Notes
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[1]
Voir le compte-rendu du premier volume, RPh 81, 1, p. 164-165.
-
[2]
Au prix, il est vrai, d’une sensible réduction de la taille des caractères, p. xliii. Un encart en double page, comme cela se fait parfois dans la collection pour présenter, par exemple, des cartes géographiques, aurait été plus lisible et plus commode d’emploi.
-
[3]
M.P., loc. cit.
-
[4]
Cette appellation est d’ores et déjà canonique, mais on aurait souhaité l’emploi d’un autre mot que celui de « rhéteur », d’abord parce qu’il s’agit, malgré les apparences, d’une catégorie latine et non grecque, ensuite parce que ce mot a des connotations péjoratives.
-
[5]
On peut trouver un intérêt particulier aux remarques consacrées au développement d’Hermogène sur les personnes et les actes (xxxii-xxxviii), à la métalepse et à sa situation par rapport au schéma des staseis (xliv-xlvii), ou encore à la subtilité mise en œuvre par le technographe à propos de la qualification (lv-lvi).
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[6]
p. lix.
-
[7]
Voir le compte-rendu du premier volume (cité supra n. 1).
-
[8]
Le grec est traduit d’après l’édition d’A. Fairbanks, dans la Loeb Classical Library, 1931 (rééd. 1979).
-
[9]
Ars et Verba. Die Kunstbeschreibungen des Kallistratos, Einführung, Text, Übersetzung, Anmerkungen, archäologischer Kommentar von B. Bäbler et H.-G. Nesselrath, Munich-Leipzig, 2006 – peut-être cette édition est-elle parue trop tard pour pouvoir être signalée par J. Boulogne ? Une autre publication témoigne du regain d’intérêt actuellement suscité par Callistrate, le recueil d’études dirigé par M. Costantini, F. Graziani et S. Rolet sur Le Défi de l’art. Philostrate, Callistrate et l’image sophistique, Presses Universitaires de Rennes, 2006.
-
[10]
La formule n’est pas nouvelle : voir l’article de N. Bryson, « Philostratus and the Imaginary Museum », dans S. Goldhill-R. Osborne (dir.), Art and Text in Ancient Greek Culture, Cambridge UP, 1994, p. 255-283.
-
[11]
La conclusion des éditeurs allemands de Callistrate est exactement inverse : selon B. Bäbler, seules trois descriptions sont trop vagues pour pouvoir être rapportées à une œuvre antique précise (Péan, le Jeune Homme, le Centaure) ; toutes les autres Ekphraseis peuvent être associées à un modèle particulier ou à une tradition plastique bien identifiée. Le débat, alternative excessivement tranchée, qui a longtemps opposé philologues et archéologues autour des Images de Philostrate gagne donc l’œuvre de Callistrate.
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[12]
« Callistrate et le discours sur la sculpture à l’âge moderne »,dans P. Hoffmann et P.-L. Rinuy (dir.), Antiquités imaginaires. La référence antique dans l’art occidental de la Renaissance à nos jours, Paris, 1996, p. 21-42. Cette étude n’est pas citée dans l’introduction : d’une manière générale, on regrettera l’absence d’une bibliographie d’ensemble qui aurait permis une mise en perspective utile de la réception du texte sous tous ses aspects.
-
[13]
L’expression est empruntée à F. Graziani, dont il faut lire les belles analyses en complément des pages de J. Boulogne (« “La vérité en image” : La méthode sophistique », dans Le Défi de l’art (cité n. 2), p. 144-151).
-
[14]
Rééditée plusieurs fois, mais seulement entre 1614 et 1637, cette « traduction inventive », « confuse et embarrassée », la seule dont nous disposions jusqu’à ce volume, est reproduite par F. Graziani à la fin du volume sur Le Défi de l’art (cité n. 2) p. 262 pour les qualificatifs employés par F. Graziani, p. 264-279 pour la traduction).
-
[15]
Les traductions de P.G. semblent ainsi souvent plus sûres et intelligibles que, par exemple, celles de M. Muller-Dufeu, qui s’appuie parfois sur le texte grec de la vieille édition Jacobs de 1825 (La Sculpture grecque. Sources littéraires et épigraphiques, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 2002) – même s’il reste, inévitablement, ici ou là chez P.G. des formules qui n’emportent pas l’adhésion (comme ces « mains d’artisans, traversées par une part plus qu’humaine de la vie », p. 45, pour des « mains saisies du don d’insuffler une plus grande part de divin », Descr. 2).
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[16]
L’expression est fidèle à l’idée d’évocation (au sens étymologique) développée dans la préface (par exemple p. 12, p. 27), mais rend aussi compte de la récurrence du terme ??????? dans le texte : Scopas est présenté par Callistrate comme un ??µ??????? ???????? (2,4), la statue de Péan comme un ??? ???????? ????µ? (10, 2).
-
[17]
Alors que P.G. traduit le terme par « tableau » dans les deux premiers paragraphes, il reprend ensuite le texte et la traduction de Fairbanks et considère curieusement l’emploi suivant de ????? comme un renvoi à Ino : « Le personnage (= « The figure of Ino ») se dirigeait vers la falaise de Sciron, avec la mer en contrebas » (p. 69). Il semblerait plus pertinent d’entendre que « le tableau comprenait encore, ou ajoutait à la scène la falaise » : ??????? ?? ? ????? ??? ??? ?????, sans la correction ??? ??? ?????, la peinture se substituant au peintre comme elle le fait si souvent chez Philostrate.
-
[18]
On s’est parfois demandé si le recueil était complet et si la série se terminait bien sur cette pièce, mais les indices de clôture s’accumulent dans le dernier paragraphe : la scène marine est située à l’extrémité du tableau (?? ???? ??? ??????? ???µ????), l’expression opérant comme un cadre empêchant toute inscription dans la troisième dimension sculpturale ; les Néréides figurent un chœur de danse, comme les Heures en clôture des Images du premier Philostrate ; elles sont elles-mêmes entourées par Océan, qui borde l’orbe du bouclier d’Achille dans l’Iliade comme il encercle le monde dans la pensée archaïque. Cette question n’est pas abordée dans l’introduction par J.B. ; seules les p. 31-32 réfléchissent sur la composition des Descriptions en deux hebdomades.
-
[19]
Une note aurait été bien venue pour justifier ces choix, voire identifier les œuvres, la coexistence d’une métope du Parthénon (Voir le vrai d’un Centaure), d’un Gustave Moreau (Pour voir le vrai d’Orphée) ou d’un pré-Raphaëlite (Voir le vrai de Médée), ou la reprise surprenante du même bronze pour les descriptions 10 (Péan) et 11 (Jeune Homme de Praxitèle) n’allant pas de soi.
-
[20]
The editions are : H. Stadtmüller, ed., Anthologia Graeca epigrammatum Palatina cum Planudea I-III (= AP 1.1-9.563), Leipzig, 1894-1906 ; H. Beckby, ed., Anthologia Graeca I-IV, Munich, 1967-68 (2nd ed.) ; the published volumes of the Budé series, P. Waltz, ed., Anthologie grecque, t. I-VII (= AP 1.1-9.358), Paris, 1928-57 ; J. Irigoin and P. Laurens, eds., Anthologie grecque, t. VIII (= AP 9.359-827), Paris, 1974 ; R. Aubreton, ed., Anthologie grecque, t. X (= AP 11), Paris, 1972 ; R. Aubreton, F. Buffière, and J. Irigoin, eds., Anthologie grecque, t. XI (= AP 12), Paris, 1994 ; F. Buffière, ed., Anthologie grecque, t. XII (= AP 13-15), Paris, 1970 ; R. Aubreton and F. Buffière, eds., Anthologie grecque, t. XIII (= APl), Paris, 1980. Other publications are : J. Basson, De Cephala et Planude syllogisque minoribus, Diss. Berlin, 1917 ; R. Aubreton, « La tradition manuscrite des épigrammes de l’Anthologie grecque », REA 70 (1968) 32-82 ; A. Cameron, The Greek Anthology from Meleager to Planudes, Oxford, 1993.
-
[21]
L. Sternbach, ed., Anthologiae Planudeae Appendix Barberino-Vaticana, Leipzig, 1890.
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[22]
The first part has already appeared as Regards alexandrins. Histoire et théorie des arts dans l’épigramme hellénistique, Hellenistica Groningana 12, Leuven, Peeters, 2007.
-
[23]
She asks, e.g., « [q]uelles sont les références culturelles que le commanditaire du décor exige de la part des spectateurs de l’image si ceux-ci veulent parvenir à décoder sa signification » (p. 25 ; my emphasis).
-
[24]
Largely unexplored however is the niggling possibility that a viewer might construe a collection on the basis of his or her own interests and desires, rather than trying to discern the intentions of the collector. We see such a process at Satyricon 83 (cited by P., though not in this connection, on p. 19) : Petronius’ lovelorn narrator misreads the gallery of paintings before him, willfully twisting the images of Ganymede, Hylas, and Hyacinthus into tales of divine pederasty without rivalry, against which his own situation could appear all the more pitiable. Might some collectors have sought to provoke similarly creative, witty, even subversive collaborations in the construction of meaning, rather than to set their guests riddles whose answers they have already determined ?
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[25]
Her attempt to link the conflicts depicted in several of the panels to a play on the word ???? (falsely accented as perispomenon on p. 45, 48 and 49) is less convincing, because the word in question appears nowhere in the epigrams.
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[26]
P. also reevaluates the subject matter of individual vignettes, offering, e.g., good arguments that the damaged picture accompanying the Iliad verse depicted Polyphemus hurling a stone after Odysseus (p. 89-92 ; on p. 102 she apparently reverts to the earlier view that the scene showed Ajax slaughtering the Greeks’ herds).
-
[27]
P. assumes both that all the poems are by Posidippus and that their arrangement may be attributed to the author himself (p. 159).
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[28]
For discussion and bibliography see, among recent commentaries, F. Grewing, Martial, Buch VII, Hypomnemata 115, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 26-51 ; C. Schöffel, Martial, Buch 8, Palingenesia 77, Stuttgart, Steiner, 2002, p. 21-29 ; A. Fusi, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber tertius, Spudasmata 108, Hildesheim, G. Olms, 2006, p. 62-73 ; R. Moreno Soldileva, Martial, Book IV, Mnemosyne Sup. 278, Leiden, Brill, 2006, p. 11-20.
-
[29]
In « A Roman Poet Visits a Museum », Hesperia, 14, 1945, p. 259-269.
-
[30]
P. acknowledges that this latter hypothesis is impossible to prove but notes that the temple was likely restored by Domitian, and therefore would have been a natural focus for Martial’s attention (p. 267-273). Martial’s use of the epithet novum to describe the temple (4.53.2) is not evidence for a recent restoration, however (as P. suggests at p. 270-271) : inscriptions show that the building was known as templum novum from ca. 38 CE onward (see M. Torelli, LTUR vol. 1 p. 145).
-
[31]
E.g., it is stimulating to consider how Danae and the shower of gold might evoke Flavian ideology (p. 278-281), but Martial’s epigram (14.175, slightly mistranslated on p. 257) wittily assimilates the gold to the price paid for a sexual favor. The racy joke, which does not figure in P.’s analysis, makes it harder for me to see here « le thème de la concorde et du retour de l’âge d’or » (p. 281) ; at the very least Martial seems to problematize any exclusively encomiastic reading.
-
[32]
Something has gone awry in the discussion of 183 and 185 (p. 323) : Latin nugae is not « noix ».
-
[33]
S.S., Satyros aus Kallatis, Sammlung der Fragmente mit Kommentar, Basel 2004, 378ss.
-
[34]
Deux épigrammes platoniciennes pour Phèdre, REG 77, 1964, p. XIIIs : ad Aristippo potrebbe risalire la trasformazione del nome comune ????? in un nome proprio, e il dedicatario degli epigrammi si dovrebbe riconoscere nient’altro che in Fedro.
-
[35]
A.M., The Development of Greek Biography, Cambridge, Mass. 1971, rist. 1993.
-
[36]
G.H., Aristotle’s Interest in Biography, GRBS 15, 1974, p. 203-213.
-
[37]
Page 78 : « l’art de créer et de préserver des communautés dont les membres sont liés entre eux par des sentiments de loyauté mutuelle ». Y a-t-il des processus qui, dans ces conditions, ne relèvent pas du politique ?
-
[38]
IG VII 2713.
-
[39]
Cf. l’excellente étude donnée récemment par C. Grandjean, Les Messéniens de 370/369 au Ier siècle de notre ère. Monnayages et histoire, Athènes, 2003.
-
[40]
Ainsi S. Alcock, Archaeologies of the Greek Past. Landscape, monuments and memories, Cambridge, 2002.
-
[41]
Lafond s’en explique p. 82 et n. 9, mais n’a pas pour autant corrigé son texte sur ce point.
-
[42]
On ne saurait reprocher à Lafond son ignorance d’un volume collectif paru alors que son propre ouvrage était probablement sous presse (P. Fröhlich et Chr. Müller (dir.), Citoyenneté et participation à la basse époque hellénistique, Paris, 2005, où l’on trouvera d’abondantes réflexions sur les synèdres, en particulier pour la Grèce centrale), mais l’article de P. Hamon, « À propos de l’institution du Conseil dans les cités grecques de l’époque hellénistique », REG 114 (2001), p. XVI-XXI était déjà paru.
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[43]
Cf. L. Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, I, Paris, 1993.
-
[44]
Voir par exemple : Il Neoplatonismo (1989) ; Il dio Giano (1992) ; La Disciplina del Silenzio. Mito, mistero ed estasi nell’antica Grecia (2006) ; Mistero e Profezia. La IV egloga di Virgilio e il rinnovamento del mondo (2007).
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[45]
Cf. L. Legrand, Publius Nigidius Figulus, philosophe néo-pythagoricien, orphique, Paris, 1930 ; A. Della Casa, Nigidio Figulo, Rome, 1962 ; D. Liuzzi, Nigidio Figulo « astrologo et mago ». Testimonianze et frammenti, Lecce, 1981 ; W. Belardi & P. Cipriano, Casus interrogandi. Nigidio Figulo e la teoria stoica della lingua, Viterbe, 1990. Parmi les articles à portée générale, voir : A. Traglia, « Nigidio Figulo. Un grande erudito latino dimenticato », C & S, 63-64, 1977, 84-89.
-
[46]
Cf. Euseb., Hieron. Chron., Ol. 183,4 = 45 av. J.-C : Nigidius Figulus Pythagoricus et magus in exilio moritur.
Corpus Rhetoricum. Tome II. Hermogène, Les États de cause, texte établi et traduit par Michel Patillon, Collection des Universités de France, série grecque, 470, Paris, Les Belles Lettres, 2009, CVII+289 pages dont 81 doubles
1Ce deuxième volume du cours complet de rhétorique dont Michel Patillon (désormais M.P.) a entrepris la publication dans la CUF [1], est consacré à un pilier de la théorie ancienne. Hermogène n’est pas l’inventeur de cette théorie des staseis qui remonte au moins à Hermagoras au Ier siècle av. J.-C, mais il l’a considérablement redéfinie, remaniée, améliorée et développée ; c’est sur la base de son traité que repose l’essentiel de la production rhétorique ultérieure, en pratique comme en théorie (fût-ce, dans le second cas, pour en critiquer certains points). Il fournit à quiconque s’apprête à rédiger un discours (ou plutôt une déclamation, car c’est dans cette direction qu’est orienté le traité) un guide qui va lui permettre de définir la position argumentative la plus appropriée à la cause qu’il doit défendre, qu’il s’agisse d’accuser ou de défendre, et de choisir à partir de là les moyens les plus adaptés à ses fins. En effet, comme le montre M.P., Hermogène avait prévu de faire suivre ses staseis par un traité sur l’invention, traité non réalisé ou perdu. Comme on le verra sur l’utile tableau récapitulatif que M.P. et l’imprimeur sont parvenus à faire tenir sur une seule page [2], le technographe « distingue treize états de cause. Pour déterminer quel est celui qui se rencontre, dans une affaire donnée, il propose [une méthode] remarquable par les dichotomies successives qui en constituent le cheminement » [3]. Cette caractéristique fait qu’on a souvent comparé la méthode à un algorithme, voire à un organigramme, comparaisons anachroniques mais évocatrices. L’(apprenti-)orateur qui veut utiliser ce guide se demande donc d’abord si le fait à juger est patent ou non. S’il ne l’est pas, il a trouvé l’état de cause qui correspond à son cas et il se reporte au chapitre concernant la « conjecture » (stochasmos), où sont présentés les procédés appropriés à celle-ci : entre autres, la réclamation de preuves, le vouloir et le pouvoir (l’accusé avait-il la possibilité de faire ce dont on l’accuse ? avait-il des raisons de le vouloir ?), l’examen des faits, la présentation d’un autre motif expliquant la présence de l’accusé sur les lieux... Si le fait est en revanche patent, il faut se poser une nouvelle question : le fait à juger est-il défini complètement ? Si ce n’est pas le cas, nous voici à l’état de cause de la définition (horos), pour lequel est proposée aussi une série de procédés. Si le fait est complet, on en arrive alors à la question de la qualification du fait à juger : concerne-t-il un acte ou un texte (légal) ? De là partent deux branches, l’une aboutissant au choix entre plusieurs types d’états de cause légaux, l’autre débouchant sur de nouvelles dichotomies à propos de la nature du fait, selon que l’on reconnaît ou non que celui-ci est répréhensible, que l’on en assume ou non la responsabilité, qu’on rejette celle-ci sur la victime ou sur un tiers, etc.
2Le bref aperçu qui précède ne rend pas honneur à la subtilité et à la rigueur de l’exposé d’Hermogène. Nul doute qu’il ne pourrait servir encore aujourd’hui – surtout tel qu’il est éclairé par le riche apparat de notes de M.P. – à quiconque veut soutenir une cause de manière discursive. La notice constitue, comme d’habitude chez M.P., un dossier complet débordant largement la simple présentation de l’œuvre. Si l’on y ajoute les notes très fournies (les notes complémentaires rejetées en fin de volume occupent à elles seules 123 pages), nous disposons en quelque sorte de deux ouvrages en un seul volume : le traité d’Hermogène, et une monographie détaillée sur la théorie des états de cause. M.P. cite et analyse les divers testimonia (Dion Cassius, Philostrate, Sôpatros, Syrianus, Souda…) qui nous renseignent sur l’auteur du Peri staseôn : il n’est certainement pas cet Hermogène de Tarse, éphémère prodige dont l’histoire contée par Philostrate a toutes les marques d’une fabrication mythico-rhétorique, mais un professeur de rhétorique du IIe siècle apr. J.-C. dont Marc-Aurèle alla écouter les leçons. M.P. appelle donc ce professeur « Hermogène le rhéteur » pour le distinguer de son homonyme [4] et ne lui attribue la paternité que de deux ouvrages sur les cinq qui nous ont été transmis sous son nom (outre les états de cause, le Peri ideôn logou, qui concerne les catégories du style). Après avoir donné le plan détaillé de l’ouvrage, M.P. s’attache à le mettre en perspective en le comparant avec ce que nous savons de deux traités contemporains consacrés au même sujet, écrits respectivement par Zénon d’Athènes et par Minucianus, ce qui permet de mettre en lumière l’originalité d’Hermogène. L’analyse des préliminaires (où Hermogène détaille la procédure de détermination des staseis) et du corps de l’ouvrage [5] est suivie d’une longue section (40 pages) qui s’attarde sur quatre commentateurs anciens d’Hermogène, Syrianus, Georges Monos, Sôpatros et Marcellinus, et deux compilateurs anonymes. Il s’agit, explique M.P., « de témoins des débats intellectuels auxquels a donné lieu la doctrine des états de cause. Ils sont cités pour éclairer le texte d’Hermogène, en indiquant les principales questions qui se sont posées à son sujet [6] ». Particulièrement éclairante me paraît, dans ce chapitre, l’étude comparative menée sur le traitement de l’antilepse (p. lxxiv et suiv.), cet état de cause dans lequel quelqu’un, par exemple, reconnaît qu’il a tué, mais nie que cela ait été un crime, voire s’en glorifie.
3L’établissement du texte, enfin, était une tâche difficile, ne serait-ce que parce que nous possédons plus de 130 manuscrits, difficulté renforcée par la multiplicité des traditions indirectes (commentateurs et compilateurs). Bien qu’il s’agisse de publier un Corpus rhetoricum assemblé à la fin du Ve siècle, le texte qu’édite M.P. n’est pas celui de « l’Assembleur » [7], mais l’image la plus fidèle possible de ce qu’écrivit Hermogène. Le stemma est donc à deux étages, celui de l’archétype hermogénien et celui du Corpus rhetoricum. Ces principes d’édition incontestables, la minutie du travail de M.P. et néanmoins son souci de simplicité et de clarté aboutissent à un résultat qui est un grand pas en avant : ce volume constitue la première édition vraiment fiable de ce texte fondamental.
4Pierre-Louis Malosse
Jean le Lydien, Des magistratures de l’État romain. Tome I. 1re partie : Introduction générale. 2e partie : Introduction générale. Livre 1., texte établi, traduit et commenté par Michel Dubuisson et Jacques Schamp, Collection des Universités de France, série grecque, 450, Paris, Les Belles Lettres, 2006, DCCLXXVII+206 pages dont 66 doubles (en 2 volumes). Jean le Lydien, Des magistratures de l’État romain. Tome II. Livres II et III, texte établi, traduit et commenté par Jacques Schamp, Collection des Universités de France, série grecque, 452, Paris, Les Belles Lettres, 2006, CCCXVIII+384 pages dont 138 doubles
5En publiant une nouvelle édition, assortie d’une traduction originale et d’un commentaire détaillé, du plus tardif des trois traités conservés de Jean le Lydien, J. Schamp et M. Dubuisson, aidés par leurs relecteurs et des collègues spécialisés, ont accompli une impressionnante besogne sur un texte complexe et foisonnant, le tout dans un français très agréable, où le goût du vocable précis suscite des trouvailles admirables qui éclairent le raisonnement. Pour faire le compte rendu de ce prodigieux ouvrage, il faudrait une équipe complète. On n’aura d’autre ambition dans les lignes qui suivent que de présenter au lecteur ce qu’il peut attendre de la lecture ou de la consultation de l’ouvrage.
6Le tome 1 (en deux volumes) comprend un Avant-propos de cinq pages commun à M. Dubuisson et à J. Schamp, puis une Introduction Générale (l’écrivain, l’œuvre littéraire perdue et conservée), suivie de la Notice sur le traité des Magistratures (Titre et composition, sources, digressions, une « vision onirique » de l’histoire de Rome), de l’Analyse du contenu (le cadre historique d’Énée à Dioclétien, l’armée, le concept de magistrature, la création des magistratures, la dénomination des magistratures, l’histoire des magistratures, attributs et dignités), et d’un exposé sur la tradition du traité. Viennent ensuite le texte du livre I et sa traduction, avec notes infrapaginales et notes complémentaires, puis une riche bibliographie thématique et une table des matières. Le tome 2, dû entièrement à J. Schamp, s’ouvre sur une seconde notice (le cadre historique de Constantin à Justinien, puis une analyse de l’officium dans ses aspects économiques, administratifs, hiérarchiques et organisationnels, dans son déclin enfin). Suivent le texte des livres II et III et sa traduction, là encore avec un système mixte de notes infrapaginales et complémentaires. Une bibliographie thématique est à nouveau fournie et l’ouvrage est complété d’un appendice des mots latins présents dans le texte, classés selon l’alphabet utilisé, puis d’un index nominum, d’un index variorum potiorum et d’une table des matières.
7Le principal avantage des trois volumes qui enrichissent désormais la CUF est de mettre à la disposition des lecteurs un texte édité à neuf, avec une traduction française minutieuse et claire, où les difficultés sont systématiquement signalées, comme les points de désaccord avec la plus récente traduction en langue étrangère. Mais l’ouvrage établit aussi que le texte de Jean le Lydien ne peut être pris prima facie et qu’il est besoin d’une véritable lecture assistée pour en tirer quelque chose. C’est ainsi que l’introduction générale et les chapitres d’analyse qui précèdent le texte lui-même proposent une vue d’ensemble indispensable : une bonne contextualisation historique, et surtout une connaissance minimale des méthodes d’écriture de Jean, particulièrement le goût des digressions (Jean est ainsi défini comme un « adepte forcené de la digression », p. CXXV) et la pratique ostentatoire de la virtuosité étymologique, qui peut servir de principe d’organisation de la matière, sont fournis au lecteur, afin qu’il retrouve son chemin dans une construction complexe et déroutante et surmonte les difficultés posées par une information parfois aberrante. À ce prix seulement, le lecteur peut repérer les « pépites », selon le mot des éditeurs, que contient le texte (par exemple les différents morceaux de bravoure en rapport avec la vie de l’auteur, ou les analyses souvent originales de tel épisode célèbre de l’histoire romaine). Toutes les données disponibles ont donc été collectées, classées, commentées, et cela a permis aux auteurs d’avancer certaines hypothèses nouvelles, par exemple sur le maître de Jean le Lydien (p. XXVII), ou de faire le point sur sa formation philosophique. C’est la nécessité de cette perspective large qui explique aussi que les éditeurs aient choisi de publier d’un seul jet une œuvre si vaste.
8La difficulté de l’œuvre elle-même, les problèmes posés par ses sources, ou même par l’identification des auteurs cités par Jean sont tels que son ouvrage suscitera encore de nombreux débats, et que les positions des éditeurs seront contestées (ils s’opposent eux-mêmes régulièrement à la dernière édition anglo-saxonne). Sur tel ou tel point du sujet, où la bibliographie surabonde, on pourrait souhaiter des références plus à jour (il est regrettable par exemple que la référence principale sur la république tardive et le début du principat reste J. Carcopino). Il semble aussi que le passage de relais entre les deux auteurs ait posé des problèmes de mise au net. On aimerait enfin que certains aperçus particulièrement suggestifs soient développés (la « vision onirique » de l’histoire romaine décelée chez Jean par exemple). Mais le travail réalisé fait incontestablement progresser notre connaissance, par l’ampleur du matériel textuel et historiographique rassemblé aussi bien que par les solutions proposées, qui fourniraient la matière à plusieurs articles de recherche. Ce qui est également certain, c’est que l’on perçoit désormais toute la richesse du texte de Jean le Lydien : l’érudition déployée par les auteurs, et la variété des sujets traités, qui sont de première importance, plaident pour une utilisation plus systématique de l’œuvre par les historiens. Avec cette édition, cette traduction et ce commentaire, c’est une tâche désormais plus facile.
9Arnaud Suspène
Callistrate, Quatorze visions (statues et bas-relief), préface de Jacques Boulogne, illustration de Jean-Gabriel Blyweert, traduction de Patrick Guyon, Lille, Presses Universitaires du Septentrion, 2008, 72 pages
10Le sophiste Callistrate (IVe siècle de notre ère ?) ne nous est connu que par son recueil de quatorze Ekphraseis, descriptions rhétoriques d’œuvres (pour l’essentiel) de sculpture, à l’imitation de ce qu’ont fait les Philostrate pour la peinture dans leurs Images (Eikones). Cet ensemble est ici traduit en français pour la première fois depuis le XVIe siècle : le premier mérite de ce livre est donc de rendre accessible à un large public un texte important pour l’histoire de l’art et la constitution d’un discours théorique, antique et moderne, sur la sculpture, mais aussi pour l’histoire de la rhétorique et des pratiques descriptives, un recueil propre à nourrir l’intérêt contemporain pour les théories de l’image et de la représentation.
11Ce volume est le résultat d’une collaboration entre un philologue, Jacques Boulogne, auteur de l’introduction, un poète, Patrick Guyon, pour la traduction (donnée sans le texte grec [8]), et un peintre, Jean-Gabriel Blyweert, dont les « transpositions iconographiques » accompagnent chaque description en page de gauche. L’ouvrage est donc destiné à un large lectorat plutôt qu’à un public de spécialistes, le format retenu, celui du cahier, relevant plus de la revue artistique que du livre d’art ou de la monographie savante. Loin d’entrer en concurrence avec la très récente édition allemande des Descriptions [9], le projet éditorial porté par Jacques Boulogne offre un contrepoint esthétique important et bienvenu à la lecture archéologique de Callistrate qui s’est imposée depuis le xixe siècle, comme l’indique le choix d’un titre original, Quatorze Visions. Le terme est à prendre dans toute sa polysémie et privilégie la subjectivité du regard plutôt que la problématique de l’autopsie – il offre une transposition en réalité assez fidèle de la définition antique de l’????????, cet exercice d’école dont l’objet est de « mettre sous les yeux avec évidence ce qu’il donne à voir » (Théon, Progumnasmata, 118. 7-8), ce que rappelle, trop tardivement, une des dernières notes de la préface.
12L’introduction de Jacques Boulogne, passant rapidement sur l’identité de l’auteur (Un rhéteur presque oublié, p. 11-12), s’intéresse d’abord au Musée imaginaire [10] que constitue pour lui cet ensemble (p. 12 à 27) : il propose pour chacune des quatorze pièces un commentaire refusant toute lecture référentielle des descriptions, substituant aux modèles artistiques des sources littéraires, l’Anthologie Palatine, Euripide, les Images des Philostrate, insistant sur le caractère souvent générique des détails donnés, mettant en évidence la combinatoire opérée par Callistrate. J.B. analyse très finement les marques de l’autopsie, les indications de lieux, les références à un « passé indéterminé » de l’expérience vécue comme autant d’effets de réel ou d’« opérateurs d’évasion dans l’imaginaire » (p. 16). J.B. en conclut que les œuvres décrites doivent être considérées comme des créations personnelles du sophiste, même si elles sont placées sous le « patronage » des sculpteurs Scopas (Bacchante), Praxitèle (Éros, Dionysos, Jeune Homme) ou Lysippe (Kairos), car aucune réalisation antique ne serait jamais parfaitement superposable au texte. Cette position de lecture semble un peu radicale [11], et il faudrait sans doute laisser à la description la souplesse du statut antique de la copie, apographon ou antigraphos, qui n’entre pas nécessairement dans un rapport de reproduction à l’identique avec son archétype.
13Dans le développement consacré ensuite au Triomphe de la sculpture (p. 27 à 33), J.B. montre bien comment Callistrate aborde la sculpture en rivalité avec les Images des Philostrate et leur éloge de la peinture, lorsqu’il célèbre la couleur de la chair, le rendu des passions, la souplesse des chevelures, le pouvoir d’expression du regard obtenus par le marbre ou le bronze. Il aurait été intéressant de considérer l’importance du thème de l’animation de la matière, omniprésent dans le recueil et typiquement callistratéen (comme le souligne bien J.B., p. 29-30), dans la perspective des historiens d’art : Aline Magnien a démontré comment les Descriptions de notre sophiste permettent à partir de la Renaissance l’élaboration d’un discours théorique propre à la sculpture et offrent un modèle d’écriture spécifique [12]. La question de la constitution d’une rhétorique spécifique de la sculpture mériterait d’être posée pour l’Antiquité, plutôt qu’une inscription rapide du texte dans une longue tradition littéraire indifférenciée, hellénistique essentiellement (très bien repérée, cf. p. 34), ou remontant au bouclier d’Achille (p. 14 et n. 13), mêlant indifféremment sculptures, tableaux et artisanat d’art.
14Les quelques pages consacrées à Dire l’indicible (p. 32 à 36) rappellent, d’une manière plus conventionnelle, le triomphe de la rhétorique qui se donne à voir dans ces agalmata verbales. Les remarques de clôture (Un Manifeste sur le Beau, p. 36 à 40) mettent en évidence la « théologie de l’art » [13] qui anime le recueil, notamment à la lumière du néo-platonisme.
15Au total, l’enthousiasme, au sens antique et moderne, qui caractérise la lecture de J.B., fait de cette introduction une invitation séduisante à la lecture de Callistrate.
16La traduction proposée par l’écrivain Patrick Guyon aborde les descriptions comme autant de poèmes en prose et se donne à lire pour elle-même, en l’absence du texte original et sans le support de notes. Dans une notice à la fin du volume, le traducteur énonce ses choix, un renoncement à « une fidélité trop haute et trop savante » à la lettre du texte et un parti pris de lisibilité (p. 71). Cet engagement est tenu, le lecteur accède effectivement à un sens qui n’est pas occulté par une transposition trop proche de la préciosité de l’original, comme c’est souvent le cas pour le texte donné par Blaise de Vigenère dans sa Suitte de Philostrate en 1597 [14] ou dans les traductions isolées proposées par les recueils de sources textuelles sur l’art antique [15].
17Il reste que la langue de Callistrate est souvent difficile, extrêmement travaillée, caractérisée par un goût marqué pour l’oxymore, les chiasmes, les clausules, et un choix très précis du vocabulaire, à l’articulation de la philosophie (néo-platonicienne), de la rhétorique et de la littérature d’art : en voulant « dérouter le moins possible le lecteur ignorant » (p. 71), en privilégiant le rythme de la prose française sur l’exactitude, PG aboutit souvent à une simplification de son modèle, à une épuration des effets, à un allégement même du texte (les omissions de mots ou de petits groupes de mots sont nombreuses), et les hellénistes seront sensibles à un certain manque de rigueur et de constance dans les choix de traduction.
18Pour ne prendre que la première description à titre d’échantillon (p. 43), la grotte « en forme de syrinx » (?????????µ???? ???????) qui déploie naturellement ses spirales en ouverture, pourtant bien commentée en introduction (p. 14), devient une « galerie de mine », avec inscription d’un narrataire (« vous auriez dit d’abord une galerie de mine, mais »). La « figure de satyre, travaillée dans le marbre », qui se prépare à une « figure de danse », devient une simple « statue de satyre », sans indication de sa matière, et « cette statue faisait un pas de danse » : le choix du terme ???µ? pour désigner l’œuvre, le jeu polysémique, son emploi comme sujet et objet, incarnant littéralement le satyre dans la danse, sont perdus. Là où la pierre entraîne la conviction que « la manifestation (????????) d’un souffle était suscitée (??????µ????) de l’intérieur », PG comprend simplement « que même elle allait se montrer essoufflée ». L’esprit de l’ensemble est effectivement rendu, l’idée que le satyre semble entraîné dans la danse par la musique de sa propre flûte, mais la sophistication du détail est ainsi parfois perdue – peut-être inévitablement.
19Le manque d’exactitude est gênant dans le choix des titres des descriptions, même s’il est impossible d’attribuer avec certitude les formules grecques à Callistrate. On comprend mal pourquoi l’expression « Sur la/une statue de… » (??? (??) ?????? avec le génitif de la figure représentée), rendue par « Voir le vrai [16] de… », devient ici ou là sans aucune explication « Pour voir le vrai de… » (descr. 3, 6, 7, 8). La première et la dernière Ekphrasis sont donc traitées de la même façon que toutes les autres par le traducteur, alors que le titre de la première gomme en grec la matérialité de la statue (un simple « Sur un Satyre », sans le terme ????µ?) et que celui de la dernière introduit une importante variation : ??? ??? ??? ????????? ??????, « Sur une image = un tableau d’Athamas ». Cette négligence aboutit donc pour cette pièce à un contresens, entériné dans le titre même du volume (Statues et bas-relief), la préface commentant cette représentation de la folie d’Athamas comme un « tableau sculpté » (p. 26, à partir du parfait ??????????? qui figure au début de la description). Pourtant la spécificité du titre, l’emploi successif des termes ????? [17], ?????, ?????, la présence de la cire louée pour sa capacité à représenter l’effet de la brise sur les flots marins et à devenir élément marin (§ 3 et 4) lèvent progressivement l’ambiguïté et suggèrent que l’image est proprement picturale : en clôture du recueil [18], dans un effet de suncrisis entre les arts, en rivalité avec les Images du premier Philostrate (cf. p. 26), le tableau s’anime lui-même dans sa matérialité, comme le marbre ou le bronze le font dans les autres pièces, il devient donc effectivement un objet sculptural, comme si la rhétorique de la sculpture absorbait la peinture, mais ce n’est qu’un effet du texte. Si l’on cherche vraiment un bas-relief au milieu des statues, c’est plutôt la description d’Orphée qu’il faudrait reprendre. On ne suivra donc pas Jacques Boulogne lorsqu’il affirme dans sa préface que « les distinctions habituelles entre ????? (image, icône), ??????? (simulacre), µ?µ?µ? (imitation), ????? (nature), ?? ??????? (le principe vital), ???? (existence), s’effacent, tous ces mots tendant à s’employer indifféremment les uns à la place des autres » (p. 36) : c’est mal juger de l’acribie sémantique de Callistrate et des jeux de glissement qu’il élabore.
20Quatorze visions d’artiste accompagnent ces traductions. Là où les éditions antérieures proposent des reproductions d’œuvres antiques, modèles archéologiques posés en amont d’une description comprise comme référentielle (le Satyre Borghèse, une copie de la Ménade de Scopas, telle représentation du Kairos de Lysippe, etc.), le peintre Jean-Gabriel Blyweert a illustré la manière du descripteur, la technique combinatoire qui caractérise l’écriture de Callistrate, en adoptant un système de collage qui laisse entrapercevoir sur ou à travers une surface colorée une œuvre d’art – réelle, antique ou moderne, mais relevant de son propre choix [19]. On regrettera peut-être le caractère répétitif de cette « scénographie » et le refus de l’esthétisme qui contredit la célébration de la beauté attribuée au sophiste (grossièreté de la trame, traces visibles de collage ou de déchirure, reproduction des œuvres par photocopies, généralement floues, et colorées d’une teinte en écho (ou non) au texte), mais la démarche est intéressante en ce qu’elle transpose visuellement la méthode descriptive de Callistrate au lieu de chercher à représenter l’objet suggéré par le texte.
21Il faut donc saluer cette publication qui devrait permettre à Callistrate de se faire connaître aussi largement que le Philostrate des Images, bien au-delà d’un public universitaire.
22Sandrine Dubel
Chiara Aceti, Daniela Leuzzi et Lara Pagani, Eroi nell’Iliade. Personaggi e strutture narrative, édité par Lara Pagani, avec une préface de Franco Montanari, Pleiadi, 8, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2008, XIV+496 pages
23Cet ouvrage élégant rassemble trois essais issus des travaux de doctorat de chercheuses de l’université de Gênes, autour d’une thématique commune : la figure du héros dans l’Iliade.
24Le premier essai, Sarpedone fra mito e poesia, de Chiara Aceti, est une étude précise et approfondie du personnage de Sarpédon. L’auteure s’appuie sur une lecture exhaustive de tous les passages de l’Iliade concernant Sarpédon pour montrer comment se construit progressivement le personnage dans l’économie générale du récit, de la mention des Lyciens dans le « Catalogue des bateaux » (Ch. II) au duel fatal contre Patrocle (Ch. XIV), en passant par son rôle dans la lutte contre Diomède (Ch. V) et son aristie (Ch. XII). Puis, une étude informée et prudente de la figure de Sarpédon en dehors de l’Iliade (à partir des scholies, des auteurs postérieurs et des sources historiques et archéologiques) permet à l’auteur de réévaluer les processus de transformation et de resémantisation qui ont présidé à l’insertion du personnage dans la trame de l’Iliade : la fonction créant l’outil, c’est le duel avec Patrocle qui expliquerait à la fois le choix d’un tel personnage et la réduction de ses caractéristiques à deux traits principaux, son lien avec la Lycie et son ascendance divine. Ainsi, en tuant le seul fils de Zeus présent sous les murs de Troie, c’est-à-dire un héros qui ne le cède qu’à Hector, Patrocle devient un héros qui ne le cède qu’à Achille. Enfin, un appendice examine de façon critique l’hypothèse néoanalytique qui fait de Sarpédon un avatar de Memnon.
25Dans le second chapitre, La morte dell’eroe nell’Iliade : scene e sequenze narrative, Daniela Leuzzi compare la progression de deux lignes narratives : celle qui mène Patrocle à sa mort face à Hector (Ch. XIV) et celle qui mène Hector à sa mort face à Achille (Ch. XXII). Selon l’auteure, l’aristie de Patrocle serait caractérisée par le procédé de la uariatio, tandis que celle d’Hector est plutôt le lieu de l’amplification. Les nombreuses similitudes structurelles et formelles entre ces deux séquences sont attribuées à un désir de faire ressortir le lien de causalité entre la mort de Patrocle, celle d’Hector et, au-delà, celle d’Achille. Si l’on peut regretter que l’analyse n’apporte guère d’éléments nouveaux au dossier, elle a néanmoins le mérite de rassembler des données qu’on trouve parfois éparses dans des ouvrages à la perspective plus large.
26Enfin, le troisième essai, Il codice eroico e il guerriero di fronte alla morte, de Lara Pagani, se situe dans une perspective un peu différente, et s’attache à décrire le code de conduite des héros de l’Iliade par rapport au combat. Pour ce faire, en l’absence d’un exposé théorique de ce code par Homère, l’auteure étudie, d’un point de vue à la fois formel et substantiel, les discours où des personnages approuvent ou désapprouvent un comportement donné : le pôle positif consiste à se battre en affrontant l’adversaire, le pôle négatif à fuir. Plusieurs justifications sont invoquées par les personnages : le sentiment d’aidôs et la crainte de la nemesis, le savoir technique du guerrier, ainsi que les privilèges sociaux (timê) associés aux devoirs militaires pour les aristoi ; les enjeux existentiels (vivre ou mourir) et pratiques (l’issue de la guerre dépend souvent du comportement d’un héros singulier) ; et enfin l’aspiration à la gloire, le kleos tel qu’il est incarné par le chant de l’aède. Cependant, l’Iliade dépeint également des comportements divergents : des tentatives de fuite, réussies ou non, des déroutes collectives et des supplications pour avoir la vie sauve. L’auteure analyse ces passages et leur vocabulaire, en tentant des typologies qui éclairent le texte homérique. On peut s’étonner cependant que le comportement d’Achille, qui s’abstient de se battre pendant presque toute la durée de l’épopée, ne soit jamais interrogé du point de vue de ce code héroïque, d’autant plus que la notion de timê, normalement associé à la bravoure au combat, y est centrale.
27Le livre contient en outre une préface de Franco Montanari, ainsi qu’une riche bibliographie et trois index communs (des passages cités, des noms propres antiques et des sujets traités), qui permettent une lecture transversale des trois essais dont les points de contact sont nombreux.
28Nicolas Bertrand
Jean-Michel Renaud et Paul Wathelet, Les Relations familiales dans l’épopée grecque archaïque, Ateliers. Cahiers de la Maison de la Recherche, 40, Lille, Éditions du Conseil scientifique de l’Université Charles-de-Gaulle-Lille 3, 2008, 300 pages
29Issu d’ateliers trans-disciplinaires sur les relations familiales (voir J. Boulogne (dir.), Représentations mythologiques du sentiment familial : autour de la haine et de l’amour, Ateliers 37, Lille, 2007), l’ouvrage de J.-M. Renault et P. Wathelet est une enquête progressive : chaque chapitre suit une méthode similaire, croisant sémantique, étymologie, et analyse formulaire. Après une brève introduction, l’analyse porte sur « la famille en général » (ch. 2, de la famille à la royauté), « l’amour et le mariage » (ch. 3), « les relations entre ascendants et descendants » (ch. 4), « les relations entre parents de la même génération » (ch. 5), « les êtres liés à la famille et qui n’en font pas partie » (ch. 6, des personnages libres, rétribués, ou non, aux animaux familiers), « les éléments et les biens liés à la famille et à ses membres » (ch. 7, nom, armes, maison, foyer, troupeaux…), et « les usages liés à la famille » (ch. 8, mariage, hospitalité, « occupations proprement féminines », vengeance, rançon…), avant une conclusion générale qu’achève une comparaison avec l’épopée médiévale. Suit une cinquantaine de pages de bibliographie et d’indices (mots grecs, passages traduits, personnages mythologiques, sujets abordés). Ces questions concernent toute la société de l’épopée archaïque (Homère, corpus hésiodique, Hymnes, cycles troyen et thébain, etc.) et, contrairement à leur titre, chaque chapitre est d’abord un catalogue des termes grecs et de leurs emplois, suivi de l’analyse de passages où ils font sens. Ainsi, pour le mariage et l’amour (chap. 3, p. 59-90), après une étude, avec dérivés et composés, du lexique de l’union matrimoniale et de « ses acteurs », ????, ?????, ???????, ????, ???, ??µ??, ??????, ???????, ??????, ???????, ????????, ??µ??, ??????, ???? – ???µ??, ????? – ????? – ???????, µ???µ??, ??????, ?????, ??µ?? – ??µ??, et ???????????? / ?????µ????, on lit une évocation, parfois fondée sur une traduction développée, des couples, humains ou divins, Hector – Andromaque, Priam – Hécube, Ulysse et Pénélope, etc. Cette première partie se complète de paragraphes brefs sur divers points (« usages relatifs au mariage », tels ????, µ?????, ???????????, ?????????, et leur emploi dans certaines scènes exemplaires, « fidélité et infidélité », « amours contestées ou interdites », homosexualité).
30Le recueil des données, lexicales, métriques, dialectales, est méticuleux, complet. Mais, s’agissant des relations matrimoniales, de l’amour, de la sexualité, ainsi que des enjeux économiques et politiques dont les institutions familiales sont l’image et la scène, on regrette que des références, même attestées en fin d’ouvrage, aux travaux marquants de l’anthropologie historique (de L. Gernet à Cl. Calame), ne soient guère employées : les notes de bas de page renvoient surtout au DÉLG de P. Chantraine et aux travaux de P. Wathelet, et, dans la bibliographie, l’auteur le plus cité est le grand linguiste C.J. Ruijgh, alors que J.-P. Vernant ou P. Vidal-Naquet n’ont qu’une mention chacun. Et une approche réellement littéraire (puisqu’il ne s’agit pas ici d’une représentation documentaire) ou même syntaxique, à propos du formulaire, compense peu ce manque. Le lecteur peut enfin être gêné par la façon dont les auteurs ne prennent guère en compte le caractère problématique de l’observation moderne, construite elle aussi par des représentations et pratiques toujours contextuelles : l’emploi des adverbes « évidemment » ou « sans doute », le jeu des présuppositions culturelles non explicitées et la référence à une psychologie traditionnelle rarement mise en perspective montrent que les auteurs ne s’intéressent pas en premier lieu à ce qui différencie le plus les Grecs d’époque archaïque. C’est un choix acceptable, mais ce n’est pas présenté comme un choix. On utilisera donc avec intérêt ce travail soigné, comme une ressource utile, enrichie d’intuitions suggestives, mais un tel ouvrage ne saurait remplacer une lecture des études contemporaines relatives aux relations sociales, amoureuses et familiales dans l’épopée archaïque ou au formulaire homérique, dont on ne trouvera pas ici un état des lieux vraiment critique.
31Michel Briand
Roberto Nicolai, Studi su Isocrate. La comunicazione letteraria nel IV sec. a.C. e i nuovi generi della prosa, Quaderni di Seminari Romani di cultura greca, 7, 2004, VIII+212 pages
32Déjà auteur, notamment, de travaux sur l’historiographie grecque, Roberto Nicolai propose une monographie sur Isocrate, consacrée à la dimension littéraire de l’œuvre. L’accent est mis, non sur les conceptions d’Isocrate en matière de politique, de philosophie, d’éducation ou de rhétorique, mais sur ses stratégies de communication. Sur ce sujet, il y a peu de bibliographie récente, en sorte que l’ouvrage de Roberto Nicolai vient heureusement offrir une vision synthétique.
33Trois séries de problèmes sont successivement passées en revue : l’écriture, c’est-à-dire le caractère écrit de la production d’Isocrate, dans une société où l’oralité était très importante ; les genres, c’est-à-dire le répertoire des formes de communication auxquelles se rattachent les différentes œuvres et par rapport auxquelles elles innovent (plaidoyer, discours délibératif, éloge, récit historique, lettre, dialogue, etc.) ; enfin, les conditions de composition et de diffusion des textes. Sur chaque aspect, R. Nicolai s’emploie à faire le point. Il propose des études de textes et des analyses de vocabulaire, effectue des comparaisons avec les contemporains d’Isocrate (Alcidamas, Platon, les sophistes, mais aussi Thucydide) et parvient à des conclusions équilibrées et convaincantes. L’édition de référence utilisée est celle de la C.U.F. (p. 8). L’auteur ne cache pas les incertitudes qui demeurent, en particulier à propos de la transmission des textes et de la formation du corpus.
34Voilà donc une utile enquête sur Isocrate écrivain. Un tableau des œuvres d’Isocrate (p. 1011) et une liste des datations (p. 146-157) ajoutent à la commodité de l’ouvrage. On relève également un appendice sur les discours incomplets, ou présumés tels, de Lysias (p. 161-164), ainsi que l’intéressant concept d’« auto anthologie » (p. 167, n. 124).
35Laurent Pernot
Francesca Maltomini, Tradizione antologica dell’epigramma greco. Le sillogi minori di età bizantina e umanistica, Pleiadi, 9, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 2008, 214 pages
36Our so-called Greek Anthology is a compilation of ancient and Byzantine epigrams derived from two major manuscript sources, the Palatine Codex (AP) of the tenth century (Heid. Pal. gr. 23 + Par. suppl. gr. 384) and the Planudean Anthology (APl) dated 1301 (Marc. gr. 481), both of which descend from a great collection made by Constantine Cephalas in Byzantium in the early tenth century. In addition to these partially overlapping collections, there are a number of minor silloges, valuable in some cases for epigrams not preserved in AP or APl and more generally for textual readings and authorial ascriptions. Recent scholarship has clarified many aspects of the larger anthologies, but information about the minor sylloges has remained scattered in the prefaces to various editions (Stadtmüller, Beckby, the Budé volumes) and in other publications (Basson, Aubreton, Cameron) [20]. The previous scholarship on the sylloges is often contradictory and unreliable. Maltomini now offers a thorough analysis of those sylloges whose position in the tradition remains uncertain. Her primary goal is to determine which sylloges are dependent on the known sources and which may contain material preserved through other channels. In practical terms, the study aims to offer a solid basis for deciding whether a sylloge should be cited in an apparatus criticus as an independent witness to the tradition or omitted as a derivative of an extant source.
37Maltomini has closely studied all the manuscripts of the sylloges, mostly through autopsy. Since the order of the poems may change from one manuscript to the other and the number of epigrams included may vary, the task of identifying the original contents of a sylloge and the relationship between its manuscripts is difficult. One of Maltomini’s principal concerns is to provide an accurate list of epigrams in each manuscript and to report meaningful divergent readings ; as she shows, mistakes in these areas have been made by even more careful scholars. For some sylloges she confirms the views of the majority of scholars over an alternative theory ; for others she is able to establish a new stemma for the manuscripts or to offer a new analysis of the original collection.
38Maltomini follows the same structure in studying each sylloge : description of the manuscript source or sources ; a list of the epigrams contained in the sylloge ; analysis of the characteristics and arrangement of the collection ; comparison of the sylloge with other known witnesses, that is, AP and APl and sometimes other sylloges ; and a discussion of the value of the sylloge. In determining the dependence of one manuscript on another, she privileges the evidence gained from textual readings over similarities in lemmata or the order of epigrams. She points out that lemmata are often invented by the scribe, and while convergence in the order of epigrams can establish derivation, divergence does not conclusively establish independence.
39Only her most important conclusions can be mentioned here. She confirms the theory of Basson and Cameron that several sylloges (S, the first part of L, the first sequence in E, ??, and ABV) are independent descendants from the Cephalan tradition, and not derived from AP or APl. These small collections supply epigrams missing from the larger anthologies and/or offer readings that deserve the attention of editors. From her own analysis, she reaches similar conclusions about Sylloges I and H, while the evidence for T (containing epigrams from the Peplos probably derived from Tzetzes) is deemed inconclusive. Contrariwise, Maltomini has confirmed that several sylloges (?, F, O, K, and G) are derived from the Planudean Anthology and therefore should not be considered in the constitutio textus. Particularly important is her reassessment of the three manuscripts containing the Appendix Barberino-Vaticana (ABV), a collection of erotic epigrams that supplements Planudes ; she shows, by correcting a false reading reported by the original editor Sternbach [21], that Vat. Barb. gr. 123 is dependent on Par. suppl. gr. 1199 and consequently has no value for establishing the text of the sylloge. In her discussion of Sylloge ?, she corrects Aubreton’s late dating of one manuscript on the basis of a watermark (Laur. 57.29) ; as a result, she refutes his bizarre theory that this manuscript is a much later addition to Par. gr. 1773, both of which were copied in the last decade of the fifteenth century and signed by Bartolomeo Comparini.
40Maltomini reaches some of her most important conclusions in her analysis of Sylloge Euphemiana (E). This sylloge is named for two poems in which an unknown poet writing in the reign of Leon the Wise (886-911) dedicated an epigram collection to one Euphemius. Cameron has presented extensive evidence that some epigrams in E derive from Cephalas’ anthology and has therefore argued that since E as a whole was compiled before the death of Leon (on the evidence of the Euphemius dedication), the Cephalan collection must have been formed even earlier, that is, before 912. Maltomini convincingly refutes the argument for this early dating. She first shows that one of the manuscripts of Sylloge E, Par. gr. 2720 written in part by Scipione Forteguerri, is the source for all the other manuscripts. In this oldest manuscript the sequence of epigrams falls into two parts separated by a prose section, and the dedicatory epigrams to Euphemius appear in the much shorter second part consisting of nine compositions, only two of which appear in the AP. The overlap in content between Sylloge E and Sylloge ?? (an early supplement to the AP inserted at blank places in the codex) is confined to the 73 epigrams in the first part of Forteguerri’s manuscript. Following a suggestion of Gallavotti, Maltomini therefore concludes that Sylloge E preserves no significant information about the contents of the original collection dedicated to Euphemius so that the terminus ante quem for the lost Euphemian sylloge at the death of Leon does not provide evidence for the dating of Cephalas’ anthology.
41Maltomini reminds us that the Italian humanists, who lacked access to the lost Palatine Codex, were not limited in their knowledge of Cephalas’ collection to the Planudean selection, which formed the basis for the first printed editions. Rather, a significant number of additional epigrams, including many pederastic ones omitted by Planudes, were available in these minor sylloges. Some poems that cannot be found even now in the AP would not be known to us at all without these sylloges.
42The long-term sustainability of Maltomini’s conclusions will depend on the work of other scholars who check the accuracy of her reports about the contents of the manuscripts. In the meantime, her systematic approach to the evidence and her clarity of argumentation inspire confidence. Future editors of the Greek Anthology will be grateful for her guidance as they assess the utility of the sylloges. In addition, her exposition demonstrates the continuing need for a reliable and comprehensive edition of this great compendium. It speaks volumes that she must rely on Beckby as her critical edition of reference.
43Kathryn Gutzwiller
Évelyne Prioux, Petits musées en vers. Épigramme et discours sur les collections antiques, « L’Art et l’Essai », 5, Paris, CTHS-INHA, 2008, 416 pages et 16 planches
44In this reworked version of the second and third parts of her doctoral thesis [22], Évelyne Prioux (hereafter P.) explores the capacity of ancient art collections to convey, through artifices of selection and arrangement, complex meanings to their viewers. Central to P.’s project is the notion that collections of art and collections of poetry may respond to similar reading strategies, so that verses accompanying an actual set of images, or else describing one not immediately present, can aid us in understanding the interpretive practices that ancient audiences brought to bear on such groups of objects.
45In the three chapters of the book’s first part, P. treats three ensembles that are at once pictorial and textual collections : the frescoes accompanied by Greek epigrams from the House of Epigrams in Pompeii ; the vignettes and texts that line a corridor of the Domus Musae in Assisi ; and two inscribed herms from the so-called Villa of Aelian on the outskirts of Rome. The book’s second part focuses on groups of ecphrastic epigrams that present virtual collections to be imagined and assembled by the reader : pieces from the Greek Anthology by the third-century BCE epigrammatist Nossis ; two sections from the Milan papyrus of Posidippus ; and two sequences of couplets from Martial’s Apophoreta. The volume concludes with several elements that will enhance its usefulness for specialists and readers from other disciplines alike : a critical apparatus for the texts from part 1 ; a list of artists and a glossary of terms and names ; a comprehensive bibliography ; indexes of subjects and of passages cited.
46As a listing of the contents indicates, P.’s study is impressively wide-ranging. In her view, understanding each collection is a process of decipherment, whereby the viewer (or reader) recovers predetermined meanings encoded there by whoever commissioned (or authored) it [23]. Thanks to her thorough research, and her ability to employ analytical techniques from philology and visual studies with equal facility, she is generally successful in her search for such authorized meanings [24]. The chapter on the vignettes from the Domus Musae in particular is the best illustrated and documented discussion of this assemblage to have yet appeared, and it will be the source of first resort for future work on the topic.
47In the book’s first part, P. detects in her material metapoetic themes that use Homer as a touchstone for gauging other types of literature. She rightly insists that the painted scenes from the House of the Epigrams should be regarded as a collection of fictive pinakes and proposes that the central panel, showing Homer’s defeat by the fishermen’s riddle, allegorically suggests the ascendancy of epigram over epic [25]. The Domus Musae once again places epic at the center : a verse of the Iliad is surrounded by images and texts that act as « hymns » to Apollo and Dionysus (p. 79) and evoke the genres of amatory elegy and pastoral, as if to suggest that all poetry ultimately derives from Homer [26]. Though her discussion of the domus begins by emphasizing that the texts accompanying the vignettes are by different hands and perhaps written at different times (p. 69-70), she later refers to a single « poète d’Assise » whose intentions are in perfect harmony with those of the commissioner of the paintings (p. 111, 116, 121) ; this seems a missed opportunity to grapple with the question of how to read an ensemble that may not owe its existence to a single creative impulse. Part 1 closes with a brief treatment of the six epigrams inscribed on herms of Homer and Menander from the Villa of Aelian : the figure of Homer organizes a constellation of references to other authors and artworks.
48Part 2 begins with a correspondingly short chapter treating Nossis’ epigrams concerning dedications and portraits ; these may have served as a model for Theocritus (Id. 15) and Herondas (Mim. 4), as well as for other poetic texts that evoke groups of objects, such as the Milan papyrus of Posidippus. P. next offers a rich discussion of the two sections from this papyrus that are devoted respectively to stones (lithika) and to statuary (andriantopoiika) [27]. It is impossible to do justice here to the range of her insights. Two high points for me were her use of the iconography of artworks noted by Posidippus to discern additional thematic links between poems, and her reconstruction from the andriantopoiika of a nuanced engagement with the problematics of art history based upon the opposed ideals of leptotes (subtlety, fineness) and semnotes (majesty, grandness).
49P.’s last chapter opens with the puzzling assertion that, apart from the Xenia and Apophoreta, Martial’s corpus is « une succession de florilèges qui ne nous permettent pas d’étudier, dans les détails, la structure interne des livres initialement publiés par le poète » (p. 254). Martial’s twelve numbered books reach us, of course, in their authorial arrangement ; P.’s analysis might have benefited from a consultation of recent work on the ordering of poems in Martial [28]. Building on a hypothesis of K. Lehman [29], P. argues that epigrams 170-182 from the Apophoreta describe a collection of objects that may have adorned a temple, and perhaps specifically the temple to the deified Augustus begun by Tiberius and finished by Caligula [30]. P. makes good points about individual poems, but her attempts to link them to a putative imperial decorative programme sometimes cause her to pursue how isolated motifs functioned in Flavian iconography at the expense of considering their function in Martial’s text [31]. P. continues with a treatment of poems 183-196, on literary works [32].
50It is in the nature of a review to collect quibbles, but none of those mentioned above should obscure the excellence of P.’s monograph. The studies gathered together here offer an exemplary demonstration of a versatile methodology, one that will, it is to be hoped, inspire both similar and complementary explorations of the phenomenon of ancient collecting.
51David Petrain
Michael Erler & Stefan Schorn (dir.), Die griechische Biographie in hellenistischer Zeit. Akten des internationalen Kongresses vom 26.-29. Juli in Würzburg, Beiträge zur Altertumskunde, 245, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2007, VI + 492 pages
52Se la storia della biografia greca e latina è paragonabile a un fiume carsico, il cui percorso non è visibile con continuità, il volume curato da Michael Erler e Stefan Schorn si lascia riconoscere come un contributo durevole all’ardua impresa di ricostruire quella storia secolare. Die griechische Biographie in hellenistischer Zeit, in effetti, supera le aspettative suscitate dal titolo dell’opera, e si propone come una riflessione di respiro cronologicamente ampio sulla biografia antica, considerata non solo in relazione alle sue manifestazioni ellenistiche, bensì ai suoi precedenti e in parte anche alla sua fortuna. D’altro canto, la raccolta – come pure il convegno da cui nasce – coinvolge tutte le voci più autorevoli nel campo degli studi sulla biografia greca e latina. Né vengono eluse le grandi questioni, cruciali e ancora aperte : l’origine della biografia, i rapporti tra Peripato e Alessandrinismo, i rapporti con la storiografia e quelli con altri generi letterari contigui. L’impianto della raccolta riserva tuttavia maggiore spazio all’esame di singoli casi e di singoli autori, una scelta condivisibile in ragione dell’ignoranza che grava su intere fasi della storia della biografia antica, e della conseguente mancanza di un panorama chiaro e completo che funga da punto di partenza. Anche le informazioni bibliografiche (sempre accurate ed aggiornate) vengono proposte in relazione ad ogni singolo contributo, e dunque ad ogni singolo aspetto della biografia, anziché in forma di una bibliografia complessiva sul genere.
53La ricostruzione della biografia ellenistica rappresenta un obiettivo irrinunciabile per il ruolo cruciale che quest’epoca sembra avere avuto nello sviluppo della biografia antica, ma non è certo un compito agevole, dato che si dispone solamente di frammenti, quando non di semplici nomi. Non deve stupire, dunque, che, nonostante la varietà dei temi trattati, una parte considerevole delle riflessioni sulla biografia ellenistica ruotino intorno all’opera di Diogene Laerzio (basti consultare l’Index locorum, p. 450-452), che offre uno specchio ampio in cui vedere riflessi molti elementi propri della precedente storia del genere. Così, tra i contributori del volume spicca il futuro editore delle Vite dei filosofi, Tiziano Dorandi, con un prezioso lavoro sul (per molti versi misterioso) ???? ??????? ?????? di un non meglio definito Aristippo (Il ???? ??????? ?????? attribuito a Aristippo nella storia della biografia antica, p. 157-172) : l’autore, dopo una sintesi delle principali tappe della storia degli studi sul tema e dei risultati conseguiti (da Wilamowitz a Hense, da Gigon a Schorn), procede ad una rigorosa disamina della documentazione, per proporre infine una nuova edizione dei frammenti (8 in tutto, di cui 2 del primo libro e 6 del quarto) attribuibili con sicurezza all’opera citata sulla base dell’esplicita menzione dell’autore, dell’opera o di entrambi. Particolarmente interessanti le conclusioni formulate a proposito delle spinose questioni relative alla cronologia dell’opera e soprattutto all’identità del suo autore : per quanto riguarda la prima, Dorandi ritiene – con S. Schorn [33] – che il fr. 8 (Diog. Laert. VIII 60) del ???? ??????? ?????? suggerisca una contaminazione dell’opera di Satiro e di quella di Aristippo da parte di Diogene Laerzio, e che non possa pertanto essere addotto a prova di una dipendenza di Aristippo da Satiro o viceversa ; il che fa salva la datazione del ???? ??????? ?????? alla prima età imperiale proposta dallo stesso Schorn. Quanto all’autore, presentato dalla tradizione come Aristippo, assai attraente è – a mio avviso – l’ipotesi che Aristippo non sia altro che un nome fittizio, allusivo proprio all’antico filosofo cirenaico, rappresentante di quella dottrina del piacere che tanta parte ha nelle vicende narrate nei frammenti conservati del ???? ??????? ??????. Non meno brillante, benché al momento non dimostrabile, è la suggestione secondo cui l’autore di quest’opera sia da identificare con l’Alcifrone di Magnesia che lo schol. Ath. XII 518b menziona in relazione proprio ad un ???? ??????? ??????, in un’epoca sinora posta intorno al II sec. a.C. ; la sostituzione del vero nome dell’autore con quello del filosofo cirenaico si potrebbe facilmente spiegare come esito della sostituzione di un nome meno noto con uno più noto, e la cronologia dell’opera ne risulterebbe condizionata. Ma Dorandi a tale riguardo sospende – come è doveroso – il giudizio. Altrettanto ragionevolmente prudente si mostra Dorandi riguardo allo statuto che gli epigrammi pseudo-platonici per Astero (Diog. Laert. III 29) potevano avere nell’opera di Aristippo : molto utile in tal senso è la segnalazione di una proposta interpretativa pubblicata soltanto in forma di riassunto da Simone Follet [34], e nei confronti della quale Dorandi dimostra una speciale attenzione.
54Ancora le Vite dei filosofi sono al centro delle riflessioni di Jørgen Mejer (Biography and Doxography. Four Crucial Questions Raised by Diogenes Laertius, p. 431-442) e di Michele Corradi (L’origine della tradizione sul processo di Protagora, p. 285-301). Il primo, in particolare, si presenta come un contributo ad una conoscenza più completa e profonda dell’opera stessa e della personalità di Diogene Laerzio, e solo indirettamente a quella della biografia ellenistica : a partire infatti dalla vita di Democrito (IX 34-49), Mejer giunge alla conclusione che non vi sono elementi sufficienti a far pensare che la combinazione di biografia e dossografia caratteristica delle Vite dei filosofi risalga in quanto tale a qualche fonte ellenistica, e che, pertanto, fino a prova contraria, tale formula si deve a Diogene, « not as poor a writer as he often has been said to be ». Una rivalutazione – quella dell’opera di Diogene – che è stata avviata negli ultimi decenni nell’àmbito degli studi laerziani, e che pare del tutto legittima. Corradi, dal canto suo, prende le mosse da materiali laerziani – il racconto del processo che Evatlo avrebbe intentato a Protagora per non pagargli il compenso pattuito (Diog. Laert. IX 56) – per tentare una ricostruzione minuziosa della tradizione relativa ad un processo a Protagora in rapporto a quella, più in generale, dei processi per ??????? : secondo Corradi, tale tradizione sarebbe sorta tra IV e III sec. a.C., e avrebbe avuto origine in quel filone della biografia ellenistica che trae i dati sulla vita degli autori dalle loro stesse opere ; « in questo caso l’aneddoto su Protagora ed Evatlo poteva nascere dalla dottrina dei due ????? ???????µ???? » (p. 296). Meno stringente forse il passaggio alla conclusione, secondo cui, dato che questo procedimento, « ben attestato per il Peripato, è già sfruttato a fondo dalla commedia […]. Per l’aneddoto è […] possibile pensare ad un’origine nella commedia » (l.c.).
55Ad accomunare diversi saggi raccolti nel volume in esame è anche la figura di Aristotele, e il suo ruolo nell’origine e nello sviluppo della biografia come genere autonomo. Nella direzione di un ridimensionamento di tale ruolo muove – lungo la linea tracciata da A. Momigliano [35] – William W. Fortenbaugh (Biography and the Aristotelian Peripatos, p. 45-78), che nel corso di una riflessione ampia e articolata propone un riesame critico delle posizioni diametralmente opposte di George Huxley [36] e di Momigliano, e ne segnala così le debolezze : se il primo indubbiamente eccede nell’enfatizzare gli embrionali elementi biografici riconoscibili nell’opera aristotelica, il secondo a torto pretende che a dimostrare l’influenza peripatetica sullo sviluppo della biografia greca sia la presenza di un lessico tecnico peripatetico nelle opere biografiche note. Resta comunque difficilmente negabile il fatto che il primo autore ad avere dato corpo a un’idea di biografia effettivamente completa nell’àmbito del Peripato sia Aristosseno. Un’ampia digressione concerne la commedia menandrea, l’opera di Teofrasto e quella di Polibio.
56Una sintesi e un bilancio degli studi moderni sul rapporto tra biografia antica e aneddoto si deve invece a Graziano Arrighetti (Anekdote und Biographie. ??????? ?? µ????? ?????????, p. 79-100), che offre, in particolare, una lucida ed equilibrata definizione del ruolo e dell’impiego tutt’altro che trascurabili che il racconto aneddotico conosce negli scritti di Aristotele (p. 90-97). Interessante anche la messa a fuoco ad opera di Klaus Döring del trattamento che la figura storica di Socrate riceve nel Corpus Aristotelicum (Biographisches zur Person des Sokrates im Corpus Aristotelicum, p. 257-267) : con Socrate la riflessione su Aristotele si intreccia ad un altro filone importante dei moderni studi sulla biografia greca, anche se l’ipotesi di Döring sul peso di Socrate nella riflessione aristotelica e peripatetica sui caratteri umani poggia su indizi talora assai limitati. Fondata su dati ben vagliati ed acutamente interpretati è, d’altro canto, l’attribuzione ai dialoghi platonici di una funzione significativa nella maturazione delle premesse della biografia greca, in relazione appunto alla persona di Socrate : con la dovuta cautela e i necessari distinguo – tra ciò che va riconosciuto come espressione di un genere biografico autonomo e quelli che invece ne sono semplicemente delle anticipazioni, o elementi preparatorî – Michael Erler (Biographische Elemente bei Platon und in hellenistischer Philosophie, p. 11-24) ha il merito di fare chiarezza su come una rappresentazione di tipo biografico interessi Socrate nelle pagine platoniche, senza che ciò presupponga l’interesse nei confronti dell’individuo, del suo carattere e della sua vita reale che è tipico della scrittura biografica in senso proprio : la tensione platonica verso il generale e l’universale fanno piuttosto della figura socratica una sorta di figura paradigmatica.
57La definizione del ruolo di Platone nella progressiva maturazione degli elementi che daranno corpo al genere biografico si inscrive in una riflessione più ampia che trova spazio in apertura del volume e che riguarda i ‘primordi’ – o meglio – le ‘anticipazioni’ della biografia greca. Bernhard Zimmermann (Anfänge der Autobiographie in der griechischen Literatur, p. 3-9) guida il lettore in un percorso accattivante attraverso i racconti autobiografici ante litteram presenti nell’Odissea ; nella stessa sezione anche Senofonte riceve il dovuto peso, in quanto protagonista indubbio dell’evoluzione di un genere biografico, grazie al contributo di Michael Reichel (Xenophon als Biograph, p. 25-43), che definisce con notevole attenzione ai dettagli il carattere degli scritti biografici di Senofonte, suggerendone un’efficace sintesi (p. 39-41) : in primis la propensione ad alterare i dati storici in relazione al progetto letterario di volta in volta perseguito, ma anche la rappresentazione di tipi ideali nelle persone reali.
58Accanto ad una riflessione sulle origini o sui precedenti della biografia riceve adeguata attenzione anche il rapporto che quest’ultima stabilisce con altri – più o meno contigui – generi letterari. Irmgard Männlein-Robert (Hellenistische Selbstepitaphien : Zwischen Autobiographie und Poetik, p. 363-383) delinea una rassegna di autoepitafi, considerati nella loro dimensione autobiografica, mentre Bernhard Heininger (Das Paulusbild der Apostelgeschichte und die antike Biographie, p. 407-429) segue l’ipotesi di lavoro di una lettura degli Atti degli apostoli come biografia degli apostoli, e in particolare di Paolo, in relazione alla tradizione dei ???? dei filosofi, e approda ad un’interpretazione delle due opere di Luca, il Vangelo e appunto gli Atti degli apostoli, come parte di un progetto unitario, coerente con lo schema delle biografie dei filosofi di età ellenistica, che prevede di norma prima il ???? del fondatore della scuola – in questo caso Gesù – e poi quello dei suoi più importanti discepoli, Pietro e Paolo.
59Accanto a quelli sopra illustrati, il volume raccoglie numerosi altri contributi, per lo più incentrati su singoli autori e opere. Basti menzionare qui alcuni tra i più rappresentativi, lasciando al lettore il compito di scoprirne tutta la varietà e la ricchezza. Così, chi sia interessato a Neante di Cizico troverà una rigorosa e attenta disamina dei suoi frammenti nel saggio di Stefan Schorn (‘Periegetische Biographie’ – ‘Historische Biographie’ : Neanthes von Kyzikos (FgrHist 84) als Biograph, p. 115-156), mentre Ippoboto e Aristosseno sono oggetto di riflessioni specifiche rispettivamente nei contributi di Johannes Engels (Philosophen in Reihen. Die ????????? ???????? des Hippobotos, p. 173-194) e di Luc Brisson (Aristoxenus : His Evidence on Pythagoras and the Pythagoreans. The Case of Philolaus, p. 269-284). Per quel che riguarda la figura di Aspasia, Mauro Tulli (Filosofia e commedia nella biografia di Aspasia, p. 303-317), attraverso un paziente lavoro di analisi e confronto delle fonti disponibili, postula l’esistenza di una biografia ellenistica come parte di una compilazione atticistica ???? ???????, da cui dipenderebbero il capitolo 24 della Vita di Pericle plutarchea, la voce Aspasia del Lessico di Arpocrazione (p. 61, 13-62, 10 D. = ? 249 K.), e lo schol. Pl. Mx. 235e. Affascinante è anche il percorso tracciato da Mary Lefkowitz attraverso i presunti viaggi di scrittori e pensatori greci in Egitto, quali vengono narrati da una parte significativa della tradizione ellenistica, biografica e non (Visits to Egypt in the Biographical Tradition, p. 101-113) : un percorso che approda alla constatazione che i Greci d’Egitto durante l’epoca della loro dominazione politica non solo erano lungi dal voler imporre la propria cultura agli Egiziani, ma erano anche ansiosi di mostrare che esisteva un legame genetico tra le idee elaborate dai loro scrittori e filosofi e quelle sviluppate nell’àmbito della tradizione locale. Meritano certamente una menzione anche la generosa e utilissima rassegna di Francesca Longo Auricchio su risultati e novità nel campo della papirologia ercolanese (Gli studi sui testi biografici ercolanesi negli ultimi dieci anni, p. 219-255), e il saggio magistrale di Guido Schepens (Zum Verhältnis von Biographie und Geschichtsschreibung in hellenistischer Zeit, p. 335-361), che imposta una nuova discussione sul rapporto tra biografia e storiografia in età ellenistica, richiamando l’attenzione sul carattere non esclusivo di tale rapporto.
60La raccolta è corredata di un Index locorum (p. 443-473) e di un Index nominum (p. 475-492) : entrambi ben curati e dettagliati, rispondono alle più svariate esigenze di ricerca, e fanno così del volume un agevole strumento di consultazione. La veste editoriale è elegante e pregevole, secondo una ben nota ed encomiabile tradizione. In conclusione, l’opera curata da Erler e Schorn è destinata ad affermarsi come un imprescindibile strumento di studio e di aggiornamento per chiunque sia interessato ad accostarsi criticamente al complesso e articolato fenomeno della biografia antica.
61Valentina Garulli
J. R. Morgan et Meriel Jones (dir.), Philosophical Presences in the Ancient Novel, Ancient Narrative. Supplementum, 10, Groningue, Barkhuis Publishing & Groningen University Library, 2007, XII+282 pages
62Un colloque organisé à Lampeter, à l’Université du Pays de Galles, en 2006 se trouve à l’origine de ce recueil. Onze études abordent sous des angles divers une évidence que tous les lecteurs des romans antiques connaissent bien, celle de la présence de la philosophie dans la fiction romanesque. Cette évidence ne se laisse pas facilement analyser, mais elle s’avère riche en enseignements sur les romans comme sur la situation de la philosophie à l’époque où ils ont été écrits.
63M. Trapp (« What is this philosophia anyway ? ») présente un panorama du paysage philosophique à l’époque impériale. Il montre que la philosophie tient une place centrale dans les institutions scolaires où sont formées les élites. Elle est louée à la fois comme connaissance du vrai et du bien et comme manière de vivre. Cependant, la multiplicité des doctrines et des écoles nourrit à son égard un certain scepticisme. Celui-ci prend, chez un auteur comme Lucien, une forme satirique violente qui épargne, cependant, les philosophes du passé. D’autre part, certains empereurs bannissent les philosophes. C’est que la vie philosophique implique aussi une certaine rupture avec l’ordre social.
64Après ce tableau d’ensemble, J. Morgan (« The Representation of Philosophers in Greek Fiction ») s’intéresse à cinq personnages de philosophes présents dans cinq romans grecs et formule à leur sujet des hypothèses intéressantes : Démétrios, chez Chariton, fait peut-être écho à Démétrios de Phalère. Anaximène, dans Métiochos et Parthénopée, illustre l’implication de la philosophie dans les controverses rhétoriques à travers le débat sur l’amour qui se déroule pendant un banquet. Chez Antonius Diogène, la philosophie de Pythagore semble déconstruite, à l’image des conventions narratives. Dans les Éthiopiques d’Héliodore, Calasiris apparaît comme un truqueur peint sur le modèle d’Ulysse. Quant à Xanthos dans le Roman d’Ésope, ses incohérences et ses faiblesses le rendent humain et sympathique. J. Morgan conclut que ces personnages sont ambigus et ne possèdent pas une grande culture qui leur permettrait d’être les messagers des idées philosophiques qu’on rencontre pourtant dans les romans.
65Ces idées sont abordées par I. Repath (« Emotional Conflict and Platonic Psychology in the Greek Novel »). Il souligne l’importance du conflit des émotions et des désirs dans les romans et montre bien qu’il est représenté dans des perspectives et avec un vocabulaire qui évoquent la philosophie de Platon et, en particulier, ses réflexions sur la nature de l’âme dans la République et dans le Phèdre. Il en conclut que les romanciers et leurs lecteurs connaissaient le platonisme et que les romans donnent une preuve de la vogue de cette philosophie à l’époque impériale.
66En allait-il de même pour la philosophie du Lycée ? K. De Temmerman (« Where Philosophy and Rhetoric Meet : Character Typification in the Greek Novel ») se demande si les typologies de personnages établies par Aristote et par Théophraste ont pu servir de modèles aux romanciers. Il répond par l’affirmative en montrant que la représentation de certains personnages romanesques correspond à des descriptions établies au Lycée. Mais il souligne qu’il n’y a pas de preuve textuelle d’une connaissance directe de ces descriptions chez les romanciers. Ces derniers ont pu, en revanche, en acquérir une connaissance indirecte lors de leur éducation rhétorique.
67Ils ont mis en scène, d’autre part, certaines vertus. M. Jones (« Andreia and Gender in the Greek Novel ») étudie le courage chez les personnages masculins et féminins des romans. Elle montre qu’il est toujours mêlé à d’autres vertus comme l’endurance, sans se confondre avec elles. Sa complexité n’est donc pas moindre chez les romanciers que dans le Lachès de Platon et il implique toujours une part d’intériorité.
68Adoptant une perspective philosophique analogue, K. Dowden (« Novel Ways of Being Philosophical, or a Tale of Two Dogs and a Phoenix ») analyse deux passages de Xénophon d’Éphèse (IV, 6) et d’Héliodore (VI, 3-7) qu’il considère comme significatifs de la portée philosophique de leurs romans. Il montre que les deux romanciers y représentent des modes de vie antagonistes et qu’on trouve chez Héliodore, qui a conscience des limites humaines en matière de morale, un point moyen entre l’idéal et la « contre-vie » que constitue la vie de bandit.
69Cependant, Xénophon d’Éphèse fait aussi écho au stoïcisme comme le fait bien voir K. Doulamis (« Stoic Echoes and Style in Xenophon of Ephesus ») en étudiant la couleur stoïcienne et la mise en forme rhétorique de certains passages des Éphésiaques qui font penser à Épictète.
70Il y a moins de gravité chez Lucien. D. Ogden (« The Love of Wisdom and the Love of Lies : The Philosophers and Philosophical Voices of Lucian’s Philopseudes ») étudie la galerie de ses personnages philosophiques à partir de l’un des textes où ils sont le plus tournés en ridicule et où le Cynisme et l’Épicurisme, qui n’ont aucun représentant, font pourtant entendre leur voix.
71C’est, en revanche, l’influence du platonisme qui s’exerce sur Longus selon F.G. Herrmann (« Longus’ Imitation : Mimesis in the Education of Daphnis and Cloe ») qui étudie le thème de l’éducation par l’imitation dans Daphnis et Chloé et met à jour son substrat platonicien.
72On retrouve Platon avec K. Ni Mheallaigh (« Philosophical Framing : the Phaedran Setting of Leucippe and Cleitophon ») qui met en rapport le début du roman d’Achille Tatius avec celui du Phèdre. Selon elle, le romancier utilise le modèle platonicien pour développer des variations métaromanesques sur le rapport entre l’oralité feinte et la scripturalité réelle de son récit et sur le statut de l’auteur et du lecteur.
73Celui de la vérité se trouve au centre d’un passage des Métamorphoses d’Apulée (X, 33) analysé par A. Kahane (« Disjoining Meaning and Truth : History, Representation, Apuleius’ Metamorphoses and Neoplatonist Aesthetics ») qui met en évidence le caractère néoplatonicien de la vérité chez Apulée en se référant au débat entre J. Rancière et E. Auerbach sur la vérité et sa représentation.
74L’intérêt de ce livre réside dans la diversité de ses thèmes et de ses perspectives et dans sa grande qualité scientifique. Il n’épuise pas le sujet qu’il traite, mais il l’explore d’une manière éclairante et qui donne à penser. Il apporte ainsi une contribution importante à la connaissance des romans antiques et de la philosophie à l’époque impériale.
75Alain Billault
George E. Karamanolis, Plato and Aristotle in Agreement? Platonists on Aristotle from Antiochus to Porphyry, Oxford, Oxford University Press, 2006, X+420 pages
76Le livre de G.E. Karamanolis est consacré à un thème fondamental de la réflexion philosophique de l’Antiquité : celui de l’accord de Platon et d’Aristote. Plus précisément, l’auteur envisage de retracer la préhistoire d’une réflexion qui, depuis Antiochus d’Ascalon jusqu’à Porphyre de Tyr, a préparé l’acceptation de la philosophie d’Aristote dans le néoplatonisme post-porphyrien. Le démarche diachronique permet de proposer des synthèses critiques sur les platoniciens qui ont jalonné cette préhistoire, qu’ils aient été favorables à un rapprochement des philosophies de Platon et d’Aristote (comme l’étaient Antiochus d’Ascalon, Plutarque, Ammonius et Porphyre), ou qu’ils y aient été hostiles (comme Atticus ou Numénius). Cette enquête comble une lacune importante de l’histoire de la philosophie. L’auteur n’envisage pas toujours d’apporter des réponses définitives, mais rassemble les pièces d’un dossier souvent problématique. Les cas de Plotin et de Porphyre sont particulièrement exemplaires. Insistant sur la complexité du rapport de Plotin à l’œuvre d’Aristote, l’auteur conclut que le premier, sans être un défenseur de l’harmonie d’Aristote et de Platon, ne manifeste pas toujours d’hostilité à l’égard du Stagirite, et s’il est parfois plus critique, il peut également reconnaître la valeur de sa philosophie. G.E. Karamanolis tente de montrer que contrairement aux analyses d’A. Smith, le point de vue de Porphyre sur l’œuvre d’Aristote n’était peut-être pas si ambigu qu’on peut le penser. La documentation disponible démontrerait au contraire que Porphyre était convaincu de l’accord de Platon et d’Aristote sur les points philosophiques essentiels. L’auteur va jusqu’à formuler l’hypothèse selon laquelle Porphyre serait le premier platonicien (et non seulement le premier néoplatonicien) à avoir composé des commentaires sur Aristote, et que sa décision d’écrire de tels commentaires est liée à sa conviction que l’œuvre d’Aristote pouvait être profitable aux platoniciens (p. 324). Cet ouvrage brillant n’appelle de notre part qu’une seule remarque. L’auteur paraît ignorer qu’un certain nombre de chercheurs comme H.-D. Saffrey, R. Goulet ou encore A.-Ph. Segonds considèrent que le voyage effectué par Porphyre en Sicile dès 268 a pour origine réelle non la mélancolie dont parle la Vie de Plotin, mais un désaccord avec Plotin au sujet d’Aristote. Favorable à l’harmonie d’Aristote et de Platon, Porphyre n’aurait pas supporté le regard plus nuancé, pour ne pas dire plus défavorable, de son maître Plotin, et c’est à cause de cette crise intellectuelle qu’il aurait décidé de prendre pendant un temps ses distances. Il est dommage que G.E. Karamanolis n’évoque pas cette question actuelle des études porphyriennes, car son ouvrage aurait sans doute pris position dans un sens ou dans un autre (la bibliographie ne mentionne aucun des travaux de R. Goulet). On aurait apprécié d’autant plus que l’auteur intervienne sur ce sujet que son point de vue semble difficilement conciliable avec l’analyse que nous venons de rappeler : son étude tend à montrer que le jugement de Plotin à l’égard d’Aristote n’était pas si sévère, et p. 328, il écrit que la réflexion de Porphyre n’a fait que prolonger celle de Plotin, et que ses commentaires sur Aristote peuvent dater « de la dernière période de sa vie ».
77Sébastien Morlet
Yves Lafond, La Mémoire des cités dans le Péloponnèse d’époque romaine (IIe siècle avant J.-C.-IIIe siècle après J.-C.), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, 386 pages
78Yves Lafond, spécialiste reconnu de Pausanias dont il a édité en 2000 le livre VII (Achaïe) dans la Collection des Universités de France, livre ici un ouvrage foisonnant, traitant d’une vaste période et d’une thématique relevant de l’histoire des représentations. L’objectif, tel qu’énoncé en introduction, est de rendre compte de la manière dont les Grecs de la basse époque hellénistique et du Haut-Empire se sont représentés eux-mêmes sur le plan historique en tant que communautés civiques. Délaissant volontairement toute réflexion sur la romanisation et les phénomènes d’acculturation qui se font jour dans ces sociétés en mutation que sont alors les poleis grecques, l’auteur privilégie une approche culturelle de la Grèce romaine à partir d’un point de vue qu’il souhaite grec d’abord et avant tout, et souligne les lacunes de l’historiographie récente en la matière. Il aborde la question sous différents angles qui forment autant de parties, consacrées l’une à l’éthique de la cité à travers le langage de l’évergétisme et les valeurs morales des cités péloponnésiennes, une autre à tous les phénomènes de mémoire relevant du politique défini de manière particulièrement large [37], une dernière enfin aux aspects religieux, qu’il s’agisse de la réinterprétation des mythes, des fonctions sacerdotales ou des cultes. Il en résulte un livre parfois complexe à lire, qui traite d’une multitude de sujets croisés (évergétisme, évolution des institutions civiques, cultes, valeurs etc.) et dont les meilleurs passages sont assurément ceux où l’auteur exerce ses talents de philologue, en particulier les chapitres de la troisième partie sur le fonctionnement et la signification des mythes et des cultes locaux à partir du Périégète.
79Le choix de la période est judicieux et l’on peut affirmer qu’il fait aujourd’hui, pour ainsi dire, l’objet d’un vaste consensus académique : le début du IIe s. av. J.-C. et la deuxième guerre de Macédoine, qui marquent le début de la présence romaine en Grèce, et le milieu du IIIe s. apr. J.-C., avec la raréfaction de la documentation, fournissent à l’étude un cadre chronologique pertinent. Les découpages internes (en général au nombre de quatre, cf. par ex. p. 31-32 et 79-80) paraissent en revanche très moyennement fondés et semblent ne devoir leur existence qu’à la nécessité de faire œuvre d’historien. Les limites spatiales proposées ne sont pas nécessairement plus convaincantes : certes le Péloponnèse forme une entité géographique bien délimitée, dotée d’une topographie spécifique, mais ce n’est pas un critère suffisant ; quant à la formule de Néron (p. 25) dans le discours qu’il prononça en 67 [38] pour rendre leur liberté « à tous les Grecs qui habitent en Achaïe et dans la région appelée jusqu’à aujourd’hui le Péloponnèse », elle ne semble être là que parce que l’Empereur souhaite rebaptiser la Péninsule de son propre nom et se poser ainsi en nouveau Pélops. Il n’est ainsi pas certain qu’il existe aux yeux des Grecs comme à ceux des Romains, une entité Péloponnèse ou, tout au moins, que cette entité présente une identité régionale forte, comme la Béotie par exemple, dont l’identité ethnique et culturelle est fondée à la fois sur une langue et des cultes partagés. Il est donc préférable, quand on étudie le Péloponnèse (et non une sous-région spécifique de celle-ci, comme la Messénie par exemple [39]), de s’en tenir à des justifications pratiques (étudier la totalité de la province d’Achaïe aurait été trop long), sans chercher par tous les moyens à mettre en lumière des spécificités trompeuses (ainsi p. 105, à propos du lien entre agonothésie et comportement civique méritant du dédicataire, dont l’originalité n’a rien de certain), mais dont l’auteur reconnaît parfois lui-même qu’elles sont partagées par le reste du monde grec (p. 175, à propos du vocabulaire moralisant des conduites civiques).
80La réflexion repose presque exclusivement sur deux types de sources, littéraires et épigraphiques, la numismatique étant absente et l’archéologie n’étant invoquée qu’en de rares endroits (par ex. p. 195 sq., dans le chapitre intitulé « paysage monumental et honneurs civiques ») et le plus souvent à travers le prisme du Périégète ou des inscriptions. Sans doute cela peut-il se justifier dans un travail consacré aux « représentations », elles-mêmes portées d’abord par les discours que les Grecs ont tenus sur eux-mêmes. Mais, même parmi les sources littéraires, si le quasi-monopole exercé par Pausanias s’explique par l’intérêt justifié que lui porte l’A. et qui lui permet ainsi de le réhabiliter comme source essentielle sur sa propre époque, on s’étonnera du peu de références à Polybe, sans lequel la basse époque hellénistique reste assez obscure, même si l’objectif des Histoires est évidemment aux antipodes de celui de Lafond.
81Autre écueil, celui de la thématique choisie, celle de la mémoire, particulièrement complexe, quoique tout à fait essentielle pour la période considérée, si l’on en juge, entre autres, par les études récentes de S. Alcock [40]. La mémoire, telle qu’envisagée par Lafond, qui pourtant s’appuie à juste titre sur les acquis récents de la sociologie, loin d’être uniquement un outil heuristique utile à la réflexion, devient le cadre général de l’écriture et, notion protéiforme, se substitue de manière invasive à d’autres termes ou notions plus pertinents, comme discours ou pratiques politiques. Il est indispensable, bien sûr, de prendre en considération la fonction mémorielle des inscriptions, en particulier les inscriptions honorifiques, mais le rappel lancinant de cette fonction ne vaut pas analyse. Le résultat en est que, une fois gratté le « vernis mnémonique » de certaines considérations, on est amené à lire des paragraphes qui relèvent simplement de ce que les épigraphistes appellent l’histoire des institutions. Il vaut ainsi la peine de citer les deux questions posées p. 94, qui illustrent exactement le phénomène : « de quoi y-a-t-il souvenir ? » et « de qui est la mémoire ? », en lieu et place de « quelles sont les liturgies et magistratures exercées ? » et (si j’ai bien compris cette étrange deuxième question) « quelles sont les catégories de dédicants ? ». Autre exemple (p. 150), à propos des koina arcadien et panachéen : dans la phrase « deux autres confédérations ont leur place, à l’échelle locale, dans la mémoire de cités d’Arcadie et d’Argolide », la mémoire peut être avantageusement remplacée par « le système » ou « la vie politique ». En la matière, les différents passages consacrés au vocabulaire de l’évergétisme et au fonctionnement interne des cités restent insuffisamment maîtrisés et l’on aurait attendu, dès l’introduction, une présentation historiographique systématique des analyses de Louis Robert sur la rhétorique épigraphique de la basse époque hellénistique et de l’époque impériale. Il serait fastidieux de relever systématiquement les scories et l’on ne retiendra ici que quelques exemples significatifs. À titre général, on notera d’emblée qu’il n’existe pas dans le monde grec de carrière des honneurs respectant un ordre précis et que l’expression de cursus honorum est donc impropre, même si l’A. l’emploie constamment par pure commodité [41]. P. 81, les structures politiques des cités auraient « perdu de leur importance », ce qui mérite un minimum d’explications, compte tenu des efforts actuels des historiens pour montrer qu’évolution n’est pas synonyme de dégradation. P. 84, à propos de l’oligarchisation des sociétés et des mutations subies par le Conseil, l’A. devrait renvoyer aux travaux de P. Hamon [42]. P. 85, à propos de la raréfaction des décrets honorifiques « au fil du temps », il conviendrait de replacer cette catégorie au sein du vaste ensemble que représente la documentation épigraphique pour mesurer la portée réelle du phénomène. P. 89 (et passim dans ce chapitre), il faut davantage de précision dans l’utilisation de termes comme « inscriptions honorifiques », « dédicaces honorifiques » (?) ou « décrets honorifiques ». Enfin, à propos d’onomastique latine, p. 168, on supposera que le terme de « noms de famille » renvoie, dans la nomenclature latine, au gentilice.
82À propos des annexes, il convient de souligner le manque total de lisibilité de la carte générale proposée p. 323, ce qui n’aide pas à concevoir la spatialité de la « mémoire » civique péloponnésienne. On regrettera, par ailleurs, l’absence d’un recueil des principales inscriptions analysées : on aimerait, en particulier, pouvoir juger sur pièce de la pertinence des remarques concernant la superposition du collège des synèdres et de la Boulè à la basse époque hellénistique (p. 87, n. 25, à propos de la lettre d’Argos à la cité d’Aigai, SEG 26, 426, seul exemple ?) ou encore « le souvenir de la dimension panhellénique » constaté dans une dédicace du koinon des Achéens approuvée par la Boulè des Éléens (IvOl 459).
83Au-delà de ces détails, on n’oubliera pas, malgré tout, que cet ouvrage manifeste un effort méritoire de synthèse et tente de renouveler la vision que l’on a de la Grèce romaine et les problématiques généralement adoptées. On retiendra, en particulier, les conclusions proposées sur les valeurs morales constituant le cadre éthique des cités, analysées grâce à une intéressante comparaison des inscriptions et des auteurs, tels Plutarque et Dion de Pruse, même s’il convient de ne pas faire glisser dans le domaine d’une plate psychologie ce qui est d’abord de l’ordre du discours [43] et relève, quand il ne s’agit pas simplement de titres, d’une double construction rhétorique et sociale dotée d’une morphologie et d’une syntaxe complexes. Sans compter que les valeurs (arétè, philotimia, philanthrôpia etc.) relevées et définies par l’auteur n’ont rien de nouveau : sans doute est-ce d’abord leur expression qui change. On soulignera également la place prépondérante désormais occupée par trois cités majeures, Sparte, Argos et Messène. Mais faut-il s’en étonner, en particulier à propos de la première, si l’on songe aux faveurs accordées aux Spartiates par les Romains dès la guerre d’Achaïe ? Le problème, finalement, avec la période romaine en Grèce, est qu’on en revient toujours à la question de la présence et de l’influence des nouveaux maîtres, quels que soient les termes dans lesquels on la pose.
84Christel Müller
Athena Iakovidou (dir.), Thrace in the Graeco-Roman World. Proceedings of the 10th International Congress of Thracology, Komotini-Alexandroupolis 18-23 october 2005, Athènes, Research Centre for Greek and Roman Antiquity. National Hellenic Research Foundation, 2007, XIV+754 pages
85Ce volume épais renferme les actes du Xe Congrès de Thracologie, tenu en 2005 en Grèce. Quatre-vingt-six contributions d’une centaine d’auteurs originaires, pour la plupart, de pays balkaniques, mais aussi de pays occidentaux, y sont rassemblées, en anglais, français, allemand et grec moderne. La grande variété d’origines géographiques et institutionnelles, et la jeunesse de beaucoup de participants, contribuent au désenclavement de l’intérêt pour les antiquités thraces et au renouvellement des perspectives ; à ce propos, les collaborations transnationales sont encourageantes.
86La très brève introduction de Z.H. Archibald (p. 1-2) insiste sur la création des identités et la redéfinition du développement des différentes communautés en Thrace (par ex., la distinction urbain-rural). Elle invite à dépasser la dualité théorique Thraces-Grecs, ainsi que l’obsession de l’« ethnicity » des artéfacts au profit de l’étude de leurs utilisations contextuelles. Tous les champs de l’histoire ancienne sont conviés dans ce volume : histoire politique, économique et culturelle ; contributions variées d’archéologie, d’épigraphie, d’iconographie, de numismatique, d’histoire des religions, d’onomastique, de linguistique, et même de folklore. Si les nouveautés archéologiques ne sont pas spectaculaires (monnaies, amphores, inventaire funéraire, quelques inscriptions), elles ouvrent néanmoins des perspectives intéressantes.
87Parmi les études notables, on pourrait citer celle d’O. Picard, sur les rapports économiques entre Grecs et Thraces (p. 464-463) ; celle de N. Sharankov, qui publie une série de nouvelles inscriptions sur le ?????? thrace, avec une liste actualisée des thracarques connus (p. 518-538) ; la localisation à Bolayir de l’importante cité hellénistique Lysimacheia, par M. Sayar (p. 514-517) ; les apports récents des fouilles grecques (Kissos, Tragilos, Abdère, Maronée, Samothrace, Plotinopolis), turques (Ainos, Héraion Teichos), bulgares (Augusta Traiana, nécropoles et notamment des tombeaux princiers), roumaines et moldaves. Les monnaies sont privilégiées : par ex. les découvertes de Tragilos, Maronée et Ainos, ou encore l’analyse du monnayage des dynastes thraces trouvé en Thrace Occidentale et en Macédoine Orientale et Centrale. On note aussi un diplôme militaire trouvé à Olbia du Pont, accordé à un marin de la Classis Flauia Moesica (A. Ivantchik ; republié entre temps dans Chiron, 37, 2007, p. 219-242). La découverte la plus spectaculaire, qui devrait relancer nombre de chantiers, concerne les ostraca écrits dans un alphabet grec archaïque mais dans une langue inconnue (le thrace ?), à Samothrace et surtout dans sa Pérée, à Zôné (p. 218-219, 389-390) ; leur édition est préparée par Claude Brixhe (cf. CRAI, 2006, p. 121-146). De nombreuses analyses sont consacrées aux contacts économiques et culturels ou aux relations internationales : ainsi, les rapports entre Grecs, Macédoniens et Thraces ; les ambitions perses et athéniennes (E. Badian, M. Zahrnt) ; ou bien l’intervention de Rome. Les contacts entre Grecs et indigènes sont de loin le sujet privilégié, particulièrement dans la Thrace Égéenne ; cela n’est pas sans rapport avec les travaux récents de plusieurs antiquisants grecs, et, entre autres, la publication d’un récent corpus épigraphique, édité par L.D. Loukopoulou, M.G. Parissaki, S. Psoma, A. Zournatzi, ????????? ??? ?????? ??? ??????? µ????? ??? ????µ?? ?????? ??? ????? (??µ?? ??????, ??????? ??? ?????), Athènes, 2005 (= IThrAeg). La religion représente un autre domaine développé : entre autres, l’évolution du culte de Bendis, l’iconographie des Nymphes en Thrace, ou encore le culte royal à Amphipolis sont analysés.
88Les contributions sont, dans l’ensemble, très inégales, impression normale pour un congrès de cette ampleur et portant sur une thématique volontairement vaste – les relations entre la Thrace et le monde gréco-romain. Environ un tiers des articles sont en réalité des compilations de faible niveau, illustrant une fois de plus le creux de la discipline qui, en Bulgarie comme en Roumanie, s’appelle « thracologie », et qui s’invite à être analysée plutôt comme un indicateur des problèmes identitaires contemporains. Par ailleurs, les éditeurs grecs déclinent, comme il se doit pour ce type de publication, toute « responsability for the scientific authority » des auteurs individuels (p. XII). On ne manquera pas d’y remarquer des spéculations étymologiques et linguistiques, ou des théories insoutenables sur la religion thrace : on a affaire soit à une vision dépassée, soit, ce qui est plus dangereux, à des opinions nébuleuses sur un prétendu orphisme et dionysisme thrace, sur le culte solaire et la Grande Déesse-Mère, etc.
89Un grand nombre d’illustrations (photographies, dessins, plans et cartes) accompagnent les articles archéologiques, iconographiques et épigraphiques. Saluons l’effort des organisateurs et des éditeurs du Centre athénien de Recherches de l’Antiquité Grecque et Romaine (KERA) de rassembler ces études, et attendons avec intérêt la suite des recherches annoncées ou entamées.
90Dan Dana
Éléments « asyntaxiques » ou hors structure dans l’énoncé latin, textes réunis par Colette Bodelot, coll. Erga, 9, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 312 pages
91C. Bodelot propose, en ouverture du recueil, une exploration de ce que la macro-syntaxe, qui permet de prendre en compte ce qui dépasse le cadre de la phrase ou, plus généralement, qui n’entre pas dans le cadre de la (micro-)syntaxe rectionnelle, peut apporter à l’étude du latin. Suivent treize contributions qui traitent de divers cas particuliers.
92M. Griffe retrace l’histoire du concept d’extraposition, élément dont l’intégration à la phrase est problématique : l’extraposition est « hors de la phrase » selon Jespersen, créateur du terme, hors de la phrase en structure profonde pour les générativistes ; et, pour C. Touratier, il s’agit d’un constituant immédiat de P entrant dans une construction endocentrique.
93C. Fry insiste sur le flou fonctionnel de l’ablatif absolu qui, plus encore que son caractère absolu, a gêné les locuteurs non érudits, suscitant des tentatives de réinterprétation.
94H. Rosén étudie un type particulier de construction scindée, dont les occurrences sont assez rares en latin. Il s’agit de phrases dont la protase peut être une subordonnée relative ou une subordonnée adverbiale exprimant une relation temporelle-causale-explicative (quom, quando) ou, surtout, de condition.
95C. Nicolas propose un examen des tours X ab Y, courants dans les ouvrages lexicographiques latins. La question est de savoir si l’élément Y qui s’y trouve est ou non autonyme. La spécificité de l’autonyme devrait l’amener à déroger aux règles de l’usage (absence de marquage casuel), mais, lorsque cela est possible – c’est-à-dire quand il n’est pas fait mention d’une forme particulière du paradigme ou d’un aspect phonologique ou prosodique d’une finale donnée –, les Latins l’intègrent le plus souvent à la syntaxe de la phrase, préférant éviter la présence d’un élément hors structure dans l’énoncé. Cette absence d’un système cohérent de marquage de l’autonyme accroît l’ambiguïté des tours X ab Y, dans lesquels le rapport entre les deux éléments n’est pas toujours facile à déterminer.
96Différents emplois dans lesquels les noms propres jouissent d’une certaine autonomie sont étudiés par F. Biville. Dans les légendes et les titres, le choix de leur marque casuelle n’est pas commandé par des rapports de dépendance syntaxique. Ils peuvent également être détachés en marge des structures phrastiques (apparition en acrostiche dans des épitaphes en vers, emplois interpellatifs et exclamatifs) ou se trouver en position de rupture par rapport à la phrase (emplois métalinguistiques, noms propres étrangers non fléchis, apparitions en incise ou au nominatiuus pendens).
97M.-D. Joffre rapproche certains emplois de l’adjectif possessif de celui du datif de validation ou datif de point de vue. L’emploi du possessif ajoute à l’énoncé une opération énonciative (une prédication du type « pour moi, tu es la vie », dans le syntagme uita mea), dont la macro-syntaxe permet de rendre compte.
98C’est aux « pseudo-comparatives » en ut + uerba dicendi que s’intéresse G. Gibert. Ces comparatives sont incidentes à l’énonciation, et donc à un dico implicite. De ce fait, il n’est pas possible de restituer un corrélatif (ita, sic) ou de coordonner la subordonnée avec un adverbe. Ces comparatives méta-énonciatives sont de deux types : certaines indiquent une identité de contenu d’assertion, d’autres une identité de manière de dire.
99F. Panchón s’attache à montrer que le subordonnant ut, dont la fonction habituelle est d’opérer la translation d’une phrase en proposition subordonnée, connaît un emploi non translatif, lorsqu’il introduit une complétive à l’infinitif. Dans cet emploi, ut est un élément syntaxiquement pléonastique ; c’est un démarcatif, équivalent à deux points, qui annonce que ce qui suit est le complément du verbe introducteur et représente le rhème.
100J. Gallego s’interroge sur l’existence de subordonnées consécutives à l’indicatif en latin. Il s’agit toujours de consécutives effectives, et l’emploi de l’indicatif semble lié à l’aspect perfectif du verbe subordonné, qui se trouve au parfait de l’indicatif ; un seul exemple est sûr, ce qui ne permet pas de parler d’une véritable alternance modale.
101E. Dupraz s’intéresse aux titres, en tant qu’ils relèvent de la macro-syntaxe, dans les inscriptions officielles d’époque républicaine. Les véritables titres y sont en fait extrêmement rares, mais certaines inscriptions commencent par un paragraphe de présentation qui s’en rapproche par certains aspects.
102Le cas de l’apposition de phrase chez les historiens latins est examiné par D. Longrée. Celle-ci constitue, comme l’apposition à un groupe nominal, une prédication secondaire incise, une sorte de parenthèse syntaxique. Elle se trouve majoritairement à l’accusatif, les seuls cas assurés d’accord au nominatif relevés apparaissant chez Tacite.
103F. Gaide analyse, dans les textes médicaux, l’emploi du nominatif et de l’accusatif « de recette », qu’elle préfère appeler « d’ingrédient » : le lecteur, qui sait qu’il a affaire à une recette médicale, n’a pas besoin de marques syntaxiques pour saisir les relations entre les constituants.
104Enfin, les différents éléments hors structure dans la Cena Trimalchionis sont passés en revue par B. Rochette : interjections et exclamations, apostrophes, parenthèses, incises, insertion de paroles rapportées au discours direct, adverbes disjoints et ruptures de construction.
105Frédérique Fleck
Frédérique Fleck, Interrogation, coordination et subordination : le latin quin, Lingua Latina, 11, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2008, 496 pages
106En s’attaquant à l’étude des emplois de qu?n dans le but d’en offrir un classement cohérent et de clarifier les liens historiques qu’ils entretiennent les uns avec les autres, Frédérique Fleck aborde une matière complexe. Qu?n, on le sait, est susceptible de fonctionner comme adverbe interro-négatif, comme particule énonciative, comme coordonnant et comme subordonnant, tantôt négatif, tantôt positif. Une étude compréhensive de cette pluralité d’emplois, malaisés à hiérarchiser, faisait défaut. F. Fleck propose une approche novatrice du problème, fondée sur une réflexion syntaxique prenant en compte les apports de la « pragmatique », dont les bienfaits se font sentir ici de façon décisive.
107Le travail, qui embrasse une période étendue (du IIIe siècle avant notre ère au IVe siècle de celle-ci), s’appuie sur un vaste corpus, riche d’environ 3000 occurrences. Une introduction dense précise les enjeux du livre, qui est divisé en deux grandes parties, de trois et quatre chapitres respectivement, chacune se terminant par un bilan qui récapitule les acquis de l’analyse. L’ouvrage se termine par une conclusion générale, un résumé de quatre pages rédigé en anglais, une bibliographie, trois index (des auteurs latins, des termes latins et des notions), cinq annexes et une table des matières.
108Les emplois de qu?n non subordonnant sont détaillés dans la première partie. Le chapitre I, qui porte sur qu?n adverbe interro-négatif de cause, occupe une place essentielle dans l’économie de l’ouvrage. L’auteur définit les concepts fondamentaux de sa recherche (notamment l’opposition entre négation interne et négation externe, p. 27-29) et présente la théorie des actes de langage qui lui servira d’assise. Le lecteur apprécie d’emblée la rigueur de la méthode que suit F. Fleck, lorsque celle-ci établit qu’une interrogative introduite par qu?n n’est pas nécessairement à interpréter comme une requête, mais constitue essentiellement une question rhétorique (c’est-à-dire une question non percontative), laquelle prend généralement, mais pas systématiquement, une valeur de requête. Cette intuition est étayée par deux des lois du discours que dégage l’auteur (p. 47-48), d’une part « interroger sur les raisons du non-accomplissement d’une action F, c’est asserter qu’il n’y a pas de raison de ne pas accomplir cette action F », et d’autre part « dire à un interlocuteur qu’il n’y a pas de raison pour qu’il n’accomplisse pas une action F, c’est l’inviter à accomplir l’action F », principes qu’illustrent plusieurs exemples plautiniens que F. Fleck cite et reformule. Quin rem actutum edisseris ? (« Pourquoi ne m’exposes-tu pas toute l’affaire sur-le-champ ? ») équivaut ainsi à Nulla causa est quin rem actutum edisseras (« Il n’y a aucune raison pour que tu ne m’exposes pas toute l’affaire sur-le-champ »), ce qui revient finalement à Rem actutum edissere ! (« Expose-moi toute l’affaire sur-le-champ ! »). Autrement dit, de l’acte illocutoire littéral interrogatif est d’abord dérivé un acte illocutoire assertif duquel est tiré à son tour, par une dérivation secondaire, un acte illocutoire jussif. F. Fleck étudie l’incidence de différents paramètres, comme la personne et le temps verbal, sur cette chaîne de dérivation, puis compare les emplois de qu?n à ceux de quidn? (p. 84-86) et d’autres interro-négatifs de cause. Qu?n fonctionne également comme particule énonciative (chapitre II). Il est alors associé à l’impératif ou au subjonctif d’ordre ou de souhait, et assure une fonction expressive et, secondairement, conative (p. 104). Les dispositions d’esprit suggérées par qu?n sont l’irritation, l’impatience, l’exaspération. Après avoir relevé un emploi archaïque, rare mais significatif, dans lequel un qu?n à valeur assertive apparaît « de façon autonome », sans valeur connective, avec une fonction « essentiellement expressive » (p. 144-145), F. Fleck présente le qu?n coordonnant, objet du chapitre III. En fonction de coordonnant extraphrastique, qu?n permet un accroissement de la force illocutoire assertive de l’énoncé, c’est-à-dire une gradation de la force assertive par rapport à l’énoncé précédent. Le rôle argumentatif de qu?n consiste à introduire un renchérissement. Qu?n est alors souvent associé à un autre terme avec lequel il forme une lexie complexe (p. 182-188). F. Fleck discute les points communs et les différences dans l’emploi de qu?n et de sed, at, immo (p. 168-177). Qu?n a également développé une aptitude à jouer le rôle de coordonnant intraphrastique, mais avec diverses restrictions.
109Le chapitre IV, qui ouvre la seconde partie consacrée aux emplois de qu?n subordonnant, en propose un inventaire. Qu?n peut introduire en premier lieu une proposition conjonctive complétive (p. 204-230), qu’elle soit sujet, complément d’un tour impersonnel, complément de verbe, qu’elle figure en position détachée (apposée à syntagme nominal, ou extraposée), ou qu’elle représente un complément de nom, en second lieu une proposition circonstancielle (p. 230-241), de conséquence, de cause ou de comparaison (qu’entre ou non en jeu un système corrélatif), et en troisième lieu une proposition de type relatif (« relatives phrasoïdes », p. 241-246). F. Fleck s’efforce ensuite de dépasser cette revue factuelle pour entreprendre un classement plus abstrait, reposant sur une distinction entre morphèmes fonctionnels et relationnels : selon le point de vue adopté, on distinguera deux ou quatre « morphèmes /qu?n…Subj./ » (p. 258-259). Il s’agit d’une classification provisoire, que l’auteur affinera dans la suite en intégrant d’autres critères. Après avoir discuté, au chapitre V, les différents types de verbes qui appellent une subordonnée en qu?n et l’évolution des tours concernés au cours de la latinité, F. Fleck reprend le problème au chapitre VI, où sont traitées les questions délicates que soulève la combinatoire des négations dans les constructions qui mobilisent qu?n. Plus encore que la contrainte syntaxique d’une négation dans la proposition régissante (ou d’un substitut), c’est le phénomène remarquable d’effacement, dans certains contextes, de la valeur négative du subordonnant qu?n qui mérite une étude approfondie (p. 342-366). Alors que dans les propositions subordonnées consécutives et causales, dans les relatives phrasoïdes, après les locutions indiquant la possibilité, celles du type nulla causa est, les verbes d’activité (facio), les verbes déclaratifs (dico) et dans quelques autres cas, qu?n comporte une négation, c’est une valeur positive que possède qu?n après les verbes exprimant l’empêchement, le retard, le refus, après ceux qui relèvent du champ sémantique de l’incertitude, ou après les verbes de dénégation comme negare (pour ne citer que ces cas de figure). Une approche trop strictement syntaxique ne permettrait pas d’expliquer cette répartition. Prenant en considération la signification globale de l’énoncé constitué par la proposition régissante et la proposition subordonnée introduite par qu?n, F. Fleck observe que la construction avec qu?n subordonnant contribue toujours à asserter p (le contenu propositionnel de la subordonnée en qu?n), ou à produire un énoncé « coorienté ». Ainsi, dans le tour non multum abest quin, le sens global équivaut à « p se produit presque », ce qui implique certes, sur le plan informationnel, que p ne se produit pas, mais du point de vue de l’orientation argumentative, « presque p » peut avoir la même valeur que p, étant orienté vers la même conclusion (p. 353-354, 361). C’est donc la visée pragmatique, exprimée au moyen de divers tours syntaxiques recensés et commentés par l’auteur, qui détermine le sens, négatif ou positif, de qu?n subordonnant, et non l’inverse. Néanmoins, d’un point de vue descriptif, il convient de repérer deux morphèmes fonctionnels /qu?n…Subj./, l’un négatif, l’autre positif, ce qui porte à trois ou à cinq le nombre total des morphèmes /qu?n…Subj./ que l’on peut isoler en synchronie (p. 370), même si, souligne F. Fleck, cette distinction technique ne doit pas masquer l’unité profonde des emplois de qu?n subordonnant. Le septième et dernier chapitre replace les subordonnées en qu?n dans le système général de la subordination latine, en confrontant notamment les emplois de qu?n à ceux de n? et de qu?minus.
110F. Fleck met brillamment en relation l’assertion indirecte de p (ou d’un énoncé coorienté) au moyen d’une subordination en qu?n avec l’orientation argumentative, elle aussi positive, des questions rhétoriques introduites par qu?n adverbe interro-négatif. Ce rapprochement conforte rétrospectivement l’idée que de l’acte illocutoire (non réalisé) d’interrogation exprimé au moyen de qu?n interro-négatif, c’est bien un acte illocutoire assertif qui est dérivé, tandis que l’acte illocutoire de requête n’en est dérivé que de façon médiate et secondaire. Ces réflexions conduisent l’auteur à formuler une hypothèse sur la genèse de la subordination en qu?n (p. 365-366). Cette construction aurait son origine dans la juxtaposition de propositions indépendantes dont la seconde était une interrogative introduite par qu?n : un énoncé Verum tamen nequeo contineri ; quin loquar ? (« Mais pourtant, je ne peux pas me retenir ; pourquoi ne parlerais-je pas ? ») aurait été réinterprété comme une seule phrase associant une régissante et une subordonnée complétive, signifiant « Mais pourtant, je ne peux pas me retenir de parler », qu?n perdant ici sa valeur négative pour que soit conservé le sens global de l’énoncé, qui consiste en une assertion du contenu propositionnel de la subordonnée. Ce foyer de la subordination en qu?n a ensuite donné lieu à d’autres emplois complétifs, puis aux valeurs consécutive, causale, comparative. La transcatégorisation de qu?n, passé du statut d’adverbe interro-négatif de cause à celui de subordonnant complétif, et la désémantisation partielle qui l’accompagne sont les indices d’un processus de grammaticalisation (p. 413), si l’on entend par ce terme non seulement le processus menant du lexical au grammatical, mais aussi le développement d’un morphème grammatical vers un état encore plus grammatical. Attentive également à la dimension créatrice de la langue, F. Fleck insiste avec raison sur l’acquisition de valeurs nouvelles par qu?n subordonnant, au cours de son évolution. L’auteur parvient ainsi à une description unifiée des emplois de qu?n, aussi bien en synchronie qu’en diachronie. Il semble donc justifié de partir d’un qu?n interro-négatif de cause (« pourquoi ne pas ? »), ancien interro-négatif de manière (« comment ne pas ? »), selon une évolution sémantique décrite aux pages 23-24. Il est par conséquent légitime de voir en qu?n l’agglutination d’une négation enclitique *ne à l’adverbe interrogatif qu?, probablement l’avatar d’un instrumental archaïque *kwih1 (p. 20).
111On devine la minutie et les compétences techniques qu’exigeait une telle recherche. F. Fleck sait exploiter, quand il le faut, les données épigraphiques (ainsi, p. 123), se montrer attentive aux différences de genres littéraires et tenir compte des traits stylistiques propres à chaque auteur. Les nombreux exemples latins étudiés sont tous accompagnés d’une traduction personnelle qui allie exactitude et élégance. Chaque argument cité sert le raisonnement, et la démonstration ne se perd dans aucune digression. La table des matières détaillée (p. 487-494) permet d’appréhender uno intuitu l’architecture de l’ouvrage, conçue pour épouser adéquatement la démarche linguistique.
112Une ample bibliographie multilingue (p. 433-445) montre l’étendue des lectures qui ont nourri la réflexion de l’auteur, qui sait tirer parti des travaux de linguistique générale, de grammaire comparée et de stylistique. F. Fleck a consulté les enquêtes les plus modernes touchant les questions qu’elle aborde, sans négliger pour autant des études déjà anciennes. Ajoutons simplement, à titre de complément marginal, un article récent d’Olav Hackstein, « Rhetorical Questions and the Grammaticalization of Interrogative Pronouns as Conjunctions in Indo-European », dans Per Aspera ad Asteriscos, IBS, Innsbruck, 2004, p. 167-186, où sont, entre autres, présentés de nouveaux arguments en faveur de l’existence d’un instrumental *kwih1 en indo-européen, à l’appui de données latines et tokhariennes. Fait appréciable, lorsque l’auteur fait référence aux travaux d’autrui, ce n’est jamais pour s’abriter derrière une autorité. F. Fleck a su, tout au long de son travail, conserver sa liberté de jugement et choisir ses outils conceptuels et théoriques en fonction des besoins de son argumentation, non dans le souci de marquer son affiliation à telle ou telle école linguistique.
113D’une présentation matérielle irréprochable, le livre de F. Fleck est appelé par ses qualités à toucher différents publics : les experts de langue et grammaire latines bien sûr, mais aussi les chercheurs en linguistique générale qui ont pour champs d’investigation la négation, l’interrogation, la subordination, le renouvellement du signifiant des mots-outils au cours de l’évolution linguistique, et d’autres domaines encore, puisque F. Fleck incorpore à sa réflexion des remarques pertinentes sur le statut périphérique des adverbes de cause (p. 79-81), sur la variation et sur la concurrence de morphèmes. En raison de la logique inflexible des raisonnements et de la présentation efficace de notions centrales de syntaxe et de pragmatique, où les définitions concises sont illustrées au moyen d’exemples pris au français aussi bien qu’au latin, cette publication est à recommander aussi bien aux étudiants de sciences du langage qu’à ceux de linguistique ancienne.
114L’ouvrage enfin ne laissera pas indifférents les spécialistes de littérature latine, dans la mesure où l’auteur réalise, avec une adresse que beaucoup lui envieront, l’interface entre pragmatique et analyse stylistique (ainsi, p. 143-144). Le livre se recommande aussi par ses aspects pratiques. On trouvera notamment des repères commodes pour l’utilisation de qu?n en thème latin (annexe V, p. 479-486) : tout étudiant latiniste consciencieux aura donc à cœur de parcourir ces pages.
115La consultation de ce travail exemplaire, qui marque un véritable progrès par rapport aux grammaires traditionnelles, sera indispensable aux recherches à venir portant sur les interactions de la négation avec l’interrogation et la subordination, en latin et dans d’autres langues.
116Vincent Martzloff
Frédérique Biville, Jean-Claude Decourt, Georges Rougemont (dir.), Bilinguisme gréco-latin et épigraphie. Actes du colloque organisé à l’Université Lumière-Lyon 2, Maison de l’Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, UMR 5189 Hisoma et JE 2409 Romanitas, les 17, 18 et 19 mai 2004, CMO, 37, Lyon, Maison de l’Orient et la Méditerranée, 2008, 348 pages
117Ce volume regroupe seize études qui examinent la coexistence et les interférences linguistiques entre le latin et le grec à partir de la documentation épigraphique avec, en arrière-plan, la question des modalités des transferts culturels dans le monde gréco-romain entre le IIe siècle av. J.-C. et le milieu du VIIe siècle apr. J.-C.
118La première des trois sections est formée par un diptyque introductif. Le point de vue historique est illustré par A. Rizakis (p. 17-34) qui s’interroge sur la relation entre bilinguisme et acculturation en s’appuyant sur l’exemple des notables des cités grecques de l’Empire. Il souligne que, dans un cadre idéologique où domine la conviction d’une supériorité culturelle, l’adoption du latin relève d’une concession nécessaire pour participer au pouvoir et qui traduit une forme de pragmatisme politique. Ce phénomène, source d’ambiguïté identitaire, était limité aux couches supérieures de la société où les niveaux de connaissance et de pratique de la langue latine devaient être disparates.
119Sur le plan linguistique, F. Biville (p. 35-53) montre l’inefficience d’une conception abstraite du bilinguisme. Celui-ci recouvre en effet des situations énonciatives où il faut prendre en compte l’évolution chronologique et les variantes dialectales du latin et du grec, ainsi que la nature du contexte de communication. Elle propose ainsi une typologie de ces situations, entre cohabitation et fusion, où l’on peut faire le choix de l’une ou l’autre langue, mais aussi reproduire l’information par traduction ou paraphrase, ou utiliser les deux langues simultanément de manière complémentaire (code switching). Ces articles esquissent ainsi un cadre d’analyse que l’on retrouve dans la plupart des études qui suivent.
120La deuxième partie est centrée sur les régions orientales, où les textes latins ou bilingues sont minoritaires, comme le montrent trois communications qui traitent d’un corpus épigraphique étendu à une cité ou à une région. À Béroia, étudiée par M. Hatzopoulos (p. 129-139), elles représentent moins de 5 % et l’influence du latin se limite au lexique institutionnel, selon des traductions convenues ou des transcriptions. La situation est comparable (G. Galdi, p. 141-153) dans la région de la Dobroujda (Mésie inférieure), mais avec des nuances : à l’exception de sites marqués par l’implantation romaine (Capidava, Ulmetum et Noviodunum), le grec fut très ancré, notamment dans les vieilles colonies maritimes. Quel que soit le type de texte, son influence est perceptible dans les inscriptions latines où l’on observe en outre dès les IIe–IIIe siècles apr. J.-C. des évolutions ou des vulgarismes qui se diffuseront ultérieurement dans les autres zones de l’Empire. En Cyrénaïque, C. Dobias-Lalou (p. 155-168) note que le bilinguisme gréco-latin demeure cantonné aux contextes officiels ou juridiques. S’appuyant sur trois ensembles documentaires (inscriptions de Cn. Cornelius Lentulus Marcellius, légat de Pompée en 67, édits de Cyrène et cippes de bornage des règnes de Claude, Néron et Vespasien), elle montre que les interférences entre les deux langues furent réelles mais restreintes, et que c’est surtout le latin, tant sur le plan morphologique que syntaxique, qui a été affecté par le grec – ce dernier n’étant pas uniforme, empruntant à la fois au dialecte épichorique et à la koinè.
121Les autres contributions de cette section abordent des dossiers plus restreints. L’autonomie relative entre les deux langues ressort également de l’étude de Cl. Hasenohr (p. 55-70) sur les inscriptions des magistri de Delos, dont la majorité est en grec ou bilingue. Si les textes grecs peuvent apparaître comme une traduction parfois maladroite d’un original latin, certains éléments leur sont spécifiques : formules dédicatoires, dénomination des magistri (qui n’est ni un calque ni une traduction) et surtout la distinction entre les personnages en fonction et ceux sortis de charge. Les seconds étant les auteurs des dédicaces en grec, Cl. H. en déduit que ce choix exprimait leur intégration dans la société locale, alors que le latin possédait un caractère officiel visant de plus à rappeler la nationalité des rédacteurs.
122D. Rousset livre une analyse fouillée de l’usage des langues dans les deux ensembles documentaires du monument « bilingue » de Delphes (p. 71-108). Le premier, daté autour de 117 av. J.-C., transcrit en grec les actes d’une procédure contre des malversations au détriment de la terre d’Apollon. La langue est hétérogène, marquée par la koinè, mais aussi par des traits de la koinè qui peuvent être attribués à la copie d’anciens procès-verbaux ou au recours à des secrétaires de séance différents. Le trait le plus notable est néanmoins constitué par latinismes qui révèlent la présence probable de Romains pendant la session de l’Amphictionie. Le second versant concerne les actes bilingues du légat C. Auidius Nigrinus arbitrant un conflit de frontières entre Delphes et ses voisins (vers 110 apr. J.-C.). La traduction n’est pas littérale, mais forme plutôt une version parallèle sans doute élaborée par un rédacteur bilingue de l’entourage direct du légat.
123Alors que le grec restait la langue usuelle entre le pouvoir romain et les communautés locales, l’utilisation du latin dans les documents officiels des cités d’Asie mineure, étudiée par C. Brelaz (p. 169-194), est occasionnelle et relève d’initiatives ponctuelles. C. B. souligne ainsi que les exemples les plus anciens en l’honneur de negotiatores ou de Grecs ayant acquis la ciuitas sont des exceptions, tout comme les dédicaces pour des officiels romains ou les membres de la famille impériale. Exceptionnels sont les cas où le contexte historique explique ce choix (ainsi : CIL III, 7061, de Cyzique, I. Perge 54 ou I. Ephesos 283, où il faut y voir une marque de loyalisme). Sur les milliaires érigés par les cités, l’emploi du latin à côté du grec pourrait trahir en revanche une intervention des autorités romaines et être vu comme une affirmation du pouvoir impérial.
124L’exemple de Palmyre, présenté par J.-B. Yon (p. 195-211), s’inscrit aussi dans ce cadre. C’est l’un des rares lieux où l’on saisit une situation de trilinguisme, extrêmement marginale cependant puisqu’elle ne concerne que 8 textes sur plus de 3000. Le latin y est très peu présent, même dans le milieu officiel et militaire, comme à Doura ou à Zeugma qui sont brièvement examinées et où le grec et l’araméen sont usuels. Son usage est donc problématique et l’on peut se demander si, à Palmyre, les deux inscriptions trilingues de la fin du Ier siècle apr. J.-C. suffisent à fonder l’idée que la cité aurait cherché à faire un usage officiel du latin à ses débuts.
125Dans d’autres contextes, il est tout aussi difficile de déterminer les motivations qui ont conduit à faire graver une inscription bilingue. L’article d’É. Bauzon sur l’épigraphie funéraire des Italiens en Grèce et en Asie aux IIe et Ier siècles av. J.-C. (p. 109-128) illustre les limites des hypothèses qui peuvent être faites dans le cadre privé : son corpus (9 textes), trop réduit et dispersé géographiquement ou chronologiquement, n’autorise que des observations ponctuelles.
126Enfin, la contribution de D. Feissel (p. 213-230) sur la transcription du grec en alphabet latin dans des documents protobyzantins envisage un phénomène connexe qui concerne des textes non pas bilingues, mais digraphes. Cet usage, qui prend place à une époque où le rôle du latin comme langue du pouvoir n’est plus que résiduel, se rencontre dans quelques inscriptions officielles, dans la législation justinienne, sur les sceaux ou dans des souscriptions notariales d’Égypte. Ces documents appartiennent à la sphère de l’État ou cherchent à s’y référer, et relèvent d’une pratique très circonscrite mais révélatrice du prestige encore attaché à cet alphabet.
127La dernière section de l’ouvrage, sur l’Occident, s’ouvre sur deux études des Res gestae diui Augusti. Tandis que l’article de J.-F. Berthet (p. 231-239) s’intéresse moins au bilinguisme proprement dit qu’au lexique du politique, D. Vallat (p. 241-257) analyse les modes de traduction dans la version grecque des noms propres (hommes, divinités et lieux) et de quelques titres ou termes spécifiques. Entre transcription et traduction par calque ou par équivalence, elle révèle les adaptations et les choix fait par un traducteur qui était vraisemblablement grec et qui a dû opérer à partir d’une lecture à haute voix de l’original.
128H. Solin (p. 259-271) présente des observations sur l’expression du calendrier romain par les Grecs de Rome à partir des épitaphes chrétiennes et des graffiti d’une domus proche de la Gare Termini, pour montrer que, à quelques exceptions près, elle adopta les usages latins – notamment dans le mode de comptage rétrograde.
129Le bilinguisme gréco-latin caractéristique de la ville de Rome est illustré en second lieu par l’article de B. Rochette (p. 272-304) sur les épitaphes des communautés juives d’Italie. La distribution de chaque langue dans les inscriptions indique que le grec fut la langue dominante des Juifs au moins jusqu’au IIIe siècle apr. J.-C. L’auteur décèle des interactions entre les deux langues, qui se traduisent par une perméabilité entre le grec et le latin, mais aussi par le mélange de codes graphiques : le latin transcrit en caractères grecs témoigne ainsi d’une connaissance principalement orale de cet idiome. Venosa fournit un point de comparaison intéressant : dans un contexte latinophone, la communauté juive, qui parlait sans doute originellement le grec, semble l’avoir progressivement délaissé pour la langue locale, alors que l’identité religieuse était exprimée par l’hébreu.
130Dans la dernière contribution, J.-Cl. Decourt présente une synthèse régionale sur le bilinguisme en Gaule (surtout le sud et la vallée du Rhône) à partir du corpus des IGF. Dans un contexte latinisé depuis la conquête, où la langue celtique n’est guère saisissable par l’épigraphie et où le grec occupait une place certaine mais difficile à mesurer, il esquisse une typologie qui distingue quatre situations dans les énoncés épigraphiques : la simple transcription lexicale, l’emploi de formulaires latin ou grec, l’adjonction d’un texte plus développé mais différent (par ex. une épigramme) et enfin les textes plus complexes, avec traduction complète voire adaptation. Cette variété d’usages révèle les différentes significations culturelles revêtues par le grec et ses degrés divers de relation avec la langue et la culture latines.
131Les conclusions de J.-L. Ferrary, qui synthétisent très clairement les problématiques transversales du colloque, rappellent fort à propos que la dichotomie souvent mise en avant entre le latin (langue du pouvoir) et le grec (langue de culture) demeure, au moins pour les régions orientales, globalement juste ; mais c’est tout le mérite et la richesse de ces études de montrer que les faits de bilinguisme gréco-latin doivent avant tout être analysés de manière pragmatique, en considérant la spécificité des documents et des contextes où ils furent produits. Nul doute que cet ouvrage, soigneusement édité et pourvu d’un précieux index des sources et des notions, trouvera un écho mérité aussi bien chez les linguistes que chez les historiens.
132Nicolas Laubry
Bruno Zucchelli, Scritti minori, a cura di Giuseppe Gilberto Biondi e Gabriele Burzacchini, Quaderni di « Paideia » 9, Cesena, Stilgraf Editrice, 2009, 672 pages
133La miscellanea raccoglie 37 studi che spaziano dalla linguistica, alla civiltà greca e latina, alla filologia umanistica, alla cultura locale. La sezione linguistica è aperta da uno studio sui diversi usi di ?? col participio nella prosa attica e soprattutto in Tucidide che impiega il costrutto con particolare frequenza e libertà. Nel capitolo successivo viene argomentata la tesi secondo cui i diminutivi latini a suffisso -lo- deriverebbero dai vezzeggiativi personali risalenti all’età indoeuropea. L’approccio linguistico contraddistingue anche l’indagine sul problema delle origini della tragedia : l’Autore discute e accetta, almeno nel suo nucleo essenziale, la tesi di H. Schreckenberg il quale, muovendo dall’esame del significato fondamentale di gr. drao (« agisco con le mani »), riporta l’origine della tragedia alla sfera orchestica in cui le mani rivestono un’importanza primaria, e in particolare alla « mascherata pantomimica del tiaso dionisiaco » (p. 67). Seguono quattro studi sulla formazione o sulla semantica di singoli lessemi : motacilla (« cutrettola ») e strittabilla (« donna che cammina barcollando ») considerati dei derivati rispettivamente con suffisso -tlo- e da un aggettivo in -bulo/a ; i grecismi biothanatus e biaeothanatus (« morto di morte violenta, suicida ») interpretati come due forme parallele di composto (rispettivamente sost. + sost. e agg. + sost.) ; si analizza poi la semantica degli antonimi discolor/concolor e infine si propone la derivazione di misericors/ misericordia dal tema verbale miseri- + cor, « avente cuore che prova pietà ». L’interesse per il teatro riemerge nella sezione dedicata alla civiltà letteraria greca, dove, in tre distinti contributi, vengono discusse le teorie di F. Robert e H. Patzer sull’origine della tragedia, viene ipotizzata l’esistenza del suggeritore anche nel teatro greco, per poi estendere l’indagine al rapporto tra tragedia e storiografia con l’analisi della polemica di Polibio (2.56.7-13) contro la storiografia tragica : lo storico rifonderebbe, su basi diverse, la distinzione aristotelica tra storia e tragedia ispirandosi al programma storiografico tucidideo. I tre studi conclusivi della sezione affrontano tematiche tra loro irrelate : l’epistolario di Chione di Eraclea (allievo di Platone), da considerarsi un apocrifo di età domizianea ; il peri dysopias di Plutarco di cui si sottolinea la congruenza con l’impostazione pedagogica plutarchea, il che fa presupporre, al di là della dipendenza dalle fonti, che l’opera sia largamente basata sull’esperienza personale dell’autore ; infine il colloquio tra Pansa e Ottaviano in Appiano (BC 3, 75-76), un episodio fittizio che deriverebbe dall’Autobiografia di Augusto attraverso l’ulteriore rielaborazione di una fonte intermedia (forse Livio), e che, come dimostra l’Autore attraverso l’esame della sua congruenza col contesto, non può essere considerato, come sostiene D. Magnino, un’interpolazione sulla fonte di Appiano. L’ampia sezione dedicata alla civiltà latina abbraccia un complesso ancor più variegato di tematiche. Alla letteratura arcaica è dedicata una proposta di cronologia delle Satire di Lucilio che colloca la composizione del l. 1 nella seconda metà del 125 e la pubblicazione di un corpus più antico, costituito dai l. 26-29, nel 129 ; il l. 30 sarebbe stato pubblicato posteriormente al suddetto corpus, forse nel 125, ma antecedentemente alla composizione del l. 1. La tesi trova un’ulteriore precisazione nel saggio sull’antiquario M. Giunio Congo Graccano, una figura citata da Lucilio che può fornire utili elementi alla cronologia delle Satire ; nato nel 150 ca. e morto non prima del 60, menzionato da Cicerone, Planc. 58, fu autore di un perduto De potestatibus relativo alle magistrature romane, con cui intendeva fornire supporto storico all’ideologia dei populares. Al tema del rapporto tra letterati e potere, che già affiorava nel contributo precedente, sono dedicati specificamente i due saggi successivi : il primo è incentrato sul Tricaranos (« Tricipite ») di Varrone, che attaccava il triumvirato schierandosi a difesa della costituzione romana ; il secondo saggio verte su una frecciata indirizzata da Asinio Pollione ad Augusto (Macr., Sat. 2, 4, 21), un episodio che sarebbe da considerare storicamente attendibile in quanto congruente con la psicologia e la linea politica del personaggio. Nei saggi successivi la panoramica sull’età augustea si estende a tematiche estremamente eterogenee, quali la tardiva strumentalizzazione al proprio progetto politico, attuata da Augusto, della figura di Catone Uticense, presentato nella veste di difensore dell’ordine costituito ; il giuramento di Tirsi in Verg., Ecl. 7, 41-43, interpretato come rielaborazione letteraria del giuramento imprecatorio, ossia accompagnato dalla maledizione che dovrà colpire il giurante nel caso in cui la sua affermazione si riveli falsa ; una recensione alla traduzione in esametri dell’Eneide di L. Miori e infine un confronto tra la supplica ad Augusto di Ov., Trist. 2 e la lettera indirizzata a Stalin da E.I. Zamjàtin. All’età flavia è dedicato un trittico quintilianeo che focalizza distinti aspetti dell’Institutio oratoria : l’incongruente atteggiamento di Quintiliano, che pur dimostrando in diversi luoghi della sua opera di accettare il concetto stoico di provvidenza, nel proemio del l. VI, in occasione della morte dei figli, lamenta la scarsa attenzione che essa sembra dimostrare nei confronti delle vicende umane, una posizione che è indice di adesione solo parziale ai principi dello stoicismo ; viene poi affrontato il discusso problema della posizione di Quintiliano nei confronti dei Flavi, equilibratamente interpretata come un allineamento alla politica imperiale che non induce tuttavia il retore a farsi strumento del dispotismo ; nell’ultimo dei tre saggi vengono addotti argomenti a favore di una datazione alta dell’Institutio oratoria, che sarebbe stata completata nel 93 e pubblicata alla fine dello stesso anno o nei primi mesi del 94. Il quadro dell’età flavia è integrato da uno studio sulla libertà di parola sotto Tito che, nonostante il mutato clima politico, non sembra aver conosciuto sostanziali cambiamenti rispetto alle precedenti fasi del principato. L’interesse per il teatro riemerge nello studio successivo in cui l’Autore delinea una panoramica dei principali generi teatrali nel II sec. d.C., un’epoca caratterizzata dalla marginalizzazione del testo verbale e da quella centralità del testo scenico, musicale e gestuale peculiare di generi di ampia diffusione quali mimo e pantomimo ; la produzione di tragedie e commedie fu destinata prevalentemente alla lettura, mentre gli spettacoli privilegiavano opere del passato rappresentate integralmente, come le palliate di età arcaica, o in forma antologica, come poteva avvenire nel caso delle tragedie, per le quali era anche prevista la possibilità di esecuzione cantata affidata a un unico attore. La letteratura tardo-antica è rappresentata da due contributi sull’epistolario di Ausonio : il primo illustra, attraverso l’analisi dell’ep. 2, alcune caratteristiche generali della raccolta, in particolare il suo carattere non fittizio e il ricco sostrato di riferimenti intertestuali, soprattutto oraziani ; il secondo studio affronta alcuni problemi testuali dell’ep. 3, che costituirebbe una lettera di accompagnamento a un saggio della raccolta poetica Bissula inviato ad Assio Paolo ; viene difesa la lezione dei codd. piso (« pestello ») (§ 6), probabile equivalente popolare di tolleno (« mazzacavallo ») ; il senso del passo sarebbe che Assio Paolo esortava Ausonio a « tirare su con il mazzacavallo (scil. dal pozzo) » i suoi versi, cioè a non nasconderli, ma a consentirne la circolazione. La sezione latina è chiusa da uno studio sul rapporto tra letterati e potere politico a Roma in età repubblicana e augustea, che riprende alcuni temi già affrontati nei precedenti contributi focalizzando l’attenzione sul problema della libertà di parola che era garantita ai ceti dominanti mentre non erano tollerati attacchi da parte di persone di ceto inferiore ; i letterati potevano godere di una certa libertà se legati da rapporti clientelari a personaggi di alto rango ; in età imperiale tale libertà andò incontro a ulteriori restrizioni. Meritano almeno un cenno anche i quattro studi raccolti nella sezione sulla filologia umanistica dove viene esaminata l’interpretazione petrarchesca della figura di Asinio Pollione (fam. 24.9), viene discussa la conoscenza, da parte di Petrarca, dell’opera di Plutarco, in particolare dell’apocrifa Institutio Traiani, si fornisce prova documentaria che l’Orpheus attribuito a Cassio Parmense è un falso opera di A. Telesio, per concludere con un’indagine sull’origine del detto « Un uomo per tutte le stagioni », già proverbiale nell’antichità, che venne applicato a Tommaso Moro da Erasmo da Rotterdam nell’Elogio della follia. La figura di Cassio Parmense apre la sezione sulla cultura locale con uno studio che ne ricostruisce la posizione politica e la produzione poetica che comprendeva una tragedia (Brutus) ed elegie, per poi estendere l’indagine, nel saggio successivo, a un quadro complessivo della cultura della Cisalpina in età tardo-repubblicana ; gli ultimi due contributi trattano delle iscrizioni impresse su stadere romane conservate al Museo Archeologico di Parma e della denominazione Chrysopolis che sarebbe stata attribuita a Parma in epoca bizantina per la presenza di un deposito di denaro utilizzato per spese belliche. Nel complesso il volume costituisce una significativa testimonianza di una quarantennale attività di ricerca che, muovendo da interessi linguistici, per altro mai del tutto abbandonati, si apre a tematiche di filologia e storia letteraria che vanno dal teatro greco alla letteratura latina arcaica per arrivare all’epoca imperiale e tardo-antica fino all’Umanesimo. Certo non possono lasciare indifferenti la competenza con cui l’Autore si muove entro ambiti di ricerca così differenziati come anche la stringente lucidità dell’argomentazione. D’altro canto, però, i saggi risultano alquanto eterogenei e non sempre riconducibili ad aree tematiche unitarie, che sono comunque oggetto di sondaggi limitati ad aspetti settoriali, condotti a latere di studi di più ampio respiro e maggiore sistematicità.
134Cesare Marco Calcante
Markus Stein, Manichaica latina 3,1-2. Codex Thevestinus (Abhandlungen der Nordrheinwestfälischen Akademie der Wissenschaften, Sonderreihe Papyrologica Coloniensia XXVII,3,1-2), Paderborn-Munich-Vienne, 2004 et 2006 (Verlag Ferdinand Schöningh), Text und Übersetzung, Erläuterungen XX+328 pages in 8° (3,1) et Photographien 82 pages in 8° (3,2)
135Le présent travail offre la première édition complète du codex Thevestinus des Ve-VIe siècles (Bibliothèque Nationale de France, nouvelles acquisitions latines n° 1114) découvert en 1918 près de Tébessa en Algérie. En effet, ce sont bien deux liasses, ou plus exactement deux blocs plus ou moins compacts de parchemin (A et B) que Maurice Reygasse envoya alors à Stéphane Gsell, « laissant à des mains plus adroites le soin de décoller les feuillets ». Or, le texte publié peu après par Henri Omont, ainsi que la seconde édition de Prosper Alfaric en 1919, qui démontra la signification manichéenne du contenu, ne comporte que les treize feuillets du bloc A, dont il subsiste un jeu d’anciennes photographies (BnF NAL 1114 II). En 1987, Reynhold Merkelbach obtint de la BnF un jeu de photographies nouvelles incluant A et B. Mais il n’édita que A et le recto du premier feuillet de B, laissant de côté les douze feuillets suivants, dont Stein nous livre ici la transcription intégrale.
136L’entreprise était risquée, presque désespérée. En effet, alors que le bloc A, qui préserve la partie essentielle de la colonne de droite (recto) ou de gauche (verso) de treize feuillets successifs, permet de reconstituer un texte à peu près suivi, malgré les mutilations et les lacunes, le bloc B ne contient que la partie médiane de treize autres feuillets, avec un espace blanc d’environ deux centimètres, entre la fin et le début des lignes des colonnes de gauche et de droite. Dans ces conditions, aucune ligne ne peut être complète et l’interprétation du texte, même approximative, n’est tant soit peu envisageable que si l’on croit reconnaître une citation scripturaire.
137Le travail de Stein s’appuie avant tout sur une excellente étude codicologique et paléographique (III,1 : p. 111-126), dont on peut suivre l’argumentation grâce à un album photographique reproduisant tous les clichés connus d’Omont et de Merkelbach. On constate ainsi que A et B appartiennent au même codex : la disposition de la page et l’écriture sont identiques. Simplement, le copiste, qui s’astreint à écrire en semi-onciale, tend à revenir à l’onciale (comme on le voit bien, par exemple, pour la lettre « d ») au fur et à mesure qu’il se fatigue, vers la fin de son texte.
138Les marges ayant disparu, on ne dispose pas de numéros ou d’indices matériels permettant de reconnaître à coup sûr la construction du codex et la position relative de A et de B. Cependant, en A, col. 30, l. 9-10, figure le titre final du livre I d’un ouvrage intitulé De duobus gradibus, exposant les droits et les obligations réciproques des electi et des auditores de l’Eglise manichéenne. Cette indication est séparée du texte précédent par une ligne blanche, et du suivant, par deux lignes. De plus, les derniers mots du livre I et les premiers du livre II apparaissent en capitales. D’autre part, en B, col. 24, l. 3-4, deux lignes de capitales figurent pareillement sous deux lignes blanches.
139Deux hypothèses sont envisageables. Ou bien le codex contenait deux écrits différents : dans ce cas on pourrait supposer que B précédait A et qu’un premier traité manichéen s’arrêtait à la fin de B, col. 23, tandis que le livre I, De duobus gradibus, commençait en B, col. 24. Ou bien le codex ne contenait que ce dernier traité : dans ce cas, A précédait B, de telle façon que le livre I commençait dans la partie perdue, au début de A, tandis que la seconde partie de B contenait la fin de l’ouvrage. C’est cette dernière hypothèse que Stein juge plus vraisemblable. Il observe que, si on lit en B, col. 23, l. 26-27, [op]eris apos[tolorum], on obtient une sorte d’écho des premiers mots du livre II en A, col. 30, l. 16-17, de apostolorum opere.
140Comme les feuillets de A et B étaient agglutinés, et que l’encre du texte a parfois déteint de l’un sur l’autre à l’intérieur de chaque liasse, leur ordre est matériellement vérifiable. En revanche, on peut hésiter sur le sens général de la lecture, c’est-à-dire sur la distinction du recto et du verso de chaque feuillet. Observons que Stein ne tente pas, à ce sujet, de déterminer le côté chair et le coté peau. Il faut dire que le parchemin est extrêmement mince et souvent presque transparent (3,1 : p. 116). En partant d’indices textuels, Stein inverse les hypothèses de ses prédécesseurs. D’après lui (3,1 : p. 325), le feuillet A I r° est celui que les éditions antérieures tiennent pour A XIII, v°, tandis que lui-même considère comme A XIII v° ce qui passait naguère pour A I r°. Deux arguments le conduisent à cette conclusion : A, col. 50, l. 7-10, sur la place des riches parmi les disciples, renvoie à A, col. 38, l. 1-20 ; de même A, col. 30, 14-17, sur l’œuvre des apôtres, renvoie par exemple à A, col. 7, l. 5-8 ; 14, l. 6 ; 15, l. 14-16, où il est question des œuvres de Paul. Trop peu reste de B pour qu’on puisse disposer d’indices analogues. C’est pourquoi Stein maintient ici l’ordre admis antérieurement en supposant que si A reposait à gauche, au moment de la découverte, avec le feuillet XVI v° sur le dessus, B devait alors reposer à droite, avec le feuillet I sur le dessus. Il faut donc appeler B I, II, III, etc. ce que les éditeurs précédents ont nommé folio XIV, XV, XVI, etc. (3,1 : p. 326). L’argument pourrait être contesté, mais l’hypothèse reste intéressante.
141Cette nouvelle approche codicologique bouleverse complètement la lecture d’un texte qu’on croyait bien connu depuis près de 90 ans. L’édition proprement dite représente, page par page, ce qui reste des deux colonnes de texte, avec des lettres pointées en cas de doute, quelques restitutions entre crochets droits et une évaluation précise des lettres manquantes. L’apparat signale d’autres restitutions retenues dans la traduction allemande de l’éditeur et les hypothèses non retenues des éditeurs précédents. Tout cela est amplement discuté et justifié dans le commentaire détaillé (3,1 : p. 143-324). Celui-ci contient aussi de nombreuses informations lexicologiques, syntaxiques et scripturaires justifiées par des témoignages patristiques et classiques. Les allusions aux doctrines et aux usages manichéens sont expliquées par des parallèles empruntés en priorité à Augustin, mais aussi à Hegemonius, à Épiphane et à d’autres auteurs. On regrettera à ce propos, l’absence d’index. Mais on ne peut qu’approuver la prudence, la minutie et la concentration du travail.
142Adressé aux « auditeurs » manichéens, le traité De duobus gradibus justifiait le statut privilégié des « élus ». Le précepte de l’Apôtre « qui ne veut pas travailler, ne doit pas manger » (2 Th 3, 10) ne saurait interdire aux élus de s’abstenir du travail charnel pour mieux accomplir leur travail spirituel. Une fois ce point établi dans le livre I, le livre II démontrait l’obligation des « auditeurs » de subvenir aux besoins matériels des élus. Ce qui reste de la fin consiste essentiellement en témoignages scripturaires. Comme le prouvent les citations du Nouveau Testament (3,1 : p. 138-139), le texte n’est sans doute pas traduit du grec : c’est un écrit manichéen de la seconde moitié du IVe siècle, composé directement en latin.
143Brillante performance philologique, l’édition de Stein offre un guide très sûr pour l’étude de ce vénérable monument du manichéisme dans l’Afrique romaine.
144Jean-Pierre Mahé
Marie-José Kardos, Lexique de topographie romaine, Topographie de Rome, II, préface de F. Coarelli, Paris, L’Harmattan, 2000, 394 pages, 5 plans
145Le sous-titre du présent ouvrage, Topographie de Rome, II, fait indirectement référence à un précédent volume du même auteur (Topographie de Rome. Les sources littéraires latines, Paris, L’Harmattan, 2000, 394 p.) dont la Revue a déjà rendu compte. À la différence du premier livre qui donnait un choix de sources relatives aux monuments de Rome et classées suivant les régions, le présent volume se présente plus classiquement comme un répertoire topographique. Les entrées suivent l’ordre alphabétique et comme dans l’ouvrage antérieur une série de plans (d’ensemble et de détail) permet de retrouver les lieux mentionnés. Il est cependant dommage que la source iconographique ne soit pas mentionnée. Il s’agit en fait du grand plan dépliant de F. Scagnetti et G. Grande daté de 1984 et supervisé alors par F. Castagnoli. Ce détail n’est pas superflu car il soulève une question de méthode. Même si, comme le dit l’auteur dans sa préface, « il est impossible de rendre compte de toutes les découvertes archéologiques ou relectures topographiques de ces vingt dernières années » et que « devant de tels bouleversements ou de telles nouveautés la prudence s’impose », on risque parfois de se trouver face à un décalage entre la topographie illustrée par le plan et l’état plus récent des recherches dont font souvent état les notices. Le problème se pose par exemple avec la Naumachia Domitiani (p. 240) à propos de laquelle la notice ne renvoie à aucune planche, alors que certaines études récentes l’identifient à celle du Vatican ou encore aux restes dits du « Gaianum », d’ailleurs absent du lexique, mais dont la mention et les vestiges figurent sur un des plans en fin de volume. Tant qu’à retoucher ponctuellement la cartographie et à la redécouper, il eût peut-être été judicieux de faire montre de moins de prudence mais d’indiquer clairement les localisations retenues actuellement.
146Le titre général fait preuve de la même prudence. Un lexique, on l’aura compris, ne se veut pas un dictionnaire. Il en existe de forts bons et de très récents parmi lesquels le Lexicon topographicum Vrbis Romae est – malgré son titre – l’ouvrage de référence s’il en fut. Bien qu’il ait fourni une grande partie de la bibliographie du présent ouvrage, celui-ci n’est pas à proprement parler un abrégé des volumes dirigés par M. Steinby. On pourra toujours discuter de la présence – et surtout de l’absence – de tel ou tel monument parmi les notices, mais c’est surtout dans l’usage que réside la différence avec un véritable dictionnaire. L’ouvrage de M.-J. Kardos est pratique pour identifier rapidement les monuments cités au fil de la lecture d’un texte latin sans avoir à se plonger dans les synthèses complexes des dictionnaires de topographie. Il ne dispense pas bien évidemment de recourir au Lexicon topographicum Vrbis Romae ou aux livres spécialisés mentionnés dans la bibliographie récente à la suite de chaque notice sitôt qu’on s’intéresse à l’histoire proprement dite du lieu. L’index des sources qui figure à la fin du volume renvoie en fait à l’ouvrage précédent (Topographie de Rome. Les sources littéraires latines). Les deux se complètent et peuvent alors s’employer en parallèle quand il s’agit de confronter les sources. Il reste malgré tout très regrettable que cet outil s’appuie essentiellement sur des sources latines, comme si les auteurs grecs avaient dans leur ensemble ignoré la topographie de Rome. Les quelques mentions d’auteurs grecs – parfois essentielles s’agissant de certains monuments et concernant des auteurs aussi importants que Denys d’Halicarnasse, Plutarque ou Dion Cassius – figurent uniquement entre parenthèses dans les notices et ne sont pas reprises avec les autres sources listées à la suite de la description, ce qui fausse quand même la perspective. La même remarque concerne d’ailleurs le précédent volume, qui ne traite que des sources latines et on aurait pu attendre, avant une synthèse topographique sous la forme d’un lexique, que le deuxième volume de la « topographie de Rome » fût un recueil des sources grecques relatives à l’Vrbs.
147Manuel Royo
Yves Peurière, La Pêche et les poissons dans la littérature latine. I. Des origines à la fin de la période augustéenne, Collection Latomus 278, Bruxelles, Éditions Latomus, 2003, 268 pages
148L’ouvrage d’Yves Peurière (Y.P. ci-après), intitulé La pêche et les poissons dans la littérature latine. I. Des origines à la fin de la période augustéenne, reprend pour l’essentiel le contenu d’une thèse de doctorat soutenue en 2000 à l’Université Lyon III. Après un bref avant-propos et une introduction tout aussi brève, l’auteur étudie dans un ordre à peu près chronologique – on s’étonnera cependant de l’ordre suivi par les chapitres VI à VIII, qui traitent successivement de Cicéron (106-43 av. J.-C.), puis de Varron (116-27 av. J.-C.), et enfin d’un ensemble quelque peu hétérogène d’auteurs (Catulle, Lucrèce et quelques autres désignés sans plus de précision comme « historiens ») – les allusions à la pêche et aux « poissons », entendus au sens large d’animaux marins, qu’il a méthodiquement recensées chez les auteurs latins de la République et de l’époque d’Auguste, en s’arrêtant à Ovide et à ses Halieutiques, qui constituent en quelque sorte le point d’orgue de l’ouvrage. Ce découpage chronologique n’est pas justifié autrement que par des raisons de commodité pratique, et un second volume, poursuivant l’enquête jusqu’à la Moselle d’Ausone, est annoncé. L’organisation de la matière reproduit de très près celle adoptée par E. de Saint-Denis dans sa thèse sur Le rôle de la mer dans la poésie latine, Lyon, 1935, dans la lignée de laquelle s’inscrit manifestement le travail d’Y.P.
149L’ouvrage d’Y.P. poursuit un triple objectif. Il s’agit d’abord de déterminer l’usage qui est fait dans la littérature latine des thèmes ichtyologiques et halieutiques ; l’enquête est menée sur un double plan, celui des auteurs et celui des genres littéraires. Cette étude proprement littéraire est prolongée par une enquête à la fois zoologique et historique. Possédant une longue pratique de la chasse sous-marine en Méditerranée, comme il le précise au début de son introduction, l’auteur s’intéresse à l’identification des poissons mentionnés dans les textes latins et discute longuement certains cas problématiques, précisant ou corrigeant utilement les identifications proposées par ses devanciers. Le troisième objectif de son étude est de nature sociologique et historique : il s’agit d’étudier les pratiques halieutiques et les habitudes de consommation des Romains, afin de dégager constantes et évolutions.
150Ces objectifs sont à notre sens très inégalement remplis, faute d’une réflexion approfondie sur les problèmes de méthode que pose leur articulation. L’organisation de la matière, chronologique et par auteurs, livre le matériau brut de l’enquête. Si elle permet d’étudier chaque témoignage avec toute la minutie requise, elle aboutit à une succession de chapitres de longueur et de portée inégales. Les poètes élégiaques Tibulle et Properce font ainsi l’objet d’un chapitre aussi bref que hâtif (p. 196-201), où l’auteur met très insuffisamment en perspective les passages qu’il cite. Sans doute eût-il été plus indiqué de procéder par genres littéraires. Y.P. est bien conscient de la fécondité de cette approche et propose en conclusion (p. 243) des remarques malheureusement bien sommaires sur la place de la thématique étudiée dans les différents genres. Force est de constater que le plan choisi ne facilitait pas l’étude de ces conventions génériques et condamnait l’auteur à de fréquentes redites.
151Les analyses littéraires sont d’une valeur inégale, en raison notamment d’un certain nombre de partis pris. Mû par le souci louable de dégager l’originalité des textes qu’il étudie, l’auteur a tendance à opposer quelque peu mécaniquement culture hellénique et culture romaine, sans s’être véritablement donné les moyens de confronter systématiquement témoignages grecs et témoignages latins. On peut regretter, en particulier, l’absence de toute mise au point synthétique sur le traitement des thèmes étudiés dans la culture grecque, particulièrement à l’époque hellénistique. L’examen de la figure du pêcheur dans la littérature hellénistique est mené sommairement p. 12-13, sans établir le moindre parallèle avec la tradition figurée et sans mentionner les travaux importants qui ont été consacrés à cette figure, notamment ceux de H.P. Laubscher, Fischer und Landleute. Studien zur hellenistischen Genreplastik, Mayence, 1982, et de G. Zanker, Realism in Alexandrian Poetry. A Literature and its Audience, Londres, 1987 ; voir aussi Modes of Viewing in Hellenistic Poetry and Art, Madison-Wisc., 2004, auxquels il faut ajouter maintenant l’ouvrage de Chr. Kunze, Zum Greifen nah : Stilphänomene in der hellenistischen Skulptur und ihre inhaltliche Interpretation, Munich, 2002. L’auteur ne propose pas plus un aperçu synthétique des thèmes et motifs halieutiques de la comédie grecque, Ancienne, Moyenne ou Nouvelle, même s’il multiplie à juste titre les rapprochements ponctuels. Dans le même ordre d’idées, il eût été utile de dresser un panorama même succinct de la littérature technique grecque relative à l’ichtyologie, dans sa triple composante diététique, gastronomique et halieutique ; l’auteur pouvait s’appuyer pour ce faire sur les travaux classiques de Wellmann, ainsi que sur les recherches plus récentes de J. Richmond, Chapters on Greek Fish-Lore, Wiesbaden, 1973, et d’A. Zumbo, « Ateneo 1, 13 B-C e il ‘canone’ degli autore alieutici », dans P. Radici Colace, A. Zumbo (dir.), Letteratura scientifica e tecnica greca e latina : atti del Seminario internazionale di studi : Messina, 29-31 ottobre 1997, Messine, 2000, p. 163-170. Signalons aussi les pages éclairantes qu’A. Zucker consacre à cette question dans son livre Aristote et les classifications zoologiques, Louvain-la-Neuve, 2005, p. 282-292, paru après l’ouvrage d’Y.P. L’enquête sur les témoignages livrés par la littérature latine aurait ainsi disposé de bases plus solides.
152Ainsi, lorsqu’Y.P. essaie, après d’autres, de déterminer ce qu’il y a de proprement romain, ou de proprement « plautinien », chez Plaute, il n’a pas suffisamment conscience du caractère hautement conjectural de ses déductions. La conclusion à laquelle il parvient (p. 51 : « ainsi, sur le plan littéraire, ni les personnages ni le comique en rapport avec la pêche et les poissons ne nous semblent importés ; sur le plan documentaire, les pièces de Plaute nous paraissent renvoyer assez largement à la réalité romaine ») nous paraît très insuffisamment étayée. Les arguments utilisés pour établir le premier point se réduisent souvent au fait que Plaute n’aurait pas eu besoin de recourir à des modèles littéraires, étant donné qu’il avait sous les yeux, dans son environnement quotidien, ce dont il parle (voir en particulier les p. 17 et 42 ; même raisonnement p. 10, à propos de Liuius Andronicus). Il s’agit d’un raisonnement gratuit, qui se fonde sur une opposition simpliste entre la littérature et le monde de l’expérience quotidienne, comme si le second ne pouvait pas être médiatisé par la première. Quant au second point de la conclusion, il aurait fallu, pour le démontrer, confronter le témoignage de Plaute à des données extérieures, ce que l’auteur ne fait guère. Faute d’une telle confrontation, le raisonnement est quelque peu circulaire.
153D’autres points de l’analyse n’entraînent pas forcément l’adhésion. Aux doutes de l’auteur (p. 64-65) sur l’authenticité des vers des Hedyphagetica d’Ennius cités par Apulée dans son Apologie, on peut préférer la thèse traditionnelle, qui voit dans la maladresse de certains de ces hexamètres un indice de la datation haute de l’œuvre, avant les Annales, et de son caractère expérimental. De la même façon, les arguments avancés par l’auteur (p. 162-163) contre l’authenticité du texte relatant la fameuse cena aditialis de Lentulus, qui est cité par Macrobe au livre III de ses Saturnales (III, 13, 12), ne nous paraissent pas décisifs. En revanche, les poèmes de l’Appendix Vergiliana sont mis exactement sur le même plan que les œuvres authentiques du poète, et le problème de l’authenticité des Halieutiques d’Ovide est délibérément laissé de côté (voir la n. 61, p. 213), ce qui ne laisse pas d’étonner, compte tenu de l’importance capitale de cette œuvre pour le propos de l’auteur.
154En ce qui concerne maintenant la dimension historique de l’enquête, on soulignera pour commencer qu’une histoire des pratiques halieutiques et alimentaires des Anciens écrite à partir des seules sources littéraires ne peut être que partielle, surtout si l’on ne confronte pas ces dernières à ce que nous apprennent l’archéologie, l’archéozoologie, l’épigraphie et l’iconographie. Les techniques de pêche, la question des viviers et de la pisciculture, celle de la production des salaisons et de leur commercialisation constituent autant de questions qui ne peuvent être convenablement abordées à partir des seules sources littéraires. Elles ont donné lieu à plusieurs travaux récents, qu’Y.P. connaît et exploite à bon escient, à l’exception de l’ouvrage de R.I. Curtis, Garum and Salsamenta. Production and Commerce in Materia Medica, Leyde-New York-Copenhague-Cologne, 1991, qui n’est pas cité. Une fois encore, l’ordre d’exposition adopté entraînait une dispersion des remarques et ne permettait pas à l’auteur d’approfondir les aspects sociologiques et économiques de ces questions. Plutôt que de lire des généralités vides de sens sur les Romains, qui « ne sont pas des marins pêcheurs » (p. 63 ; voir aussi p. 162 : « la pêche n’est pas une activité traditionnelle chez les Romains »), on aurait aimé voir discuter par exemple les thèses de N. Purcell, « Eating fish. The paradoxes of seafood », dans J. Wilkins, D. Harvey, M. Dobson (dir.), Food in Antiquity, Exeter, 1995, p. 132-148). Il n’en reste pas moins vrai que l’ouvrage d’Y.P. fournit des matériaux précieux à l’historien – par exemple le fr. 16 de Plaute (ap. Festus, 166, 26 L.), qui laisse entrevoir l’existence précoce de certaines formes de conchyliculture, ou encore les différentes sources relatives au rôle de la mendole dans l’alimentation – et fourmille de remarques qui méritent d’être méditées.
155Un point regrettable est l’omission de la documentation iconographique. L’auteur s’en explique brièvement dans la n. 1 de la p. 244 : « La plupart des mosaïques à poissons sont postérieures à notre période, mais, pour les siècles suivants, il peut être intéressant de confronter les textes avec les mosaïques ». S’il est peut-être vrai que « la plupart des mosaïques à poissons » sont postérieures à l’époque d’Auguste, cela ne dispense en rien de prendre en considération les mosaïques à poissons d’époque hellénistique, qui comptent des œuvres aussi prestigieuses que la grande mosaïque aux Poissons de l’« Antre des Sorts » de Palestrina ou encore l’emblème de la Maison du Faune aujourd’hui exposé au Musée archéologique national de Naples (inv. 9997). C’est du reste ce que fait très timidement l’auteur dans une note de bas de page (n. 192, p. 235 ; voir aussi la n. 75, p. 96), où il renvoie justement aux travaux de P.G.P. Meyboom. Le parallèle qu’il esquisse avec les Halieutiques d’Ovide aurait mérité d’être poursuivi plus avant.
156Ces critiques ne doivent pas faire oublier les mérites éminents de l’ouvrage. Y.P. fait le meilleur usage de sa double compétence de philologue et de parfait connaisseur de l’ichtyofaune méditerranéenne. Il discute de façon particulièrement approfondie et nuancée les questions de vocabulaire et de terminologie, ne néglige pas les problèmes d’établissement du texte (voir par exemple p. 37-41, le menu d’Ergasile, Plaute, Capt., 848-851) et aborde avec méthode et compétence les difficultés soulevées par l’identification des différents animaux marins mentionnés dans ses sources. Tout au plus peut-on regretter qu’il ne renvoie pas plus systématiquement aux ouvrages scientifiques modernes, ce qui aurait accru l’autorité de son propos. Au total, Y.P. conduit son lecteur de la mer aux cuisines en passant par l’étal du poissonnier, il lui offre un inventaire aussi succulent que savant des productions de la mer mentionnées par les auteurs latins de la République et de l’époque augustéenne, et il démontre par l’exemple la fécondité d’une approche à la fois philologique et zoologique qui ne se contente pas de considérer paresseusement que tous les poissons se valent et qu’un poisson n’est jamais plus qu’un poisson.
157Jean Trinquier
Wilfried Stroh, Cicero : Redner, Staatsman, Philosoph, coll. Wissen, éd. C.H. Beck, Munich, 2008, 128 pages
158Philologue, professeur émérite à l’Université Ludwig-Maximilian de Munich, W. Stroh est notamment l’auteur d’un ouvrage académique bien connu des cicéroniens et consacré à la rhétorique des plaidoyers judiciaires (Taxis und Taktik. Die advokatische Dispositionskunst in Ciceros Gerichtsreden, Stuttgart, 1975). Il fut aussi en 1981 le coordonnateur des Entretiens de la fondation Hardt consacrés à Éloquence et rhétorique chez Cicéron (Vandœuvres – Genève, 1982). Ces dernières années, il n’a pas reculé devant la publication d’ouvrages destinés à un plus vaste public, notamment dans la monographie Latein ist tot, Es lebe Latein (Berlin, 2007 ; tr. fr., Paris, Les Belles Lettres, 2008), véritable histoire de la diffusion et de la survie du latin en Europe. Stroh se fait désormais régulièrement le promoteur du latin vivant, parlé voire chanté, y compris dans les supports audiovisuels. On ne s’étonne donc pas de le voir relever le défi pour la petite collection Wissen chez l’éditeur Beck : présenter Cicéron en 128 pages. Le livre est d’une certaine façon à la croisée de ses préoccupations d’homme de science (ses travaux ont porté sur Cicéron mais aussi sur la poésie amoureuse) et de son engagement dans une forme raisonnée de vulgarisation scientifique.
159Selon les normes de la collection, l’ouvrage est dépourvu de notes et ne comporte que de très courtes citations de texte, mais il est complété par une bibliographie dense et tout imprégnée de science académique. Une chronologie et un index des personnages confortent la dimension pédagogique du livre. Des renvois internes et un séquencement en rubriques thématiques courtes facilitent la circulation dans le volume.
160Le plan choisi est, presque inévitablement, chronologique. Stroh sait éviter les écueils d’une narration trop étroitement biographique. Cicéron est replacé dans l’histoire générale du Ier siècle av. J.-C., politique bien sûr, et aussi culturelle. La présentation des œuvres est imbriquée dans celle de la vie. Stroh ne manque jamais d’éclairer et de traduire pour le non-spécialiste les notions antiques : aduocatus, diuinatio, humanitas, patronus, religio, superstitio, etc.
161Les biographes de Cicéron ont souvent fictivement dialogué avec de glorieux prédécesseurs, parfois à de longues années de distance : c’est à J. Carcopino que P. Grimal pensait manifestement lorsqu’il cherchait à rendre Cicéron sympathique, dans une biographie aux surabondantes anecdotes (Cicéron, Paris, 1984, et surtout dans la version développée homonyme, Paris, 1986). Chr. Habicht avait lui « répondu » à Th. Mommsen en tenant de faire de Cicéron un véritable homme politique (Cicero der Politiker, Munich, 1990). La biographie de Stroh sera sans doute avantageusement comparée à la très controversée monographie de M. Fuhrmann (Cicero und die römische Republik, Eine Biographie, Düsseldorf, 1989 ; rééd. en poche, Munich, 3e éd., 1999).
162Le livre de Stroh répond à l’ambition affichée : offrir une synthèse riche de contenu, dans un style qui reste alerte malgré l’exigence de densité. Stroh ne se veut pas historien ; on ne sera pas étonné que le philologue allemand ait mis en avant Cicéron orateur, devant l’homme d’État et le philosophe. Le format de la collection ne permet guère de mettre en perspective les débats historiographiques. Le lecteur en sera assez frustré. Mais c’est là une limite inhérente au genre éditorial auquel Stroh a accepté de contribuer. Les spécialistes verront dans cet ouvrage une référence accessible à laquelle ils pourront renvoyer leurs étudiants des premiers cycles universitaires.
163Isabelle Cogitore
Ingo Gildenhard, Paideia Romana. Cicero’s Tusculan Disputations, Proceedings of the Cambridge Philological Society. Supplementary volume 30, Cambridge, The Cambridge Philological Society, 2007, 326 pages
164Ce livre comprend une introduction, trois chapitres et une conclusion synthétique suivie de deux appendices sur la datation de l’œuvre en question (Cicéron aurait délibérément évité de fixer avec précision la date du dialogue : la composition de Tusc. pourrait remonter à n’importe quel moment de l’été ou de l’automne de l’an 45) et sur des problématiques relatives au genre littéraire caractérisé par une flexibilité de type pragmatique et communicatif. Des index élaborés avec soin suivent ; ils répertorient des passages cités, des noms et des arguments traités. L’ouvrage se termine par une bibliographie très étendue qui n’est pas limitée à la langue anglaise ou allemande : étant donné le nombre élevé de spécialistes cités, il aurait peut-être été utile de prévoir aussi un index ad hoc.
165Dans le premier chapitre qui est le chapitre le plus intéressant et le plus persuasif du volume, Gildenhard (G.) analyse en détail les « énigmes » de Tusc., le titre, le genre littéraire, les dénominations attribuées par Cicéron au texte (disputatio, exercitatio, sermo), les contenus idéologiques, les rapports avec la philosophie grecque et avec les autres traités cicéroniens. Ce faisant, il considère Tusc. comme une des réponses les plus cohérentes à la tyrannie de César, comme une œuvre qui, avec l’aide de la culture grecque, visait à préparer l’humus culturel pour la « résurrection » de l’État à laquelle aspirait Caton l’Ancien : en ce sens, la proposition de créer une synthèse gréco-latine éducative et philosophique, une paideia Romana, constituerait le fruit d’un projet idéologique poursuivi en l’absence de la possibilité de pratiquer une politique active et destiné au futur. G. présente, de façon systématique et organique, tous les arguments en faveur d’une interprétation politique de Tusc., mais cette dernière prête encore à discussion selon moi.
166Le deuxième chapitre – dans lequel apparaissent également d’utiles tableaux comparatifs entre le contenu de Tusc. et celui d’autres œuvres cicéroniennes – est un examen approfondi et très minutieux des proèmes, avec une attention particulière portée aux livres 1 et 2 et à leur aspect linguistique. À ce point-ci, G. entreprend des analyses qui ne sont pas toujours convaincantes, comme par exemple à propos de cum omnium artium, quae ad rectam uiuendi uiam pertinerent, ratio et disciplina studio sapientiae … contineretur, hoc mihi Latinis litteris inlustrandum putaui, dans la longue réflexion des p. 95-109 sur Tusc. 1,1. Il devient alors difficile de comprendre pourquoi G. distingue deux niveaux hiérarchiques entre omnium artium (« practical skills ») et ratio et disciplina (« their internal logic/rational understanding and teaching »), là où ratio et disciplina sont les termes qui régissent grammaticalement omnium artium mais qui ne constituent pas un élément externe à ce syntagme. Il est également difficile de comprendre pourquoi G. détermine trois niveaux (artes / ratio et disciplina / studium sapientiae), là où la structure semble plutôt binaire (omnium artium ratio et disciplina / studium sapientiae). Certaines fois, G. suit coûte que coûte le schéma interprétatif défini dans le premier chapitre, même si celui-ci manque de cohérence par rapport aux données du texte. Par exemple, je partage les observations de M. Schofield, « Roman Virtues », dans R.K. Balot (dir.), A Companion to Greek and Roman Political Thought, Londres, Blackwell, 2009, p. 199-201 : le contraste repéré aux p. 118-125 entre les listes des vertus dans Rep. 1,2 et dans Tusc. 1,2 ne peut pas s’expliquer sur la base des différentes conditions politiques à l’époque de la composition ; il s’agit plutôt du fruit des divers projets culturels servant de base aux deux œuvres.
167Le troisième chapitre approfondit la structure didactique de l’œuvre. G. souligne très bien le caractère « dramatique » de Tusc. et évalue de manière probante la « retombée » de l’action cicéronienne, en clarifiant les stratégies adoptées pour illustrer à l’élève les particularités des diverses positions philosophiques.
168Le seul argument sur lequel G. ne s’attarde pas est la constitution du texte : il se sert de l’édition, parue chez Teubner, de Pohlenz datée de 1918 sans se référer à celle de H. Drexler et de G. Fohlen et c’est à peine s’il mentionne l’édition de M. Giusta de 1984 à la p. 1 et à la n. 4. Le volume a été méticuleusement préparé au niveau graphique ; certaines affirmations sont pour le moins singulières, comme à la p. 97 note 33 : « Cicero with the prefixes re and inter (re-ttuli [sic !], retenta, re-missa ; inter-uallo ; inter-missa) reinforces the themes of intermission and return ». L’œuvre de G. se situe dans le genre critique des Interpretationen et a le mérite de faire le point sur de nombreuses questions posées par Tusc. : voici une remarquable et efficace contribution à la recherche qui, à l’instar de tous les textes de qualité, suscitera probablement de vives discussions.
169Andrea Balbo
Nuccio D’Anna, Publio Nigidio Figulo. Un pitagorico a Roma nel 1° secolo a. C., Milan, Archè, San Donato, Edizioni PiZeta, 2008, 171 pages
170Le récent ouvrage de Nuccio d’Anna sur Nigidius Figulus s’inscrit dans la continuité de ses travaux sur la philosophie, l’ésotérisme et la mystique en Grèce ancienne et à Rome [44]. Il fait partie des rares études [45] qui s’intéressent à cette figure énigmatique de la fin de la République qui, aux dires de Cicéron (Tim., I, 1), fit revivre la disciplina pythagoricienne qui avait été en vogue en Italie et en Sicile, fut le chef de file d’une confrérie aux réunions occultes se réclamant de Pythagore, le sodalicium, et nous a légué, dans des domaines tels que la grammaire, la théologie, la divination, la géographie, la physiologie humaine ou la zoologie, une œuvre difficile d’accès, tant par l’état extrêmement fragmentaire dans lequel elle nous est parvenue que par son érudition et son obscurité assez déconcertantes.
171Le livre de Nuccio d’Anna est d’une lecture utile et agréable : composé de dix chapitres – clin d’œil recherché à la fameuse décade pythagoricienne ? – de nature thématique, il décline les différents aspects de la personnalité de Nigidius, à la fois Pythagoricus et magus [46], justifie son surnom de Figulus (« le potier »), avant de rentrer dans le détail de certaines de ses œuvres, en particulier celles qui concernent, outre la grammaire, les aspects théologiques, astrologiques et divinatoires des recherches nigidiennes. L’objet principal de D’Anna est de situer Nigidius aux confluents d’univers multiples (le pythagorisme, la culture étrusco-latine, les doctrines des « Mages hellénisés ») et de montrer la synthèse originale qu’il en a produite, dont la finalité profonde ne serait autre, en dernier ressort, qu’une recherche renouvelée de la pax deorum.
172On peut regretter, outre certaines répétitions induites par le plan retenu et le silence gardé sur certaines œuvres, certes mineures, de Nigidius, que la personnalité de celui-ci ne soit pas mieux située dans la tradition pythagoricienne et en particulier au sein de ce qu’on appelle depuis Zeller le néopythagorisme, lequel gagnerait à être déconstruit et hiérarchisé entre ses divers représentants supposés : ainsi le caractère problématique d’une penseur réputé pythagoricien dont les préoccupations semblent cependant parfois fort éloignées du pythagorisme et dont les fragments, à l’inverse de ceux de Varron par exemple, ne disent rien ou presque de thèmes pythagoriciens majeurs comme la métempsycose ou le nombre, n’est à notre sens pas assez souligné. Malgré ces réserves, le livre de Nuccio d’Anna reste une contribution utile à la connaissance d’une figure importante de la vie intellectuelle et religieuse romaine, qui peut intéresser à ce titre un public varié.
173Nicolas Lévi
Alfonso Traina, La Lyra e la libra. Tra poeti e filologi, Bologne, Pàtron, 2003, 366 pages
174Le livre La Lyra e la libra d’Alfonso Traina (Bologne, Pàtron, 2003) recueille des articles publiés par leur auteur entre 1998 et 2001, à l’exception d’un seul, consacré à Horace (« Autorittrato di un poeta ») remontant à 1993. Ces contributions reflètent la poursuite d’une réflexion, abondante et profonde, engagée par Alfonso Traina depuis près d’un demi-siècle, sur la poésie latine. La matière de l’ouvrage, quoiqu’elle soit plus ou moins directement liée à la poésie latine, n’en demeure pas moins très variée, puisque, comme le sous-titre, Tra poeti et filologi, l’indique, le propos concerne aussi bien les poètes latins antiques que leurs successeurs jusqu’au XXe siècle (Pasoli, en particulier) et leurs lecteurs à travers les siècles. Cette diversité confère à l’ensemble sa richesse, certes, mais le rend aussi quelque peu disparate, puisque la préface de l’auteur ne met pas en évidence de véritable fil directeur unifiant les différents articles, et que ces derniers n’ont d’ailleurs pas été modifiés pour s’intégrer à un livre. C’est donc bien plutôt d’une collection que d’une démarche qu’il s’agit ici de rendre compte. Toutefois, étant donné l’abondance des travaux réunis, au nombre de vingt-quatre, il n’est pas question d’entrer dans le détail de chacune des démonstrations offertes.
175Dans l’ensemble, le lecteur trouvera sans aucun doute son compte à l’érudition immense d’Alfonso Traina, qui ne se borne pas aux grands auteurs classiques, mais s’étend à toute la tradition philologique, en particulier italienne, qui englobe elle-même des poètes, tels qu’Alfieri. Sur les auteurs anciens (Catulle, Horace et Sénèque surtout, mais pas exclusivement), Alfonso Traina développe souvent des analyses personnelles et originales, qui éclairent d’un jour nouveau les passages abordés : le rapport entre le carmen 63 et le reste du libellus catullien, par exemple, est établi avec fermeté par l’observation des traits de l’ambiguïté sexuelle d’Attis ; ou encore la tentative de lecture verticale des chœurs des tragédies de Sénèque (les uns à la suite des autres comme s’ils formaient un corpus à part) met en lumière des effets de signification d’un grand intérêt. Sur les auteurs modernes, les enjeux du travail d’Alfonso Traina ne sont pas exactement les mêmes, car il aborde souvent des questions peu explorées encore, à propos desquelles il présente, d’abord, un matériau abondant et utile (sur l’œuvre de traducteur d’Alfieri ou sur la situation critique d’Enrico Turolla, notamment), mais propose, de surcroît, une réelle interprétation : fournissant ainsi à la fois une série de références considérables et un ensemble d’hypothèses critiques perspicaces, ces contributions constituent autant d’incitations à poursuivre la recherche dans ces domaines.
176Toutefois, par leur démarche personnelle, voire, parfois, presque subjective, ces approches peuvent aussi laisser à désirer une méthode plus systématique. La bibliographie, placée à la fin de la plupart des sections, est d’une actualité inégale : si, sur les Géorgiques, elle prend en compte les parutions internationales les plus récentes, elle paraît nettement moins renouvelée à propos de Catulle. À propos de l’ambiguïté sexuelle dans la pièce 63, il est étonnant de ne pas trouver de référence aux différents travaux américains, menés dans le sillage des gender studies : c’est peut-être un choix délibéré, mais il aurait été utile de l’expliciter et de l’expliquer – d’autant plus que, par des voies différentes, les conclusions atteintes par ce type d’études et par Alfonso Traina se rejoignent au moins partiellement.
177De la même manière, certains articles se présentent comme un commentaire assez hétéroclite de passages choisis autour d’une problématique. Là encore, il y a un réel intérêt à réunir ces textes autour d’une question, mais il n’aurait peut-être pas été superflu de mieux sélectionner les remarques formulées par la suite sur ces derniers. Ainsi, dans la section « Autorittrato di un poeta », bien des éléments de commentaire sont-ils assez éloignés de la caractérisation d’Horace. À cet égard, une discussion plus globale aurait parfois été la bienvenue. Dans ce même article sur Horace, certains traits de caractère qu’Horace s’attribue à lui-même sont rapportés à une supposée psychologie du poète, quand nous aurions plutôt tendance à y lire un indice topique de rattachement à un genre (comme pour l’emploi des adjectifs leuis ou iracundus). À propos des chœurs de Sénèque, Alfonso Traina part du postulat que les tragédies ont été composées pour conseiller le jeune Néron dans les premières années de son règne : si cette idée a été expliquée par ailleurs par l’auteur, elle influence d’une manière si déterminante la lecture des passages retenus qu’il aurait sans doute fallu y revenir, même brièvement.
178Enfin, même si cette remarque ne concerne qu’un article, le lecteur français regrettera vraisemblablement que, lorsque la poésie latine de Rimbaud est évoquée, se multiplient les coquilles dans les citations en français (alors que le reste du livre est soigneusement édité), notamment l’assez comique orthographe Soleil et chaire.
179Au bout du compte, La lyra e la libra constitue une mine d’informations et d’hypothèses intéressantes, mais ce sera au lecteur d’y faire lui-même son chemin, car, malgré les indices placés à la fin du volume, ce dernier ne possède pas de véritable unité, ni ne satisfera également toutes les exigences d’un article à l’autre.
180Frédéric Nau
Heather Van Tress, Poetic Memory. Allusion in the Poetry of Callimachus and the Metamorphoses of Ovid, Mnemosyne, Supplementa 258, Leyde, Brill, 2004, IX+218 pages
181Dès lors que chacun des poètes augustéens a revendiqué à sa manière l’héritage de Callimaque, que désigne-t-on réellement lorsqu’on parle, par exemple, du « callimachisme » des Métamorphoses ? À quel degré la technique poétique d’Ovide doit-elle être semblable à celle de Callimaque pour que son œuvre puisse être qualifiée de « callimachéenne » ? Telle est la question à laquelle se propose de répondre Heather Van Tress qui cherche ici à comparer les techniques poétiques de Callimaque et d’Ovide en se focalisant sur un de leurs aspects : la pratique de l’allusion. Pour cela, elle prend pour objet d’étude les traitements respectifs des mésaventures de Tirésias et Actéon (Call., H. V ; Ov., Met. III), d’épisodes associés à Léto (Call., H. à Délos ; Ov., Met. VI) et, enfin, de la légende d’Erysichthon (Call., H. VI ; Ov., Met. VIII), et tente à chaque fois d’éclairer le type d’allusion que ces passages mettent en œuvre ainsi que leurs effets supposés.
182Si le titre de l’ouvrage – Poetic Memory – se donne comme une allusion (précisément !) aux travaux de Gian Biagio Conte sur le fonctionnement intertextuel de la poésie latine, le premier chapitre explicite cette filiation ainsi revendiquée : après avoir résumé avec clarté les diverses théories de l’allusion successivement élaborées par la critique, H. Van Tress déclare adopter la classification de Conte en « allusion intégrative » et « allusion réflexive ». Cependant, il apparaît vite à la lecture de l’ouvrage que cette terminologie empruntée à Conte est prise dans une acception fort différente : ici, l’allusion est, semble-t-il, dite « intégrative » si les situations et les tonalités des passages cité et citant sont similaires, et « réflexive » si ces derniers divergent par leurs thèmes ou leur connotation. D’autre part, H. Van Tress se distingue également de Conte (de manière assumée, cette fois) en postulant que le lecteur construit à lui seul le sens du texte – ce qui entraîne parfois, à mon sens, une définition trop peu contraignante de l’allusion, dans la mesure où ne sont pas toujours mobilisées des notions comme, par exemple, celle de marqueur d’allusivité.
183Après cette introduction théorique, Heather Van Tress se penche, dans le deuxième chapitre, sur le prologue des Aitia et le proème des Métamorphoses et en particulier sur les termes diènekes et leptos d’une part, perpetuum et deductum de l’autre, en tant qu’« allusions lexicales ». Les recherches sur les sens et les emplois de diènekes et de leptos avant Callimaque sont tout à fait intéressantes ; on pourrait cependant objecter que le choix quelque peu arbitraire de ces deux termes ainsi isolés au sein du réseau riche et complexe que forme le prologue ne se justifie que rétrospectivement par leur transposition en latin au seuil des Métamorphoses (où le caractère par ailleurs problématique de leur emploi me paraît un peu trop rapidement évacué).
184Dans le reste du livre, l’auteur élargit cette investigation à des passages plus longs et, dans le cas de Callimaque, à une autre forme générique puisque l’étude des Hymnes prend le relais des considérations sur le prologue des Aitia. C’est ainsi que le chapitre III cherche à observer les modalités de l’allusion dans l’Hymne V de Callimaque – où est contée la mésaventure de Tirésias aveuglé par Pallas (que la déesse compare elle-même avec la punition bien plus sévère qu’a subie Actéon pour une faute semblable) – et, précisément, l’épisode d’Actéon au livre III des Métamorphoses. Reprenant, entre autres, les réminiscences homériques relevées par A.W. Bulloch dans son commentaire à l’Hymne pour le Bain de Pallas, H. Van Tress en fait des allusions dont la nature réflexive, au sens où elle emploie ce terme, permettrait de souligner le portrait innovant de certains personnages ; quant au texte ovidien consacré à Actéon, il ferait des allusions intégratives au traitement callimachéen du même Actéon et des allusions réflexives à celui de Tirésias. Dans le chapitre IV, H. Van Tress repère dans l’Hymne à Délos à la fois des allusions intégratives au genre de l’hymne en général et des allusions réflexives à l’Hymne homérique à Apollon : par elles, Callimaque distingue sa version du mythe de celle de ses prédécesseurs tout en affirmant son droit à être caractérisé comme hymne. Le traitement de la rivalité de Niobé et Léto au livre VI des Métamorphoses ferait, quant à lui, des allusions réflexives à l’histoire traditionnelle telle qu’elle est rapportée par Apollodore : une telle affirmation revient, me semble-t-il, à postuler qu’un texte fait nécessairement des allusions réflexives à toutes les variantes de la légende qu’il réécrit. Le cinquième chapitre, consacré à l’Hymne à Déméter et au texte de Met. VIII qui reprend la figure d’Erysichthon, se focalise plus particulièrement sur les questions de genre : le texte de Callimaque associerait aux signatures génériques de l’hymne une combinaison d’allusions réflexives à d’autres hymnes et d’allusions intégratives à un autre genre (l’épopée didactique d’Hésiode), tandis qu’Ovide ferait des allusions intégratives et réflexives aux techniques de composition épiques et à des scènes de Virgile et d’Homère : c’est ainsi que l’auteur des Métamorphoses comme celui des Hymnes pourraient à la fois authentifier leur récit et le distinguer des autres, tout en remettant en question la notion de classification générique et en créant constamment la surprise – conclusion qui me semble, par ailleurs, tout à fait indéniable à propos de ces deux poètes.
185Un dernier chapitre rassemble les différentes conclusions partielles ; il est suivi d’une bibliographie et de deux indices.
186Signalons enfin quelques corrigenda, et notamment : p. 54 : « If we classify terms the lexical allusions Callimachus has constructed […] in Contean we would view them […] as integrative » (le mot terms semble avoir été déplacé) ; p. 66 : the Metamorphos– ; p. 188 : of the his body ; p. 138 : la dernière ligne est répétée au début de la p. 139 ; p. 55 : kata leptaleèn est donné comme une citation du prologue des Aitia (au lieu de kata lepton dont l’attestation est d’ailleurs désormais discutée).
187Pour conclure, je tiens à saluer – en dépit des quelques critiques formulées plus haut, principalement sur la terminologie et les critères de l’allusion – la démarche comparatiste d’Heather Van Tress qui s’intéresse parallèlement à l’œuvre de Callimaque et à celle d’Ovide en revenant précisément aux textes mêmes et à leurs sources respectives, avec un grand souci de clarté, fort pédagogique, tant dans ses résumés systématiques des divers passages expliqués que dans l’exposé de sa méthode.
188Florence Klein
Rita degl’Innocenti Pierini, Il Parto dell’orsa. Studi su Virgilio, Ovidio e Seneca, Testi e manuali per l’insegnamento universitario del latino, 102, Bologne, Pàtron, 2008, 322 pages
189Le titre de l’ouvrage de Rita degl’Innocenti Pierini, qui rassemble différents travaux remaniés à partir de publications antérieures, renvoie à une comparaison attribuée à Virgile, rapprochant le travail de l’écrivain du comportement de l’ourse qui, une fois son petit né, le lèche longuement pour modeler son aspect. R. degl’Innocenti Pierini explique en préambule le choix de ce titre : il s’agit ainsi pour les auteurs antiques d’un « travail » patient de réécriture du matériau mythique et littéraire, assimilable à un « accouchement » intellectuel. Et R. degl’Innocenti Pierini insiste sur la force du lien affectif tissé alors par l’auteur avec son œuvre. Elle explique que si les travaux rassemblés dans son ouvrage sont de nature variée, ils ont néanmoins pour caractéristique commune un intérêt constant pour l’incessant dialogue intertextuel entretenu par les auteurs antiques au cours de la période allant de Virgile à Sénèque.
190En introduction, R. degl’Innocenti Pierini se livre à l’étude approfondie de l’analogie entre l’auteur et l’ourse. Elle rappelle combien est répandue dans la littérature grecque et romaine la métaphore de l’accouchement littéraire et du rapport affectif liant l’auteur à son œuvre, qui apparaît pour la première fois dans le Banquet de Platon. À Rome, c’est chez Ovide que se trouverait le développement le plus ample de ce motif, en particulier dans l’œuvre d’exil, à un moment où le rapport du poète au texte devient particulièrement affectif. R. degl’Innocenti Pierini s’interroge enfin sur la paternité virgilienne de la comparaison entre l’auteur et l’ourse, pointant notamment le caractère courant à l’époque augustéenne du recours aux métaphores empruntées au monde animal pour évoquer la production artistique et intellectuelle.
191Dans la première partie de son ouvrage consacrée à Ovide, Rita degl’Innocenti Pierini s’intéresse d’abord aux relations intertextuelles établies par Ovide l’exilé avec la poésie virgilienne, qui lui servirait de filtre dans l’évocation de sa propre existence. Elle souligne notamment la profonde métamorphose subie par Virgile et sa poésie au contact du monde de l’exil. En effet, Ovide qui dans sa jeunesse avait évoqué de façon allusive l’épopée virgilienne dans le cadre d’une recusatio s’est transformé en un héros malgré lui, incarnation souffrante de plusieurs personnages du mythe, d’Hector à Énée, et il va même jusqu’à se représenter comme le semblable du vieux Priam, mais aussi du Mélibée des Bucoliques ou du vieillard de Coryce des Géorgiques. Dans un dernier chapitre, l’auteur s’intéresse à la façon dont Ovide, abandonnant le traditionnel pacifisme de la poésie érotico-élégiaque, présente et affronte ses différents ennemis, les barbares de Tomes ou les traîtres qui à Rome continuent à lui nuire. R. degl’Innocenti Pierini se livre alors à une tentative de typologie de l’ennemi dans les œuvres d’exil ovidiennes, et met en évidence les différentes ascendances littéraires, de Callimaque à Virgile en passant par Plaute et Catulle.
192Les travaux de R degl’Innocenti Pierini rassemblés dans la deuxième partie de son ouvrage portent sur Sénèque le philosophe, et sur le lien constant qu’il établit entre spéculation philosophique et société romaine. L’auteur montre tout d’abord avec quel regard critique le philosophe considère la société de son temps, pointant par exemple dans l’Épître 90 le goût démesuré de la société néronienne pour les constructions luxueuses, en opposition à l’idéal de simplicité cher aux poètes augustéens. Le deuxième chapitre établit un parallèle entre le personnage de Caton chez Sénèque et celui de Dédale chez Ovide, et conclut avec prudence que la figure de Dédale plusieurs fois évoquée par Ovide pourrait symboliser le défi lancé par un champion de la libertas au despotisme contemporain. Enfin, R. degl’Innocenti Pierini étudie longuement la Consolation à Helvie, et montre comment derrière le rigorisme doctrinal stoïcien se dessine une démarche plus personnelle, marquée par le traumatisme de l’exil. Il apparaît ensuite que dans cette œuvre consolatoire adressée à sa mère, Sénèque se révèle particulièrement proche de la pensée de son père, et que l’influence de l’école de rhétorique est très prégnante. La Consolation à Helvie offrirait ainsi un « portrait de famille » calibré en filigrane sur les valeurs traditionnelles de la famille romaine et du mos maiorum transmises par Sénèque le père, bien présent dans toute l’œuvre du philosophe.
193Dans une troisième partie consacrée à l’œuvre tragique de Sénèque, R. degl’Innocenti Pierini montre comment, tout en s’enracinant dans le mythe et dans la tragédie grecque, les pièces de Sénèque sont ancrées à la fois dans la culture littéraire romaine et dans la réalité contemporaine de l’auteur. Ainsi des points communs sont-ils mis en évidence entre l’Œdipe de Sénèque et l’épisode de Myrrha dans les Métamorphoses d’Ovide. En rapprochant la Jocaste sénéquienne d’épistolières des Héroïdes comme Déjanire, et de la Didon virgilienne, R. degl’Innocenti Pierini montre que les innovations de Sénèque par rapport aux modèles grecs se font au nom d’une continuité avec la poésie latine. Les deux derniers chapitres de cette troisième partie sont consacrés au traitement sénéquien du mythe de Phèdre et en particulier à son dénouement. R. degl’Innocenti Pierini compare la fin tragique d’Hippolyte chez Sénèque et chez ses sources, non seulement Euripide, mais aussi Ovide et son Hippolyte-Virbius, et le personnage de Chariclès dans le roman d’Achille Tatius, Leucippe et Clitophon. Elle propose en conclusion une interprétation romaine de la Phèdre de Sénèque, insistant sur l’originalité de l’Hippolyte sénéquien, qui, habituellement désigné comme un « bâtard », devient un « héritier impérial », s’ancrant ainsi dans le contexte politique de l’époque julio-claudienne.
194Comme elle l’annonce en préambule, Rita degl’Innocenti Pierini manifeste dans ses divers travaux une attention constante pour le dialogue intertextuel entre les auteurs. Études structurelles, stylistiques et lexicales se complètent et mettent en lumière les liens existant entre les œuvres d’Ovide et de Sénèque et les réalités biographiques, politiques et sociales de leur temps. Si au sein de chacun des chapitres la progression est claire, les hypothèses soigneusement étayées, et les conclusions prudentes, l’on peut en revanche regretter une fin quelque peu abrupte, et l’absence d’une conclusion générale qui aurait conféré à cet ouvrage une unité et une cohérence trop peu mises en évidence en introduction.
195Anne Clerc
Nicholas Horsfall, Virgil, Aeneid 11. A commentary, Mnemosyne, Suppl. 244, Leyde-Boston, Brill, 2003, XXVIII+506 pages
196Dans cette étude du chant 11 de l’Énéide, N. Horsfall (N.H.), reprend les principes, la méthode et la manière de son commentaire (avec texte et traduction) du chant 7. Les liens entre ces deux chants, voire avec l’ensemble des chants 7 à 11, ressortent alors avec une acuité d’autant plus originale que l’avant-dernier chant de l’épopée virgilienne n’est pas le plus célèbre, comme le souligne F. Della Corte : « C’est le livre le moins étudié et le moins aimé du poème ». Ce gros œuvre de plus de 500 pages est composé, comme le précédent, de la façon qui suit. Dans une Préface de trois pages, sont établies les différentes directions et orientations de recherche, que sous-tend un solide état bibliographique des questions spécifiques. Suit une Introduction de 9 pages qui détaille la structure d’ensemble du chant, mettant en évidence un mouvement ternaire : 1) vers 1-445, hypotypose de rituels religieux et funéraires archaïques, après la mort de Pallas et un « horrible carnage » (trophée de Mézence offert par Énée aux dieux ; funérailles des combattants latins en rites variés ; problème des Troyens ; recherche d’un compromis par Latinus ; controverse polémique de Drancès) ; 2) réactions des Troyens et défense organisée par Turnus (445-532) ; 3) geste héroïco-tragique de Camille (533-915).
197Ce système tripartite fait ressortir une couleur générique plus tragique qu’épique que soulignent bien les notes et remarques du commentaire. La violence de la situation et des personnages est propre à en justifier les données. Pour cerner objectivement cette rhétorique diégétique des affects, N.H. insiste sur la quête des sources écrites et archéologiques gréco-latines, sur l’intertextualité, à l’aide de témoignages littéraires et comparés d’une diachronie longue (Quellenforschung, intertextualité, histoire littéraire, idéologique et figurée, prosateurs philosophes et historiens, poètes latins républicains autant que contemporains ou héritiers postérieurs, voire autotextualité). À cette mise au point méthodologique fait suite la bibliographie détaillée. Place est alors faite au texte virgilien (sans apparat critique, sinon des remarques succinctes dans les notes) et à sa traduction anglaise.
198Aussi est-ce le commentaire de 400 pages qui constitue l’essentiel de l’ouvrage. Celui-ci s’achève par deux Annexes concernant : 1) l’épisode de Camille et sa relation au cycle épique (7 pages) : 2) Dormitatne Maro quoque ? (2 pages), concernant les défauts possibles de l’écriture virgilienne. Des Indices très utiles parachèvent l’ensemble.
199Le commentaire linéaire, au fil du texte, mériterait plus précisément l’appellation d’annotations commentées. De caractère fortement philologique, voire linguistique, il fonctionne tout à la fois comme un répertoire sémantico-linguistique, un dictionnaire des formes lexicologiques, étymologiques, grammaticales et syntaxiques, voire archaïques (plus encore qu’archaïsantes), un lexique rhétorique des tropes et des figures de mots, de discours et de pensée. Il est vrai que livre 11 se prête particulièrement bien à ces relevés formels et études structurales comparées autant que nuancées : lieu des rituels religieux, il comporte de nombreux formulaires, tandis qu’y sont multipliés les discours politiques et connotés, voire émotionnels. Distincts sont en effet les « styles » rhétoriques d’un Énée, Adraste, Turnus, Drancès, qui lui-même ne reproduit pas l’éloquence d’un Thersite homérique, tandis que la figure de Camille introduit encore une autre couleur rhétorique, tout à la fois épique et pathétique. S’opèrent ainsi, par un déplacement et un mélange des techniques d’écriture et des couleurs générique, une re-contextualisation et des déplacements du sens, révélateurs autant d’une ample érudition virgilienne que d’une originalité auctoriale conforme à l’hybridité idéologique, politique et esthétique de l’époque augustéenne.
200La richesse de cette histoire des mots, des tournures grammaticales, des sources et spécificités expressives concerne tous les spécialistes de Virgile, « grammairiens » comme « littéraires ».
201† Jacqueline Dangel
Christoph Höhnscheid, Fomenta Campaniae. Ein Kommentar zu Senecas 51., 55. und 56. Brief, Beiträge zur Altertumskunde 190, Munich-Leipzig, K.G. Saur, 2004, 205 pages
202L’ouvrage ici recensé, issu d’une thèse soutenue à Cologne, fournit un commentaire aux Lettres à Lucilius n° 51, 55 et 56, qui ont en commun de traiter d’un séjour de Sénèque (S.) en Campanie.
203Après avoir rappelé dans son introduction que les Lettres étaient sans doute postérieures à 62 p.C. et s’être interrogé sur la quaestio uexata de leur « authenticité » (il ne saurait s’agir d’une réelle correspondance entre deux individus, car S. viserait en fait un large public ; cf. aussi p. 131), Chr. Höhnscheid (H.) résume rapidement la tradition manuscrite, puis présente en quelques pages l’histoire de Baïes et la vie qu’on y menait. Il étudie ensuite les trois lettres elles-mêmes. Pour ce faire, H. livre un plan détaillé de chaque épître, divisée en parties qu’il analyse successivement, d’abord de façon globale, puis en revenant sur des mots ou groupes de mots appelant des annotations plus ponctuelles. Des remarques conclusives et récapitulatives marquent la fin du commentaire de la lettre.
204H. suit le texte de Reynolds (OCT, 1965, non reproduit), sans se priver de maintes considérations, souvent détaillées (e.g. p. 87-91), touchant à son établissement, pour défendre avec des arguments nouveaux une correction antérieure (p. 22-23 ; 74-75 ; 117-118) ou pour en rejeter d’autres (p. 58-59 ; 153). Nous n’avons pas relevé de conjecture personnelle.
205Le commentaire de H. prodigue au lecteur toutes les informations qu’il est en droit d’attendre : présentation des personnages historiques (p. 23 ; 104-105) ; explicitation approfondie des réalités concrètes (p. 40-43 : les bains froids et chauds ; p. 69-71 : les uillae d’agrément ; p. 145-148 : la fonction du pilicrepus dans les jeux de balle), sociales (p. 32-33 : l’alcoolisme dans le monde romain) ou même médicales (p. 100-101 : de quel mal souffrait S. ?) ; précisions sur les concepts théoriques (p. 27 : la frugalitas, qui n’est pas une recherche de la pauvreté ; p. 47 : la pietas Romana ; p. 53 : la uirtus comme but et moyen pour l’individu) ; rapprochements littéraires, parfois inattendus (p. 86-87 : saint Matthieu ; p. 95 : Shakespeare). Bien sûr, H. fait également le lien avec d’autres ouvrages de S. (usant notamment des tragédies, non sans une salutaire prudence [cf. p. 51-52]) et examine ses sources (réflexion nuancée sur l’éventuelle influence de la théorie médio-stoïcienne des climats, p. 59-65).
206Au-delà de ces données factuelles, la sensibilité personnelle de H. est grande, comme en témoignent des développements souvent fins et subtils (e.g. sur l’ironie dont use constamment S. : p. 72 ; 184-185).
207Un autre point fort de ce commentaire est son style, clair et parsemé d’expressions imagées : la mort est assimilée à un « Joker » que l’on peut jouer contre la fortuna (p. 59) ; à Baïes, les gymnastes font du « Bodybuilding » (p. 143) ; une phrase de S. retentit « comme le tonnerre » (p. 172).
208Au chapitre des regrets, certaines remarques grammaticales paraissent quelque peu élémentaires (e.g. p. 32 : uidere ; p. 59 : cum ; p. 67 : subteruntur). L’auteur aurait aussi pu s’abstenir de développements d’intérêt secondaire pour l’intelligence du texte de S. (circonstances du procès du frère de Scipion l’Africain, p. 73 ; biographie de Séjan, p. 107-108) ; inversement, concernant l’éventuel épicurisme de Lucilius (p. 106), on reste sur sa faim – mais au fond, tout commentaire s’expose à de semblable reproches, qui reflètent les attentes particulières de chaque lecteur. Plus gênante est l’interprétation littérale du ad mortem de Epist., 56, 3 (p. 159), qui ne convainc guère.
209Nous n’avons pas détecté beaucoup de coquilles : p. 88 et 204 : lire « Watson, 1963 » (et non 1993) ; p. 205 : « minores » (au lieu de minori). Les mots en langues étrangères sont parfois fautifs (p. 100 ; 110) ; il arrive que le grec soit mal accentué (e.g. p. 47 : lire ???).
210Quelques remarques d’ordre bibliographique pour finir : p. 39-59 : à propos de la lutte du Sage contre la fortune, on se référera désormais à C. Lévy, « Le philosophe et le légionnaire : l’armée comme thème et métaphore dans la pensée romaine, de Lucrèce à Marc Aurèle », dans Politica e cultura in Roma antiqua, Bologne, 2005, p. 59-79 ; p. 71-72 : sur l’image de César ou de Pompée chez S., un renvoi aux articles des années 1940 de W.H. Alexander n’aurait pas été superflu. D’une façon plus générale, pour la lettre 55, le livre de H. a été complété par J. Henderson, Morals and Villas in Seneca’s Letters : Places to Dwell, Cambridge, 2004, p. 67-92 ; pour les lettres 55 et 56, par Fr. R. Berno, L. Anneo Seneca. Lettere a Lucilio. Libro VI : le lettere 53-57, Bologne, 2006, p. 159-322.
211En somme, ce travail méticuleux et de lecture plaisante sera fort utile aux étudiants et aux chercheurs, surtout pour les informations qu’il apporte sur les realia.
212Guillaume Flamerie de Lachapelle
Pline le Jeune, Lettres I-III, texte établi, traduit et commenté par H. Zehnacker, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2009, XLII+193 pages
213Cette nouvelle édition des premiers livres de la correspondance de Pline est une bonne nouvelle. L’ouvrage se présente en trois parties, une introduction, le texte et sa traduction, un commentaire lettre par lettre.
214L’introduction, de quarante pages au total, est un modèle de concision et de clarté pédagogique ; la biographie donnera à qui en a besoin tous les éléments pour situer Pline dans son époque et un dossier épigraphique rapide permettrait à un étudiant de comprendre d’où viennent les informations sur l’auteur qui ne se trouvent pas dans sa correspondance ; peut-être de plus longs commentaires des inscriptions auraient-ils pu être donnés. Quelques pages sur le statut des Lettres et leur chronologie esquissent les pistes que les commentaires reprendront en détail ; elles servent surtout à faire le point sur les questions qui ne font pas l’unanimité parmi les chercheurs. Avec prudence, H.Z. signale les différentes positions quant à la chronologie, mais conclut que l’arrangement des lettres dans le recueil répond surtout à des exigences littéraires. L’introduction présente ensuite l’établissement du texte, selon les trois familles traditionnelles des manuscrits (les neuf livres, les cent lettres, les huit livres). La bibliographie qui clôt l’introduction est volontairement restreinte grâce à un renvoi au livre de N. Méthy Les Lettres de Pline le jeune. Une représentation de l’homme, Paris, 2007, qui en présente une abondante moisson ; ce qui est signalé ici est suffisant pour être stimulant et est repris dans les commentaires détaillés.
215Le texte et sa traduction se présentent avec toutes les qualités qu’on connaît aux éditions de la CUF. Le choix des italiques dans la traduction pour signaler l’usage des mots grecs par Pline est efficace ; l’utilisation du tutoiement donne enfin au texte une allure plus conforme à ce que le lecteur attend de ces échanges épistolaires. Le texte de Pline y gagne une résonance nouvelle, humaine et riche. En outre, l’unité de ton, à travers la variété des sujets que Pline aborde, est remarquable et contribue à faire comprendre la stature de l’individu, de l’homme et de l’auteur ; ce n’est pas la moindre qualité de cette traduction élégante et simple à la fois.
216Le commentaire a aussi bien des qualités ; on pourra seulement regretter qu’il n’y ait pas d’appel de notes dans le texte et que le lecteur doive systématiquement ouvrir son livre à la fin pour lire le commentaire en parallèle à sa lecture du texte. Toutefois, quand il en est au commentaire, le repérage des passages commentés est facile. On retrouve dans ces pages des indications bibliographiques nombreuses, très à jour et bien informées, des renvois à d’autres sources, des pistes de réflexion (à titre d’exemple, p. 122 sur l’évolution du théâtre sous l’Empire).
217Cette nouvelle édition mérite donc amplement de prendre place sur nos étagères de bibliothèque, pour y attendre les volumes suivants.
218Isabelle Cogitore
Laura Cotta Ramosino, Plinio il Vecchio e la tradizione storica di Roma nella « Naturalis Historia », Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2004, 427 pages. Bibliographie p. 365-399 ; index des passages cités p. 401-411 ; index des noms propres et notions p. 413-427
219Ce riche ouvrage constitue la version remaniée d’une thèse de doctorat préparée sous la direction du Professeur Marta Sordi et soutenue à l’Université de Pérouse en 2002.
220Après avoir constitué pendant des siècles une autorité incontestée sur le savoir, l’Histoire naturelle a ensuite été considérée au pire comme une accumulation désordonnée de notices diverses et parfois farfelues, au mieux comme un témoignage plus ou moins fiable sur l’Antiquité. Elle bénéficie depuis quelques années d’une réhabilitation qui vise à montrer sa cohérence structurelle, thématique et idéologique : l’Histoire naturelle s’avère un inventaire, présidé par le moralisme et l’éloge de la nature, de tout ce que compte l’Empire, qui contribue ainsi à la gloire de Rome.
221L’ouvrage de L.C.R. s’inscrit dans cette perspective et vient très heureusement combler un manque. De fait, l’intérêt de Pline l’Ancien pour l’histoire est souvent sous-estimé, en raison d’une part de la perte des ouvrages historiques de l’auteur, et d’autre part de la seule survivance, à l’état complet, de l’Histoire naturelle, dont les liens avec l’histoire n’avaient pas, jusque là, fait l’objet d’une étude systématique (l’ouvrage de B. Tautz, Das Bild des Kaisers Augustus in der « Naturalis historia » des Plinius, 1999, n’a pas cette vocation). Or, d’après la lettre III, 5, de Pline le Jeune, la moitié de la production littéraire de Pline l’Ancien concerne l’histoire, et Suétone le classe parmi les historiens.
222L.C.R. corrige brillamment cette erreur de perspective, en inscrivant Pline dans la tradition historique de Rome. Le rapport de Pline à l’histoire est envisagé sous deux aspects interdépendants : les sources historiques de Pline, et la vision de l’histoire que reconstruit l’auteur. En cela, L.C.R. apporte une contribution majeure à deux questions essentielles posées par les études pliniennes : celle, ancienne, des sources de Pline, et celle, plus récente, de la valeur idéologique.
223L’ouvrage se compose de deux parties, consacrées à « Pline historien », et à « l’histoire de Rome dans l’Histoire naturelle ».
224Dans la première, L.C.R. étudie tout d’abord « Pline et l’historiographie ». Elle effectue une mise au point très utile sur les sources de Pline (alors que l’Histoire naturelle a longtemps été utilisée comme source pour remonter à des textes perdus – cf. la Quellenforschung au XIXe s. –, L.C.R. adopte le chemin inverse en s’interrogeant sur les textes historiques utilisés par Pline), sur les œuvres historiques – perdues pour nous – de Pline dans le contexte de l’historiographie julio-claudienne, et sur la critique et la méthodologie pliniennes relatives à l’histoire : elle montre que l’auteur se soumet à des principes rigoureux, comme l’exigence de rassembler toutes les sources – y compris épigraphiques et monumentales, surtout pour l’époque archaïque, ce qui témoigne de son intérêt antiquaire (confirmé par l’importance qu’il donne à Varron) –, de les comparer, de les citer, éventuellement de les réfuter. L.C.R. observe que Pline est particulièrement bien informé sur certaines périodes – notamment la transition entre la royauté et la république – et sur certains épisodes, comme la guerre entre Rome et Porsenna, dont Tite-Live et Plutarque donnent une version édulcorée : Pline aurait eu accès à des sources étrusques redécouvertes à l’époque de Tibère et refléterait aussi la valorisation des Étrusques par Claude. L.C.R. note d’ailleurs d’autres occurrences où Pline se démarque de Tite-Live, et elle montre qu’il tient compte de l’évolution de l’historiographie à l’époque impériale.
225L.C.R. étudie ensuite méthodiquement quels historiens et annalistes Pline utilise mais aussi passe sous silence, depuis l’annalistique ancienne jusqu’à Tite-Live. Il privilégie les auteurs du IIe s. av. J.-C., Calpurnius Pison, Cassius Hemina, et en premier lieu Caton l’Ancien dont il reprend non seulement le témoignage et la manière (ainsi la datation par intervalles d’années), mais surtout les conceptions historiques (et le projet encyclopédique). Les choix d’inclusion et d’exclusion participent à une vision de l’histoire et obéissent à des motivations : par exemple l’exclusion des premiers historiens romains écrivant en grec est attribuée à l’influence de Caton, dont Pline est « un fedele ma non pedissequo ammiratore » (p. 296). L’absence de Sisenna et de Salluste est expliquée par des motifs idéologiques (leur partialité en faveur des populares et de César).
226En effet, en confrontant les sources utilisées avec la narration d’épisodes historiques, la seconde partie de l’ouvrage analyse, en suivant l’ordre chronologique, comment Pline présente chaque étape de l’histoire de Rome (origines et monarchie ; débuts de la République ; ascension de Rome en Italie et dans le Bassin méditerranéen ; empire sur la Méditerranée et début des discordes civiles ; dernier siècle de la République et débuts du régime augustéen). Il ressort de ce panorama que Pline procède à une écriture partiale de l’histoire romaine : il accorde plus d’importance à certaines périodes qu’à d’autres (la fondation de la cité et la royauté plutôt que les débuts et le milieu de la République) et, surtout, il se montre favorable à certains personnages (Q. Fabius Maximus, Caton, Scipion Émilien, Marius, Pompée) et hostile à d’autres (Sylla, César, la plupart des populares, Antoine) ; ainsi, la Pompei Magni aetas s’oppose à la Caesaris dictatoris aetas. De plus, pour un même personnage, il privilégie une tradition plutôt qu’une autre : ainsi sur Numa, Pline suit encore une fois Caton (Numa roi sabin, contribuant à l’unité entre Rome et l’Italie) et non le « Cercle des Scipions » (Numa pythagoricien et « grécisant »).
227Par ailleurs, cette histoire de Rome écrite par Pline doit aussi se lire dans le contexte de l’arrivée au pouvoir des Flaviens (rappelons que l’Histoire naturelle est dédiée à Titus et que Pline manifeste un soutien sans réserve à la nouvelle dynastie). Par exemple, dans le débat sur les origines de Rome, Pline minimise les apports étrusques et grecs, pour favoriser les Sabins, en suivant les Origines de Caton : le Censeur inspire à Pline l’italo-centrisme de la géographie et de la liste des premiers peuples d’Italie, ainsi que la valorisation des Sabins dans la construction de l’unité italienne ; par là, Pline flatte aussi les Flaviens, d’origine sabine. De même, le centrage sur Rome opéré par les Flaviens, pour se démarquer de Néron et se rapprocher d’Auguste, est repris par Pline qui suit en cela l’antihellénisme de Caton (analyse pertinente, mais qui risque d’aplatir la chronologie).
228Les deux parties de l’ouvrages s’éclairent mutuellement : elles permettent de rendre compte à la fois de la culture historique de Pline et de son utilisation au service d’une vision de l’histoire de Rome. L.C.R. s’appuie constamment sur l’analyse de textes et sur la bibliographie la plus récente, et propose des thèses tout à fait convaincantes. La lecture de cet ouvrage profitera à la fois à ceux qui s’intéressent à l’Histoire naturelle elle-même et à ceux qui l’utilisent comme source sur l’histoire (une source qui s’avère subjective et partiale).
229L’ouvrage de L.C.R. nous apprend donc beaucoup sur l’Histoire naturelle, sur Pline, mais aussi – et ce n’est pas son moindre mérite – sur l’écriture de l’histoire dans l’Antiquité romaine, et en particulier sur la reconstruction de l’époque républicaine dans la littérature d’époque impériale.
230Valérie Naas
Neil Adkin, Jerome on Virginity. A Commentary on the Libellus de virginitate servanda (Letter 22), Cambridge, ARCA. Classical and Medieval Texts, Papers and Monographs, 42, F. Cairns, 2003, XXXV+458 pages
231On commencera par présenter à l’auteur, et aux lecteurs de la Revue de Philologie, des excuses pour le retard avec lequel il est rendu compte de ce commentaire monumental. Des recenseurs qualifiés, comme le regretté Yves-Marie Duval (REAug, 50, 2004, p. 217-219) ou François Paschoud (Gnomon, 77, 2005, p. 594-599), ont déjà souligné un apport philologique exceptionnel, qui s’appuie sur une quarantaine d’articles ponctuels parus depuis 1983 (et cette industrie ne s’arrête pas : voir p. ex. Jerome’s Dream and the Book of Daniel, dans ACD, 44, 2008, p. 145-149), et les limites d’une interprétation basée sur une Quellenforschung poussée à ses limites : ils nous permettront d’être brefs.
232Ce commentaire suppose qu’on ait sous la main l’édition des Lettres de Jérôme donnée par J. Hilberg dans le CSEL (t. 54, 1910 ; 19962), à laquelle il emprunte ses lemmes. N’aurait-il pas été possible de reproduire le texte de la lettre 22, éventuellement dans une typographie plus serrée, voire avec un apparat réduit aux leçons discutées dans les notes critiques ? Cela n’aurait pas pesé lourd face aux 409 pages du commentaire et aux 48 des index. La bibliographie est d’une richesse comparable (35 p.), en revanche l’introduction fait petite figure, avec ses 10 pages et demie. Elle donne certes les précisions indispensables sur la genèse de l’œuvre (Rome, 384) et sur la destinataire, Eustochium, une des filles de Paula, l’aristocrate-ascète dont Jérôme est devenu le mentor, mais se concentre tout de suite sur ce qui va être le thème directeur du commentaire : les lectures de Jérôme (spécialement la Bible et les auteurs chrétiens) et la façon dont il s’approprie, en rhéteur étincelant et roué, allusions et citations. En revanche, rien n’est dit sur la transmission de ce libellus, copié à l’envi (certatim) par « tous les païens et ennemis de Dieu, apostats, persécuteurs, et quiconque hait le nom chrétien » (Rufin, Apologia, 2, 5) : source peut-être d’une tradition indépendante avant l’incorporation dans les collections de lettres hiéronymiennes. Les citations que fait Rufin lui-même n’ont appelé à aucune remarque textuelle (mais cf. M. Simonetti, Rufino, Apologia, Alba, 1957, p. 360). Rien n’est dit sur les origines de la division en chapitres, qui structure pourtant le commentaire (et ses précieux résumés). Manifestement N. Adkin n’a pas voulu ouvrir cet autre chantier qu’aurait été l’établissement d’un texte critique sur nouveaux frais : il en reste donc à Hilberg et à son apparat (dont il se sert d’ailleurs pour quelques discussions de critique textuelle).
233Devant tout ce qu’il a offert, avec la précision d’un ancien rédacteur du Thesaurus linguae Latinae, on ne saurait lui en faire grief. Nous avons ici un vrai Thesaurus Hieronymianus : un répertoire quasi-exhaustif des auteurs et des textes dont Jérôme a pu s’inspirer (avec des remarques très sagaces notamment sur les citations bibliques) ; une analyse fouillée des procédés stylistiques par lesquels il s’est approprié ses sources ; enfin l’étude d’un grand nombre de faits de syntaxe et de vocabulaire – le tout rendu accessible par de superbes index (on louera en passant la parfaite correction typographique ; on amendera juste renunut, p. 352). L’auteur, lecteur aussi « vorace » que Jérôme, n’est pas tendre envers son héros, dont il dénonce sans relâche les tics et les défauts : « inconcinnity, superficiality, whimsicality, ineptitude » (j’en passe et des meilleures). Il se montre impitoyable envers les faiblesses de ses prédécesseurs (petit florilège : p. 19, n. 10 « completely fails to see » ; 22, n. 14 « wrongly compares » ; 30, « fails to note », etc.) et suppose chez ses lecteurs une mémoire ou une bibliothèque qu’ils sont parfois loin d’avoir (références bibliques omises, parce que trop évidentes ? p. 169 Jn 19, 23 ; p. 211 Dn 5 ; p. 232 Gn 34, 1-3). Bref on s’instruit, on est stimulé, parfois même on s’amuse en consultant ce livre, mais il faut du temps et du courage pour le lire de bout en bout et tenter d’en assimiler toutes les richesses.
234Pierre Petitmengin
Ornella Fuoco, Claudiano. Aponus (carm. min. 26), Studi Latini 66, Naples, Loffredo Editore, 2008, 156 pages
235With this commentary on Claudian’s Aponus (carm. min. 26), Fuoco (F.) has made a welcome contribution to the growing corpus of scholarship on Claudian’s Carmina minora, a miscellaneous (and almost certainly posthumous) collection of 53 poems by the late antique poet. F. includes the elements expected in a work of this type : a substantial introduction ; the Latin text of the poem with a prose translation into Italian on the facing page ; a detailed, fifty-five-page commentary ; a bibliography, and an index of ancient passages cited. Strongly philological in its focus, F.’s commentary provides a solid foundation for future scholarly investigations of the Aponus, and should prove valuable to scholars engaging in more general considerations of Claudian’s poetics.
236In the introduction, F. deftly contextualizes the poem, which describes the lake at Abano and its healing properties, and discusses the salient aspects of its composition. F. begins, as one must, with a brief but thorough review of the murky transmission of the Carmina minora, before turning to the poem’s structure, date, language, and meter. F.’s standard practice in this section is to lay out the competing arguments of scholars, commenting or cautioning as appropriate. This restraint, however, is in keeping with this style of philological commentary. In the remainder of the introduction, F. prudently reviews Claudian’s models and style, the poem’s programmatic contrast between fire and water, and the prominent role that water plays in many of Claudian’s works, while resisting the impulse to psychologize this phenomenon (cf. Newbold, 2001). Given the acumen shown by F., one eagerly anticipates further critical discussions of the poem by the author.
237F.’s extensive commentary is rich with insight on allusions, semantics, and Claudian’s style, and includes helpful references to further reading where applicable. For the most part, F. follows the text in Hall’s Teubner (1985). The six deviations are treated in meticulous detail in the commentary, obviating the need for a full apparatus with the text. F. tends towards a less « eclectic » reading than that advanced by Hall – e.g. restoring in te fata tibi (v. 94), as well as tunc in v. 38 and 43, which is more widely attested than Hall’s tum and supported by analogy with Claudian’s other works.
238Throughout this volume, F.’s engagement with previous scholarship is substantial and informative. Inevitably, there are a few minor omissions, such as Alfonsi, 1966, on an allusion to Propertius in v. 25-26 and Havet, 1916, on the reading of v. 14, but these are more or less innocuous. Likely appearing too late for inclusion, Mandile’s chapter on the lake and poem (in Debita Dona, 2008, p. 271-283) will also be of interest.
239F.’s prose is crisp and will be accessible even to scholars who possess basic Italian. The volume is carefully edited and handsomely produced, especially in light of its reasonable cost. At least in the copy that was reviewed, however, this overall quality is marred by several minor printing errors in which letters in two sequential lines have faded, often to the point of obscurity (e.g. p. 68, v. 96, “languida v?[] ni?[]?”). Despite these quibbles, scholars of Claudian, of late antique poetry, and of the Nachleben of earlier Latin poets can be thankful for F.’s efforts. One can only hope that more poems by Claudian and his contemporaries will soon receive similar attention.
240Bret Mulligan
Martianus Capella, Les Noces de Philologie et de Mercure, livre VI : la dialectique, éd. et trad. Barbara Ferré, Paris, Les Belles Lettres, CUF, 2007, CXXII+209 pages
241Dans le sixième livre de son encyclopédie allégorique, les Noces de Philologie et de Mercure, Martianus Capella met en scène Géométrie en train de présenter les principes de sa science, précédés d’un long développement de nature géographique. Le présent volume vient compléter, dans la CUF, le livre VII (sur l’arithmétique) édité, traduit et commenté par Jean-Yves Guillaumin en 2003, ainsi que le livre IV (sur la dialectique) procuré selon les mêmes normes par Michel Ferré en 2007. Il fournit la première traduction française de ce texte fondamental pour l’étude de la transmission du savoir antique et en particulier des connaissances géographiques et géométriques.
242B. Ferré introduit son ouvrage par une riche étude d’une centaine de pages débutant par quelques brefs rappels sur le genre littéraire de la satire ménippée (auquel appartiennent les Noces de Philologie et de Mercure), et consacrée ensuite essentiellement aux traditions géométrique et géographique de l’Antiquité ainsi qu’à la position qu’occupe Martianus par rapport à ses prédécesseurs dans ces deux domaines : le chapitre sur « la géométrie gréco-latine : une tradition millénaire » (p. IX-XXIV) sert ainsi de préambule à la présentation de la géométrie dans le livre VI (« Eruditionis arcanum depromere : la géométrie dans le livre VI », p. XXIV-XLVII) ; de même, le chapitre sur « La tradition géographique en Grèce et à Rome avant Martianus » (p. XLVII-LXV) introduit les développements sur la partie géographique du livre VI, elle-même constituée d’une géographie mathématique et d’une chorographie (« Praecepta artis aperire : la géographie dans le livre VI », p. LXVI-CII). Pour la commodité de la présentation, B. Ferré est donc amenée à inverser l’ordre choisi par Martianus (qui commence par de longs développements géographiques avant d’en venir à la géométrie proprement dite). Les raisons de la présence surprenante d’un exposé de géographie en tête d’un livre consacré à la geometria sont envisagées aux p. XXXVII-XLVII (« Géométrie et géographie dans le livre VI »), en guise de transition entre les deux parties de l’introduction. À l’intérieur de chacune de ces deux parties, la méthode suivie est la même : après avoir dressé une liste des œuvres majeures (grecques et latines) dans les deux domaines en question, B. Ferré envisage le rapport de Martianus à ses sources et suppose l’existence de textes latins intermédiaires, aujourd’hui perdus, qu’elle appelle, pour la géométrie, « le Traducteur » (compilation latine d’Euclide) et, pour la géographie, « le Compilateur » (compilation de Pline et de Solin essentiellement). Les sources et les passages parallèles sont présentés sous forme de listes synoptiques fort utiles : p. XXVI-XXVIII pour la géométrie, p. LXVII-LXVIII pour la géométrie mathématique, p. LXXV-LXXVIII pour la chorographie.
243Cette introduction complète et précise se termine par quelques rappels sur les neuf manuscrits utilisés (les six considérés par J. Préaux comme indispensables et utilisés par J.-Y. Guillaumin pour l’édition du livre VII, auxquels viennent s’ajouter trois manuscrits « utiles mais non indispensables ») et par une bibliographie succincte qui fournit au lecteur les éléments nécessaires à une étude plus poussée de la géométrie et de la géographie antiques.
244Le texte latin est accompagné d’un apparat critique positif fondé sur les neuf manuscrits énumérés en introduction : dans l’ensemble, la disposition claire en rend la lecture aisée, même si l’on peut regretter que les manuscrits soient cités dans l’ordre alphabétique des sigles plutôt que d’après leur parenté (sur ce sujet, une mention du stemma proposé par D. Shanzer dans son compte-rendu de l’édition de J. Willis, « Felix Capella : minus sensus quam nominis pecudalis », CPh, 81, 1986, p. 62-81, aurait été bienvenue). Parmi les nombreuses variantes qui émaillent un texte difficile, les choix de B. Ferré sont généralement convaincants, et soutenus le cas échéant par une note. Dans la partie géographique, plusieurs noms propres sont restitués par conjecture à partir des passages correspondants de Pline (par exemple, au § 645, p. 33, le nom propre Enosim est rétabli contre la leçon erronée enusin des manuscrits). Cependant, si dans de nombreux cas les choix de B. Ferré permettent sans aucun doute de retrouver la bonne leçon, en revanche la question de l’orthographe des noms propres géographiques constitue un problème qui aurait mérité d’être traité plus nettement en introduction : faut-il systématiquement considérer que les différences par rapport à Pline proviennent d’erreurs de la tradition manuscrite, ou peut-on admettre que Martianus lui-même a pu avoir accès à une version déjà différente ? On peut citer à ce propos, au § 648 (p. 34), la conjecture Ericusa (au lieu de Eripusa dans les manuscrits) : certes les éditions de Pline donnent Ericusa, mais cette leçon est elle-même issue d’une conjecture d’Ermolao Barbaro et plusieurs manuscrits de Pline ont déjà Erip(h)usa, ce qui témoigne sans doute d’un problème de texte présent dès l’Antiquité. A contrario, peut-être n’est-il pas nécessaire, au § 656 (p. 40), d’éditer Spertio entre cruces dans la mesure où l’on trouve le terme sperchiuo dans le passage correspondant de Solin : l’erreur ou la déformation ne semble donc pas propre à Martianus. Enfin, on relève quelques erreurs purement matérielles : au § 645 (p. 32), à propos du terme Aegilion, le lemme n’est pas cité dans l’unité critique correspondante (l. 6) ; on peut faire la même remarque au § 648, à propos de la leçon Cossyra (l. 4 de l’apparat). Au § 645, le texte imprimé propose Phitonis alors que l’apparat indique phintonis, qui est manifestement la bonne leçon, retrouvée par conjecture à partir de Pline. Au § 713 (p. 66), l’adjectif uno est édité entre crochets obliques alors que c’est le terme suivant (puncto) qui est présenté dans l’apparat comme un ajout de A. Dick. Abstraction faite de ces points de détail qui pourront être corrigés dans une future réimpression, l’édition critique proposée par B. Ferré fournit sans conteste au lecteur les éléments permettant de mieux comprendre le texte de Martianus, tout en indiquant au moyen de cruces les passages qui demeurent obscurs et n’ont pas encore fait l’objet de conjectures satisfaisantes.
245La traduction française est généralement élégante tout en restant fidèle au texte latin et à son style bigarré : on se bornera donc ici à hasarder quelques remarques de détail. La première porte sur le participe présent employé comme adjectif decens, que l’on trouve dès le premier vers traduit par « à la beauté austère » et dont le sens revient au § 583 (p. 7) sous la forme du parfait decuit, avec une traduction proche (« à la sévère beauté »). Certes la connotation d’austérité peut convenir dans le cas de Pallas-Athéna, à qui est adressé l’hymne qui ouvre le livre, mais la fréquence d’utilisation de cet adjectif chez Martianus laisse penser qu’il s’agit simplement d’un synonyme de pulcher ou de uenustus : on le retrouve en effet, sans aucune nuance d’austérité, en 575 (à propos d’une table) et en 589 (à propos des « belles jeunes filles » dont Jupiter espère faire la connaissance grâce à la science géographique de Géométrie). Il sera encore utilisé, au livre IX, pour caractériser Flora (§ 888) ou Vénus (§ 903, 914). Au § 634 (p. 27), l’adjectif Bracata, ancienne appellation de la Gaule, est maintenu tel quel (en italiques) dans la traduction française : dans le passage de Pline correspondant (Nat. 3, 31, éd. CUF), H. Zehnacker traduit « Gaule en Braies », ce qui permet de conserver en français le sens premier de l’adjectif latin. Dans la partie proprement géométrique, certains termes, apparemment latinisés par Martianus (du moins édités en caractères latins), sont traduits par des termes grecs, ce qui rend la lecture moins fluide : ainsi, à la fin du § 722 (p. 71), on attendrait « l’octaèdre, le dodécaèdre, et aussi l’icosaèdre » plutôt que « l’?????????, le ???????????, et aussi l’??????????? ». Enfin, au § 718 (p. 69), la traduction de l’expression quicquid conuenit par « tout ce qui convient » fausse quelque peu le sens mathématique de cette définition du ????? (« tout ce qui est commensurable ») : à défaut d’une meilleure traduction, une note sur le sens mathématique du verbe conuenire aurait été bienvenue.
246Au-delà de la traduction française, le lecteur est guidé dans la compréhension du texte par un imposant appareil de notes occupant cent pages en fin de volume. Tous les aspects du texte y sont abordés, des enjeux littéraires et philosophiques aux réalités géographiques évoquées par Géométrie. On pourrait peut-être attendre quelques précisions supplémentaires sur la portée allégorique de certains éléments du récit : par exemple, la première note (p. 73), consacrée à Pallas (à qui est dédié l’hymne qui ouvre le livre VI), serait utilement complétée par quelques considérations sur le rôle allégorique de cette déesse au sein du récit, et plus particulièrement sur son lien avec les sciences mathématiques, dont elle apparaît comme la divinité tutélaire. De même, la note 30, p. 81, pourrait consacrer quelques développements supplémentaires au personnage de Philosophie. Inversement, quelques notes gagneraient à être réduites, voire supprimées ; ainsi la note 59, p. 88, sur les « ornements du Cyllénien » que Géométrie prétend récuser au début de son discours ne propose pas l’hypothèse qui paraît la plus évidente : il s’agit manifestement pour Géométrie de refuser tout ornement rhétorique susceptible de venir obscurcir ses démonstrations.
247Dans l’ensemble, les notes se caractérisent par une érudition qui mène le lecteur bien au-delà de la simple explicitation du texte. En particulier, les remarques astronomiques du passage sur la géométrie mathématique sont analysées à l’aide des connaissances astronomiques modernes : ainsi, les affirmations de Martianus sur la visibilité ou l’invisibilité de certaines constellations en fonction de l’endroit où l’on se trouve (par exemple au sujet de l’invisibilité de la Chevelure de Bérénice depuis l’Italie, note 76, p. 92) sont confirmées ou infirmées par une évaluation chiffrée de leur position dans l’Antiquité, compte tenu de la précession des équinoxes ; les remarques sur l’éclat des corps célestes, en particulier aux notes 74, p. 91 (Canopus) et 78, p. 92 (Arcturus) sont étayées par la mention moderne de leur magnitude (même si l’on constate quelques variations par rapport aux chiffres fournis par les observations les plus récentes). Eu égard à la précision de l’ensemble du commentaire, on attendrait peut-être, au § 594, deux notes supplémentaires qui permettraient d’éclaircir le propos de Martianus tout en apportant de la matière à l’étude du rapport à ses sources : la première note porterait sur l’expression in Arabia, où Alexandre est censé avoir été confronté à une éclipse de lune avant un combat. Il s’agit de l’éclipse survenue dans la nuit du 20 au 21 septembre 331 av. J.-C. (cf. par exemple Plut., Alex. 31, 8), soit dix jours avant la bataille de Gaugamèles, également appelée bataille d’Arbèles. Si les éditeurs de Pline restituent généralement, dans le passage correspondant (Nat. 2, 180), apud Arbilam (« près d’Arbèles »), les manuscrits ont dans l’ensemble apud Arabiam, expression étonnante qui laisse supposer que l’erreur sur le lieu de cette anecdote bien connue par ailleurs pouvait déjà être présente dans un état très ancien du texte de Pline : la substitution de in Arabia à apud Arabiam constitue peut-être, de la part de la source de Martianus, une tentative de correction du texte plinien, perçu comme erroné. Une seconde note pourrait porter sur l’éclipse de soleil mentionnée dans la suite de ce même paragraphe 594 : Martianus la situe le 21 avril (undecimo Kalendas) 59 apr. J.-C. alors que Pline, dans le passage correspondant, évoque le 30 avril (pridie Kalendas). Dans la mesure où une étude astronomique prouve que Pline a ici raison contre Martianus, il serait intéressant d’analyser les raisons (notamment paléographiques) de cette modification et d’envisager la question d’une possible correction du texte de Martianus.
248En complément de cet imposant travail philologique, les trois indices présentés en fin d’ouvrage (index geographicus, puis index Latinus et index Graecus) permettent au lecteur de circuler facilement au sein du livre. On pourrait toutefois regretter l’absence de cartes géographiques qui auraient permis de suivre plus aisément les différentes étapes de la chorographie.
249Ces quelques remarques n’enlèvent rien à la qualité et à l’utilité de ce nouveau volume de la CUF qui met à la disposition d’un vaste public un texte difficile mais fondamental pour l’histoire de la géométrie, de la géographie, et plus généralement de l’encyclopédisme tardo-antique, agrémenté d’un commentaire aussi clair qu’érudit.
250Jean-Baptiste Guillaumin
Philippe Borgeaud et Francesca Prescendi (dir.), Religions antiques. Une introduction comparée. Égypte-Grèce-Proche-Orient-Rome, Genève, Labor et Fides, 2008, 188 pages
251Nul souci d’exhaustivité dans les sept chapitres qui composent ce volume mais plutôt une entrée en matière, proposée par quelques spécialistes de l’Antiquité classique et proche-orientale dont le point commun est de graviter autour de la chaire d’histoire des religions antiques de Genève et de l’Université de Lausanne. Centré sur la Grèce et sur Rome, avec d’importantes échappées vers l’Égypte et le Proche-Orient ancien, l’ouvrage se propose d’aborder le fait religieux (rites, mythes et croyances) à travers quelques thématiques qui permettent tout à la fois la comparaison entre civilisations différentes et un questionnement sur les interactions entre culture et religion.
252Dans le premier chapitre, les éditeurs de l’ouvrage mettent en évidence quelques caractères fondamentaux du polythéisme dans l’Antiquité tout en rappelant que, au-delà d’une commune apparence, les systèmes polythéistes de la Grèce et de Rome peuvent offrir des distinctions, par exemple sur la place accordée au rite. F. Prescendi concentre ensuite sa réflexion sur le sacrifice sanglant en restituant une forme de dénominateur commun entre les formes rencontrées en Grèce et à Rome, et en rappelant que les détails résultent d’une sédimentation de gestes qui ne trouvent leur sens qu’à l’intérieur de la communauté qui les pratique. À propos de la violence sacrificielle, à partir d’un survol des mythes et des images, elle défend l’idée que, dans l’Antiquité, l’idée d’un sentiment de culpabilité envers les animaux et la mise à mort est surtout le fait de cercles philosophiques restreints et que la violence ne fait question que lorsque les hommes deviennent à leur tour des victimes, ce qui ne peut être que la traduction d’un désordre dans la hiérarchie qui structure l’univers.
253Ensuite, dans un chapitre intitulé « Approcher les dieux en Égypte ancienne : un regard sur la machinerie rituelle », Youri Volokhine rappelle les principaux caractères du temple égyptien avant d’aborder quelques aspects du rituel en distinguant le rituel journalier, les règles de l’offrande, les questions du sacrifice animal et des oracles. Loin d’épuiser le sujet annoncé, le chapitre est clair dans l’ensemble ; dans la dernière sous-partie, le retour sur la question des lieux de culte (le temple vu cette fois du « dehors ») peut se justifier mais il manque indiscutablement une évocation, même sommaire, des chapelles et des oratoires, si importants dans le paysage religieux égyptien.
254Dans le chapitre suivant, F. Prescendi et D. Jaillard ont répondu, successivement et de manière séparée, à la question : « pourquoi et comment connaître la volonté des dieux ? Divination et possession à Rome et en Grèce ». Sur Rome, se trouvent exposées les différents types de divination (extispicium, prise des auspices, prodiges) avant que ne soit évoquée la question de la relation de la divination à la « volonté divine » : suivant J. Scheid et A. Carandini, l’accent est mis sur la relation particulière, fondée sur une forme de « consensus divin », que les Romains, peuple pieux par excellence, entretiennent avec les dieux et avec le sacré. À la suite, l’étude des pratiques divinatoires grecques, quant à elle, permet d’en noter la diversité même si l’oracle d’Apollon à Delphes occupe la plus grande partie de l’exposé, où l’on trouvera notamment une longue citation des passages bien connus du livre VII d’Hérodote relatifs aux consultations des Athéniens à la veille de la seconde guerre médique. Une étude plus exhaustive des extraits aurait sans doute été bienvenue, au-delà d’un simple commentaire de l’énigme du « rempart de bois ».
255Dans un chapitre intitulé « Magie ou religion ? Pratiques et croyances entre l’Égypte, la Grèce et Rome », N. Durisch Gauthier et F. Prescendi font précéder leur analyse succincte de la magie en Égypte et dans le monde gréco-romain d’un rappel des thèses qui ont eu cours pour définir la magie. Le chapitre se termine alors par quelques remarques suggestives visant à faire ressortir certains traits distinctifs de la magie : en Égypte peuvent être mis en évidence une fonction pragmatique, les actes visant à exercer une contrainte sur les dieux, et l’importance du principe de sympathie ; dans le monde gréco-romain, la magie se définit d’abord par les conditions d’accomplissement des rites, tandis qu’un discours théorique a eu soin, dès l’époque classique, d’en faire un domaine distinct de celui de la religion.
256C’est dans le chapitre rédigé par Ph. Borgeaud et Th. Römer que l’idée d’une étude comparée des religions antiques prend toute sa dimension. Les auteurs montrent en effet comment on peut lire les épopées mésopotamiennes d’une part, les récits de la création, de la chute et du déluge dans la Genèse d’autre part (avec leur héritage mésopotamien) dans un rapport étroit avec les récits de la mythologie grecque, Hésiode au premier chef. La relation du divin au monde, de l’humain au divin, la relation du féminin au masculin, de l’animal à l’humain, constituent autant de motifs fondamentaux sur lesquels les regards croisés permettent de mettre en évidence le fait que les héritages biblique et classique sont, en dépit de la nature distincte des textes, non seulement compatibles, mais qu’ils peuvent aussi donner lieu à de véritables études comparées.
257Enfin, dans le chapitre final, intitulé « Innovations religieuses dans la Rome impériale », A. Nagy et F. Prescendi explorent différents moments d’intégration de cultes « étrangers » dans la religion romaine, à l’instar des cultes d’origine orientale (à propos desquels il est bien rappelé que le concept d’Orient est inadapté). Après un rappel sur l’introduction du culte de la Mère des dieux en 204 av. J.-C. et sur la diffusion du culte de Mithra – qui a toujours gardé une dimension privée – à la fin du premier siècle de notre ère, une brève réflexion sur les « limites de l’innovation religieuse » est menée, essentiellement à partir de la célèbre affaire des Bacchanales, cas le plus célèbre d’interdiction d’un culte dans la Rome républicaine (ce qui ne s’accorde guère avec le titre général du chapitre). Un bref aperçu de la question des persécutions à l’encontre des premiers chrétiens clôt le propos.
258Dans cet ensemble quelque peu disparate mais stimulant, le lecteur trouvera, grâce à la bibliographie classée qui se trouve à la fin de chacun des chapitres, les références qui lui permettront de poursuivre son chemin sur tel ou tel aspect.
259Pierre Sineux
Maria Moog-Grünewald (dir.), Der Neue Pauly. Supplemente 5 : Mythenrezeption. Die antike Mythologie in Literatur, Musik und Kunst von den Anfängen bis zur Gegenwart, Stuttgart-Weimar, Verlag J.B. Metzler, 2008, IX+749 pages
260Ce volume, le cinquième d’une série de Suppléments publiés en complément de la désormais célèbre Neue Pauly, a l’objectif ambitieux de présenter, sous une forme lexicographique, un panorama de la « réception » des mythes gréco-romains de l’Antiquité jusqu’à nos jours. Comme l’explique la directrice de la publication dans une courte préface (p. VII-VIII), il ne s’agit pas ici d’offrir un catalogue raisonné des œuvres inspirées par la mythologie classique – on renverra pour cela à d’autres ouvrages encyclopédiques, notamment l’Oxford Guide to Classical Mythology in the Arts, 1300-1990 (2 vol. sous la dir. de J. Davidson Reid, Oxford et New-York, 1993) – mais plutôt d’analyser, à la lumière d’exemples soigneusement sélectionnés, l’impact et la résonance des mythes antiques dans la culture occidentale. L’originalité de l’ouvrage réside d’une part dans l’ampleur de la période envisagée, d’autre part dans la variété des domaines pris en considération : dès l’Antiquité, on le sait, la mythologie a irrigué la littérature et les arts figurés, mais elle a également au fil des siècles inspiré la musique, la danse, le cinéma, la bande dessinée, elle a nourri la réflexion philosophique, théologique et psychanalytique, elle a parfois aussi servi l’idéologie politique, elle demeure enfin étonnamment présente dans la modernité la plus quotidienne. Partant des principaux mythes du monde antique, ce livre explore leurs multiples interprétations, adaptations, altérations, transpositions, à travers lesquelles le lecteur perçoit en filigrane les goûts, les idéologies, les fantasmes de ceux qui les font vivre.
261Confiés à soixante-six auteurs dont quelques-uns ont rédigé deux, voire trois rubriques, les articles sont présentés selon l’ordre alphabétique des noms de figures mythologiques, d’« Achilleus » à « Zeus ». L’appellation grecque, on le voit, a été privilégiée, sauf pour certains groupes de personnages comme les Amazones, Charites, Muses, Nymphes, Sirènes, pour lesquels la pratique germanique a prévalu ; après le titre sont indiqués entre parenthèses les différentes versions du nom en grec ancien et, le nom latin. Certains dieux et héros n’ont pas reçu d’entrée propre mais sont traités dans des rubriques consacrées à d’autres personnages, au risque d’être quelque peu laissés dans l’ombre : ainsi Pénélope est-elle traitée sous « Odysseus », Hippolyte sous « Phaidra » et Méléagre sous « Atalanta », quand d’autres articles, comme « Dido und Aineias » ou « Galateia und Polyphemos », font un sort commun à des couples célèbres. Ce parti pris parfois regrettable est en lui-même révélateur du processus de « réception » par lequel certains épisodes d’un mythe ont fini par éclipser tous les autres. Pour d’autres personnages – en particulier les grands dieux olympiens – dont la légende fait intervenir de nombreux protagonistes, il arrive que des épisodes soient approfondis dans des rubriques consacrées aux personnages secondaires : ainsi les amours de Zeus sont-elles simplement évoquées sous son nom mais traitées de façon plus détaillée sous ceux de ses partenaires les plus célèbres comme Danaé, Europe, Ganymède ou Léda.
262Les articles sont composés selon un plan strictement établi : la première partie (A) expose la tradition antique du mythe en question, avec ses variantes géographiques et historiques, la seconde (B) concerne la « réception ». Cette seconde partie comporte des subdivisions chronologiques (Antiquité, Antiquité tardive et Moyen Âge, époque moderne, époque contemporaine) à l’intérieur desquelles sont successivement prises en compte les différentes sphères culturelles : littérature (incluant le théâtre) et philosophie, arts figurés, musique et danse, cinéma ; des domaines comme la politique ou la psychanalyse, qui nécessitent pour certains personnages (par exemple Héraclès, Narcisse, Œdipe) un traitement particulier, sont parfois nettement distingués. Selon leur importance, les articles sont agrémentés d’une ou plusieurs illustrations (187 au total), toutes en noir et blanc malheureusement ; elles offrent parfois d’amusants rapprochements : ainsi la Méduse Rondanini voisine avec le logo de la maison de couture Versace (p. 301). Chaque rubrique se termine par une bibliographie spécialisée tandis qu’une bibliographie générale et majoritairement germanophone – aurait dû y figurer, notamment, l’excellent petit Dictionnaire culturel de la mythologie gréco-romaine R. Martin (dir.), Paris, 1992) – prend place à la fin de l’ouvrage, où le lecteur trouvera également un index des noms mythologiques facilitant, au même titre que le jeu de renvois internes, la navigation entre les articles, ainsi qu’un index des noms de personnes (toutes époques confondues).
263Présenter à la fois les mythes antiques et leur « réception » en un seul volume, si dense soit-il, impliquait inévitablement des choix et il va de soi que n’ont pu être prises en compte que les figures les plus riches du point de vue de la postérité mythique. On déplore toutefois quelques absents : Asclépios, Bellérophon, Pégase, Idoménée ou encore les Géants auraient sans doute mérité plus qu’une simple mention dans l’index.
264On l’aura compris : pas plus qu’il ne prétend à l’exhaustivité, cet ouvrage ne remplace, surtout pour l’Antiquité, d’autres encyclopédies plus spécialisées ; mais, par son approche pluridisciplinaire que l’on ne manquera pas de saluer, il invite le lecteur à un passionnant voyage culturel à travers les âges et constitue désormais un précieux outil de référence pour tous ceux qui s’intéressent à la postérité des mythes gréco-romains.
265Pascale Linant de Bellefonds
Verena Olejniczak Lobsien et Claudia Olk (dir.), Neuplatonismus und Ästhetik. Zur Transformationsgeschichte des Schönen, Transformationen der Antike, 2, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2007, VIII+256 pages
266Il n’y a pas si longtemps, le néoplatonisme, malgré d’importantes études et traductions en France, en Allemagne et en Angleterre, n’était encore considéré que comme un moment exotique dans l’histoire de la philosophie – pas complètement grec, pas romain à proprement parler et pas encore chrétien –, un moment souvent associé à l’irrationalité et à la décadence du monde ancien. Aujourd’hui, en revanche, après une vingtaine d’années d’études nombreuses et sérieuses, on peut même se demander qui, après les néoplatoniciens, n’est pas néoplatonicien, tant fut grande l’influence de Plotin, Porphyre et Proclus, entre autres, sur l’histoire intellectuelle de l’Occident, ainsi que de l’Orient. Ce volume, dirigé par V. Lobsien et C. Olk, est un excellent exemple de l’état actuel des études sur l’influence des néoplatoniciens, en particulier sur les idées concernant le beau et les arts.
267V. Lobsien nous offre une introduction très précise sur les caractéristiques principales de l’esthétique néoplatonicienne, présentant en même temps les articles du livre. Le néoplatonisme antique n’a pas formulé une esthétique entendue comme discipline qui règle l’appréciation et la production d’œuvres artistiques ; il a pourtant attribué à la beauté une fonction philosophiquement anagogique : tout ce qui est beau, même sensiblement, est un éclat de la vraie beauté de l’intelligible, une trace de la forme immatérielle. Bref, « beauté est vérité, vérité beauté », dit le fameux vers de John Keats, que V. Lobsien cite et analyse pour formuler cinq catégories d’interprétation que l’ontologie néoplatonicienne de la beauté nous procure pour méditer sur l’art, et qui traversent les essais : la transformation, fonction morale du beau, qui conduit les âmes vers le vrai ; la mimesis, compréhension que la beauté sensible est l’imitation, l’image de la beauté intelligible, qui est plus belle et plus vraie ; l’unité, cohésion fondamentale pour que la perception et la pensée puissent saisir l’éclat de l’idée et avoir l’intuition de l’antériorité de l’Un, principe primordial, sur l’être ; la transparence, lumière qui traverse l’intelligible et qui le traduit sans discursivité ; et la référentialité, pouvoir allusif qu’a le beau artistique de suggérer le principe ineffable, de le symboliser et de nous renvoyer à lui.
268W. Haug cherche l’existence d’une esthétique médiévale de tradition platonicienne et la trouve dans la réception de Pseudo-Denys l’Aréopagite par Jean Scot Érigène. J. Halfwassen médite sur l’image sensible comme moyen de la manifestation et moyen pour l’intuition de la beauté intelligible dans le néoplatonisme. A. Schmitt examine comment les hommes du Moyen Âge et de la Renaissance ont concilié la critique plotinienne, la conception hellénistique (stoïcienne) de la beauté comme symétrie avec l’importance qu’ils accordaient à la proportionnalité de l’œuvre d’art. T. Leinkauf analyse l’appropriation du concept plotinien du beau par la théorie de l’art et de la poésie de la Renaissance, en particulier par Alberti, Ficin et son école, et Giordano Bruno. V. Lobsien, dans son étude des Fowre Hymnes de Spenser, explicite l’énigmatique sens du mot anglais retractaction, employé par le poète dans la dédicace de son livre, et approfondit le thème de la transparence, explorant aussi les allusions épistrophiques – de conversion, de retour vers le principe premier – des hymnes. L. Bergemann s’engage dans l’identification des éléments de la métaphysique néoplatonicienne qui déterminent la lecture que Cudworh a faite d’un fragment d’Euripide (aujourd’hui attribué à Critias). K. Münchberg écrit un stimulant essai sur le platonisme antiplatonicien de Diderot et le néoplatonisme de Rousseau. E. Lobsien analyse la complexe pensée néoplatonicienne de Coleridge : sa distinction entre imagination et fancy, et la perception du beau dans l’unité de la multiplicité. C. Olk traite du symbolisme platonicien dont le To the Lighthouse, de Virginia Woolf, est imprégné. Et, enfin, M. Moog-Grünewald s’aventure dans la réontologisation du langage dans la poésie moderne, lisant Baudelaire, Mallarmé, Valéry, et d’autres.
269Le livre sera assurément de grand intérêt tant pour les chercheurs en néoplatonisme et tradition platonicienne que pour les chercheurs en esthétique, histoire de l’art, réception et, évidemment, pour ceux qui s’intéressent aux thèmes étudiés dans chacun des dix essais, remarquables par le haut niveau d’érudition, passionnants par les connexions qu’ils suscitent.
270José Baracat Jr.
Didier Foucault et Pascal Payen (dir.), Les Autorités. Dynamiques et mutation d’une figure de référence à l’Antiquité, Horos, Grenoble, Éditions Jérôme Millon, 2007, 396 pages
271Pour cerner la manière dont les Anciens se trouvent érigés en figures d’autorités (au sens de référence et d’objet), Pascal Payen dès la préface écarte toutes les pistes que cet ouvrage n’explore pas. L’origine du concept « autorité », circonscrit à la sphère politique (en relation avec l’auctoritas senatus), est liée à Rome ; la question dès lors est posée : comment isoler une essence de l’« ancienneté », quand les Anciens n’existent pas isolément mais sous une forme contrastive et différentielle ? À partir d’Érasme jusqu’au sortir de la grande Querelle (des années 1520 aux années 1715), l’histoire des Autorités se confond avec celle des Anciens : d’abord restaurés, puis oubliés (à partir de la fin du XVIe siècle), initialement érigés en autorités, ensuite dévalués (au cours de l’Âge classique), jusqu’à la rupture critique identifiée par Paul Hazard. Michel de Montaigne cultive ainsi l’idée que son propre « jugement » appelle constamment révision à l’aune des Anciens. Ces derniers étant reconnus comme « Autorités », tout le passé des hommes, dans sa continuité et sa durée, est tenu pour la référence ultime ; l’humanitas des Anciens permet au présent de se ressourcer et à l’avenir de s’inventer. La modernitas pour sa part instaure une rupture avec le passé. Au cœur des deux approches, le rapport au temps est fondateur d’autorité. Dans la mesure où il est investi d’« autorité », l’Ancien s’inscrit dans une continuité temporelle et par ce continuum participe à la construction d’un héritage. Ériger les Anciens en figures d’autorité revient à faire de la distance temporelle intermédiaire un espace dynamique de transmission. En projetant le passé dans le présent, la réflexion des Modernes au XVIIe siècle inverse la perspective. Le rapport d’ordre temporel qui caractérise la restitutio laisse place à une autre forme de raisonnement, elle aussi fondée sur le temps : la nouveauté rend caduc ce qui précède. Les Modernes s’assimilent l’acquis des Anciens : dès lors rendus modernes, ceux-ci deviennent conjointement des Anciens et des Autorités. Le maître-mot est le « progrès », lequel relègue le temps des Anciens à l’enfance, à l’origine, aux commencements, et déplace les Autorités vers les Modernes. Second producteur d’autorité à côté du temps, l’écriture intervient dans la constitution matérielle de la tradition, par la fixation de « listes » et l’effectuation de tris. Grâce à l’imprimé, les florilèges médiévaux et les recueils de loci communes font leur entrée dans le programme humaniste : une œuvre ou un auteur acquiert donc figure d’autorité par sa présence même dans un canon écrit. Son autorité découle aussi du travail critique et philologique qui, avec la Renaissance humaniste, s’attache à la lettre du texte pour reconstituer l’œuvre authentique, attribuer tel écrit à tel auteur ou encore retirer tel autre d’un corpus jusqu’ici admis. Une autorité n’existe pleinement que si elle est reconnue : elle relève d’une norme liée à un contexte esthétique et social, autant que d’un travail philologique interne. L’une et l’autre convergent pour façonner une culture issue non de la simple transmission mais de la reconnaissance par élaboration de modèles, dont l’espace privilégié est l’écrit, à travers les usages littéraires, l’institution scolaire et les polémiques (telle la Querelle). Le présent livre explore les voies par lesquelles les Anciens sont lus, corrigés, détournés ou transformés pour être érigés en références.
272Dans l’introduction (« Ouverture : autorités et temps »), François Hartog livre quelques remarques liminaires sur les rapports entre autorité et temps, temporalité et autorité, historicité et autorité : l’appariement des termes « autorité » et « passé » est le plus ancien et le plus obvie. Le passé est simultanément envisagé comme terreau de la tradition et ressource pour une histoire obéissant au modèle de l’historia magistra uitae. Rome incarne une étape historique majeure, à la fois par elle-même et par son poids dans la tradition occidentale. Le monothéisme chrétien introduit un temps nouveau et une autorité inédite : de Moïse à Jésus, de la Loi à la foi, du vieil homme à l’homme nouveau, le christianisme commençant se réclame de la praeparatio et non de la restitutio. Inachevé, le passé est dépassé, conservé uniquement dans la mesure où il se laisse interpréter en fonction du présent : l’Incarnation ouvre un temps nouveau, où la césure entre avant et après n’est plus comblée. À la Renaissance, lire et éditer les Anciens revient à hisser le présent à la dignité du passé antique. Si la curiositas favorise l’auctoritas, cette restitutio ne remet pas en cause les autorités chrétiennes ni surtout l’auctoritas du Christ et des Écritures. Glisser de l’autorité du passé à l’autorité du futur équivaut dans la tradition occidentale à se déplacer du « déjà » vers le « pas encore » : la transition se fait de la perfection absolue des Anciens vers la perfection relative de chacun.
273La section « Refonder » est introduite par Didier Foucault (« L’instrumentalisation des Anciens dans le discours de refondation de l’autorité politique »). La seule autorité politique durable exige la reconnaissance de sa légitimité par ceux-là mêmes qui la subissent : les Anciens ainsi apportent moins la caution de leur expérience historique qu’un concours involontaire à des théories parfois fragiles. Traités politiques ou discours de propagande pratiquent une instrumentalisation variable de l’autorité des Anciens. Si Machiavel s’appuie sur les passages où Justin évoque Agathocle de Sicile, de préférence à Diodore, lequel fait davantage autorité en matière de théorie politique (Jean-Yves Goffi, « De ceux qui sont parvenus au principat par des crimes : Machiavel et Agathocle de Sicile dans le chapitre VIII du Prince »), c’est pour exploiter la relative indigence du texte et, par là, sa plus grande malléabilité. Au cours des années pré-révolutionnaires, le modèle de Sparte est exalté par de nombreux penseurs : auteur des Recherches philosophiques sur les Grecs (Berlin, 1788), Cornelius de Pauw refuse les simplifications tirées de Platon, de Xénophon ou de Plutarque (Claude Mossé, « Une image négative de Sparte à la fin du XVIIIe siècle : la quatrième partie des Recherches philosophiques sur les Grecs de Cornelius de Pauw »). Certains écrits déroulent un subtil jeu de citations puisées dans les autorités les plus contradictoires. La démarche de Louis Machon consiste tout ensemble à rabaisser les autorités sacrées au niveau des profanes et à hisser un auteur éprouvé (Machiavel) au rang d’art politique légitimé par d’autres principes que l’autorité (Jean-Pierre Cavaillé, « Le jeu des autorités dans l’Apologie pour Machiavelle de Louis Machon (1643/1668) »). La place faite aux autorités livresques reprend les stratégies discursives du libertinage érudit, plus qu’elle ne prolonge la tradition humaniste et juridique. En dehors de la sphère savante mais au cœur de l’action politique, la quête d’antiquité revêt des formes moins sophistiquées à l’époque fasciste : Benito Mussolini relève ainsi du « César de carnaval » (Philippe Foro, « L’autorité de l’antiquité romaine dans le discours mussolinien »). Pour le dictateur italien, l’exaltation de la grandeur passée de Rome alimente la propagande autocratique, nationaliste et impérialiste, et l’Histoire assurément se trouve mise à mal par un tel traitement.
274La section II « Contester » est une nouvelle fois introduite par Didier Foucault (« L’autorité des Anciens comme caution d’une contestation »). Les auteurs et les textes soutenant l’édifice religieux, philosophique, juridique ou politique établi se trouvent quelquefois remployés à une fin opposée : la sape des fondements. Giulio Cesare Vanini illustre une voie originale dans la mise en cause du principe d’autorité : la désinvolture du philosophe italien éclaire les accusations portées contre lui (Didier Foucault, « Libertinisme et détournement de l’autorité biblique dans l’œuvre de Vanini »). Avec une légèreté sacrilège, Vanini le premier (vers 1615) transgresse les interdits préservant d’un traitement profane la parole divine relayée par les prophètes et les apôtres. De ses fondements les plus universels à ses développements théologiques ou moralement édifiants, l’édifice chrétien tout entier est ruiné par des armes puisées dans l’Écriture sainte. L’Allemagne romantique livre un cas complexe (Lucien Calvié, « Références antiques et conscience nationale allemande de la fin du XVIIIe siècle aux années 1830 »), où la référence antique entre en concurrence avec la référence médiévale : contre la Révolution française et son prolongement napoléonien, eux-mêmes nourris de l’imagerie classique des « républiques antiques », conscience nationale et mouvement national mobilisent l’autorité des « Antiquités nationales » germaniques (depuis les Germains de Tacite jusqu’au Saint-Empire médiéval plus ou moins mythifié). En pleine tourmente révolutionnaire et napoléonienne, l’époque est ainsi traversée par deux courants contradictoires (bien reflétés dans la trajectoire de F. Schlegel). Si l’adhésion aux idées nouvelles en provenance de France définit la première période, leur rejet réactionnaire caractérise la seconde : l’idée est non seulement de s’affranchir de la modernité définissant la Révolution héritière de Martin Luther et des Lumières, mais encore de se libérer des références romaines servant d’ornements à la rhétorique républicaine. Loin de proposer une restauration du passé immédiat, la contre-révolution renoue avec les libertés germaniques décrites par Tacite et la puissance du Saint-Empire en son apogée médiéval. Deux siècles plus tard, la modernité à son tour est contestée. Dans le commentaire de l’Alcibiade ouvrant l’Herméneutique du sujet (Julien Bouvier, « Y a-t-il un sens à parler du sujet chez Platon ? Un dialogue avec “le dernier Foucault” »), Michel Foucault, qui en Platon voit une autorité essentielle, amorce une déconstruction impliquant une contestation du platonisme. Les acteurs de la Révolution française se montrent friands d’exempla tirés de l’histoire spartiate ou de la République romaine. Analysant les débats relatifs au Code civil napoléonien, Christine Dousset-Seiden (« Le Code civil et la famille : l’autorité du droit romain en question ») démontre que, parmi les juristes et les députés œuvrant à la redéfinition nationale de la législation, le droit romain conserve tout son prestige, même si son autorité tient plus à son caractère rationnel et méthodique qu’à la seule vertu de son antiquité. Le statut du droit romain trahit diverses perceptions de la Rome antique : si le droit romain reste une autorité dont la force s’impose, l’Antiquité romaine est perçue comme un passé lointain par la majorité des juristes.
275La section III (« Légitimer ») est introduite par Pascal Payen (« Historiographie des Modernes et histoire des Anciens »). Aux deux questions : comment écrire l’histoire des époques faisant autorité et par quelles autorités en légitimer le récit, les Modernes apportent une double réponse. Les plus aptes à asseoir l’autorité de l’histoire ancienne sont, en tant que témoins directs, les historiens de l’Antiquité eux-mêmes, les Modernes pour leur part s’estimant incapables de réaliser un progrès, en raison de la distance qui les sépare des faits. La compréhension du passé est rendue possible encore par les monuments, les inscriptions et les monnaies : l’analyse des traces et le doute critique accompagnent ainsi l’élaboration des méthodes. Le renouvellement des sources historiques et la valeur changeante du témoignage ne ruinent pas l’autorité des historiens anciens, lesquels servent de modèles aux instances en place. Leur prétention à énoncer la vérité équivaut au refus de confondre histoire et panégyrique. David Hume (Marie-Laurence Desclos, « L’autorité de Thucydide dans les Essais humiens ») voit en Thucydide une autorité légitimant sa propre pensée. Dans l’université allemande du XIXe siècle, le choix de l’histoire grecque permet de légitimer conjointement les savoirs, les pratiques disciplinaires et les institutions académiques qui en ce temps-là fondent la supériorité de la nation allemande, son Deutschtum. Construire l’historiographie moderne de la Grèce ancienne (Giovanni Leghissa, « L’antiquité grecque comme miroir de la Deutschtum ») équivaut à se réapproprier l’histoire des Anciens : Thucydide se trouve ainsi érigé en modèle d’impartialité. Eux-mêmes envisagés comme sources et archives, les Anciens deviennent à leur tour justiciables d’une approche critique et d’une confrontation mutuelle. En fondant son Histoire ancienne sur l’autorité du corpus historiographique, Charles Rollin démontre l’origine hellénique des concepts examinés (Pascal Payen, « L’autorité des historiens grecs dans l’Histoire ancienne de Rollin (1731-1738) »). Privée d’une acception cognitive forte (Catherine Darbo-Peschanski, « L’autorité de l’historiographie grecque ou le paradoxe de la faiblesse »), la notion grecque d’historia se rattache chez les Anciens à des formes discursives et des savoirs multiples, sans pour autant désigner un mode de connaissance autonome.
276La section IV (« S’approprier ») est introduite par Didier Foucault (« Nouvelles perspectives intellectuelles et autorité des Anciens »). La modernité intellectuelle se caractérise par l’émergence de nouveaux territoires épistémiques en plus de ceux hérités de l’Antiquité tardive, qui jusqu’au XVIIe siècle servent de socle à l’enseignement européen. L’interprétation des monuments antiques par les savants engagés dans l’action révolutionnaire vise à corriger les préjugés trop souvent accolés à la Révolution comme régime destructeur et contempteur du passé (Germaine Aujac, « La science grecque revisitée aux entours de la Révolution »). La redécouverte des Anciens par les fondateurs de l’érudition moderne accompagne la genèse de la modernité : autrement dit, comment écrire l’histoire de l’humanité dans un contexte anthropologique nouveau ? Vers 1725, le jésuite français Joseph-François Lafitau et le philosophe napolitain Giambattista Vico (Claude Calame, « Héros grecs et romains pour recomposer une identité du soi : les approches comparatives de Lafitau et de Vico ») s’efforcent de résoudre le problème en élaborant une approche comparative s’accordant à l’intangible autorité du schéma biblique et relativisant la fonction paradigmatique jusqu’alors réservée à l’hellénisation. Les « sauvages », dont les mœurs et les croyances présentent une analogie avec les Grecs et les autres peuples du bassin méditerranéen, se trouvent ainsi participer à la même aventure humaine que les nations dites civilisées. Rappelant que l’économie politique est une notion inadéquate pour la philosophie grecque classique, Annick Jaulin (« L’économie politique et l’autorité des Anciens (Adam Smith) ») relève chez les fondateurs de la discipline un souci paradoxal d’asseoir leur démarche novatrice sur l’autorité des Anciens : la Théorie des sentiments moraux et de La Richesse des nations d’Adam Smith trahit ainsi une référence constante aux stoïciens.
277La section V (« Transformer »), introduite par Pascal Payen (« Autorités langagières et références littéraires »), couronne les sections relatives aux quatre façons de recourir à l’Antiquité en tant qu’autorité (à la fois comme référence aux Anciens et par révérence à leur égard). La modernité porte l’empreinte d’une Antiquité au second degré, elle-même transformée de manière à trouver sa juste place chez les Modernes. L’idée d’une double dérivation alimente cette section, relative à la langue et à la littérature des Anciens et des Modernes, dans des contextes propres aux seconds. Le statut d’autorité reconnu aux Anciens s’élabore dans le cadre des Histoires de la littérature. Si dès l’origine la littérature grecque est féconde en modèles (Gian Franco Gianotti, « La littérature de Rome et l’histoire de la littérature : autorité des Anciens et modèles historiographiques »), la littérature latine suscite des jugements péjoratifs la reléguant au rang de dérivé abâtardi. L’« autorité » en tant que référence mobile, soumise aux variations historiques, appartient à l’histoire des interprétations (Michel Banniard, « Les autorités grammaticales, entrave ou adjuvant aux émergences langagières (VIIIe-XIIe siècles) ? »). Valère Maxime se trouve cité, abrégé, détourné ou glosé, dans le but d’illustrer une sagesse antique reconnue par les hommes du Moyen Âge (Florence Bouchet, « Les jeux littéraires avec l’autorité de Valère Maxime aux XIVe et XVe siècles »), qui en affirmant l’autorité des auteurs médiévaux réalisent une forme de translatio. Du point de vue de l’histoire du goût et des normes esthétiques, les fluctuations synchroniques (XVIe et XIXe siècles) jalonnant par exemple l’appréciation des Posthomériques (épopée de Quintus de Smyrne, IVe siècle) dévoilent les critères d’autorité présidant au jugement littéraire (David Bouvier, « Autorité et statut de l’épopée antique : le cas particulier des Posthomériques de Quintus de Smyrne aux XVIe et XIXe siècles »). Les variantes dans la mise en scène d’Œdipe roi de Sophocle illustrent les degrés possibles de l’interprétation, entre reconstitution archéologique et parti pris de modernité : le prestige de cette pièce, redevable à la Poétique d’Aristote, ne signifie pas cependant que l’Antiquité soit figée en musée (Martina Treu, « Vicence à la grecque : Œdipe roi et le Théâtre Olimpico »).
278Dans la conclusion qui avec une bibliographie et un index unique couronne cet ensemble parfaitement maîtrisé (cohérent, lié et enchaîné), Didier Foucault (« L’autorité des Anciens dans l’histoire intellectuelle de l’Occident ») questionne l’opportunité de nuancer le schéma positiviste traditionnel, la dialectique obéissance/contestation inhérente à toute autorité, et le chemin qui, par le biais de la résistance des Anciens face à la modernité, conduit de la révérence à la référence : l’argument d’autorité reste dans tous les cas difficile à évacuer. Les contributions sont ici d’une telle richesse qu’il est impossible de leur rendre justice dans le détail. Ce volume manifeste ouvertement la grande santé de l’érudition française et le talent véritable de ceux qui la font.
279Pascale Hummel
Notes
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[1]
Voir le compte-rendu du premier volume, RPh 81, 1, p. 164-165.
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[2]
Au prix, il est vrai, d’une sensible réduction de la taille des caractères, p. xliii. Un encart en double page, comme cela se fait parfois dans la collection pour présenter, par exemple, des cartes géographiques, aurait été plus lisible et plus commode d’emploi.
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[3]
M.P., loc. cit.
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[4]
Cette appellation est d’ores et déjà canonique, mais on aurait souhaité l’emploi d’un autre mot que celui de « rhéteur », d’abord parce qu’il s’agit, malgré les apparences, d’une catégorie latine et non grecque, ensuite parce que ce mot a des connotations péjoratives.
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[5]
On peut trouver un intérêt particulier aux remarques consacrées au développement d’Hermogène sur les personnes et les actes (xxxii-xxxviii), à la métalepse et à sa situation par rapport au schéma des staseis (xliv-xlvii), ou encore à la subtilité mise en œuvre par le technographe à propos de la qualification (lv-lvi).
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[6]
p. lix.
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[7]
Voir le compte-rendu du premier volume (cité supra n. 1).
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[8]
Le grec est traduit d’après l’édition d’A. Fairbanks, dans la Loeb Classical Library, 1931 (rééd. 1979).
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[9]
Ars et Verba. Die Kunstbeschreibungen des Kallistratos, Einführung, Text, Übersetzung, Anmerkungen, archäologischer Kommentar von B. Bäbler et H.-G. Nesselrath, Munich-Leipzig, 2006 – peut-être cette édition est-elle parue trop tard pour pouvoir être signalée par J. Boulogne ? Une autre publication témoigne du regain d’intérêt actuellement suscité par Callistrate, le recueil d’études dirigé par M. Costantini, F. Graziani et S. Rolet sur Le Défi de l’art. Philostrate, Callistrate et l’image sophistique, Presses Universitaires de Rennes, 2006.
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[10]
La formule n’est pas nouvelle : voir l’article de N. Bryson, « Philostratus and the Imaginary Museum », dans S. Goldhill-R. Osborne (dir.), Art and Text in Ancient Greek Culture, Cambridge UP, 1994, p. 255-283.
-
[11]
La conclusion des éditeurs allemands de Callistrate est exactement inverse : selon B. Bäbler, seules trois descriptions sont trop vagues pour pouvoir être rapportées à une œuvre antique précise (Péan, le Jeune Homme, le Centaure) ; toutes les autres Ekphraseis peuvent être associées à un modèle particulier ou à une tradition plastique bien identifiée. Le débat, alternative excessivement tranchée, qui a longtemps opposé philologues et archéologues autour des Images de Philostrate gagne donc l’œuvre de Callistrate.
-
[12]
« Callistrate et le discours sur la sculpture à l’âge moderne »,dans P. Hoffmann et P.-L. Rinuy (dir.), Antiquités imaginaires. La référence antique dans l’art occidental de la Renaissance à nos jours, Paris, 1996, p. 21-42. Cette étude n’est pas citée dans l’introduction : d’une manière générale, on regrettera l’absence d’une bibliographie d’ensemble qui aurait permis une mise en perspective utile de la réception du texte sous tous ses aspects.
-
[13]
L’expression est empruntée à F. Graziani, dont il faut lire les belles analyses en complément des pages de J. Boulogne (« “La vérité en image” : La méthode sophistique », dans Le Défi de l’art (cité n. 2), p. 144-151).
-
[14]
Rééditée plusieurs fois, mais seulement entre 1614 et 1637, cette « traduction inventive », « confuse et embarrassée », la seule dont nous disposions jusqu’à ce volume, est reproduite par F. Graziani à la fin du volume sur Le Défi de l’art (cité n. 2) p. 262 pour les qualificatifs employés par F. Graziani, p. 264-279 pour la traduction).
-
[15]
Les traductions de P.G. semblent ainsi souvent plus sûres et intelligibles que, par exemple, celles de M. Muller-Dufeu, qui s’appuie parfois sur le texte grec de la vieille édition Jacobs de 1825 (La Sculpture grecque. Sources littéraires et épigraphiques, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Paris, 2002) – même s’il reste, inévitablement, ici ou là chez P.G. des formules qui n’emportent pas l’adhésion (comme ces « mains d’artisans, traversées par une part plus qu’humaine de la vie », p. 45, pour des « mains saisies du don d’insuffler une plus grande part de divin », Descr. 2).
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[16]
L’expression est fidèle à l’idée d’évocation (au sens étymologique) développée dans la préface (par exemple p. 12, p. 27), mais rend aussi compte de la récurrence du terme ??????? dans le texte : Scopas est présenté par Callistrate comme un ??µ??????? ???????? (2,4), la statue de Péan comme un ??? ???????? ????µ? (10, 2).
-
[17]
Alors que P.G. traduit le terme par « tableau » dans les deux premiers paragraphes, il reprend ensuite le texte et la traduction de Fairbanks et considère curieusement l’emploi suivant de ????? comme un renvoi à Ino : « Le personnage (= « The figure of Ino ») se dirigeait vers la falaise de Sciron, avec la mer en contrebas » (p. 69). Il semblerait plus pertinent d’entendre que « le tableau comprenait encore, ou ajoutait à la scène la falaise » : ??????? ?? ? ????? ??? ??? ?????, sans la correction ??? ??? ?????, la peinture se substituant au peintre comme elle le fait si souvent chez Philostrate.
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[18]
On s’est parfois demandé si le recueil était complet et si la série se terminait bien sur cette pièce, mais les indices de clôture s’accumulent dans le dernier paragraphe : la scène marine est située à l’extrémité du tableau (?? ???? ??? ??????? ???µ????), l’expression opérant comme un cadre empêchant toute inscription dans la troisième dimension sculpturale ; les Néréides figurent un chœur de danse, comme les Heures en clôture des Images du premier Philostrate ; elles sont elles-mêmes entourées par Océan, qui borde l’orbe du bouclier d’Achille dans l’Iliade comme il encercle le monde dans la pensée archaïque. Cette question n’est pas abordée dans l’introduction par J.B. ; seules les p. 31-32 réfléchissent sur la composition des Descriptions en deux hebdomades.
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[19]
Une note aurait été bien venue pour justifier ces choix, voire identifier les œuvres, la coexistence d’une métope du Parthénon (Voir le vrai d’un Centaure), d’un Gustave Moreau (Pour voir le vrai d’Orphée) ou d’un pré-Raphaëlite (Voir le vrai de Médée), ou la reprise surprenante du même bronze pour les descriptions 10 (Péan) et 11 (Jeune Homme de Praxitèle) n’allant pas de soi.
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[20]
The editions are : H. Stadtmüller, ed., Anthologia Graeca epigrammatum Palatina cum Planudea I-III (= AP 1.1-9.563), Leipzig, 1894-1906 ; H. Beckby, ed., Anthologia Graeca I-IV, Munich, 1967-68 (2nd ed.) ; the published volumes of the Budé series, P. Waltz, ed., Anthologie grecque, t. I-VII (= AP 1.1-9.358), Paris, 1928-57 ; J. Irigoin and P. Laurens, eds., Anthologie grecque, t. VIII (= AP 9.359-827), Paris, 1974 ; R. Aubreton, ed., Anthologie grecque, t. X (= AP 11), Paris, 1972 ; R. Aubreton, F. Buffière, and J. Irigoin, eds., Anthologie grecque, t. XI (= AP 12), Paris, 1994 ; F. Buffière, ed., Anthologie grecque, t. XII (= AP 13-15), Paris, 1970 ; R. Aubreton and F. Buffière, eds., Anthologie grecque, t. XIII (= APl), Paris, 1980. Other publications are : J. Basson, De Cephala et Planude syllogisque minoribus, Diss. Berlin, 1917 ; R. Aubreton, « La tradition manuscrite des épigrammes de l’Anthologie grecque », REA 70 (1968) 32-82 ; A. Cameron, The Greek Anthology from Meleager to Planudes, Oxford, 1993.
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[21]
L. Sternbach, ed., Anthologiae Planudeae Appendix Barberino-Vaticana, Leipzig, 1890.
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[22]
The first part has already appeared as Regards alexandrins. Histoire et théorie des arts dans l’épigramme hellénistique, Hellenistica Groningana 12, Leuven, Peeters, 2007.
-
[23]
She asks, e.g., « [q]uelles sont les références culturelles que le commanditaire du décor exige de la part des spectateurs de l’image si ceux-ci veulent parvenir à décoder sa signification » (p. 25 ; my emphasis).
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[24]
Largely unexplored however is the niggling possibility that a viewer might construe a collection on the basis of his or her own interests and desires, rather than trying to discern the intentions of the collector. We see such a process at Satyricon 83 (cited by P., though not in this connection, on p. 19) : Petronius’ lovelorn narrator misreads the gallery of paintings before him, willfully twisting the images of Ganymede, Hylas, and Hyacinthus into tales of divine pederasty without rivalry, against which his own situation could appear all the more pitiable. Might some collectors have sought to provoke similarly creative, witty, even subversive collaborations in the construction of meaning, rather than to set their guests riddles whose answers they have already determined ?
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[25]
Her attempt to link the conflicts depicted in several of the panels to a play on the word ???? (falsely accented as perispomenon on p. 45, 48 and 49) is less convincing, because the word in question appears nowhere in the epigrams.
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[26]
P. also reevaluates the subject matter of individual vignettes, offering, e.g., good arguments that the damaged picture accompanying the Iliad verse depicted Polyphemus hurling a stone after Odysseus (p. 89-92 ; on p. 102 she apparently reverts to the earlier view that the scene showed Ajax slaughtering the Greeks’ herds).
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[27]
P. assumes both that all the poems are by Posidippus and that their arrangement may be attributed to the author himself (p. 159).
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[28]
For discussion and bibliography see, among recent commentaries, F. Grewing, Martial, Buch VII, Hypomnemata 115, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 26-51 ; C. Schöffel, Martial, Buch 8, Palingenesia 77, Stuttgart, Steiner, 2002, p. 21-29 ; A. Fusi, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber tertius, Spudasmata 108, Hildesheim, G. Olms, 2006, p. 62-73 ; R. Moreno Soldileva, Martial, Book IV, Mnemosyne Sup. 278, Leiden, Brill, 2006, p. 11-20.
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[29]
In « A Roman Poet Visits a Museum », Hesperia, 14, 1945, p. 259-269.
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[30]
P. acknowledges that this latter hypothesis is impossible to prove but notes that the temple was likely restored by Domitian, and therefore would have been a natural focus for Martial’s attention (p. 267-273). Martial’s use of the epithet novum to describe the temple (4.53.2) is not evidence for a recent restoration, however (as P. suggests at p. 270-271) : inscriptions show that the building was known as templum novum from ca. 38 CE onward (see M. Torelli, LTUR vol. 1 p. 145).
-
[31]
E.g., it is stimulating to consider how Danae and the shower of gold might evoke Flavian ideology (p. 278-281), but Martial’s epigram (14.175, slightly mistranslated on p. 257) wittily assimilates the gold to the price paid for a sexual favor. The racy joke, which does not figure in P.’s analysis, makes it harder for me to see here « le thème de la concorde et du retour de l’âge d’or » (p. 281) ; at the very least Martial seems to problematize any exclusively encomiastic reading.
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[32]
Something has gone awry in the discussion of 183 and 185 (p. 323) : Latin nugae is not « noix ».
-
[33]
S.S., Satyros aus Kallatis, Sammlung der Fragmente mit Kommentar, Basel 2004, 378ss.
-
[34]
Deux épigrammes platoniciennes pour Phèdre, REG 77, 1964, p. XIIIs : ad Aristippo potrebbe risalire la trasformazione del nome comune ????? in un nome proprio, e il dedicatario degli epigrammi si dovrebbe riconoscere nient’altro che in Fedro.
-
[35]
A.M., The Development of Greek Biography, Cambridge, Mass. 1971, rist. 1993.
-
[36]
G.H., Aristotle’s Interest in Biography, GRBS 15, 1974, p. 203-213.
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[37]
Page 78 : « l’art de créer et de préserver des communautés dont les membres sont liés entre eux par des sentiments de loyauté mutuelle ». Y a-t-il des processus qui, dans ces conditions, ne relèvent pas du politique ?
-
[38]
IG VII 2713.
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[39]
Cf. l’excellente étude donnée récemment par C. Grandjean, Les Messéniens de 370/369 au Ier siècle de notre ère. Monnayages et histoire, Athènes, 2003.
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[40]
Ainsi S. Alcock, Archaeologies of the Greek Past. Landscape, monuments and memories, Cambridge, 2002.
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[41]
Lafond s’en explique p. 82 et n. 9, mais n’a pas pour autant corrigé son texte sur ce point.
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[42]
On ne saurait reprocher à Lafond son ignorance d’un volume collectif paru alors que son propre ouvrage était probablement sous presse (P. Fröhlich et Chr. Müller (dir.), Citoyenneté et participation à la basse époque hellénistique, Paris, 2005, où l’on trouvera d’abondantes réflexions sur les synèdres, en particulier pour la Grèce centrale), mais l’article de P. Hamon, « À propos de l’institution du Conseil dans les cités grecques de l’époque hellénistique », REG 114 (2001), p. XVI-XXI était déjà paru.
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[43]
Cf. L. Pernot, La Rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, I, Paris, 1993.
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[44]
Voir par exemple : Il Neoplatonismo (1989) ; Il dio Giano (1992) ; La Disciplina del Silenzio. Mito, mistero ed estasi nell’antica Grecia (2006) ; Mistero e Profezia. La IV egloga di Virgilio e il rinnovamento del mondo (2007).
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[45]
Cf. L. Legrand, Publius Nigidius Figulus, philosophe néo-pythagoricien, orphique, Paris, 1930 ; A. Della Casa, Nigidio Figulo, Rome, 1962 ; D. Liuzzi, Nigidio Figulo « astrologo et mago ». Testimonianze et frammenti, Lecce, 1981 ; W. Belardi & P. Cipriano, Casus interrogandi. Nigidio Figulo e la teoria stoica della lingua, Viterbe, 1990. Parmi les articles à portée générale, voir : A. Traglia, « Nigidio Figulo. Un grande erudito latino dimenticato », C & S, 63-64, 1977, 84-89.
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[46]
Cf. Euseb., Hieron. Chron., Ol. 183,4 = 45 av. J.-C : Nigidius Figulus Pythagoricus et magus in exilio moritur.