Notes
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[1]
Sur le « réalisme » de Théocrite, voir C. Segal, « Landscape into Myth : Theocritus’ Bucolic Poetry », Ramus 4, 1975, p. 33-57 – et, plus largement, pour les Alexandrins, G. Zanker, Realism in Alexandrian Poetry, Londres, 1987 ; sur la dimension « idéale » de la poésie virgilienne, voir M. Desport, L’incantation virgilienne. Essai sur les mythes du poète enchanteur et leur influence dans l’œuvre de Virgile, Bordeaux, 1952 ; parmi les nombreuses remises en question de l’Arcadie de Virgile au profit d’une interprétation plus politique, un des ouvrages les plus récents est celui de R. Leclercq, Le divin loisir. Essai sur les Bucoliques de Virgile, Bruxelles, Latomus, vol. 229, 1996, p. 101-127 ; l’otium aussi est une notion virgilienne qui amène à majorer l’importance d’une ?????? mentionnée une seule fois dans tout le corpus (VII 126). D’une manière générale, nombre d’interprétations tendent à privilégier « l’implicite » à partir de ce qui serait explicitation ultérieure, ce qui revient à lire les poèmes à travers les yeux des successeurs de Théocrite.
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[2]
Voir, par exemple, J.-P. Néraudau, La littérature latine, Collection HU, Paris, 2000, p. 119.
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[3]
Pour la métapoésie, voir, dans le domaine latin – avec des inférences très contestables sur la littérature grecque, A. Deremetz, Le Miroir des Muses. Poétiques de la réflexivité à Rome, Septentrion, 1995 ; pour Théocrite, entre autres, F. Cairns, « Theocritus’ First Idyll : The Literary Programme », WS 18, 1984, p. 89-113, et L. Plazenet, « Théocrite. Idylle 7 », L’Antiquité Classique 63, 1994, 77-108 ; sur l’escapism, voir l’article de C. Segal cité à la note 1.
-
[4]
Voir, outre Zanker (cité n. 1), M. Fantuzzi, « Il sistema letterario della poesia alessandrina nel III sec. A. C. », in G. Cambiano, L. Canfora, D. Lanza (edd.), Lo spazio letterario della Grecia antica 1-2 (Rome), 1993, p. 31-73.
-
[5]
Le rôle de précurseur de Philétas est discuté. On le déduit en particulier des Thalysies, où Simichidas, qu’on considère généralement comme un masque de Théocrite, l’invoque comme modèle (pour une lecture de cette Idylle comme hommage à Philétas, voir E. L. Bowie, « Theocritus’ Seventh Idyll », in CQ 35, 1985, p. 67-91) ; quoi qu’il en soit de cette identification, le jeu de reprises et de décalages constitutif de la poésie alexandrine empêche d’affirmer que Philétas ait eu le moindre rapport avec la bucolique ; Théocrite « bucolise » entre autres l’élégie, en particulier dans le chant de Simichidas, praeceptor amoris de son ami Aratos, et Philétas est cité par les Latins comme le second grand auteur d’élégies amoureuses après Callimaque (cf. Quint. X A. 58 : Et elegiam vacabit in manus sumere, cujus princeps habetur Callimachus, secundas confessione plurimorum Philetas occupavit). La création d’un personnage de ce nom par Longus ne permet pas davantage de déterminer s’il fait référence à l’auteur de poèmes d’amour ou de poèmes bucoliques.
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[6]
Cf. Scholia in Theocritum vetera, hergs. von C. Wendel, Leipzig, Teubner2, 1967 (1re éd. 1914), Prolegomena D, p. 4 : ???? ??????? ????? ???? ??????????, ????????????, ?????????? ??? ??????. ?? ?? ?????????? ?????? ????? ???? ?????? ?????? ??????? ?????????????? ??? ??? ??????????? ?? ???????? ??? ???????, ???? ??? ??????????? ?? ????????????, ???? ?? ?? ??????????, ???? ?? ?? ??????, ????? ???????????? ??? ??????????, ??? ?? ?? ?? ????.
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[7]
Dans « Landscape into Myth » (cité n. 1), C. Segal pense retrouver dans les Idylles les éléments d’une nostalgie qui naîtrait d’une tension délibérée dans la structure même des œuvres entre « simplicité et réalisme trivial » d’un côté, et éléments mythiques de l’autre, et dans « Thematic Coherence and Levels of Style in Theocritus’ Bucolic Idylls », WS 11, 1977, p. 35-68, attirant l’attention sur les variations de tonalité entre les poèmes bucoliques, il propose de voir « une structure hiérarchique de différents niveaux d’intensité poétique et mythique », au sommet de laquelle se placent I et VII.
-
[8]
Voir l’Enciclopedia virgiliana, sv Dafni, qui note en particulier : « Il nome di Dafni appare 34 volte nelle Bucoliche e la sua personalità e circostanze cambiano dell’una all’altra… Ma, se l’occasione e l’identità sono diverse, la maschera è sempre la stessa. Il D. virgiliano vuol essere l’archetipo bucolico universale. » (c’est moi qui souligne).
-
[9]
IV 84 – je souligne la tonalité idyllique donnée au paysage ; Élien (HV X, 18) indique qu’une autre version faisait de Daphnis l’éromène d’Hermès et désigne Stésichore d’Himère comme le premier poète à avoir pratiqué ce genre de poésie – réalité qui inspire la mention de l’Himéras dans l’Idylle VII (75) ou déduction tirée de cette mention ? ; Daphnis figure aussi dans le recueil de Parthénios (XXIX) offert à Gallus – l’auteur y emprunte à l’historien Timée. Ovide enfin ne l’évoque que par prétérition, comme une légende trop connue (Metam. IV 276-78) et affirme qu’il aurait été transformé en pierre.
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[10]
Le jugement littéraire de Lycidas (45-48) semble se faire l’écho de préoccupations proches de la Réponse aux Telchines de Callimaque, et les poètes avec lesquels Simichidas n’ose rivaliser sont des contemporains réels : Philétas, nommé par son nom, et Sikélidas, que les scholies déjà identifient avec Asclépiadès – tandis qu’elles font de Simichidas l’incarnation de Théocrite lui-même, comme y invite la première personne. Sur le personnage de Lycidas, toujours resté mystérieux, voir infra, n. 21.
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[11]
J. Bayet (Littérature latine, Paris, 1965, 202) se contente d’indiquer sans commentaire que le poème se déroule « dans un cadre librement inspiré des Thalysies de Théocrite », ce qui m’a d’abord laissée perplexe. J’emprunte les détails du rapprochement à W. Berg, Early Virgil, Londres, 1974, « Thalysia in reverse », p. 139-42 – lequel suggère d’interpréter le riche paysage final comme une métaphore de la création poétique et, ce qui me semble plus sujet à caution, d’y voir « la première évocation consciente du paysage pastoral comme le jardin de l’esprit du poète » (p. 22).
-
[12]
« Nous n’étions pas encore au milieu du trajet et le tombeau de Brasilas ne nous apparaissait pas encore… »
-
[13]
Malgré la forme narrative, la présentation s’y réduit à 2 vers – qui, à la limite préparent le triomphe de Daphnis, le seul des deux personnages à être qualifié : ??????? ?? ???????? ????????? ??????????? | ???? ?????, ?? ?????, ???? ???? ???????? (1-2).
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[14]
VII 35-6 : ???? ??? ??? ???? ??? ????, ???? ?? ??? ???? | ?????????????????. Dans l’Idylle VIII, Ménalcas apostrophe Daphnis (6-7) : ??????? ??????? ???? ?????, ??? ??? ?????? ; | ???? ?? ????????, ???? ???? ????? ??????.
-
[15]
Id. VIII 3 : ???? (Daphnis et Ménalcas) ???? ????? ??????????, ???? ????? ; même chose dans l’Idylle VI, où chantent Daphnis et Damoitas (2-3) – la source de VIII ? : … ?? ?? ? ??? ????? | ??????, ? ?? ??????????.
-
[16]
La chose est vraie aussi pour l’Idylle VI, où le concours est une sorte de jeu, sans rivalité réelle et avec un échange final de cadeaux, mais non pour l’Idylle VIII. C’est d’ailleurs la victoire de Daphnis qui assure sa prééminence et le fait, en quelque sorte, rejoindre sa légende (« À partir de ce jour, Daphnis fut le premier parmi les pâtres, Et, tout jeune encore, il épousa la Nymphe Naïs », 92-93).
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[17]
Mais en précisant qu’elle est « convoitée d’Antigène », il semble rappeler le thème amoureux de la bucolique qui, au contraire, comme je pense le montrer, s’efface dans les Thalysies.
-
[18]
Sur l’ambiguïté des premières personnes de l’Idylle, qui peuvent renvoyer à l’auteur ou n’être que la voix des personnages, voir l’article d’H. Berger Jr, « The Origins of Bucolic Representation: Disenchantment and Revision in Theocritus’ Seventh Idyll », Classical Antiquity 3, 1984, p. 1-39 ; selon que l’on considère que l’auteur adhère ou non au point de vue de son personnage, la tonalité peut varier de l’ironie à la nostalgie bucolique.
-
[19]
Sur la force particulière de cette illusion chez Théocrite, voir J. Sirinelli, Les enfants d’Alexandre, Paris, 1992, p. 123-124 : « On a tenté de reconstituer la personnalité de Théocrite d’après ses écrits pour avoir ensuite la joie d’expliquer ses écrits par sa personnalité ainsi déduite… Triomphe de la littérature ! Le premier peut-être aussi complet. L’écrivain amène insensiblement son lecteur à extraire de son œuvre, pour en créditer l’auteur, un personnage parfaitement imaginaire. »
-
[20]
Voir, pour les Aitia, AP VII 42 et Properce II 34. 32, évoquant les somnia Callimaqui ; Hérondas VIII reprend aussi le thème.
-
[21]
Les études sur le sujet sont d’autant plus nombreuses que les chances de parvenir à une solution définitive sont plus minces et l’on peut souscrire au « diagnostic » de J. Sirinelli, op. cit., p. 126 : « Que Lykidas soit un poète réel ou non, il y a peu de chances que nous le sachions jamais, mais ce qui est sûr, à vrai dire, c’est que c’est un faux chevrier » ; pour une étude de sa figure, voir, entre autres, le commentaire de GOW, Theocritus II, Cambridge, 1952, « Lycidas and the “Mascarade bucolique” », p. 129-130, C. Segal, « Theocritus’ Seventh Idyll and Lycidas », WS n.F. 8, 1974, p. 20-76 et W. G. Arnott, « Lycidas and double Perspectives : A discussion of Theocritus’ seventh Idyll », Estudios Clásicos 87, 1984, p. 333-346.
-
[22]
Sur ce thème, littéraire lui aussi, voir F. Williams, « Scenes of Encounter in Homer and Theocritus », Museum Philologicum Londinense 3, 1978, p. 219-222.
-
[23]
11-12 : … ??? ???? ?????? | ?????? ??? ???????? ????????? ??????? ????? ; on peut hésiter à construire le complément avec l’adjectif – et le voyageur doit alors sa valeur à la compagnie des Muses – ou avec le verbe – et c’est alors la rencontre qui est faite avec le concours des Muses, ce qui est la solution la plus généralement retenue.
-
[24]
P. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan, Genève, 1979, p. 83 et 101 : cet élément contribue au statut ambigu du chevrier, mais ne me semble pas justifier la surexploitation de Pan comme figure de la nouvelle poétique proposée alors que Théocrite n’en souffle mot. Si la question devait se poser, ce serait plutôt dans l’Idylle I, où le chant remplace le son de la syrinx, qui irriterait Pan en gâtant son repos, et où, à l’intérieur du chant, Daphnis laisse à Pan sa syrinx.
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[25]
92-93 : ?????? ???? ??????? ??? ???? ??????????? | ?????, ?? ??? ??? ????? ??? ?????? ????? ???? à comparer à Theog. 22-23 : ?? ?? ???? ??????? ????? ???????? ?????? | ????? ???????????. En outre si les Muses hésiodiques chantent autour de l’autel de Zeus (Théog. 4) et le célèbrent (11), réjouissant son cœur (37) et égayant sa demeure (40-41), Zeus peut être aussi un masque de Ptolémée : le double jeu n’en finit pas…
-
[26]
36 : ???????????????? ; 49 : ???? ??? ?????????? ?????? ???????? ??????.
-
[27]
Voir W. G. Arnott, « The mound of Brasilas », QUCC 32, 1979, p. 99-105, qui essaie de retrouver les lieux évoqués.
-
[28]
Virgile reprend cette situation dans l’Églogue VIII, avec les deux longs poèmes de Damon et d’Alphésibée ; dans l’Églogue IX, on n’a que des fragments poétiques.
-
[29]
Fr. 196A West (Épode de Cologne), v. 24-28 : ???????? ?]???? ???? ?????? | ???? ??????? ?<?? ????? > | ??]??? ?? ????????? ?????????? | ??? ????? ? ???? ????.
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[30]
L. Plazenet (citée supra n. 3, p. 94) souligne très justement le tour de force que constitue la mise en lumière de « l’affranchissement qu’autorise la poésie à travers l’emploi des formes codifiées du ???????????? et du ???????????????, c’est-à-dire des poésies de circonstances ».
-
[31]
Les scholies citent pour source l’historien sicilien, Lycos de Rhégion, probablement père adoptif de Lycophron (cf. FGrH. N° 570), mais elles soulignent aussi la part d’invention de Théocrite (voir infra).
-
[32]
Voir aussi Id. I 134 : ? ?? ???? ????????? ??? ?????????? ???????.
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[33]
????????? ?? ???? ??? ?????? ??? ?????????? ???? <???> ???? ???????? ?? ?????????????? ??? ???????? ?????????? ??? ???????, ??????? ? ?????? ??????????.
-
[34]
Note ad v. 83 f, p. 153.
-
[35]
Note ad v. 78, ??? ???????, p. 152.
-
[36]
Je cite en grec pour mieux montrer les jeux de reprises.
-
[37]
Dans l’article cité à la note 5.
-
[38]
Les scholies ignorent déjà de quoi il est question ; Gow suppose qu’il s’agit d’un cru de Cos ; Bowie (p. 75) suggère un rapprochement avec les ??????? des v. 8 et 136, qui en ferait une sorte de vin bucolique.
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[39]
Sauf à supposer, comme Bowie, que ?????????? vient ici de ???????, « faire la cour » ; mais on comprend mal, dans cette hypothèse, l’emploi du parfait, qui, de surcroît, ne paraît guère attesté.
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[40]
Là encore on peut trouver un précédent éolien dans le très beau poème 94 (Lobel-Page) de Sappho, où, au moment du départ, elle rappelle à l’aimée les moments heureux passés ensemble au banquet.
-
[41]
I, 1-3 (dits par Thyrsis) : ??? ?? ?? ????????? ??? ? ?????, ??????, ???? | ? ???? ???? ??????? ??????????, ??? ?? ??? ?? | ????????? et reprise aux v. 7-8 par le chevrier : ?????, ? ??????, ?? ???? ????? ? ?? ??????? | ???? ??? ??? ?????? ???????????? ?????? ????.
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[42]
C’est aussi l’effet du chant des Muses sur Zeus, Theog. 34-35 (???????? ???????? ????? ???? ????? ???????) et, dans la suite de la scholie citée supra n. 6, la caractéristique de la bucolique, liée au style bas : ??? ???? ?? ???? ?? ????, ?? ??? ???????? ??? ?????????? ???? ? ???????, ??????? ???? ???? ?? ???????? ?????????? ???? ??? ???? ??????????????? ????????? ?? ?? ???? ????? ??? ????????? ??? ????????.
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[43]
On peut noter que, dans la poésie épique, la deuxième personne est réservée aux Muses, dont le poète est l’interlocuteur privilégié : voir C. Calame, Le récit en Grèce ancienne : énonciations et représentations de poètes, Paris, Klincksieck, 1986.
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[44]
Dans les sonorités mêmes, les noms de Lycidas et Comatas se répondent, comme Daphnis et Thyrsis dans la première Idylle.
-
[45]
Il est notable que Lycidas ne se donne pas figure de poète, pas plus que Simichidas ne chantera ses propres amours.
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[46]
Je rends ainsi, par une traduction un peu lointaine, mais qui me semble suggérer le jeu de séduction, ? ????? ????????? (132), où l’adjectif, traditionnel dans l’éloge de l’éromène, et le diminutif du nom donnent une tonalité amoureuse.
-
[47]
Contra, E. Bowie, « Frame and framed in Theocritus Poems 6 and 7 », in M. A. Harder, R. F. Regtuit et G. C. Wakker (edd.), Theocritus (Hellenistica Groningana II), Groningen, 1996, p. 98 : « When the narrator starts to describe the Thalysia that Lycidas’ party anticipates, it is natural for a reader, primed by two songs of love, to ask whether this party too celebrates an erotic victory. I suggest that the change in description … tells the reader, subtly, but adequately, that Simichidas exploits the locus amoenus to woo Amyntas. » L’indication est tellement subtile qu’elle reste totalement dans le non-dit ; en outre cette interprétation donne au thème amoureux une importance qu’il n’a pas dans le banquet de Lycidas, d’où il disparaît après la mention de Daphnis – même si l’on suppose, toujours avec Bowie, qu’en réalité Agéanax est présent (voir supra, n. 39).
-
[48]
70 : ?????? ?? ????????? ??? ?? ????? ?????? ??????? / 147 : ????????? ?? ????? ???????? ?????? ???????.
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[49]
Article cité n. 21, p. 58 sqq.
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[50]
Qu’ils participent d’une réflexion de Virgile sur sa poésie ou soient révélateurs d’une certaine forme de sensibilité constante chez lui. Voir, sur ce point, J. Hubaux, Le réalisme dans les Bucoliques de Virgile, Bull. de la Fac. de philologie et lettres de Liège, 1927, 82 sqq. – lequel affirme, à tort à mon avis, qu’il y aurait stricte séparation chez Théocrite entre le pastoral et l’agricole.
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[51]
XVI 104-9 ; les mêmes déesses sont invoquées au début de l’Olympique 14 ; Pythique 2 et Olympique 4 s’achèvent sur un vœu du poète.
-
[52]
Dont la violence n’est pas évoquée sans quelque humour, le bombardement avec des montagnes au pluriel grossissant la description d’Od. IX 481, où il arrache seulement le sommet d’un mont.
-
[53]
Commentary, note ad v. 148, p. 168.
-
[54]
Note ad loc. dans la CUF (Bucoliques grecs, t. I, p. 14).
-
[55]
Ce que marque bien le jeu des temps : alors que toute la description était à l’imparfait, qui recréait la scène dans sa durée, l’action des Nymphes est rappelée à l’aoriste (????????????) ; le sens exact de cet hapax est discuté.
-
[56]
Voir l’article de E. Bowie cité n. 5 et, pour l’influence de l’épigramme, F. Lasserre, « Aux origines de l’Anthologie II : Les Thalysies de Théocrite », Rh.M. 102, 1959, p. 307-330.
-
[57]
Et cette figuration est elle-même plus que problématique chez Théocrite.
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[58]
Les enfants d’Alexandre, p. 132 : je compte montrer ailleurs comment la composition circulaire est exploitée par Théocrite pour créer cette bulle ; l’Idylle I infra en donnera déjà un exemple.
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[59]
Ibid., p. 40 (c’est moi qui souligne).
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[60]
Églogues étudiées par C. Fantazzi, « Virgilian Pastoral and Roman Love Poetry », AJPh 87, 1966, p. 279-308.
-
[61]
Scholia, à I, b, p. 23: ???? ????? ??????????? ??? ?? ??????????? ??? ???????????? ??? ????? ?????? ???????????.
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[62]
Il y a en outre trois refrains successifs : ce qui peut suggérer une transposition de la forme lyrique, strophe-antistrophe-épode, mais qui détache aussi trois parties dans le chant, comme il y a trois scènes sur la coupe.
-
[63]
Sur ce point la différence est nette avec les relations établies entre Lycidas et Comatas dans les Thalysies.
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[64]
Je rends ainsi le démonstratif qui marque l’éloignement et que Théocrite juxtapose au présentatif de la première personne : ?????? ???? ??? ????? ? ??? ???? ??? ???????.
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[65]
Et, une nouvelle fois, Daphnis est en tête de vers – au prix cette fois d’une anticipation syntaxique : ?????? ???? ??????? …
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[66]
Ce point aussi mériterait réflexion : dans la poésie alexandrine, c’est Daphnis qui laisse son instrument au dieu, et non l’inverse.
-
[67]
L’Églogue VIII, elle aussi, présente un récital ; après le chant de Damon, inspiré de notre Idylle, la transition vers le second chant, inspiré des Magiciennes, invoque les Muses : Haec Damon. Vos, quae responderit Alphesibœus, / Dicite, Pierides ; non omnia possumus omnes (63-64), et le chant s’achève avec le dernier refrain d’Alphésibée, modifié pour dire le retour de l’aimé (Parcite, ab urbe venit, jam parcite, carmina, Daphnis). Dans l’Églogue X, si l’on a quelques ultimes vers pour marquer le départ (75-77), l’adresse aux Muses les précède et redit l’amor du poète pour Gallus (70-74).
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[68]
Égl. V 33-39 ; le même vœu est repris par contre par Damon (VIII 52-57).
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[69]
29-31 : voir sur ces questions botaniques, l’étude de S. Amigues, « De la botanique à la poésie dans les Idylles de Théocrite », R.E.G.109, 1996, p. 486-487.
-
[70]
Ce qui n’empêche pas le détail de correspondre aussi à la réalité du traitement du bois, qu’on enduisait de cire pour éviter la détérioration des parois par les liquides.
-
[71]
Voir Il XVIII 498 et 506.
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[72]
Avec une même tournure au v. 215, où la figure « a l’air de quelqu’un qui va jeter un filet ».
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[73]
Ils figurent dans des titres de Sophron.
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[74]
U. Ott, Die Kunst des Gegensatzes in Theokrits Hirtengedichten (Spudasmata 22), Hildesheim, 1969, 133-135, y voit trois frustra comiques, qu’il oppose au frustra tragique de Daphnis ; S. Amigues (dans l’article cité n. 69) suggère une inversion qui fait réussir ce qui devrait échouer et échouer ce qu’on s’attendrait à voir réussir.
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[75]
« “Since Daphnis dies”. The Meaning of Theocritus’ First Idyll », MH 31, 1974, p. 1-22.
-
[76]
Ce qu’elle est, me semble-t-il, pour Virgile et la plupart des poètes latins.
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[77]
Comme y insiste le dernier vers de cette brève pièce (46) : ???? ??? ????????, ????????? ?? ????????.
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[78]
C’est ce que propose H. Bernsdorff « Polyphem und Daphnis. Zu Theokrits 6. Idyll », Philologus 138, 1994, p. 38-51.
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[79]
On en pourrait dire de même pour le chevrier Comatas de l’Idylle V, qui a en commun avec le divin Comatas d’avoir un maître brutal (comparer V 118-19 et VII 78-79) et, sinon d’être de façon évidente un poète hors pair, du moins de gagner le concours avec Lacon.
1Offrir en témoignage d’amitié à une latiniste ce qui peut évoquer une syncrisis entre un auteur latin et un auteur grec, tous deux aux origines de la pastorale européenne, n’a de prime abord rien que de très naturel lorsqu’on passe une grande partie de son temps dans la fréquentation de Plutarque. Il s’agit néanmoins d’une syncrisis un peu particulière, qui témoigne sans doute, comme le voulait le Chéronéen, de la communauté culturelle « gréco-latine », mais qui prétend surtout mieux cerner l’univers poétique de Théocrite, en le dégageant de la grande ombre de Virgile, dont le génie et l’importance pour la tradition ultérieure portent souvent ombrage à son prédécesseur, que l’on oppose le prétendu « réalisme » de l’un au rêve arcadien de l’autre [1], ou, au contraire, que l’on attribue au premier les traits du second [2], en particulier la réflexion métapoétique et le rêve d’évasion [3], deux lectures du genre bucolique qui ne me semblent pas pleinement pertinentes pour Théocrite. Si le mime rustique accède avec lui à la « grande littérature » [4], le genre ne semble s’être fixé qu’après et d’après lui [5] et lui-même ne pose pas plus au théoricien qu’il n’exalte avec nostalgie un âge d’innocence et de bonheur simple : son génie propre réside dans la création d’un monde poétique à la fois un et divers, où l’art se cache derrière la simplicité des personnages et des sentiments et s’affiche dans le travail de la langue, mais cette création d’un « naturel artificiel » n’implique pas nécessairement refus ou fuite du réel, pas plus que le jeu sophistiqué de miroirs et d’inclusions qui fait du chant poétique l’objet même de la représentation et permet au poète de jouer des modes d’énonciation, diégétique et dramatique [6], ne doit être obligatoirement doté d’une portée métapoétique. Il y a quelque méprise, me semble-t-il, à donner valeur normative ou programmatique à ce qui est d’abord acte créatif et à transformer chaque poème en art poétique.
2C’est dans cet esprit que je proposerai ici une relecture des Idylles I (Thyrsis ou le chant) et VII (Les Thalysies), les plus « mythologiques » des Idylles, selon C. Segal [7], mais aussi les plus sollicitées par les tenants d’un art poétique de Théocrite, idylles où apparaît le créateur mythique de la bucolique, Daphnis, dont l’apothéose est au cœur du recueil virgilien [8]. Or la figure que lui donne Théocrite est tout aussi évanescente et difficile à saisir que la poétique du genre qui serait par lui représenté. Pour en juger, on peut partir des traits donnés par Diodore (IV 84) à ce demi-dieu sicilien, fils d’Hermès [9] :
Il y a en Sicile les Monts d’Héra, qui, dit-on, offrent par leur beauté, leur nature et les caractères propres de la région, un lieu propice pour se reposer et goûter la belle saison ; car ils possèdent des sources nombreuses, qui se distinguent par la douceur de leur eau, et ils sont couverts d’arbres de toutes sortes ; il y a abondance de grands chênes, qui donnent des fruits d’une taille extraordinaire, deux fois plus gros que dans les autres régions. C’est pourquoi justement, dit-on, ils entretinrent à une époque une armée carthaginoise accablée par la famine, les monts fournissant à plusieurs dizaines de milliers d’hommes une nourriture inépuisable. C’est dans cette région, où se trouvait un vallon couvert de chênes digne des dieux et un bois sacré consacré aux Nymphes que, selon la légende, fut engendré celui qui porte le nom de Daphnis, fils d’Hermès et d’une Nymphe, et qui reçut son nom de Daphnis de l’abondance et de la densité des lauriers qui poussaient là ; nourri par les Nymphes et propriétaire d’innombrables troupeaux de bœufs, il leur donnait tous ses soins ; c’est pourquoi on l’appela Boukolos ; doté d’une nature supérieurement douée pour l’harmonie musicale, il inventa la poésie et le chant bucoliques, qui continuent jusqu’à aujourd’hui à se perpétuer à travers la Sicile. Selon la légende, Daphnis chassait avec Artémis, servant la déesse avec bonheur, et il la charmait comme personne par sa syrinx et son chant bucolique. L’une des Nymphes, dit-on, s’étant éprise de lui, l’avertit que, s’il s’unissait à une autre, il serait privé de la vue ; mais lui, enivré par la fille d’un roi, s’unit à elle, et fut privé de la vue conformément à l’avertissement de la Nymphe.
4Or de cette légende, Théocrite retient bien peu d’éléments, lorsqu’il évoque le héros dans le chant de Tityre de l’Idylle VII (73-77), ou lorsqu’il en fait le sujet du chant de Thyrsis de l’Idylle I (64-142) : sa figure reste floue, simple élément d’une construction d’ensemble indépendamment de laquelle il ne peut être bien compris et qui joue un rôle essentiel dans la création de l’univers poétique de Théocrite. Ce sont en effet moins des personnages que le chant lui-même qui est l’objet de la représentation poétique et l’architecture du texte manifeste avec éclat le goût alexandrin de la forme travaillée et ciselée, d’autant plus remarquable que celle-ci s’applique à une matière qui se veut simple et naturelle. Or les Idylles I et VII offrent une structure particulièrement complexe, la seconde surtout, qu’on ne retrouverait, je crois, chez Virgile, qu’à l’échelle du recueil, peut-être parce que l’auteur latin s’est formé peu à peu une vision d’ensemble de son œuvre bucolique que n’a jamais eue – ni sans doute cherchée – le poète grec. Ce que l’on peut ainsi dégager n’est pas la constitution consciente d’un genre, incarné dans une figure mythique, mais la création d’un espace imaginaire à la fois proche et distant, très particulier à Théocrite et néanmoins fécond pour la postérité.
L’espace littéraire de l’Idylle VII : comparaison avec les Églogues
5Il peut sembler curieux de commencer cette étude avec les Thalysies, réécriture énigmatique de la célèbre investiture du poète dans la Théogonie (22-34), où Daphnis n’occupe que quelques vers du chant de Lycidas, mais cette Idylle, construite autour de la rencontre de deux poètes, Lycidas, chevrier réputé dans l’art musical (27-29), et Simichidas, le narrateur, lui aussi déjà « bouche sonore des Muses » (37), met bien en lumière la virtuosité de Théocrite dans l’association subtile des « effets de réel » et des effets de l’art, références littéraires anciennes et modernes ou enchâssement des poèmes « internes » ; il est en outre notable que, dotée d’un sujet qui met a priori au premier plan la figure du poète, elle accorde si peu de place à Daphnis ; enfin, comme le remarque Gow, elle semble plus que toute autre accueillir les débats poétiques contemporains [10] et ce trait, qui pourrait rapprocher le poème de ceux de Virgile, rend plus visible la différence des deux poètes, le peu d’éléments qu’a pu intégrer le poète latin à sa propre vision accusant la particularité de la création théocritéenne.
6Les critiques ont attiré l’attention sur l’inversion des Thalysies qu’on peut voir dans l’Églogue IX [11] : un des héros s’appelle Lycidas, mais il exprime, comme Simichidas, des doutes sur la maturité de son talent (Égl. IX 30-36 // Id. VII 35-41), que Moeris ne prend pas même la peine de relever, et la plus grande partie du dialogue se situe entre la mention du voyage d’exil vers la ville de Moeris (v. 1, alors que Simichidas et ses amis font le trajet inverse pour aller à la fête) et l’arrivée en vue du Tombeau de Bianor (v. 60, alors que le Tombeau de Brasilas est évoqué dans l’Idylle VII dès le v. 10 pour situer le moment de la rencontre [12]) ; alors, comme chez Théocrite, Lycidas propose de chanter, mais Moeris décide de s’interrompre et le poème latin s’achève où commence l’Idylle grecque. Ces notes isolées permettent peut-être à Virgile de faire ressortir le contraste entre la situation précaire des personnages latins et le bonheur paisible de la bucolique de Théocrite, mais les points de vue des poètes sont si différents qu’on risque de majorer des aspects secondaires chez Théocrite si l’on pousse trop la comparaison et, une fois n’est pas coutume, face aux malheurs du temps introduits par le Mantouan, chez qui « l’histoire a frappé à la porte de l’Arcadie », selon l’heureuse expression de J.-P. Néraudau, de donner par contraste aux Thalysies les contours de cette Arcadie.
7Plus intéressant me semble le cadre de l’Églogue V, celle justement que Virgile consacre à Daphnis, et qui contient deux chants comme l’Idylle VII, le premier, la déploration de Mopse, qui s’inspire du chant unique de l’Idylle I, et le second, l’apothéose chantée par Ménalque, pure création virgilienne. Ce cadre comporte en effet quelques points communs avec les Thalysies, qu’il vaut la peine de signaler, même s’ils ont, pour la plupart, déjà été repris et simplifiés par l’Idylle VIII, dont Virgile peut aussi s’inspirer. Cette simplicité de la présentation a pour effet de concentrer toute la lumière sur les deux morceaux poétiques et sur leur sujet, la figure de Daphnis, et mériterait de ce fait qu’on parlât ici aussi d’« inversion des Thalysies », comme on l’a fait pour l’Églogue IX.
8Par opposition aux deux Idylles grecques, Virgile a rejeté toute présentation narrative et choisi une forme purement dramatique, si bien que l’Églogue s’ouvre sur la rencontre de Ménalque et de Mopse, dite par le premier qui saisit l’occasion pour proposer au second d’aller s’asseoir « dans l’herbe, entre ces ormes », c’est-à-dire dans le cadre convenu du chant bucolique :
Cur non, Mopse, boni quoniam convenimus ambo,Tu calamos inflare leves, ego dicere versus,Hic corylis mixtas inter consedimus ulmos ?
10L’absence de toute description des personnages rapproche le texte de l’Idylle VIII [13], mais l’invitation de Ménalque, qui n’a rien d’un défi, ressemble plus à celle de Simichidas [14] et la réponse de Mopse (Tu major ; tibi me est aequum parere, Menalca, 4) signale une différence d’âge qui semble exister aussi dans les Thalysies entre Lycidas et Simichidas – ou que l’on peut déduire du moins de la modestie du second, qui n’ose pas encore rivaliser avec les plus grands poètes de son temps, mais qui est absente de l’Idylle VIII, où la présentation insiste sur l’égale jeunesse des deux chanteurs – dont l’un est Daphnis en personne [15]. Enfin, de même qu’il n’est pas question de rivalité entre les deux hommes [16], les récompenses traditionnelles n’apparaissent qu’après les deux chants, avec un don réciproque : Mopse donne, comme Lycidas, une houlette (pedum, 88) [17], tandis que Ménalque, auteur de l’apothéose créée par Virgile, offre justement le chalumeau de Virgile (cicuta, 85), celui sur lequel furent chantés le vers 1 de l’Églogue II (Formosum Corydon ardebat Alexim) et le vers 1 de l’Églogue III (Cujum pecus ? an Meliboei ?).
11Or si, par le don de ce chalumeau, Virgile se dessine derrière le personnage de Ménalque, la présence de Théocrite est bien plus forte et plus ambiguë à la fois tout au long des Thalysies, où elle tient à la forme même de l’énonciation choisie par le poète, narration certes, et non dialogue dramatique, mais surtout narration à la première personne, qui pose, sans jamais le résoudre, le problème de son identification avec Simichidas [18], ou plutôt qui crée volontairement une illusion autobiographique [19] propre à rapprocher le texte de l’Hymne aux Muses d’Hésiode, où le poète est censé rencontrer celles-ci et recevoir d’elles le laurier poétique – scène que Callimaque, Hérondas, et plus tard Ennius, transforment en rêve [20]. Mais là où le Béotien rencontre des déesses, le poète alexandrin rencontre un curieux chevrier : poète ou dieu déguisé ? Il est impossible de trancher, tant se mêlent « opérateurs de réalité » et éléments surnaturels [21] – il a une origine géographique précise et vient de Kydonia, contrairement à Daphnis, Comatas ou Tityre, sans attaches particulières, et il est déjà connu de Simichidas, mais en même temps son nom, Lycidas, peut évoquer Apollon Lykaios, et sa présentation, très simple d’abord, (« c’était un chevrier »), est aussitôt redoublée et modulée par une comparaison homérique (« et nul ne l’aurait méconnu en le voyant, car il ressemblait tout à fait à un chevrier »), qui prélude à une description tellement appuyée qu’elle le transforme en une sorte de chevrier superlatif et « surréaliste », avec peau velue et odeur de présure, houlette de Pan et sourire de supériorité qui flotte sur ses lèvres comme sur celles des dieux.
12La rencontre [22] est mise en tout cas sous l’égide des Muses [23] et la houlette (???????, 43) donnée par Lycidas à Simichidas est présentée, après le récital, sous la double forme « réaliste » et rustique d’un « assomme-lapin » (?????????) caractéristique du dieu Pan [24], mais aussi symbolique et poétique d’un « cadeau d’hospitalité de la part des Muses » (?? ?????? ????????, 129) : le don de Lycidas a ainsi les mêmes caractéristiques que son donateur, dont le portrait, comme on l’a vu, juxtapose traits « réalistes » et traits surnaturels. Surtout la mention des Muses rend plus présent le souvenir de l’investiture du poète chez Hésiode – qui n’a rien à faire chez Virgile – tout en la modifiant sensiblement : non seulement il y a deux poètes « hôtes par les Muses », mais le plus jeune l’était déjà avant de recevoir le bâton symbolique, car, ainsi qu’il l’a confié au moment de chanter, l’œuvre qu’il a retenue est une de celles que « les Nymphes à (lui) aussi ont enseignées tandis qu’il gardait les bœufs dans les montagnes et que la renommée a portées jusqu’au trône de Zeus » [25]. Cette affirmation d’une inspiration antérieure à ce qui devrait être une scène d’investiture est caractéristique de la poésie alexandrine, où le poète ne vient pas vierge à l’appel de la Muse, mais arrive chargé déjà de tout un bagage poétique ; inscrite dans le travail de représentation du poète mis en œuvre dans les Thalysies, elle démultiplie en quelque sorte la scène hésiodique, que Simichidas est censé ainsi avoir déjà vécue, mais que Théocrite recrée en la transposant dans un cadre bucolique – le mot ici se justifie, puisque, aussi bien, il l’emploie lui-même [26], tout en conservant des traces de cet arrière-plan traditionnel. Le paysage initial le marque d’entrée, où déjà se mêlent indissolublement éléments géographiques réels de Cos et réminiscences littéraires [27] : en particulier, la source Bourina (6), chantée déjà, selon le scholiaste, par Philétas, remplace ostensiblement l’Hippocrène hésiodique (Theog. 6), elle qui, au lieu d’avoir jailli sous le sabot du merveilleux Pégase, est née de la pression du genou humain d’un roi légendaire de Cos (6-7) ; destinée par son nom à se faire source de la bucolique, elle est aussi évoquée en des termes qui rappellent la fontaine décrite dans l’Odyssée avant qu’Ulysse rencontre lui aussi un chevrier, Mélantheus (XVII 205-11).
13Tel est l’espace hautement littéraire dans lequel les deux poètes donnent leur récital, deux poèmes déjà travaillés et achevés [28], parenthèse poétique dans un segment de temps narratif qui n’est pas moins complexe que le cadre littéraire et joue du passé, du présent, et même du futur. Le récit commence en effet à l’imparfait : « C’était au temps où Eucritos et moi nous rendions à l’Halès depuis la ville, et avec nous deux, Amyntas » (1-2). Survient la rencontre, et la narration fait place au style direct ; à un premier dialogue (21-51), empreint d’un curieux mélange de courtoisie et de raillerie légère, succèdent deux chants (52-89 / 96-127) ; puis le voyage et la narration reprennent : « Et lui, tournant à gauche, suivit le chemin de Pyxa. Quant à Eucritos et moi, nous prîmes la direction de la maison de Phrasidamos, avec le charmant Amyntas » (130-32). Suit une longue description du locus amoenus où prend place la fête (133-147), brusquement interrompue par une apostrophe aux Nymphes de Castalie, qui nous ramène au présent de l’énonciation et donne la parole à l’auteur de la narration, lequel, par un vœu, laisse entrevoir un avenir espéré.
Daphnis et Comatas dans le chant de Lycidas
14À cette mise en œuvre narrative complexe correspond une exhibition non moins délicate à interpréter, où les chants, au lieu de se compléter, comme dans l’Églogue V, traitent le thème amoureux dans deux tonalités radicalement différentes, qui mêlent à leur tour ton « moderne » et tradition : du côté de Simichidas, les sarcasmes du contemptor amoris de l’élégie – un genre « moderne » – empruntent à Archiloque [29] pour déprécier le beau Philinos, désormais plus mûr que poire, et qu’Aratos serait bien serait bien inspiré de quitter ; du côté de Lycidas, le poème d’amour à Agéanax s’appuie d’abord sur les thèmes de la lyrique éolienne, mais s’écarte peu à peu du thème amoureux pour exalter la poésie bucolique [30]. C’est en effet ce poème qui évoque la figure de l’amoureux Daphnis, mais aux côtés d’un autre fondateur mythique de la bucolique, que Théocrite seul nous a fait connaître [31], Comatas, le chevrier, dont le nom, « le chevelu », qu’on emploie aussi pour les arbres [32], fait un homme de la nature ; ni fils d’Hermès, ni amoureux, mais humble chevrier enfermé par son maître dans un coffre pour avoir sacrifié des bêtes aux Muses, il n’a de relation qu’avec elles, dont la faveur lui vaut d’être nourri par les abeilles durant sa punition et d’avoir la vie sauve ; personnage obscur, il semble pourtant prendre le pas sur Daphnis, et la chose n’a pas manqué d’étonner les Anciens eux-mêmes. La scholie au vers 83 suggère que « l’histoire de Comatas a été imaginée par Théocrite ; car nous ne trouvons pas chez les Anciens Comatas nourri par les abeilles, comme on le raconte pour Daphnis » [33], avec cette nouvelle difficulté que, si la légende rapporte bien que Daphnis enfant fut exposé, nulle part il n’est question de cette intervention des abeilles, de même que, selon la remarque de Gow, le coffre, important pour le chevrier, n’apparaît nulle part dans l’histoire du bouvier. C’est pourquoi le savant commentateur moderne exprime les plus grands doutes sur les assertions de son prédécesseur antique [34] et marque quelque perplexité devant l’importance donnée à l’histoire de Comatas, qui lui semble infiniment moins appropriée au banquet censé célébrer l’heureuse arrivée de l’aimé de Lycidas, Agéanax, qu’un poème d’amour consacré à Daphnis ; pour expliquer une « chute » qui lui semble si faible, il ne voit alors d’autre recours que de supposer quelque allusion d’époque irrémédiablement perdue [35]. Or, si une « clé » contemporaine est toujours possible, elle n’exclut pas nécessairement une autre explication et c’est partir d’un a priori contestable que de considérer cette chute comme faible, parce qu’elle semble oublier le personnage de l’aimé : dans ce poème emblématique, comme dans l’ensemble de l’Idylle, c’est d’abord la composition qu’il faut prendre en compte pour en juger.
15Le poème de Lycidas peut ainsi se décomposer en trois temps : entamé dans une tonalité qui évoque la poésie pédérastique éolienne, il se présente comme une requête amoureuse spirituellement insérée dans un propemptikon – ce qui ajoute à la lyrique éolienne une inspiration épigrammatique (52-62) : Agéanax aura, même à la saison des tempêtes, une traversée heureuse s’il soulage la passion de Lycidas brûlé par Aphrodite. Tout un jeu précieux d’échange entre tempête réelle et tourment métaphorique nourrit cette ouverture, occasion de deux gracieux tableaux marins, encadrés par l’évocation de la traversée, d’abord au futur [36] :
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17puis à l’optatif :
????????? ????? ???????? ?? ????????????? ????? ???????, ??? ??????? ????? ??????,
19avec, à chaque fois, dans cette Ringkomposition qui reprend un procédé cher à la poésie archaïque, le nom du bien-aimé, et le nom de Mytilène : peut-être cette cité rend-elle hommage au poème de Philétas du même nom, comme le veut E. Bowie [37], mais il me paraît difficile qu’elle n’évoque pas aussi les grands poètes de Lesbos, Alcée et Sappho. Si Agéanax satisfait le vœu de Lycidas, alors puisse le sien l’être aussi. Et tandis qu’il est heureusement parvenu au mouillage, Lycidas peut de son côté, dans le deuxième mouvement du texte (63-82), banqueter agréablement en pensant à l’aimé, douillette évocation qui mérite d’être citée en entier :
Et moi ce jour-là, une couronne d’aneth ou de rosesOu encore de blanches giroflées autour de la tête,Je puiserai au cratère le vin ptéléatique [38],Près du feu étendu, et dans le feu quelqu’un fera griller des fèves.Et j’aurai une couche fourrée, jusqu’à une coudée d’épaisseur,De conyze, d’asphodèle et d’ache toute frisée.Je boirai mollement me souvenant d’AgéanaxAu milieu des coupes et appuyant ma lèvre jusqu’à la lie.Flûteront pour moi deux bergers, l’un d’Acharnes,L’autre de Lycopée ; et Tityre tout près chanteraComment un jour de Xénéa s’éprit Daphnis le bouvier,Et comment la montagne alentour souffrait, comment le pleuraient les chênesQui poussent au long des rives de l’Himéras,Lorsqu’il fondait comme fond neige au pied du vaste Hémus,De l’Athos, du Rhodope, ou du Caucase au bout du monde.Et il chantera comment un jour un large coffre reçut le Chevrier,Tout vivant, par la déraison de son maître,Et comment les abeilles le nourrissaient venant de la prairieJusqu’au doux cèdre, avec de tendres fleurs, les camuses,Parce que sur sa bouche la Muse versait un nectar suave.
21La scène de banquet prolonge les réminiscences éoliennes, avec une atmosphère sensuelle de chaleur et de confort qui évoque, par exemple, un célèbre poème d’Alcée (338 Lobel-Page) dont s’inspire Horace dans l’Ode I 9 et où le poète invite, peut-être son aimé, en ces termes : « Mets l’hiver à la raison, en plaçant au foyer du feu, dans les coupes, sans compter, du vin au goût de miel, puis autour de tes tempes, un moelleux oreiller ». Fleurs, vin, couche tendre : la scène culmine avec le souvenir d’Agéanax, où l’allitération unit étroitement confort sensuel et pensée amoureuse : ??? ?????? ??????? ?????????? ?????????? (69), et, comme dans l’épigramme, l’amoureux imprime ses lèvres sur sa coupe. Mais la chose se fait normalement en présence de l’aimé et permet une sorte de baiser à distance, chacun appuyant tour à tour ses lèvres au même endroit, alors qu’ici Agéanax est au loin et les amants séparés [39]. Se dégage néanmoins de la scène, malgré l’absence, une atmosphère de bonheur protégé, comme si le souvenir suffisait à redonner toute la plénitude de la présence [40], première transsubstanciation qui fait irrésistiblement penser au pouvoir qu’Épicure confère au souvenir heureux, capable de contrebalancer une douleur présente. Son effet tient à une puissance de l’imagination qu’il appartient au poète d’exploiter. Et il introduit alors la musique, accompagnatrice naturelle du symposium, mais, de nouveau, aux flûtes qui, comme dans l’introduction du poème, semblent être jouées par des personnages « réels », pourvus du moins d’un ancrage géographique – fictif ou réel, nous ne sommes plus en position de trancher – il fait succéder le chant de Tityre, être imaginaire apparenté aux Satyres, et avec lui, introduit une nouvelle voix : c’est Tityre qui chante Daphnis le bouvier et Comatas le chevrier, en deux récits parallèles, au style indirect, après lesquels on passe à un style direct dont l’auteur n’est pas précisé – ce pourrait être encore Tityre, mais il me semble préférable de le rapporter à Lycidas reprenant la parole pour conclure. À nouveau, je donne le texte avant de commenter les évocations de Daphnis et Comatas qui le préparent :
Bienheureux Comatas, tu as, toi, subi ce sort plaisant,Eté, toi, enfermé dans un coffre, toi, par les rayons de mielDes abeilles nourri durant l’été de ton épreuve.Que n’es-tu, de mon temps, au nombre des vivants,Pour que je garde, moi, dans la montagne, tes belles chèvres,En écoutant ta voix, tandis que toi, sous le chêne ou le pin,Tu serais étendu à faire douce musique, ô divin Comatas ?
23Tout comme le premier mouvement était encadré par le nom de l’aimé, Agéanax, ce dernier passage l’est par le nom de Comatas, dont le bonheur et la faveur divine sont soulignés par les adjectifs : au vœu amoureux initial répond ici le rêve, à l’irréel, de la scène archétypale de la bucolique où Lycidas garderait les troupeaux pendant, qu’à l’ombre d’un arbre, chanterait Comatas, dont la présentation déjà, dans le chant de Tityre, soulignait les rapports privilégiés avec la poésie et la bucolique grâce à un travail délicat des vers évoquant l’intervention des abeilles :
?? ?? ??? ?? ????? ????????? ?????? ???????????? ?? ?????? ???????? ??????? ????????,?????? ?? ????? ????? ???? ???????? ??? ??????.
25Les hyperbates mettent en relief « les abeilles camuses » et le « doux nectar » : le second, versé sur les lèvres, est une métaphore de la divine poésie qu’on trouve déjà chez Hésiode ou Pindare, tandis que le qualificatif des premières, plutôt rare, rappelle la face camuse des Satyres de la bucolique, dont Tityre est une incarnation, comme aussi sans doute Simichidas. Dans cette transfiguration poétique, le cèdre lui-même, qui pourtant emprisonne le chevrier, devient « doux », ??????, comme le sera un peu plus loin la mélodie de Comatas (??? ????????????, 89) comme le sont aussi, au début de l’Idylle I, le chant de la nature et celui de Thyrsis [41], « doux», comme l’Idylle elle-même, s’il faut en croire la fausse étymologie qui rapprochait ????????? et ???. Au « doux » cèdre s’associent des souffrances « plaisantes », ??????, qualificatif qui s’applique en particulier au plaisir de l’art et de la poésie, et que l’on retrouve dans le nom des Muses Euterpe et Terpsichore [42] : ce que chante Lycidas, c’est au bout du compte le triomphe de la poésie, préparé par le mouvement de son poème, qui substitue peu à peu la poésie à l’amour, Comatas à Agéanax et Lycidas, mais aussi à Daphnis.
26Dans le jeu de glissements successifs qui le compose, le poème porte ainsi à son point le plus extrême le jeu d’abyme et de représentation cher à Théocrite, puisque Lycidas chante Tityre qui chante pour lui Daphnis et Comatas, avant que Comatas lui-même se mette à chanter un pur chant qui est aussi pure douceur sans qu’il soit plus besoin d’en préciser le sujet. Dans les vœux du chevrier de même, Comatas remplace Agéanax et, comme pour compenser l’irréel qui lui est attribué, quand la traversée de l’aimé, plus « réelle », est dite au futur ou à l’optatif, Lycidas, qui n’évoque l’aimé qu’à la troisième personne, s’adresse à la seconde personne à Comatas, nommé seulement au moment où il devient ainsi son interlocuteur rêvé [43]. Objet de son désir poétique, il est aussi le premier des poètes bucoliques, et le vocabulaire crée une certaine continuité entre Lycidas et Comatas [44] : alors que Lycidas boit au souvenir d’Agéanax ??????? (69), Comatas est nourri par les abeilles de ???????? ??????? (81) ; alors que Lycidas a présenté son poème comme le fruit de son ????? (?????????, 51), on retrouve le même verbe dans une expression beaucoup plus délicate pour évoquer le ????? du chevrier enfermé dans le coffre : ???? ????? ?????????? (85), mais ce ????? aussi se résout en miel poétique dans une pièce où le charme de la poésie dissout toute souffrance. Peut ainsi s’expliquer le relatif effacement de Daphnis, dont la légende est évoquée ici sous sa forme la plus simple : il est le héros consumé par l’amour, qui fond comme neige et aux ????? duquel, réciproquement, s’associe la nature. Mais il ne fait que passer dans le chant de Tityre, et ce sont Comatas et sa douce mélodie que retient Lycidas, donnant au chevrier-poète la préférence sur le bouvier amoureux. Avec cette figure originale triomphent le fictif, le plaisir du souvenir ou de la sensation rêvée, émerge un monde clos, comme le coffre, de sensations heureuses, tactiles, olfactives, musicales, ignorant toute peine, un monde aussi en suspension, qui associe curieusement plénitude et distance [45], autrement dit un monde imaginaire.
Les Thalysies, la poésie et le genre bucolique
27« Distancié », le poème de Simichidas l’est aussi, par son ton railleur, et les critiques se sont interrogés à perte de vue sur la qualité et le sens d’un texte où les notes bucoliques sont relativement rares et ressemblent plutôt à d’ironiques « à la manière de…» : Simichidas, amoureux sans histoires, est « amoureux de Myrtô comme sont amoureuses les chèvres au printemps » (97) et, pour son ami, il prie et menace à la fois le dieu Pan ; l’ensemble apparaît plutôt comme une sorte d’élégie ironique, qui s’achève sur le thème littéraire, traité par le mime comme par l’élégie, du paraclausithyron, mais pour conseiller à Aratos de s’épargner une peine que ne vaut pas son éromène défraîchi. On pense en le lisant aux accents de Catulle, qui n’est guère passé à la postérité pour un grand auteur bucolique : force est pourtant de reconnaître qu’il paraît à Lycidas suffisamment bon pour qu’il donne à Simichidas le xeinèion des Muses, ce qui ne facilite pas la tâche du critique qui voudrait dégager une poétique et des modèles de la joute.
28Faut-il les chercher dans la description de la fête qui suit la séparation des deux poètes et qui rappelle par bien des points le poème de Lycidas ? Le mouvement du texte comme sa longueur exceptionnelle, alors que les autres Idylles s’achèvent généralement très vite après le ou les chants, semblent en effet en faire une sorte de troisième poème. Reprenant la description du voyage et énumérant à nouveau les trois compagnons nommés dans les premiers vers, le narrateur transforme curieusement Amyntas en « charmant Amyntas » [46], lui donnant ainsi les traits d’un jeune éromène : reprise fugitive d’un thème amoureux qui prélude à la fête, de même que le propemptikon d’Agéanax a précédé la description du banquet (52-62), mais qui n’est, dans un cas comme dans l’autre, qu’un thème secondaire, éclipsé par les thèmes de la fête et de la poésie [47]. On peut ainsi mettre ensuite en parallèle le banquet de Lycidas « près du feu étendu » (63-70, avec en 66, ???? ???? ??????????) et les Thalysies où les amis sont aussi étendus (132-3 : ?? ?? ???????? | ?????? ???????? ?????????? ??????????), au sein d’une nature luxuriante qui réjouit tous les sens, par ses fruits, ses odeurs, ses chants (134-47). Dans les deux scènes se succèdent le vin [48] et la poésie : mais alors que Lycidas se met à écouter les flûtistes, puis Tityre chantant des personnages mythologiques (71-82), le narrateur prend la parole :
Ô Nymphes de Castalie, qui habitez les escarpements du Parnasse,Était-il tel dans l’antre rocheux de PholosLe cratère que pour Héraclès dressa le vieux Chiron ?Et ce fameux berger des rives de l’Anapos,Le vigoureux Polyphème qui bombardait de monts les nefs,Était-ce un tel nectar qui le fit danser dans sa caverne,Pareil à la boisson que vous mêlâtes alors, ô Nymphes,Près de l’autel de Déméter Haloïs ?
30Et, de même que Lycidas rêvait d’un récital de Comatas, le poète-narrateur conclut sur un vœu :
Sur son blé entassé (?? ??? ????)Puissé-je, moi, planter encore une grande pelle à vanner, et elle me sourireLes deux mains pleines d’épis et de pavots !
32Peut-on interpréter ce passage comme une synthèse des deux poèmes précédents ? Mais, dans cette hypothèse, qu’est-il resté du poème de Simichidas ? Est-ce un dépassement où serait proposé un nouvel art poétique ou même un idéal de vie plus large, comme le suggère C. Segal [49] ? Insistant en effet sur un contraste entre le cadre pastoral de Lycidas et le cadre agricole des Thalysies, il voit dans la description hésiodique de ce dernier un élargissement de la bucolique et l’évocation d’une harmonie entre l’homme et le cosmos, qui me semble à nouveau relever d’un implicite contestable, et aussi d’une tendance à projeter sur Théocrite des tendances virgiliennes. C’est à Virgile que semble plutôt appartenir cette substitution de l’agricole au bucolique – qui apparaît en particulier liée chez lui au personnage de Daphnis, dans l’Églogue V, où il est fêté par les paysans à l’égal de Bacchus ou Cérès (74-80), ou dans le fragment poétique de l’Églogue IX, où il est invoqué comme témoin de l’ascension de l’astre de César (48-50). On a pu interpréter ces passages comme une sorte de préfiguration des Géorgiques [50], mais on ne voit rien de tel chez Théocrite, qui a d’ailleurs présenté son Lycidas comme un grand joueur de syrinx « parmi les pâtres et les moissonneurs » (28-9) et qui ne réserve pas à ses Moissonneurs de l’Idylle X un traitement différent de celui des bergers.
33À nouveau, pour partir d’éléments sûrs avant de risquer une interprétation, on peut relever toute une constellation de réminiscences littéraires. La plus importante est celle que note C. Segal, et qui, à la scène d’investiture de la Théogonie, ajoute la description d’un locus uberrimus de fête qui n’est pas sans rappeler les Travaux, en particulier le passage où est évoqué le repos à l’ombre aux jours les plus chauds de l’été (582-96). Mais on peut encore rapprocher la pelle plantée dans la meule de Déméter de la prédiction de Tirésias à Ulysse, qui devra repartir d’Ithaque avec sa bonne rame à l’épaule, et ne pourra la planter que « lorsque quelqu’un, croisant ta route, croira voir/ Sur ton illustre épaule, une pelle à vanner » (Od. XI 127-8) ; la question poétique aux Nymphes de Delphes s’inspire aussi des grands Anciens, « Homère » interrogeant les Muses au début du catalogue des vaisseaux dans l’Iliade, ou Pindare, imité déjà dans les Charites, où Théocrite lui emprunte les Charites d’Orchomène, qu’il invoque pour conclure son texte, comme le lyrique, par un vœu [51].
34Ces premières références montrent l’importance de la « grande poésie » dans ces quelques lignes, confirmée par le contenu même des questions posées aux Nymphes, qui concernent Chiron, le bon Centaure lié à la geste d’Héraclès et chanté, entre autres, par Stésichore, et l’homérique Polyphème [52], encore que l’un comme l’autre aient aussi fait l’objet d’œuvres plus légères auxquelles les détails retenus par Théocrite ne laissent pas de faire penser : Épicharme avait écrit une comédie intitulée « Héraclès chez Pholos » et Philoxène avait fait danser le Cyclope dans son dithyrambe du même nom. C’est ainsi plus largement la tradition poétique dans son ensemble, l’épopée et ce qu’elle a inspiré, qu’évoquerait le poète des Thalysies pour venir s’y inscrire, prenant la parole comme il le fait dans les Charites, figures de ses poèmes elles aussi rangées dans un coffre, à l’instar de Comatas dans les Thalysies et des papyrus dans la réalité. Or c’est faute de prêter attention à cette prise de parole, me semble-t-il, que Gow à nouveau s’étonne de l’irruption des Nymphes de Castalie [53], compagnes d’Apollon sur le Parnasse – en qui Ph.-E. Legrand et la plupart des critiques après lui proposent de reconnaître les Muses [54] – comme il s’étonnait de l’effacement de Daphnis devant Comatas ; tout juste note-t-il que les questions posées ne sauraient être de la compétence des modestes Nymphes de Cos, mais c’est par l’omniscience de l’Apollon delphique qu’il explique le recours à celles de Castalie, sans invoquer le moins du monde le lien d’Apollon et des Muses avec la poésie. Or c’est bien de cela qu’il s’agit lorsque le poète, se détachant de sa description et revenant à son présent de poète, compare le breuvage des Thalysies au cratère de Chiron ou au nectar de Polyphème.
35C’est encore cette volonté de prendre place dans la tradition qui peut expliquer la seconde apostrophe aux Nymphes, à la fin du passage – nouvel effet de composition circulaire. Derechef Gow s’étonne, car on ne peut guère les identifier qu’avec les Nymphes de Castalie, et il lui semble curieux de leur donner un rôle dans la scène des Thalysies, sauf à imaginer, comme il le fait, que Phrasidamos avait appelé la source de son domaine Castalie ; Ph. E. Legrand n’est guère plus sensible à la transposition poétique, qui explique que « l’aubaine du bon vin est attribuée aux Muses parce que la réunion champêtre, à laquelle prenaient part des hommes lettrés, était pour ainsi dire placée sous leur patronage. » Or il n’est pas question ici de transcrire le réel, mais de réévoquer poétiquement et à distance la scène passée des Thalysies [55] : rien n’empêche alors que les Muses soient les échansons de cette fête recréée et le breuvage évoqué après le cratère de Chiron et le nectar de Polyphème n’est plus un vin « réel », mais un symbole poétique qui participe de ce jeu incessant du « réel » et du poétique constitutif de « l’espace littéraire » du poème dégagé au début de cette étude.
36De même, le voyage poétique se clôt, symboliquement aussi, comme devrait se terminer un jour le destin d’Ulysse, par une pelle plantée dans la meule de Déméter, mêlant une ultime fois référence littéraire et « réalité » de l’affabulation : moderne réécriture de l’investiture du poète, le poème sécrète en quelque sorte son propre univers en redistribuant tous les éléments de la tradition littéraire, ancienne ou plus récente, et la représentation du poète et de la poésie qu’il offre tire sa force et son sens d’abord de son existence même : si on veut lui assigner une valeur théorique, il est théorie en action, création d’un nouvel univers poétique dont l’essence même est dans la variété, l’association subtile de réminiscences des Anciens et de poètes ou sujets contemporains. Resterait à élucider le rôle dévolu à Déméter, qui, je l’avoue, me reste obscur : E. Bowie veut y voir une allusion littéraire à une œuvre de Philétas et F. Lasserre, qui insiste sur les échos de l’épigramme, met en avant l’existence d’un recueil appelé ????? [56].
37Il serait sans doute satisfaisant de pouvoir assigner une valeur littéraire précise à ce vœu final, mais à défaut d’avoir aucune certitude sur « le » sens de Déméter, dont l’existence même peut inspirer quelque doute, et de pouvoir interpréter les derniers vers comme la substitution de la déesse à la figure de Daphnis pour représenter le nouveau genre « proche de la nature» [57], on peut du moins relever deux parallèles dans les Idylles, qui à nouveau mettent en lumière une certaine « facture » poétique plutôt qu’une théorie littéraire. Ce rappel ultime de la fête à laquelle se sont rendus les personnages et l’adresse à la déesse qui y est célébrée se rapprochent de la fin des Syracusaines, où, de la même manière, Gorgo prend congé d’Adonis en évoquant son retour l’an prochain : « Adieu, Adonis bien-aimé, et trouve-nous joyeux quand tu viendras » (XV 149). Le cadre choisi étant, dès les premiers vers, celui d’une fête à Déméter, sa présence à la clôture du poème est normale – et le problème reculerait alors, de la mention finale au choix initial de cette fête, qui était très importante à Cos. Mais, indépendamment des réalités en arrière-plan, que l’on saisit mieux avec les Adonies alexandrines voulues par Arsinoé, comme tout le poème a tendu à associer étroitement la fête et la poésie, l’on peut aussi lui comparer le congé que Thyrsis prend des Muses après son chant, où il évoque aussi le futur : « Adieu mille fois, ô Muses, adieu : je vous chanterai, moi, encore dans l’avenir de plus douces chansons » (I 144-5). Une telle mention parachève en quelque sorte l’univers poétique, « bulle » poétique, selon l’heureuse expression de Jean Sirinelli [58], indéfiniment réévocable, et l’on pourrait transférer à l’univers poétique de Théocrite ce que Jean Sirinelli toujours écrit du théâtre de Ménandre, signalant l’avènement concomitant d’une « illusion littéraire, telle que nous la sentons » et d’une scène nouvelle, qui prend la forme d’une « plate-forme surélevée sur laquelle est présentée, isolée du monde, coupée du chœur et offerte à l’imaginaire des spectateurs, ce qui doit être l’illusion dramatique acceptée par tous » [59]. Les mêmes ingrédients se retrouvent dans les Idylles, qui n’ont rien à voir avec un désir d’évasion : un univers clos, dont le coffre de Comatas peut être une figuration, se constitue, mis à distance et exhibé par le poète comme fruit de son art, création qui a son autonomie et sa nature propre, qui joue à « faire vrai. » C’est ce jeu de distance et de représentation déjà relevé dans les Thalysies que confirme Thyrsis, où l’importance de Daphnis, sujet du chant, a été amplifiée par la postérité.
« Les souffrances de Daphnis » et la distance bucolique
38Il est en effet éclairant de comparer les multiples utilisations virgiliennes des souffrances de Daphnis, dans l’Églogue VIII, où Damon en reprend la forme pour chanter ses peines d’amour, et surtout dans les Églogues V, où ne sont mentionnés que la mort et le deuil de la nature, transfigurés en apothéose, et X, où les souffrances amoureuses de Gallus sont modelées sur celles de Daphnis et constituent un adieu au genre [60], aux titres qu’a donnés la tradition manuscrite à l’Idylle I et qui retiennent, soit le nom du chanteur, Thyrsis, soit sa performance elle-même, Le chant. Et ces désignations sont profondément justes, plus sans doute que la remarque du scholiaste qui, réfléchissant à un moment où le texte est déjà en tête d’un recueil, s’étonne de voir l’œuvre s’ouvrir sur la mort du créateur du genre, qui, surcroît d’incohérence, « ressuscitera » à l’Idylle VI, dont il est un des chanteurs, sans que rien d’ailleurs y rappelle son statut mythique ; la solution trouvée par le savant ancien met cependant en avant un élément important, l’art et la grâce supérieurs du poème qui lui mériteraient cette place liminaire [61]. De ce type de jugement, on peut discuter à perte de vue, mais il est indéniable que la production artistique en tant que telle tient dans le poème un rôle essentiel, et que, ici aussi, il faut accorder toute l’attention requise à l’architecture du poème, à peine moins complexe que celle des Thalysies, mais jouant d’un autre registre : plus descriptif, le texte substitue au jeu des plans temporels induit par la forme narrative tout un travail d’« inclusions » artistiques, qui fait succéder à l’????????? ????? (56), décrit par le chevrier en trois tableautins, une ????????(?) … ????(?) (64) chantée par le bouvier, où plusieurs personnages prennent tout à tour la parole.
39« Les souffrances de Daphnis » en effet ne se confondent pas avec le poème de Théocrite : elles sont le chant de Thyrsis, inséparable de la coupe qui doit le récompenser et dont l’ekphrasis, longue de près de quarante vers (22-60), se présente ostensiblement comme une forme bucolique des boucliers épiques, d’Homère ou d’Hésiode – là encore Virgile, évoquant des coupes pour enjeux dans l’Églogue III, conserve l’association d’une matière rustique, puisqu’elles sont faites du même hêtre sous lequel chantait Tityre (fagina), et de la ciselure de l’art (caelatum divini opus Alcimedontis, 37), mais il raccourcit notablement la description et surtout dédouble l’objet, dont chacun, par son sujet, Conon et un autre savant astronome anonyme pour la première, Orphée pour la seconde, devient l’emblème d’une forme de poésie, encyclopédique ou inspirée. Théocrite pour sa part substitue en quelque sorte l’ekphrasis au chant qu’aurait dû chanter le chevrier et juxtapose ainsi deux représentations artistiques de nature différente, l’une plastique, l’autre poétique, dont Thyrsis lui-même insiste dans son introduction sur la « matière phonique », en proclamant : « Je suis Thyrsis d’Etna, et de Thyrsis douce est la voix » (65).
40Cette homologie entre les deux objets est encore renforcée par la similitude de leur composition : aux trois scènes figurées sur la coupe, comme du cloisonné, répond la fragmentation du poème par l’emploi d’un refrain, qui segmente le chant, et démultiplie la voix poétique tout en rappelant sans cesse la présence en arrière-plan du poète et de ses Muses [62]. L’accent ainsi porté sur la représentation artistique accuse la mise à distance du sujet, qui se creuse même, à l’intérieur du poème, entre Daphnis et Thyrsis [63]. Sans doute peut-on dégager une certaine continuité formelle entre les deux figures de poètes : de même que Thyrsis appose sa sphragis en se nommant au début de son chant, de même Daphnis, d’abord muet, ne cesse de s’objectiver, lorsque, enfin, il prend la parole, proclamant d’abord (100-3) que « Daphnis même aux Enfers causera à Éros une amère douleur », puis, ponctuant son adieu à la nature d’un pathétique « Je suis ce Daphnis qui jadis [64] ici paissait ses vaches, Daphnis qui ici abreuvait génisses et taureaux » (120-21), avant de souhaiter un bouleversement du monde « puisque Daphnis meurt » (135 [65]). De même que Thyrsis appelait en prélude les Nymphes absentes en ces heures de douleur (66-69), de même Daphnis appelle Pan, où qu’il soit (123-6), pour lui laisser sa syrinx [66]. Il laisse ainsi la musique sur terre et s’en va dans l’Hadès entraîné par l’amour (130), sort tragique dont s’afflige la nature, et le parallélisme cesse là : Thyrsis, lui, déjà vainqueur grâce à ce chant, ne s’afflige nullement et, le dernier refrain prononcé, qui invite les Muses à cesser le chant bucolique, il se tourne immédiatement vers le chevrier pour réclamer le prix promis [67] :
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42L’adieu aux Muses fait ordinairement partie du chant, si bien que les savants se sont parfois demandé s’il ne fallait pas le prolonger jusqu’au vers 145. Mais la demande prosaïque qui précède rend cette extension improbable ; « hors chant », cet adieu n’en est que plus significatif : faisant écho dans la forme aux adieux tragiques de Daphnis (115-17), il s’y oppose par son fond, promesse d’un nouveau chant, plus doux encore, là où le héros disparaît.
43C’est que le pathétique n’est que la tonalité choisie pour le chant, comme un compositeur adopterait le mode mineur, et il s’achève avec lui, de même que Daphnis n’est qu’un personnage poétique, qui éveille toute une série de réminiscences littéraires, épiques ou tragiques : on a ainsi évoqué à son propos Achille drapé dans sa solitude, l’Hélène de l’Iliade, contrainte par Aphrodite, l’Ajax de la nekyia, le Prométhée ou la Cassandre d’Eschyle, l’Antigone ou l’Électre de Sophocle, le Penthée ou l’Hippolyte d’Euripide, sans oublier Narcisse ou Orphée – puisqu’il est le seul héros pour lequel on voit s’esquisser la pathetic fallacy de Ruskin, l’illusion d’un unisson de l’homme et de la nature, qui se traduit pour lui par l’affliction de tous les animaux, domestiques ou sauvages. Le « flou » poétique, lié à cette profusion de références et à l’incertitude qui entoure les causes de sa mort, se renforce encore dans les derniers moments de Daphnis. Ayant fait ses adieux au monde, il fait vœu que celui-ci, privé de lui, s’inverse, mais le monde qu’il évoque alors, n’a rien de la nature désolée, abandonnée de Palès et d’Apollon, peinte par Virgile dans la déploration de Mopse [68] : au contraire sont évoqués une profusion de fleurs et de fruits, la revanche des cerfs sur les chiens, des oiseaux devenus tous chanteurs avec des hiboux rivaux des rossignols.
Le chant du bouvier et la coupe du chevrier
44Nouvel effet d’homologie, ces adynata ne sont pas sans rappeler les bordures végétales, qui, sur la coupe, reproduisent un cadre naturel, mais en le transformant – l’art fait porter des fruits à l’hélix stérile, tandis qu’il prête des fleurs ajoutées au lierre qui en porte naturellement [69]. De même la mort de Daphnis s’entoure d’un mystère où le pathétique s’adoucit, entourée qu’elle est de la sollicitude des figures féminines, Aphrodite, qui esquisse un geste pour le relever, les Muses et les Nymphes, à qui il était cher ; entre les deux, il disparaît dans un courant que Théocrite-Thyrsis ne nomme pas – laissant ce soin aux critiques, qui en discutent à perte de vue :
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46Dans quel courant est-il entré ? Qu’importe : il se fond dans la nature, dans cette eau poétique, dont le tourbillon le baigne, et « tel qu’en lui-même enfin » demeure à jamais « l’homme chéri des Muses, que les Nymphes ne haïssaient pas ». De façon frappante, là encore, ces ultimes moments trouvent des échos dans la description de la coupe : elle est d’abord, elle-aussi, avec le même verbe, « trempée de douce cire » (??????????? ???? ????, 27), comme les tuyaux de la syrinx léguée à Pan (128-29) [70] ; elle semble ensuite « lavée aux sources des Heures » (???? ????????? ??? ??? ???????? ????????, 150), ultime expression qui associe eaux et gracieuses divinités de la nature, qui, plus que Muses et Nymphes ne le feraient, évoquent par leur nom, beauté et printemps.
47Or, si, à partir de ces éléments « périphériques », l’on regarde de plus près les motifs représentés sur la coupe, l’homologie se poursuit et l’on retrouve une même profusion de réminiscences littéraires et une même incertitude sur la tonalité des scènes. À l’évidence, cet objet « nouvellement façonné », ????????? (28), adjectif rare emprunté à l’Iliade (V 194), qui, en même temps, dit la « modernité » de la facture, présente trois vignettes qui transposent dans un autre registre des ekphraseis épiques : ce sont d’abord deux hommes en conflit pour une jolie femme, qui rappellent, transposé dans le registre amoureux, le procès de la cité en paix figuré sur le bouclier d’Achille [71] ; puis vient une figure de pêcheur « qui ressemble à quelqu’un qui fait un gros effort » et qui tire un grand filet dont on ne sait s’il est vide ou plein, scène marine qui a son pendant sur le bouclier d’Hésiode [72] ; enfin, troisième âge et scène rustique, un jeune garçon garde une vigne – grappes lourdes et scènes agricoles figurent sur les deux boucliers, et, sans souci des renards qui veulent lui voler son déjeuner, s’amuse à tresser un panier, figure de la poésie peut-être, équivalent de la fête finale du bouclier homérique peut-être aussi. Retraitements de l’épopée, ces scènes évoquent encore des genres « modernes », l’élégie avec la rivalité amoureuse, le mime, avec les pêcheurs [73], la bucolique pour le jeune tresseur ; elles peignent aussi des efforts, dont on ne sait trop s’ils échouent ou réussissent [74]. C’est que, là aussi, si le matériau artistique est différent – du moins à son premier degré, puisque, au second degré, tout se résout en mots –, on a affaire à des représentations transfigurées par l’art, à un ????? ?????????, où l’intérêt porte en soi sur « les yeux gonflés » des amoureux (38) ou les « muscles saillants sur le cou » du vieil homme (43), sur la réussite plastique de l’imitation, et non sur des réalités, qui ont leur but en dehors d’elles-mêmes. L’art possède une réalité autre, provoquant des sensations qui lui sont propres, et se nourrissant de toute une série de références littéraires qui accentuent encore son autonomie par rapport au réel qu’il transpose dans l’imaginaire et transfigure.
48Les deux objets artistiques, tous deux fruits de l’art de Théocrite, évoquent ainsi toute une gamme de tonalités possibles. À ce titre, Daphnis incarne une des facettes de la poésie, mais dont rien ne dit qu’elle soit plus importante qu’une autre ; il participe du chatoiement du « kaléidoscope » de Théocrite, kaléidoscope poétique plus que métaphysique, où il n’est pas vraiment question de représenter la réalité dans toute sa plénitude, avec ses oscillations entre les deux pôles extrêmes que figureraient ici Daphnis et Thyrsis, comme le suggère C. Segal [75]. La poésie sans doute est liée aux forces de vie, mais en ce sens qu’elle a une vitalité propre qui lui permet d’intégrer toute forme de sujet dans un univers sui generis où l’auteur est à la fois présent et absent, où la distance est constitutive de l’élaboration littéraire et crée une bulle poétique que le lecteur peut regarder comme idéale s’il veut, mais qui est plutôt en suspension, dans un ailleurs imaginaire.
Du mythologique au littéraire
49Dans cette perspective, le Daphnis de Théocrite garde bien peu de choses de la figure mythique du créateur de la bucolique, et n’apporte guère à la définition d’un genre en train d’accéder à la « grande littérature », peut-être parce que la mythologie n’est qu’une des matières de l’Idylle et n’y a pas de fonction privilégiée, ni instrument de déchiffrement du monde, qui dirait la structure numineuse de l’univers, ni langue universelle qui permettrait au poète d’exprimer son expérience personnelle en lui donnant valeur générale [76]. Dans le jeu poétique, Daphnis est un personnage littéraire, sujet du chant dans nos deux Idylles, qui devient lui-même chanteur dans l’Idylle VI, à laquelle a été précisément donné le titre de ????????????, et « acteur » au plein sens du terme, puisque Théocrite y raconte à son ami Aratos un concours, qui n’est guère qu’un jeu, sans vainqueur ni vaincu [77], où Daphnis a joué le rôle du praeceptor amoris et Damoitas celui de Polyphème : l’adversaire irréductible d’Éros de l’Idylle I y raille alors le maladroit Cyclope de ne pas savoir profiter des avances de Galatée. Il est vain de chercher à résoudre l’incohérence en situant ce dialogue joué – où il n’est jusqu’à la réalité des avances de la belle qui ne reste incertaine, faute qu’on ait le moindre élément pour discerner s’il s’agit d’une invention de Théocrite qui s’amuse à inverser les rôles, ou d’une invention de Daphnis, qui se moque de la vanité du Cyclope – dans la « vie » de Daphnis pour en faire un épisode de la jeunesse d’un héros destiné plus tard à succomber à son tour au mal d’amour [78]. C’est transformer le poète en biographe, les figures littéraires en personnages cohérents, ignorer le goût du décalage des Alexandrins : « Daphnis » en ce cas fonctionne non comme un paradigme mythique, mais comme une fiction littéraire [79], une figure riche d’harmoniques à l’intérieur desquelles chaque auteur peut choisir – et, à cet égard, les emplois virgiliens sont infiniment plus riches que ceux des épigones de Théocrite –, voire un simple nom poétique, celui que portera le héros de Longus.
Notes
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[1]
Sur le « réalisme » de Théocrite, voir C. Segal, « Landscape into Myth : Theocritus’ Bucolic Poetry », Ramus 4, 1975, p. 33-57 – et, plus largement, pour les Alexandrins, G. Zanker, Realism in Alexandrian Poetry, Londres, 1987 ; sur la dimension « idéale » de la poésie virgilienne, voir M. Desport, L’incantation virgilienne. Essai sur les mythes du poète enchanteur et leur influence dans l’œuvre de Virgile, Bordeaux, 1952 ; parmi les nombreuses remises en question de l’Arcadie de Virgile au profit d’une interprétation plus politique, un des ouvrages les plus récents est celui de R. Leclercq, Le divin loisir. Essai sur les Bucoliques de Virgile, Bruxelles, Latomus, vol. 229, 1996, p. 101-127 ; l’otium aussi est une notion virgilienne qui amène à majorer l’importance d’une ?????? mentionnée une seule fois dans tout le corpus (VII 126). D’une manière générale, nombre d’interprétations tendent à privilégier « l’implicite » à partir de ce qui serait explicitation ultérieure, ce qui revient à lire les poèmes à travers les yeux des successeurs de Théocrite.
-
[2]
Voir, par exemple, J.-P. Néraudau, La littérature latine, Collection HU, Paris, 2000, p. 119.
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[3]
Pour la métapoésie, voir, dans le domaine latin – avec des inférences très contestables sur la littérature grecque, A. Deremetz, Le Miroir des Muses. Poétiques de la réflexivité à Rome, Septentrion, 1995 ; pour Théocrite, entre autres, F. Cairns, « Theocritus’ First Idyll : The Literary Programme », WS 18, 1984, p. 89-113, et L. Plazenet, « Théocrite. Idylle 7 », L’Antiquité Classique 63, 1994, 77-108 ; sur l’escapism, voir l’article de C. Segal cité à la note 1.
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[4]
Voir, outre Zanker (cité n. 1), M. Fantuzzi, « Il sistema letterario della poesia alessandrina nel III sec. A. C. », in G. Cambiano, L. Canfora, D. Lanza (edd.), Lo spazio letterario della Grecia antica 1-2 (Rome), 1993, p. 31-73.
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[5]
Le rôle de précurseur de Philétas est discuté. On le déduit en particulier des Thalysies, où Simichidas, qu’on considère généralement comme un masque de Théocrite, l’invoque comme modèle (pour une lecture de cette Idylle comme hommage à Philétas, voir E. L. Bowie, « Theocritus’ Seventh Idyll », in CQ 35, 1985, p. 67-91) ; quoi qu’il en soit de cette identification, le jeu de reprises et de décalages constitutif de la poésie alexandrine empêche d’affirmer que Philétas ait eu le moindre rapport avec la bucolique ; Théocrite « bucolise » entre autres l’élégie, en particulier dans le chant de Simichidas, praeceptor amoris de son ami Aratos, et Philétas est cité par les Latins comme le second grand auteur d’élégies amoureuses après Callimaque (cf. Quint. X A. 58 : Et elegiam vacabit in manus sumere, cujus princeps habetur Callimachus, secundas confessione plurimorum Philetas occupavit). La création d’un personnage de ce nom par Longus ne permet pas davantage de déterminer s’il fait référence à l’auteur de poèmes d’amour ou de poèmes bucoliques.
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[6]
Cf. Scholia in Theocritum vetera, hergs. von C. Wendel, Leipzig, Teubner2, 1967 (1re éd. 1914), Prolegomena D, p. 4 : ???? ??????? ????? ???? ??????????, ????????????, ?????????? ??? ??????. ?? ?? ?????????? ?????? ????? ???? ?????? ?????? ??????? ?????????????? ??? ??? ??????????? ?? ???????? ??? ???????, ???? ??? ??????????? ?? ????????????, ???? ?? ?? ??????????, ???? ?? ?? ??????, ????? ???????????? ??? ??????????, ??? ?? ?? ?? ????.
-
[7]
Dans « Landscape into Myth » (cité n. 1), C. Segal pense retrouver dans les Idylles les éléments d’une nostalgie qui naîtrait d’une tension délibérée dans la structure même des œuvres entre « simplicité et réalisme trivial » d’un côté, et éléments mythiques de l’autre, et dans « Thematic Coherence and Levels of Style in Theocritus’ Bucolic Idylls », WS 11, 1977, p. 35-68, attirant l’attention sur les variations de tonalité entre les poèmes bucoliques, il propose de voir « une structure hiérarchique de différents niveaux d’intensité poétique et mythique », au sommet de laquelle se placent I et VII.
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[8]
Voir l’Enciclopedia virgiliana, sv Dafni, qui note en particulier : « Il nome di Dafni appare 34 volte nelle Bucoliche e la sua personalità e circostanze cambiano dell’una all’altra… Ma, se l’occasione e l’identità sono diverse, la maschera è sempre la stessa. Il D. virgiliano vuol essere l’archetipo bucolico universale. » (c’est moi qui souligne).
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[9]
IV 84 – je souligne la tonalité idyllique donnée au paysage ; Élien (HV X, 18) indique qu’une autre version faisait de Daphnis l’éromène d’Hermès et désigne Stésichore d’Himère comme le premier poète à avoir pratiqué ce genre de poésie – réalité qui inspire la mention de l’Himéras dans l’Idylle VII (75) ou déduction tirée de cette mention ? ; Daphnis figure aussi dans le recueil de Parthénios (XXIX) offert à Gallus – l’auteur y emprunte à l’historien Timée. Ovide enfin ne l’évoque que par prétérition, comme une légende trop connue (Metam. IV 276-78) et affirme qu’il aurait été transformé en pierre.
-
[10]
Le jugement littéraire de Lycidas (45-48) semble se faire l’écho de préoccupations proches de la Réponse aux Telchines de Callimaque, et les poètes avec lesquels Simichidas n’ose rivaliser sont des contemporains réels : Philétas, nommé par son nom, et Sikélidas, que les scholies déjà identifient avec Asclépiadès – tandis qu’elles font de Simichidas l’incarnation de Théocrite lui-même, comme y invite la première personne. Sur le personnage de Lycidas, toujours resté mystérieux, voir infra, n. 21.
-
[11]
J. Bayet (Littérature latine, Paris, 1965, 202) se contente d’indiquer sans commentaire que le poème se déroule « dans un cadre librement inspiré des Thalysies de Théocrite », ce qui m’a d’abord laissée perplexe. J’emprunte les détails du rapprochement à W. Berg, Early Virgil, Londres, 1974, « Thalysia in reverse », p. 139-42 – lequel suggère d’interpréter le riche paysage final comme une métaphore de la création poétique et, ce qui me semble plus sujet à caution, d’y voir « la première évocation consciente du paysage pastoral comme le jardin de l’esprit du poète » (p. 22).
-
[12]
« Nous n’étions pas encore au milieu du trajet et le tombeau de Brasilas ne nous apparaissait pas encore… »
-
[13]
Malgré la forme narrative, la présentation s’y réduit à 2 vers – qui, à la limite préparent le triomphe de Daphnis, le seul des deux personnages à être qualifié : ??????? ?? ???????? ????????? ??????????? | ???? ?????, ?? ?????, ???? ???? ???????? (1-2).
-
[14]
VII 35-6 : ???? ??? ??? ???? ??? ????, ???? ?? ??? ???? | ?????????????????. Dans l’Idylle VIII, Ménalcas apostrophe Daphnis (6-7) : ??????? ??????? ???? ?????, ??? ??? ?????? ; | ???? ?? ????????, ???? ???? ????? ??????.
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[15]
Id. VIII 3 : ???? (Daphnis et Ménalcas) ???? ????? ??????????, ???? ????? ; même chose dans l’Idylle VI, où chantent Daphnis et Damoitas (2-3) – la source de VIII ? : … ?? ?? ? ??? ????? | ??????, ? ?? ??????????.
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[16]
La chose est vraie aussi pour l’Idylle VI, où le concours est une sorte de jeu, sans rivalité réelle et avec un échange final de cadeaux, mais non pour l’Idylle VIII. C’est d’ailleurs la victoire de Daphnis qui assure sa prééminence et le fait, en quelque sorte, rejoindre sa légende (« À partir de ce jour, Daphnis fut le premier parmi les pâtres, Et, tout jeune encore, il épousa la Nymphe Naïs », 92-93).
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[17]
Mais en précisant qu’elle est « convoitée d’Antigène », il semble rappeler le thème amoureux de la bucolique qui, au contraire, comme je pense le montrer, s’efface dans les Thalysies.
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[18]
Sur l’ambiguïté des premières personnes de l’Idylle, qui peuvent renvoyer à l’auteur ou n’être que la voix des personnages, voir l’article d’H. Berger Jr, « The Origins of Bucolic Representation: Disenchantment and Revision in Theocritus’ Seventh Idyll », Classical Antiquity 3, 1984, p. 1-39 ; selon que l’on considère que l’auteur adhère ou non au point de vue de son personnage, la tonalité peut varier de l’ironie à la nostalgie bucolique.
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[19]
Sur la force particulière de cette illusion chez Théocrite, voir J. Sirinelli, Les enfants d’Alexandre, Paris, 1992, p. 123-124 : « On a tenté de reconstituer la personnalité de Théocrite d’après ses écrits pour avoir ensuite la joie d’expliquer ses écrits par sa personnalité ainsi déduite… Triomphe de la littérature ! Le premier peut-être aussi complet. L’écrivain amène insensiblement son lecteur à extraire de son œuvre, pour en créditer l’auteur, un personnage parfaitement imaginaire. »
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[20]
Voir, pour les Aitia, AP VII 42 et Properce II 34. 32, évoquant les somnia Callimaqui ; Hérondas VIII reprend aussi le thème.
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[21]
Les études sur le sujet sont d’autant plus nombreuses que les chances de parvenir à une solution définitive sont plus minces et l’on peut souscrire au « diagnostic » de J. Sirinelli, op. cit., p. 126 : « Que Lykidas soit un poète réel ou non, il y a peu de chances que nous le sachions jamais, mais ce qui est sûr, à vrai dire, c’est que c’est un faux chevrier » ; pour une étude de sa figure, voir, entre autres, le commentaire de GOW, Theocritus II, Cambridge, 1952, « Lycidas and the “Mascarade bucolique” », p. 129-130, C. Segal, « Theocritus’ Seventh Idyll and Lycidas », WS n.F. 8, 1974, p. 20-76 et W. G. Arnott, « Lycidas and double Perspectives : A discussion of Theocritus’ seventh Idyll », Estudios Clásicos 87, 1984, p. 333-346.
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[22]
Sur ce thème, littéraire lui aussi, voir F. Williams, « Scenes of Encounter in Homer and Theocritus », Museum Philologicum Londinense 3, 1978, p. 219-222.
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[23]
11-12 : … ??? ???? ?????? | ?????? ??? ???????? ????????? ??????? ????? ; on peut hésiter à construire le complément avec l’adjectif – et le voyageur doit alors sa valeur à la compagnie des Muses – ou avec le verbe – et c’est alors la rencontre qui est faite avec le concours des Muses, ce qui est la solution la plus généralement retenue.
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[24]
P. Borgeaud, Recherches sur le dieu Pan, Genève, 1979, p. 83 et 101 : cet élément contribue au statut ambigu du chevrier, mais ne me semble pas justifier la surexploitation de Pan comme figure de la nouvelle poétique proposée alors que Théocrite n’en souffle mot. Si la question devait se poser, ce serait plutôt dans l’Idylle I, où le chant remplace le son de la syrinx, qui irriterait Pan en gâtant son repos, et où, à l’intérieur du chant, Daphnis laisse à Pan sa syrinx.
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[25]
92-93 : ?????? ???? ??????? ??? ???? ??????????? | ?????, ?? ??? ??? ????? ??? ?????? ????? ???? à comparer à Theog. 22-23 : ?? ?? ???? ??????? ????? ???????? ?????? | ????? ???????????. En outre si les Muses hésiodiques chantent autour de l’autel de Zeus (Théog. 4) et le célèbrent (11), réjouissant son cœur (37) et égayant sa demeure (40-41), Zeus peut être aussi un masque de Ptolémée : le double jeu n’en finit pas…
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[26]
36 : ???????????????? ; 49 : ???? ??? ?????????? ?????? ???????? ??????.
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[27]
Voir W. G. Arnott, « The mound of Brasilas », QUCC 32, 1979, p. 99-105, qui essaie de retrouver les lieux évoqués.
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[28]
Virgile reprend cette situation dans l’Églogue VIII, avec les deux longs poèmes de Damon et d’Alphésibée ; dans l’Églogue IX, on n’a que des fragments poétiques.
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[29]
Fr. 196A West (Épode de Cologne), v. 24-28 : ???????? ?]???? ???? ?????? | ???? ??????? ?<?? ????? > | ??]??? ?? ????????? ?????????? | ??? ????? ? ???? ????.
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[30]
L. Plazenet (citée supra n. 3, p. 94) souligne très justement le tour de force que constitue la mise en lumière de « l’affranchissement qu’autorise la poésie à travers l’emploi des formes codifiées du ???????????? et du ???????????????, c’est-à-dire des poésies de circonstances ».
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[31]
Les scholies citent pour source l’historien sicilien, Lycos de Rhégion, probablement père adoptif de Lycophron (cf. FGrH. N° 570), mais elles soulignent aussi la part d’invention de Théocrite (voir infra).
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[32]
Voir aussi Id. I 134 : ? ?? ???? ????????? ??? ?????????? ???????.
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[33]
????????? ?? ???? ??? ?????? ??? ?????????? ???? <???> ???? ???????? ?? ?????????????? ??? ???????? ?????????? ??? ???????, ??????? ? ?????? ??????????.
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[34]
Note ad v. 83 f, p. 153.
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[35]
Note ad v. 78, ??? ???????, p. 152.
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[36]
Je cite en grec pour mieux montrer les jeux de reprises.
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[37]
Dans l’article cité à la note 5.
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[38]
Les scholies ignorent déjà de quoi il est question ; Gow suppose qu’il s’agit d’un cru de Cos ; Bowie (p. 75) suggère un rapprochement avec les ??????? des v. 8 et 136, qui en ferait une sorte de vin bucolique.
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[39]
Sauf à supposer, comme Bowie, que ?????????? vient ici de ???????, « faire la cour » ; mais on comprend mal, dans cette hypothèse, l’emploi du parfait, qui, de surcroît, ne paraît guère attesté.
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[40]
Là encore on peut trouver un précédent éolien dans le très beau poème 94 (Lobel-Page) de Sappho, où, au moment du départ, elle rappelle à l’aimée les moments heureux passés ensemble au banquet.
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[41]
I, 1-3 (dits par Thyrsis) : ??? ?? ?? ????????? ??? ? ?????, ??????, ???? | ? ???? ???? ??????? ??????????, ??? ?? ??? ?? | ????????? et reprise aux v. 7-8 par le chevrier : ?????, ? ??????, ?? ???? ????? ? ?? ??????? | ???? ??? ??? ?????? ???????????? ?????? ????.
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[42]
C’est aussi l’effet du chant des Muses sur Zeus, Theog. 34-35 (???????? ???????? ????? ???? ????? ???????) et, dans la suite de la scholie citée supra n. 6, la caractéristique de la bucolique, liée au style bas : ??? ???? ?? ???? ?? ????, ?? ??? ???????? ??? ?????????? ???? ? ???????, ??????? ???? ???? ?? ???????? ?????????? ???? ??? ???? ??????????????? ????????? ?? ?? ???? ????? ??? ????????? ??? ????????.
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[43]
On peut noter que, dans la poésie épique, la deuxième personne est réservée aux Muses, dont le poète est l’interlocuteur privilégié : voir C. Calame, Le récit en Grèce ancienne : énonciations et représentations de poètes, Paris, Klincksieck, 1986.
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[44]
Dans les sonorités mêmes, les noms de Lycidas et Comatas se répondent, comme Daphnis et Thyrsis dans la première Idylle.
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[45]
Il est notable que Lycidas ne se donne pas figure de poète, pas plus que Simichidas ne chantera ses propres amours.
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[46]
Je rends ainsi, par une traduction un peu lointaine, mais qui me semble suggérer le jeu de séduction, ? ????? ????????? (132), où l’adjectif, traditionnel dans l’éloge de l’éromène, et le diminutif du nom donnent une tonalité amoureuse.
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[47]
Contra, E. Bowie, « Frame and framed in Theocritus Poems 6 and 7 », in M. A. Harder, R. F. Regtuit et G. C. Wakker (edd.), Theocritus (Hellenistica Groningana II), Groningen, 1996, p. 98 : « When the narrator starts to describe the Thalysia that Lycidas’ party anticipates, it is natural for a reader, primed by two songs of love, to ask whether this party too celebrates an erotic victory. I suggest that the change in description … tells the reader, subtly, but adequately, that Simichidas exploits the locus amoenus to woo Amyntas. » L’indication est tellement subtile qu’elle reste totalement dans le non-dit ; en outre cette interprétation donne au thème amoureux une importance qu’il n’a pas dans le banquet de Lycidas, d’où il disparaît après la mention de Daphnis – même si l’on suppose, toujours avec Bowie, qu’en réalité Agéanax est présent (voir supra, n. 39).
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[48]
70 : ?????? ?? ????????? ??? ?? ????? ?????? ??????? / 147 : ????????? ?? ????? ???????? ?????? ???????.
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[49]
Article cité n. 21, p. 58 sqq.
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[50]
Qu’ils participent d’une réflexion de Virgile sur sa poésie ou soient révélateurs d’une certaine forme de sensibilité constante chez lui. Voir, sur ce point, J. Hubaux, Le réalisme dans les Bucoliques de Virgile, Bull. de la Fac. de philologie et lettres de Liège, 1927, 82 sqq. – lequel affirme, à tort à mon avis, qu’il y aurait stricte séparation chez Théocrite entre le pastoral et l’agricole.
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[51]
XVI 104-9 ; les mêmes déesses sont invoquées au début de l’Olympique 14 ; Pythique 2 et Olympique 4 s’achèvent sur un vœu du poète.
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[52]
Dont la violence n’est pas évoquée sans quelque humour, le bombardement avec des montagnes au pluriel grossissant la description d’Od. IX 481, où il arrache seulement le sommet d’un mont.
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[53]
Commentary, note ad v. 148, p. 168.
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[54]
Note ad loc. dans la CUF (Bucoliques grecs, t. I, p. 14).
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[55]
Ce que marque bien le jeu des temps : alors que toute la description était à l’imparfait, qui recréait la scène dans sa durée, l’action des Nymphes est rappelée à l’aoriste (????????????) ; le sens exact de cet hapax est discuté.
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[56]
Voir l’article de E. Bowie cité n. 5 et, pour l’influence de l’épigramme, F. Lasserre, « Aux origines de l’Anthologie II : Les Thalysies de Théocrite », Rh.M. 102, 1959, p. 307-330.
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[57]
Et cette figuration est elle-même plus que problématique chez Théocrite.
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[58]
Les enfants d’Alexandre, p. 132 : je compte montrer ailleurs comment la composition circulaire est exploitée par Théocrite pour créer cette bulle ; l’Idylle I infra en donnera déjà un exemple.
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[59]
Ibid., p. 40 (c’est moi qui souligne).
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[60]
Églogues étudiées par C. Fantazzi, « Virgilian Pastoral and Roman Love Poetry », AJPh 87, 1966, p. 279-308.
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[61]
Scholia, à I, b, p. 23: ???? ????? ??????????? ??? ?? ??????????? ??? ???????????? ??? ????? ?????? ???????????.
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[62]
Il y a en outre trois refrains successifs : ce qui peut suggérer une transposition de la forme lyrique, strophe-antistrophe-épode, mais qui détache aussi trois parties dans le chant, comme il y a trois scènes sur la coupe.
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[63]
Sur ce point la différence est nette avec les relations établies entre Lycidas et Comatas dans les Thalysies.
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[64]
Je rends ainsi le démonstratif qui marque l’éloignement et que Théocrite juxtapose au présentatif de la première personne : ?????? ???? ??? ????? ? ??? ???? ??? ???????.
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[65]
Et, une nouvelle fois, Daphnis est en tête de vers – au prix cette fois d’une anticipation syntaxique : ?????? ???? ??????? …
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[66]
Ce point aussi mériterait réflexion : dans la poésie alexandrine, c’est Daphnis qui laisse son instrument au dieu, et non l’inverse.
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[67]
L’Églogue VIII, elle aussi, présente un récital ; après le chant de Damon, inspiré de notre Idylle, la transition vers le second chant, inspiré des Magiciennes, invoque les Muses : Haec Damon. Vos, quae responderit Alphesibœus, / Dicite, Pierides ; non omnia possumus omnes (63-64), et le chant s’achève avec le dernier refrain d’Alphésibée, modifié pour dire le retour de l’aimé (Parcite, ab urbe venit, jam parcite, carmina, Daphnis). Dans l’Églogue X, si l’on a quelques ultimes vers pour marquer le départ (75-77), l’adresse aux Muses les précède et redit l’amor du poète pour Gallus (70-74).
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[68]
Égl. V 33-39 ; le même vœu est repris par contre par Damon (VIII 52-57).
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[69]
29-31 : voir sur ces questions botaniques, l’étude de S. Amigues, « De la botanique à la poésie dans les Idylles de Théocrite », R.E.G.109, 1996, p. 486-487.
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[70]
Ce qui n’empêche pas le détail de correspondre aussi à la réalité du traitement du bois, qu’on enduisait de cire pour éviter la détérioration des parois par les liquides.
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[71]
Voir Il XVIII 498 et 506.
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[72]
Avec une même tournure au v. 215, où la figure « a l’air de quelqu’un qui va jeter un filet ».
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[73]
Ils figurent dans des titres de Sophron.
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[74]
U. Ott, Die Kunst des Gegensatzes in Theokrits Hirtengedichten (Spudasmata 22), Hildesheim, 1969, 133-135, y voit trois frustra comiques, qu’il oppose au frustra tragique de Daphnis ; S. Amigues (dans l’article cité n. 69) suggère une inversion qui fait réussir ce qui devrait échouer et échouer ce qu’on s’attendrait à voir réussir.
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[75]
« “Since Daphnis dies”. The Meaning of Theocritus’ First Idyll », MH 31, 1974, p. 1-22.
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[76]
Ce qu’elle est, me semble-t-il, pour Virgile et la plupart des poètes latins.
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[77]
Comme y insiste le dernier vers de cette brève pièce (46) : ???? ??? ????????, ????????? ?? ????????.
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[78]
C’est ce que propose H. Bernsdorff « Polyphem und Daphnis. Zu Theokrits 6. Idyll », Philologus 138, 1994, p. 38-51.
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[79]
On en pourrait dire de même pour le chevrier Comatas de l’Idylle V, qui a en commun avec le divin Comatas d’avoir un maître brutal (comparer V 118-19 et VII 78-79) et, sinon d’être de façon évidente un poète hors pair, du moins de gagner le concours avec Lacon.