Dans une suite de textes percutants parus au cours des vingt dernières années, Jean-Luc Marion propose d’étendre la phénoménologie jusqu’aux limites de sa plus haute possibilité, jusqu’à la possibilité d’un « impossible » que les « conditions de possibilité » imposées par la modernité et l’onto-théologie déclarent interdit d’accès. Il propose une phénoménologie radicale de la donation saturante, d’un événement – ou de la possibilité d’un événement – d’un éclat aveuglant, donné sans être, qui nous advient par delà la compréhension. La « déconstruction », si tant est que Jean-Luc Marion peut utiliser ce terme, joue un rôle propédeutique qui consiste à briser les contraintes et les préconditions conceptuelles imposées par la métaphysique, à démanteler les entraves onto-théologiques qui bloquent la donation débordante.
Derrida, non moins séduit par l’impossible que Marion, se méfie d’une telle donation saturante. Pour Derrida, l’impossible n’est jamais donné, il est toujours différé. La déconstruction répond au désir d’un imprévisible quelque chose ; de quelque chose qui est à venir et pour lequel nous pleurons et prions. La déconstruction est désir d’un Messie qui n’(ap)paraît jamais, d’un esprit subtil ou spectre que les lumières crues de la réalité anéantiraient. L’impossibilité structurelle de son étant donné, pour reprendre l’heureuse expression de Marion, est précisément ce qui rend ce Messie possible, ce qui nourrit notre désir et maintient le futur ouvert. Cette impossibilité ne représente pas le désespoir de la déconstruction ; ce n’est pas une fin mais un commencement, ca…