Couverture de PE_152

Article de revue

Le concept de risque pays

Pages 161 à 172

Notes

  • [1]
    R. Sylla, « A Historical Primer on the Business of Credit Rating », in R. Levich, G. Majnoni et C. Reinhart (dir.), Ratings, Rating Agencies and the Global Financial System, Boston, Kluwer Academic Publishers, 2002.
  • [2]
    F.R. Dahl, « International Operations of U.S. Banks: Growth and Public Policy Implications », Law and Contemporary Problems, vol. 32, n° 1, 1967.
  • [3]
    V. McKay, « Needs and Opportunities in Africa », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 268, n° 1, 1950 ; et M.D. Wattles, « A Note on the Investment Climate in Venezuela », The American Journal of Economics and Sociology, vol. 15, n° 2, 1956.
  • [4]
    N.M. Littell, « The International Investment of Private Capital – Opportunities and Problems. Legal Incentives for Private Investments Abroad », Virginia Law Review, vol. 40, n° 8, 1954.
  • [5]
    S.J. Rubin, « Nationalization and Private Foreign Investment: The Role of Government », World Politics, vol. 2, n° 4, 1950 ; et L. Focsaneanu, « Les conséquences internationales des nationalisations », Politique étrangère, vol. 18, n° 1, 1953.
  • [6]
    En 1959, Cuba absorbait 12 % de l’ensemble des investissements directs américains en Amérique latine (calculs de l’auteur fondés sur L.L. Johnson, « U.S. Business Interests in Cuba and the Rise of Castro », World Politics, vol. 17, n° 3, 1965).
  • [7]
    D. Marx, « The United States Enters Export Credit Guarantee Competition », Political Science Quarterly, vol. 78, n° 2, 1963.
  • [8]
    Voir en particulier F.R. Root, « The Expropriation Experience of American Companies: What happened to 38 Companies », Business Horizons, vol. 11, n° 2, 1968 ; J.F. Truitt, « Expropriation of Foreign Investment: Summary of the Post World War II Experience of American and British Investors in the Less Developed Countries », Journal of International Business Studies, vol. 1, n° 2, 1970 ; et S.H. Robock, « Political Risk: Identification and Assessment », Columbia Journal of World Business, vol. 6, n° 4, 1971.
  • [9]
    Calculs de l’auteur fondés sur les données de la Banque mondiale et sur A. Crittenden, « Over extensions Possible; U.S. Bank Loans Abroad Stirring Concern », The New York Times, 15 janvier 1976.
  • [10]
    C. Stabler, « U.S. Banks’ Foreign Activities Will Face More Federal Control, Officials Predict », Wall Street Journal, 9 avril 1975.
  • [11]
    H.C. Wallich, « Statement Before the Subcommittee on Financial Institutions Supervision, Regulation and Insurance of the Committee on Banking, Finance and Urban Affairs of the U.S. House of Representatives », Washington D.C., 23 mars 1977.
  • [12]
    « Banker Sees No Danger of Default by Developing Nations on Loans », The New York Times, 7 avril 1977.
  • [13]
    H. van B. Cleveland et W.H.B. Brittain, « Debt and the Banks: Are the LDCs in over Their Heads? », Foreign Affairs, vol. 55, n° 4, 1977.
  • [14]
    Voir J. Eaton, M. Gersovitz et J.E. Stiglitz, « The Pure Theory of Country Risk », European Economic Review: International Seminar on Macroeconomics, vol. 30, n°3, 1986 ; et J.-C. Cosset et J. Roy, « The Determinants of Country Risk Ratings », Journal of International Business Studies, vol. 22, n° 1, 1991.
  • [15]
    R.C. Longworth, « Credit Risk of Nations is Listed », Chicago Tribune, 17 octobre 1979 ; et H.D. Shapiro, « 10th Anniversary Survey – A Modest Upstick », Institutional Investor, septembre 1989, p. 301-305.
  • [16]
    N. Gaillard, A Century of Sovereign Ratings, New York, Springer, 2011.
  • [17]
    Données de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED).
  • [18]
    M.S. Minor, « The Demise of Expropriation as an Instrument of LDC Policy, 1980-1992 », Journal of International Business Studies, vol. 25, n° 1, 1994 ; et D. Kaufmann, A. Kraay et P. Zoido-Lobatón, « Governance Matters », The World Bank, Policy Research Working Paper Series, n° 2196, 1999.
  • [19]
    C. Reinhart, K.S. Rogoff et M.A. Savastano, « Debt Intolerance », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 2003-1, 2003.
  • [20]
    Coface, « Panorama », avril 2013.
  • [21]
    N. Gaillard, When Sovereigns Go Bankrupt, New York, Springer, 2014.
  • [22]
    World Bank, « Zambia – What Would it Take for Zambia’s Copper Mining Industry to achieve its Potential? », Report n° 62 378-ZM, Finance & Private Sector Development Unit, Africa Region, juin 2011.
  • [23]
    World Trade Organization, « China – Measures Imposing Anti-Dumping Duties on High-Performance Stainless Steel Seamless Tubes (“HP-SSST”) from Japan », Dispute Settlement, Dispute DS454, 13 février 2015.
  • [24]
    J.P. Doh, P. Rodriguez, K. Uhlenbruck, J. Collins et L. Eden, « Coping with Corruption in Foreign Markets », Academy of Management Executive, vol. 17, n° 3, 2003.
  • [25]
    Rapport annuel 2013-2014, Rémy Cointreau, 2014.
  • [26]
    Voir E. Broughton, « The Bhopal disaster and its aftermath: a review », Environmental Health: A Global Access Science Source, vol. 4, n° 6, 2005 ; et <http://www.unioncarbide.com/History>.
  • [27]
    R.M. Locke, « The Promise and Perils of Globalization: The Case of Nike », MIT Working Paper IPC-02-007, juillet 2002.
  • [28]
    N. Gaillard, « What Is the Value of Sovereign Ratings? », German Economic Review, vol. 15, n° 1, 2014, et « Le lancinant problème de l’insolvabilité des États », Politique étrangère, vol. 79, été 2014.
  • [29]
    Classification de l’auteur à partir de plusieurs travaux. Se reporter à B. Keizer, « La gestion des risques dans les banques », Revue d’économie financière, n° 27, 1993 ; J.N. Allan, P.M. Booth, R.J. Verrall et D.E.P. Walsh, « The Management of Risks in Banking », British Actuarial Journal, vol. 4, n° 4, 1998 ; N. Meunier et T. Sollogoub, Économie du risque pays, Paris, collection « Repères », La Découverte, 2005 ; B. Marois et P. Syssau, « Pratiques des banques françaises en termes d’analyse du risque-pays », Revue française de gestion, n° 162, 2006 ; J.R. Barth, G. Caprio Jr. et R. Levine, « Bank Regulation and Supervision in 180 Countries from 1999 to 2011 », Journal of Financial Economic Policy, vol. 5, n° 2, 2013.
  • [30]
    B. Marois et P. Syssau, op. cit.
  • [31]
    Calculs de l’auteur d’après S. Saul, « L’État et l’assurance des risques à l’exportation: la COFACE (1946-1966) », Histoire, économie et société, vol. 21, n° 3, 2002, et <http://www.coface.fr/>.
  • [32]
    GIEC, Changements climatiques 2013 – Les éléments scientifiques, novembre 2014.

1Il a fallu attendre l’essor du capitalisme, le développement des marchés de capitaux et le financement intensif du commerce et de l’industrie après la chute de Napoléon, pour que les grands commerçants et les banquiers disposent d’outils de plus en plus élaborés pour déterminer la solvabilité de leurs clients et de leurs débiteurs.

2En 1841, Lewis Tappan, un homme d’affaires new-yorkais, crée la première agence mercantile. Sa mission est de collecter des informations personnelles, financières et commerciales sur les marchands américains, et de les vendre aux investisseurs. Cette activité connaît un rapide succès et, vers 1900, l’agence de Tappan – devenue entre-temps la Dun Company – possède des données sur près d’un million d’entrepreneurs [1].

3Le tournant du xxe siècle est marqué par une deuxième innovation en matière d’analyse du risque de crédit. Face à l’afflux d’émissions obligataires sur le New York Stock Exchange, le journaliste John Moody décide en 1909 d’attribuer des notes aux emprunteurs afin de mesurer leur solidité financière. Ces notations, qui vont de AAA pour les émetteurs de dette les plus solvables à D pour les plus fragiles, deviendront vite incontournables.

4À partir des années 1950, la libéralisation du commerce international et la décolonisation stimulent les investissements directs étrangers (IDE) et accroissent l’influence des firmes multinationales (FMN). Cette nouvelle impulsion donnée aux échanges économiques et financiers s’accompagne inévitablement de certaines déconvenues pour les investisseurs, et aboutit à la naissance du « risque pays ». C’est ce concept complexe et longtemps insaisissable qu’on entend ici analyser.

Le risque pays : un concept polymorphe

5Il est difficile de dater avec certitude l’apparition de l’expression « risque pays ». Elle a été utilisée dès 1967 par Frederick Dahl – alors directeur assistant de la Division des inspections au Conseil des gouverneurs du Système de la Réserve fédérale américaine – dans un article de recherche traitant des opérations internationales des banques américaines [2]. Cependant, le lecteur avisé notera que les risques identifiés par Dahl (à savoir l’ensemble des menaces que les créanciers et les investisseurs sont susceptibles de rencontrer dans un pays étranger) ont été étudiés dans des travaux de recherche antérieurs. Cela explique que la notion de risque pays ait été si longue à se décanter.

6C’est à partir des années 1950 que fleurissent les articles académiques consacrés aux opportunités d’investissement à l’étranger : les uns recherchent des « cibles » potentielles [3], alors que d’autres examinent le climat des affaires dans divers pays [4]. Dans un contexte d’expansion du communisme, des juristes comme Seymour J. Rubin et Lazar Focsaneanu s’inquiètent, eux, du risque croissant de spoliation encouru par les investisseurs [5] ; les faits vont leur donner raison.

7L’expropriation des entreprises américaines à Cuba en 1960, consécutive au coup d’État de Fidel Castro, constitue un véritable traumatisme pour les businessmen américains [6]. Elle a deux conséquences notables en matière de finance internationale. D’une part, l’US Export-Import Bank décide d’étendre ses programmes d’assurance-crédit à l’exportation en offrant une garantie complète contre le risque politique [7]. D’autre part, des économistes commencent à se pencher très sérieusement sur la question de l’instabilité politique. Diverses études empiriques analysent les épisodes d’expropriation survenus depuis 1945, ou présentent des stratégies efficaces pour que les FMN minimisent un tel risque [8]. Il faut cependant attendre le milieu des années 1970 pour que la notion de risque pays s’impose définitivement dans la littérature économique et les médias. Que s’est-il passé exactement ?

8Entre 1970 et 1975, la dette publique externe des pays à revenus bas et intermédiaires augmente de 140 %. La proportion de cette dette financée par les banques occidentales grimpe de 10 % à 40 % [9]. Cette exposition croissante inquiète les régulateurs américains, qui cherchent à s’assurer que les établissements de crédit ont des niveaux de fond propre adéquats [10]. En 1977, l’expression « risque pays » devient d’usage courant au sein de la communauté financière. En mars, Henry Wallich – membre du Conseil des gouverneurs du Système de la Réserve fédérale américaine – l’emploie à l’occasion d’une déclaration devant le Comité des affaires bancaires, financières et urbaines de la Chambre des Représentants [11]. Quelques jours plus tard, lors d’une interview accordée au New York Times, le vice-président de Citibank assure que seule une minorité des prêts octroyés aux pays les moins développés comporte une dimension risque pays significative [12]. Dans son rapport annuel publié en juin 1977, la Banque des règlements internationaux considère que le risque pays représente un vrai défi pour les banquiers, ajoutant qu’il est indispensable de passer au crible la situation économique et politique d’un pays, ainsi que son niveau d’endettement et sa capacité à dégager des recettes en devises étrangères. Ces préoccupations se retrouvent chez Cleveland et Brittain, qui esquissent une définition du risque pays : il s’agit de la mesure de la solvabilité d’un pays qui dépend de « facteurs intangibles tels que la stabilité politique d’un gouvernement et sa capacité et volonté de détourner des ressources normalement affectées à la consommation courante et à l’investissement pour les affecter au remboursement de la dette externe » [13]. Ici, risque pays est synonyme de risque souverain – c’est-à-dire la probabilité qu’un État n’ait pas la capacité ou la volonté de rembourser sa dette publique. Cette approche restrictive est par la suite adoptée par une partie du monde académique [14], ainsi que par le magazine Institutional Investor, qui établit en septembre 1979 un classement des États en fonction de leur solvabilité [15].

9Le début des années 1980 est caractérisé par une multiplication des publications attribuant des notes risque pays. Citons par exemple International Country Risk Guide (ICRG), Nord-Sud Export et Euromoney. Ces notations ont la particularité d’apprécier non seulement le risque souverain, mais aussi les risques politique, économique et financier, et le climat des affaires. C’est cette acception exhaustive du risque pays qui s’est imposée au sein de la communauté des investisseurs. Plusieurs explications peuvent être avancées.

10 Tout d’abord, les agences de notation sont devenues, à partir de la décennie 1980, les pourvoyeuses de notes souveraines, essentiellement en raison de l’intégration des notes dans les réglementations financières [16]. Cette évolution a logiquement conduit chercheurs et praticiens à désigner sous l’expression « risque pays » l’ensemble des menaces auxquelles les investisseurs sont confrontés, couvrant donc un champ bien plus large que le risque de défaut de paiement d’un émetteur souverain. Ensuite, la reglobalisation des années 1980 et 1990 a stimulé le commerce international et les transactions financières : les IDE sont ainsi passés de 52 milliards de dollars en 1980 à 2 272 milliards de dollars en 2007 [17]. De tels flux offrent des opportunités de rendements élevés, mais peuvent aussi aboutir à des pertes inattendues, rendant le recours aux compagnies d’assurance-crédit et l’usage des notations risque pays incontournables, en particulier pour les entreprises exportatrices et les FMN.

11Les analyses risque pays ont évidemment évolué au cours des dernières décennies. En matière de risque politique, l’expropriation est perçue comme une menace de plus en plus rare, alors que les questions de gouvernance sont désormais jugées prioritaires [18]. Pour ce qui est du risque économique, les ratios de dette publique sur produit intérieur brut (PIB) ou sur recettes budgétaires sont insuffisants pour anticiper les crises de liquidité ou de solvabilité qui ont touché le Mexique, les pays asiatiques, l’Argentine et la Grèce, respectivement en 1994, 1997, 2001 et 2010. C’est pourquoi économistes et analystes financiers s’attachent surtout à déterminer la soutenabilité de la dette publique [19]. La « Grande Récession » de la fin des années 2000 a entraîné la résurgence de deux types de risques économiques bien spécifiques : le protectionnisme rampant et la faiblesse des systèmes bancaires [20].

12Cette analyse de l’évolution du concept de risque pays permet finalement d’en dégager la définition suivante. Le risque pays englobe les risques d’ordre macroéconomique, microéconomique, financier, politique, institutionnel, juridique, social, sanitaire, technologique, industriel et climatique susceptibles d’affecter une FMN, une entreprise exportatrice, ou un investisseur en portefeuille dans un pays étranger. Les dommages peuvent se matérialiser de plusieurs façons : pertes financières ; menace pour la sécurité des employés de la société, pour ses clients ou ses consommateurs ; atteinte portée à la réputation ; menace sur un débouché ou une source d’approvisionnement.

Quelques illustrations du risque pays

Les risques économiques

13Les détenteurs d’obligations d’un État étranger sont essentiellement exposés au risque souverain, qui peut se concrétiser de plusieurs façons : restructuration unilatérale ou négociée de la dette, moratoire, etc. Le défaut de paiement grec de 2012 a, par exemple, abouti à une décote de 53,5 % sur les titres souverains des créanciers privés. Ceux-ci sont également sensibles à l’érosion monétaire (inflation, dévaluation ou dépréciation de la monnaie), dès lors que leurs obligations sont libellées dans la devise de l’État emprunteur [21].

14Les menaces qui planent sur les investisseurs directs sont beaucoup plus nombreuses. Le contrôle des changes et le gel des dépôts sont deux mesures auxquelles un gouvernement peut recourir en cas de fuite de capitaux et de bank run. Ils empêchent les filiales de FMN et de banques de rapatrier des fonds vers leur maison mère, occasionnant des pertes financières substantielles, surtout lorsqu’ils sont le prélude à une dévaluation ou à un défaut de paiement, comme dans le cas de l’Argentine en 2001-2002. Les crises monétaires et financières (semblables à celles qui ont touché la Thaïlande, l’Indonésie, la Malaisie et la Corée du Sud en 1997-1998) sont dangereuses à plusieurs égards : elles dépriment l’activité économique, et provoquent une chute du prix des actifs et une dépréciation de la devise. Quoique moins fréquent, le risque fiscal est bien réel. La Zambie a ainsi considérablement alourdi la fiscalité sur les compagnies exploitant le cuivre en 2008, compromettant la profitabilité de BHP Billiton, première compagnie minière mondiale [22]. Mais les aléas économiques peuvent aussi se traduire par une mise en cause de la réputation d’une entreprise. Ainsi, lorsque la société agroalimentaire Danone découvre en 2007 que son partenaire chinois Wahaha Group siphonne ses profits, elle le poursuit en justice avant d’abandonner la joint-venture.

15Les entreprises exportatrices sont démunies face au ralentissement de la croissance économique dans le pays importateur, et à toute action protectionniste engagée par le gouvernement dudit pays. Les illustrations sont légion. En novembre 2012, la Chine impose des droits de douane sur les importations de tubes sans soudure en acier inoxydable haute performance. Considérant que son voisin viole les règles antidumping et lèse deux de ses fleurons (Nippon Steel et Sumitomo Metal Corp), le Japon porte l’affaire devant l’Organisation mondiale du commerce, et obtient gain de cause en février 2015 [23].

Les risques politiques

16Les porteurs d’obligations souveraines craignent avant tout un changement politique ou institutionnel conduisant à une remise en cause des engagements financiers de l’État. De tels bouleversements ont été plutôt rares au cours des quatre dernières décennies. Signalons le coup d’État militaire de 1980 en Bolivie, avec un nouveau pouvoir optant pour le défaut de paiement, ou encore la décision du président équatorien Rafael Correa de répudier une partie de sa dette publique en 2008, à peine deux ans après son élection.

17 Le risque d’expropriation a longtemps été une préoccupation majeure pour les FMN et les actionnaires étrangers – nous venons d’ailleurs de montrer qu’il est à l’origine même du concept de risque pays. La nationalisation par l’Argentine, en 2012, du groupe pétrolier YPF, jusqu’alors contrôlé par la compagnie espagnole Repsol, a rappelé à la communauté financière que ce risque n’avait toujours pas disparu. En revanche, le fléau terroriste est en pleine résurgence, en particulier en Afrique, comme l’atteste l’attentat à la voiture piégée perpétré en 2013 contre le site minier nigérien d’Arlit, exploité par une filiale d’Areva. Les dommages n’ont pas été ici seulement d’ordre financier : un salarié a trouvé la mort, plusieurs autres ont été blessés, et le groupe nucléaire a craint de perdre une source majeure d’approvisionnement en uranium. Les FMN peuvent également faire les frais de crises diplomatiques impliquant le pays dans lequel elles ont investi. C’est la mésaventure dont Peugeot a été victime en Iran en 2012 : pressé par son second actionnaire de référence, General Motors, de se soumettre aux sanctions américaines contre Téhéran, le constructeur automobile français a dû suspendre ses activités de vente de pièces détachées à l’Iran, perdant ainsi un important marché émergent. Le désengagement d’un pays peut avoir aussi des racines politiques locales. Dans les années 1990, Procter & Gamble a préféré fermer l’une de ses usines Pampers au Nigeria plutôt que de verser des pots-de-vin à un fonctionnaire des douanes [24]

18Les risques politiques que doivent surmonter les exportateurs apparaissent plus réduits, mais pas moins inattendus. Rémy Cointreau, le producteur de liqueurs et spiritueux, a vu son résultat net chuter de 52 % lors de l’exercice 2013-2014 par rapport à l’exercice précédent, en raison de l’effondrement de la consommation de cognac en Chine. Ce retournement brutal du marché était en fait la conséquence directe de la loi anticorruption et anti-ostentation votée par Pékin au printemps 2013 [25], les autorités chinoises considérant que l’achat de cognac était le signe d’une réussite économique douteuse.

Les autres types de risques

19Du fait de son implantation physique à l’étranger, la FMN s’expose à des risques qui épargnent les investisseurs en portefeuille et les sociétés exportatrices. Citons par exemple le risque industriel. La fuite de gaz toxique de Bhopal survenue en 1984 résultait de négligences commises par Union Carbide Corporation (UCC) et sa filiale indienne. Causant la mort de près de 3 800 personnes et déclenchant des maladies graves au sein de la population locale, cette tragédie a durablement terni l’image de marque d’UCC, fragilisé sa situation financière, et précipité son déclin jusqu’à son rachat par Dow Chemical en 2001 [26].

20D’autres risques peuvent impacter à la fois les investisseurs directs et les exportateurs, en compromettant leur réputation et en les déstabilisant financièrement. Le boycott international et le risque sanitaire peuvent être successivement analysés. Au cours de la première moitié des années 1990, un nombre croissant d’articles de presse et de reportages révèlent que les conditions de travail dans les usines Nike de plusieurs pays asiatiques sont déplorables. À partir de 1996, des associations de consommateurs et des syndicats se mobilisent et boycottent la marque d’équipement de sport. L’entreprise finit par réagir en révisant en profondeur ses méthodes de management, ses politiques sociales et son code de bonne conduite [27]. Le risque sanitaire a lui aussi des effets potentiellement ravageurs. En août 2013, la Chine stoppe les importations de poudre de lait en provenance de Nouvelle-Zélande et d’Australie après la découverte dans des produits laitiers d’une bactérie susceptible de provoquer le botulisme. Fonterra, leader néo-zélandais du secteur laitier, est d’abord tenu pour responsable avant d’être disculpé trois semaines plus tard. Les dommages ont été limités mais auraient pu être plus lourds.

L’évaluation du risque pays

21Les risques qui pèsent sur les milieux d’affaires engagés à l’étranger diffèrent substantiellement selon les types d’investissement. Une telle hétérogénéité explique la multiplicité des analyses du risque pays. Quatre d’entre elles seront analysées ici.

Le risque souverain vu par les agences de notation

22Le marché de la notation souveraine est dominé par trois agences : Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s (S & P). Au 1er octobre 2014, elles notaient respectivement 107, 128 et 129 pays. Ces ratings souverains mesurent exclusivement le risque d’insolvabilité d’un État. Au milieu des années 1970, moins de 5 % des émetteurs de dette souverains étaient en défaut de paiement. Ce pourcentage est passé à 30 % en 1990, avant de diminuer durant les deux dernières décennies. Certaines banqueroutes d’État récentes ont néanmoins été très coûteuses pour les créanciers (Russie en 1998, Argentine en 2001, Grèce en 2012).

23Les méthodologies de notation souveraine reposent traditionnellement sur un petit nombre d’indicateurs : le ratio PIB par habitant, le ratio dette publique sur recettes budgétaires ou sur PIB, le taux d’inflation, l’historique des incidents de paiement, et la qualité des institutions. Ces indicateurs n’ont cependant pas permis de prévoir la crise de la zone euro de 2010-2012. Fitch, Moody’s et S & P ont en fait trop négligé certains facteurs, tels la compétitivité de l’économie, et la soutenabilité de la dette publique et du taux de change [28].

Le risque pays selon Euromoney Country Risk

24Les notations d’Euromoney Country Risk (ECR) ont été lancées en 1982. Elles agrègent six catégories de risque : le risque économique (30 % de la note finale), le risque politique (30 %), le risque structurel (10 %), l’accès aux marchés de capitaux (10 %), les indicateurs de dette (10 %) et la note souveraine (10 %).

25 Le risque économique comprend les critères suivants : la stabilité du système bancaire, les perspectives de croissance, le taux de chômage, la santé des finances publiques et la politique monétaire. Le risque politique inclut la corruption, le risque de non-rapatriement, l’instabilité politique et réglementaire, le manque de transparence et le risque institutionnel. Le risque structurel repose sur l’analyse des relations sur le marché du travail, l’étude de la démographie et de la qualité des infrastructures. L’accès aux marchés de capitaux est fonction des taux d’intérêt. Pour les pays à bas revenus, les indicateurs de dette sont calculés en utilisant les ratios du service de la dette sur les exportations, du stock total de dette sur le produit national brut (PNB) et de la balance des comptes courants sur le PNB. Seuls ces deux derniers ratios sont pris en compte pour les pays à hauts revenus. La note souveraine est la moyenne des ratings attribués par Fitch, Moody’s et S & P. La note finale d’ECR attribuée à chaque pays s’échelonne de 0 (risque maximum) à 100. Au 9 mars 2015, la note la plus élevée était attribuée à la Norvège (90,50) et la plus basse à la République centrafricaine (6,89).

Le risque pays déterminé par les banques

26Les établissements de crédit doivent maîtriser un grand nombre de risques qui, à divers degrés, viennent alimenter le risque pays : il s’agit du risque souverain, du risque politique, du risque de transfert et de convertibilité, du risque bancaire – décomposable en risque de contrepartie, risque de liquidité et risque opérationnel –, du risque de marché, du risque de change et du risque systémique [29].

27Les risques souverain et politique ont déjà été examinés précédemment. Le risque de transfert et de convertibilité renvoie à l’éventualité d’un contrôle des capitaux ou des changes qui empêcherait la filiale d’une banque de convertir ses fonds en devises étrangères, ou de les transférer vers sa maison mère. Le risque de contrepartie prend en compte l’hypothèse qu’une contrepartie de la banque viole ses engagements financiers. Le risque de liquidité consiste à ne plus pouvoir assumer des retraits massifs de dépôts à court terme. Le risque opérationnel englobe l’ensemble des déconvenues qu’un établissement peut rencontrer au cours de ses activités de gestion interne. Le risque de marché reflète les incertitudes relatives au prix d’un actif, tandis que le risque de change est le risque qu’un actif perde de sa valeur en raison de la dépréciation de la devise dans laquelle il est libellé. Enfin, le risque systémique renvoie au risque d’effondrement de l’ensemble du système financier d’un pays.

28Les institutions financières appliquent leurs propres pondérations à ces différents types de risques. Les banques françaises ont ainsi eu tendance, ces dernières années, à surpondérer les risques souverain, politique et bancaire [30].

Le risque pays évalué par les agences d’assurance-crédit à l’exportation

29L’assurance-crédit à l’exportation est née dans l’entre-deux-guerres, mais s’est surtout développée à partir des années 1950, grâce au dynamisme du commerce international. L’assureur-crédit français Coface (originellement appelé « Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur » à sa création en 1946) a, par exemple, vu son résultat opérationnel s’envoler de 1,1 million d’euros en 1953 à 197 millions d’euros en 2013 [31].

30En 2014, Coface mettait à disposition des entreprises des analyses et évaluations du risque de crédit sur 160 pays. Sa méthodologie risque pays repose sur trois piliers :

31

  • une étude microéconomique reposant sur les bases de données Coface, qui rassemblent des informations sur près de 65 millions d’entreprises dans le monde ;
  • une étude macroéconomique fondée sur des indicateurs économiques, financiers et politiques ;
  • une évaluation du climat des affaires dans chacun des 160 pays, qui dépend de la qualité et de la disponibilité des données financières, de l’environnement institutionnel, et des mécanismes de protection des créanciers.

32Les notes risque pays de Coface sont réparties en sept catégories : A1, A2, A3, A4, B, C et D (la note A1 regroupant les pays les plus sûrs et la note D les plus risqués).

33***

34Le risque pays est finalement un concept déconcertant et polymorphe. Déconcertant, car quoique relativement récent, il s’articule autour de risques auxquels les investisseurs sont exposés depuis longtemps. Polymorphe, car les risques en question diffèrent sensiblement selon les types d’investisseurs.

35Cette double particularité explique que les analyses et diagnostics puissent diverger pour un même pays. Le cas du Japon est, à cet égard, très instructif. Au 9 mars 2015, il faisait partie des 12 États notés A1 par Coface, mais n’était classé que 27e par ECR (avec un score de 67,32 sur 100). L’assureur-crédit français justifie sa note maximale par le très bon climat des affaires qui règne dans l’archipel, et par un taux de change favorable. Euromoney, en revanche, s’inquiète du fardeau de la dette publique et des piètres performances macroéconomiques.

36Cependant, la complexité du concept de risque pays semble tenir avant tout à son caractère extensible. Au fil des décennies, il couvre un nombre croissant de risques et répond à l’aspiration des sociétés humaines à réduire le champ des incertitudes. Ainsi, l’intégration du risque climatique dans le risque pays est selon nous inéluctable. Le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) indique que des bouleversements climatiques majeurs – tels que la hausse généralisée des températures et la multiplication des phénomènes de précipitations extrêmes – sont attendus dans les prochaines décennies [32]. Si elles sont avérées, de telles mutations vont avoir un impact significatif et durable sur l’économie mondiale. Il est donc logique que ce paramètre climatique soit désormais pris en compte dans les études risque pays, comme le fait la jeune société française Beyond Ratings. Finalement, après avoir été l’apanage des politistes et des économistes, l’analyse risque pays pourrait bientôt requérir une véritable expertise scientifique.

Notes

  • [1]
    R. Sylla, « A Historical Primer on the Business of Credit Rating », in R. Levich, G. Majnoni et C. Reinhart (dir.), Ratings, Rating Agencies and the Global Financial System, Boston, Kluwer Academic Publishers, 2002.
  • [2]
    F.R. Dahl, « International Operations of U.S. Banks: Growth and Public Policy Implications », Law and Contemporary Problems, vol. 32, n° 1, 1967.
  • [3]
    V. McKay, « Needs and Opportunities in Africa », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 268, n° 1, 1950 ; et M.D. Wattles, « A Note on the Investment Climate in Venezuela », The American Journal of Economics and Sociology, vol. 15, n° 2, 1956.
  • [4]
    N.M. Littell, « The International Investment of Private Capital – Opportunities and Problems. Legal Incentives for Private Investments Abroad », Virginia Law Review, vol. 40, n° 8, 1954.
  • [5]
    S.J. Rubin, « Nationalization and Private Foreign Investment: The Role of Government », World Politics, vol. 2, n° 4, 1950 ; et L. Focsaneanu, « Les conséquences internationales des nationalisations », Politique étrangère, vol. 18, n° 1, 1953.
  • [6]
    En 1959, Cuba absorbait 12 % de l’ensemble des investissements directs américains en Amérique latine (calculs de l’auteur fondés sur L.L. Johnson, « U.S. Business Interests in Cuba and the Rise of Castro », World Politics, vol. 17, n° 3, 1965).
  • [7]
    D. Marx, « The United States Enters Export Credit Guarantee Competition », Political Science Quarterly, vol. 78, n° 2, 1963.
  • [8]
    Voir en particulier F.R. Root, « The Expropriation Experience of American Companies: What happened to 38 Companies », Business Horizons, vol. 11, n° 2, 1968 ; J.F. Truitt, « Expropriation of Foreign Investment: Summary of the Post World War II Experience of American and British Investors in the Less Developed Countries », Journal of International Business Studies, vol. 1, n° 2, 1970 ; et S.H. Robock, « Political Risk: Identification and Assessment », Columbia Journal of World Business, vol. 6, n° 4, 1971.
  • [9]
    Calculs de l’auteur fondés sur les données de la Banque mondiale et sur A. Crittenden, « Over extensions Possible; U.S. Bank Loans Abroad Stirring Concern », The New York Times, 15 janvier 1976.
  • [10]
    C. Stabler, « U.S. Banks’ Foreign Activities Will Face More Federal Control, Officials Predict », Wall Street Journal, 9 avril 1975.
  • [11]
    H.C. Wallich, « Statement Before the Subcommittee on Financial Institutions Supervision, Regulation and Insurance of the Committee on Banking, Finance and Urban Affairs of the U.S. House of Representatives », Washington D.C., 23 mars 1977.
  • [12]
    « Banker Sees No Danger of Default by Developing Nations on Loans », The New York Times, 7 avril 1977.
  • [13]
    H. van B. Cleveland et W.H.B. Brittain, « Debt and the Banks: Are the LDCs in over Their Heads? », Foreign Affairs, vol. 55, n° 4, 1977.
  • [14]
    Voir J. Eaton, M. Gersovitz et J.E. Stiglitz, « The Pure Theory of Country Risk », European Economic Review: International Seminar on Macroeconomics, vol. 30, n°3, 1986 ; et J.-C. Cosset et J. Roy, « The Determinants of Country Risk Ratings », Journal of International Business Studies, vol. 22, n° 1, 1991.
  • [15]
    R.C. Longworth, « Credit Risk of Nations is Listed », Chicago Tribune, 17 octobre 1979 ; et H.D. Shapiro, « 10th Anniversary Survey – A Modest Upstick », Institutional Investor, septembre 1989, p. 301-305.
  • [16]
    N. Gaillard, A Century of Sovereign Ratings, New York, Springer, 2011.
  • [17]
    Données de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED).
  • [18]
    M.S. Minor, « The Demise of Expropriation as an Instrument of LDC Policy, 1980-1992 », Journal of International Business Studies, vol. 25, n° 1, 1994 ; et D. Kaufmann, A. Kraay et P. Zoido-Lobatón, « Governance Matters », The World Bank, Policy Research Working Paper Series, n° 2196, 1999.
  • [19]
    C. Reinhart, K.S. Rogoff et M.A. Savastano, « Debt Intolerance », Brookings Papers on Economic Activity, vol. 2003-1, 2003.
  • [20]
    Coface, « Panorama », avril 2013.
  • [21]
    N. Gaillard, When Sovereigns Go Bankrupt, New York, Springer, 2014.
  • [22]
    World Bank, « Zambia – What Would it Take for Zambia’s Copper Mining Industry to achieve its Potential? », Report n° 62 378-ZM, Finance & Private Sector Development Unit, Africa Region, juin 2011.
  • [23]
    World Trade Organization, « China – Measures Imposing Anti-Dumping Duties on High-Performance Stainless Steel Seamless Tubes (“HP-SSST”) from Japan », Dispute Settlement, Dispute DS454, 13 février 2015.
  • [24]
    J.P. Doh, P. Rodriguez, K. Uhlenbruck, J. Collins et L. Eden, « Coping with Corruption in Foreign Markets », Academy of Management Executive, vol. 17, n° 3, 2003.
  • [25]
    Rapport annuel 2013-2014, Rémy Cointreau, 2014.
  • [26]
    Voir E. Broughton, « The Bhopal disaster and its aftermath: a review », Environmental Health: A Global Access Science Source, vol. 4, n° 6, 2005 ; et <http://www.unioncarbide.com/History>.
  • [27]
    R.M. Locke, « The Promise and Perils of Globalization: The Case of Nike », MIT Working Paper IPC-02-007, juillet 2002.
  • [28]
    N. Gaillard, « What Is the Value of Sovereign Ratings? », German Economic Review, vol. 15, n° 1, 2014, et « Le lancinant problème de l’insolvabilité des États », Politique étrangère, vol. 79, été 2014.
  • [29]
    Classification de l’auteur à partir de plusieurs travaux. Se reporter à B. Keizer, « La gestion des risques dans les banques », Revue d’économie financière, n° 27, 1993 ; J.N. Allan, P.M. Booth, R.J. Verrall et D.E.P. Walsh, « The Management of Risks in Banking », British Actuarial Journal, vol. 4, n° 4, 1998 ; N. Meunier et T. Sollogoub, Économie du risque pays, Paris, collection « Repères », La Découverte, 2005 ; B. Marois et P. Syssau, « Pratiques des banques françaises en termes d’analyse du risque-pays », Revue française de gestion, n° 162, 2006 ; J.R. Barth, G. Caprio Jr. et R. Levine, « Bank Regulation and Supervision in 180 Countries from 1999 to 2011 », Journal of Financial Economic Policy, vol. 5, n° 2, 2013.
  • [30]
    B. Marois et P. Syssau, op. cit.
  • [31]
    Calculs de l’auteur d’après S. Saul, « L’État et l’assurance des risques à l’exportation: la COFACE (1946-1966) », Histoire, économie et société, vol. 21, n° 3, 2002, et <http://www.coface.fr/>.
  • [32]
    GIEC, Changements climatiques 2013 – Les éléments scientifiques, novembre 2014.
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