Scheler, remarque Gurvitch, « est arrivé à des résultats qui nous semblent présenter de véritables acquisitions, acquisitions très importantes pour la philosophie contemporaine. Ainsi en est-il de sa critique du formalisme kantien […] qui, poursuit-il, est « d’une importance et d’une valeur primordiales ». En effet, au cœur d’une époque où l’Allemagne philosophique est plus que jamais féconde, la pensée schelerienne apparaît à beaucoup comme l’une des premières à avoir véritablement « fait ombre à la gloire de Kant » tout en restant sur son terrain. Sans pour autant souscrire à la philosophie du soupçon, il s’écartera définitivement du schéma rationaliste en vigueur depuis l’avènement du cogito cartésien, dont il reconnaît certes la puissance, mais qu’il n’hésite pas à tenir pour un véritable « tissu d’erreurs du point de vue de son contenu philosophique ». Le rationalisme cartésien, dont Kant compte « parmi les héritiers », trouvera sa forme la plus pénétrante, et de surcroît la plus erronée, dans l’apogée du Je transcendantal, « seul capable d’opérer l’unité synthétique dans le divers de l’intuition ». Pour Scheler, l’idée « qui fait du donné un chaos de sensations qu’il faudrait nécessairement commencer par “informer” au moyen de fonctions » transcendantales est tout à fait « mythologique ».
Nombreux sont les commentateurs à avoir déployé dans ses moindres replis le travail philosophique par lequel celui-ci entend se débarrasser du transcendantalisme synthétique. Nous voudrions aujourd’hui tenter de déplacer le problème et renouveler le questionnement par une nouvelle hypothèse…