Euripide, Hélène, texte établi, traduit et commenté par Christine Amiech. Préface d’André Tuilier, Études anciennes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, 196 pages
1L’ouvrage de C. Amiech est la première édition d’Hélène avec traduction et commentaire qui soit publiée en français. L’édition dans la CUF remonte à 1950 (5e tirage en 2002, rééditée en « Classiques en poche » en 2007 avec introduction et notes de F. Frazier) ; la traduction la plus récente, de J. et M. Bollack, datait de 1997. C.A. entend mettre en valeur les « enjeux philosophiques, religieux et politiques » (p. 48) d’une pièce comprise à la fois comme une tragédie mystique répandant les idées sur l’immortalité de l’âme en circulation dans les milieux orphiques, et comme une tragédie politique prônant une réconciliation entre Athènes et Sparte. Cette approche est sans nul doute féconde mais le lecteur peut avoir le sentiment qu’elle conduit à minimiser les enjeux proprement dramatiques de la tragédie, au profit de considérations philosophiques ou psychologiques – par exemple sur le sentiment de culpabilité qu’éprouverait Hélène, p. 25, ou sur le fait que Théonoé et Protée seraient les « véritables héros » de la pièce car « au-delà de la mort, ils incarnent l’esprit de justice, qui finit toujours par triompher » (p. 38). Si C.A. refuse de considérer qu’Euripide « malmène » la « mythologie traditionnelle », elle soutient néanmoins qu’il la « critique » (p. 35) quand il fait faire à Hélène le récit des amours de Zeus et Léda, v. 21, ou qu’il fait tenir par Teucros des propos contradictoires sur les Dioscures, v. 138-139, sans prendre en compte les jeux sur la dualité dans une tragédie dont l’héroïne est dédoublée. La fin de l’introduction (p. 39-48) est consacrée à l’exposition des principes de l’édition. Dans la lignée des travaux de A. Turyn et A. Tuilier, C.A. démontre que les manuscrits du XIVe siècle L et P sont jumeaux et que P reproduit plus souvent leur modèle commun. Son principal souci est de revenir, autant que possible, au texte des manuscrits en excluant de nombreuses conjectures – celles de Triclinius au XIVe siècle comme celles des éditeurs modernes – jugées inutiles voire nuisibles à la compréhension de la tragédie. C.A. affronte avec courage, honnêteté, et talent, cette tâche difficile, faisant part de ses hésitations et justifiant systématiquement ses choix – à noter qu’au v. 1153 elle opte pour la correction de Musgrave ἀµαθῶς de préférence à la leçon ἀπαθῶς sans que ses raisons apparaissent clairement. Si son argumentation en faveur de la conservation des v. 9-10 ou 120-121 est convaincante, de même que son attribution à Ménélas du v. 560, en revanche son refus de la correction de µίσηµα en µίµηµα au v. 74, ou de ἀπώλεσ᾿ en ἀπόλαυσιν au v. 77, est moins efficacement défendu : le commentaire de cette partie du prologue fait d’ailleurs la part belle aux analyses psychologiques, au détriment d’une analyse structurelle qui permettrait de mettre en relation la non-reconnaissance d’Hélène par Teucros avec la laborieuse reconnaissance de sa femme par Ménélas. Dans le même ordre d’idées, C.A. maintient le θανεῖν de L au v. 1227, rejetant la correction λαθεῖν, en assumant qu’il « paraît logique qu’Hélène demande à Théoclymène d’imaginer ce qu’il ressentirait si sa sœur venait à mourir », affirmation que l’on peut contester. L’apparat critique est soigneusement établi – il faut parfois se reporter au commentaire pour prendre connaissance de certaines conjectures (v. 309, v. 1227). Dans l’ensemble la traduction, précise et d’une élégante simplicité, est une lecture agréable. La bibliographie ne mentionne pas l’édition d’Allan (Cambridge 2008), non plus que des titres que l’on se serait attendu à trouver, comme « La belle Hélène et l’évolution de la tragédie grecque » de J. de Romilly, LEC, 1988, ou Female Acts in Greek Tragedy d’H. Foley, 2001. Voici donc une parution bienvenue qui a l’incontestable mérite de mettre en lumière la richesse de cette « nouvelle Hélène ».
2Marie Anne Sabiani
Christophe Cusset, Cyclopodie. Édition critique et commentée de l’Idylle VI de Théocrite, Collection de la Maison de l’Orient et de la Méditerranée 46. Série Littéraire et Philosophique 15, Lyon, Maison de l’Orient et de la Méditerranée, 2012, 222 pages
3This book is a mono-commentary on Theocritus’ 6th Idyll, aimed at students of Hellenistic poetry. Cusset has done a great deal in recent years to promote the study of Hellenistic poetry in France, (co)-authoring an impressive list of volumes on this theme and founding the online journal Aitia. Regards sur la littérature hellénistique au XXIe siècle. This recent work is again a well-written and researched line by line commentary in French (p. 61-191) on one of Theocritus’ most intriguing Idylls, prefaced with general introduction (p. 10-60) and followed by an extensive bibliography and index.
4In the introduction Cusset briefly but expertly discusses the poetic environment of Theocritus, before broaching the vexed question of what the exact nature of Theocritean Idyll (?????????) is. Since length, theme and especially structure of the Idylls vary considerably, he prudently concludes « l’idylle apparaît en effet, par rapport à la tradition littéraire, comme une forme absorbante et susceptible de s’adapter à toute les règles de composition… » (p. 19) ; rather than a full-blown genre, he classifies it as « un genre en devenir » (p. 21). This experimental character is what explains the Idylls’ relative brevity and their variety in theme, aiming at providing a multiplicity of poetic experiences as they do.
5The section that follows addresses the bucolic subset of the Idylls from the point of view of numerical, geometrical correspondences. I personally found this a little over-ingenious and not entirely convincing, particularly because a certain amount of special pleading seemed necessary to get the numbers to add up nicely. Then a welcome overview of the tradition of the Cyclops in Greek poetry is given, which genuinely adds to previous work on this particular Theocritean poem. The only slightly disappointing omission here is a more detailed discussion of the link between this poem and Idyll 11, which, as is well known also treats Polyphemus and Galatea ; the more so since the title of the book seems to promise an analysis of Cyclopean song. Finally the structure and unity of the poem is discussed in detail, a well-considered choice, in the case of a finely wrought poem like this. Cusset excellently brings to the fore the verbal echoes constituting the ring composition.
6The text Cusset adopts is very close to that of Gow ; the (minor) changes are generally a preference of the readings of the codices over later emendations, or of a choice between several readings in the codices. The detailed commentary focuses on issues of literary interpretation, in notes that often take the form of brief essays, and combine in an elegant way the major insights of previous scholars with new suggestions. It is in fact a forte of this commentary that it never becomes apodictic, but either provides definitive arguments pro or contra, or otherwise admits that a specific interpretation must remain a suggestion.
7Issues of special interest are the debated identity of the addressee of the poem, Aratos, and its relevance for the interpretation of the poem as a whole, or the exact nature of the kiss between the two herdsmen (erotic or friendly) in line 42. In both these cases, as in others, Cusset suggests well-argued and generally compelling interpretations by drawing comparisons with similar elements from the Theocritean corpus. What this commentary also brings out very well is the play with correspondences and contrasts between the relations within the different frames of the Idyll, i.e., the narrator and the addressee Aratos ; the two herdsmen Damoetas and Daphnis ; and the mythical characters the latter two impersonate, Polyphemus and his anonymous adviser. Indeed, this issue of the anonymous adviser (line 6) leads Cusset to an interesting suggestion : Daphnis might not in fact be impersonating anyone, but merely inviting his companion to answer as Polyphemus (a case of metalepsis, or breach-through of narrative levels, in Genettian terms).
8These are but a few of the many insights and suggestions in this valuable book that may be mentioned in this brief review, but the commentary abounds with them, and is therefore recommended reading for anyone interested in an in-depth discussion of this poem central to Theocritus’ œuvre, and for students of Hellenistic poetics in general.
9Jacqueline Klooster
Favorinos d’Arles, Œuvres. Tome III. Fragments, texte établi, traduit et commenté par Eugenio Amato, Collection des Universités de France. Série grecque, 473, Paris, Les Belles Lettres, 2010, XVIII + 692 pages dont 86 doubles
10Éditeur infatigable, E. Amato publie ici le troisième tome des œuvres du sophiste grec d’origine gauloise, Favorinos d’Arles (IIe s. apr. J.-C.), dédié aux fragments conservés par la tradition indirecte [chronologiquement, il s’agit toutefois du deuxième des trois volumes prévus dans la C.U.F., le tome I étant paru en 2005, alors que le tome II, qui sera consacré au ???? ????? (De exilio), est à paraître]. Pour la réalisation du volume, l’auteur a bénéficié de la collaboration de Mme Yvette Julien, qui a mis à sa disposition la traduction inédite qu’elle avait préparée, ainsi que du professeur Jacques Schamp, qui s’est non seulement chargé de la révision du volume, mais qui en a traduit une partie importante préalablement rédigée en italien.
11Le volume ne comporte pas d’introduction générale (pour cela, il convient de se référer à l’importante introduction du tome I, en particulier les p. 47-52 sur les œuvres perdues ou conservées en fragments et les p. 260-281 sur la tradition indirecte), mais chaque fragment est précédé d’une notice très érudite qui fait l’état de la question tout en apportant une multitude d’informations ou d’hypothèses nouvelles. Tout fragment est donné dans sa version originale (en grec ou en latin et, pour le F 61a, en arménien) et assorti d’une traduction française, accompagnée de notes complémentaires très élaborées.
12Les fragments sont répartis en trois catégories : fragments de localisation certaine (F 1 à 96) ; fragments de localisation incertaine (F 97 à 150) ; fragments douteux ou faux (F 151-163). Un addendum (= F 164), curieusement placé entre la bibliographie et les index (p. 587-589), fait état de la découverte, par l’auteur, d’un fragment supplémentaire à l’intérieur d’un recueil d’aphorismes de philosophes dû à l’intellectuel, médecin et traducteur arabe ?unai ibn Is?aq (IXe s.). Les textes retenus ne sont pas tous des fragments à proprement parler ; certains s’apparentent davantage à des testimonia (par ex. F 1-3, 23-26, 28, 30-32, 35) et figurent du reste comme tels dans le tome I, du moins pour certains d’entre eux, mais le choix de les inclure remonte aux éditeurs antérieurs et se justifie dans la mesure où ils font référence à des titres d’ouvrages de Favorinos.
13Pour sa collection, E. Amato adopte une numérotation entièrement nouvelle par rapport aux éditions précédentes et en particulier à celle de A. Barigazzi (Favorino di Arelate. Opere, Florence, 1966) qui fait référence. Chaque fragment est toutefois accompagné de son numéro chez Barigazzi (pour autant qu’il y soit répertorié, cf. ci-après) et, en fin du volume, deux tableaux comparatifs permettent aisément de faire la concordance entre les deux systèmes de numérotation. Il faut dire que l’auteur ne s’est pas contenté de reprendre les travaux de ses prédécesseurs, mais que son édition est fondée sur un réexamen complet du dossier. Ainsi inclut-elle plusieurs nouveaux fragments, qui avaient échappé aux éditeurs précédents : F 7bis (un extrait du Sur la vieillesse tiré d’un texte de Manuel Adramyttenus) ; F 19a (un autre extrait de la même œuvre cité par Georges Pachymère) ; F 53a (une référence aux Mémorables dans une scholie d’un manuscrit florentin) ; F 61a (une mention de l’Histoire de toute sorte dans un texte arménien) ; F 114 à 121 (huit fragments provenant d’un manuscrit d’Oxford, édités en 1986 par C.K. Callanan et A. Bertini Malgarini, de localisation incertaine, peut-être issus des Mémorables). De même, l’auteur procède à une réévaluation des fragments douteux ou faux, y incluant des textes qui étaient absents chez Barigazzi (F 151, 154a, 162, 163) ou que ce dernier rangeait parmi les testimonia (F 152-156 et 158-161), ou encore rejetant comme douteux un fragment retenu par lui (F 152).
14Il serait vain de vouloir entrer dans la discussion des fragments individuels, mais il convient de relever que les choix proposés par E. Amato sont toujours solidement argumentés et témoignent d’un constant souci de soumettre les résultats de la recherche à une critique serrée. Parfois même, l’auteur n’hésite pas à revenir sur une opinion qu’il avait exprimée dans le tome I et qui lui semble désormais erronée (cf. par ex. p. 3 n. 1 et p. 97 n. 308). Les notices et les notes complémentaires sont d’une richesse inouïe, dont témoigne également l’impressionnante bibliographie de près de 120 (!) pages en fin de volume. Plus qu’une simple édition, l’auteur nous offre un véritable commentaire et une étude de très haut niveau, destinée à devenir la référence en la matière.
15Thomas Schmidt
The Chreia and Ancient Rhetoric. Commentaries on Aphthonius’s Progymnasmata, traduit avec introduction et notes par Ronald F. Hock, Writings from the Greco-Roman World, 31, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2012, XII+346 pages
16Les exercices préparatoires de rhétorique (progymnasmata) constituent une tradition scolaire qui pousse ses racines dans la Grèce classique et s’est constituée en canon sans doute dès l’époque hellénistique, même si les principaux documents conservés datent de l’époque impériale. On redécouvre actuellement ce cycle de formation intermédiaire entre la classe du grammatikos et l’enseignement du rhéteur, jadis dédaigné par H.-I. Marrou, mais qui mérite un réexamen, tant pour son intérêt proprement rhétorique et historique, que pour l’aide pédagogique qu’il pourrait apporter aujourd’hui dans une rénovation – si souhaitable ! – de l’enseignement des Lettres.
17Ce volume est le troisième et dernier d’une série d’ouvrages consacrés à la chrie, l’un des progymnasmata les plus constamment enseignés. Cet exercice est centré autour d’une parole et/ou d’une anecdote à visée moralisatrice, d’où son nom : chreia en grec signifie « utilité ». La tâche de l’élève est de présenter et de défendre ou de contester ce morceau de sagesse, censé développer aussi bien son sens moral que ses capacités narratives, argumentatives et critiques. Un seul exemple permet de se faire une idée assez précise de cette forme qui se rattache à la fois à la tradition gnomique et à la propagande philosophique : « À la vue d’un jeune homme indiscipliné, Diogène (ou Cratès) frappa son pédagogue ».
18Le premier volume de la série (The Chreia in Ancient Rhetoric. The Progymnasmata, édité par R.F. Hock et E.N. O’Neil, SBLTT, 27, Atlanta 1986) était issu d’un travail de séminaire sur les textes grecs d’époque hellénistique, organisé à la fin des années soixante-dix dans le cadre de l’Institute for Antiquity and Christianity de la Claremont Graduate University de Claremont (Californie), plus précisément de la rencontre de jeunes hellénistes avec les anecdotes cyniques, l’une des principales sources de ce micro-genre généralement ignoré alors. L’ouvrage était présenté sous la forme un peu fruste d’un « tapuscrit ». Une équipe de cinq enseignants de « Classics » ou de « Religion » en poste dans des universités américaines ou anglaises y présentait, « éditait » (voir infra) et traduisait les principaux textes théoriques relatifs à la chrie dans les traités dédiés spécifiquement aux progymnasmata ou dans des traités plus généraux, à savoir la discussion d’Aelius Théon d’Alexandrie, celle de Quintilien (Institution oratoire, I 9, 1 - I 10, 1), celle d’« Hermogène » suivie de la traduction qu’en a donnée le grammairien Priscien (III 431-432 Keil) – texte capital en raison de sa large diffusion en Occident –, celle d’Aphthonios, celle de Nicolaos de Myra (Ve s. apr. J.-C.), celle, enfin, que l’on peut lire dans un fragment anonyme dédié à des questions grammaticales dans le codex Vaticanus 5216 (XVe-XVIe s.). L’ouvrage se terminait sur un très utile répertoire des chries citées dans les traités ou dans d’autres sources grammaticales ou rhétoriques, par exemple chez Libanios.
19Le second volume (The Chreia in Ancient Rhetoric. Classroom Exercises, édité par R.F. Hock et E.N. O’Neil, WGRW, 2, Atlanta, 2002) marquait un net progrès dans la mise en forme de la série grâce aux financements obtenus par le projet et nombre de collaborations techniques. C’était aussi, et c’est encore, le plus neuf, puisqu’il réunissait des documents rares, notamment papyrologiques, permettant d’instruire le dossier de l’exploitation pédagogique de la chrie aux différents stades du cursus scolaire : d’abord au niveau primaire, où la chrie était lue et copiée, puis au niveau secondaire, où la chrie servait de support à des exercices de déclinaison, enfin au niveau proprement rhétorique (l’adolescent est âgé alors d’environ quinze ans). La gamme des manipulations de la chrie s’élargit alors, le jeune homme doit réciter la chrie, la commenter, la critiquer, la développer, la réduire, etc. Les corrigés proposés dans cette partie sont issus de commentaires à Hermogène, mais aussi de Libanios, du Ps.-Nicolaos et d’auteurs byzantins, identifiés ou non.
20Vient donc de paraître le dernier volume de la série. Après un sommaire, une liste des abréviations et une introduction générale rappelant les tenants et aboutissants de l’ensemble du projet, cet ouvrage, dû – après le décès d’Edward N. O’Neil à qui l’ouvrage est dédié – au seul Ronald F. Hock, présente, « édite », traduit et annote l’essentiel de la tradition exégétique byzantine relative au chapitre qu’Aphthonios (IVe s. apr. J.-C.) consacre à la chrie, à savoir six textes rangés dans l’ordre chronologique : 1) le commentaire de Jean de Sardes (IXe s., p. 34, 1 - 55, 15 Rabe) ; 2) une compilation anonyme de scholies dites scholies-P (ca 1000 ; p. 585, 3 - 591, 31 Walz II) ; 3) le commentaire de Jean Doxapatrès (2e moitié du XIe s., p. 247, 12 - 282, 11 Walz II) ; 4) un court commentaire issu d’un ensemble cohérent de textes rela tifs au corpus hermogénien et connu sous le titre Rhetorica Marciana (XIIe s. ; 129, 18 - 130, 14 Walz I) ; 5) le commentaire de Maxime Planude (ca 1255 - ca 1305, p. 15, 6 - 21, 13 Walz II) ; 6) l’épitomè de Mathieu Camariotes (XVe s. ; p. 122, 23 - 123, 5 Walz I).
21L’ouvrage est complété par une bibliographie et un index des termes techniques à entrées grecques, malheureusement malcommode, car il ne donne que la page où se trouve le lemme, forçant l’utilisateur à de fastidieuses recherches.
22R. Hock reconnaît que les textes qu’il donne à lire sont d’intérêt inégal et se répètent copieusement les uns les autres. Cette publication ne constitue pas, par ailleurs, un progrès en matière textuelle : malgré la présence d’un apparat critique nouveau, les textes sont repris d’éditions anciennes, dont l’une, celle de Jean de Sardes par Hugo Rabe (Teubner, 1928), était excellente en son temps, mais dont l’autre, les Rhetores Graeci de Walz (Stuttgart-Tübingen…, 1832-1836, réimpr. Osnabrück, 1968), est considérée depuis longtemps comme médiocre. On comprend mal pourquoi l’édition d’Aphthonios par M. Patillon (Corpus rhetoricum, tome I, Collection des Universités de France, Paris), parue en 2008, n’est ni utilisée ni même mentionnée. Le traducteur a jugé bon parfois d’intervenir sur le texte, mais sans faire véritablement un travail d’éditeur scientifique, son seul but étant « d’aider le lecteur » (p. 3). Un indice de ce relatif dédain pour les questions textuelles est le refus de mettre le grec « en belle page », place occupée par la traduction. L’apparat critique, très succinct, est lui aussi malcommode : en l’absence de numérotation des lignes, les renvois sont à l’ensemble d’un paragraphe, qui peut être très long. Les corrections proposées sont prudentes, légères mais arbitraires et vont dans le sens d’une certaine uniformisation que rien ne justifie, d’autant que nombre des textes présentés ici se rattachent au genre de la scholie et pratiquent un style que l’on pourrait qualifier de « télégraphique ». La traduction n’est pas exempte d’approximations et d’erreurs dont on donnera ci-dessous quelques échantillons.
23L’intérêt de l’ouvrage est ailleurs. En attendant la parution de véritables éditions critiques fondées sur une étude complète et raisonnée de la tradition manuscrite, la définition de principes d’édition scientifiques – parution qui peut attendre un certain temps, eu égard à la longueur des commentaires d’où sont extraits les passages choisis par R. Hock, et à l’urgence très relative de leur exhumation complète –, il constitue une première redécouverte de ces textes, dont il offre généralement la première traduction en langue moderne. Seul le texte 1) avait été traduit auparavant, pour une petite partie, par G.A. Kennedy (dans le volume Progymnasmata : Greek Textbooks of Prose Composition and Rhetoric, WGRW, 10, Atlanta, 2003). Son second intérêt est de faire apparaître dans la diachronie les méthodes d’exégèse appliquées, à Byzance, à un texte – celui d’Aphthonios – singulièrement succinct. R. Hock s’est aussi astreint à donner des informations complètes sur l’état actuel de l’érudition concernant ces textes. Enfin et surtout, il donne une vue d’ensemble sur près de mille ans de la pédagogie d’une mini-forme à caractère à la fois littéraire et philosophique (éthique).
24Il est clair qu’après les travaux récents de M. Patillon, R. Webb, M. Heath, G. Gibson, M. Kraus, E. Amato, et d’autres, sur les progymnasmata, nous avons là, grâce à la focalisation de R. Hock sur l’exégèse d’un seul d’entre eux, et sur des auteurs généralement considérés comme mineurs, un point de vue original ainsi qu’une étape supplémentaire dans la redécouverte d’une tradition scolaire qui a encore beaucoup à nous apprendre. Mais ce n’est qu’une étape. Les commentaires byzantins des traités de Progymnasmata n’ont pas encore livré tous leurs secrets, que ce soit en matière textuelle ou sur le plan exégétique.
25Remarques ponctuelles :
- P. 4 n. 19 : sur le contenu et l’attribution des traités du corpus hermogénien, R. Hock propose une synthèse bien trop rapide et dépassée. On s’interroge sur la pertinence philologique d’une phrase comme « Only two of the treatises are now considered authentic, On Issues and On Types of Style, but since the commentators assumed all to be by Hermogenes, they will be so treated here ».
- P. 5 : R. Hock juge correcte une phrase de la Souda (97, 4630 Adler) selon laquelle Aphthonios aurait composé des « exercices préparatoires à l’étude de l’Art rhétorique d’Hermogène ». M. Patillon (CRhet I, p. 49-50 et n. 2) a donné tous les arguments pour la restitution suivante : « Aphthonios a écrit un <Commentaire> sur l’Art d’Hermogène et des Progymnasmata », le plus fort de ces arguments étant que toutes les autres occurrences du titre Progymnasmata dans la Souda le montrent employé de façon absolue.
- P. 13 : l’indication concernant le Commentaire de Jean de Sardes au De inventione du Ps.-Hermogène, dont seule l’introduction aurait été conservée, est inexacte. On lira des informations plus fiables dans les introductions aux deux volumes du Corpus rhetoricum consacrés à ce traité (CRhet. III, 1 et 2, Paris, CUF, 2012).
- P. 38-39 : Jean de Sardes explique que la priorité de la fable chez Aphthonios tient à ce qu’elle véhicule à la fois l’image et la fonction de l’art rhétorique dans son entier. Ces deux points sont éclairés dans un développement fermement articulé par µ??/?? que la phrase anglaise ne restitue guère. La fable renferme l’image de l’art, poursuit Jean, « en ce qu’elle contient en elle-même (?? ?????) les trois genres de discours » ; le all by itself (« à elle toute seule ») de R. Hock est un ajout. Plus loin (2) est précisée l’idée selon laquelle la fable, dans la mesure où elle nous enseigne la manipulation du persuasif, renferme toute (????…) la fonction de l’art rhétorique : « involves the principal power of the rhetorical discipline » induit une légère distorsion. Ce sont là des nuances, mais qui tendent à altérer la confiance du lecteur, d’autant que, plus loin sur cette même page, le début du § 4 n’est pas placé au même endroit dans le texte anglais et dans le texte grec, et que la dernière phrase grecque de ce paragraphe n’a manifestement pas été comprise.
- P. 40-41 : Jean observe que la fable est pleine d’invraisemblances, un cheval et une tortue capables de parler, le lion désireux de se marier, etc. puisque, dit le grec, ??????? ????? ???? ????? ??? ????µ???? « le fait est mensonger par nature », et non « since such subject matter is, by the nature of the case, false » (§ 5). Il s’ensuit deux niveaux de vraisemblance ou d’invraisemblance, l’un qui n’a aucune incidence sur la plausibilité du récit, et qui est de l’ordre de la convention, l’autre qui tient à la coïncidence entre le comportement donné au personnage de la fable et le caractère donné a priori à ce personnage. Jean de Sardes écrit : « une fois admis que dans la fable, par hypothèse, les être vivants privés de parole parlent, <disent> ou font quelque chose, nous nous préoccupons du vraisemblable pour le reste, à savoir si la fiction est conforme au caractère des personnages ». La traduction proposée par R. Hock manque ici de netteté : « But once this is granted in a fable – irrational creatures, as in a premise, are capable of <either speaking> or doing something – then we investigate plausibility : whether the fiction corresponds to the stereotypes, etc. ». Et Jean de conclure (§ 8, p. 43) : « le vraisemblable se limite à ça », et non « For in this aspect alone is plausibility considered ».
- P. 63 s.v. ???????????? : on comprend mal pourquoi R. Hock affadit le texte en traduisant µ??????? ?????? par « more lofty sentiments ». Le sens est pourtant assez clair : en communiquant à l’adolescent l’expérience de la pluralité des formulations possibles pour une même idée, on renforce chez lui la confiance, l’esprit d’initiative, la capacité de se forger des « desseins plus élevés ».
- P. 120-121, § 8.1 : l’addition de 2 et 3 (?????… ????????) est parfaitement inutile. Elle vient rompre une séquence sur Isocrate dont le sens n’a pas été vu : « Le prélude sur Isocrate le concerne particulièrement, non seulement parce qu’il est nommé expressément, mais parce qu’il met en évidence ses activités, et cela si succinctement et brièvement que les tâches qu’il a accomplies, etc. ».
- P. 165, § 2.2 : à propos de l’aide apportée par la chrie dans la maîtrise de l’argumentation judiciaire, R. Hock n’a pas vu que l’opposition ????????µ??? ?? ??? ???? ?????? ?????????? réfère à l’induction versus les différents topoi du raisonnement déductif (enthymème).
- P. 168-169 haut : pour que soit rendu plus exactement ???? ????, on attendrait « and only then investigate ».
- P. 172-173, deux remarques : en 10, l. 3, la leçon ? ??? (…????????), laborieusement traduite, mériterait un réexamen soigneux de la tradition manuscrite. En 10, l. 7, ???? ??? est à éditer sous la forme ?????? (« c’est-à-dire ») : la division opérée (au demeurant traditionnelle depuis Platon et Aristote) distingue entre partie rationnelle et partie irrationnelle de l’âme. Jean le Géomètre écrit que « …certaines chries illustrent une vertu de la partie rationnelle de notre âme, les autres de la partie irrationnelle, à savoir les chries émotionnelles ». Il est vrai que l’anthropologie classique, notamment aristotélicienne, rattache parfois les passions en même temps aux deux parties, rationnelle et irrationnelle, de l’âme, mais la structure du texte de Jean est ici antithétique et n’entre pas dans de telles considérations.
- P. 193 : Il s’agit d’une chrie où un jeune homme, né d’amours coupables, est surpris par Diogène en train de jeter des pierres sur la foule. Diogène lui dit : « cesse mon garçon, de peur de frapper ton père sans le savoir ». La traduction de µ????????… ?? µ????? par « a youth whose father was an adulterer » introduit une complication inutile.
- P. 272 : la rédaction de l’apparat et la correspondance de cet apparat avec le texte édité laissent à désirer.
- P. 282-283 : en s’appuyant sur la reconstitution de Carl Wendel (REPW XX 2, col. 2202-2253), R. Hock rend compte du corpus « hermogénien » tel que Planude l’a rassemblé au XIIIe s. La partie 5 de ce corpus (très fautive dans Walz V, p. 231) a été éditée en 2008 par M. Patillon à nouveaux frais, c’est-à-dire d’après les manuscrits (CRhet. I, p. XXII-XXIII, voir aussi p. LXXIII). Il s’agit d’un anonyme « Comment reconnaître les états de la cause ? » (??? ????????µ??? ??? ??????? ;) et non d’un « Comment lire le traité Des états de la cause » (« How to read the On Issues »).
- P. 304, § I.2 : l’addition de ?????? est inutile. Il s’agit de scholies.
- P. 308-309, § 4 : ???? ?????? signifie par excellence et non perfectly ; § 5 : la traduction de ???????µ???? par contemplating est fausse. Il s’agit d’une chrie dans laquelle l’un des Sept Sages, Pittakos de Mitylène, s’entend demander si l’on échappe au regard des dieux quand on commet une mauvaise action. Pittakos répond : « même l’intention (sc. de mal agir) ne leur échappe pas ».
26Pierre Chiron
Satires et parodies du Moyen Âge grec, textes traduits et présentés par René Bouchet, La Roue à Livres, Paris, Les Belles Lettres, 2012, XVI + 344 pages
27Avec la Chronique de Morée, les Romans de chevalerie du Moyen Âge grec et les Satires et parodies du Moyen Âge grec, René Bouchet offre, dans la même collection destinée à la vulgarisation d’œuvres peu connues « La Roue à Livres » aux Belles Lettres, un ensemble cohérent de traductions de textes byzantins, que l’on peut donc caractériser comme un triptyque. L’unité de cet ensemble est assurée au fil des trois publications (2005, 2007 et 2012) par l’élargissement progressif du champ historique couvert : périodes paléologue (Chronique de Morée), puis comnène et paléologue – sous forme de référence dans l’introduction à un corpus de textes du XIIe siècle (Romans de chevalerie…) ou de traductions de textes de cette époque (Satires et parodies…) en ce qui concerne la période comnène – auxquelles s’ajoutent les premiers temps de la domination turque (Satires et parodies…). Il n’y a pas de convergence thématique entre ces trois ouvrages par conséquent complémentaires, constituant les trois volets d’une approche globale grâce au choix de R. Bouchet de présenter des œuvres de genre et de contenu différents. À la chronique historique bien implantée dans la réalité qu’elle est destinée à reproduire en l(a) (d)écrivant succèdent des œuvres de fiction, évasion dans l’imaginaire certes mais témoignage aussi de leur époque, le dernier volet quant à lui représentant un retour à une réalité distanciée, dénoncée dans la satire, déformée, distordue dans la parodie.
28Les Satires et parodies du Moyen Âge grec, au nombre de treize, dont chacune s’assortit d’une présentation individuelle complétant l’introduction générale, sont distribuées, à une exception près, par ordre chronologique. « Le conte plaisant des quadrupèdes » précède en effet « Le livre des oiseaux » dont il s’inspire sans doute (présentation p. 113 et 154). Ce décalage permet d’éviter une ventilation plus « scolaire » des textes traduits. Leur corpus se divise en deux groupes dissociés, sur le plan historique, par la fracture de 1204, la prise de Constantinople par les Croisés. Le premier groupe, formé par les quatre satires du « Ptochoprodrome », éclôt au XIIe siècle, le dernier âge classique de Byzance marqué par une politique de reconquête territoriale menée par les empereurs comnènes et aussi par une expansion à la fois économique et culturelle. Les autres satires – et parodies -, échelonnées au long des XIVe et XVe siècles (présentation p. 51, 116-120, 155, 186 et 207-208), peut-être même jusqu’au début du XVIe siècle (p. 186), sont rattachées en revanche à une période de relative déstabilisation où les repères identitaires peuvent poser question selon la région de l’empire dans laquelle vivent leurs auteurs, sur fond successivement de domination latine et turque. À l’intérieur de ce second groupe un seul auteur, des cinq premières satires, est identifiable : Stéphanos Sakhlikis, crétois du XIVe siècle (présentation p. 51-53). Dans la même Crète sous domination vénitienne aux environs d’un siècle plus tard est, suppose-t-on, conçue la « Sainte vie du vénérable baudet » (présentation p. 186). La dernière pièce du recueil, considérée le plus souvent comme contemporaine de cette « Vie » (fin XVe) n’offre aucun indice qui permette de localiser, et encore moins de connaître, son auteur (présentation p. 207-208), vivant dans tous les cas sur un territoire qui n’appartient plus à l’empire byzantin. Au total, seuls « Le livre des oiseaux » et « Le conte plaisant des quadrupèdes » (XIVe siècle) s’avèrent produits en des régions non « occupées », celles de Constantinople (présentation p. 153) et/ou Thessalonique (présentation p. 119) redevenues possessions grecques dans le courant du XIIIe siècle. Thessalonique le restera jusqu’à la fin du XIVe siècle.
29Au-delà de l’écart historique qui les sépare et des conditions de production sujettes à variabilité dans des contextes si différents, les deux groupes de satires et parodies constituent un tout unifié à la fois par l’emploi de la langue démotique, par le choix de la forme poétique et par la liberté – pouvant confiner à l’outrance – du ton, critères qui ont présidé à leur sélection par l’auteur de l’ouvrage (intr. gén. p. X et XV). En ce qui concerne le type de vers utilisé dans douze pièces sur treize, le vers spécifiquement byzantin « politique » pentédécasyllabe, la formulation adoptée par R. Bouchet commentant son usage est ambiguë (p. XII et n. 28 p. 266). On pourrait en effet comprendre que le vers politique est indissociable de la langue vulgaire, c’est-à-dire ignoré, au profit d’autres mètres, dans la littérature en langue « savante ». Or le vers politique n’a pas été à Byzance l’apanage de la littérature en langue démotique. Pour prendre un exemple emprunté à la période d’écriture des satires du Ptochoprodrome, le XIIe siècle, la quasi-totalité de l’œuvre d’un écrivain aussi « sérieux » que Constantin Manasses se trouve rédigée en vers politiques, qu’il s’agisse, entre autres, de son immense Chronique historique (6 733 vers) ou du roman d’Aristandre et Callithée (n’en subsistent sous forme de fragments que 765 vers). Le vers politique ne peut donc être retenu comme le paramètre spécifique définissant la satire en langue vulgaire, ni être systématiquement corrélé avec une diffusion orale possible des œuvres qu’il compose comme le suggère R. Bouchet (présentation p. 55).
30À travers la diversité de sujet des satires et parodies que R. Bouchet propose à son lecteur, sans surprise une constante se dégage dans la thématique abordée par leurs auteurs : la dénonciation de l’injustice sociale presque toujours concrétisée par l’opposition, voire l’affrontement entre pauvres et puissants, jusque dans les couvents. Dans la satire 4 du Ptochoprodrome (texte p. 39-47), c’est une vie de misère qui se trouve retracée – celle d’un lettré nourri du seul contenu de ses études –, dont le leitmotiv est la faim tout comme dans la satire 3 (texte p. 25-38) où le moine Hilarion décrit en détail les marques de mépris et les privations, de nourriture surtout, dont il est victime de la part des higoumènes de son monastère à cause de sa modeste origine sociale. « Le conte plaisant des quadrupèdes » (texte p. 123-150) met en évidence la structure très hiérarchisée de la société animale dont le fonctionnement est ici allégorique, la joute verbale entre les bêtes, par paires successives, révélant en permanence la violence des relations entre ses différentes strates et le désir du plus fort de terrasser plus faible que lui. La même thématique apparaît dans la « Sainte vie du vénérable baudet » (texte p. 187-197) : loup et renard alliés projettent de le dévorer sans pitié. Elle est abordée de manière plus modérée dans le « Livre des oiseaux » (texte p. 157-175). Le principe de la joute verbale, repris dans le « Conte plaisant des quadrupèdes », sert ici une satire de l’arrogance des Grands et de la vanité des petits. À mesure de son déroulement, chaque oiseau se targue, en renchérissant sur le précédent, de ses nobles origines… ou bien d’avoir le privilège d’être mangé à la table des puissants.
31Comme le souligne R. Bouchet (présentation p. 56), la dénonciation de la corruption de la société – crétoise en l’occurrence – où l’argent est devenu le seul maître, rendant caduques les valeurs morales, est au cœur des pièces de Sakhlikis. La corruption prévaut dans tous les domaines, de la vie privée (« Sur les amis – sur les prisons », texte p. 65-72) et de la vie publique, en particulier dans les rapports avec la loi (« Sur les amis… », texte p. 72-74 ; « Étrange histoire de l’humble Sakhlikis », texte p. 93-97) et avec les femmes. La prostitution est un sujet quasi obsessionnel chez Sakhlikis, longuement traité dans les cinq satires proposées (« Sur les amis… », p. 75-76 ; « Étrange histoire… », p. 88-89 ; « Conseils à Frantzeskis », p. 101 et 106-109), dont deux sont exclusivement consacrées aux courtisanes (« L’assemblée des courtisanes », « La joute des courtisanes »). Elle se mêle aussi de religion en impliquant les membres du clergé (« L’assemblée… », texte p. 78-80) et en faisant irruption dans la vie monastique (p. 78-79), qui n’échappe pas à la corruption ambiante. Il s’agit là d’affaires de mœurs, dans la Crète sous domination latine du XIVe siècle. Au XIIe siècle, à Constantinople même, la satire contre les higoumènes du Ptochoprodrome dénonce, autre forme de corruption, les trafics d’influence à l’intérieur d’un couvent (satire 3, texte p. 35) mais aussi la collusion entre pouvoirs politique et monastique (satire 3, texte p. 32).
32La remise en question de la religion ne se limite pas à des attaques contre les personnes. Les deux dernières pièces de l’ouvrage (« Sainte vie du vénérable baudet » et « La messe de l’homme sans barbe »), plus tardives (fin du XVe siècle), constituent des parodies de textes chrétiens et sacrés et d’offices religieux. L’objectif n’est plus seulement ici de dénoncer les maux d’une société mais, pour le tourner en dérision, d’imiter un modèle en en pervertissant les données de départ. La « Sainte vie… » parodie, par son titre grec et les honneurs qui en clôture du récit sont conférés au baudet, les textes hagiographiques (présentation p. 183-184). La « Messe… » dans ses deux parties offre successivement un montage de textes liturgiques et une parodie de vie de saint (présentation p. 203). Mais, même si R. Bouchet considère la démarche de l’auteur de « La messe… », se moquant ainsi de la religion, comme surprenante (présentation p. 201), il n’est en fait pas rare à Byzance qu’on ose se livrer à un travail parodique sur des textes sacrés. La Schédè tou muos, au XIIe siècle, en témoigne par exemple. Attribuée à Théodore Prodrome – qui ne fait sans doute qu’un avec le « Ptochoprodrome » auteur des quatre premières satires de l’ouvrage (présentation de ces satires par R. Bouchet, p. 3-8) – cette petite pièce est construite dans sa seconde partie sur la base d’un montage de passages de l’Ancien Testament, surtout des Psaumes, détournés de leur signification initiale et mis au service d’une histoire de chat et de souris. En s’appuyant lui aussi sur des passages bibliques « manipulés », l’auteur de la « Messe… » suit donc la même procédure.
33Dans ce corpus diversifié et représentatif de la satire en langue vulgaire à Byzance, une bonne partie de la thématique, en même temps qu’elle peut être étroitement reliée à la réalité politique (« Le conte plaisant… », présentation p. 115-119 et n. 19 p. 191 ; « Le livre des oiseaux », présentation p. 153-154 et notes 29 p. 299-300, 54 p. 303) et sociale byzantine, correspond à une problématique toujours d’actualité et nous rend les auteurs grecs proches, voire familiers, non pas seulement par la trivialité du sujet abordé (satire 1 du Ptochoprodrome, texte, p. 11-19 : scènes de ménage entre le poète et son épouse) mais par la réflexion sur les travers éternels de l’être humain (description par Sakhlikis du joueur pathologique et des ravages qu’entraîne son addiction au jeu : « Conseils à Frantzeskis », texte p. 102-105) ou sur l’efficacité thérapeutique de l’écriture (Sakhlikis encore, « Étrange histoire… », texte p. 87-88), aussi bien que sur les dysfonctionnements sociaux dénoncés. On lira avec plaisir ces satires et parodies dans la traduction enlevée et enjouée de René Bouchet, souvent rythmée et se situant ainsi dans la continuité du texte grec. Le lecteur contemporain sera sans doute surpris par le goût très affirmé de leurs auteurs pour la scatologie, que R. Bouchet a su rendre sans excès de langage, ce qui constituait un vrai défi de traduction. On regrettera cependant le choix d’un système de distribution des notes de gestion complexe pour le lecteur. Une numérotation plus compacte aurait été bienvenue pour pouvoir profiter sans contrainte de cet ensemble de notes si riche.
34Florence Meunier
Daniel J. Geagan, The Athenian Agora. Results of Excavations conducted by The American School of Classical Studies at Athens. Vol. XVIII. Inscriptions: The Dedicatory Monuments, Princeton, The American School of Classical Studies at Athens, 2011, XXX + 426 pages + 80 planches
35Le volume XVIII des Fouilles de l’Agora est le cinquième et dernier volume de la série consacrée aux inscriptions découvertes grâce aux travaux de l’École américaine à l’Agora d’Athènes. Y sont publiées les inscriptions gravées sur les monuments de l’Agora commémorant différents événements ou victoires (section II), les inscriptions honorifiques accompagnant statues ou autres effigies (section III), ainsi que les dédicaces pour les divinités (section IV) dont la plupart sont datées entre le IVe siècle av. J.-C. et le IIe siècle apr. J.-C. Les inscriptions de l’époque archaïque et du Ve siècle sont rassemblées dans la section I. La section V est consacrée aux monuments dont l’identification n’est pas assurée et comporte également six stèles funéraires qui n’avaient pas été reconnues en tant que telles et constitue donc un supplément à Agora XVII. La numérotation continue des 773 inscriptions est précédée, comme dans Agora XIX, d’une lettre identifiant le type de l’inscription (C pour « commemorative », H pour « honorary » et V pour « votive »). Le volume comporte également les photographies des inscriptions qui n’étaient pas publiées ou de manière peu satisfaisante par ailleurs. La répartition des inscriptions entre les sections montre que l’on a hésité entre un classement chronologique et un classement thématique tout au long du volume, ce qui nuit à sa pertinence.
36Il était louable de la part des collègues de Daniel J. Geagan, disparu en 2009, d’avoir voulu publier, par fidélité à sa mémoire, ce volume auquel ce dernier avait consacré plusieurs années de travail depuis les années 70, mais l’ouvrage a sans doute pâti de l’état d’inachèvement où il devait se trouver à la mort de son auteur. Le choix de répartir la majeure partie des inscriptions en fonction d’une part de l’événement commémoré (section II) et d’autre part des personnages honorés (section III) complique la tâche pour trouver une inscription d’autant que cette organisation n’est pas relayée par des indices aussi complets qu’on aurait pu le souhaiter. Il manque par exemple un index des mots grecs qui aurait permis aux auteurs de se dispenser du classement thématique de la section II. Le refus d’un simple classement chronologique des inscriptions conduit par exemple à dissocier les deux dédicaces du souverain de Pergame, Attale II. Ainsi la dédicace du Portique se trouve dans une sous-section du chapitre des inscriptions commémoratives, à la rubrique « architectural monuments » (C212), tandis que l’autre dédicace d’Attale II pour l’ancien pergaménien Théophilos d’Halai, fait citoyen d’Athènes, se trouve dans la section consacrée aux inscriptions honorifiques (H328), alors même que les deux inscriptions sont présentées comme étant l’œuvre du même graveur.
37Dans les descriptions, un soin tout particulier a été apporté à la contextualisation archéologique et architecturale de l’inscription. Mais on pouvait espérer que cette minutie débouche éventuellement sur des typologies et des analyses stylistiques, révélant ou non des évolutions dans les choix opérés par les dédicants pour leurs offrandes.
38On remarquera la présence d’inscriptions historiques importantes comme l’inscription gravée sur la base des Tyrannoctones ou la dédicace de Leagros fils de Glaukon qui a permis d’identifier l’enceinte de l’autel des Douze Dieux. Les auteurs ont choisi de traduire les inscriptions les moins immédiatement accessibles aux lecteurs non hellénistes. Pour toutes ces raisons, ce dernier volume des inscriptions de l’Agora constitue malgré tout un ouvrage de référence pour tout épigraphiste, et plus généralement pour tout historien qui s’intéresse à la société athénienne.
39Isabelle Pernin
Charles Doyen, Poséidon Souverain. Contribution à l’histoire religieuse de la Grèce mycénienne et archaïque, Mémoire de la Classe des Lettres, 55, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2011, 392 pages
40Dans Poséidon Souverain, qui est la version remaniée d’une dissertation doctorale soumise à l’Université Catholique de Louvain en 2009, Charles Doyen se propose d’établir les origines et les modalités de la « déchéance » de Poséidon : le « Poséidon archaïque » aurait été un dieu déchu de la souveraineté dont jouissait le « Poséidon mycénien », de telle manière que son sort évoque celui du roi des dieux ougaritique.
41La première section de l’ouvrage (« Poséidon archaïque », p. 31-117) est l’occasion d’examiner les sources qui témoigneraient du déclassement de Poséidon. Il s’agit de présenter Poséidon comme un père et un souverain déchu d’abord au niveau local, à travers l’étude des mythes autour de l’acropole d’Athènes, et ensuite au niveau panhellénique, à travers l’étude des sources littéraires archaïques. Dans le chapitre I (« Athéna et Poséidon sur l’acropole athénienne », p. 33-75), l’auteur propose une « lecture diachronique » des mythes relatifs à Érichthonios et, dans une moindre mesure, à la querelle entre Poséidon et Athéna pour la possession de l’Attique. Les éléments de ces mythes, minutieusement démembrés, sont comparés aux éléments extraits des récits relatifs aux chevaux nés de Poséidon et d’une parèdre chthonienne, de manière à présenter Érichthonios comme un autre de ces rejetons chevalins de Poséidon. Ce n’est qu’à la suite d’une série de changements dictés par les besoins de l’idéologie politique athénienne qu’Érichthonios serait devenu l’enfant serpent né de la terre fécondée par Héphaïstos et élevé par les filles de Cécrops. Lorsque les Athéniens choisirent Athéna, Poséidon aurait été privé à la fois de sa souveraineté sur l’Attique et de la paternité d’Érichthonios.
42Dans le chapitre II (« Zeus et Poséidon dans la littérature grecque », p. 77-117), l’auteur s’interroge sur la place de Poséidon dans la société et le panthéon grecs. L’analyse de quelques ressemblances et différences entre Poséidon, Zeus et les divinités pré-olympiennes, ainsi que l’importance exagérée donnée au passage du chant XV de l’Iliade où Poséidon conteste la souveraineté de Zeus, permettent à l’auteur d’assimiler Poséidon à Cronos. Poséidon, ancien père et roi des dieux pré-olympien, aurait été intégré au groupe des dieux olympiens sous le règne Zeus au prix d’une modification de la généalogie divine, qui aurait fait de lui le frère, et non plus le père, du nouveau souverain.
43L’auteur propose dans cette section des reconstitutions spéculatives de mythes primitifs, qui auraient évolué au gré des besoins idéologiques pour devenir les mythes qui nous ont été transmis. Ces reconstitutions inédites reposent sur un enchevêtrement d’hypothèses et de comparaisons abusives, elles-mêmes facilitées par un certain flou notionnel (des termes aussi importants que « chthonien » et « mythe » ne sont jamais définis).
44La deuxième section de l’ouvrage, intitulée « Poséidon mycénien » (p. 119-263), repose sur l’analyse de tablettes provenant du seul palais de Pylos, bien connues et abondamment commentées. Dans les deux chapitres qui la composent, l’auteur veut montrer que Poséidon est étroitement associé au roi de Pylos et à l’exercice de la royauté mycénienne. Le chapitre III (« Poséidon propriétaire terrien. Cadastres et impôts fonciers à Pylos », p. 121-201) est consacré aux deux dossiers de textes où Poséidon apparaît comme bénéficiaire du versement de l’impôt calculé sur une base foncière, appelé do-so-mo. Il s’agit d’une part de l’ensemble des textes de la série PY Es, et d’autre part du dossier dit « sa-ra-pe-da » , comprenant les textes rédigés par le scribe 24, auxquels on adjoint les textes du scribe 6. L’auteur analyse ces textes de manière exhaustive, et multiplie les développements visant à éclairer le sens des termes techniques ou l’identité des personnages mentionnés. Il propose par exemple pour le terme sa-ra-pe-da une interprétation originale : sa-ra-pe-da serait un adjectif apparenté au nom anatolien du palais, et épithète du substantif te-me-me-no, auquel il n’est jamais explicitement associé.
45Dans le chapitre IV (« Fêtes et sanctuaires au royaume de Pylos », p. 203-260), l’auteur examine Tn 316 et les tablettes de la série Fr, qui permettent de préciser certains aspects du culte de Poséidon dans la Pylos mycénienne. L’étude de ces documents est, là encore, tout à fait exhaustive, et les termes problématiques soigneusement discutés. Parmi les hypothèses d’interprétation proposées, on notera celle qui fait des noms wa-na-sa, pa-ki-ja-ni-ja et po-ro-wi-to des noms de cérémonies religieuses. Les appellatifs qo-wi-ja et ko-ma-we-te-ja, attestés en Tn 316, désigneraient quant à eux des femmes attachées collégialement au culte de Poséidon. Au terme de ces analyses, l’auteur en vient à supposer que la divinité principale du sanctuaire de pa-ki-ja-na, et donc des élites palatiales pyliennes, était en fait Poséidon, et non Potnia.
46Malgré un souci de rigueur dans l’interprétation des données, les conclusions proposées quant au lien fort unissant Poséidon aux royautés mycéniennes pâtissent, entre autres, de deux erreurs d’appréciation. D’une part, l’auteur mésestime l’importance des divinités féminines dans la religion mycénienne, pourtant bien attestée dans les textes et dans l’iconographie. D’autre part, le témoignage d’Homère permet de douter du fait que les conclusions sur l’importance de Poséidon à Pylos sont valables par défaut dans le reste du monde mycénien.
47La dernière section (« Panthéons grecs, panthéons orientaux », p. 265-332) est l’occasion pour l’auteur de rattacher ses travaux sur Poséidon à ses recherches initiales sur les héritages orientaux dans la religion grecque. Dans le chapitre V (« Le Poséidon hellénique. Questions de souveraineté divine », p. 267-299), il revient sur les conclusions formulées dans les deux premières sections. La comparaison entre son « Poséidon mycénien » et son « Poséidon archaïque » lui permet de reconstituer la figure d’un ancien père et roi des dieux grec déclassé, mais encore très puissant à l’époque archaïque.
48L’auteur expose dans le chapitre VI (« Un Poséidon oriental ? Modèles de souveraineté divine », p. 301-332) les théogonies orientales qui évoquent la déposition d’un ancien roi des dieux, et sont donc susceptibles d’offrir un parallèle pour comprendre le déclassement de Poséidon. Dans les théogonies qui suivent le schéma babylonien ou hittito-hourrite, le dieu de l’orage règne après avoir violemment dépossédé son père. Dans les récits ougaritiques, le père des dieux, El, cède son pouvoir au dieu de l’orage volontairement et pacifiquement, en sorte que deux figures royales coexistent au sein d’un même panthéon. L’auteur rapproche volontiers le dieu ougaritique El du « Poséidon hellénique » qu’il reconstitue : ces deux divinités présentant des caractéristiques communes, c’est sur le modèle de l’éviction volontaire de l’un qu’il pense le déclassement de l’autre.
49Ch. Doyen a voulu faire de Poséidon un exemple éclatant de l’influence des conceptions orientales sur la constitution des panthéons grecs. Il réaffirme constamment son souci de rigueur dans l’analyse et déploie tout au long de son ouvrage une certaine érudition. Ces qualités se reflètent dans sa bibliographie, plutôt bien informée, malgré quelques absences notables. Les conclusions de Poséidon Souverain laissent perplexe, dans la mesure où le postulat de départ n’a pas été mis à l’épreuve des sources avec assez de prudence : Poséidon semble n’apparaître comme souverain qu’à travers une distorsion des données provenant de sources exclusivement textuelles et mal replacées dans leur contexte.
50Karine Rivière
Alexandra Trachsel, La Troade : un paysage et son héritage littéraire. Les commentaires antiques sur la Troade, leur genèse et leur influence, Bibliotheca Helvetica Romana, 28, Bâle, Schwabe, 2007, XX + 502 pages
51Tiré de sa thèse de doctorat, l’ouvrage d’A. Trachsel (AT) rassemble une vaste documentation concernant la topographie de la Troade. La première partie traite de l’Iliade et décrit les lieux qui structurent le récit homérique : la cité d’Ilion, ses murailles, ses palais, qui s’opposent au camp des Achéens dont le rempart abrite tentes et vaisseaux ; entre eux, la plaine de Troie que délimitent le Scamandre et le Simoïs, où poussent deux arbres remarquables et où s’élèvent hauteurs naturelles ou tombeaux de héros ; de part et d’autre des deux camps, les observatoires depuis lesquels les dieux regardent la bataille. La seconde partie, découpée chronologiquement en trois chapitres (d’Hellanicos à Pausanias), est un catalogue raisonné, par auteur, des données littéraires. AT, pour chacun d’eux, évalue s’ils ont de la Troade une connaissance livresque ou fondée sur l’autopsie, mesure leur (in)fidélité à la doxa homérique et s’efforce de définir leurs « intentions », c’est-à-dire aussi bien leurs choix génériques que leur position dans les débats érudits sur Homère, ou, à partir de la fin du IIe s. av. J.-C., leur attitude par rapport à Rome et à ses origines troyennes.
52AT a le grand mérite de constituer un dossier qui présente un intérêt aussi bien pour des littéraires que pour des historiens. Elle met en lumière des débats érudits récurrents depuis l’Antiquité (le mur des Achéens, l’emplacement d’Ilion) et aborde des problèmes intéressants, même si l’on peut parfois regretter qu’elle ne soit pas plus synthétique : par exemple, le poids de l’autorité homérique dans la représentation de la Troade ; l’influence de l’évolution de la toponymie à époque historique sur la lecture d’Homère, et, inversement, l’influence d’Homère sur la toponymie ; l’évolution du rapport que les différents genres (poésie, histoire, géographie, mythographie – pour autant qu’on puisse les distinguer) établissent entre la réalité géographique et la fiction ; les utilisations politiques de la topographie troyenne (y compris avant Démétrios de Skepsis), etc.
53Le livre souffre néanmoins de certains défauts. Le traitement des sources est souvent frustrant. Certaines traductions ou interprétations discutables des textes fragilisent les raisonnements (p. 149, 178, 181, 269, 291, etc.). Le choix de l’organisation catalogique entraîne des redites, voire de la confusion, d’autant qu’à l’intérieur des chapitres, l’ordre chronologique est parfois bousculé, les auteurs se succédant alors selon des critères variables : le genre, la langue, le rapport à la matière homérique, etc. Mais l’aspect le plus déroutant du livre tient à la définition hésitante de son objet. Nombre des témoignages analysés sont des mentions isolées d’un toponyme ou d’un lieu, indépendantes de toute description, et les discussions portent bien plus souvent sur la Quellenforschung et la localisation des éléments topographiques cités que sur la représentation de l’espace ; or le mot « paysage », constamment employé et figurant dans le titre, implique un observateur des lieux et fait attendre une analyse des représentations construites de la Troade (qu’elles soient le fait de poètes ou d’historiens-géographes). AT utilise par ailleurs tout au long de son livre la distinction entre Troade « littéraire » (le décor du récit homérique) et Troade « réelle », mais la pertinence de ces catégories mériterait d’être discutée en fonction des époques et des genres. Le lecteur intéressé par « l’héritage littéraire » du « paysage » homérique ne peut que regretter, vu la richesse de la matière, l’absence d’une réflexion approfondie sur la géographie fictionnelle, sur le rôle de la focalisation dans les récits et descriptions, et sur la valeur symbolique des lieux. La partie sur l’Iliade et le commentaire d’Én. II, 27-30 (p. 291-293) montrent à cet égard qu’AT est plus sensible aux questions de topographie qu’à la manière dont les poètes transfigurent l’espace pour en faire une réalité mentale.
54Pascale Brillet-Dubois
Bernard Eck, La Mort rouge. Homicide, guerre et souillure en Grèce ancienne, Études anciennes. Série grecque, 145, Paris, Les Belles Lettres, 2012, 448 pages
55À propos d’un couple notionnel comme la souillure et l’homicide, dans un domaine culturel comme la Grèce archaïque et classique, l’analyse, transdisciplinaire, doit conjuguer philologie, anthropologie, histoire, littérature, pour former un objet d’étude complet, adéquat aux usages des Grecs, qu’on ne saurait compartimenter selon des catégories modernes. Et c’est le travail que tente, avec précision et originalité, Bernard Eck, dans la refonte de son mémoire d’habilitation à diriger des recherches, soutenu en 2008 à Paris-X Nanterre. L’étude se fait en sept chapitres, par trois ensembles : après une réflexion à la fois générale et circonstanciée sur les rapports entre souillure, meurtre et guerre, l’attention se concentre sur Homère, surtout sur l’Iliade, avant d’aborder tragédie, orateurs attiques, et corpus juridique.
56Selon les deux premiers chapitres, les plus multidisciplinaires et marqués par l’anthropologie culturelle issue de Maus par exemple (Souillure, meurtre et Érinyes, p. 15-48 ; Souillure et guerre, p. 49-87), chez les Tragiques, mais aussi chez Homère, Aristophane et Xénophon, les Érinyes et les rites de purification sacrificielle sont plus liés à la pollution qu’implique le meurtre (le ?????, à la guerre, y compris civile, ou non) qu’au sang versé.
57Les deux chapitres suivants (Du prétendu silence d’Homère, p. 89-129 ; Le guerrier tueur dans l’Iliade, p. 131-210) concernent l’absence de référence homérique explicite à la souillure issue du meurtre au combat, expliquée par l’inexistence du concept de culpabilité et le fait que la supplication n’implique pas toujours souillure et purification. Quatre passages de l’Iliade sont étudiés, comme indices du fait que le meurtre guerrier peut impliquer une souillure, et un sort particulier est fait à l’épithète d’Arès, µ????????, ainsi qu’à la notion d’?????, qui serait plus que la « honte ». On invalide ainsi la caractérisation de l’anthropologie homérique comme shame-culture, surtout pour la figure du guerrier tueur, atteint de folie, dévoreur, mutilateur, soumettant l’ennemi vaincu à la « mort rouge » (d’où le titre de l’ouvrage) et lui-même soumis, comme tous, à la « grande bouche » de la guerre.
58Les trois derniers chapitres (Homicide, souillure et démons : les limites de la croyance, p. 211-281 ; Souillure, violence extrême et droit, p. 283-321 ; Souillure et législation protégeant la démocratie, p. 323-381) concernent la législation et les représentations politiques et religieuses qui la fondent. L’homicide sans souillure est bien attesté, même si les exemples existent de liens entre violence extrême et souillure : à ce sujet, sont étudiés les Tétralogies d’Antiphon, les discours de Lysias, les lois sacrées de Sélinonte et de Cyrène, puis la législation athénienne classique et les Lois de Platon, ainsi qu’un ensemble de lois dites anti-tyranniques. Le guerrier, comme le tyrannicide, établirait la catégorie du « meurtre légitime ». Sont proposés au lecteur des textes qui ne sont pas assez souvent étudiés ailleurs en ce sens, en lien avec la tragédie par exemple, mais plusieurs observations relatives aux lois gagneraient à être encore mieux reliées aux analyses de textes épiques et tragiques.
59L’ensemble est complété par une brève conclusion (associant la souillure par le sang à une question de psychologie individuelle/familiale plus qu’à des faits juridiques), suivie d’une annexe suggestive sur « l’expression de la culpabilité dans quelques récits de guerre contemporains » (de la première guerre mondiale au génocide rwandais) et la dialectique du silence et du témoignage, avant, enfin, une bibliographie générale (p. 411-423), suivie d’un index des textes cités et d’un index général. Le propos est fondé sur une étude claire et détaillée de textes très divers, toujours dans une perspective multiple. Certes, l’argument, stratégique, selon lequel un guerrier, pour une psychologie réputée universelle, ne pourrait dire les horreurs commises à la guerre, pourrait se révéler anachronique, mais de ce fait intéressant ; et le lecteur, quelle que soit sa spécialité, gagnera vraiment à suivre ces réflexions, parfois inattendues mais toujours argumentées, donc encore à discuter.
60Michel Briand
Susanne Gödde, Euphêmia. Die gute Rede in Kult und Literatur der griechischen Antike, Bibliothek der klassischen Altertumswissenschaften. Neue Folge. 2. Reihe, 120, Heidelberg, Universitätsverlag Winter, 2012, XII + 440 pages
61L’ouvrage, une version légèrement retravaillée de l’habilitation présentée en 2006, est divisé en six chapitres.
62Dans le premier (p. 1-27), l’auteur dessine les contours de sa recherche : partant de la polysémie du terme antique euphêmia désignant tant un silence rituel que des cris cultuels, elle se propose d’analyser le lien entre ces deux acceptions en étant particulièrement attentive au sens positif du terme – la bonne parole. Les résultats, livrant de nouvelles données sur le concept qu’avaient les anciens du rituel et permettant une nouvelle interprétation des textes qui évoquent l’euphêmia, intéresseront tant les historiens des religions que les philologues. Pour cerner au plus près la signification du terme, S. Gödde analyse un choix de textes qui s’étendent d’Homère à Platon et permettent de définir les contextes discursifs ou conceptuels dans lesquels euphêmia et des mots de sa famille sont utilisés. Après avoir montré que l’acception comme « silence religieux » n’est que très marginale, S. Gödde traite de deux autres contextes d’utilisation : le souhait que grâce aux chants cultuels, le rituel ait un effet positif, et l’exhortation à exécuter à haute voix les chants et cris cultuels. À ces contextes-là s’ajoutent plus tard ceux de la rhétorique et de l’éloge. Avant de se lancer dans l’analyse des textes retenus, S. Gödde pose la question du lien entre euphêmia et magie, notamment par le biais de l’euphémisme, figure rhétorique pouvant contribuer, tout comme l’euphêmia, à la construction d’une certaine vérité.
63Le deuxième chapitre (p. 29-94), subdivisé en trois parties et consacré aux aspects sociaux et rituels de l’euphêmia, cherche à en cerner le concept. Il est fondé sur l’analyse de deux passages homériques (Il. 1, 22 et 9, 171), d’un passage hésiodique (Erga 735 sq.) et de deux passages pindariques (N. 8 et P. 10).
64Le troisième chapitre (p. 95-314) adopte le même schéma : subdivisé en sept parties, il s’intéresse à la composante manipulatrice de l’euphêmia, telle qu’elle paraît dans les textes suivants : l’Orestie d’Eschyle, les Trachiniennes, l’Électre et l’Œdipe à Colone de Sophocle, l’Ion et l’Iphigénie à Aulis d’Euripide, et la Paix d’Aristophane.
65Le quatrième chapitre (p. 315-341) est consacré à Platon. Il suit également le même schéma et s’intéresse de près au Phédon, au Phèdre et aux Nomoi pour souligner le caractère normatif que l’euphêmia revêt chez le philosophe.
66Après le cinquième chapitre (p. 343-350) qui traite de la personnification d’Euphêmia en tant qu’allégorie du sacrifice et nourrice des muses, le sixième et dernier chapitre (p. 351-383), subdivisé en deux parties, reprend les résultats obtenus et propose un prolongement à la recherche effectuée. S. Gödde y revient d’abord sur les aspects grammaticaux et lexicaux d’euphêmia et de termes de sa famille, puis sur les domaines culturels dans lesquels ces termes sont utilisés, ceux de la pureté religieuse puis politique et de la négation de la mort au travers de son embellissement.
67L’ouvrage se clôt sur l’appendice (p. 385-400), qui offre tous les passages textuels d’Homère à Platon où paraissent euphêmia et certains mots de sa famille, sur la bibliographie (p. 401-427), très fournie, et sur l’index (p. 429-439), subdivisé en un index des passages cités et un index thématique.
68Tout au long de ces pages très denses, S. Gödde fait preuve d’une excellente maîtrise de la littérature grecque, citée en grec et en traduction dans le texte principal, uniquement en grec dans les notes, et de la littérature secondaire, dont les notes livrent souvent une critique contrastée. L’auteur se distingue aussi par la prudence de ses interprétations, qui rend cet ouvrage encore plus précieux.
69Antje Kolde
Wolfgang Kullmann, Naturgesetz in der Vorstellung der Antike, besonders der Stoa. Eine Begriffsuntersuchung, Philosophie der Antike, 30, Stuttgart, Franz Steiner Verlag, 2010, 190 pages
70Wolfgang Kullmann traite en un peu moins de 150 pages de l’histoire du concept de loi de la nature (??µ?? ??????, lex naturae ou lex naturalis) dans les différents courants de pensée de l’Antiquité. L’auteur est familier avec ce thème, qu’il a traité notamment chez Aristote et dans le stoïcisme (en particulier Sénèque). L’ouvrage regroupe, dans l’ordre chronologique, qui est aussi l’ordre d’exposition : l’époque archaïque, certains présocratiques et les tragiques de l’époque classique, Platon et Aristote, les orateurs du IVe siècle et Théophraste, le stoïcisme ancien, Denys d’Halicarnasse, Lucrèce et Manilius, Philon d’Alexandrie, Sénèque, l’apôtre Paul, la littérature grecque de l’époque impériale – comprenant des philosophes (Épictète, Marc Aurèle, Porphyre et Plotin), des médecins (Galien), ou encore des rhéteurs (Dion Chrysostome, Libanios) –, les pères de l’Église grecs et latins. La conclusion comprend un résumé de l’enquête historique, qui met en évidence les grandes lignes de l’évolution du concept de loi de la nature, ainsi que quelques réflexions sur son devenir au moyen âge et à l’époque moderne.
71W. Kullmann distingue trois aspects constitutifs du concept antique de loi de la nature :
- Aspect éthique : une loi est une règle morale. Elle est valable universellement et régule les rapports sociaux.
- Aspect métaphysique : dans la nature, il y a aussi des états de choses valables universellement. Les événements naturels sont régulés selon ces « lois ».
- Aspect téléologique : les règles régissant la nature sont établies par une puissance divine, comparable à un législateur, qui cherche à accomplir une certaine fin.
72L’auteur montre tout d’abord comment ces trois aspects apparaissent dans la pensée grecque et sont associés dans le concept de loi de la nature sous sa forme la plus complète. L’aspect (1) est traditionnel. Le terme ??µ?? désigne tout d’abord dans la Grèce archaïque une coutume, un usage conventionnel tacite, avant de prendre le sens de loi écrite. L’aspect (2) est élaboré par les penseurs présocratiques, en particulier Héraclite, qui applique le concept de ??µ?? éthique au cosmos entier. En effet, Héraclite conçoit l’univers, le tout, comme déterminé par un ?????, qu’il rapproche d’une loi. Mais ce n’est qu’avec le stoïcisme que l’aspect (3) apparaît dans la métaphore. L’expression ??µ?? ?????? est identifiée au ????? divin et régit tant les relations sociales entre les hommes que les régularités naturelles. Le concept de loi de la nature acquiert ainsi une dimension téléologique.
73Le concept de loi de la nature élaboré dans l’ancien stoïcisme est alors reçu chez Philon d’Alexandrie. Philon adapte la pensée stoïcienne en développant une interprétation du Pentateuque d’après l’appareil conceptuel stoïcien. En particulier, il pose l’identité entre la nature et la loi de Moïse et entre le législateur cosmique et Dieu. Le concept sera également reçu par l’apôtre Paul dans le monde juif et par Sénèque dans le monde romain. Par l’intermédiaire de ces trois auteurs, le concept stoïcien de loi de la nature sera transmis au christianisme grec, puis au christianisme latin. Un moment clé de la réception chrétienne consiste dans les développements du concept de loi de la nature par Basile de Césarée. W. Kullmann met en évidence chez ce père de l’Église un regain d’intérêt pour l’explication empirique. Basile chercherait plus que ses prédécesseurs à rendre compte de régularités naturelles avec l’aide du concept chrétien de loi de la nature. Enfin, la tradition stoïcienne latine transmise par Cicéron et présente chez Sénèque est finalement réintégrée à la doctrine chrétienne par les pères de l’Église latins (en particulier Augustin).
74W. Kullmann insiste beaucoup sur le moment historique de création du concept complet de loi de la nature dans le stoïcisme ancien. Il oppose ainsi la pensée stoïcienne aux pensées classiques de Platon et d’Aristote. Cette opposition nous semble parfois trop radicale et l’on souhaiterait que l’auteur mette également en évidence la continuité entre ces trois écoles de pensées. En particulier, le chapitre sur Platon semble trop hâtif. Platon refuserait catégoriquement une explication scientifique de la nature. W. Kullmann ne s’attarde guère sur les explications naturelles du Timée, qu’il considère comme tenant uniquement de la métaphore, et sur la législation dans les Lois, qu’il renvoie à un concept « populaire » de loi de la nature. De même, il nous semble que l’auteur insiste trop unilatéralement sur la modernité d’Aristote et sur son empirisme, par ailleurs discutable, afin de souligner la rupture d’avec le stoïcisme. Aristote n’userait pas du concept de loi de la nature, car pour le Stagirite ce genre d’explication est trop anthropomorphe. En effet, le concept antique présupposerait toujours la conscience d’un législateur cosmique, absent de la métaphysique aristotélicienne. Au contraire, les stoïciens se seraient détournés de l’observation scientifique au profit de la pure spéculation, à cause des prétentions quasi-religieuses de l’école. Cette interprétation fait peu de cas du premier moteur d’Aristote, d’une part, et du matérialisme stoïcien, d’autre part.
75Plus généralement, on regrettera le manque d’unité de l’ouvrage. L’auteur semble poursuivre au moins deux projets différents et ne cherche pas à suivre une ligne argumentative claire. D’un côté, il y a la recherche sur l’évolution du concept de loi de la nature. Il s’agit d’une investigation pas à pas à travers les différents courants de pensée de l’époque archaïque, classique et hellénistique d’où se dégagent différents usages de l’expression ??µ?? ??????, qui ne sont pas forcément compatibles entre eux. D’autre part, il y a l’étude sur les sources du concept chrétien de loi de la nature. Une thèse historique générale est posée à partir du chapitre sur Philon sur la transmission du concept stoïcien vers le monde judéo-chrétien. On aurait souhaité que cette vue d’ensemble soit introduite plus tôt, en particulier dans l’introduction.
76Malgré tout, il s’agit d’un ouvrage de synthèse riche, citant de nombreuses sources et réunissant une documentation impressionnante. Il s’avérera certainement très utile à qui souhaite se dédier à ce thème de manière générale, ou concernant un auteur ou un courant de pensée en particulier.
77Michael Hertig
Jean Trinquier et Christophe Vendries (dir.), Chasses Antiques. Pratiques et représentations dans le monde gréco-romain (IIIe siècle av.-IVe siècle apr. J.-C.), Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 276 pages
78The role of hunting in classical antiquity, as compared to its role in other eras and cultures, has been somewhat neglected by historians in the past. As the editors of the volume under review state in their introduction (p. 13-19), the status of hunting in ancient Rome, until recently, has been an area of particular neglect. Perhaps one of the reasons is that while success in the hunt was one of the most important indicators of elite status in a culture like that of medieval Europe, its symbolic importance in Rome was not always so clearly defined. In recent years, however, the topic of hunting in classical antiquity has seen renewed interest on the part of ancient historians. The work under review, arising from a colloquium held at the University of Rennes in 2007, provides a worthwhile contribution to the growing scholarship on the hunt in Greece and Rome.
79The thirteen papers in the volume, covering a broad range of topics, are arranged in three thematic sections : “La chasse et le pouvoir”, “De l’animal au gibier”, and “Chasse et culture : textes et images”. The general focus of the papers included in the first section is the perceived status of hunting within the Roman elite, including its role in imperial propaganda. As Le Roux points out in his paper (p. 23-36), the hunting exploits of emperors like Hadrian were not part of traditional imperial propaganda, and fit more within the ethos of aristocratic leisure activities on the part of the Roman elite : nonetheless, in the absence of military victories, the alleged hunting prowess of an emperor could provide an alternate means of demonstrating his uirtus.
80Badel provides a detailed discussion of Roman attitudes towards hunting in the next paper, “La noblesse romaine et la chasse” (p. 37-52). One of the most important points made by Badel is that hunting in Rome, to judge from the available ancient sources, was never associated with the aristocracy or any other social group as a whole ; rather, it was often described as an activity carried out by younger members of the elite, particularly in a rural context. In such cases, hunting was commonly viewed as useful preparation for uirtus on the battlefield, but not emblematic of uirtus in and of itself. In the later Empire, as many members of the aristocracy abandoned their political careers for a life of leisure on their rural estates, hunting correspondingly appears to have become a more esteemed activity among the Roman elite.
81One of the possible visual manifestations of this change, the proliferation of hunting scenes on Roman sarcophagi from the mid-second century onwards, is discussed by Baratte in his contribution to the volume (p. 53-64). In many cases, the hunts depicted on such sarcophagi were apparently intended to advertise the social pretensions of the deceased, regardless of what his or her actual social standing had been while alive. Interestingly, such iconography appears to have survived the conversion of the Empire from paganism to Christianity relatively unscathed : while hunting sarcophagi of the earlier period could, inter alia, symbolize the uirtus of the deceased, in a Christian context, the same scenes could be taken as an allegory of his or her victory over the forces of nature and death. The popularity of hunting on a much more local level is discussed in Hanoune’s paper on hunting scenes found at the site of Bulla Regia in Tunisia (p. 65-74). As in the case of many other north African sites, the artwork from Bulla Regia not only attests to the local popularity of hunts in the wild, but also the uenationes of the arena.
82The papers in the second section of Chasses Antiques turn from a consideration of the broader position of hunting within the Roman aristocracy to more particular, and overlooked topics pertaining to the hunt in classical antiquity. Chandezon, for example, analyzes the varying ways in which the Greeks made use of wild game taken in the hunt, in particular how much of the diet of the Greek elite derived from this source (p. 75-96). In the next paper, Trinquier provides a detailed discussion of servile hunting in ancient Rome (p. 97-118). Apart from distinguishing between the different types of slave hunters, such as those who hunted informally on their masters’ estates to keep down the pest population, as opposed to those (the so-called serui urbani) who were assigned the specific task of assisting their masters on the hunt. Trinquier also provides a useful discussion of the legal status of the game captured or killed on a given estate (e.g. was it considered part of the latter’s overall fructus ?). Another topic commonly overlooked in both ancient and modern discussions of hunting, namely bird-catching, is address in Vendries’ paper (p. 119-40). As Vendries notes, despite its comparative neglect in ancient written sources, bird-catching was nonetheless a common activity in antiquity, and the alleged cunning and dexterity of bird-catchers became proverbial. The most specific paper in the second section of Chasses Antiques, in terms of its focus, is that of Lepetz, who analyzes the archaeozoological evidence for hunting in northern Gaul during the Roman period. Lepetz’s paper, inter alia, is a good example of how such evidence has increasingly been employed by scholars in recent years to help fill gaps in our knowledge of a variety of ancient activities, including hunting. The evident growth of popularity in deer hunting during the later Empire, as indicated by the relevant faunal remains from northern Gaul, does seem, as Lepetz suggests, to provide a precedent for its even greater popularity during the subsequent medieval period.
83The papers found in the final section of Chasses Antiques are concerned with specific literary works or specific motifs pertaining to the hunt in ancient art. Barbara discusses in detail the depiction of various dog breeds mentioned in the fragmentary Epyllium Diomedis, and compares this to the sometimes contradictory information on the breeds in question found in other Greek and Roman sources (p. 163-176). Prioux analyzes the hunting motif found in a number of poems in the Anthologia Graeca and, inter alia, relates the pastoral imagery often found in these epigrams to the evolution of landscape painting during the reign of Augustus (p. 177-194), while Simon discusses in detail the references to hunting found in the works of Virgil, as well as relevant passages from the later commentary of Servius (p. 195-202). The topic of Roman hunting rituals, and the ostensible link between pietas and hunting suggested by such sources as late imperial hunting mosaics, is addressed by Estienne (p. 203-14). In the final paper of the volume, Dasen discusses the symbolic meaning of the common motif in Roman art of pygmies battling cranes, most notably its apotropaic function (p. 215-36).
84It is not possible, of course, in a review of this length, to discuss all of the aforementioned papers in detail. Nonetheless, some general comments about the merits of the volume under review can certainly be made. First of all, the editors and contributors are to be congratulated for producing a work with such an eclectic range of topics, from the general status of hunting within the Roman aristocracy to the evidence for ancient dog breeds provided by a single, relatively obscure source like the Epyllium Diomedis. Papers on aspects of hunting in antiquity largely neglected by previous scholars, such as Trinquier’s detailed discussion of the different types of servile hunting in the Roman world, are particularly welcome. Even those contributions dealing with better-known aspects of hunting in ancient society, like the perceived role of hunting in imperial propaganda, add to our understanding of the topic in question, rather than merely summarizing previous scholarly arguments : Le Roux, for example, shows in his paper that the Roman aristocracy had a somewhat more nuanced attitude towards hunting than commonly assumed by scholars in the past, and that, therefore, a “hunting emperor” like Hadrian was not quite the anomaly he might at first appear to be. In short, Chasses Antiques is a welcome addition to the growing body of scholarship on hunting in antiquity, both for the information on a wide variety of topics it contains, as well as the avenues for future research suggested within its pages.
85Chris Epplett
Pline le Jeune, Lettres. Tome III : livres VII-IX, texte établi et commenté par Hubert Zehnacker, traduit par Nicole Méthy (nouvelle édition), Collection des Universités de France. Série latine, 404, Paris, Les Belles Lettres, 2012, IX + 212 pages dont 110 doubles
86Le troisième volume de la nouvelle édition de Pline est venu compléter la série commencée en 2009 et menée à bien dans un laps de temps très raisonnable, au vu de la somme de travail fournie par les deux auteurs du volume. L’ensemble du volume présente très peu d’imperfections de forme, et on peut saluer aussi l’exercice de relecture et de révision.
87Les qualités des volumes précédents se retrouvent ici, avec un texte clairement établi ; quand l’apparat critique ne suffit pas, le commentaire final vient développer la question, comme pour VIII, 18. Le texte est traduit d’une manière à la fois simple et élégante, qui correspond bien au style de Pline. Rares sont les lourdeurs ou maladresses, même si on peut contester la phrase « les cours d’eau qu’en temps ordinaire il reçoit et entraîne avec ses propres eaux, il semble aller à leur rencontre », en VIII, 17,2. L’unité de ton est patente entre les trois volumes de l’édition, et la voix de Pline semble résonner ainsi. La fidélité à cette voix continue à être frappante quand on regarde le jeu sur les pronoms de première personne, singulier ou pluriel, respecté scrupuleusement et qui permet bien de voir la position de l’épistolier, tantôt parlant pour lui-même, tantôt porte-parole d’un groupe plus large et de composition variable.
88Le commentaire, placé en fin de livre, lettre par lettre, joue pleinement son rôle pour mettre en relation certaines lettres entre elles, expliciter le contexte historique ou juridique (par exemple sur la pratique de la manumissio pour VII, 16). Parfois, le commentaire (et cela semble plus nouveau au regard des deux premiers volumes) se teinte de réflexions plus personnelles sur la valeur littéraire des vers de Pline (comme le sourire qu’on devine p. 115 « la seule excuse des hexamètres qui suivent semble être qu’ils ont été rédigés post longam desuetudinem perquam exiguo temporis momento »), ou pour des interprétations, comme p. 121 ou p. 153. Les parallèles littéraires sont également signalés, et donnent des pistes intéressantes. Certes, le commentaire n’est pas exhaustif, mais comment pourrait-il l’être… On pourrait ajouter ça et là des échos horatiens, comme en VIII,9, dans la lettre à Fuscus (comme par hasard… voir Horace, Epist., 1, 10, à Aristius Fuscus) ou à d’autres.
89Quant aux index, qui marquent la fin de ces trois volumes parus depuis 2009, le premier contient les noms de personnes apparaissant dans l’ensemble de la Correspondance, avec, quand c’est possible, un renvoi à la PIR. Ce choix est raisonnable, mais pose deux problèmes : quand un personnage, comme (Iulius) Sabinus, a fait l’objet de commentaires bibliographiques, il faut aller au commentaire de la lettre IX, 2 pour les retrouver alors qu’on pourrait être tenté de se limiter à la PIR ; là se notent aussi les limites du choix stratégique de ne donner qu’une brève bibliographie au début du volume un, en renvoyant à l’ouvrage de synthèse de N. Méthy pour une bibliographie plus large. Autre problème découlant de ce choix : pour les personnages qui ne sont pas encore concernés par les nouvelles fiches de la PIR2, le renvoi à la PIR1 est bien insuffisant et pouvait même être omis. Un deuxième index, sur les noms géographiques, mythologiques et religieux fait suite au premier.
90Ainsi cette édition se conforme parfaitement aux devoirs imposés à un tel exercice : fournir les outils de lecture et de commentaire nécessaires à tout amateur de Pline, donner envie de continuer à lire ces lettres, faire résonner la voix, érudite et simple, de ce vivant observateur de son temps.
91Isabelle Cogitore
Priapées, texte établi, traduit et commenté par Louis Callebat, étude métrique par Jean Soubiran, Collection des Universités de France. Série latine, 402, Paris, Les Belles Lettres, 2012, XCI + 313 pages dont 40 doubles, 3 illustrations
92Il volume si apre con una dettagliata introduzione, che analizza aspetti letterari, metrici, ecdotici e filologici dei Priapea. Questa è ripartita in uno studio più generale dedicato agli aspetti cultuali in ambito greco-romano (p. X-XV), e poi più specificatamente letterari (pp. XV-XXI), con efficaci raffronti con l’Antologia greca, fonte certa d’ispirazione per la raccolta, e con la pluralità di scene priapiche o omaggi al dio ampiamente presenti in poesia latina (epigrammatica e non). L. Callebat può così soffermarsi poi sull’esaltazione dei caratteri peculiari dei Priapea propriamente detti (p. XXI-LXVIII) e sulla loro stringente coerenza interna sotto il profilo tematico, linguistico e strutturale, confermata anche dall’utile appendice metrica curata da J. Soubiran (p. LVIII-LXIV). Questi aspetti approfondiscono e confermano l’ipotesi, precedentemente formulata da M. Citroni (« Les proèmes des Priapées et le problème de la datation du recueil » in F. Biville, É. Plantade et D. Vallat (dir.), « Les vers du plus nul des poètes… », Nouvelles recherches sur les Priapées, CMOM 38, Lyon, 2008, p. 35-51), dell’esistenza di un autore unitario, di epoca successiva a Marziale, poeta, quest’ultimo, cui i Priapea molto devono in termini di allusività intertestuale, ma che può con sicurezza escludersi, fra gli altri proposti dalla tradizione prima e dalla critica poi, come autore della raccolta. L’analisi della coerenza interna del corpus è uno dei pregi maggiori del lucido studio di Callebat e trova, di volta in volta, puntuale e approfondita discussione in sede di commento. Così avviene per la uexata quaestio sull’epigramma proemiale 49, che per la sua posizione a metà della raccolta è stato spesso ritenuto spia della natura miscellanea dei Priapea, idea fermamente e persuasivamente respinta da Callebat.
93Giunge benvenuta la nuova edizione critica dei carmi (p. 1-40). Dal lucido status quaestionis (p. LXV-XCI) emerge l’oggettiva difficoltà a muoversi in una tradizione testuale tardiva (il testimone più antico è un autografo del Boccaccio posteriore al 1340), resa insidiosa dalla proliferazione di copie manoscritte durante il XV secolo, spesso intrecciate alle prime stampe (1469 e 1471). Un’operazione che potrebbe ancora essere tentata è uno studio più approfondito delle stampe, specialmente alla luce dei rapporti di probabile filiazione di taluni testimoni (v e z) dagli incunaboli (cfr. p. LXXI). Il lavoro filologico di Callebat dimostra, infatti, come la ripresa dell’analisi di un numero consistente di testimoni (ben 14 sugli 80 totali, quasi il triplo dei 5 normalmente utilizzati per l’allestimento delle edizioni critiche dopo F. Vollmer) possa ancora produrre numerosi interventi migliorativi sul testo. Nell’impossibilità di ricostruire uno stemma codicum che vada al di là di una sommaria ripartizione fra due grandi famiglie ANGVL et PFHzTXOWv, l’editore ha applicato il criterio dell’esame della variante singola e privilegiato, laddove possibile, il consensus codicum. Viene proposto un apparato che non indulge a oziose congetture ope ingenii e non ripropone interventi congetturali superati, ma approfondisce in sede di commento la discussione delle scelte. Il corpus degli 80 Priapea, accompagnato da una traduzione che preserva la vivacità del testo, è arricchito da un’appendice di altri 6 epigrammi, già presenti nell’edizione F. Bücheler-G. Heraeus. Questi testi consentono di prendere atto delle divergenze, soprattutto metriche, che li staccano nettamente dal corpo dei Priapea, e non sono forniti di edizione critica né di commento. La bibliografia ragionata (p. 41-57) è preziosa per il lettore per muoversi in un testo che sta conoscendo una nuova fortuna critica. Piuttosto recente, infatti, era il commento di C. Goldberg (Carmina Priapea, Heidelberg, 1992), ma Callebat, approfondendo la linea interpretativa emersa dalla giornata di studi lionense (« Les vers du plus nul des poètes… », cit., soprattutto si veda il contributo di D. Vallat), mette a fuoco la dinamica del contesto liber in cui l’epigramma si colloca. Attenzione peculiare è dunque dedicata alla problematica dei « cicli » e al loro valore euristico per l’interpretazione del componimento singolo. Ben fruibile per l’agevole strutturazione line by line, il commento è decisamente completo, accurato e aggiornato. Altrettanto pregevole è l’attenzione agli aspetti linguistici e storico-letterari, nonché ai continui giochi lessicali che disegnano una trama coerente all’interno del libro. Il volume è corredato dall’indice delle parole e dei nomi latini citati (p. 309-313).
94Sara Sparagna
Q. Terentii Scauri De orthographia, introduzione, testo critico, traduzione e commento a cura di Federico Biddau, Bibliotheca Weidmanniana, Collectanea grammatica Latina, 5, Hildesheim, Olms, 2008, CXIV + 244 pages
95En 2008, Federico Biddau a donné une nouvelle édition du De orthographia de Quintus Terentius Scaurus, volume 5 des Collectanea grammatica Latina. Conformément aux usages de la collection, l’ouvrage comprend une bibliographie (p. vii-xxvi), une présentation du texte, de sa tradition manuscrite et des principes suivis dans l’édition (p. xxvii-cxiv), une édition critique accompagnée d’une traduction italienne (p. 1-53), un commentaire linéaire (p. 55-225) et des index (p. 227-241).
96L’introduction commence par une présentation de l’auteur du traité, qui est peut-être le destinataire d’une lettre de Pline le Jeune et très probablement le Scaurus mentionné par Aulu-Gelle comme un grammairien de l’époque d’Hadrien. Cela fait du De orthographia le plus ancien traité latin d’orthographe encore conservé. Suit la présentation de l’ouvrage, avec en premier lieu le plan. Il permet au lecteur de saisir d’emblée le projet de Scaurus, qui a ouvert son traité par un exposé théorique sur les causes des fautes d’orthographe, les instruments de leur correction et les principes de combinaison entre les lettres ; la seconde partie du traité, en revanche, traite une série de questions délicates récurrentes dans l’orthographe romaine, organisée en fonction des quatre causes d’erreurs exposées plus haut. Ce plan est une innovation bienvenue de F. Biddau et fonde la division en paragraphes utilisée dans l’édition et le commentaire. Après une rapide défense de l’authenticité de l’ouvrage, vient une étude des sources, fouillée (12 pages) et aussi prudente que l’exige la perte des traités antérieurs de même ordre. La plus grande partie de l’introduction est consacrée à la présentation de la tradition manuscrite et imprimée du traité.
97De la présentation très claire de l’éditeur, il ressort que le De orthographia est l’un de ces ouvrages grammaticaux antiques qui nous sont conservés par des témoins de deux époques, carolingienne et humaniste. À l’époque carolingienne, le traité a connu deux fortunes. La mieux représentée (6 manuscrits du IXe siècle) ne conserve qu’un extrait du début, l’exposé des causes des fautes d’orthographe et des règles de leur correction. Il a également circulé, à la même époque, des copies presque complètes (l’ouvrage est acéphale), dont une seule nous est conservée. L’éditeur démontre toutefois de façon convaincante que l’ensemble des manuscrits et éditions d’époque humaniste appartient à la même tradition carolingienne que cet unique témoin ancien. Le classement des témoins et les deux stemmas présentés (l’un pour le texte complet, l’autre pour l’extrait) constituent une nouveauté par rapport à l’édition précédente (par Keil dans les Grammatici Latini, vol. VII).
98Le texte du De orthographia a subi au cours de sa transmission de nombreuses déformations : l’introduction comportant la définition de l’orthographe est perdue ; omissions et contresens constellent le texte transmis ; les citations en latin archaïque n’ont pas été comprises par les copistes. Il faut donc souligner le mérite de l’édition présentée par F. Biddau, qui offre un texte cohérent et compréhensible, laissant très peu de cruces desperationis. L’éditeur a découvert dans les marges d’exemplaires des premières éditions de Scaurus deux séries d’annotations d’humanistes restées jusqu’à nos jours inédites, dont il fait bon usage. D’une façon générale, il rend scrupuleusement justice à ses prédécesseurs, dont il signale et discute les conjectures même lorsqu’il ne les retient pas, et inscrit ses propres émendations dans la continuité d’un effort collectif dont il maîtrise parfaitement la longue histoire.
99S’il est permis ici d’apporter une contribution supplémentaire à cette tradition, je proposerais volontiers de résoudre la crux du § IV, 5 (p. 13, l. 8-9) en lisant distinguendorum sonorum utriusque litterae causa dicere antiqui praeposita ‘e’ l<itter>a ‘m’ ‘n’ maluerunt (« pour énoncer isolément le son de ces deux lettres, les anciens ont préféré prononcer /m/ et /n/ précédées de [e] ») ; il faudrait alors comprendre que Scaurus ajoute à son argumentaire un point commun entre /m/ et /n/ : les deux lettres font partie de la série, bien repérée par les Anciens, dont le nom commence par [e] dans la récitation de l’alphabet ([em], [en]). Dans une écriture capitale, l’abréviation usuelle de littera, lra, suivie d’un m, a pu être réinterprétée comme l quam. De façon plus hypothétique, je me demande si le mystérieux camelo aereo du § IV, 9, .5 (p. 17, l. 12-13) ne recouvre pas une forme grecque comme ??µ??????? (« du mois de gamèliôn ») écrite avec un gamma rond initial (CAM-) : dans un paragraphe consacré à la parenté graphique du <C> latin et du <?> grec, Scaurus invoque le témoignage d’un foedus Graece… incisum dont il a très bien pu recopier la date, indiquée d’ordinaire à la première ligne. Ces deux conjectures ne font que poursuivre jusqu’à leurs ultimes conséquences les pistes ouvertes par F. Biddau dans ses commentaires aux passages concernés.
100L’interprétation du traité est donnée par la traduction, « prima ed immediata esegesi » (p. i), et par le commentaire qui suit, toujours clairs et pertinents. Le commentaire complète utilement l’apparat critique par des discussions précises sur les choix de texte et remplace avantageusement l’apparat des loci similes. Il permet en effet de distinguer nettement, parmi les parallèles, ceux qui sont avancés à l’appui d’une source de Scaurus, le plus souvent Varron, Verrius Flaccus ou Palémon ; ceux qui reflètent l’influence de Scaurus, considérable sur Velius Longus et sensible jusque dans les grammaires tardo-antiques ; et ceux qui manifestent la diffusion large d’une théorie. Le jugement sur l’interprétation des doctrines de Scaurus sera plus mitigé. Si les remarques de F. Biddau sont généralement intéressantes et judicieuses, elles perdent beaucoup à négliger l’abondante bibliographie des dernières décennies en histoire des idées linguistiques. Il s’agit de la principale faiblesse de cette édition, qui reste par ailleurs un instrument de travail très utile et doit désormais remplacer l’édition incluse dans le recueil des Grammatici Latini.
101La brièveté du texte a autorisé l’éditeur à élaborer trois séries d’index : notions discutées (en italien) ; formes traitées (avec une distinction entre formes étudiées, condamnées et glosées) et vocabulaire technique latin ; noms propres et citations. Le commentaire, en revanche, n’est pas pris en compte dans l’index.
102Cécile Conduché
L’Orbis terrae di Avieno, texte édité et commenté par Amedeo Alessandro Raschieri, Multa paucis, 8, Acireale – Rome, Bonanno Editore, 2010, 222 pages
103A. Raschieri présente dans la collection Multa paucis des éditions Bonanno une édition critique avec commentaire de l’Orbis terrae d’Avienus. L’introduction insiste sur l’absence d’informations relatives à la vie de l’auteur en dehors des quelques mentions allusives de voyages qu’il a effectués et des traces épigraphiques le concernant, sur la difficulté à dater cette œuvre (aucune hypothèse n’est proposée) et sur les conditions de la production poétique, notamment parce qu’il s’agit d’une poésie de circonstance. Concernant ce dernier point la documentation apportée à l’ouvrage ne permet pas suffisamment de concrétiser le contexte de production, alors qu’il est un élément essentiel d’appréhension de la poésie du IVe siècle. Sont également évoquées l’orientation religieuse de l’Orbis terrae qui relève d’un syncrétisme plutôt culturel que strictement religieux, et la place particulière qu’occupe ce poème dans l’ensemble de l’œuvre d’Avienus. En effet, outre qu’il est écrit en trimètres iambiques et non en hexamètres, ce poème est brutalement inachevé – il aurait d’ailleurs été intéressant de formuler des hypothèses sur les raisons de cet inachèvement.
104Dans un deuxième temps, A. Raschieri analyse avec minutie les sources d’Avienus, ses modèles grecs et la liberté qu’il s’octroie par rapport à ses prédécesseurs. Il consacre ensuite une partie substantielle à l’examen des raisons de la redécouverte de ce poète à la Renaissance démontrant que jusqu’à la fin du Moyen Âge, les lecteurs ont préféré pour les Aratea par exemple les lectures de Cicéron ou de Germanicus, ou de Priscien, plus fidèle au modèle grec. Suit une présentation claire et détaillée de la tradition manuscrite, à vrai dire peu complexe, ainsi que des acteurs de sa redécouverte et de la genèse de l’édition princeps.
105Le commentaire propose de fréquents renvois à l’édition immédiatement antérieure de P. Van de Woestijne, 1956. On peut regretter que l’auteur ait choisi une approche trop strictement philologique ou étiologique et n’ait pas mieux mis en lumière la spécificité de la poésie d’Avienus. En effet les deux pages consacrées au « uertere » du poète dans la présentation générale ne permettent pas de saisir l’originalité de sa poétique.
106La bibliographie est complète et récente. Une conclusion à valeur de synthèse aurait sans doute été la bienvenue. Il reste qu’il s’agit là d’un ouvrage documenté, érudit, dont l’utilité ne fait aucun doute.
107Florence Garambois-Vasquez
Martianus Capella, Les noces de Philologie et de Mercure. Livre IX : l’harmonie, texte établi et traduit par Jean-Baptiste Guillaumin, Collection des Universités de France. Série latine, 401, Paris, Les Belles Lettres, 2011, CXXVIII + 308 pages dont 77 doubles
108Jean-Baptiste Guillaumin a déjà publié plusieurs articles majeurs sur l’histoire et les sources néoplatoniciennes du texte des Noces de Philologie et de Mercure de Martianus Capella. Mentionnons tout particulièrement « Néoplatonisme et encyclopédisme dans l’œuvre de Martianus Capella », REL, 86, 2008, p. 167-190 ; mais aussi « Lire et relire Martianus Capella du Ve au IXe siècle », dans M. Goullet (dir.), Parva pro magnis munera : études de littérature tardo-antique et médiévale offertes à François Dolbeau par ses élèves, Turnhout, Brepols, Instrumenta Patristica et Mediaevalia 51, 2009, p. 271-303. L’édition critique avec introduction, traduction et annotation qu’il a publiée en 2011 aux Belles Lettres reprend l’essentiel de sa thèse de doctorat : « Aethera cantibus numerisque laetificans » : la musique dans l’œuvre de Martianus Capella. Édition, traduction et commentaire du livre IX des Noces de Philologie et de Mercure, 2 tomes, thèse soutenue le 21 nov. 2008 sous la direction de P. Fleury, Université de Caen Basse-Normandie. Dans le dernier livre des Noces de Philologie et de Mercure, consacré à l’harmonie, Martianus Capella met en scène l’entrée d’Harmonie (IX, 888-929), puis présente les lignes directrices de la théorie musicale (IX, 930-937), avant d’étudier précisément l’harmonique (IX, 938-966) et enfin la rythmique (IX, 967-995). La métrique, quant à elle, a été étudiée par Martianus Capella dans un autre traité, découvert par M. De Nonno en 1990. Enfin, les deux derniers paragraphes du livre IX font écho aux deux premiers du livre I en livrant des indices autobiographiques sous forme d’énigmes.
109J.-B. Guillaumin, prolongeant les travaux pionniers de L. Cristante, A. Dick, I. Hadot, J. Préaux, D. Shanzer et J. Willis notamment, édite le texte du livre IX à partir des sept manuscrits fondamentaux datant du IXe siècle : Harleianus 2685 (= A), Bambergensis Class. 39 (= B), Parisinus lat. 8670 (= D), Vaticanus Reg. lat. 1987 (= H), Carolsruhensis LXXIII (= R), Vaticanus Reg. lat. 1535 (= T) et Parisinus lat. 13026 (= W). Il procède à un apparat positif, très précis, reposant sur ces sept manuscrits tout en incorporant quelques leçons déterminantes relevées dans neuf autres manuscrits du IXe siècle. Même si l’apparat est parfois plus long que le texte latin édité sur la même page, l’ajout de quelques leçons postérieures à celles des sept manuscrits mentionnés est essentiel : il éclaire le sens du texte et fait nettement apparaître les traditions manuscrites. Tous les manuscrits autres que les sept mentionnés sont le résultat d’interpolations, provenant de contaminations horizontales et verticales, notamment à partir des commentaires. Nous pouvons cependant regretter que l’étude, très riche, de l’histoire du texte dans l’introduction de la thèse n’ait pas été conservée par Les Belles Lettres.
110Les conjectures, nombreuses, renouvellent le texte. Le choix, par exemple, d’écrire gemina emensae diei portione (IX, 897) au lieu de geminae mense diei portione suppose une faute de lecture due à la scriptio continua. La conjecture datio, au lieu de dato ou data (IX, 898), correspond également à l’habitude de Martianus Capella d’introduire des expressions juridiques (ici la datio dotis). On est aussi convaincu par le choix de revenir à la leçon pubedae (IX, 908) des manuscrits au lieu de la précédente conjecture bupaedae. Quant à la conjecture laxa (IX, 914), elle correspond mieux à fescennina que luxa ou iuncta. La liste des conjectures, très longue, prouve l’originalité et la richesse de cette nouvelle édition.
111La traduction, fidèle et élégante, permet d’apprécier la richesse du dernier livre du De nuptiis. Plus de 200 pages de notes éclairent ce traité particulièrement technique. Elles font écho à une introduction de 122 pages, qui situe précisément l’œuvre dans le cadre de l’histoire de la musique antique. J.-B. Guillaumin montre notamment comment le livre IX se situe dans la tradition du débat opposant le « nombre » (tradition pythagoricienne) à la « sensation » (tradition remontant à Aristoxène) et jusqu’à quel point Martianus Capella est l’héritier des théories d’Aristide Quintilien. Les pages XXV à XXIX de l’introduction, complétées par les pages 145 à 152 des notes, éclairent la difficile question des intervalles et de la division du ton. J.-B. Guillaumin souligne combien Martianus Capella, en plaçant ce traité musical à la fin de son encyclopédie, se situe dans la tradition néoplatonicienne, puisque Harmonie assure l’unité et la cohérence du monde. Les chants d’Hyménée et d’Harmonie accompagnent ainsi l’élévation de l’âme par la connaissance. Déterminantes sont les notes, très riches, explicitant les allusions aux Oracles Chaldaïques et au néoplatonisme (notamment p. 110-111, 116-118 et 126-130). Cette très belle édition du livre IX contribue pleinement à une meilleure connaissance des traditions musicales, poétiques et philosophiques de la latinité tardive.
112Jean-Frédéric Chevalier
Carmelo Salemme, Lucrezio e la formazione del mondo. De rerum natura 5, 416-508, Studi latini, 73, Naples, Loffredo editore, 2010, 116 pages
113Salemmes (S.) Lukrez-Studie vereint nebst dem lateinischen Text von Lucr. 5, 416-508 drei Textsorten, die sich auf je verschiedene Weise mit der Passage auseinandersetzen : Übersetzung, Kommentar und Monographie.
114Mit Lucr. 5, 416-508 konzentriert sich die Studie auf den Abschnitt, der die Bildung des Kosmos (Aether, Sterne, Sonne, Mond, Erde mit Meeren) aus dem Chaos der umherschwirrenden Urkörperchen erklärt und den schon Bailey 1947 in seinem Kommentar als Abschnitt herausgegriffen und unter dem Titel The formation of the world besprochen hat. S. folgt ihm damit in der Einordnung des Gegenstandes, nicht aber in der Textgrundlage. Er macht zwar keine Angaben zu seinem Text – der Apparat ist sehr schlank gehalten –, folgt aber der archaisierenden Linie (uolgata 427, rutundis 455, maxuma 481 u.a.).
115Die von S. vorgelegte Übersetzung vermag durchwegs zu überzeugen, ist präzis und wird in ihrer poetischen Konkretheit dem Original gänzlich gerecht.
116Der Kommentar erfüllt in Genauigkeit und Sorgfalt die Erwartungen an die Textsorte. So werden zur Frage der Echtheit von 419-431 die pro-/contra-Argumente chronologisch präsentiert und mit ihrer Bewertung durch S. abgeschlossen (für Lucr. sei keine versatzstückartige Wiederholung zu erwarten). Die Beurteilung des Einflusses der Kosmogonie bei Empedokles auf die Darstellung des Lukrez zeugt von einer vorsichtigen, wenn nicht konservativen Haltung zur philosophischen Einordnung von Lucr. Inhaltlich ist Lukrez, so S., allein Epikur verpflichtet (20 : « integralmente »). Einflüsse anderer Autoren gehen nicht über stilistische Anlehnungen hinaus. So findet sich die in 443 f. ausgedrückte Vorstellung, dass sich Gleiches mit Gleichem verbindet, zwar auch bei Empedokles, doch wird die Anziehung bei ihm auf das Prinzip der Freundschaft zurückgeführt, bei Lukrez auf die Wirkung der Urkörperchen. Das atomistische Argument könnte man, über die inhaltlich bestimmten Ausführungen von S. hinaus, zur Begründung der stilistischen Charakteristik der Vergleiche heranziehen : die Verbindung von Gleichem mit Gleichem wird stilistisch durch den Vergleich nachvollzogen. Völlig richtig ist die modale Deutung von partibus in 458. Sie wird bekräftigt durch conciliantur in 465 (im Vergleich). Zu 460-464 wendet sich S. gegen die These von M.R. Gale, Myth and Poetry in Lucretius, Cambridge, 1994, dass in Lucr. poetische Mythen naturalistisch ausgelegt werden.
117Die Zurückhaltung gegenüber ausserepikureischen Einflüssen bestimmt auch die beiden monographischen Abhandlungen, die dem Kommentar folgen. Die erste (La formazione del mondo) strebt eine inhaltliche Einordnung der Darstellung in Lucr. an. Weiten Raum nimmt die Erörterung der vorsokratischen und dann von Aristoteles kritisierten Diskussion über die Dichotomie von Atomen und Leere ein. S. stützt sich auf diese Ausführungen, um die Änderungen, die bei Epikur gegenüber den Vorsokratikern festzustellen sind, als Reaktion auf die aristotelische Kritik zu erklären. Sie könnten aber, in Ergänzung zur Darstellung von S., auch aus dem epikureischen Subjektivismus (vgl. ?? 2) heraus motiviert sein. Erst auf den letzten Seiten wird der Bogen zu den Elementen des Kosmos geschlossen und ihr Bezug zu Lucr. 5, 416-508 ganz deutlich.
118Die zweite, wesentlich kürzere Abhandlung (Un « modello » cosmogonico) ist einem typisch lukrezischen Stilmittel, dem Vergleich, gewidmet. Sie untersucht den Zusammenhang von Vergleich und Verglichenem. Zu 457-466 hält S. fest, dass das Modell strukturell mit dem Verglichenen identisch ist (p. 84 : « una somiglianza preesistente »). Das Modell, das den Beginn des Kosmos beschreibt, ist das allmorgendliche Erwachen des Kosmos. Es wiederholt die Prozesse in einer anderen Dimension.
119Beate Beer
Renaud Alexandre, Charles Guérin et Mathieu Jacotot (dir.), Rubor et Pudor. Vivre et penser la honte dans la Rome ancienne, Études de littérature ancienne, 19, Paris, Éditions Rue d’Ulm – Presses de l’ENS, 2012, 144 pages
120À partir de la distinction établie par E.R. Dodds entre « shame culture » (culture de la honte en tant que fait social extériorisé) et « guilt culture » (culture de la culpabilité comme sentiment intériorisé), ce petit volume dense, cohérent, bien édité, examine plusieurs définitions et pratiques de la honte en contexte romain depuis la Rome archaïque et païenne jusqu’au Moyen Âge chrétien.
121J.-F. Thomas, à la suite de son importante monographie (Déshonneur et honte en latin : étude sémantique, Louvain-Paris, 2007), rappelle la polysémie de pudor et uerecundia, « honte » mais aussi « pudeur », « retenue » et « conscience du bien », pudor et rubor signifiant encore le « déshonneur », tous sentiments qui procèdent de l’intériorisation de normes et de valeurs partagées par la communauté sous la République et les débuts de l’Empire. F. Dupont, étudiant les emplois de pudor dans le De oratore de Cicéron, montre comment cette qualité de « retenue » ou de « modestie » soutient l’autorité de Crassus dans le dialogue entre nobiles dont le traité prend la forme, ce qui lui permet d’exposer ses conceptions de la rhétorique sans perdre sa dignitas. S. Arnaud-Lesot dresse une typologie de sentiments qui, selon le De medicina de Celse, peuvent perturber l’exercice de la médecine : honte du malade à exposer son corps dénaturé par la maladie, abîmé par sa mauvaise conduite, honte du médecin à nommer certaines parties du corps (pudenda) ou peur de formuler un diagnostic erroné. A. Ruelle étudie la codification et l’histoire, en droit romain, des différentes manifestations bruyantes et collectives visant à susciter la honte chez un individu (obuagulatio, endoploratio, flagitium, occentatio). Formes archaïques d’une justice communautaire identifiée au sacré, ces pratiques sont encadrées ou condamnées selon qu’elles visent un coupable ou un innocent, grâce à l’instauration d’un droit civil fondé sur le débat contradictoire. S. Benoist, dans la tragédie Octavie, les Vies de Suétone et l’Histoire Auguste, observe comment le pudor de l’empereur ou des femmes de son entourage, dans sa valence laudative (la retenue) ou péjorative (la honte), contribue à construire les figures de bons et de mauvais empereurs. Au respectable pudor des Antonins, hérité du citoyen de la République, s’opposent, chez Tibère ou Néron, le goût pour une sexualité hors normes, la confusion des valeurs du masculin et du féminin et celle des sphères publiques et privées. L. Ciccolini révèle comment le lexique classique de la honte est employé par Tertullien et Cyprien dans des contextes spécifiquement chrétiens : en tant que conscience aux yeux de Dieu d’une faute qui peut être intérieure, la honte est sentiment de contrition. Mais pour que la pénitence soit complète, Tertullien prescrit au pécheur d’exhiber son repentir en se livrant à des pratiques humiliantes en public. C’est en acceptant le renversement des valeurs romaines traditionnelles que le chrétien fait de la honte le moteur de sa conversion et l’instrument de son salut. L’étude du lexique de la honte chez Isidore de Séville conduit enfin J. Elfassi à conclure de même qu’il n’y a pas d’opposition tranchée entre une définition païenne, extérieure, de la honte, et une définition chrétienne limitée au sentiment de culpabilité intériorisé.
122Ainsi, bien que l’on puisse regretter l’absence d’une étude sur le motif du rubor en contexte amoureux et celle d’une réflexion générale sur la place du pudor et de la pudicitia dans la définition de rôles masculins et féminins, on apprend déjà beaucoup de ce recueil où se dessine, en filigrane, l’importance d’une qualité associée au statut valorisé de l’ingénu.
123Marine Bretin-Chabrol
Patrick Laurence et François Guillaumont (dir.), La Présence de l’histoire dans l’épistolaire, Perspectives littéraires, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2012, 496 pages
124Si la douceur est angevine, la célérité est tourangelle : voilà déjà publié, deux ans après le colloque qui en est à l’origine, le septième ouvrage collectif consacré à l’épistolographie antique. Les contributions sont réparties en cinq chapitres thématiques mais, par commodité, nous les présentons par ordre chronologique (en retenant les seuls articles traitant de l’Antiquité).
125Fr. Guillaumont examine avec acuité le traitement des ides de Mars par Cicéron dans sa Correspondance. Elles sont célébrées, mais suscitent aussi des sentiments mêlés, car ce meurtre n’a pas tout réglé : il aurait fallu éliminer Antoine. Cicéron use de l’événement pour exhorter les anciens conjurés à poursuivre leur action en rétablissant définitivement la République. – J.-P. De Giorgio et É. Ndiaye proposent des perspectives intéressantes, anthropologiques et littéraires, sur la façon dont Cicéron figure son exil dans ses lettres : refus de voir ses proches et d’être vu par eux, réhabilitation des larmes, etc. En conclusion, un aperçu de jugements postérieurs sur sa personnalité. – J.-E. Bernard montre bien que pour Cornélius Népos, les lettres de Cicéron relèvent à la fois du témoignage historique et de la prophétie ; elles reflètent aussi ses états d’âme et ses hésitations, à la différence du récit historique, nécessairement sélectif et tendant à une fin connue au moment de l’écriture. Voilà qui invite à toujours garder en mémoire la complexité des lettres au moment de les exploiter comme sources.
126R. Glinatsis met en évidence les dichotomies qui structurent l’Epist. 2,1 d’Horace (ancien/nouveau ; Grèce/Rome ; poésie de lecture/poésie dramatique), non exempte d’excursus historiques. L’ensemble souligne la synthèse entre grandeur antique et raffinement stylistique qui s’opère sous Auguste. – À travers une étude de sa correspondance, I. Gilda Mastrorosa montre l’intérêt d’Auguste pour celui en qui il voit son successeur : son petit-fils Gaius. Le princeps se montre aussi soucieux de préserver Claude, fragilisé par ses infirmités, d’une certaine surexposition. – D. Roussel réfléchit à la place de l’histoire dans les Tristes et les Pontiques d’Ovide, d’abord à travers les exemples des grands hommes et des poètes, puis à travers l’histoire récente, sous Auguste (surtout Pont. 4,7) ; en définitive, le uates veut lui-même exister dans l’histoire par sa création. – Chr. Kossaifi revient sur un thème déjà traité maintes fois : l’image d’Auguste dans les Tristes et les Pontiques. Un éloge de façade cacherait une critique implacable, élevant finalement le uates au-dessus du princeps. – I. Cogitore classe les exempla historiques des Lettres de Sénèque par grandes périodes chronologiques et envisage finement leur mode d’insertion : ils débutent souvent par la mention d’un nom propre, avant un appel à l’interlocuteur. Concision et brièveté sont de mise, sans exclure le recours à des métaphores ou à des effets dramatiques ; la conclusion énonce fermement la leçon morale à tirer de l’épisode. – É. Gavoille met judicieusement en parallèle la Lettre 91 de Sénèque, relatant l’incendie de Lyon, avec d’autres écrits du Cordouan : le thème de la mortalité des villes, l’incendie de Rome (et, plus généralement, les destructions de villes comme actes tyranniques). Il y aurait ici une critique plus générale de la vie urbaine, emblème de la vanité et de la futilité humaines. – P. Fleury rappelle que si Fronton est partisan de l’archaïsme lexical, ses lettres historiographiques à la gloire de L. Vérus n’en font nullement un passéiste. Traitant d’une épître de Vérus au Sénat, il donne une sorte de définition de la lettre officielle de nature autobiographique : informative, grandiose mais non dépourvue d’émotivité, y compris dans son obscurité volontaire. – Pour M. Casevitz, les lettres d’Alciphron, bien que fictives, respectent une certaine cohérence historique ; il le démontre en identifiant divers personnages qui y sont cités.
127F. Robert étudie de près la façon dont Julien se met en scène dans ses Lettres retraçant sa prise de pouvoir : probe et fidèle, il ne serait pour rien dans la décision de ses soldats de le proclamer Auguste. Il est difficile de savoir si cette version est fidèle à la réalité. – M.-A. Calvet-Sebasti note que dans sa correspondance, Grégoire de Nazianze déplore le danger que font peser sur l’Église les hérétiques de toute sorte, la piètre qualité de nombreux évêques, leurs manœuvres lors des conciles et des élections. – B. Jeanjean dresse d’abord un panorama instructif des historiens que cite saint Jérôme dans sa Correspondance, avant d’analyser les allusions historiques de la lettre 108 ; enfin, il revient sur les six passages traitant de la deuxième guerre punique. – T. Moreau compare les récits de la découverte du gibet du Christ chez Paulin de Nole (Epist. 31) et chez son ami Sulpice Sévère, qui se fonde sur le récit de Paulin : forme (émotive vs neutre) et fond (exaltation de la foi vs annonce du jugement dernier) divergent. – A. Molinier-Arbo se demande dans quelle mesure l’historien peut exploiter les lettres produites par le faussaire à qui l’on doit l’Histoire Auguste. Fruits facétieux de sa fantaisie, elles revendiquent une place accrue pour le Sénat, mais les tenants de ce renouveau sénatorial sont doucement raillés pour leur vaniteuse naïveté. – M. Kanaan se penche sur les dix-sept Lettres à Olympias de Jean Chrysostome pour dégager les informations historiques concernant son exil à Cucuse et la situation religieuse tourmentée du début du Ve s. – B. Näf passe en revue les réticences de grands écrivains à se faire historiographes, avec une attention toute particulière à Sidoine Apollinaire. – É. Wolff étudie Sidoine successivement comme source historique (à utiliser avec circonspection), comme penseur de l’écriture historique (à laquelle un clerc ne saurait se livrer) et comme manieur d’exempla. – Dans l’Epist. 5,8 de Sidoine, A. Stoehr-Monjou reconsidère l’insertion de l’histoire sur les plans littéraire (citation et glose d’une épigramme visant Constantin) et éthique (dénonciation de la tyrannie) avant de voir la place de Sidoine dans la tradition hostile à Constantin : ici, Constantin = Néron et Fausta = Octavie.
128A. Ricciardi montre comment les évolutions socio-politiques (VIe-Xe s.) se traduisent dans l’écriture de lettres et leur constitution en recueils, avant d’aborder le décalage entre le vocabulaire de certaines épîtres et le cadre historique. La théorie d’une monarchie carolingienne théocratique est remise en cause. – J. Schneider envisage le traitement par Maxime Planude des grands événements politiques et militaires de son temps, puis des rares historiens anciens évoqués dans ses lettres.
129En définitive, si les lettres n’offrent pas toujours des renseignements absents des autres types de sources, la façon très particulière dont l’histoire y est insérée appelle des analyses précises, érudites et prudentes. Ce recueil en contient un bon nombre et mérite à ce titre de retenir l’intérêt de tous les antiquisants.
130Guillaume Flamerie de Lachapelle
Marc-Antoine Muret, Jules César, édition de don Giacomo Cardinali, traduction de Pierre Laurens, Classiques de l’humanisme, 40, Paris, Les Belles Lettres, 2012, 564 pages
131C’est en se proposant d’« accorder les contrariétés » (Pascal) concernant l’interprétation d’un texte fondateur dans l’histoire du théâtre humaniste français que Giacomo Cardinali conduit une riche étude sur la tragédie de Marc-Antoine Muret qui sert de préambule à son édition du texte même. Constatant les lacunes dans l’analyse du Jules César, lequel retient depuis quelques décennies l’attention des critiques, C. s’attelle à reconstituer un séduisant ordre d’inspiration qui est aussi une hiérarchisation des sources utilisées par Muret.
132Une abondante introduction retrace tout d’abord quelques éléments biographiques et opère une clarification, en excluant notamment d’utiliser comme source historique fiable l’oraison funèbre de Muret, prononcée à Rome par le père Francesco Benci. C. propose ensuite une date de composition plus ancienne (1544-1545) que celle que l’on a coutume d’avancer pour la pièce : l’édition connue de 1552 serait ainsi une seconde édition. C. souligne le tournant qu’opère cette tragédie dans l’histoire littéraire : si le Jules César n’avait pas vocation à être joué, il marque une étape dans le développement de la tragédie, « genre livresque et abstrait » (p. XLVI) et se révèle davantage qu’un exemple de tragédie pour les écoles : une première dans la reconstitution du genre. Muret aurait ignoré les tentatives parallèles de Georges Buchanan au collège de Guyenne.
133L’essentiel de l’introduction consiste ensuite dans l’étude des sources de la tragédie, qui dégage quelques enseignements sur le fond. C. postule en effet que Muret s’est d’abord intéressé à l’histoire de l’assassinat de César qui constitue le cœur de l’intrigue, puis a tiré profit des préceptes de poétique auquel il pouvait avoir accès alors, et qu’il a puisé chez les auteurs qu’il pratiquait (dont Sénèque) des exemples théâtraux ou plus généralement rhétoriques. On notera la prudence et la minutie avec laquelle C. évoque chaque auteur ayant pu servir de source, sa fortune à la Renaissance, et la nature du corpus dont M. pouvait disposer.
134Concernant premièrement les sources historiques majeures, parmi lesquelles on ne citait souvent que Suétone et Plutarque, C. montre la proximité du Jules César avec le récit de la mort de César proposé par Florus (De gestis Romanorum), dont le texte était facilement accessible à M. Cela vaudrait notamment pour le premier acte. On peut douter en revanche que M. soit redevable de l’expression de caedes Caesaris à l’historiographe latin. C. montre ensuite que d’autres motifs seraient empruntés à l’Histoire d’Appien (XIV) dont la section consacrée aux Guerres civiles pouvait être lue dans la traduction latine de Decembrio (texte donné en appendice). Les Vies de Plutarque ne sont pas écartées, mais leur importance est reléguée au second plan. Une fine appréciation des conditions de lecture donne lieu à un rappel sur le probable usage, par le lecteur de textes anciens, des titres a latere (ou manchettes). L’apothéose de César dans les Métamorphoses, dont les éditions étaient nombreuses et utilisées dans les collèges, aurait pu directement inspirer M. Les Fastes d’Ovide seraient une source possible du troisième chant du chœur et, pour partie, du dénouement. Parmi les sources historiques mineures, C. place Suétone, réexaminant soigneusement l’idée qui a prévalu jusqu’ici sur son importance. Il souligne la méfiance qui prévient les milieux scolaires contre Suétone, mais trouve quelque motifs parallèles entre la Vie de César et la tragédie de M., et rappelle que l’ordre des épisodes est identique dans l’un et l’autre texte. À Lucain, M. aurait surtout repris « la force grande et efficace du pathétisme » (p. CXII). Quelques passages de Juvénal, Virgile, Valère-Maxime et Pline l’ancien auraient fourni divers éléments au jeune dramaturge (notamment le songe de Calpurnie pour Valère-Maxime). C. explique ensuite de façon très convaincante cet assemblage de sources par l’utilisation que M. aurait eue des Annotations sur Florus de Joannes Camers : presque toutes les références citées s’y retrouvent, et l’on comprendrait mieux l’usage parcimonieux de Suétone fait par M. De plus, le commentateur de Florus conseille vivement la lecture d’Appien. M. aurait néanmoins opéré un choix parmi les nombreux textes allégués dans ce commentaire. C. ne passe pas sous silence les objections à cette hypothèse qui garde néanmoins toute sa validité.
135Dans un second temps est mis en valeur le « défi poétique » que constituait l’écriture d’une tragédie à un moment où les textes théoriques sur la question faisaient encore défaut. M. ignorait très probablement la Poétique d’Aristote. Sur ce point, il se serait inspiré principalement des Praenotamenta de Josse Bade (dit Ascensius) qui accompagnaient une édition des comédies de Térence par le même érudit, et le théâtre de Sénèque. Josse Bade définit en effet aussi la tragédie, genre dragmaticum où l’auteur laisse la parole aux personnages, et auquel il assigne le rôle de montrer la fragilité des choses humaines en respectant l’historicité du sujet choisi, de mettre en scène de grands personnages, et de présenter le passage d’une situation heureuse à un épilogue funeste. La tragédie relève en outre du stilus sublimis dont M. use durant toute la pièce. Josse Bade aurait par ailleurs fourni d’utiles considérations sur la fonction du chœur, développant la pensée du personnage ayant occupé la scène avant lui. Les chœurs de M. se comprendraient ainsi non comme des maladresses dramaturgiques ou le reflet de pensées subversives, mais avant tout comme des indices de son « orthodoxie poétique » (p. CLVII). La succession des actes correspondrait elle aussi aux recommandations énoncées dans les Praenotamenta. C. tente ensuite dans un long excursus de reconstituer la fortune de Sénèque (avant tout source de sentences morales) à partir de la traduction française de Pierre de Grosnet. Mais la seule préface du même Josse Bade à une édition de Sénèque permet à C. de montrer que Sénèque était perçu comme un « maître de morale » utile à l’instruction des Grands, que l’on y voyait un auteur à lire plus qu’à jouer, et qu’il fournissait matière aux exercices rhétoriques. La lecture de l’Hercules Œtaeus aurait fourni à Muret un modèle de structure et des « solutions stylistiques » (p. CXCIII) pour l’enchaînement de certains thèmes. Les répliques de Cassius au second acte, qui expriment avec vigueur ses intention de vengeance seraient ainsi tributaires du modèle sénéquien. Anticipant en quelque sorte les conseils de Jacques Peletier du Mans, M. aurait imité Sénèque « avec jugement » – l’utilisant pour compléter notamment les points sur lesquels les historiens restaient silencieux. En rejetant que M. ait emprunté des expressions au Iephthes de Buchanan, C. met d’autant plus en valeur le caractère exploratoire de l’œuvre de M. qui redécouvre et reconstitue ainsi par lui-même la tragédie antique.
136En troisième lieu, C. dresse un catalogue (dont il n’élude pas les défauts) des lectures de M. Cette description est l’occasion de présenter de façon cohérente les phénomènes de mémoire littéraire qu’on rencontre dans le Jules César, ainsi que de présenter une sorte de portrait en creux de M. Catulle, auteur plein de lepos, est ainsi cité ; il semble que M. en ait connu davantage que les versions couramment expurgées. Chez les élégiaques, on retrouve trace de Properce et non de Tibulle. M. aurait fait quelques emprunts à Horace (qu’il aurait beaucoup apprécié si l’on en croit le témoignage de Ronsard) ; il en tire aussi un schéma strophique pour ses chœurs (asclépiade B). L’influence de Cicéron est réexaminée, ce qui amène C. à reconnaître son influence, mais à conclure que M. n’y a pas repris « d’éléments de propagande républicaine » (p. CCXXXVII). Cette liste de sources qui comprend aussi Virgile, Aulu-Gelle et Macrobe, est l’occasion de montrer par moments « la liberté de création extrême » de M., notamment pour certains passages choraux (p. CCXLVI, note 531). C. écarte que l’Iliade ait servi de source directe. Jugeant enfin qu’on ne trouve pas trace des Heroes de Scaliger dans le Jules César, il vient étayer l’idée que le jeune Muret n’a pas composé sa tragédie dans une perspective idéologique aussi marquée qu’on l’a cru. C’est un des principaux acquis de cette étude minutieuse que de montrer le travail du jeune lettré, et de nuancer l’image « républicaine » de la tragédie.
137Une courte étude de la théâtralité du Jules César s’attache ensuite notamment à montrer la différence de style selon les rôles, conforme aux préceptes d’Horace et des Praenotamenta : ému et agité pour Calpurnia, fier oratoire, avec une syntaxe plus complexe pour les personnages masculins. Un chapitre sur les éditions permet de justifier le choix d’utiliser les deux éditions connues de 1552 et 1579, en écartant un manuscrit qui n’est que le calque de l’édition de 1552. À cela s’ajoute une description de la fortune de la tragédie : C. constate que le Iephthes de Buchanan, tragédie religieuse mâtinée de modèles grecs et latins, de schéma complexe, traduite en français et très prisée, si l’on en croit son succès éditorial, n’a pas eu la même influence que le Jules César jamais traduit. Le succès de la « voix latine » choisie par Muret s’expliquerait peut-être par la sobriété du modèle proposé, apte à servir de patron à la première tragédie humaniste.
138Le texte de la tragédie (570 vers) est présenté avec la traduction de Pierre Laurens qui s’est astreint à une fidélité à l’enchaînement des idées, tout en proposant une traduction en vers de style et de facture classiques (à quelques exceptions près), laquelle est parfois une véritable interprétation. Suit une annotation riche et resserrée de C. qui vient compléter et expliciter les tendances présentées en introduction sans faire double emploi. Des appendices viennent complètent utilement l’édition : un aperçu de la fortune des auteurs évoqués à la Renaissance, une notice biographique sur Joannes Camers, une présentation de son édition et le passage concerné de ses Annotations sur Florus concernant la mort de César, ainsi qu’un extrait de la traduction latine d’Appien.
139Plus encore qu’une édition, c’est une étude longue, complète et détaillée sur le Jules César que propose C. La caractéristique principale en est la tentative patiente de reconstituer la démarche et des intentions de M. auteur tragique. Par ses hypothèses, C. tend de façon empirique à l’essai de génétique théâtrale. Si certains pourront contester la méthode ou quelques détails, les analyses convaincront sans nul doute. Bien des pistes de réflexion mériteraient d’être poursuivies par ailleurs, comme le statut complexe et particulier de l’écrivain français d’expression latine. L’ensemble donne à entrevoir une perspective nouvelle sur la forme et le sens de cette œuvre de jeunesse qu’est le Jules César.
140Paul-Victor Desarbres
Christopher Krebs, Negotiatio Germaniae. Tacitus’ Germania und Enea Silvio Piccolomini, Giannantonio Campano, Conrad Celtis und Heinrich Bebel, Hypomnemata, 158, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2005, 284 pages
141Dans cette version enrichie d’une « Dissertation » soutenue à l’été 2003 devant la faculté de philosophie de l’université de Kiel, C.K. étudie l’imago Germaniae chez Tacite (Germania) et dans ses adaptations humanistes chez Enea Silvio Piccolomini, Giannantonio Campano, Conrad Celtis et Heinrich Bebel. Tacite définit la Germanie à travers une ethnographie rhétorique et imaginaire, une géographie imaginaire dérivée de César ; il en donne une image globale idéalisée, mais ambivalente (liberté ou licence, simplicité ou ignorance ?) ; les Germains sont définis comme des barbares, mais avec des aspects politiques, sociologiques et institutionnels.
142Enea Silvio Piccolomini (puis Pie II) fut le premier humaniste à utiliser la Germania de Tacite, à peine redécouverte, dans son œuvre et à écrire une description de l’Allemagne (Germania, avant le 1er février 1458). L’attention particulière qu’il porte à l’Allemagne, et qui transparaît aussi dans le discours qu’il a prononcé à Francfort en 1454 et dans certaines de ses lettres, notamment à Martin Mayr (8 août 1457, texte donné en annexe, p. 257) et à l’empereur Frédéric II, doit se comprendre dans le contexte d’un Empire romain germanique où s’affrontent l’empereur et les princes nationalistes et hostiles au pape. Piccolomini applique les « images » de Tacite à la situation de son temps : la barbarie des Germains originaux s’applique aux provinces séparatistes, mais ces guerriers brutaux pourraient être opposés aux Turcs qui menacent la chrétienté ; face aux premiers Germains, barbares sans lettres ni lois, les nouveaux Germains, chrétiens, vivent selon de bonnes mœurs sinon selon de bonnes lois.
143Le discours prononcé par Giannantonio Campano, en tant que représentant du pape Paul II, à la diète de Regensburg en 1471 pour inciter les princes allemands (fortissimi Germani) à la croisade contre les Turcs est dans la ligne de Piccolomini – Pie II, dont Campano avait été le collaborateur et l’ami. Mais, dans les lettres écrites pendant cette légation de neuf mois à Regensburg, Nuremberg et Wurtzbourg (livre 6 de sa correspondance), Campano donne une interprétation alternative à l’héritage de Tacite : il n’y est pratiquement pas question d’histoire ou d’actualité politique, mais, à la manière d’Ovide, d’une littérature et d’une topographie d’exil. Campano sera vivement critiqué dans une lettre de Conrad Leontorius de 1498 donnée en appendice (p. 258-259).
144Avec le patriote allemand Conrad Celtis, éditeur de la Germanie de Tacite en 1500, et sa Germania generalis (cf. aussi son poème Am. 2,9 Ad Elsulam a priscis et sanctis Germaniae moribus degenerantem, élégie de 154 vers dont le texte est donné en appendice, p. 259-263), nous assistons à une réhabilitation des Germains en opposition avec la Germania de Piccolomini. Celtis défend la thèse d’une translatio imperii et artium de l’Italie à l’Allemagne ; il utilise Tacite (selon qui les Germains n’ont jamais été vaincus à la guerre et n’ont jamais été sujets de l’Empire) pour mettre en avant la culture et l’humanisme germaniques.
145Chez Heinrich Bebel, le nationaliste triomphe de l’humaniste. Prolongeant la révision proto-nationaliste de Tacite engagée par Celtis, Bebel en arrive, à partir d’une idéalisation du passé, à la construction d’un mythe national. Pour lui, les Germains non seulement n’ont jamais appartenu à l’Empire romain, mais ils sont radicalement autochtones et moralement supérieurs aux Romains. Le 30 mai 1501 à Innsbruck, il exprime ce point de vue dans le discours qu’il prononce à l’occasion de son couronnement poétique ; ce discours sera suivi le lendemain par celui de l’empereur Maximilien. Bebel rejette la théorie de l’origine troyenne des Francs, mais accepte la notion de translatio imperii par Charlemagne.
146Cette étude très bien documentée (quatorze pages de bibliographie et une annotation critique très abondante) combine érudition, prise en compte des théories littéraires modernes et approche anthropologique. Dans le détail, les spécialistes de chacun des auteurs ici étudiés ne trouveront guère de nouveautés, sinon quelques points de biographie, et on aurait bien sûr pu introduire d’autres lecteurs humanistes de la Germanie de Tacite (je pense en particulier à Beatus Rhenanus). Mais ce livre a le mérite d’offrir au lecteur une synthèse solide et stimulante sur la réception au XVe siècle et au tout début du XVIe d’une des redécouvertes humanistes dont la portée historique a été considérable.
147Jean-Louis Charlet