La pensée de Heidegger donne-t-elle lieu pour un autre : un autre Dasein, un autre Mortel, ou quel qu’en soit le nom ?
On sait que la question du sens de l’être saisit le Dasein singulier et essentiellement solitaire. Même si, en principe, la solitude est une modification de l’être-avec… (Mitsein), celui-ci ne se présente en fait que depuis le Dasein comme lieu de la question de l’être, dont la solitude marque toute l’interrogation heideggérienne de l’être humain. La question de l’autre ou, pour déplacer légèrement le contexte, celle de la reconnaissance, continue cependant d’être si pressante que l’on est porté à guetter les indices d’une possible présence de l’autre Dasein chez Heidegger – chez qui l’on est pourtant contraint de parcourir des pistes marginales pour comprendre comment l’autre pourrait participer à la constitution du Dasein propre. Par-delà un souci éthico-politique, cette interrogation concerne la question même de l’être. Car, en dernière instance, peut-on questionner seul ? Ou la pensée de l’être présuppose-t-elle au contraire un être-avec… authentique, à savoir un rassemblement des Dasein ou des Mortels qui ne dégénère pas aussitôt en une fusion indistincte (tel le « peuple ») mais fait voir leurs différences, et leur différend ? Telle est la question que je me propose d’examiner dans cet article.
Afin de faire voir ce que peut être, chez Heidegger, le rapport entre le Dasein et l’autre Dasein – rapport dont le nom désormais classique est la reconnaissance –, j’examinerai tout d’abord celui qui de prime abor…