313. La possibilité de résoudre la tâche que nous nous sommes fixée, l’Antiquité l’a déjà niée à plusieurs reprises. Que tout coule, c’était la théorie bien connue d’Héraclite, dont nous ne pouvons pourtant pas tout à fait comprendre le sens. Qu’on la saisisse sur le ton semi-élégiaque d’une plainte concernant la rapidité du changement, c’est ce que montre le surenchérissement de la maxime héraclitéenne : pas deux fois on ne traverse le même fleuve ; on ne le peut pas même une seule fois. Mais à l’encontre de cette indication intuitive de la brièveté, l’expérience la plus ordinaire aurait aussi avancé des exemples de durée incalculable ; un esprit philosophique ne pourrait avoir généralisé de la sorte les premiers exemples que s’il avait démontré, contre toute apparence, que les seconds ne font eux aussi que voiler un lent changement, mais ne lui sont jamais soumis. Nous ne savons pas dans quelle mesure cela s’est produit, ni si cette spéculation est passée sans faire attention à côté du fait que la vitesse différente du changement, précisément, introduit pourtant à nouveau dans le jeu des apparitions une opposition qu’il faut mettre à profit de manière féconde entre ce qui est relativement fixe et ce qui est plutôt éphémère. En outre, le fait que rien ne résiste complètement à une action modifiante venue de l’extérieur, donc que tout peut être modifié, est une conviction qui doit être puisée trop facilement dans la vie pour qu’une philosophie ait besoin de la découvrir ; cependant, il reste douteux de savoir dans quelle mesure Héraclite a par ailleurs enseigné une modification de toutes choses découlant de raisons internes – qui n’est pas motivée du dehors – comme un fait seulement, ou s’il a par contre considéré comme impossible que le mouvement constant soit la condition de possibilité de tout être naturel, de l’équilibre en suspens et du permanent…