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Article de revue

Le climat va-t-il changer le capitalisme ? de Jacques Mistral (dir.). Le climat, à quel prix ? de Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon

Pages 184 à 186

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LE CLIMAT VA-T-IL CHANGER LE CAPITALISME ? LA GRANDE MUTATION DU XXIe SIÈCLE

Sous la direction de Jacques Mistral, Paris, Eyrolles, 2015, 270 pages

LE CLIMAT, À QUEL PRIX ? LA NÉGOCIATION CLIMATIQUE

Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon, Paris, Odile Jacob, 2015, 152 pages

1 Engagées voici plus de 25 ans, les négociations internationales sur le changement climatique poursuivent inlassablement un même objectif : coordonner les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 196 pays et empêcher ainsi toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. En dépit de la clarté de ce mandat et d’un large consensus sur la nécessité d’agir au plus vite, c’est sur la question des modalités d’action que les négociateurs restent divisés. La problématique est pourtant bien connue. Archétype du bien public mondial, le climat est en péril car chacun a intérêt à jouer au passager clandestin, retardant ses propres efforts dans l’espoir de percevoir les bénéfices des actions initiées par les plus allants. Pour corriger cette défaillance du marché, les économistes formulent un appel quasi unanime à donner un prix aux dommages causés par les émissions.

2 La science économique joue ici pleinement son rôle en orientant les décideurs vers l’option qui minimiserait le coût total pour la collectivité. Pourtant, la tarification universelle du carbone est encore une réalité lointaine, les gouvernements privilégiant jusqu’ici des initiatives fragmentées et globalement insuffisantes pour infléchir la trajectoire des émissions de GES. À l’heure de la COP21, il faut donc que l’économie pure laisse place à l’économie politique. Le rôle des économistes n’est alors plus seulement de dessiner les contours d’un modèle optimal de coopération internationale mais de trouver enfin les arguments pratiques qui permettront de vaincre toutes les réticences. Dans cette quête de réalisme, l’ouvrage dirigé par Jacques Mistral, Le climat va-t-il changer le capitalisme ?, ainsi que celui de Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon, Le climat, à quel prix ?, nous offrent des pistes de réflexion particulièrement bienvenues. Alors que le premier explore les mutations économiques, politiques et géopolitiques que la protection du climat est susceptible d’enclencher, le second aborde la question climatique sous un angle plus resserré, se focalisant sur la COP21 et donnant à son lecteur les clés de compréhension de la négociation en cours.

3 Pour donner la mesure de ce qui est en jeu, Jacques Mistral ouvre son propos par une comparaison audacieuse : le défi climatique devrait induire un changement aussi profond que celui qui avait vu le capitalisme concurrentiel du xix e siècle se muer en capitalisme institutionnalisé au xx e siècle. C’est une nouvelle « grande transformation » qui va s’opérer, dès lors que les acteurs de la vie économique intègreront la contrainte climatique dans leur prise de décision. La retranscription d’un entretien avec l’historien Geoffrey Parker vient d’ailleurs nous rappeler que l’évolution du climat n’a jamais été une variable anecdotique, comme en atteste la concomitance du « petit âge glaciaire » avec les épisodes de guerres, d’épidémies et de famines qui ont ravagé le monde au xvii e siècle. Ce prélude historique est une très bonne illustration de ce qui fait la singularité et l’intérêt de cet ouvrage collectif, à savoir la mobilisation d’auteurs de grande renommée dans des domaines très divers, permettant au lecteur de parfaitement saisir l’ampleur des changements en cours.

4 Entrant dans le vif du sujet, les économistes du climat détaillent l’architecture d’un système mondial de régulation du carbone qui serait juste et efficace, mais aussi suffisamment attractif pour dépasser les égoïsmes nationaux. Jean Tirole appelle d’emblée à renoncer aux vœux pieux et à envisager des systèmes de compensation pour faciliter la prise d’initiative par les pays exposés aux coûts d’abattement les plus élevés. Christian de Perthuis et Pierre-André Jouvet défendent eux aussi les mérites de la simplicité, en proposant d’introduire un système de bonus-malus par rapport à un niveau moyen d’émissions par tête, et de compléter ce dispositif par la création d’un marché transcontinental du carbone qui rassemblerait, à son lancement, uniquement les grands émetteurs déjà dotés de systèmes d’échange de quotas. On s’éloigne ici de l’accord idéal pour privilégier la lucidité politique, et finalement accroître nos chances de mettre fin à l’attentisme.

5 Changeant d’échelle, les contributions suivantes se distinguent par leur ancrage dans les réalités économiques contemporaines. C’est un relevé d’expérience qui nous est ici présenté. Jean-Michel Charpin et Raphaël Contamin pointent par exemple les limites de l’influence des marchés carbone, si d’autres facteurs de coûts sont plus structurants, si d’autres mécanismes interfèrent et enfin, surtout, si le devenir de ces marchés est perçu comme incertain. Pareillement, dans son analyse du processus de transition énergétique, Jean-Marie Chevalier observe que les acteurs économiques locaux se révèlent être de puissants vecteurs de changement, notamment parce que les citoyens manifestent l’envie d’agir sur leur environnement direct, mais aussi parce que les technologies rendent possible une participation plus active des consommateurs. Plus loin, c’est le rôle de l’innovation financière qui est souligné par Anton Brender et Pierre Jacquet, puis par Françoise Benhamou et Fabien Hassan. Leur constat est que l’épargne est abondante, mais qu’il faut construire les canaux qui l’orienteront vers la lutte contre le réchauffement. À défaut d’un système de régulation global et centralisé, peut-être faut-il aussi chercher à accompagner ces évolutions sectorielles et à maximiser leurs effets.

6 Un autre grand intérêt de cet ouvrage est de montrer que le défi climatique se pose dans des termes différents selon les régions du monde et les types d’acteurs. Pierre-Noël Giraud rappelle utilement que la transition énergétique n’est acceptable que si elle vient réduire les inégalités entre pays et au sein des pays. Frédéric Gonand, puis Katherine Schubert et Akiko Suwa-Eisenmann insistent sur le caractère hétérogène des pertes économiques liées au réchauffement. Puisque ce sont les pays pauvres qui seront les plus concernés par les bouleversements climatiques, il faut penser la préservation du climat comme un volet de la lutte contre la pauvreté, et tenter de limiter le surcroît de vulnérabilité que causera le réchauffement. Même dans les pays riches et émergents, les attitudes divergent. Alors que les États-Unis se rallient tardivement à la cause climatique, la Chine avance vers un nouveau modèle de croissance moins énergivore, et l’Europe, longtemps à l’avant-garde, peine à rassembler ses forces dans la transition énergétique. À nouveau, on comprend que l’enjeu climatique est partout structurant, mais qu’il appelle toujours des réponses différenciées.

7 Face à un sujet aux ramifications aussi nombreuses, formuler des attentes précises vis-à-vis de la COP21 tourne vite au casse-tête. C’est donc, avant tout, un projet didactique qu’entendent mener Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon dans leur ouvrage Le climat, à quel prix ? Remarquable de clarté et de précision, cet ouvrage se veut une sorte de manuel à l’usage de quiconque voudrait pouvoir juger en connaissance de cause de la réussite ou de l’échec de cette grande conférence.

8 Aucune question n’est laissée de côté, pas même la plus fondamentale qui est de savoir si nous avons bien intérêt à faire tous les efforts qui nous sont prescrits. Après avoir exposé l’état des connaissances sur la réalité du changement climatique et son lien avec les émissions de GES issues des activités humaines, les auteurs comparent deux hypothèses, une première qui donne raison au Groupe intergouvernemental d’études sur le climat (GIEC), et une seconde qui donne raison aux climato-sceptiques. En mobilisant les outils de l’analyse économique, ils nous enjoignent de minimiser le coût de l’erreur et donc de réduire les émissions de GES dans une logique assurancielle. Les auteurs se refusent aux idées préconçues jusque dans les dernières pages où ils explorent une nouvelle hypothèse, celle que la COP21 ne débouche finalement sur rien. Là encore, c’est pour mieux convaincre le lecteur de l’intérêt d’une solution négociée.

9 Entre ces deux questions clés, l’ouvrage offre des clarifications opportunes sur les grandes étapes de la négociation depuis la signature de la Convention de Rio en 1992, détaillant les principes clés des différents textes et dressant un bilan de l’efficacité des dispositifs introduits au fil des conférences. C’est au terme de ce bref historique que l’on comprend ce qu’il faut absolument corriger lors de la COP21, et quelles sont les marges de manœuvre.

10 Comme dans la contribution à l’ouvrage collectif présenté plus haut, Christian de Perthuis et Raphaël Trotignon préconisent un retour aux réalités pratiques. Ils évoquent bien le monde idéal des économistes et décrivent le fonctionnement des différentes variantes de la tarification du carbone, du système d’échange de quotas à la taxe carbone : mais c’est aussi pour souligner leurs difficultés d’application. De leur propre aveu, les économistes ne sont utiles que si leurs propositions ont une certaine probabilité d’être mises en œuvre. Leur conclusion est qu’il faut se concentrer sur l’essentiel, et en particulier le suivi des émissions, les gages de financement et la coalition de pays volontaires pour faire émerger un prix international du carbone.

11 Subsiste toutefois une question majeure : n’est-il pas déjà trop tard pour que les négociateurs prêtent une oreille attentive aux recommandations des économistes, même si ces derniers font preuve aujourd’hui d’un grand réalisme ? Avec un agenda de négociation qui s’est considérablement alourdi, la COP21 pourrait bien s’arrêter à mi-chemin, ouvrant le chantier de la transition vers l’économie bas-carbone avec un empilement d’engagements sur des fronts multiples, mais sans schéma directeur. Ce serait alors aux acteurs de la vie économique de juger si l’ensemble est crédible et justifie qu’ils se mettent eux-mêmes en ordre de marche. Dans cet exercice de décryptage, la lecture de ces deux ouvrages n’apportera pas de solution clé en main, mais un précieux cadre de pensée.


Date de mise en ligne : 09/12/2015

https://doi.org/10.3917/pe.154.0184

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