ceux qui relèvent de la tradition crétoise.

51Suivent des « Riflessioni su Zeus Agoraios a Selinunte » de C. Antonietti, qui, partant de l’information (transmise par Hdt. 5, 46) selon laquelle le Spartiate Euryléon, compagnon de Doriéus et seul survivant de son expédition, est assassiné près de l’autel de Zeus Agoraios, auprès duquel il était venu demander secours, et dont la localisation reste encore inconnue, remarque le caractère fortement politique de cette divinité. Elle cherche alors les témoignages de la présence d’une telle divinité dans les autres centres du monde grec et elle en trouve à Érétrie, à Délos, à Dréros, à Ainos, toujours dans des serments officiels ; et dans le monde colonial, à Thasos, Théra, Métaponte, normalement en relation avec l’agora et les lieux de réunion publics. Les fouilles de l’agora de Sélinonte, conduites en 2004 par l’Institut Allemand de Rome et la Surintendance Archéologique de Trapani, ont permis de mieux comprendre l’organisation de cet immense espace public : on a pu y isoler un hérôon, qui atteste son importance religieuse, mais aussi des salles de banquets ou des lieux de réunion, qui permettent d’imaginer que l’action décrite par Hérodote s’est déroulée sur l’agora, où l’autel de Zeus Agoraios pouvait avoir une place légitime. C’est aussi sur l’agora qu’elle suppose la présence de ce que l’on appelle « la loi sacrée de Sélinonte », un document qui veut donner des normes sacrées, mais probablement dans une perspective politique.

52La troisième contribution, « Figurine fittili da Bitalemi (Gela) e dalla Malophoros (Selinunte) : appunti per uno studio comparato di alcune classi della coroplastica votiva », de S.M. Bertesago, est à nouveau une étude concernant des statuettes en terre cuite, datables de la deuxième moitié du viie s. au ve s. av. J.-C., et provenant de deux lieux de culte dédiés à Déméter, le Thesmophorion de Bitalemi et le sanctuaire de la Malophoros à Sélinonte. Les ex-voto de Bitalemi semblent d’inspiration milésienne, tandis que ceux de la Malophoros montrent plusieurs influences, qui donnent lieu à une production moins raffinée. Les différences des ex-voto ne concernent pas seulement le style, mais aussi les sujets représentés, ce qui fait conclure à l’auteur que la même divinité devait avoir des caractéristiques différentes dans les deux lieux de culte.

53L’article suivant signé par S.M. Bertesago et A. Sanavia rend hommage à un grand protagoniste des études sélinontines : Ettore Gabrici.

54Vient ensuite, proposée par S. Crippa et M. De Simon, une étude épigraphique sur des defixiones, datables entre le vie et le ive s. av. J.-C., retrouvées dans le sanctuaire de la Malophoros, et sur leur importance publique. Les deux auteurs remarquent que ces documents, les seuls de ce genre déposés dans un sanctuaire, se différencient des autres defixiones à caractère magique (celles recueillies dans des tombes, par exemple) ; en analysant la graphie et la rédaction de tels documents, il leur paraît qu’ils affectent un caractère officiel, qui confère à ce genre de textes une nouvelle importance et les fait sortir de la catégorie d’inscriptions nécessairement liées à la sphère du magique et du privé.

55S. De Vido, dans « Selinunte. Gli ultimi anni », examine certains passages du livre XIII de Diodore afin de reconstituer les dernières phases de la vie de Sélinonte, jusqu’à sa prise par les Carthaginois en 409 av. J.-C., et d’étudier le rôle du syracusain Hermocratès dans les événements très complexes de l’existence de cette cité jusqu’à la paix de 405 av. J.-C., quand elle entre définitivement dans l’orbite punique.

56La contribution de L. Gallo sur la soi-disant isomoiria des cités coloniales (« L’isomoiria : realtà o mito »), conduit cet auteur à une ferme conviction : les entreprises coloniales d’époque archaïque, loin d’être des expériences démocratiques, ne font que répéter les modèles aristocratiques et les problèmes de distribution de la terre, qui caractérisent les métropoles.

57L. Lazzarini, pour sa part, se livre à une intéressante étude archéométrique sur les enduits des temples de Sélinonte (« Indagini archeometriche sugli intonaci dei templi di Selinunte »). Suivent deux contributions sur la numismatique de la cité mégarienne : « Nota sull’aes grave di Selinunte » du même auteur, et « L’adozione della moneta a Selinunte : contesti e interazioni » de T. Lucchelli, lequel montre que Sélinonte est probablement la première cité de Sicile à frapper monnaie.

58C. Marconi propose le réexamen d’un relief du sanctuaire de la Malophoros, pour démontrer que la scène représentée, qui ne peut être une scène de danse, évoque sans doute le rapt de Perséphone (« Il rilievo con il ratto di Persefone dal santuario della Malophoros. Un riesame »).

59S. Palazzo relit attentivement deux passages de Diodore, au livre XI et XIII, pour essayer de comprendre les absences importantes que l’on remarque dans la description que cet auteur donne de la bataille d’Himère (« Selinunte e gli altri “invisibili” protagonisti della battaglia di Imera »).

60M. Perale revient sur l’étymologie du théonyme malophoros, en soutenant qu’il concerne certainement la fonction de la divinité porteuse de « pommes » et non pas de « troupeaux » (« ?????????. Etimologia di un teonimo »).

61Précédant un article consacré à deux inscriptions inédites, dont l’intérêt majeur est l’annonce de la publication d’un corpus d’une quinzaine d’inscriptions jamais publiées, parmi lesquelles une dizaine de nouvelles defixiones (G. Rocca, « Due inediti di Selinunte »), une très belle étude est consacrée par R. Pumo aux voyages à Sélinonte du xviie siècle au début du xixe siècle, et aux sensations et émotions suscitées par les ruines de ces sites, sur les savants des Lumières ou du Romantisme.

62Le volume se clôt par une contribution sur la Sicile à l’époque romaine et concerne le passage de Velleius Paterculus sur l’affrontement final entre César et Lépidus (F. Rohr Vio, « Marco Emilio Lepido e l’epilogo dell’esperienza triumvirale : la campagna di Sicila nella memoria storiografica di Velleio Patercolo »).

63À ces articles il faut reconnaître plusieurs mérites. En premier lieu, celui d’aborder toutes les composantes de l’histoire de Sélinonte, depuis l’époque archaïque jusqu’à la destruction de la ville par les Carthaginois, à la fin du ve siècle av. J.-C. : les aspects politiques et institutionnels, ceux qui ont trait à la religion et aux cultes, mais aussi ceux qui concernent l’économie et la société. Le deuxième mérite est d’utiliser, pour ce faire, toutes les sources d’information possibles, la littérature, l’archéologie (surtout l’architecture et la coroplastique), la numismatique et l’épigraphie, en proposant des analyses originales, des interprétations nouvelles, et même en révélant des documents inédits. Un autre mérite est celui d’avoir incité les étudiants de Master et de Doctorat à s’engager dans la vraie recherche scientifique, avec le soutien et l’aide de leurs enseignants. Le dernier mérite, et non le moindre, est d’avoir produit un ouvrage collectif d’un grand intérêt qui, avec la bibliographie la plus récente, renseigne sur l’actualité et sur les directions de la recherche relative à cette ville importante de la Sicile grecque.

64Cet ouvrage collectif présente donc toutes les qualités d’un outil fort précieux pour ceux qui travaillent sur l’histoire de cette cité grecque de Sicile.

65Michela Costanzi

????? ????????-?????, ??????? ???????? : ??????? ??????? ??? ????? µ????????, ??????µ????? ????????? ??????????? ?????? « ?????? », ???????µ?, 81, ????????, ?????????µ?? ?????????, 2008, ??. 1-190 + 6 ???. + Addenda – Corrigenda. Hélène Chouliara-Raïos, Scorpions venimeux. Papyrus magiques et autres témoignages, Annuaire scientifique de la Faculté des Lettres. “Dodone” : Annexe, 81, Ioannina, Université d’Ioannina, 2008, 192 pages

66Après avoir étudié l’abeille (L’abeille et le miel en Égypte d’après les papyrus grecs, Ioannina, 1989) et la pêche (? ?????? ???? ??????? ??? ?? ??? ??? ????????? ???????, 3 vol., Ioannina, 2003-2011) [4], Hélène Chouliara-Raïos (HCR), professeur à l’Université d’Ioannina (Grèce), consacre cette fois une monographie à un animal qui, de tous temps, a fait couler l’encre de ceux qui s’intéressent à l’Égypte : le scorpion. Écrit en grec moderne et accompagné d’un résumé en français (p. 155-158), le présent ouvrage donne un aperçu, non exhaustif, comme le reconnaît l’auteur (p. 157), de l’attitude des Égyptiens face à ce petit animal, dont la piqûre cause encore de nos jours la mort de nombreuses personnes. Il s’agit d’une version remaniée et amplifiée d’une conférence sur les uoces magicae et les scorpions venimeux donnée par l’auteur le 4 mai 2004 lors du 3e colloque d’études classiques du département de philologie classique de l’Université d’Ioannina.

67Comme l’indique le titre Scorpions venimeux. Papyrus magiques et autres témoignages, HCR s’appuie sur plusieurs types de sources, présentées dans l’introduction : dix papyrus magiques (dont sept contenant des recettes et trois amulettes), cinq inscriptions funéraires (en ce compris une épigramme et une étiquette de momie) et trois ostraca (deux lettres et une liste d’ouvriers), ajoutés aux témoignages livrés par les auteurs grecs et latins, principalement médicaux et naturalistes. Un status quaestionis suit. L’ouvrage est ensuite divisé en sept chapitres, abordant, soit un type de source, soit une thématique relative à cet arthropode.

68Le premier chapitre présente les dix papyrus magiques, provenant majoritairement d’Oxyrhynque et datés entre le iiie et le vie siècle de notre ère, qui contiennent des formules destinées à se protéger des scorpions ou à soigner leur piqûre. Le deuxième chapitre est également consacré à la magie. HCR y aborde l’étude des uoces magicae, des kharaktères et des nomina sacra attestés dans les papyrus, spécialement la séquence de lettres ????, qui, selon elle, se rapporterait, soit au dieu égyptien Horus, confié par sa mère Isis à sept déesses scorpions, soit au personnage de la mythologie grecque Orion, soit aux deux personnages confondus. Dans le troisième chapitre, l’auteur confronte ses observations aux sources épigraphiques, à savoir trois inscriptions funéraires, une épigramme funéraire et une étiquette de momie, datées de l’an 8 de notre ère aux ve/vie siècles. Intitulé « ???????? » (« Terminologie »), le quatrième chapitre dresse une liste des termes grecs et latins utilisés par les auteurs médicaux et naturalistes pour désigner le scorpion, des épithètes attribuées à cet arthropode, ainsi que des mots désignant sa piqûre et les symptômes qu’elle entraîne. Se fondant toujours sur les écrits médicaux et naturalistes, en y ajoutant des références à la littérature chrétienne, le cinquième chapitre s’intéresse aux croyances et histoires antiques relatives aux scorpions. Les symbolismes et allégories relatifs au scorpion sont abordés dans le sixième chapitre, qui brasse les sources littéraires grecques et latines. Enfin, le septième et dernier chapitre aborde la thérapeutique des plègai, qui mêle magie bénéfique et médecine empirique. Après une conclusion et un résumé en français, l’ouvrage se termine par une bibliographie et les index des sources (papyrus, ostraca, inscriptions, œuvres des littératures grecque et latine), des mots grecs et des mots latins.

69Bien que l’étude n’ait pas pour but l’exhaustivité, il faut reconnaître à l’auteur le mérite d’avoir pris en compte des sources nombreuses et variées, couvrant six siècles. Si l’on peut regretter l’absence d’une mise en contexte, qu’aurait justifiée l’arc chronologique, on reconnaîtra qu’HCR a livré un intéressant tour d’horizon des realia relatives au scorpion, qui peut servir de base pour toute étude complémentaire sur le sujet. On notera enfin qu’à la page 28 (note 21), la tablette de bois T.Brux. inv. E. 6801 (Psaume 28 [29], 1-3 copié six fois sur le recto et alphabet copte copié six fois sur le verso, vie/viie siècles) est identifiée comme une amulette, alors qu’il s’agit plutôt d’un exercice scolaire, comme nous l’avons récemment démontré [5].

70Magali de Haro Sanchez & Nathan Carlig

Emmanuelle Raymond (dir.), Vox poetae. Manifestations auctoriales dans l’épopée gréco-latine. Actes du colloque organisé les 13 et 14 novembre 2008 par l’Université Lyon 3, Collection du Centre d’Études et de Recherches sur l’Occident romain-CEROR, 39, Lyon, Édition CEROR, 2011, 428 pages

71Cet ouvrage constitue la publication des Actes d’un colloque qui s’est tenu à Lyon en novembre 2008, et qui a porté sur les apparitions de la voix du poète dans les œuvres épiques grecques et latines, du viiie s. av. J.-C. (Homère) au vie s. apr. J.-C. (Corippe).

72Le volume est divisé en trois sections, selon un classement thématique. La première, intitulée « Vox poetae : identités d’auteur ? », commence par un détour vers le Corpus Theocriteum, où C. Cusset et F. Levin distinguent clairement les manifestations de la voix poétique dans les poèmes bucoliques et dans les idylles urbaines. Revenant à l’épopée proprement dite, S. Perceau étudie ensuite l’utilisation de la première, de la deuxième et de la troisième personne dans les poèmes homériques, démontrant de façon convaincante la différence de statut de la voix du poète dans l’Iliade et dans l’Odyssée. Les trois contributions suivantes sont consacrées à l’épopée latine, J.-P. De Giorgio et E. Ndiaye traitant de l’epyllion 64 de Catulle, B. Bureau du problème de l’ego chez Lucain, E. Wolff des œuvres épiques de Dracontius. Enfin, S. Clément-Tarantino clôt cette première partie du recueil, avec un article sur la conception de la uox poetae à partir des scholies homériques et des commentaires latins de l’Énéide.

73Dans la deuxième section de l’ouvrage, « Affleurements d’une subjectivité poétique », deux des contributions portent sur l’utilisation de l’apostrophe dans l’Iliade : S. Dubel démontre que l’apostrophe au personnage sert à révéler la parole poétique en tant qu’exercice de célébration ; J. Peigney analyse avec précision comment, dans le chant 16, les huit apostrophes à Patrocle s’inscrivent dans le tissu poétique, permettant d’en souligner les moments-clés et de poser la question de la pratique guerrière aristocratique. M. Briand revient ensuite sur la différence d’emploi des formules en ?????? dans l’Iliade et dans l’Odyssée. Enfin, dans les quatre autres articles, qui traitent de la poésie latine, M. Ledentu étudie les mises en scène de la voix du poète dans les Métamorphoses d’Ovide, A.-M. Maugier-Sinha une apostrophe au personnage dans l’Énéide (10, 185-186), E. Raymond l’utilisation du terme infelix dans l’Énéide et A. Estèves les épithètes subjectives chez Virgile et Lucain.

74La troisième section, intitulée « Idéologies de poètes. Quand la voix du poète et la voix du citoyen se rencontrent », comporte six contributions, toutes consacrées à l’épopée latine. L’étude de M.T. Dinter porte sur les sentences chez Virgile, celle de D. P. Nelis sur les voix didactiques dans l’Énéide, celle de S. Franchet d’Espèrey sur la voix du poète dans les chants 11-12 de la Thébaïde de Stace, et celle de M.-F. Guipponi-Gineste sur le De Bello Getico de Claudien. B. Goldlust étudie ensuite les interventions auctoriales directes et indirectes dans la Johannide de Corippe. Enfin, F. Klein conclut le volume par une analyse détaillée de quelques manifestations de la uox poetae dans les Métamorphoses d’Ovide.

75Le volume comporte en outre une bibliographie de 25 pages, un Index des passages cités, un Index scriptorum recentiorum (index des auteurs critiques) et un Index notionum. On peut toutefois regretter la place proportionnellement peu importante accordée à la poésie grecque (cinq articles seulement dont quatre sur Homère), et déplorer l’absence de toute contribution sur les grandes épopées grecques hellénistiques et tardives.

76Hélène Frangoulis

Palladius, Traité d’agriculture, t. 2 : Livres III à V, texte présenté, établi, traduit et commenté par Charles Guiraud et René Martin, Collection des Universités de France. Série latine, 398, Paris, Les Belles Lettres, 2010, XXV + 141 pages dont 95 doubles

77Trente-quatre ans après la parution des deux premiers livres, édités et traduits par René Martin (1976), la C.U.F. s’enrichit du second tome de l’Opus agriculturae de Palladius, le dernier représentant de la tradition agronomique gréco-romaine en Occident. Le texte a été établi par Charles Guiraud et traduit par René Martin, mais le second a en outre été chargé de la mise au point définitive du texte après le décès du premier, en 2004. Les livres I et II étant pourvus d’une ample introduction, celle du présent tome se limite à quelques pages.

78Dans l’ensemble, le texte établi par Ch. Guiraud est légèrement moins conservateur que celui de R.H. Rodgers (Teubner, 1975). La révision consciencieuse opérée par R. Martin a apporté des améliorations ponctuelles. Je citerai en particulier reppereris (M) en IV, 10, 27 à la place du repperis (sic) adopté de façon peu compréhensible par Rodgers. On doit également à R. Martin d’intéressantes conjectures en III, 9, 2 ; 25, 26 ; IV, 11, 4. Par contre, en III, 31, 1, comme nous l’avons montré ailleurs (MH, 68, 2011, p. 203-210), linabis aurait dû être conservé, quand bien même <inc>linabis constitue une conjecture ingénieuse. Contrairement à ce qu’avance R. Martin dans sa note, linare (au lieu de linere) est attesté, à la fois chez Pelagonius et chez Palladius lui-même (voir notamment VI, 72). C’est également à tort qu’il invoque une occurrence de « la forme attendue linibis … en 3, 12, 4 » (p. 128), où l’on trouve linimus et non linibis (qui renverrait plutôt à linire). Palladius s’inspire ici d’un passage d’Anatolius de Béryte ; le fait que linabis trouve appui dans les versions orientales du traité de ce dernier montre que, là où Palladius s’en inspire, une comparaison systématique avec ces versions serait souhaitable (notons en passant que l’histoire de la place du calendrier agricole chez les agronomes latins des p. XIII-XVI aurait également gagné à prendre en compte le témoignage d’Anatolius : consacrant un livre entier à un tel calendrier, il constitue le chaînon manquant entre Columelle et Palladius). L’absence de numérotation des lignes et, par conséquent, de renvois aux lignes dans l’apparat est peu commode.

79La traduction fait justice au style simple, mais non dépourvu d’élégance de Palladius ; elle se lit avec aisance, non sans garder la saveur particulière d’un texte technique. Nous nous contenterons de relever un détail à nos yeux contestable : la traduction, dans quelques cas, d’aliqui par « certains cultivateurs » (III, 22, 8) ou des formules semblables préjuge du fait que Palladius se référerait à des usages, alors que ce type d’expressions désigne fréquemment des sources littéraires (souvent indirectes).

80Les notes abordent certains problèmes philologiques et constituent un bref commentaire qui éclaire différents aspects du texte. Dans la bibliographie, la traduction italienne d’E. Di Lorenzo, B. Pellegrino et S. Lanzaro (Salerne, Cues, 2006) serait à ajouter.

81Quelques fautes typographiques, parfois assez grossières, sont à déplorer. Ainsi, dans la liste des conjectures de R. Martin dressée à la p. IX, la deuxième et la troisième ne sont pas à chercher en III, 11, 14, mais en IV, 11, 4.

82Les problèmes de détail relevés ci-dessus montrent que, malgré les efforts louables de R. Martin, ce volume porte à certains égards la trace des conditions dans lesquelles il a été achevé. On peut en outre regretter, sur certains points, un manque d’attention aux sources grecques (identifiées, p. XI, aux Géoponiques, dans un raccourci pour le moins audacieux). Cette nouvelle publication constituera néanmoins une référence précieuse pour l’étude de Palladius, auteur qui reste trop peu traduit et commenté. Il est à espérer que la publication de l’Opus agriculturae dans les « Belles Lettres » se poursuivra à un rythme plus rapide.

83Christophe Guignard

Priscien, Grammaire. Livres XIV, XV, XVI – Les invariables (Préposition, Adverbe et interjection, Conjonction). Texte latin, traduction introduite et annotée par le Groupe Ars Grammatica, animé par Marc Baratin et composé de Frédérique Biville, Guillaume Bonnet, Bernard Colombat, Cécile Conduché, Alessandro Garcea, Louis Holtz, Séverine Issaeva, Madeleine Keller et Diane Marchand, Histoire des doctrines de l’Antiquité classique, 44, Paris, Vrin, 2013, 330 pages

84Le groupe Ars Grammatica [AG], dirigé par Marc Baratin, a entrepris la traduction intégrale, avec commentaire, des Institutiones grammaticae [IG] de Priscien, summa de la grammaticographie latine réalisée au début du vie siècle par un auteur d’origine africaine, actif à Constantinople et fortement influencé par les modèles grecs (tout particulièrement Apollonius Dyscole). Les études sur Priscien connaissent, grâce à ce groupe, un renouveau, également favorisé, en parallèle, par la courageuse et admirable entreprise d’Axel Schönberger, qui poursuit la traduction allemande (avec commentaire) de tous les livres des IG (Francfort-sur-le-Main, Valentia) ; l’auteur a déjà publié des traductions des livres consacrés à la préposition (2008), au pronom (2009), à la conjonction (2010), à la syntaxe (2010) et à l’accent (2010).

85En 2010, le groupe AG a publié une traduction annotée du livre XVII des IG, le premier des deux (XVII - XVIII) consacrés à la syntaxe. L’ouvrage recensé ici est la traduction des livres XIV (consacré à la préposition), XV (consacré à l’adverbe, avec, in fine, une section sur l’interjection, que Priscien range, à l’instar de ses modèles grecs, sous l’adverbe) et XVI (consacré à la conjonction). Le présent ouvrage avait été préparé par la publication, en 2005, d’une traduction annotée du livre XV De aduerbio, suivie de plusieurs contributions historiographiques : voir Histoire Épistémologie Langage, 27, 2, 2005 (traduction annotée du De aduerbio, suivie de contributions de M. Baratin, G. Bonnet, S. Brocquet et S. Matthaios).

86La structure de l’ouvrage est limpide : après une brève présentation de l’équipe AG (p. 7-8) et la liste des abréviations (p. 9), suit une introduction historiographique et philologique (p. 11-63) ; la partie centrale du volume est occupée par l’édition du texte latin (sur la page de gauche) avec la traduction française en face (p. 68-259). C’est le texte de l’édition de Martin Hertz, dans les Grammatici Latini de Keil, qui a ici servi de base au groupe AG (pour les modifications apportées, voir les p. 60-63). Signalons aussi que le texte latin est présenté avec une double numérotation : indication des paragraphes dans la marge de droite (à côté de la traduction française) et indication des pages et des lignes de l’édition de Hertz dans la marge de gauche (à côté du texte latin). Le plan des livres précède à chaque fois l’édition avec traduction : p. 67 (plan du livre XIV ; édition-traduction : p. 68-143) ; p. 145 (plan du livre XV ; édition-traduction : p. 146-219) ; p. 221 (plan du livre XVI ; édition-traduction : p. 222-259).

87Le volume se termine par une riche bibliographie (p. 261-270) et cinq index : index des auteurs (p. 273-277) ; index des formes en mention (p. 279-288) ; index « récapitulatif complémentaire » des formes rangées par catégorie grammaticale avec les termes et les exemples associés (p. 289-309 ; il s’agit d’un instrument de travail très précieux) ; index de la terminologie grammaticale latine (p. 311-322) [6] ; index des notions grammaticales (p. 323-326). La « Table des matières », très analytique, se trouve à la fin (p. 327-329).

88Disons d’emblée notre admiration devant la tâche accomplie par le groupe AG. On sait que le texte de Priscien n’est guère facile à traduire et qu’il pose, outre le problème de l’identification des exemples d’auteurs cités, celui de l’adéquation de la traduction des termes « techniques ». Sur ces deux points, le groupe AG a réalisé un travail très réussi : la source des exemples est toujours nettement indiquée (à la fois dans la traduction française et dans le premier index) et s’il est vrai que l’on peut parfois envisager une autre traduction de tel ou tel terme « technique », il ne s’agit jamais d’une correction, mais toujours d’une autre option, elle aussi défendable. Quelques exemples : uis, traduit comme « valeur » peut se traduire aussi par « force » (cf. le terme moderne de force (il)locutionnaire) ; potestas, traduit par « potentialité », pourrait se traduire par « puissance » (cf. le terme moderne « signifié de puissance ») ; pour ce qui concerne les « espèces » (species) de conjonctions (ici, p. 224-225), il serait facile de proposer d’autres traductions, du moins pour certaines d’entre elles, que celles adoptées par le groupe AG. Ainsi, par exemple, on pourrait traduire coniunctio subcontinuatiua par « conjonction sous-implicative/marquant un rapport de sous-entendu », plutôt que par « conjonction para-implicative ».

89Le texte latin des IG et le texte français de la traduction sont accompagnés de notes infrapaginales : celles qui sont placées sous le texte latin signalent des passages parallèles ou identifient une citation d’auteur, tandis que celles qui se trouvent sous le texte français sont de véritables notes exégétiques ou même de petits commentaires (sur un terme, sur la démarche argumentative de Priscien, sur une particularité du latin cité ou employé par Priscien) [7].

90L’introduction (p. 11-63), très fournie, témoigne de la mise en commun des compétences respectives (philologique, grammaticale, graphophonétique, lexicologique, historiographique) des membres du groupe AG : l’ensemble constitue une excellente introduction non seulement au texte et à la pensée de Priscien, mais aussi à son emploi de sources, à son attitude à l’égard de l’usage et de la norme, à la place du grec dans son œuvre, enfin à la postérité des IG. Parmi les passages sujets à débat, j’en relève deux : p. 41, où il est dit que les « invariables échappent par nature à l’analogie paradigmatique » et que par conséquent c’est une « logique d’énumération lexicale » qui semble le moyen le plus approprié pour en rendre compte : on notera, a contrario, que pour les pronoms, Priscien recourt aussi à l’énumération de formes(-types) et que, d’autre part, dans le traitement des conjonctions il essaie d’introduire un principe de classement (sémantico- et pragmatico-)logique ; p. 47, où il question d’une « progression heurtée et zigzagante » : or, la progression s’explique par le fait que Priscien fait intervenir dans une classification « uniplane » le phénomène de la « recatégorisation » de certaines formes. Sa démarche complexe s’explique par le fait qu’il n’a pu harmoniser (comme tant de grammairiens – et linguistes – après lui !) trois niveaux dans le traitement de classes de mots : leur nature, leur fonction, leur(s) emploi(s).

91La présentation matérielle de l’ouvrage est de très haute qualité. Je n’ai noté que quelques erreurs ; ainsi, on lira, p. 75, note 10, « est liée » ; p. 157, note 20, ajouter nimium à la liste des exemples ; p. 183, note 45, l. 10, « l’accentuation » ; p. 223, note 2, l. 7, « non-permutabilité » ; p. 262 et p. 267 : la référence à De Flauio Capro grammatico quaestionum capita II figure deux fois dans la bibliographie (sous « Caper » et sous « Keil, Gottfried » (et avec deux graphies différentes : Flauio et Flavio) ; p. 264, l’entrée « Sylvius Iacobus – Ambianus [Dubois, Jacques] » est un peu bizarre, d’autant plus que « Ambianus » est un surnom indiquant la provenance géographique [à savoir « originaire d’Amiens »] (on corrigera donc : Sylvius, Iacobus = Dubois, Jacques) ; p. 269, Santiago Ángel (à corriger aussi p. 16 note 1). Dans les index, on corrigera : p. 314, s.u. declinabile : « mot à flexion » ; la distinction faite, p. 316, s.u. indeclinabilis, entre « (1) invariable » et « (2) non fléchi » me paraît superflue (en outre, on aurait pu proposer comme traduction littérale « indéclinable » et préciser le sens du terme latin declinatio) ; p. 321, corriger le lemme « uniformium » [sic] en uniformis « qui a sa forme propre ».

92Pierre Swiggers

Stefano Costa, « Quod olim fuerat ». La rappresentazione del passato in Seneca prosatore, Spudasmata, 152, Hildesheim-Zurich-New York, Olms, 2013, XII + 386 pages

93L’ouvrage ici recensé ne se veut pas un travail exhaustif sur Sénèque (= S.) et l’histoire, ni sur son usage des exempla. Parmi ceux-ci, St. Costa (= C.) retient en effet seulement ceux qui relèvent d’un passé décrit comme différent du présent. S. est-il un laudator temporis acti, ou bien porte-t-il un regard critique sur le passé pour promouvoir des personnalités vertueuses, plutôt que des époques ? C. répond à cette question en examinant successivement, suivant l’ordre chronologique, une série de traités du stoïcien.

94Dans la Consolation à Marcia, le passé reste un point de référence, mais S. mentionne aussi des exempla récents (Livie ; Cremutius Cordus, non pour son exaltation du passé, mais pour son courage personnel). En outre, S. se montre plutôt optimiste sur la possibilité d’une ère plus heureuse après Tibère. Dans la Consolation à Helvie, en revanche, la nostalgie du passé est très forte, face à un présent pratiquement incapable de fournir des exemples positifs, à quelques exceptions près, dont la mère et la tante de S. Peut-être l’exil de S. explique-t-il son aversion pour son époque. Le De tranquillitate comporte deux aspects : d’une part, l’exaltation du passé par opposition au présent, qui corrompt des attitudes jadis acceptables (la danse ; les fêtes religieuses) ; d’autre part, des exceptions, en particulier Iulius Canus, mis en valeur. Dans le De beneficiis, les Anciens sont présentés comme les garants de certains principes, de certaines attitudes. Les mérites des maiores sont même des titres de gloire et de recommandation pour leurs descendants. Bien que S. ne soit pas ici un simple défenseur des aristocrates, la confrontation avec le discours de Marius dans la Guerre de Jugurtha (§ 85) est frappante à cet égard. Dans les Questions naturelles, S. constate que plusieurs opinions anciennes sont rudes, voire absurdes. Cela ne signifie pas qu’elles soient blâmables, car certaines de ces fables avaient en réalité une portée morale (par ex. l’idée que la foudre châtie les coupables). Ainsi, même si la science fait des progrès, ceux-ci seront longs, car les contemporains s’abandonnent aux vices : c’est finalement la nostalgie qui domine.

95Pour les Lettres, C. abandonne le parcours strictement diachronique. Il commence par envisager l’évolution de la morale (Epist. 90, 95, 82). Dans l’Epist. 90, S. note que les hommes de l’âge d’or agissent sagement sans vraiment être sages (mus par la nature), mais il dénonce surtout la dégénérescence de l’époque néronienne. L’Epist. 95 reconnaît que les Anciens ont bien une uirtus, même simplex, et que les exempla antérieurs ont une valeur de modèle importante, bien que la réflexion philosophique soit devenue nécessaire pour remédier à des maux toujours plus complexes. L’Epist. 82 est plus catégorique, opposant les exempla vertueux des Anciens, même dépourvus de culture philosophique, aux cauillationes de certains philosophes modernes. Ensuite, C. s’interroge sur le passage de « la vertu d’hier aux vices d’aujourd’hui » (Epist. 87, 86, 55, 51). L’Epist. 87, qui décrit l’équipage si simple de Caton l’Ancien, célèbre le passé, de même que l’Epist. 86, qui porte sur un objet moins glorieux (l’exil de Scipion à Linterne). L’Epist. 55 atteste un déclin moral progressif, à travers les villas des grands hommes de diverses époques, l’Epist. 51 insistant plutôt sur l’idée qu’un homme de valeur peut toujours résister à la décrépitude morale qui l’entoure.

96Le dernier chapitre étudie des personnages proches du temps de S. érigés en modèles. Ceux qui se trouvent dans de simples catalogues n’étant pas significatifs, C. se penche sur des cas individuels des Epist. Le changement par rapport au passé est alors parfois plus social que moral (e.g. les suicides dans Epist. 70). C. remarque que ces exempla noua concernent le thème du contemptus mortis, particulièrement d’actualité. Il consacre finalement plusieurs pages à Démétrius le Cynique, personnage essentiel pour S.

97En conclusion, S. accorde une grande importance à la référence au passé, presque toujours pour le louer. Il constate souvent une décadence progressive, mais son attitude est, au fond, bien plus complexe, ne serait-ce que parce que si le bien était seulement dans le passé, un enseignement moral n’aurait plus lieu d’être sous Néron.

98Ce livre se recommande avant tout par la finesse et la solidité des analyses de détail. C. déploie dans ce que nous appellerions des explications de texte une grande subtilité, aussi bien stylistique que philosophique (e.g. sur le rôle de l’ironie chez Iulius Canus, p. 71-73) ou historique (identification du Caton de Epist. 51, 12, p. 258-260). Sensible à la complexité de la pensée de S., il a soin de la resituer dans un cadre intellectuel précis. Les notes riches, mais jamais verbeuses, prouvent que C. a lu et médité les études citées au lieu de se borner, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, à de simples renvois vagues et réducteurs. C’est donc un ouvrage modeste dans son approche, mais très profitable pour tous ceux qui s’intéressent à S. Moins que la conclusion, finalement peu surprenante, ce sont sans doute la rigueur et la pénétration de C. qui donnent son prix à l’entreprise.

99Le principal regret concerne le plan : certains traités, comme le De ira, sont laissés de côté presque sans explication, et les lettres ne sont pas abordées dans l’ordre du recueil, ce qui estompe la progression voulue par S.

100D’un point de vue matériel, la typographie n’est pas irréprochable (espaces manquantes ou superflues, usage erratique des guillemets). Les coquilles sont assez nombreuses dans les citations en langue étrangère (e.g. pour la seule n. 46 : lire « moral, tyran, jusqu’ » ; n. 89 : ???????? ; p. 355 : Philosophen, etc.) et dans les patronymes (Loutsch ; Ruhkopf, etc.).

101Guillaume Flamerie de Lachapelle

Claude Moussy, La Polysémie en latin, Lingua Latina, 12, Paris, PUPS, 2011, 320 pages

102Ce recueil rassemble dix-neuf articles de l’auteur publiés entre 1975 et 2010 dans diverses revues et actes de colloques. Une introduction de dix pages (p. 7-16) permet d’avoir un bon aperçu de l’ensemble de l’ouvrage et de ses principes d’organisation. Une bibliographie, restreinte aux titres mentionnés dans les articles, complète l’ensemble. Très précieux pour qui s’intéresse à l’étude du sens, cet ouvrage offre un accès limpide aux principes théoriques de l’analyse sémique, méthode que Cl. Moussy introduisit en linguistique latine et sur laquelle s’appuient non seulement de nombreux travaux de sémantique (S. Dorothée, À l’origine du signe, le latin signum, Paris, 2006 ; L. Gavoille, Oratio ou la parole persuasive : étude sémantique et pragmatique, Louvain, 2007 ; Ch. Nicolas, Vtraque lingua. Le calque sémantique : domaine gréco-latin, Louvain-Paris, 1996 ; S. Roesch, Verbum. Étude sémantique, 1998 ; J.-F. Thomas, Gloria et laus  : étude sémantique, Louvain, 2002), mais aussi des thèses récentes d’histoire des idées et d’anthropologie (M. Bretin-Chabrol, L’arbre et la lignée. Métaphores végétales de la filiation et de l’alliance en latin classique, Grenoble, 2012 ; G. Flamerie de Lachapelle, Clementia. Recherches sur la notion de clémence à Rome (Ier siècle a. C. - mort d’Auguste), Bordeaux, 2011 ; Mathieu Jacotot, Question d’honneur. Les notions d’honos, honestum et honestas dans la République romaine antique, Rome, 2013). L’auteur, loin de se contenter d’appliquer au latin une méthode d’analyse du sens élaborée en linguistique générale, livre aussi dans ses articles sa propre réflexion sur cette méthode et n’hésite pas à en souligner les limites. Dans sa pratique de sémanticien, il y a recours de manière mesurée, en privilégiant toujours l’étude philologique et l’analyse des emplois en contexte, de façon à donner une présentation claire et ordonnée de ses analyses.

103Les dix-neuf études sont classées selon cinq rubriques : la première section, « Analyse sémique et champs lexicaux », regroupe trois articles portant sur des questions de méthode concernant l’analyse du signifié et la constitution de champs lexicaux. Nous retiendrons particulièrement la première étude, dans laquelle Cl. Moussy envisage l’utilité, mais aussi les limites de l’analyse sémique. Il relaie ainsi une critique adressée à la célèbre analyse sémique du champ lexical du « siège » de B. Pottier montrant que, contrairement aux principes de l’analyse componentielle, le sémème est constitué à partir de la description des objets eux-mêmes plutôt que par opposition de traits sémantiques à l’intérieur du système linguistique. Il s’interroge également sur la notion de pertinence en sémantique et préfère parler, avec M. Mahmoudian, de « continuum » de pertinence plutôt que d’oppositions binaires. Dans un dernier paragraphe, il signale quelques difficultés liées à l’application de cette méthode lorsqu’il s’agit d’analyser le phénomène de la synonymie, qui n’est pas seulement sémantique, mais aussi stylistique.

104La deuxième partie, consacrée à la polysémie des substantifs, réunit trois études de cas. Dans la première, l’auteur s’efforce de retracer et d’expliquer la polysémie que lat. monstrum acquit au cours de son histoire, en partie sous l’influence du grec ?????, avec lequel il partageait le sens de « prodige » et dont il a pu recevoir, par calque sémantique, ceux d’« être monstrueux » et d’« histoires incroyables », en partie de manière interne au latin, par métaphore – du sens d’« être monstrueux » à celui d’« être criminel » – et par métonymie – du sens d’« être criminel » à celui d’ « acte criminel ». La deuxième étude de cette section est consacrée à la polysémie de lat. ornamentum chez Sénèque, chez qui il est particulièrement bien représenté (27 occurrences) avec ses deux sens courants d’« ornement, parure » et d’« équipement, vêtement ». Dans son premier sens, ornamentum est appliqué à des insignes, des distinctions et à tout ce qui confère la gloire et la notoriété : en général connoté favorablement dans cet emploi, il peut, dans les œuvres de philosophie morale de Sénèque, recevoir une connotation défavorable dans des contextes de mise en garde contre les fausses valeurs et l’apparat inutile. Dans la troisième étude, Cl. Moussy s’intéresse à la polysémie d’inuidia, plus précisément à celle de la lexie inuidiam facere signifiant « rendre quelqu’un odieux ou impopulaire » et prenant également le sens, à l’époque impériale, de « faire des reproches » voire « faire honte ». Pour expliquer le « défigement sémantique » dont la lexie fait l’objet, il propose deux solutions, non exclusives l’une de l’autre : l’influence externe, par calque sémantique, de gr. ???????, qui partageait certaines valeurs d’inuidia mais avait aussi le sens de « reproche », notamment dans l’expression ???????? ?????? ; l’influence interne de la locution gratiam facere qui avait pris le sens de « faire grâce », « pardonner » et qui se trouve parfois être l’antonyme d’inuidiam facere.

105Dans la troisième section de l’ouvrage, Cl. Moussy s’intéresse à la polysémie des verbes, qu’il considère comme plus complexe que celle des substantifs dans la mesure où elle met en jeu non seulement la polysémie « interne » (qui concerne seulement le sémème), mais aussi la polysémie « externe » (où les changements de sens sont liés à des changements d’actants). Il illustre cette distinction (mise au point par R. Martin dans Pour une logique du sens, Paris, 1983, 19922) par l’étude de la polysémie des verbes litare (chap. 8) et mactare (chap. 9) : si les différentes acceptions de litare employé intransitivement, à savoir « obtenir un présage favorable » (1) puis « donner un présage favorable » (2), enfin, « offrir un sacrifice » (3), s’expliquent par des occultations ou des substitutions de sèmes, certains des emplois transitifs de litare, qui émergent à l’époque classique, relèvent de la polysémie externe, c’est-à-dire d’un changement de construction du verbe impliquant un actant supplémentaire, soit la victime du sacrifice, soit son destinataire, soit un événement malheureux auquel il s’agit de remédier. Il en est de même pour mactare, dont le passage du sémème 1 « pourvoir » ou « gratifier » (un dieu) « d’un accroissement » (au moyen d’une victime) au sémème 2 « immoler » ou « offrir » (à un dieu) « en sacrifice » (une victime) s’explique par un changement de répartition des actants du verbe, là où le passage du sémème 2 au sémème 3 « tuer, faire périr » relève de la polysémie interne et s’explique par l’occultation du sème « en sacrifice ». Quant à l’analyse des emplois de glisco (chap. 9), elle montre combien l’usage que les auteurs latins font d’un mot doit être pris en compte dans l’établissement de son étymologie : parasynonyme de verbes signifiant « croître », glisco fut employé d’abord à propos du feu, ce qui amène l’auteur à lui donner comme sens premier celui de « s’allumer, s’enflammer » ou « être embrasé ». L’étude qui clôt cette troisième section ne porte qu’en partie seulement sur la polysémie d’un verbe, lat. inuolare, que Servius et Isidore de Séville rapprochent du substantif uola « creux de la main ou du pied », objet de la première partie du chapitre. Au moyen d’arguments très convaincants, Cl. Moussy établit l’existence de deux verbes homonymes, l’un signifiant « voler, dérober », parasynthétique formé à partir du substantif uola au sens de « paume de la main », l’autre signifiant « se déplacer dans l’air » et, de là, « se précipiter sur, attaquer ».

106La quatrième section, dans le prolongement de la précédente, traite de la polysémie des préverbes et des préverbés. Les deux premières études sont consacrées aux préverbes re- (chap. 11) et com- (chap. 12) : re- indique « un mouvement en sens inverse », fonctionne comme opérateur d’inversion et, enfin, exprime la répétition ; quant au préverbe com-, il entre dans la formation d’un grand groupe de verbes présentant une riche polysémie, mais lui-même n’exprime que deux valeurs : la valeur sociative et l’idée d’aboutissement. Au chapitre 13, Cl. Moussy prend pour point de départ deux occurrences de lat. deprecor chez Catulle manifestant deux sens différents du verbe, « refuser » et « maudire, couvrir d’imprécations », qui l’amènent à envisager la riche polysémie de ce verbe organisée autour de deux acceptions principales, « s’efforcer de détourner par des prières » et « adresser des prières avec instance ». Par l’analyse sémique sont mises en évidence les diverses acceptions qui en sont dérivées, soit par occultation de sèmes (extension de sens), soit par addition de sèmes (restriction de sens), soit encore par substitution de sèmes (polysémie étroite). Les trois derniers chapitres de cette sections sont consacrés au verbe lat. procurare, dont le linguiste esquisse d’abord l’histoire (chap. 14) avant d’envisager ses emplois chez Tertullien et chez Arnobe (chap. 15), puis sa très probable influence sur les emplois plus récents de fr. procurer au sens de « faire obtenir » : ce sens apparaît tardivement en latin, mais semble s’être développé au point d’être devenu usuel chez des auteurs comme Tertullien ou saint Augustin.

107Enfin, la cinquième partie, intitulée « La polysémie des adjectifs », comprend trois études. La première porte sur les différents emplois de probabilis dans le vocabulaire de la rhétorique : adjectif polysémique si l’on envisage aussi ses emplois courants, probabilis aurait pu n’avoir qu’un seul emploi spécialisé en rhétorique ; Cl. Moussy montre qu’il n’en est rien et que probabilis (ou sa forme au neutre probabile), bien qu’il puisse souvent être traduit par « vraisemblable », équivaut en réalité à plusieurs termes grecs : ?????, ???µ?, ??µ????, ??????? ou encore ??????? chez Cicéron. Le deuxième chapitre de cette section traite de la polysémie de l’adjectif secundus, qui s’organise autour de la notion de succession ou de « l’idée de position par rapport à un repère ». La place de la dernière étude sur la polysémie de iuxta dans la latinité tardive est tout à fait justifiée. En effet, Cl. Moussy y montre qu’une bonne partie du développement sémantique de la préposition peut s’expliquer par l’influence de secundum, que iuxta concurrence souvent : il parle à ce propos de « calque sémantique interne » ou d’« extension de polysémie entre synonymes » ; pour étayer son hypothèse, il recourt à d’autres exemples illustrant le même phénomène, notamment celui de monstrum, prodigium et portentum. Des renvois de ce type, qui permettent de naviguer d’une étude à une autre, ainsi que les nombreux développements méthodologiques que Cl. Moussy insère dans ses études de cas, contribuent à la cohérence de l’ouvrage.

108Peggy Lecaudé

Notes

  • [1]
    « Sella, subsellium, meretrix : sonantes-voyelles et ‘effet Saussure’ en grec ancien », dans J.H.W. Penney (dir.), Indo-European Perspectives. Studies in Honor of Anna Morpurgo Davies, Oxford, Oxford University Press, p. 236-253. Voir aussi CÉG, 10 (RPh, 79/1, 2005), p. 169-170.
  • [2]
    Sur l’idée de traces métriques du *r? dans l’épopée homérique, on pourra se reporter à l’état de la question qui est fait par Ch. de Lamberterie, op. cit., p. 239-241.
  • [3]
    Outre les données qui se trouvent dans le Diccionario micénico (F. Aura Jorro, 1985-1993, Madrid), II, p. 362, voir, sur ce dernier point, J.-L. Perpillou, BSL, 76/1, 1981, p. 227-228.
  • [4]
    Voir les comptes rendus parus dans la RPh 80/1, p. 159-160, et 86/2, p. 193-195.
  • [5]
    Voir M. de Haro Sanchez & N. Carlig, Amulettes ou exercices scolaires : sur les difficultés de la catégorisation des papyrus chrétiens, à paraître dans les Actes du colloque international « Écrire la magie dans l’Antiquité – Scrivere la magia nell’antichità » (Liège, 13-15 octobre 2011), Presses Universitaires de Liège, coll. Papyrologica Leodiensia (10 p.).
  • [6]
    On aurait pu attendre ici des renvois, sinon systématiques, du moins sporadiques à S. Schad, A Lexicon of Latin Grammatical Terminology, Pise-Rome, 2007.
  • [7]
    La note 61 (p. 197) me semble quelque peu incomplète : l’emploi anaphorique et l’emploi indéfini d’un adverbe sont non seulement fonction du temps de l’énoncé, mais aussi de sa modalité.
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