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Article de revue

Islam, nationalisme et vendetta: l'insurrection au Caucase du Nord

Pages 375 à 386

Notes

  • [1]
    « Ugroza terrorizma v Rossii sokhranaetsya » (La menace terroriste persiste en Russie), 21février 2010, disponible sur http://www.rosbalt.ru/style/2010/02/21/714695.html, consulté le 9 mai 2010.
  • [2]
    « Genprokuror predlozhil zashishatsya ot terraktov samim » (Le procureur général suggère que nous nous défendions contre les attentats par nos propres moyens), 27avril 2011, disponible sur http://www. bbc.co.uk/russian/russia/2011/04/110427_chaika_speech_terror.shtml, consulté le 10mai 2011.
  • [3]
    Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie à l’horizon2020, adopté le 12mai 2009, disponible sur http://www.scrf.gov.ru/documents/99.html, consulté le 1ermai 2011.
  • [4]
    Pour un panorama complet du processus, voir J.Hughes, Chechnya: From Nationalism to Jihad. National and Ethnic Conflict in the 21stCentury, Philadelphie, PA, University of Pennsylvania Press, 2007, p.94-127.
  • [5]
    Voir E.Souleimanov, « Russian Chechnya Policy: “Chechenization” turning into “Kadyrovization”? », The Central Asia-Caucasus Institute Analyst, 31mai 2006.
  • [6]
    Actuellement, les membres des diverses ethnies nord-caucasiennes et environ un quart des Ossètes du Nord sont sunnites, tandis que le restant des Ossètes du Nord et un petit nombre de Kabardes originaires de la ville de Mozdok sont de confession chrétienne orthodoxe.
  • [7]
    De fait, il est difficile de connaître avec précision l’effectif des rebelles, qui alternent en permanence résistance active (par les armes) et passive (hors combat).
  • [8]
    Entretiens individuels avec des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de la république du Daghestan, réalisés par l’auteur à l’automne2011.
  • [9]
    Jamaat: (originellement) communauté islamique. Terme utilisé par les autorités russes pour désigner les groupes armés islamistes (NdT).
  • [10]
    Pour mieux comprendre la poussée de l’Empire russe dans le Caucase du Nord au xixesiècle et la résistance opposée par les montagnards, voir par exemple A.Zelkina, In Quest for God and Freedom: Sufi Responses to the Russian Advance in the North Caucasus, New York, New York University Press, 2001.
  • [11]
    Pour plus d’informations au sujet des déportations des peuples nord-caucasiens et en particulier des Tchétchènes et des Ingouches pendant la Seconde Guerre mondiale, voir A.Avtorkhanov, « The Chechens and Ingush during the Soviet Period and its Ascendants », in M. Bennigsen-Broxup (dir.), The North Caucasus Barrier. The Russian Advance towards the Muslim World, New York, Barnes and Noble, 1992, p.188-193. Pour un panorama complet de l’histoire du Caucase du Nord sous domination soviétique après1945, voir A.Marshall, The Caucasus under Soviet Rule, Londres, Routledge, 2010, p.272-291.
  • [12]
    Voir par exemple G.D.Bakhshi, « The War in Chechnya: A Military Analysis », Strategic Analysis, vol. 24, n 5, août2000.
  • [13]
    M.Kramer, « Prospects for Islamic Radicalism and Violent Extremism in the North Caucasus and Central Asia », PONARS Eurasia Memo, n28, août2008, disponible sur http://ponarseurasia.org/blog/, consulté le 18avril 2011.
  • [14]
    K.D.Leahy, « North Caucasian Rebels’ Economic Policy Defined by Conventionality and Wishful Thinking », The Central Asia-Caucasus Institute Analyst, 2février 2011.
  • [15]
    Voir par exemple A.C.Kuchins, S.Markedonov et M.Malarkey, The North Caucasus. Russia’s Volatile Frontier, Washington, DC, Center for Strategic International Studies, mai2011, « CSIS Report ».
  • [16]
    En Tchétchénie et en Ingouchie, on désigne généralement un groupe de personnes issues d’une même lignée paternelle par le terme teïp, tandis qu’au Daghestan, on emploie le terme tuhum.
  • [17]
    Par exemple, selon le droit coutumier local, donner une gifle, un coup de pied ou cracher au visage d’un autre homme constitue une atteinte à son honneur, qui doit être punie par des représailles immédiates.
  • [18]
    Dans l’environnement hostile de la montagne caucasienne, où la survie repose sur la solidarité clanique, cela équivaut concrètement à la mort.
  • [19]
    Pour plus d’informations au sujet de l’adat et de la coutume de la vendetta appliquée par les Tchétchènes et certains autres peuples nord-caucasiens, voir E.Souleimanov, An Endless War: The Russian-Chechen Conflict in Perspective, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2007, p.24-39.
  • [20]
    Entretiens individuels avec des nationalistes adyguéens réalisés par l’auteur à Nalchik (Kabardino-Balkarie, Russie), le 15avril 2005.
  • [21]
    On ne peut ignorer à ce sujet les récents pogroms visant les Caucasiens dans tout le pays, dont le point d’orgue a été le passage à tabac de jeunes Caucasiens le 11décembre 2010 sur la place du Manège à Moscou, à seulement 50mètres du Kremlin.
  • [22]
    Voir A.Malashenko, Islamskie orientiry Severnogo Kavkaza, Moscou, Gendalf, 2001, p.104 et 126.
  • [23]
    Voir par exemple E.Souleimanov, « Dagestan: The Emerging Core of the North Caucasus Insurgency», The Central Asia-Caucasus Institute Analyst, 29septembre 2010.
  • [24]
    Pour un aperçu intéressant de la rhétorique employée par les djihadistes nord-caucasiens, voir «Imarat Kavkaz. Ogon sviashchennogo jihada » (L’émirat du Caucase. Le feu du djihad sacré), 1ermai 2011, disponible sur http://www.kavkazcenter.com/russ/content/2011/05/01/81196.shtml, consulté le 2mai 2011.

1Le 16avril 2009, le président russe, Dmitri Medvedev, annonce la fin de l’« opération antiterroriste » en Tchétchénie. Cette opération, lancée en 2000 et menée conjointement par les forces armées fédérales et les milices tchétchènes pro-russes, visait à étouffer les foyers de l’insurrection séparatiste dans la petite République autonome accrochée au versant nord du Grand Caucase. Pourtant, d’après des sources officielles russes, le nombre d’attentats a augmenté [1] de60 % entre 2008 et 2009. En 2010, il double encore [2] par rapport à 2009. C’est également en 2010 que paraît le nouveau Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie à l’horizon2020; les?auteurs jugent la multiplication des attentats particulièrement préoccupante [3] et désignent le terrorisme comme la principale menace pesant sur la sécurité intérieure du pays.

2Si le Caucase du Nord a connu ces dernières années une recrudescence d’attentats, d’actes de sabotage et d’assassinats, le cœur même de la Russie n’a en effet pas été épargné: les attentats suicide meurtriers dans?le métro de Moscou en mars2010 et à l’aéroport international de Moscou-Domodedovo en janvier2011 ont coûté la vie à 77personnes. De?toute évidence, au-delà de l’effet d’annonce, la fin de l’« opération antiterroriste » en Tchétchénie n’a pas marqué l’extinction réelle de la menace brandie contre la Russie. Comment expliquer cet échec?

3L’insurrection, qui était restée confinée principalement à la Tchétchénie jusque-là, s’est propagée ces dix dernières années aux territoires nord-caucasiens avoisinants. L’affaiblissement relatif de l’activité séparatiste tchétchène a été compensé par l’ouverture de nouvelles lignes de front à l’extrême sud de la Russie, en Ingouchie et au Daghestan; ces deux Républiques frontalières de la Tchétchénie, situées dans le Caucase oriental, ont?progressivement basculé dans la guerre civile. L’expansion de l’insurrection s’est concrètement traduite par la création en octobre2007 de l’émirat du Caucase, une entité religieuse, en lieu et place de la République tchétchène d’Itchkérie, une entité séparatiste laïque. Depuis cette date, le nationalisme tchétchène qui avait alimenté le mouvement séparatiste depuis le début des années 1990 a progressivement été remplacé par l’idéologie djihadiste [4]. Cette mutation résulte d’une part du succès de la politique de «tchétchénisation» entreprise par la Russie, qui a abouti à l’affaiblissement progressif de la rébellion tchétchène jusqu’en2007. Cette politique consistait à créer deux camps rivaux en Tchétchénie et à soutenir le camp pro-russe dans son combat contre l’ennemi séparatiste [5]. D’autre part, elle constitue l’aboutissement de dynamiques internes à l’œuvre dans l’ensemble du Caucase du Nord depuis le début des années 2000, voire plus tôt encore. Les séparatistes ne sont pas tous tchétchènes, mais appartiennent à diverses ethnies. Ils ont trouvé un cadre d’action commun dans l’émirat du Caucase, véritable théocratie islamique qui s’étend de la mer Caspienne à la mer Noire et entend englober les populations majoritairement musulmanes des Républiques autonomes nord-caucasiennes; ils sont pour la plupart salafistes et pratiquent donc un islam militant [6].

4Les estimations concernant le nombre de rebelles varient de manière considérable selon les sources. D’après le pouvoir fédéral, près de 1000?rebelles islamistes seraient en activité [7]. Le noyau dur de l’insurrection semble s’être actuellement déplacé de la Tchétchénie vers le Daghestan voisin où, selon des sources locales, le mouvement de résistance compterait jusqu’à 2500 membres [8]. Aujourd’hui, c’est Dokou Oumarov qui assure de manière formelle le commandement de l’insurrection islamiste au Caucase du Nord. En pratique, cependant, les jamaat[9] de la région jouissent d’une grande autonomie et mènent leurs propres opérations en fonction de leurs besoins et des spécificités locales. Les figures principales de la résistance islamiste sont les émirs des jamaat daghestanaises comme Ibrahimkhalil Daudov (émir de la Jamaat Chariat) et Alim Zankishev, qui est à la tête de la branche ouest de l’insurrection au Caucase du Nord.

5Cet article se donne pour but d’examiner les racines de l’insurrection armée dans le Caucase du Nord, ainsi que les raisons de son expansion territoriale et de sa persévérance en dépit de la supériorité écrasante de la Russie. Dans un contexte de grandes difficultés socioéconomiques, les éléments suivants se combinent pour nourrir l’insurrection: principalement, le salafisme et le séparatisme fondé sur le nationalisme ethnique, auxquels s’ajoutent les formes traditionnelles d’organisation sociale et le droit coutumier local (adat), ainsi que la coutume de la vendetta appliquée en réaction aux pratiques contre-insurrectionnelles russes. Ce dernier élément explique le fort degré de mobilisation et l’afflux incessant de nouvelles recrues dans les rangs rebelles. Cet article se concentre sur les cas du Daghestan, de la Tchétchénie et de l’Ingouchie.

Le Caucase du Nord au fil de l’histoire

6Le Caucase du Nord est déjà décrit dans les chroniques anciennes comme une véritable Babel, une mosaïque de langues et de dialectes. Située à la croisée de plusieurs empires, la région a vu se succéder les Alains, les Mongols, les Tatars et les Turcs, qui n’ont cependant jamais réussi à établir une domination pleine et entière sur la montagne caucasienne. À l’issue d’un siècle de combats intenses et d’expansion continue, l’Empire russe conquiert le Caucase du Nord au milieu du xixesiècle. La résistance à l’occupation russe resurgira néanmoins périodiquement dans certaines zones jusqu’à la chute de l’empire des Romanov et la soviétisation de la région [10] dans les années1920-1930.

7Le Caucase du Nord connaît ensuite une période d’apaisement relatif jusqu’à l’implosion de l’Union soviétique, si l’on excepte la déportation en1943 et1944 de centaines de milliers de Tchétchènes, Ingouches, Karatchaïs et Balkars collectivement accusés par Staline d’avoir collaboré avec l’ennemi nazi durant sa percée dans la région. Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les autorités soviétiques continuent à surveiller de près ceux qu’elles considèrent comme de puissants agents subversifs dans le Caucase du Nord et tout particulièrement en Tchétchénie, ainsi que dans les Républiques limitrophes d’Ingouchie et du Daghestan. Ces territoires sont en effet le bastion de sociétés structurées selon des traditions archaïques et dans lesquelles l’islam joue un rôle de premier plan; ils résistent aux tentatives de Moscou d’imposer une domination sans partage sur la région [11].

8À la fin des années1980 et au début des années 1990, on assiste à un renouveau du nationalisme et à un nouvel essor du phénomène religieux dans l’espace (post-)soviétique, en particulier dans le Caucase du Nord; la Tchétchénie déclare son indépendance suite à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991. La Russie redoute cependant l’effet domino que pourrait provoquer cette indépendance dans d’autres régions du pays et envoie des troupes en Tchétchénie à l’automne1994 afin de reprendre le contrôle de l’entité séparatiste. Cette date marque le début de ce qu’on appellera ensuite la première guerre de Tchétchénie; les troupes russes se?retirent dès 1996. Suit une nouvelle période d’indépendance en Tchétchénie. En 1999, des combattants djihadistes tchétchènes et daghestanais commandés par Chamil Bassaev tentent une incursion ratée dans les montagnes du Daghestan oriental, déclenchant un soulèvement populaire musulman dans cette région multiethnique. Plus tard dans l’année débute la deuxième guerre de Tchétchénie, durant laquelle l’armée russe occupe l’ensemble du territoire et détruit le noyau dur de l’armée tchétchène, qui était plutôt laïque [12]. Depuis, le mouvement insurrectionnel s’est fortement radicalisé: de la guérilla, moyen privilégié de la résistance jusque-là, les séparatistes tchétchènes sont passés au terrorisme, aux attentats visant y compris des civils dans les grandes villes russes. En réponse à cette radicalisation, les forces russes ont intensifié leurs opérations de contre-insurrection, qui ont notamment pris?la forme de représailles exercées arbitrairement sur les civils en Tchétchénie.

Une situation économique et sociale catastrophique

9Le Caucase du Nord compte parmi les régions les plus pauvres de Russie et présente invariablement le taux de chômage le plus élevé de la Fédération. Selon des études menées par des organismes indépendants, environ un tiers de la population est sans emploi en Ingouchie et au Daghestan [13]. Le chômage touche en particulier les jeunes et les populations des zones montagneuses isolées du Nord-Est du Caucase. En fait, toutes les Républiques autonomes nord-caucasiennes reçoivent depuis des années des subventions massives de Moscou; au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchie, elles représentent entre80% et90% du budget public [14]. La corruption, le clientélisme et le népotisme sont endémiques dans la région, qui bat tous les records fédéraux en la matière. Jusqu’à présent, les efforts répétés de la Russie pour stimuler la croissance dans le Caucase du Nord sont restés vains. Cet échec est partiellement imputable aux niveaux élevés de corruption qui règnent dans l’administration locale et fédérale et plus généralement à l’incapacité de Moscou à régler le problème. Tout cela a renforcé le sentiment déjà répandu dans la population nord-caucasienne que, d’une part, l’objectif premier des autorités russes est de s’assurer la loyauté des élites locales et de leur clan et que, d’autre part, les élites en question se?préoccupent uniquement de conserver leur pouvoir et d’éliminer toute opposition politique dans le but d’accroître leur fortune personnelle, la situation socioéconomique désastreuse étant le cadet de leurs?soucis [15].

Clans, droit coutumier et vendetta

10Historiquement, les sociétés du Caucase du Nord et de la vallée de la Ferghana (Asie centrale), sont celles qui ont conservé les structures les plus traditionnelles en Russie. Au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchie, la collectivité s’organise aujourd’hui encore autour du principe central des liens de sang, qui déterminent l’appartenance à un clan [16]. Cette appartenance définit à son tour l’identité de l’individu et sa place dans la société, elle constitue un des principaux référents identitaires: l’individu est indissociable du clan auquel il appartient et n’a pas d’existence propre hors de lui. Les populations locales n’ont jamais adopté de hiérarchie rigide fondée sur des classes sociales; si un système de classes féodales a eu cours de manière marginale au Daghestan, il n’en a rien été en Tchétchénie et en Ingouchie. Les clans s’opposent donc depuis des siècles dans une bataille sans fin pour le prestige et l’accès aux ressources naturelles.

11Il est important de souligner le lien fort qui unit identité clanique et code?d’honneur patriarcal chez les différents groupes ethniques nord-caucasiens. Selon ce code encore en vigueur, la valeur d’une femme réside dans sa pureté, celle d’une femme mariée dans la fidélité à son mari et à la famille de ce dernier et celle d’un homme dans son courage et sa capacité à venger un affront ainsi qu’à protéger sa famille et à lui assurer une existence digne. Si une personne est déshonorée, ou son honneur entaché, la disgrâce s’abat non seulement sur elle, mais aussi sur l’ensemble de sa?famille et donc du clan. La perte de prestige résultant d’une atteinte à la réputation d’un de ses membres a généralement pour conséquence d’affaiblir la position du clan dans la hiérarchie sociale. Cette rétrogradation peut avoir de graves répercussions matérielles.

12Le droit coutumier local, qui s’appuie sur des formes traditionnelles d’organisation sociale, joue un rôle important, en particulier dans les zones montagneuses isolées de l’Ouest du Daghestan, et reste en vigueur sur la majeure partie des territoires tchétchène et ingouche. La coutume de la vendetta est également répandue dans le Caucase du Nord. Elle exige des représailles en cas de meurtre, blessures mortelles, viol ou atteinte majeure à l’honneur par l’acte ou la parole [17]. Si l’offensé n’a pas la capacité ou la volonté d’exercer des représailles, son honneur, donc celui de son clan, est entaché et il est mis au ban de la société [18]. Hors du clan, personne ne conserve de lien avec lui. Dans ce cas de figure, la tradition donne aux hommes de la famille de l’offensé le choix entre deux solutions pour rétablir l’honneur du clan: tuer eux-mêmes l’offenseur ou bien tuer ou bannir du clan l’offensé qui n’a pas exercé de représailles.

13Insistons sur cette notion centrale: ici, la valeur d’un homme réside principalement dans son courage; la peur n’a pas sa place. Quelles que soient les conséquences des représailles, l’honneur du clan doit être vengé. Si un membre du clan est assassiné, les hommes de la famille doivent, en vertu de l’adat, laver l’offense en exécutant l’auteur du crime ou un homme de sa famille âgé de 16ans ou plus. La vendetta épargne traditionnellement les femmes; elle vise généralement les frères et les fils de l’offenseur. La vengeance rétablit l’honneur du clan et sa place dans la société. Un point capital: la vendetta ne connaît pas de limite temporelle; elle s’étend sur des dizaines d’années et engage des générations entières d’« ennemis de sang ».

14Bien que la force du droit coutumier se soit émoussée pendant la période soviétique, l’inefficacité des autorités russes en général et du système judiciaire en particulier, ainsi que le regain d’intérêt pour les traditions locales au lendemain de l’effondrement de l’URSS, ont largement contribué au rétablissement de l’adat et de la coutume de la vendetta, qui régissent à nouveau le quotidien des Daghestanais, des Tchétchènes et des Ingouches [19].

Nationalisme, solidarité régionale et sentiment antirusse

15Les peuples du Nord-Est du Caucase font généralement preuve de nationalisme ethnique. Les mariages interethniques entre Daghestanais, avec les populations des Républiques frontalières à l’ouest, ou même entre Tchétchènes et Ingouches (pourtant proches d’un point de vue ethnolinguistique) sont rares. Des tensions opposent les membres de différents groupes ethniques implantés dans une même région pour le contrôle de territoires habités par une population mixte. Pour l’instant, ces conflits restent latents.

16Une solidarité régionale bien enracinée, la « solidarité des montagnards», unit cependant les peuples du Nord-Est du Caucase, toutes ethnies confondues. Cette solidarité repose sur la conscience partagée non seulement par les Daghestanais, les Tchétchènes et les Ingouches, mais plus largement par les populations du Nord-Ouest du Caucase et, dans une certaine mesure, les habitants du Sud du Caucase, de posséder une histoire, une culture, des valeurs et des coutumes communes. Ce régionalisme se renforce dans l’opposition à l’« autre »: le Russe. L’identité ethnique des peuples nord-caucasiens s’est en effet bâtie sur la mémoire collective, le souvenir d’une longue série de guerres de libération nationale, de soulèvements, de représailles et de souffrances endurées depuis le xviiiesiècle. Malgré des années de domination soviétique et grâce à une forte tradition orale, les récits de résistance à l’envahisseur russe ont été transmis de génération en génération chez les Tchétchènes, les Daghestanais et les Ingouches. Au Daghestan et en Tchétchénie, le souvenir de la résistance menée par l’imam Chamil et ses prédécesseurs pendant la guerre du Caucase reste vif et vient alimenter l’idéologie régionaliste. Après tout, comme le disent certains, « [leurs] grands-pères ont tenu tête aux Russes héroïquement, quelle qu’ait été leur appartenance ethnique [20] ». L’occupant, qu’il soit tsariste, soviétique ou russe, n’est jamais parvenu à brider entièrement les aspirations séparatistes des populations locales, aujourd’hui entretenues par le mécontentement lié à la situation socioéconomique catastrophique dans cette région du Caucase. Néanmoins, les séparatistes nord-caucasiens sont bien conscients du fait qu’aucun groupe ethnique ne peut matériellement lutter seul pour son indépendance contre le puissant État russe. C’est pourquoi ils soutiennent le projet d’une résistance nord-caucasienne unie et donnent à l’islam une place toujours plus importante en tant qu’idéologie motrice de l’indépendantisme régional. Par ailleurs, le sentiment antirusse déjà répandu dans le Caucase du?Nord se trouve?encore exacerbé par le traitement réservé aux natifs de?la région (Tchétchénie, Ingouchie, Daghestan, Kabardino-Balkarie, Karatchaïevo-Tcherkessie) dans le reste de la Russie, où ils sont de plus en plus considérés comme des citoyens de seconde classe. Sentiment antirusse et nationalisme se combinent ainsi pour renforcer la solidarité régionale entre les peuples nord-caucasiens [21].

Politisation de l’islam et djihadisme

17Les mutations sociales en cours dans le Caucase du Nord permettent d’expliquer le processus de politisation de l’islam dans la région. Premièrement, le renouveau islamique de la fin des années1980 et du début des années 1990 s’est inscrit dans le cadre plus large du mouvement de retour aux sources qui a suivi la chute de l’État soviétique; les Russes ethniques comme les membres d’autres peuples précédemment englobés par l’URSS ont redécouvert leurs racines (langue, traditions, etc.). La religion s’est alors imposée comme un référent identitaire (ethnique, culturel) essentiel. Deuxièmement, la présence de l’islam dans les sphères privée et, dans une certaine mesure, publique, n’a jamais faibli. Il a par conséquent été utilisé par divers acteurs sociaux pour légitimer leurs activités, même lorsqu’elles étaient sans rapport avec la religion. Pour nombre de jeunes Tchétchènes, Daghestanais et Ingouches en quête de leurs racines ethniques et spirituelles dans un contexte d’instabilité politique et sociale, la religion est apparue comme la seule idée valable et digne d’être défendue.

18Sous l’influence conjuguée de missionnaires musulmans moyen-orientaux et de chefs religieux locaux partis étudier l’islam au Moyen-Orient, puis revenus convaincre leurs concitoyens, une partie de la jeunesse nord-caucasienne s’est progressivement tournée vers le salafisme. Celui-ci représente en effet pour elle une alternative au courant animé par des autorités islamiques traditionnelles fidèles au pouvoir, donc largement discréditées. Ceux qu’on appelait les wahhabites dans les années 1990 s’opposent pour partie au soufisme en raison de son culte des saints soufis, qu’ils considèrent comme une hérésie, une atteinte au principe sacré du monothéisme, fondement de l’islam. En outre, les populations locales voient dans le salafisme une solution simple aux nombreux problèmes qui frappent leur société, la doctrine se donnant pour objectif ultime l’établissement d’un État islamique porteur de prospérité, de pureté et de justice. Ce dernier argument a rencontré un fort écho chez les habitants, plus traditionalistes, des campagnes et de la montagne. Par ailleurs, le régime local pro-russe a éliminé la majeure partie de l’opposition laïque, ne laissant que le salafisme comme alternative crédible au pouvoir tant haï. Les Nord-Caucasiens en quête de changement politique ont donc choisi cette voie.

19Un des attraits du salafisme pour ces nouveaux convertis est la notion centrale de djihad de l’épée, c’est-à-dire la guerre sainte visant à défendre une terre d’islam. Autre raison non moins importante de ce succès chez les jeunes de la région : le salafisme se présente comme le moyen de contestation des structures sociales traditionnelles. Contrairement au soufisme, qui impose le respect d’une hiérarchie stricte ainsi que des liens de sang et qui tolère les pratiques locales non conformes à l’islam (par exemple le droit coutumier), le salafisme établit un lien direct entre l’individu (membre d’une communauté islamique) et Allah et rejette toute obligation de loyauté envers une tribu, une ethnie, un clan, une société ou une famille. Les séparatistes l’ont ainsi adopté et utilisé afin d’enclencher un processus plus vaste d’extraction de l’individu des liens sociaux complexes qui l’enserrent et unissent les peuples du Caucase du Nord [22].

20Si l’islam constitue traditionnellement un référent identitaire commun aux différents peuples du Caucase du Nord et leur a permis de se rassembler face au colonisateur russe, une évolution fondamentale doit être prise en compte: la religion a pris le pas sur le nationalisme ethnique dans la lutte indépendantiste contre la Russie; les séparatistes nord-caucasiens ont choisi l’islam, unificateur, afin d’éviter tout conflit interethnique.

La fabrique de la résistance, ou comment nourrir et unifier le mouvement séparatiste

21Les communautés du Daghestan et de Tchétchénie ont été les premières, au début des années 1990, à adopter le salafisme dans le Caucase du Nord, mais le courant a ensuite été largement discrédité auprès des populations locales par l’incursion ratée de séparatistes djihadistes daghestanais et tchétchènes dans l’Ouest du Daghestan en août1999. Les autorités russes ont par la suite désigné le « terrorisme islamiste » comme menace majeure pour la sécurité nationale en 1999-2001; les gouvernements locaux ont placé en détention des milliers de personnes, principalement de jeunes Daghestanais, Tchétchènes et Ingouches accusés d’être des terroristes et/ou des wahhabites. Pendant leur détention, ces personnes ont été régulièrement soumises à des interrogatoires « à la soviétique », les insultes, tentatives d’intimidation, passages à tabac et la torture étant monnaie courante. Pour obtenir les aveux dont elles avaient besoin, les autorités fédérales et locales n’ont pas hésité à recourir au chantage et aux agressions physiques sur les familles (y compris les femmes) des détenus. Les mêmes autorités considéraient les personnes manifestant une foi profonde comme extrêmement suspectes; elles ont lancé de véritables chasses aux sorcières contre les wahhabites et leurs sympathisants. Pour nombre de policiers locaux peu instruits, mal payés, corrompus et jouissant d’une impunité totale, les enlèvements de suspects contre rançon ont représenté une source de revenus importante. Lorsque les autorités ne disposaient pas de?preuves suffisantes pour incarcérer les wahhabites, elles les libéraient – après des mois d’humiliations et de torture. Beaucoup d’anciens détenus n’ont jamais pardonné et ont choisi le recours à la violence pour se faire justice. Les frères, fils ou cousins de personnes grièvement blessées ou assassinées ont juré d’exercer des représailles pour rétablir l’honneur du clan [23].

22Affronter seuls les autorités fédérales et pro-russes est difficile, c’est pourquoi un grand nombre de jeunes Daghestanais, Tchétchènes et Ingouches ont rejoint le mouvement insurrectionnel dans les montagnes, où ils ont été initiés aux fondements du djihadisme. Le mouvement insurrectionnel s’est consolidé en adoptant une idéologie commune; il s’est donné un but collectif précis, la création d’un État islamique indépendant de la Russie, et des cibles bien définies, l’occupant russe et ses sbires locaux. Si la mémoire collective des peuples du Daghestan, de Tchétchénie et d’Ingouchie célèbre la résistance séculaire à la colonisation, donc aux Russes, les séparatistes considèrent le combat contre les transfuges locaux comme un impératif encore plus fort [24].

23De même, nombre de Nord-Caucasiens ont rejoint le mouvement insurrectionnel pour dénoncer les maux, les péchés de la société (corruption, érosion des valeurs traditionnelles, absence de perspectives professionnelles) et construire un avenir meilleur, conforme à l’islam, pour leur patrie. L’appartenance à des groupes djihadistes a joué un rôle essentiel: elle a permis aux rebelles de dépasser leurs différences ethniques et leurs oppositions claniques pour s’unir dans une solidarité sans précédent fondée sur la religion. Le processus d’adoption d’une idéologie de résistance commune a ainsi coïncidé avec la politisation de la violence.

24***

25L’aggravation actuelle de l’insécurité dans le Caucase du Nord démontre l’incapacité des autorités fédérales et locales à lutter efficacement contre le terrorisme. Au Daghestan, en Tchétchénie et en Ingouchie comme ailleurs, la conduite brutale et arbitraire des forces armées a participé au renforcement et à la radicalisation de l’insurrection islamiste. La corruption endémique dans la région, le taux de chômage élevé, la situation socioéconomique désastreuse et l’absence de pluralité politique ont également contribué à créer un terrain fertile pour la rébellion.

26L’insurrection au Caucase du Nord se distingue par une mobilisation en cascade, favorisée par des coutumes locales (principalement la vendetta) et des structures sociales traditionnelles (les clans) fortement enracinées. Dans l’ensemble de la région, les séparatistes ont substitué au nationalisme ethnique le djihadisme comme principe directeur de leur lutte. Ce choix leur a jusqu’à présent permis de rallier à une cause commune un certain nombre de Nord-Caucasiens radicalisés, quelle que soit leur ethnie.

27Une guerre civile est donc actuellement en cours au Daghestan et, dans?une certaine mesure, en Ingouchie et en Tchétchénie. Les victoires ponctuelles remportées par les autorités russes contre l’insurrection n’empêchent pas un flot grandissant de jeunes privés d’espoir de venir en gonfler les rangs. La situation au Daghestan et en Ingouchie n’est pas « normalisée » comme en Tchétchénie : les rebelles bénéficient de la sympathie et du soutien de la population, éreintée et indignée par le comportement d’autorités locales corrompues et de forces de l’ordre usant d’une violence toujours croissante, toujours plus arbitraire. Si nombre de?Tchétchènes repoussent l’heure de la vengeance à « un moment plus propice » afin d’éviter de subir des représailles, ou ont reporté leur colère sur leurs concitoyens pro-russes, il n’en est pas de même au Daghestan et en Ingouchie, où la guerre civile fait rage – tant et si bien que l’écho en retentit parfois dans les villes russes.

Notes

  • [1]
    « Ugroza terrorizma v Rossii sokhranaetsya » (La menace terroriste persiste en Russie), 21février 2010, disponible sur http://www.rosbalt.ru/style/2010/02/21/714695.html, consulté le 9 mai 2010.
  • [2]
    « Genprokuror predlozhil zashishatsya ot terraktov samim » (Le procureur général suggère que nous nous défendions contre les attentats par nos propres moyens), 27avril 2011, disponible sur http://www. bbc.co.uk/russian/russia/2011/04/110427_chaika_speech_terror.shtml, consulté le 10mai 2011.
  • [3]
    Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Concept de sécurité nationale de la Fédération de Russie à l’horizon2020, adopté le 12mai 2009, disponible sur http://www.scrf.gov.ru/documents/99.html, consulté le 1ermai 2011.
  • [4]
    Pour un panorama complet du processus, voir J.Hughes, Chechnya: From Nationalism to Jihad. National and Ethnic Conflict in the 21stCentury, Philadelphie, PA, University of Pennsylvania Press, 2007, p.94-127.
  • [5]
    Voir E.Souleimanov, « Russian Chechnya Policy: “Chechenization” turning into “Kadyrovization”? », The Central Asia-Caucasus Institute Analyst, 31mai 2006.
  • [6]
    Actuellement, les membres des diverses ethnies nord-caucasiennes et environ un quart des Ossètes du Nord sont sunnites, tandis que le restant des Ossètes du Nord et un petit nombre de Kabardes originaires de la ville de Mozdok sont de confession chrétienne orthodoxe.
  • [7]
    De fait, il est difficile de connaître avec précision l’effectif des rebelles, qui alternent en permanence résistance active (par les armes) et passive (hors combat).
  • [8]
    Entretiens individuels avec des hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur de la république du Daghestan, réalisés par l’auteur à l’automne2011.
  • [9]
    Jamaat: (originellement) communauté islamique. Terme utilisé par les autorités russes pour désigner les groupes armés islamistes (NdT).
  • [10]
    Pour mieux comprendre la poussée de l’Empire russe dans le Caucase du Nord au xixesiècle et la résistance opposée par les montagnards, voir par exemple A.Zelkina, In Quest for God and Freedom: Sufi Responses to the Russian Advance in the North Caucasus, New York, New York University Press, 2001.
  • [11]
    Pour plus d’informations au sujet des déportations des peuples nord-caucasiens et en particulier des Tchétchènes et des Ingouches pendant la Seconde Guerre mondiale, voir A.Avtorkhanov, « The Chechens and Ingush during the Soviet Period and its Ascendants », in M. Bennigsen-Broxup (dir.), The North Caucasus Barrier. The Russian Advance towards the Muslim World, New York, Barnes and Noble, 1992, p.188-193. Pour un panorama complet de l’histoire du Caucase du Nord sous domination soviétique après1945, voir A.Marshall, The Caucasus under Soviet Rule, Londres, Routledge, 2010, p.272-291.
  • [12]
    Voir par exemple G.D.Bakhshi, « The War in Chechnya: A Military Analysis », Strategic Analysis, vol. 24, n 5, août2000.
  • [13]
    M.Kramer, « Prospects for Islamic Radicalism and Violent Extremism in the North Caucasus and Central Asia », PONARS Eurasia Memo, n28, août2008, disponible sur http://ponarseurasia.org/blog/, consulté le 18avril 2011.
  • [14]
    K.D.Leahy, « North Caucasian Rebels’ Economic Policy Defined by Conventionality and Wishful Thinking », The Central Asia-Caucasus Institute Analyst, 2février 2011.
  • [15]
    Voir par exemple A.C.Kuchins, S.Markedonov et M.Malarkey, The North Caucasus. Russia’s Volatile Frontier, Washington, DC, Center for Strategic International Studies, mai2011, « CSIS Report ».
  • [16]
    En Tchétchénie et en Ingouchie, on désigne généralement un groupe de personnes issues d’une même lignée paternelle par le terme teïp, tandis qu’au Daghestan, on emploie le terme tuhum.
  • [17]
    Par exemple, selon le droit coutumier local, donner une gifle, un coup de pied ou cracher au visage d’un autre homme constitue une atteinte à son honneur, qui doit être punie par des représailles immédiates.
  • [18]
    Dans l’environnement hostile de la montagne caucasienne, où la survie repose sur la solidarité clanique, cela équivaut concrètement à la mort.
  • [19]
    Pour plus d’informations au sujet de l’adat et de la coutume de la vendetta appliquée par les Tchétchènes et certains autres peuples nord-caucasiens, voir E.Souleimanov, An Endless War: The Russian-Chechen Conflict in Perspective, Francfort-sur-le-Main, Peter Lang, 2007, p.24-39.
  • [20]
    Entretiens individuels avec des nationalistes adyguéens réalisés par l’auteur à Nalchik (Kabardino-Balkarie, Russie), le 15avril 2005.
  • [21]
    On ne peut ignorer à ce sujet les récents pogroms visant les Caucasiens dans tout le pays, dont le point d’orgue a été le passage à tabac de jeunes Caucasiens le 11décembre 2010 sur la place du Manège à Moscou, à seulement 50mètres du Kremlin.
  • [22]
    Voir A.Malashenko, Islamskie orientiry Severnogo Kavkaza, Moscou, Gendalf, 2001, p.104 et 126.
  • [23]
    Voir par exemple E.Souleimanov, « Dagestan: The Emerging Core of the North Caucasus Insurgency», The Central Asia-Caucasus Institute Analyst, 29septembre 2010.
  • [24]
    Pour un aperçu intéressant de la rhétorique employée par les djihadistes nord-caucasiens, voir «Imarat Kavkaz. Ogon sviashchennogo jihada » (L’émirat du Caucase. Le feu du djihad sacré), 1ermai 2011, disponible sur http://www.kavkazcenter.com/russ/content/2011/05/01/81196.shtml, consulté le 2mai 2011.
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