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Article de revue

Notes de lecture

Pages 94 à 96

Françoise Dastur, Heidegger et la question anthropologique, Bibliothèque philosophique de Louvain, Editions Peeters, Louvain-Paris, 2003, 120 pages

1Spécialiste reconnu de l’œuvre de Heidegger, Françoise Dastur nous propose le texte des six conférences qu’elle prononça au cours de l’automne 2000 à l’Université Catholique de Louvain la Neuve.

2Ce livre peut, en un sens, être lu comme une introduction à la pensée de Heidegger permettant d’aborder différents aspects de son œuvre. Aussi, tandis que le premier chapitre s’attache à expliciter la relation du Dasein à sa propre mort en se fondant essentiellement sur Sein und Zeit, le deuxième envisage à partir de Kant et le problème de la métaphysique, la question de la finitude comprise comme « besoin de compréhension de l’être qui se manifeste comme Dasein » (p. 46). Les derniers chapitres, pour leur part, se tournent vers des textes plus tardifs de Heidegger, et interrogent les notions de monde et de langage. Il va de soi, cependant, qu’il ne saurait être question de découper l’œuvre, et d’opposer à un premier, un deuxième voire un troisième Heidegger. Fr. Dastur s’attache au contraire à souligner la profonde continuité du cheminement de Heidegger. De ce point de vue, conformément à son auto-interprétation, la pensée heideggérienne connaît bien un tournant (Kehre) « mais non pas une brusque interruption l’obligeant à trouver un autre point de départ » (p. 103). C’est ce que montre en particulier Fr. Dastur dans son dernier chapitre, lorsqu’elle se demande si le thème fondamental de Heidegger est « langage et être » plutôt que « être et temps », et qu’elle indique le chemin menant de l’un à l’autre.

3Mais, comme le précise son titre, cet ouvrage se propose d’interroger la possibilité d’une anthropologie philosophique à partir de Heidegger. Nul ne songe naturellement à répéter ici le contresens anthropologique de la première réception de Heidegger en France. Fr. Dastur nous invite au contraire à comprendre comment l’analytique existentiale confère à l’anthropologie le fondement ontologique qui doit être le sien, en partant de ce mode d’être tout à fait spécifique du Dasein, qui sépare radicalement l’homme des animaux. En outre, Fr. Dastur rappelle utilement ­ aux lecteurs de Binswanger entre autres ­ que l’incomplétude de cette même analytique ne saurait lui être reprochée comme un défaut. Si Sein und Zeit ne s’attache pas à l’explicitation de la totalité des structures de l’être du Dasein, c’est que par principe, Heidegger s’y limite « à l’explicitation des seuls existentiaux servant directement à l’élaboration de la question de l’être » (p. 13). Ainsi Fr. Dastur envisage la possibilité d’un achèvement de l’analytique existentiale dans la perspective d’une anthropologie non métaphysique. Il s’agit alors d’envisager une autre anthropologie que celle qui correspond, pour Heidegger, à la métaphysique achevée. Une telle anthropologie exigerait à proprement parler non pas le dépassement (Überwindung) de la métaphysique mais bien plutôt, comme le soulignait déjà Jean Grondin, son assomption (Verwindung), la compréhension de sa vérité.

4Philippe Cabestan

Quine, Du point de vue logique, trad. sous la direction de S. Laugier, Vrin, 2004

5La parution chez Vrin de la traduction des articles de Quine recueillis dans Du point de vue logique sous la direction de Sandra Laugier est un événement philosophique important. Ce volume regroupe en effet des articles précoces de l’œuvre de Quine, mais qui comptent néanmoins parmi ses chef-d’œuvres les moins contestables, et qui jouent de plus un rôle charnière dans le développement de son œuvre.

6Ainsi, l’article intitulé « Les deux dogmes de l’empirisme » approfondit-il la critique de la conception carnapienne de l’analyticité amorcée par « Truth by convention » dès 1935, tout en préfigurant, par le travail de sape des concepts fondamentaux de la sémantique qui s’y trouve accompli, le grand œuvre de 1960, Le mot et la chose. De même, « De ce qui est » développe-t-il la conception des relations entre quantification et engagement ontologique présentée pour la première fois à la fin des années 1930, tout en anticipant sur la théorie de la réification et du discours objectif qui sera au cœur de La relativité de l’ontologie et autres essais.

7Le titre et la référence à la logique ne doivent pas tromper le lecteur. Certes, deux essais importants portent directement sur des questions de logique. L’essai V, « Nouveaux fondements pour la logique mathématique », présente une axiomatisation des mathématiques alternative à celle de Principia Mathematica, tandis que l’essai VIII, « Référence et modalité », articule une critique dévastatrice de la logique modale quantificationnelle, qui reste débattue aujourd’hui encore.

8Néanmoins, le fil conducteur du volume, qui comporte une remarquable unité stylistique et thématique, n’est pas la logique en elle-même, mais plutôt sa pertinence pour l’enquête philosophique. Philosopher « du point de vue logique » n’implique pas d’adopter un point de vue fondationnel sur les questions discutées, mais bien plutôt de choisir une voie d’accès particulière à ces questions, en explorant systématiquement les perspectives nouvelles ouvertes par la logique contemporaine. Deux grands problèmes sont ainsi abordés « d’un point de vue logique », mais surtout de façon particulièrement originale : le problème des relations entre le discours et l’être, et le problème de la nature des significations. Pour ce qui concerne le premier problème, l’apport de Quine réside dans sa formulation d’un critère d’engagement ontologique, qui permet de répondre de façon précise à la question de savoir si un locuteur reconnaît ou non l’existence d’un type d’objet. Ce critère, Quine le trouve non dans la nomination mais dans la quantification existentielle. Pour qu’une formule quantifiée ?×?× soit vraie ; il est en effet nécessaire qu’il y ait un objet satisfaisant la condition exprimée par ? dans le domaine de discours. Dernière la technicité apparente de la théorie de la quantification, l’idée de Quine est remarquablement simple : un locuteur est engagé ontologiquement vis-à-vis des entités dont il est prêt à affirmer explicitement l’existence. Quant au second problème, Quine esquisse un scepticisme qui trouvera son aboutissement quelques années plus tard dans Le mot et la chose. Il lui paraît évident dès cette période qu’une théorie de la signification, pour être viable, doit partir des usages des mots. Pour pouvoir identifier deux significations, il faut que les usages correspondants soient indiscernables. Or, il n’existe aucun critère non circulaire qui permettrait d’arriver à une certitude à ce sujet. En particulier, le fait que deux mots soient utilisés dans les mêmes circonstances observables ne constitue pas une raison suffisante pour identifier leurs significations, puisqu’il arrive que des mots possédant des sens très différents se trouvent, dans les faits, appliqués exactement aux mêmes objets. Sept ans plus tard, cette constatation, constituera le point de départ de l’argument de l’indétermination de la traduction.

9Soulignons pour conclure la grande qualité d’ensemble des traductions proposées. La réussite apparaît d’autant plus remarquable que la tâche était ardue : l’anglais de Quine est ici d’une richesse et d’une précision redoutable, que Sandra Laugier et l’équipe qu’elle a réunie ont réussi à rendre de façon très fidèle, sans rien sacrifier pourtant à la lisibilité.

10Pascal Ludwig


Date de mise en ligne : 01/12/2011.

https://doi.org/10.3917/philo.082.0094

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