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Article de revue

Les failles de la κοσμιότης dans la Samienne de Ménandre

Pages 123 à 141

Notes

  • [1]
    Mes remerciements vont aux membres du comité de rédaction de la Revue de philologie pour leurs remarques précises et avisées, ainsi qu’au Professeur Alan Sommerstein qui m’a généreusement donné accès à son commentaire de la Samienne (Cambridge, 2013) avant même sa publication.
  • [2]
    Hermes, 97, 1969, p. 432-439. L’adjectif ???µ??? et l’adverbe ???µ??? sont attestés dans trois autres comédies de Ménandre : Her. 40, Georg. 42, Pk. 349.
  • [3]
    Ménandre, La Samienne, éd. J.-M. Jacques, 2e éd., Paris, 1989 (1971), p. XXXI. Pour une vision idéalisée de la relation entre Moschion et Déméas, voir encore H. Lloyd-Jones, « Menanders’s Samia in the Light of New Evidence », YClS, 22, 1972, p. 119-144 : « Each is devoted to the other, and the devotion of each triumphantly surmonts every test to which it is exposed by the farcical concatenation of events » (p. 143).
  • [4]
    M. Treu, « Humane Handlungsmotive in der Samia Menanders », RhM, 112, 1969, p. 230-254 (en particulier p. 249-252).
  • [5]
    S. West, « Notes on the Samia », ZPE, 88, 1991, p. 11-23 (en particulier p. 19-22, avec référence à l’article de Treu, p. 19 n. 42). Sans référence explicite à la ???µ?????, voir aussi E. Masaracchia, « Il quinto atto della Samia menandrea », Helikon, 18-19, 1978-1979, p. 258-275 : « Quello che conta è la rispettabilità sociale alla quale vanno sacrificati creature umane e sentimenti » (p. 266). Parmi les points de vue critiques sur le personnage de Moschion et sur son incapacité à reconnaître ses fautes, voir encore W.S. Anderson, « The Ending of the Samia and Other Menandrian Comedies », dans Studi classici in onore di Quintino Cataudella, vol. II, Catane, 1972, p. 155-179 (en particulier p. 156-161 ; « all the complications of the play arise from Moschion’s inability to admit the truth to Demeas », p. 156) ; Menandro, La donna di Samo, éd. M. Lamagna, Naples, 1998 : « L’intera vicenda è stata avviata dall’incapacità di rendere conto al padre del sui operato, perché esso si collocava al di fuori dei canoni di perfezione su cui era stato fondato il loro rapporto » (p. 58).
  • [6]
    Ce rapprochement est suggéré par West, « Notes » (cit. n. 5), p. 22. Voir en particulier E., Hipp. 393-404, où Phèdre mentionne la ????????? (v. 399), entre le silence (v. 394) et le suicide (v. 401), comme moyen de vaincre sa folie (?????) et d’éviter ainsi de commettre des actes honteux sous le regard d’autrui (v. 403-404). Dans l’abondante littérature consacrée à la ????????? dans l’Hippolyte, voir en particulier la bonne analyse d’A. Rademaker, Sophrosyne and The Rhetoric of Self-Restraint. Polysemy and Persuasive Use of an Ancient Greek Value Term, Leiden-Boston, 2005, p. 163-173. Sur la relation intertextuelle, souvent mise en avant, entre l’Hippolyte et la Samienne, voir notamment A. Katsouris, Tragic Patterns in Menander, Athènes, 1975, p. 131-135, Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 64-67, les remarques plus réservées (à juste titre) de C. Cusset, Ménandre ou la comédie tragique, Paris, 2003, p. 165-168, R. Omitowoju, « Performing Traditions : Relations and Relationships in Menander and Tragedy », dans A.K. Petrides & S. Papaioannou (éd.), New Perspectives on Postclassical Comedy, Cambridge, 2010, p. 125-145, et en dernier lieu A. Sommerstein, Menander. Samia, Cambridge, 2013, p. 36-40, qui montre bien tout à la fois les convergences et les écarts entre les deux pièces.
  • [7]
    M. Weissenberger, « Vater-Sohn-Beziehung und Komödienhandlung in Menanders “Samia” », Hermes, 119, 1991, p. 415-434 (« das fundamentale Defizit der Beziehung zwischen Demeas und Moschion liegt (…) im Kern ihres Wesens selbst, d.h. in ihrer Vorbildlichkeit », p. 421). Le manque de confiance entre père et fils est déjà relevé par Jacques, Samienne (cit. n. 3), p. XXXVIII, W. Ludwig, dans E.G. Turner (dir.), Ménandre. Entretiens sur l’Antiquité classique, vol. XVI, Genève, 1970, p. 174 : « Der Mangel an Vertrauen und Aufrichtigkeit auf Seiten der im übrigen immer gut meinenden Personen versursacht die Verwicklungen der dramatischen Handlung ». Sur le manque de confiance réciproque entre Déméas et Moschion, voir également J.N. Grant, « The Father-Son Relationship and the Ending of Menander’s Samia », Phoenix, 40, 1986, p. 172-184 (p. 183).
  • [8]
    E. Keuls, « The Samia of Menander. An Interpretation of its Plot and Theme », ZPE, 10, 1973, p. 1-20, Sommerstein, Samia (cit. n. 6), p. 14-16 ; contra : Weissenberger, « Vater-Sohn-Beziehung » (cit. n. 7), p. 416. Dans ce qui nous est conservé de la pièce, le statut de fils adoptif de Moschion est mentionné aux vers 346 et 698-699.
  • [9]
    A. Blanchard, « Moschion ? ???µ??? et l’interprétation de la Samienne de Ménandre », REG, 115, 2002, p. 58-74 (cf. La comédie de Ménandre. Politique, éthique, esthétique, Paris, 2007, p. 101 et 105). Cette position de la ???µ????? au rang des défauts n’est pas sans faire difficulté aux yeux de certains commentateurs ; ainsi R.-A. Gauthier & J.-Y. Jolif, L’Éthique à Nicomaque. Introduction, traduction et commentaire, 2e éd., Louvain-Paris, 1970 (1958-1959), vol. 2, p. 164 : « il est certain qu’on s’attendrait à trouver un nom de vice, et que la kosmiotès ne peut désigner qu’une disposition louable ». De façon plus radicale, comme le rappelle Blanchard, « Moschion », p. 66, Leonhard Spengel, en 1863, avait proposé de supprimer la mention de la ???µ????? dans ce passage.
  • [10]
    La thèse de la ????????? comme moyen terme entre ???????? et ???µ????? se retrouve dans les Magna Moralia (1186b 25-32), œuvre toutefois souvent considérée comme postérieure à Aristote. Dans la Politique (1277b 20-23), l’adjectif ???µ??? est en revanche clairement situé du côté de la ?????????.
  • [11]
    Sur l’adjectif ???????, voir les commentaires de H.-D. Blume, Menanders « Samia » , Darmstadt, 1974, p. 10-11, et Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 186.
  • [12]
    Sur la possibilité pour un jeune homme d’assumer les fonctions de chorège et de phylarque, voir les commentaires de A.W. Gomme & F.H. Sandbach, Menander. A Commentary, Oxford, 1973, p. 546-547, Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 184-186, Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad v. 13 et 15. La suppression de la chorégie comme liturgie et son remplacement par l’??????????, traditionnellement attribuée à Démétrios de Phalère, a été récemment associée, à l’inverse, à sa chute et à l’avènement, en 307, d’un nouveau régime, sous l’impulsion de Démétrios Poliorcète ; voir en ce sens L. O’Sullivan, The Regime of Demetrius of Phalerum in Athens, 317-307 BCE. A Philosopher in Politics, Leyde-Boston, 2009, p. 168-185, et de même, avec d’autres arguments, P. Wilson & E. Csapo, « Le passage de la chorégie à l’agonothésie à Athènes à la fin du IVe siècle », dans B. Le Guen (éd.), L’Argent dans les concours du monde grec, Paris, 2010, p. 83-105.
  • [13]
    Comme le relève R. Omotiwoju, Rape and the Politics of Consent in Classical Athens, Cambridge, 2002, p. 199, rien n’indique si la relation avec Plangon est consentie ou non ; cette remarque va dans le sens de la thèse défendue dans son livre, selon laquelle la question du consentement n’est pas pertinente, idéologiquement et juridiquement, dans l’Athènes classique (thèse contestée avec vigueur par A. Sommerstein, « Rape and Consent in Athenian Tragedy », dans D.L. Cairns & V. Liapis (éd.), Dionysalexandros. Essays on Aeschylus and His Fellow Tragedians in Honour of A.F. Garvie, Swansea, 1996, p. 233-251). Par ailleurs, comme le relève notamment C. Cusset, « La fille d’à côté. Symbolique de l’espace et sens du voisinage dans la Samienne de Ménandre », Pallas, 54, 2000, p. 207-228 (p. 217), la honte éprouvée par Moschion répond à la honte éprouvée par son père (????????, v. 23) au moment où s’est nouée sa relation avec Chrysis.
  • [14]
    Selon l’interprétation proposée déjà par les premiers éditeurs et défendue notamment par F.H. Sandbach, « Two Notes on Menander (Epitrepontes and Samia) », LCM, 11, 1986, p. 156-160, si Chrysis est en mesure d’allaiter l’enfant, c’est qu’elle aurait elle-même accouché d’un bébé, qui serait sans doute mort à sa naissance ; une coïncidence à laquelle ferait référence l’expression ???] ?????µ???? du v. 55. Cette interprétation a été contestée par Ch. Dedoussi, « The Samia », dans Turner (dir.), Ménandre (cit. n. 7), p. 159-180 (p. 162 et 177), et « The Future of Plangon’s Child in Menander’s Samia », LCM, 13, 1988, p. 39-42 ; selon elle, Chrysis n’allaiterait pas l’enfant de Plangon, comme le croit Déméas (v. 266), mais elle ne ferait que le calmer en le tenant contre sa poitrine. La première interprétation est réaffirmée aussi bien par Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 200-202, que par Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad. v. 55-56.
  • [15]
    Sur ce type d’intrigue dans la comédie nouvelle et romaine, voir V.J. Rosivach, When a Young Man Falls in Love. The Sexual Exploitation of Women in New Comedy, Londres, 1998, p. 14-23. Sur la base de ce type d’intrigues, on a pu raisonnablement supposer que des rapports sexuels prématrimoniaux, surtout s’ils aboutissaient à la naissance d’un enfant, pouvaient donner lieu à un mariage, en lieu et place d’une action judiciaire. Voir en ce sens notamment A.R.W. Harrison, The Law of Athens, vol. 1, Oxford, 1968, p. 19 (avec à l’appui Plaut., Aul. 792-795 et Ter., Andr. 780-781, qui font du mariage dans une telle situation une obligation légale ; voir encore Ter., Adel. 348-349), et en dernier lieu E.M. Harris, « Did Rape Exist in Classical Athens ? Further Reflections on the Laws About Sexual Violence », Dike, 7, 2004, p. 41-83 ; ce dernier cite (p. 50, 75) comme parallèle contemporain la législation péruvienne qui, jusqu’en 1997, permettait à un homme coupable de viol d’échapper à des poursuites s’il proposait d’épouser sa victime et si celle-ci acceptait. De même l’article 475 du code pénal marocain (abrogé en janvier 2014) protégeait le violeur d’une mineure, à condition qu’il l’épouse ; au mois de mars 2012, le suicide d’une jeune Marocaine, obligée d’épouser son violeur en vertu de cet article (cf. Le Monde, 23 mars 2012), nous rappelle les conséquences tragiques de ce type de législation, bien loin des happy end de la comédie nouvelle, tributaires des lois du genre et d’un point de vue exclusivement masculin. Si ce type d’intrigue peut avoir un rapport avec la réalité institutionnelle, sa diffusion dans la comédie nouvelle en fait également un trait conventionnel propre au genre ; voir en ce sens K.F. Pierce, « The Portrayal of Rape in New Comedy », dans S. Deacy & K.F. Pierce (éd.), Rape in Antiquity. Sexual Violence in the Greek and Roman Worlds, Londres, 1997, p. 163-184 (p. 178), et M. Leisner-Jensen, « “Vis comica”. Consummated Rape in Greek and Roman New Comedy », C&M, 53, 2002, p. 173-196 (p. 191-196).
  • [16]
    Ce point est relevé par Omitowoju, Rape (cit. n. 13), p. 200-201.
  • [17]
    Sur le lien entre adoption et richesse, voir les conclusions prudentes de L. Rubinstein, Adoption in IV. Century Athens, Copenhague, 1983, p. 29. À propos de Déméas, S. Lape, Reproducing Athens. Menander’s Comedy, Democratic Culture and the Hellenistic City, Princeton-Oxford, 2004, p. 140, note que « living with a hetaira carried overtones of elitism because it was an arrangement not available to every citizen and, at the same time, because it suggested an untoward privileging of personal preference over civic communal norms ». Les faibles ressources de Nicératos peuvent être induites du fait qu’il se déplace lui-même pour aller chercher un cuisinier (alors que Déméas envoie un esclave, v. 196-198), de la maigreur du mouton qu’il offre en sacrifice (v. 403-404) et du mauvais état du toit de sa maison (v. 592-593). Dans les Frères de Térence (v. 728-729), ce sont précisément ces deux éléments – absence de ressources et absence de dot – que Déméas invoque comme facteurs aggravants dans le mariage entre Eschine et Pamphila, la fille dont il a abusé et dont il a eu un enfant. Si la différence sociale dans la Samienne est moins explicite que dans d’autres comédies de Ménandre (à commencer par le Dyskolos, comme le relève N. Zagagi, The Comedy of Menander. Convention, Variation and Originality, Londres, 1994, p. 113 ; cf. dans le même sens Cusset, « La fille d’à côté » [cit. n. 13], p. 207), elle ne doit pourtant pas être sous-évaluée, comme le montre Sommerstein, Samia (cit. n. 6), p. 40-44.
  • [18]
    Pièce éditée en dernier lieu par A. Blanchard sous le titre de Fabula incerta du Caire dans la Collection des Universités de France (Ménandre, tome II, Paris, 2013). Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 199, ad v. 53, prend le témoignage de la Samienne comme preuve que dans un mariage rendu nécessaire par des rapports sexuels prématrimoniaux le père du jeune homme devait également donner son accord ; voir déjà dans le même sens U.E. Paoli, « L’assentiment paternel au mariage du fils dans le droit attique », RIDA, 1, 1952, p. 267-275 (repris dans Altri studi di diritto greco e romani, Milan, 1976, p. 377-383), qui s’appuyait sur le témoignage de la fabula incerta pour établir l’origine attique d’une règle énoncée chez les rhéteurs latins (Sen. Rhet., Contr. 2, 3, Quint., Inst. 9, 2, 90, Ps.-Quint., Decl. 349).
  • [19]
    Selon Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 251, le « contrôle des désirs » fait partie des « prototypical senses » de ?????????, c’est-à-dire des sens les plus facilement activés, sans besoin d’un contexte particulier ; sur ce sens, voir notamment les remarques synthétiques, p. 257-262, ainsi que p. 235-237, pour les liens avec la ???µ????? chez les orateurs, et p. 310-316, sur l’exploitation de ce même sens par Socrate face à Calliclès dans le Gorgias de Platon.
  • [20]
    Mêmes formulations chez Isée (fr. 30 Thalheim) : la plus grande des liturgies consiste à se montrer quotidiennement ???µ??? et ??????.
  • [21]
    Cf. Pl., Grg. 511d : l’art de la navigation est qualifié de ???µ???, dans la mesure il n’occupe que la place qui lui est strictement nécessaire (?????????µ???) et qu’il ne se vante pas (?? ??µ???????) en prenant des grands airs (????µ????µ???), comme s’il accomplissait quelque chose de magnifique (?????????? ??).
  • [22]
    Mêmes formulations chez Isée (IV, 27 ; X, 25) : sont ???µ??? les individus qui font ????? ?? ?????????µ???. Sur l’association entre obéissance aux lois et ???µ?????, cf. encore Lys. I, 26.
  • [23]
    Ar., Pl. 89. À cet égard, la ???µ????? rejoint la dimension politique que peut assumer la ????????? dès Théognis ; voir Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 76-92 (Théognis, Pindare, Bacchylide), p. 243-245 (orateurs), ainsi que les remarques synthétiques, p. 266-267.
  • [24]
    Voir de même Lys. XV, 9, XXII, 19, XXVII, 7.
  • [25]
    Pour la définition aristotélicienne, voir Arist., Rh. II, 1378b 23-28, avec N.R.E. Fisher, Hybris. A Study in the Values of Honour and Shame in Ancient Greece, Warminster, 1992, p. 7-35, ainsi que p. 39, 51-52, 62-63, sur le Contre Lochitès. Pour l’opposition ????? / ???µ?????, cf. Gorg., fr. 6 Diels-Kranz, Ar., Pl. 564, Lys. XIV, 29.
  • [26]
    Cf. encore Isoc. VII, 70 : opposition entre l’oligarchie et un régime qui peut être qualifié de ??????? et ???µ??? ; XVIII, 18 : celui qui s’est montré ???µ??? durant le régime des Trente ne saurait a fortiori tomber dans l’?????? alors que ce régime est tombé.
  • [27]
    Ici encore la ???µ????? rejoint l’un des sens assumés par la ????????? ; l’expression ?? ?????? ???????? correspond précisément à la troisième définition du terme proposée par Charmide dans le dialogue platonicien éponyme (161b-162b) et fait écho à l’idéal de l’?????µ????? que porte en elle la notion de ?????????, notamment chez Aristophane et les orateurs (voir Rademaker, Sophrosyne [cit. n. 6], p. 230-233, 245-246, 330-332).
  • [28]
    Même argumentation chez Hypéride (IV, 21), pour se défendre d’accusations de collusion avec la Macédoine.
  • [29]
    L’????????? correspond à la première définition de la ????????? proposée par Charmide (159b-160d) ; sur les liens entre tranquillité et ?????????, notamment chez Aristophane et les orateurs, voir Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 245-246, 263, 326-329. Sur les valeurs attachées à la notion de « tranquillité » dans la démocratie athénienne, voir P. Demont, La cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité, Paris, 1990, en particulier p. 89-113 pour un point de vue synthétique, ainsi que L.B. Carter, The Quiet Athenian, Oxford, 1986, dont le point d’ancrage est la notion d’?????µ?????. Alors que Carter voit dans l’?????µ????? un élément qui va à l’encontre de la vie démocratique, Demont (p. 90) interprète au contraire la « tranquillité » comme un idéal de la vie démocratique, permettant de se démarquer de certains de ses excès et de certaines de ses dérives.
  • [30]
    Sur la « tranquillité » des métèques, voir Carter, Quiet Athenian (cit. n. 29), p. 126-128.
  • [31]
    Cette ???µ????? féminine associée au silence doit être rapprochée de la formule sophocléenne qui fait du silence la parure (???µ??) des femmes : Soph., Aj. 293, fr. 64, 4 Radt ; cf. Eur., fr. 219, 1 Kannicht, où le silence peut être aussi une parure pour un homme (références données par M. Casevitz, « À la recherche du Kosmos », Le temps de la réflexion, 10, 1989, p. 97-119 [p. 114-115, n. 34]). Sur le lien entre silence et ???µ?????, cf. encore Ar., Th. 571-573, Pl. 670-671, Lys. XVI, 19, Hp., Acut. 18. Contra Philem., fr. 4 Kassel-Austin : n’est pas nécessairement ???µ??? celui qui bavarde peu ou marche les yeux baissés.
  • [32]
    Sur l’opposition entre ??????? et ????????? dans ce passage, ainsi que dans la République (410e 5-411a 4), et sur la nécessité d’un bon mélange entre les deux, voir Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 317-321.
  • [33]
    Cette opposition entre une ??????? masculine et une ???µ????? féminine trouve un fondement biologique dans un passage du traité hippocratique Du Régime (I, 29). Selon les éléments à partir desquels s’opère leur conception, les filles appartiendront à trois catégories, de la plus féminine à la moins féminine ; les filles de la catégorie médiane sont plus hardies (??????????) que celles de la première catégorie, mais elles peuvent être encore qualifiées de ???µ???, ce qui n’est plus le cas des moins féminines qui sont dès lors qualifiées d’????????.
  • [34]
    Comme le relève Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad v. 15-16, en reprenant la terminologie d’Aristote (EN 1119b 2-1121b 12), Moschion doit rester dans la libéralité (????????????) sans tomber dans la prodigalité (??????).
  • [35]
    Sur la « politica della convivenza » chez Ménandre, voir G. Bodei Giglioni, Menandro o la politica della convivenza, Come, 1984. Sur les lois somptuaires de Démétrios, voir notamment M. Gagarin, « The Legislation of Demetrius of Phalerum and the Transformation of Athenian Law », dans W.W. Fortenbaugh & E. Schütrumpf (éd.), Demetrius of Phalerum. Text, Translation and Discussion, New Brunswick-Londres, 2000, p. 347-365, et surtout O’Sullivan, Regime (cit. n. 12), p. 45-103 ; cette dernière fait l’hypothèse de mesures régulant l’étalage de richesses non seulement dans les monuments funéraires, mais aussi dans les monuments chorégiques (p. 176-181 ; cf. supra n. 12). Sur la proximité entre Ménandre et Démétrios, cf. D.L. V, 79 (T1 dans l’édition de P. Stork, J.M. van Ophuijsen, T. Dorandi, dans Fortenbaugh & Schütrumpf [éd.], Demetrius) et Phaedr. 5, 1 (T44 Stork, Ophuijsen, Dorandi).
  • [36]
    Réglementation funéraire : Cic., Leg. 2, 26, 66 (T53 Stork, Ophuijsen, Dorandi) ; loi concernant le nombre d’invités : Ath. 6, 245a-c (T153 Stork, Ophuijsen, Dorandi).
  • [37]
    Sur cette « fragilité de la masculinité » (« fragility of manhood ») qui caractérise Moschion, voir les remarques de Lape, Reproducing (cit. n. 17), p. 167-170, ainsi que le commentaire de Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad v. 64.
  • [38]
    Cette propension à la dissimulation qui caractérise Déméas est notée par Sommerstein, Samia (cit. n. 6), p. 17-19.
  • [39]
    Sur ce point, voir Lape, Reproducing (cit. n. 17), p. 156-157.
  • [40]
    Sur ce passage et l’opposition entre le refus et la revendication d’une parole publique qui caractérisent respectivement Déméas et Nicératos, voir T.P. Hofmeister, « Polis and Oikoumenê in Menander », dans G.W. Dobrov (éd.), The City as Comedy. Society and Representation in Athenian Drama, Chapel Hill-Londres, 1997, p. 289-342 (p. 294-303). Sur la question du gender en rapport avec la figure de Déméas, voir également A. Heap, « Understanding the Men in Menander », dans L. Foxhall & J. Salmon (éd.), Thinking Men. Masculinity and its Self-Representation in the Classical Tradition, Londres-New York, 1998, p. 115-129 (p. 117-121), qui relève l’investissement de Déméas dans les préparatifs du mariage (v. 219-231) et sa présence dans l’espace féminin de la maison, entre cellier (??µ?????, v. 229) et atelier de tissage (??????, 234) ; cette présence peut être mise en relation avec l’intrusion de Moschion dans l’espace féminin que constitue le toit de la maison (v. 45) lors des Adonies.
  • [41]
    On relèvera que chez Ménandre, en-dehors de la Samienne, les deux autres occurrences de l’adjectif ???µ??? (Her. 40, Georg. 42) s’appliquent à des femmes.
  • [42]
    Dans les Sicyoniens, un autre Moschion, décrit comme un jeune homme efféminé (v. 200-201), se caractérise également par son incapacité à prendre la parole publiquement, puisque, devant l’assemblée du dème, il ne parvient à parler qu’à mi-voix (µ????? ??????, v. 201). À la différence de la Samienne, cette incapacité à entrer dans le jeu du débat démocratique est ici associée au fait que le père de ce Moschion est lui-même explicitement caractérisé comme un oligarque (???????????, v. 156).
  • [43]
    Comme l’a relevé Bodei Giglioni, Menandro (cit. n. 35), p. 40 (cf. p. 19-20), l’?????? ????? dont fait preuve Moschion à travers sa ???µ????? suggère sa proximité avec la catégorie des ??????? ??? ?????????, personnages raffinés et modérés, détenteurs des charges publiques sous le régime de Phocion selon Plutarque (Phoc. 39, 5), et opposés aux ????????µ???? ??? ???????????, les intrigants et révolutionnaires.

1 – La ???µ????? de Moschion et ses interprétations

1Dès la publication du papyrus de la collection Bodmer qui nous transmet l’essentiel de la Samienne de Ménandre, la qualification du jeune héros de la pièce par l’adjectif ???µ??? (v. 18, 273, 344) a retenu toute l’attention des interprètes ; en témoigne un article d’Hans-Joachim Mette intitulé simplement « Moschion ? ???µ??? » [2]. Selon l’auteur, l’adjectif ???µ??? définirait un comportement caractérisé par la bienséance et la correction (« wohlanständig »), mais aussi l’amabilité (« liebenswürdig ») et la compréhension (« verständnisvoll »), qui fonderait un rapport de pleine confiance entre Moschion et son père adoptif, Déméas. Dans l’interprétation positive, voire idéalisée, de la ???µ????? de Moschion et de la relation entre le père et le fils, Jean-Marie Jacques, dans l’introduction à son édition de la Samienne, se situait dans une ligne interprétative proche de celle de Mette, quoique au détour de telle ou telle phrase il puisse laisser entrevoir la part d’ombre que pourrait comporter l’attitude du jeune homme ; ainsi lorsqu’il note à propos de Moschion que sa « délicatesse morale [...] et la façon touchante dont il parle de Déméas [...] font pressentir qu’aux yeux de ce fils rien ne compte plus que l’opinion de son père » [3].

2De fait, la vision de la ???µ????? comme qualité essentiellement positive et comme fondement d’une relation idéalisée entre père et fils a été largement mise en question par la suite, celle-ci se voyant entachée notamment par un souci excessif des apparences et par un manque de confiance. Ainsi, l’année même où paraissait l’article de Mette, une contribution de Max Treu soulignait le caractère discutable des comportements induits par le terme ???µ??? [4]. La ???µ????? conduirait ainsi Moschion à privilégier la préservation d’une image correspondant aux normes de la convenance, au détriment d’une fidélité à des valeurs absolues. La voie ouverte par Treu sera suivie notamment par Stephanie West définissant la ???µ????? de Moschion comme un souci à la fois superficiel et égocentrique de respectabilité [5]. Dans ce même article, Stéphanie West mettait en parallèle la ???µ????? de Moschion et la ????????? d’Hippolyte dans la tragédie éponyme d’Euripide, la première étant décrite comme la forme « bourgeoise » de la seconde. En réalité, la comparaison entre la ????????? d’Hippolyte et la ???µ????? de Moschion doit surtout faire apparaître l’écart qui sépare un refus absolu et excessif de la sexualité chez l’un et une maîtrise des désirs qui n’en connaît pas moins des failles chez l’autre. À cet égard, en tant que principe de contrôle du désir, mais aussi principe de contrôle des apparences, la ???µ????? de Moschion est sans doute plus proche de la ????????? invoquée par Phèdre que de celle d’Hippolyte [6].

3Si la ???µ????? de Mochion a été associée à une forme d’égoïsme, dans la mesure où elle le conduit à privilégier la sauvegarde de son image sur toute autre considération, elle a également été perçue comme l’indice d’une relation avec son père caractérisée par la défiance. Ainsi, selon Michael Weissenberger, l’exemplarité à laquelle aspire Moschion l’empêcherait d’accéder à un rapport de confiance avec Déméas, qui lui permette d’avouer ses manquements ; au demeurant, ce souci d’exemplarité et ce déficit de confiance concomitant ne seraient pas uniquement le fait de Moschion à l’égard de son père, mais l’inverse serait également vrai, comme le suggère notamment le soin pris par Déméas à cacher sa relation avec la courtisane samienne, Chyrsis (v. 23) [7]. De leur côté, Eva Keuls et, tout récemment, Alan Sommerstein ont lié ce manque de confiance réciproque et cette insécurité affective avec le fait que Moschion est un fils adoptif [8].

4Tout en insistant sur la part d’ombre et les dérives de la ???µ????? de Moschion dans le contexte de la pièce, les différents auteurs mentionnés jusqu’ici n’ont pas été plus loin que Mette dans l’analyse du terme lui-même et de l’adjectif dont il est dérivé. À cet égard fait exception une étude d’Alain Blanchard qui tente d’éclairer la figure de Moschion à partir d’un passage de l’Éthique à Nicomaque (1109a 3-19) d’Aristote. Dans ce passage, la ????????? est opposée, en tant que vertu, tout à la fois à l’excès que constitue l’???????? et à un défaut désigné successivement par les termes ?????????? et ???µ????? [9]. Selon Blanchard, la ???µ????? désignerait donc ici « une vie trop rangée » et cette attitude de « retenue excessive » serait représentée, dans la Samienne, par Moschion ; de ce point de vue Moschion s’opposerait à son père, Déméas, qui représenterait, « avec plus ou moins de bonheur », la vertu médiane de ?????????, tandis que la courtisane Chrysis incarnerait, « au moins de façon virtuelle », l’????????. Même en admettant l’empreinte aristotélicienne sur l’œuvre de Ménandre, il paraît hardi de postuler un lien entre les deux auteurs dans l’acception d’un terme sur la base d’un seul passage et d’une seule occurrence [10]. Surtout, les difficultés auxquelles est confronté Moschion ne sont pas liées à une « vie trop rangée », mais bien plutôt, comme les commentateurs l’ont vu, à un souci excessif des apparences ; à cet égard, il n’y a d’ailleurs pas d’opposition entre le père et le fils, mais, comme nous le verrons, une préoccupation largement partagée. Pour autant, l’article de Blanchard a le mérite certain de mettre en avant l’ambiguïté des termes ???µ????? et ???µ???, une ambiguïté assurément à l’œuvre dans la ???µ????? qui caractérise Moschion. C’est donc le dossier de ces deux termes que je me propose ici de rouvrir, pour y déceler les connotations propres à éclairer la figure du jeune héros. Au préalable toutefois, il convient d’examiner les occurrences du terme ???µ??? dans la Samienne et la place qu’occupe la ???µ????? dans la relation entre Déméas et Moschion.

2 – ???µ????? et relation filiale dans la Samienne

5C’est Moschion le premier qui se qualifie de ???µ??? dans le prologue de la pièce (v. 18) ; cette qualité est présentée comme la manifestation concrète de la reconnaissance de bon ton (?????? ?????, v. 17-18) dont il a témoigné à son père ; par hypallage, c’est la ???µ????? elle-même qui est caractérisée comme une vertu conforme au bon ton des milieux citadins aisés [11]. Cette reconnaissance de Moschion constitue un terme d’échange (?????????, v. 18) à l’endroit des bienfaits qu’il a reçus de son père à partir du moment où il fut inscrit sur la liste des démotes (???? ??]???????, v. 10), c’est-à-dire à partir de l’âge de dix-huit ans. En effet, alors qu’il ne se distinguait en rien de personne (v. 10) et qu’il n’était qu’un individu quelconque (??? ?????? ??? ??, v. 11), la richesse et la générosité de son père lui ont permis de devenir un homme (????????, v. 17), en lui donnant les moyens financiers nécessaires pour conquérir une visibilité sociale. Cette visibilité, Moschion l’a gagnée à travers la démonstration des moyens dont il disposait, en assumant la charge de chorège (v. 13), en faisant preuve de munificence (??????µ??, v. 14), en élevant chiens et chevaux (v. 14-15), en revêtant avec éclat (??µ????, v. 15) la fonction de phylarque, grâce enfin à l’aide qu’il a pu apporter à ses amis (v. 16) [12].

6En tant que terme d’échange, la ???µ????? joue donc un rôle essentiel dans les rapports entre Moschion et son père, Déméas. Pour autant, la qualité de cette relation et la ???µ????? qui la garantit paraissent entamées par le poids d’une faute que porte en lui Moschion. Annoncée dès les premiers vers (?µ??????, v. 3), cette faute se révèle dans une large mesure indicible. En effet, elle n’est d’abord désignée que par le pronom neutre ????? (v. 4-5) et le récit de ses circonstances se trouve largement différé puisqu’il ne débutera qu’au vers 35, soit plus d’une cinquantaine de vers plus loin, compte tenu d’une lacune de 23 ou 24 vers entre les vers 29 et 30. Si Moschion s’étend sur les circonstances – la fête des Adonies célébrée chez lui à l’initiative de la concubine de son père, avec la participation de la femme et de la fille du voisin –, la honte (???????µ??, v. 47-48) agit comme un frein (???]? ??????, v. 47) lorsqu’il s’agit de nommer l’acte commis, et celui-ci n’est évoqué qu’à travers ses conséquences [13] : Plangon, la fille du voisin, est tombée enceinte (v. 49-50) et a tout juste (?? ?????, v. 54) accouché d’un enfant que nourrit désormais la concubine samienne de Déméas, Chrysis (v. 78, 266) [14]. Cette naissance a contraint le jeune homme à promettre d’épouser Plangon, dès le retour de son propre père (v. 52-53) parti en voyage avec Nicératos, le père de la jeune fille [15].

7Ce que le jeune homme craint d’avouer, ce n’est pas seulement ses agissements, mais bien plus encore leurs conséquences : la naissance d’un enfant et le mariage rendu de ce fait inéluctable [16] ; comme l’indique en effet son esclave, Parménon, c’est précisément l’évocation du mariage qui requiert de la part de Mochion du courage (v. 63-65). Si l’aveu de ce mariage est problématique, c’est à cause des agissements qui l’ont rendu inévitable, mais aussi parce qu’il pourrait être contraire aux projets de Déméas, à l’instar de ce qui se passe dans une autre comédie de Ménandre, le Laboureur (???????) ; dans cette pièce (v. 7-16), un jeune homme décidé à épouser la fille dont il attend un enfant découvre ainsi que son propre père a prévu à son intention un autre mariage. Dans la Samienne, Déméas risque de se montrer d’autant plus réticent que Nicératos, le père de la jeune fille, semble avoir des ressources limitées ; à la richesse du premier, suggérée par sa générosité à l’égard de son fils adoptif et peut-être par le fait même qu’il ait adopté un enfant, semblent s’opposer les moyens modestes du second [17]. De plus, quelles que soient ses ressources, Nicératos ne semble pas tenu d’offrir une dot dans la mesure où le mariage résulte d’une faute commise par le jeune homme ; en tous les cas, au terme de la pièce (v. 727-728), Nicératos tourne en dérision la dot qu’il pourrait offrir à Moschion, en promettant de lui léguer tous ses biens, c’est-à-dire sans doute bien peu de chose.

8Si l’aveu du mariage est difficile, il n’en paraît pas moins nécessaire, comme le suggère le fait que Moschion doit attendre le retour de son père pour honorer sa promesse (v. 53). De fait, l’accord et l’engagement du père du marié semblent requis dans la conclusion d’un mariage résultant d’un viol ou de relations prématrimoniales. Ce point, exprimé de façon explicite par les rhéteurs romains, peut être induit du témoignage des Frères (Adelphœ) de Térence – pièce fondée sur une comédie homonyme de Ménandre – dans laquelle Eschine se promet d’obtenir de Micion l’autorisation d’épouser la fille dont il a eu un enfant, en déposant ce dernier sur les genoux de son grand-père (v. 332-333). De même, dans une autre pièce de Ménandre, dont le titre est perdu, une partie importante de l’intrigue reposait sur un stratagème permettant d’obtenir d’un père l’autorisation pour son fils d’épouser la fille avec laquelle il avait été surpris dans une situation compromettante [18].

9Que la faute commise par Moschion constitue une brèche dans sa ???µ????? est confirmé par les deux autres emplois de l’adjectif ???µ??? dans la pièce. Dans ces deux occurrences, le terme ???µ??? est utilisé par Déméas pour qualifier son fils et pour le disculper ; car, alors même qu’il a vu de ses yeux sa propre concubine allaiter l’enfant et après avoir incidemment appris que Moschion en est le père (v. 245-248), il ne peut croire que son fils soit pour autant coupable d’?????? (v. 328) à son égard ; or cette certitude de l’innocence de Moschion – et corollairement de la culpabilité exclusive de Chrysis (v. 338) – se fonde sur le constat que son fils s’est toujours montré ???µ???, ??????? (« respectueux ») et ?????? (« maître de soi ») (v. 272-274, 343-345). Si l’hypothèse d’une séduction de Chrysis par Moschion est aux yeux de Déméas incompatible avec la ???µ????? affichée jusqu’alors par son fils, on doit alors admettre que la faute réellement commise par Moschion durant la fête des Adonies met effectivement à mal cette vertu. Dans la mesure où la faute commise entame la ???µ????? que Moschion a toujours voulu offrir à Déméas en échange de sa générosité, cela signifie qu’aux yeux du fils ses agissements coupables ne peuvent qu’entamer sa relation avec son père ; d’où la honte (v. 67) et la peur (v. 65, 69) qu’éprouve Moschion à l’égard de Déméas.

10Toutefois, malgré la brèche ouverte, la ???µ????? ne constitue certainement pas une qualité désormais délaissée par Moschion. À cet égard, l’usage même de l’imparfait au vers 18 (?? ???µ???) ne peut être invoqué pour faire de la ???µ????? de Moschion une vertu passée. La mention de la ???µ????? s’énonce ici à l’imparfait parce qu’elle s’inscrit dans une narration à travers laquelle Moschion évoque dans leur succession quatre étapes de sa vie : l’enfance (?? ???]????, v. 8), la période qui s’ouvre avec son inscription sur la liste du dème (???? ??]???????, v. 10) – c’est à cet endroit qu’il mentionne sa ???µ????? –, les événements liés à la liaison entre Déméas et Chrysis (µ??? ?????, v. 19), et finalement les événements du passé immédiat qui ont conduit à la naissance de l’enfant. Si Moschion associe sa ???µ????? et le rôle social que son père lui a permis de jouer à la deuxième étape, rien n’indique que l’étape qui suit (µ??? ?????, v. 19) mette un terme à ce rôle social ni à la ???µ????? concomitante. D’ailleurs, comme nous l’avons vu, Déméas n’a pas de doute sur la pérennité de la ???µ????? de son fils, bien au-delà d’une période particulière de sa vie. Surtout, la honte que Moschion ressent à l’égard de ses agissements (v. 47-48, 67) et sa réticence à les divulguer (v. 46) témoignent de l’emprise toujours agissante de la ???µ????? sur lui. À cet égard, comme nous le verrons, la ???µ????? n’est pas seulement le principe moral d’une vie réglée auquel Moschion cherche à rester fidèle, mais elle constitue aussi le frein à une parole qui lui permettrait de révéler d’emblée à son père ses écarts à l’égard de ce modèle. De ce point de vue, la ???µ????? est le principe même d’où découle toute l’intrigue de la pièce, tant il est vrai que cette intrigue repose précisément sur les non-dits de Moschion, sur son incapacité à révéler la vérité à son père, et sur les malentendus qui en découlent.

11Avant toutefois de s’interroger sur les valeurs sémantiques de ???µ??? dans la Samienne et sur les implications que revêt le terme dans l’interprétation de la pièce, il convient d’abord d’élargir le dossier, en cernant les valeurs sémantiques susceptibles d’être attachées aux termes ???µ??? et ???µ????? dans la littérature grecque qui précède Ménandre, principalement chez Platon et chez les orateurs attiques.

3 – Recherche sémantique autour de ???µ??? et ???µ?????

12Le lien qu’entretiennent l’adjectif ???µ??? et le substantif ???µ????? avec le nom ???µ?? n’est à l’évidence pas uniquement d’ordre étymologique, mais il éclaire la valeur sémantique qui est au cœur de ces deux termes, même s’il n’épuise pas l’ensemble des valeurs qui leur sont attachées. Chez Platon, dans la République (500c-d), sont qualifiées par l’adjectif ???µ??? les entités que contemple le philosophe, entités ordonnées (?????µ???) et immuables, ni instigatrices ni victimes d’??????, mais conformes à l’ordre et à la raison (???µ? … ??? ???? ?????). Devenu lui-même ???µ??? par la contemplation de l’ordre qui règne au sein de ces entités, le philosophe aura pour mission de l’inculquer (???????) aux hommes, à la fois dans leurs mœurs privées et dans leurs actions publiques (???? ??? ??µ????), se faisant ainsi artisan de ????????? et de ??????????. L’adjectif ???µ??? et le substantif ???µ????? impliquent ainsi le respect d’un certain ordre, à la fois dans la gestion de la vie privée et dans la gestion de la vie sociale, sans qu’il y ait d’ailleurs de coupure possible entre ces deux sphères. Par ailleurs, l’ordre auquel renvoie l’adjectif ???µ??? découle d’une construction dont l’individu peut être l’agent ou l’objet ; dans le premier cas l’ordre qui réside dans l’individu qualifié de ???µ??? résulte d’un travail d’imitation, tel que l’effectue le philosophe de la République, ou de maîtrise de soi ; dans le second cas, il est imposé à l’individu par une instance externe, qu’il s’agisse du philosophe platonicien façonnant les humains à l’image des entités ordonnées qu’il a contemplées, du pouvoir judiciaire, qui rappelle à l’ordre, ou du système démocratique qui fixe la place impartie à chacun.

3.1 – La ???µ????? comme maîtrise des désirs

13L’ordre impliqué par la ???µ?????, l’ordre de l’individu qualifié de ???µ???, c’est d’abord l’ordre qui résulte de la maîtrise des désirs. Si dans le passage de l’Éthique à Nicomaque (1109a 3-19) évoqué plus haut la ???µ????? semble se distinguer de la ????????? en tant que retrait excessif à l’égard des plaisirs, force est de constater que plusieurs textes associent étroitement les deux notions pour en faire les ressorts de la maîtrise des désirs, en opposition à l’???????? [19]. Il en est notamment ainsi dans le Gorgias (493c-494a) de Platon, lorsque Socrate oppose au modèle de vie prôné par Calliclès, fondé sur la satisfaction de désirs insatiables (????????) et débridés (?????????), une vie qui se satisfait de ce qui s’offre à elle. Cette manière de vivre, qualifiée par les adjectifs ???µ??? et ??????, est le fruit d’une âme qui sera elle-même qualifiée de ???µ?? (506e), dans la mesure où elle possède en elle un ordre (???µ??). La notion de maîtrise au cœur de la ???µ?????, comme de la ?????????, apparaît explicitement dans un passage du Phèdre (256b) qui qualifie de ???µ??? les individus maîtres d’eux-mêmes (????????? ?????) et qui ont asservi (???????µ????) ce qui fait naître le vice (?????) dans l’âme. De même, pour le sophiste Antiphon (fr. 59 Diels-Kranz), c’est en vainquant (??????) ce qui est honteux (?? ??????) et mauvais (?? ????) que l’on se révèle ???µ??? et ??????. Chez Lysias (XXI, 19), les deux mêmes adjectifs qualifient l’individu qui ne se laisse pas vaincre (?????????) par le plaisir (?????) et exciter par l’appât du gain (??????).

14Ce refus du ?????? suggère qu’à l’idée de maîtrise peuvent être associées les notions de mesure et de simplicité dans le mode de vie. Ainsi chez Platon, dans la République (560d), une dépense (??????) qualifiée de ???µ?? est synonyme de mesure (µ????????) ; dans le Critias (112c), les Athéniens de l’âge précédant les déluges cherchent à se maintenir dans une position intermédiaire (?? µ????) entre l’étalage des moyens (??????????) et la pingrerie (???????????), en construisant des maisons qualifiées de ???µ???. Chez Isocrate (XV, 228), en deçà même du juste milieu, vivre d’une manière qualifiée par l’adverbe superlatif ???µ??????, c’est vivre au jour le jour (???? ?µ????) de la manière la plus modeste (???????????). Dans le Ploutos d’Aristophane (v. 563-564), Pauvreté elle-même prétend cohabiter avec la ???µ?????.

3.2 – La ???µ????? entre vertu démocratique et désengagement politique

15La maîtrise des plaisirs et le maintien du juste milieu auxquels la ???µ????? fait référence ne relèvent pas uniquement de la gestion de la vie privée, mais – nous l’avons dit – elles revêtent également une dimension sociale et politique, sans qu’il y ait solution de continuité entre les deux sphères. Dans un passage déjà cité de Lysias (XXI, 19), le prévenu face à ses juges distingue ce qui relève de la sphère publique – en faisant référence aux liturgies qu’il a assumées (?? ??µ????? ??????????) – de ce qui constitue sa vie privée (?? ???? ????????µ???), mais cette opposition s’estompe aussitôt lorsqu’il souligne que la liturgie la plus exigeante (???????????) est celle qui consiste à rester toujours ???µ??? et ??????, sans se laisser vaincre par les plaisirs [20]. L’emploi métaphorique de la notion de liturgie suggère que la ???µ????? est une qualité qui revêt une dimension civique.

16De façon générale, la ???µ????? contribue à ce que chacun se maintienne à la place qui lui revient, sans mettre à mal les liens sociaux par des excès ; à cet égard la ???µ????? s’oppose à la ?????????, à la volonté d’avoir plus, dont Calliclès donne l’exemple dans le Gorgias (508a). Dans le Ménon (90a), le père d’Anytos, Anthémion, bien que riche, a su rester ???µ??? et garder une certaine modestie dans son train de vie (????????) ; à travers cette double qualification, Anthémion se démarque du citoyen caractérisé à l’inverse par le dépassement (??????????) et le trop plein (???????), et qui, par la place excessive qu’il cherche à occuper, devient lourd à supporter (???????) [21].

17En tant que vertu civique conduisant l’individu à se maintenir à sa juste place, la ???µ????? peut être associée à la notion d’obéissance aux lois et aux ordres. Selon une citation de Démocrite (fr. 47 Diels-Kranz), être ???µ??? c’est s’incliner (??????) devant la loi, devant le magistrat ou devant plus sage que soi. Dans son Contre Ératosthène (20), Lysias rappelle tous les services rendus par les membres de sa famille à la cité démocratique – versement de contributions, financement de chorégies et de rançons –, et il relève qu’ils se sont toujours montrés ???µ???, en faisant tout ce qui était prescrit (??? ?? ?????????µ????) [22]. Dès lors, l’homme ???µ??? trouve son opposé non seulement dans l’individu difficile à supporter par la place qu’il prétend occuper, mais aussi dans celui dont les prétentions le font tomber dans l’injustice et la transgression. Ainsi, chez Platon, dans la République (486b), l’homme ???µ??? qui occupe un juste milieu en résistant à l’appât du gain et à la vantardise s’oppose à l’individu injuste (??????) et qui peine à nouer des liens sociaux (?????µ?????) ; à l’inverse, chez Aristophane, l’homme ???µ??? peut être qualifié de ??????? et la ???µ????? associée à la ?????????? [23].

18À l’?????? s’oppose donc la ???µ?????, vertu vers laquelle la sanction doit ramener celui qui sort des limites qui lui sont assignées. Ainsi, selon le récit que fait Aristophane dans le Banquet de Platon, la décision de Zeus de couper en deux les hommes des temps anciens se justifie par la nécessité de les rendre ???µ??????? (190e) suite à leur tentative d’ascension du ciel (190b-c). Chez Démosthène (Contre Boiotos I, 14), l’amende doit rendre ???µ??? celui qui abuse (?????????) en commettant des actes illégaux. De façon plus large, c’est l’ensemble des citoyens que la sanction pénale, du fait de son caractère exemplaire, doit ramener vers la ???µ?????. Dans le Contre Lochitès d’Isocrate (XX, 18), le plaignant appelle ainsi de ses vœux le châtiment le plus sévère possible à l’égard de celui qui l’a frappé, afin de renforcer la ???µ????? de ses concitoyens et, par là même, la sécurité de tous [24].

19Si la qualification juridique de l’acte commis par Lochitès est celle d’????? (§ 5), « voie de fait », tout le discours du plaignant vise à assimiler les coups reçus à un acte d’????? – un outrage visant à blesser l’honneur d’autrui pour le seul plaisir du sentiment de supériorité qui en résulte, selon la définition aristotélicienne ; à cet égard, l’?????, en tant qu’affirmation de sa propre supériorité par la mise à mal de l’honneur d’autrui, s’oppose bien à la ???µ????? [25]. Dès lors, même si l’action judiciaire contre Lochitès découle de la plainte déposée par la victime, le geste incriminé relève d’une procédure de ?????, laquelle autorise tout citoyen à porter plainte, comme le discours lui-même le rappelle (§ 2). En donnant à la violence infligée le statut d’?????, Isocrate lui confère donc un statut public et, pour tout dire, politique. De fait, après avoir souligné que l’institution de lois protégeant l’intégrité physique des citoyens est indissociable de la démocratie (§ 1), le réquisitoire fait des actes commis par Lochitès la marque distinctive des régimes oligarchiques, tels qu’Athènes les a connus à deux reprises (§ 10) ; et si l’accusé est trop jeune pour avoir été impliqué dans ces régimes, du moins son caractère (??????) et sa nature (?????) sont-ils en accord avec ce type de ????????. Dès lors, par contraste, la ???µ????? que la peine infligée à Lochitès doit insuffler chez le restant des citoyens apparaît bien comme une vertu démocratique, dans la mesure où elle caractérise le citoyen qui n’outrepasse pas ses droits et la place qui lui est impartie [26].

20Toutefois, poussée à un degré supérieur, la ???µ????? en vient à caractériser le citoyen qui ne s’occupe que de ses propres affaires (?? ?????? ????????) et, à ce titre, elle semble devenir le propre d’un comportement apolitique [27]. Cependant, même ainsi définie, la ???µ????? peut être encore invoquée comme gage de respect des institutions démocratiques, lorsqu’il s’agit de se défendre contre des accusations de collusion avec le régime des Trente. Ainsi dans le discours de Lysias dirigé contre Evandros (XXVI, 3), la défense de ce dernier à l’égard de telles accusations passe par l’affirmation qu’il est un homme ???µ???, qui ne fait que de s’occuper de ses propres affaires [28].

21En tant que synonyme de retrait par rapport à la vie publique et de repli sur ses propres affaires, la ???µ????? peut aller de pair avec la notion de « tranquillité » [29]. Ainsi la ???µ????? revendiquée par Evandros trouve un écho, quelques lignes plus bas (§ 5), dans le terme ?????????. De même, dans un passage du Politique de Platon (307e), l’Étranger indique que les gens « extrêmement modérés » (??????????? ???µ???) sont disposés à vivre une vie toujours tranquille (??????), s’occupant seuls pour eux-mêmes de leurs propres affaires (????? ???? ?????? µ???? ?? ??????? ????? ??????????) ; le caractère redondant de l’expression vient souligner le repli extrême dont la ???µ????? et l’????????? sont ici synonymes. Chez Isocrate (XV, 227-228), la ???µ????? et la simplicité qui caractérisent le mode de vie des étrangers installés sur le sol athénien s’accompagnent de la plus grande des tranquillités (??????? ??????) et d’un retrait des affaires qui leur vaut d’être qualifiés d’?????µ????????? ; définissant le comportement d’individus qui, par définition, sont dépourvus de droits politiques – les métèques, ???µ????? et ????????? apparaissent ici comme des vertus proprement apolitiques [30].

3.3 – Le féminin et la ???µ?????

22Outre son lien avec les métèques, la ???µ????? peut être associée à une autre catégorie dépourvue de droits politiques : les femmes. Dans la Politique (1277b 23), Aristote, opérant une distinction entre ????????? masculine et ????????? féminine, associe la ????????? tout à la fois à la ???µ????? et au silence, lorsque, pour justifier sa distinction, il relève qu’une femme semblerait bavarde si elle était ???µ??? à la façon d’un homme. Ce passage aristotélicien nous permet d’introduire un critère de genre dans les connotations liées à la notion de ???µ?????. Il apparaît en effet ici que le silence attaché à la ???µ????? et à la ????????? connaît des degrés différents et trouve son niveau le plus élevé chez les femmes [31]. Dès lors, tout se passe comme si la ????????? et la ???µ????? elles-mêmes trouvaient leur accomplissement ultime chez les femmes. Cette interprétation est confirmée par la distinction qu’Aristote fait en parallèle entre une ??????? masculine et une ??????? féminine, distinction qu’il justifie en affirmant qu’un homme paraîtrait lâche (??????) s’il était ???????? à la façon d’une femme. La ???µ?????, associée à la ?????????, se situe ainsi du côté du féminin, alors que l’??????? ne s’accomplit pleinement que chez l’homme.

23On retrouve dans la dernière partie du Politique de Platon une opposition entre l’??????? et la ?????????, associée à la ???µ?????. Fondée sur la rapidité, la force et la vivacité de la pensée, du corps et de la voix (306e), l’??????? apparaît comme le moteur de l’action, alors que la ???µ????? est fondée sur la tranquillité, la douceur, la lenteur (307a-b). Se manifestant hors de propos ou de manière exagérée, l’??????? peut conduire à des comportements outranciers et fous, et à des guerres incessantes et funestes pour la cité, alors qu’une ???µ????? poussée trop loin conduit à la lâcheté et à l’inertie, à une inaptitude à la guerre qui conduit tout droit la cité à l’esclavage [32]. Si ce n’est le terme même d’??????? qui renvoie à la masculinité, il n’est pas ici d’opposition explicite entre un principe masculin et un principe féminin. Pour trouver cette opposition explicitée, il suffit néanmoins de se tourner du côté des Lois, dans un passage du livre VII (802e) consacré à la réglementation musicale. Parmi les prescriptions recommandées par l’Athénien figure une distinction entre les chants convenant aux hommes et ceux convenant aux femmes. La distinction entre ces deux catégories de chants se fera en fonction d’une différence de nature entre les sexes, en vertu de laquelle la magnanimité (?? µ???????????) et le penchant vers l’??????? sont des qualités masculines (?????????), alors qu’une inclination vers la ???µ????? et la ????????? appartient plutôt à la femme (??????????????) [33].

4 – La ???µ????? et ses parts d’ombre dans la Samienne

24Dans quelle mesure ce long parcours à travers les valeurs sémantiques assumées par la ???µ????? permet-il d’éclairer la figure de Moschion dans la Samienne de Ménandre ? Lorsque Moschion se qualifie de ???µ???, lorsque son père qualifie son fils de la même manière, quelles valeurs sémantiques se trouvent-elles actualisées ?

25Au cœur de la ???µ????? de Moschion se situe sans doute la maîtrise des désirs, et c’est par rapport à cette maîtrise que la faute commise constitue manifestement une rupture. Comme nous l’avons vu, la ???µ?????, en tant que maîtrise des désirs, est une qualité qui conduit du même coup l’individu à se maintenir à la place qui lui revient, sans mettre à mal les liens sociaux par des prétentions excessives. À cet égard, la ???µ????? de Moschion revêt assurément aussi une dimension sociale et conditionne ses rapports avec autrui. Cette dimension relationnelle de la ???µ????? est soulignée par Déméas, lorsqu’il affirme que son fils est ???µ??? à l’égard de tous les autres (??? ??????? ???? ??????????) et qu’il ne peut pas ne pas l’être vis-à-vis de lui, son père (v. 343-345). Nouer une relation avec la concubine de son propre père eût été pour Moschion sortir de la place qui lui était impartie et aller à l’encontre de sa ???µ?????.

26Quant aux relations proprement sociales que noue Moschion, à l’extérieur de la famille, sans doute sont-elles caractérisées par la ???µ?????, dans la mesure où le jeune homme a su faire un usage mesuré de son argent et de sa position, sans chercher à en tirer des avantages excessifs. Si par sa ???µ?????, Moschion témoigne à son père sa reconnaissance pour la position sociale que son argent lui permet d’occuper, cette même ???µ????? doit le prémunir contre les excès auxquels cet argent pourrait le conduire. Ainsi dans le prologue, tout en indiquant qu’il est venu en aide à ses amis, Moschion prend soin de noter qu’il l’a fait de façon mesurée (?? µ?????, v. 16) [34]. On notera d’ailleurs ici une différence sensible entre la ???µ????? de Moschion et celle invoquée chez les orateurs. Comme nous l’avons noté, chez ceux-ci la mention de la ???µ????? est souvent liée à la mention de liturgies et de contributions financières, ces liturgies et ces contributions étant présentées comme la preuve d’un attachement aux devoirs civiques. Chez Moschion, les liturgies et les dépenses qu’il mentionne dans le prologue ne sont pas présentées comme répondant à un sens du devoir civique, ni comme résultant d’une obéissance aux nécessités de la vie en cité, mais elles constituent d’abord, comme nous l’avons noté, un moyen de reconnaissance sociale pour celui qui paie ; dès lors la ???µ????? agit comme une forme de compensation à l’égard de cette démonstration de moyens financiers, et non pas comme le principe qui serait à son origine. Si la ???µ????? participe ainsi de cette « politica della convivenza » que l’on a voulu voir à l’œuvre dans les comédies de Ménandre, sa fonction pourrait être dès lors rapprochée de celle des lois somptuaires attribuées à Démétrios de Phalère [35]. Si la seule réglementation de cette nature explicitement attribuée à Démétrios concerne les funérailles et les monuments funéraires, Athénée cite toutefois plusieurs auteurs contemporains de Démétrios, dont Ménandre, qui se réfèrent à une « nouvelle loi » (??µ?? ??????) fixant le nombre maximum d’invités dans les banquets et repas [36].

27Ainsi donc, lorsque Moschion se qualifie de ???µ??? et lorsque son père confirme cette qualification, il ne fait pas de doute que la ???µ????? soit dans leur esprit une vertu qui définit un individu à la fois maître de ses désirs, conscient des limites que la société lui impose et respectueux de la place occupée par les autres. Pour autant, Moschion n’est assurément pas un personnage entièrement vertueux. Comme nous l’avons vu, ce qui caractérise le jeune homme, c’est une forme de lâcheté (??????, v. 65) qui le conduit à vouloir maintenir cachée (??????, v. 529) la vérité (???????, v. 525), avec son esclave, Parménon, comme complice de ses secrets (???????????, v. 308, ??? ?????????? ?? ??????, v. 478). À travers cette difficulté à révéler la vérité se manifeste une difficulté à agir en homme, en ????. Ainsi Parménon enjoint-il à Moschion de se montrer ???????? (v. 64-65) en osant aborder avec Déméas la question de son mariage, avant de le traiter de « femmelette » (??????????, v. 69) lorsque le jeune homme lui fait part de ses craintes. Cette difficulté à agir en homme réapparaît dans le dernier acte, lorsque Moschion admet qu’il ne pourra partir réellement comme mercenaire en Bactriane ou en Carie, pour faire payer à son père les fausses accusations qu’il a faites à son endroit (v. 616-632) ; désormais trop d’obstacles l’empêchent de mettre à exécution cette menace, à commencer par sa promesse de mariage, et il doit reconnaître qu’il ne pourra rien faire d’???????? (v. 631-632). Tout juste pourra-t-il faire croire à son départ, rendre croyable (???????, v. 667) ce qu’il ne peut faire réellement, en revêtant une chlamyde et en portant l’épée ; tout juste pourra-t-il donc faire semblant, en invoquant le dieu du théâtre, Dionysos (v. 668), dans l’espoir que son jeu fasse illusion. Qu’il s’agisse d’accéder au mariage en demandant l’assentiment de son père ou de partir sur le champ de bataille, Moschion semble rencontrer les mêmes difficultés à devenir homme. À cet égard, notons ici que lorsque Moschion évoque l’homme qu’il est devenu grâce à son père, il utilise le terme ???????? (v. 17) et non pas ???? ; Moschion évoque sa condition humaine qu’il réalise pleinement grâce à ses richesses, sans que la masculinité soit prise en compte dans cette condition. Au demeurant, les doutes relatifs au statut d’???? de Moschion, peuvent également se nourrir de l’intrusion initiale du personnage dans l’univers exclusivement féminin des Adonies [37].

28Dans sa propension à taire la vérité et dans sa difficulté à agir en ????, sans doute Moschion ne fait-il que suivre l’exemple de son père adoptif. Car Déméas a non seulement cherché par le passé à cacher (???????, v. 23) la relation qu’il avait nouée avec la courtisane samienne, mais dans le développement même de la pièce, il cherche également à dissimuler la vérité qu’il croit avoir découverte, à savoir que le bébé nourri par Chrysis serait né de l’union fautive entre celle-ci et Moschion. Ce malheur (?????µ?), Déméas se fait fort de le cacher « à cause de son fils » (??? ??? ???, v. 352), c’est-à-dire pour protéger sa réputation et ne pas lui imputer un acte qui pourrait compromettre le mariage prévu avec Plangon. Si Chrysis, qui seule peut être coupable (v. 338), doit être chassée, Déméas se fait fort de cacher la véritable raison de cette expulsion, en invoquant comme prétexte (????????, v. 354) le fait qu’elle a pris soin (????????, v. 355) d’un bébé qui aurait dû être exposé. C’est encore pour ménager les apparences et permettre l’accomplissement du mariage que Déméas se montre prêt à cacher sa colère – à « ravaler sa bile » (???????? ??? ?????, v. 447) – et prie Apollon de l’aider à ne se révéler à personne (v. 448). Et lorsque Moschion reconnaît sa paternité, provoquant ainsi la fureur de Nikératos, Déméas ne manque pas de lui reprocher d’avoir rendu toutes les choses visibles (????? ????????, v. 500) [38].

29À travers cette tendance dissimulatrice c’est ici également la capacité de Déméas à agir en ???? qui est mise en cause. Sans doute Déméas veut-il se comporter comme un homme (??? ????? ??? ?????, v. 349-350), lorsqu’il décide de chasser Chrysis de chez lui ; la masculinité revendiquée par Déméas réside dans sa capacité à dominer son désir (?????) et son amour (v. 350) [39]. Pour autant, comme nous l’avons vu, la véritable raison de cette expulsion doit être cachée et ce défaut de transparence sera interprété par Nicératos précisément comme une incapacité à agir en homme. En effet, lorsque ce dernier apprend la liaison supposée entre Moschion et Chrysis, et la naissance d’un enfant qui en aurait résulté, il traite Déméas d’« esclave » (v. 506) ; si le substantif ?????????? se substitue au terme ?????????? par lequel Parménon qualifiait Moschion (v. 69), si la servilité plutôt que le caractère efféminé se trouve ainsi mise en évidence, c’est pourtant bien toujours la qualité d’???? et donc la masculinité inhérente à ce terme qui sont contestées. En témoigne le choix d’un substantif neutre (??????????) qui se démarque d’autant mieux du masculin ???? qu’il en est dérivé. De manière plus explicite, Nicératos oppose l’?????????? qui se révèle en Déméas à l’???? que lui-même aurait été s’il avait été confronté à la même situation. En effet, loin d’essayer de cacher les faits, il aurait vendu sa concubine, avant de renier publiquement (??????????????, v. 509) et de poursuivre en justice (?????????, v. 513) son fils ; ainsi, dès l’aube, dans toutes les boutiques de barbiers et tous les portiques, chacun aurait pu reconnaître dans la réaction de Nicératos une façon d’agir digne d’un ???? (v. 510-513). Être un ????, c’est donc réagir à travers une parole et des actes publics qui fassent connaître à tous la vérité, loin de toute dissimulation [40]. Pour autant, on notera que si Déméas, comme Moschion, est du côté d’une retenue excessive, Nikératos, à travers son expression hyperbolique, manifeste une forme d’excès inverse.

30Or, sans doute la ???µ????? de Moschion n’est-elle pas étrangère à cette propension à la dissimulation qui le caractérise, lui et son père, et sans doute revêt-elle à cet égard une première part d’ombre. En effet, du côté du fils comme du côté du père, la dissimulation est alimentée par la volonté de préserver sinon la ???µ????? elle-même, du moins l’image de ???µ????? attachée à Moschion et constitutive du rapport qu’il entretient avec son père. Il se pourrait toutefois que ce ne soit pas le seul souci de préserver cette image qui nourrisse la volonté de dissimulation, mais que la ???µ????? elle-même, en creux, y contribue. Comme nous l’avons vu, si l’on en croit l’Étranger dans le Politique de Platon, la ???µ?????, dans ses excès, peut conduire à la lâcheté et à l’indolence (307c), par opposition à l’???????, dont l’un des termes associés est la ???µ? (310e), l’audace. Dans le cas particulier, la lâcheté de Moschion se manifeste dans cette incapacité à dire la vérité ; on notera à cet égard que le seul moment où Moschion fait preuve de ???µ? (v. 483), c’est lorsqu’il assume ouvertement, face à son père, sa paternité. La ???µ? de Moschion, qui le conduit à oser dire, pourrait ainsi s’opposer à la ???µ????? qui l’empêche de dire et le conduit à dissimuler.

31De cette première part d’ombre attachée à la ???µ????? en découlent deux autres. D’une part, comme nous l’avons relevé, la ???µ?????, dans son opposition à l’??????? et à l’audace, peut être associée au genre féminin ; or, pareille association peut se retrouver dans la difficulté de Moschion à agir en homme, en ???? [41]. D’autre part, d’un point de vue politique, nombre de textes mentionnés précédemment font de la ???µ????? une vertu démocratique. Dans le même temps pourtant, comme nous l’avons noté, la ???µ????? peut être synonyme de retrait par rapport à la vie publique et de repli sur ses propres affaires ; à cet égard, si elle sert de garde-fou à l’égard de sentiments oligarchiques qui pourraient se nourrir de l’appartenance aux catégories sociales les plus aisées, elle entraîne dans le même temps une forme de réticence à entrer dans le jeu de la vie démocratique [42]. Perceptible dans la figure de Moschion, cette réticence se dessine avec davantage de netteté chez son père, Déméas, à travers le contraste offert par Nikératos, lorsque ce dernier affirme a contrario la nécessité d’une parole publique ; le contraste est d’autant plus net que cette affirmation s’exprime elle-même sur un mode excessif.

32Au final, ce sont donc bien les failles et les ambiguïtés de la ???µ????? que dessine en filigrane la Samienne. Principe de maîtrise des désirs, elle ne permet pourtant pas à Moschion d’éviter la relation illégitime qui est à la source de l’intrigue. Principe régulateur des rapports sociaux, dans la mesure où elle sert de garde-fou contre toute forme d’arrogance politique et financière, la ???µ????? véhicule dans le même temps des valeurs sémantiques susceptibles d’être associées à la difficulté de Moschion, comme de son père, à assumer une parole publique qui fasse d’eux de véritables ??????. À la fois comme garde-fou contre l’arrogance politico-financière et comme frein à la parole publique, la ???µ????? apparaît sans doute également comme la marque d’une appartenance sociale [43] ; si elle est un instrument de prévention des conflits sociaux, elle signe donc aussi la différence sociale qui sépare Moschion et son père de celui qui, par les excès de sa parole, se situe à l’opposé de la ???µ?????, Nikératos. Tout cela n’est que suggéré, esquissé, dessiné en filigrane, car la poétique de Ménandre est aussi une poétique de la retenue, une poétique de la ???µ?????.


Date de mise en ligne : 30/05/2014

https://doi.org/10.3917/phil.861.0123

Notes

  • [1]
    Mes remerciements vont aux membres du comité de rédaction de la Revue de philologie pour leurs remarques précises et avisées, ainsi qu’au Professeur Alan Sommerstein qui m’a généreusement donné accès à son commentaire de la Samienne (Cambridge, 2013) avant même sa publication.
  • [2]
    Hermes, 97, 1969, p. 432-439. L’adjectif ???µ??? et l’adverbe ???µ??? sont attestés dans trois autres comédies de Ménandre : Her. 40, Georg. 42, Pk. 349.
  • [3]
    Ménandre, La Samienne, éd. J.-M. Jacques, 2e éd., Paris, 1989 (1971), p. XXXI. Pour une vision idéalisée de la relation entre Moschion et Déméas, voir encore H. Lloyd-Jones, « Menanders’s Samia in the Light of New Evidence », YClS, 22, 1972, p. 119-144 : « Each is devoted to the other, and the devotion of each triumphantly surmonts every test to which it is exposed by the farcical concatenation of events » (p. 143).
  • [4]
    M. Treu, « Humane Handlungsmotive in der Samia Menanders », RhM, 112, 1969, p. 230-254 (en particulier p. 249-252).
  • [5]
    S. West, « Notes on the Samia », ZPE, 88, 1991, p. 11-23 (en particulier p. 19-22, avec référence à l’article de Treu, p. 19 n. 42). Sans référence explicite à la ???µ?????, voir aussi E. Masaracchia, « Il quinto atto della Samia menandrea », Helikon, 18-19, 1978-1979, p. 258-275 : « Quello che conta è la rispettabilità sociale alla quale vanno sacrificati creature umane e sentimenti » (p. 266). Parmi les points de vue critiques sur le personnage de Moschion et sur son incapacité à reconnaître ses fautes, voir encore W.S. Anderson, « The Ending of the Samia and Other Menandrian Comedies », dans Studi classici in onore di Quintino Cataudella, vol. II, Catane, 1972, p. 155-179 (en particulier p. 156-161 ; « all the complications of the play arise from Moschion’s inability to admit the truth to Demeas », p. 156) ; Menandro, La donna di Samo, éd. M. Lamagna, Naples, 1998 : « L’intera vicenda è stata avviata dall’incapacità di rendere conto al padre del sui operato, perché esso si collocava al di fuori dei canoni di perfezione su cui era stato fondato il loro rapporto » (p. 58).
  • [6]
    Ce rapprochement est suggéré par West, « Notes » (cit. n. 5), p. 22. Voir en particulier E., Hipp. 393-404, où Phèdre mentionne la ????????? (v. 399), entre le silence (v. 394) et le suicide (v. 401), comme moyen de vaincre sa folie (?????) et d’éviter ainsi de commettre des actes honteux sous le regard d’autrui (v. 403-404). Dans l’abondante littérature consacrée à la ????????? dans l’Hippolyte, voir en particulier la bonne analyse d’A. Rademaker, Sophrosyne and The Rhetoric of Self-Restraint. Polysemy and Persuasive Use of an Ancient Greek Value Term, Leiden-Boston, 2005, p. 163-173. Sur la relation intertextuelle, souvent mise en avant, entre l’Hippolyte et la Samienne, voir notamment A. Katsouris, Tragic Patterns in Menander, Athènes, 1975, p. 131-135, Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 64-67, les remarques plus réservées (à juste titre) de C. Cusset, Ménandre ou la comédie tragique, Paris, 2003, p. 165-168, R. Omitowoju, « Performing Traditions : Relations and Relationships in Menander and Tragedy », dans A.K. Petrides & S. Papaioannou (éd.), New Perspectives on Postclassical Comedy, Cambridge, 2010, p. 125-145, et en dernier lieu A. Sommerstein, Menander. Samia, Cambridge, 2013, p. 36-40, qui montre bien tout à la fois les convergences et les écarts entre les deux pièces.
  • [7]
    M. Weissenberger, « Vater-Sohn-Beziehung und Komödienhandlung in Menanders “Samia” », Hermes, 119, 1991, p. 415-434 (« das fundamentale Defizit der Beziehung zwischen Demeas und Moschion liegt (…) im Kern ihres Wesens selbst, d.h. in ihrer Vorbildlichkeit », p. 421). Le manque de confiance entre père et fils est déjà relevé par Jacques, Samienne (cit. n. 3), p. XXXVIII, W. Ludwig, dans E.G. Turner (dir.), Ménandre. Entretiens sur l’Antiquité classique, vol. XVI, Genève, 1970, p. 174 : « Der Mangel an Vertrauen und Aufrichtigkeit auf Seiten der im übrigen immer gut meinenden Personen versursacht die Verwicklungen der dramatischen Handlung ». Sur le manque de confiance réciproque entre Déméas et Moschion, voir également J.N. Grant, « The Father-Son Relationship and the Ending of Menander’s Samia », Phoenix, 40, 1986, p. 172-184 (p. 183).
  • [8]
    E. Keuls, « The Samia of Menander. An Interpretation of its Plot and Theme », ZPE, 10, 1973, p. 1-20, Sommerstein, Samia (cit. n. 6), p. 14-16 ; contra : Weissenberger, « Vater-Sohn-Beziehung » (cit. n. 7), p. 416. Dans ce qui nous est conservé de la pièce, le statut de fils adoptif de Moschion est mentionné aux vers 346 et 698-699.
  • [9]
    A. Blanchard, « Moschion ? ???µ??? et l’interprétation de la Samienne de Ménandre », REG, 115, 2002, p. 58-74 (cf. La comédie de Ménandre. Politique, éthique, esthétique, Paris, 2007, p. 101 et 105). Cette position de la ???µ????? au rang des défauts n’est pas sans faire difficulté aux yeux de certains commentateurs ; ainsi R.-A. Gauthier & J.-Y. Jolif, L’Éthique à Nicomaque. Introduction, traduction et commentaire, 2e éd., Louvain-Paris, 1970 (1958-1959), vol. 2, p. 164 : « il est certain qu’on s’attendrait à trouver un nom de vice, et que la kosmiotès ne peut désigner qu’une disposition louable ». De façon plus radicale, comme le rappelle Blanchard, « Moschion », p. 66, Leonhard Spengel, en 1863, avait proposé de supprimer la mention de la ???µ????? dans ce passage.
  • [10]
    La thèse de la ????????? comme moyen terme entre ???????? et ???µ????? se retrouve dans les Magna Moralia (1186b 25-32), œuvre toutefois souvent considérée comme postérieure à Aristote. Dans la Politique (1277b 20-23), l’adjectif ???µ??? est en revanche clairement situé du côté de la ?????????.
  • [11]
    Sur l’adjectif ???????, voir les commentaires de H.-D. Blume, Menanders « Samia » , Darmstadt, 1974, p. 10-11, et Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 186.
  • [12]
    Sur la possibilité pour un jeune homme d’assumer les fonctions de chorège et de phylarque, voir les commentaires de A.W. Gomme & F.H. Sandbach, Menander. A Commentary, Oxford, 1973, p. 546-547, Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 184-186, Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad v. 13 et 15. La suppression de la chorégie comme liturgie et son remplacement par l’??????????, traditionnellement attribuée à Démétrios de Phalère, a été récemment associée, à l’inverse, à sa chute et à l’avènement, en 307, d’un nouveau régime, sous l’impulsion de Démétrios Poliorcète ; voir en ce sens L. O’Sullivan, The Regime of Demetrius of Phalerum in Athens, 317-307 BCE. A Philosopher in Politics, Leyde-Boston, 2009, p. 168-185, et de même, avec d’autres arguments, P. Wilson & E. Csapo, « Le passage de la chorégie à l’agonothésie à Athènes à la fin du IVe siècle », dans B. Le Guen (éd.), L’Argent dans les concours du monde grec, Paris, 2010, p. 83-105.
  • [13]
    Comme le relève R. Omotiwoju, Rape and the Politics of Consent in Classical Athens, Cambridge, 2002, p. 199, rien n’indique si la relation avec Plangon est consentie ou non ; cette remarque va dans le sens de la thèse défendue dans son livre, selon laquelle la question du consentement n’est pas pertinente, idéologiquement et juridiquement, dans l’Athènes classique (thèse contestée avec vigueur par A. Sommerstein, « Rape and Consent in Athenian Tragedy », dans D.L. Cairns & V. Liapis (éd.), Dionysalexandros. Essays on Aeschylus and His Fellow Tragedians in Honour of A.F. Garvie, Swansea, 1996, p. 233-251). Par ailleurs, comme le relève notamment C. Cusset, « La fille d’à côté. Symbolique de l’espace et sens du voisinage dans la Samienne de Ménandre », Pallas, 54, 2000, p. 207-228 (p. 217), la honte éprouvée par Moschion répond à la honte éprouvée par son père (????????, v. 23) au moment où s’est nouée sa relation avec Chrysis.
  • [14]
    Selon l’interprétation proposée déjà par les premiers éditeurs et défendue notamment par F.H. Sandbach, « Two Notes on Menander (Epitrepontes and Samia) », LCM, 11, 1986, p. 156-160, si Chrysis est en mesure d’allaiter l’enfant, c’est qu’elle aurait elle-même accouché d’un bébé, qui serait sans doute mort à sa naissance ; une coïncidence à laquelle ferait référence l’expression ???] ?????µ???? du v. 55. Cette interprétation a été contestée par Ch. Dedoussi, « The Samia », dans Turner (dir.), Ménandre (cit. n. 7), p. 159-180 (p. 162 et 177), et « The Future of Plangon’s Child in Menander’s Samia », LCM, 13, 1988, p. 39-42 ; selon elle, Chrysis n’allaiterait pas l’enfant de Plangon, comme le croit Déméas (v. 266), mais elle ne ferait que le calmer en le tenant contre sa poitrine. La première interprétation est réaffirmée aussi bien par Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 200-202, que par Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad. v. 55-56.
  • [15]
    Sur ce type d’intrigue dans la comédie nouvelle et romaine, voir V.J. Rosivach, When a Young Man Falls in Love. The Sexual Exploitation of Women in New Comedy, Londres, 1998, p. 14-23. Sur la base de ce type d’intrigues, on a pu raisonnablement supposer que des rapports sexuels prématrimoniaux, surtout s’ils aboutissaient à la naissance d’un enfant, pouvaient donner lieu à un mariage, en lieu et place d’une action judiciaire. Voir en ce sens notamment A.R.W. Harrison, The Law of Athens, vol. 1, Oxford, 1968, p. 19 (avec à l’appui Plaut., Aul. 792-795 et Ter., Andr. 780-781, qui font du mariage dans une telle situation une obligation légale ; voir encore Ter., Adel. 348-349), et en dernier lieu E.M. Harris, « Did Rape Exist in Classical Athens ? Further Reflections on the Laws About Sexual Violence », Dike, 7, 2004, p. 41-83 ; ce dernier cite (p. 50, 75) comme parallèle contemporain la législation péruvienne qui, jusqu’en 1997, permettait à un homme coupable de viol d’échapper à des poursuites s’il proposait d’épouser sa victime et si celle-ci acceptait. De même l’article 475 du code pénal marocain (abrogé en janvier 2014) protégeait le violeur d’une mineure, à condition qu’il l’épouse ; au mois de mars 2012, le suicide d’une jeune Marocaine, obligée d’épouser son violeur en vertu de cet article (cf. Le Monde, 23 mars 2012), nous rappelle les conséquences tragiques de ce type de législation, bien loin des happy end de la comédie nouvelle, tributaires des lois du genre et d’un point de vue exclusivement masculin. Si ce type d’intrigue peut avoir un rapport avec la réalité institutionnelle, sa diffusion dans la comédie nouvelle en fait également un trait conventionnel propre au genre ; voir en ce sens K.F. Pierce, « The Portrayal of Rape in New Comedy », dans S. Deacy & K.F. Pierce (éd.), Rape in Antiquity. Sexual Violence in the Greek and Roman Worlds, Londres, 1997, p. 163-184 (p. 178), et M. Leisner-Jensen, « “Vis comica”. Consummated Rape in Greek and Roman New Comedy », C&M, 53, 2002, p. 173-196 (p. 191-196).
  • [16]
    Ce point est relevé par Omitowoju, Rape (cit. n. 13), p. 200-201.
  • [17]
    Sur le lien entre adoption et richesse, voir les conclusions prudentes de L. Rubinstein, Adoption in IV. Century Athens, Copenhague, 1983, p. 29. À propos de Déméas, S. Lape, Reproducing Athens. Menander’s Comedy, Democratic Culture and the Hellenistic City, Princeton-Oxford, 2004, p. 140, note que « living with a hetaira carried overtones of elitism because it was an arrangement not available to every citizen and, at the same time, because it suggested an untoward privileging of personal preference over civic communal norms ». Les faibles ressources de Nicératos peuvent être induites du fait qu’il se déplace lui-même pour aller chercher un cuisinier (alors que Déméas envoie un esclave, v. 196-198), de la maigreur du mouton qu’il offre en sacrifice (v. 403-404) et du mauvais état du toit de sa maison (v. 592-593). Dans les Frères de Térence (v. 728-729), ce sont précisément ces deux éléments – absence de ressources et absence de dot – que Déméas invoque comme facteurs aggravants dans le mariage entre Eschine et Pamphila, la fille dont il a abusé et dont il a eu un enfant. Si la différence sociale dans la Samienne est moins explicite que dans d’autres comédies de Ménandre (à commencer par le Dyskolos, comme le relève N. Zagagi, The Comedy of Menander. Convention, Variation and Originality, Londres, 1994, p. 113 ; cf. dans le même sens Cusset, « La fille d’à côté » [cit. n. 13], p. 207), elle ne doit pourtant pas être sous-évaluée, comme le montre Sommerstein, Samia (cit. n. 6), p. 40-44.
  • [18]
    Pièce éditée en dernier lieu par A. Blanchard sous le titre de Fabula incerta du Caire dans la Collection des Universités de France (Ménandre, tome II, Paris, 2013). Lamagna, Donna (cit. n. 5), p. 199, ad v. 53, prend le témoignage de la Samienne comme preuve que dans un mariage rendu nécessaire par des rapports sexuels prématrimoniaux le père du jeune homme devait également donner son accord ; voir déjà dans le même sens U.E. Paoli, « L’assentiment paternel au mariage du fils dans le droit attique », RIDA, 1, 1952, p. 267-275 (repris dans Altri studi di diritto greco e romani, Milan, 1976, p. 377-383), qui s’appuyait sur le témoignage de la fabula incerta pour établir l’origine attique d’une règle énoncée chez les rhéteurs latins (Sen. Rhet., Contr. 2, 3, Quint., Inst. 9, 2, 90, Ps.-Quint., Decl. 349).
  • [19]
    Selon Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 251, le « contrôle des désirs » fait partie des « prototypical senses » de ?????????, c’est-à-dire des sens les plus facilement activés, sans besoin d’un contexte particulier ; sur ce sens, voir notamment les remarques synthétiques, p. 257-262, ainsi que p. 235-237, pour les liens avec la ???µ????? chez les orateurs, et p. 310-316, sur l’exploitation de ce même sens par Socrate face à Calliclès dans le Gorgias de Platon.
  • [20]
    Mêmes formulations chez Isée (fr. 30 Thalheim) : la plus grande des liturgies consiste à se montrer quotidiennement ???µ??? et ??????.
  • [21]
    Cf. Pl., Grg. 511d : l’art de la navigation est qualifié de ???µ???, dans la mesure il n’occupe que la place qui lui est strictement nécessaire (?????????µ???) et qu’il ne se vante pas (?? ??µ???????) en prenant des grands airs (????µ????µ???), comme s’il accomplissait quelque chose de magnifique (?????????? ??).
  • [22]
    Mêmes formulations chez Isée (IV, 27 ; X, 25) : sont ???µ??? les individus qui font ????? ?? ?????????µ???. Sur l’association entre obéissance aux lois et ???µ?????, cf. encore Lys. I, 26.
  • [23]
    Ar., Pl. 89. À cet égard, la ???µ????? rejoint la dimension politique que peut assumer la ????????? dès Théognis ; voir Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 76-92 (Théognis, Pindare, Bacchylide), p. 243-245 (orateurs), ainsi que les remarques synthétiques, p. 266-267.
  • [24]
    Voir de même Lys. XV, 9, XXII, 19, XXVII, 7.
  • [25]
    Pour la définition aristotélicienne, voir Arist., Rh. II, 1378b 23-28, avec N.R.E. Fisher, Hybris. A Study in the Values of Honour and Shame in Ancient Greece, Warminster, 1992, p. 7-35, ainsi que p. 39, 51-52, 62-63, sur le Contre Lochitès. Pour l’opposition ????? / ???µ?????, cf. Gorg., fr. 6 Diels-Kranz, Ar., Pl. 564, Lys. XIV, 29.
  • [26]
    Cf. encore Isoc. VII, 70 : opposition entre l’oligarchie et un régime qui peut être qualifié de ??????? et ???µ??? ; XVIII, 18 : celui qui s’est montré ???µ??? durant le régime des Trente ne saurait a fortiori tomber dans l’?????? alors que ce régime est tombé.
  • [27]
    Ici encore la ???µ????? rejoint l’un des sens assumés par la ????????? ; l’expression ?? ?????? ???????? correspond précisément à la troisième définition du terme proposée par Charmide dans le dialogue platonicien éponyme (161b-162b) et fait écho à l’idéal de l’?????µ????? que porte en elle la notion de ?????????, notamment chez Aristophane et les orateurs (voir Rademaker, Sophrosyne [cit. n. 6], p. 230-233, 245-246, 330-332).
  • [28]
    Même argumentation chez Hypéride (IV, 21), pour se défendre d’accusations de collusion avec la Macédoine.
  • [29]
    L’????????? correspond à la première définition de la ????????? proposée par Charmide (159b-160d) ; sur les liens entre tranquillité et ?????????, notamment chez Aristophane et les orateurs, voir Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 245-246, 263, 326-329. Sur les valeurs attachées à la notion de « tranquillité » dans la démocratie athénienne, voir P. Demont, La cité grecque archaïque et classique et l’idéal de tranquillité, Paris, 1990, en particulier p. 89-113 pour un point de vue synthétique, ainsi que L.B. Carter, The Quiet Athenian, Oxford, 1986, dont le point d’ancrage est la notion d’?????µ?????. Alors que Carter voit dans l’?????µ????? un élément qui va à l’encontre de la vie démocratique, Demont (p. 90) interprète au contraire la « tranquillité » comme un idéal de la vie démocratique, permettant de se démarquer de certains de ses excès et de certaines de ses dérives.
  • [30]
    Sur la « tranquillité » des métèques, voir Carter, Quiet Athenian (cit. n. 29), p. 126-128.
  • [31]
    Cette ???µ????? féminine associée au silence doit être rapprochée de la formule sophocléenne qui fait du silence la parure (???µ??) des femmes : Soph., Aj. 293, fr. 64, 4 Radt ; cf. Eur., fr. 219, 1 Kannicht, où le silence peut être aussi une parure pour un homme (références données par M. Casevitz, « À la recherche du Kosmos », Le temps de la réflexion, 10, 1989, p. 97-119 [p. 114-115, n. 34]). Sur le lien entre silence et ???µ?????, cf. encore Ar., Th. 571-573, Pl. 670-671, Lys. XVI, 19, Hp., Acut. 18. Contra Philem., fr. 4 Kassel-Austin : n’est pas nécessairement ???µ??? celui qui bavarde peu ou marche les yeux baissés.
  • [32]
    Sur l’opposition entre ??????? et ????????? dans ce passage, ainsi que dans la République (410e 5-411a 4), et sur la nécessité d’un bon mélange entre les deux, voir Rademaker, Sophrosyne (cit. n. 6), p. 317-321.
  • [33]
    Cette opposition entre une ??????? masculine et une ???µ????? féminine trouve un fondement biologique dans un passage du traité hippocratique Du Régime (I, 29). Selon les éléments à partir desquels s’opère leur conception, les filles appartiendront à trois catégories, de la plus féminine à la moins féminine ; les filles de la catégorie médiane sont plus hardies (??????????) que celles de la première catégorie, mais elles peuvent être encore qualifiées de ???µ???, ce qui n’est plus le cas des moins féminines qui sont dès lors qualifiées d’????????.
  • [34]
    Comme le relève Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad v. 15-16, en reprenant la terminologie d’Aristote (EN 1119b 2-1121b 12), Moschion doit rester dans la libéralité (????????????) sans tomber dans la prodigalité (??????).
  • [35]
    Sur la « politica della convivenza » chez Ménandre, voir G. Bodei Giglioni, Menandro o la politica della convivenza, Come, 1984. Sur les lois somptuaires de Démétrios, voir notamment M. Gagarin, « The Legislation of Demetrius of Phalerum and the Transformation of Athenian Law », dans W.W. Fortenbaugh & E. Schütrumpf (éd.), Demetrius of Phalerum. Text, Translation and Discussion, New Brunswick-Londres, 2000, p. 347-365, et surtout O’Sullivan, Regime (cit. n. 12), p. 45-103 ; cette dernière fait l’hypothèse de mesures régulant l’étalage de richesses non seulement dans les monuments funéraires, mais aussi dans les monuments chorégiques (p. 176-181 ; cf. supra n. 12). Sur la proximité entre Ménandre et Démétrios, cf. D.L. V, 79 (T1 dans l’édition de P. Stork, J.M. van Ophuijsen, T. Dorandi, dans Fortenbaugh & Schütrumpf [éd.], Demetrius) et Phaedr. 5, 1 (T44 Stork, Ophuijsen, Dorandi).
  • [36]
    Réglementation funéraire : Cic., Leg. 2, 26, 66 (T53 Stork, Ophuijsen, Dorandi) ; loi concernant le nombre d’invités : Ath. 6, 245a-c (T153 Stork, Ophuijsen, Dorandi).
  • [37]
    Sur cette « fragilité de la masculinité » (« fragility of manhood ») qui caractérise Moschion, voir les remarques de Lape, Reproducing (cit. n. 17), p. 167-170, ainsi que le commentaire de Sommerstein, Samia (cit. n. 6), ad v. 64.
  • [38]
    Cette propension à la dissimulation qui caractérise Déméas est notée par Sommerstein, Samia (cit. n. 6), p. 17-19.
  • [39]
    Sur ce point, voir Lape, Reproducing (cit. n. 17), p. 156-157.
  • [40]
    Sur ce passage et l’opposition entre le refus et la revendication d’une parole publique qui caractérisent respectivement Déméas et Nicératos, voir T.P. Hofmeister, « Polis and Oikoumenê in Menander », dans G.W. Dobrov (éd.), The City as Comedy. Society and Representation in Athenian Drama, Chapel Hill-Londres, 1997, p. 289-342 (p. 294-303). Sur la question du gender en rapport avec la figure de Déméas, voir également A. Heap, « Understanding the Men in Menander », dans L. Foxhall & J. Salmon (éd.), Thinking Men. Masculinity and its Self-Representation in the Classical Tradition, Londres-New York, 1998, p. 115-129 (p. 117-121), qui relève l’investissement de Déméas dans les préparatifs du mariage (v. 219-231) et sa présence dans l’espace féminin de la maison, entre cellier (??µ?????, v. 229) et atelier de tissage (??????, 234) ; cette présence peut être mise en relation avec l’intrusion de Moschion dans l’espace féminin que constitue le toit de la maison (v. 45) lors des Adonies.
  • [41]
    On relèvera que chez Ménandre, en-dehors de la Samienne, les deux autres occurrences de l’adjectif ???µ??? (Her. 40, Georg. 42) s’appliquent à des femmes.
  • [42]
    Dans les Sicyoniens, un autre Moschion, décrit comme un jeune homme efféminé (v. 200-201), se caractérise également par son incapacité à prendre la parole publiquement, puisque, devant l’assemblée du dème, il ne parvient à parler qu’à mi-voix (µ????? ??????, v. 201). À la différence de la Samienne, cette incapacité à entrer dans le jeu du débat démocratique est ici associée au fait que le père de ce Moschion est lui-même explicitement caractérisé comme un oligarque (???????????, v. 156).
  • [43]
    Comme l’a relevé Bodei Giglioni, Menandro (cit. n. 35), p. 40 (cf. p. 19-20), l’?????? ????? dont fait preuve Moschion à travers sa ???µ????? suggère sa proximité avec la catégorie des ??????? ??? ?????????, personnages raffinés et modérés, détenteurs des charges publiques sous le régime de Phocion selon Plutarque (Phoc. 39, 5), et opposés aux ????????µ???? ??? ???????????, les intrigants et révolutionnaires.

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