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Article de revue

La présidence française de l'Union européenne : quels objectifs, quels partenaires ?

Pages 361 à 371

Notes

  • [1]
    La première a été ouverte par l’Allemagne le premier janvier 2007, en coopération avec le Portugal et la Slovénie.
  • [2]
    Sur la réforme du Conseil européen et l’installation d’un président permanent, voir les articles 13, 15, 22 et 26 du traité de l’Union européenne et les articles 68, 121, 148, 222, et 235-236 du Traité modificatif.
  • [3]
    A. Maurer, Der Europäische Rat und sein Präsident, Berlin, SWP, « SWP-Dossier: Der Vertrag von Lissabon », mars 2008. Ph. Ricard, « Qui sera le premier président de l’Union européenne de demain? », Le Monde, 24 avril 2008.
  • [4]
    Ph. Ricard, « Gouvernance de la zone euro: Paris juge insuffisantes les propositions de M. Almunia », Le Monde, 27 avril 2008.
  • [5]
    D. Kietz et V. Perthes (dir.), The Potential of the Council Presidency. An Analysis of Germany’s Chairmanship of the EU 2007, Berlin, SWP, « SWP Research Paper », n 1, janvier 2008, p. 15, disponible sur www.swp-berlin.org/.
  • [6]
    « Report sine die de la visite en Pologne de Nicolas Sarkozy », Le Figaro, 22 avril 2007 ; et « Sarkozy en Pologne de nouveau reporté », AFP, repris dans la rubrique en ligne du Figaro « Flash actu », 24 avril 2008, disponible sur www.lefigaro.fr.
  • [7]
    Voir par exemple H. Drake, « France on Trial? The Challenge of Change and the French Presidency of the European Union, July-December 2000 », Modern & Contemporary France, vol. 9, n 4, 2001, p. 461.
  • [8]
    Voir par exempleG. Watson, « Ce que l’Union européenne attend de la présidence française », dans la rubrique en ligne du Figaro « Débats », 23 avril 2008, disponible sur www.lefigaro.fr.
  • [9]
    « La France baisse le ton sur la présidence de l’UE », publié sur le site EurActiv, 31 janvier 2008, disponible sur www.euractiv.com.
  • [10]
    G. Watson, op. cit. [8].
  • [11]
    Voir D. Kietz et V. Perthes (dir.), op. cit. [5], et plus particulièrement les chapitres de R. Parkes, « Asylum and Immigration Policy. Efficient Realisation of a Modest Agenda » (p. 49-55) et de D. Kietz, « Holding all the Cards. Strong German Impulses for Police Cooperation » (p. 56-64).
  • [12]
    Voir sur l’intégration politique de l’UEM, G. Verhofstadt, Les États-Unis d’Europe, Bruxelles, Luc Pire, « Voix politiques », 2006.
  • [13]
    Voir par exemple D. Schwarzer, « Deutschland – Frankreich: Duo ohne Führungswillen. Das bilaterale Verhältnis in der erweiterten Europäischen Union », Berlin, SWP, « SWP Studie », n 15, 2006, disponible sur www.swp-berlin.org/.

1Le premier juillet2008, la France inaugurera la seconde présidence tripartite de l’Union européenne (UE) [1]. Si le traité de Lisbonne entre en vigueur, la France, la Suède et la République tchèque seront les derniers pays à diriger l’UE avant que n’entre en fonction le nouveau président permanent du Conseil européen, et que la présidence tournante de l’Union ne perde une partie de ses domaines de compétences [2].

L’agenda de la présidence

2La France devra gérer un agenda législatif particulièrement chargé. Si le traité de Lisbonne est ratifié, les règles de décision de l’UE seront modifiées et les procédures législatives inachevées dans les domaines modifiés devront être relancées selon ces nouvelles règles. Il est donc capital de voir quels seront les dossiers législatifs qui pourront être clos d’ici à décembre2008, ou ceux dont la base légale sera modifiée par l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La grande majorité des parlementaires européens ne souhaite pas la clôture de certains dossiers, dans la mesure où les prescriptions du traité de Lisbonne permettront au Parlement d’apporter des amendements via la procédure de codécision à partir de janvier2009. Cet argument vaut aussi pour la politique commerciale commune. Le commissaire européen au commerce extérieur, Peter Mandelson, a déjà signalé aux parlementaires que les négociations en cours sur les accords de partenariat économique devraient être soumises à la procédure de consentement suivant les nouvelles règles du traité de Lisbonne. La présidence française devra donc consentir un important investissement dans les négociations interinstitutionnelles européennes, avec le Parlement, la Commission et le secrétariat du Conseil, pour identifier d’un commun accord les dossiers pouvant être menés à terme d’ici décembre2008 et ceux qui devront être revus selon les nouvelles règles.

3Une seconde raison explique la densité de l’agenda présidentiel français: Paris devra préparer la mise en œuvre du traité de Lisbonne, pour autant que sa ratification n’échoue pas, par exemple lors du référendum irlandais le 12 juin. Cette préparation concerne d’abord les questions institutionnelles liées à la création par le Traité de nouveaux services et fonctions. À Lisbonne n’ont été énoncés que des principes de base, et la présidence française devra conduire les négociations sur l’installation des services qui seconderont le président du Conseil et le Haut Représentant. La mise en place du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), chargé d’appuyer ce dernier et de compléter les services diplomatiques nationaux, est un défi particulièrement important. De plus, la France semble aussi avoir l’intention de mener la difficile mission des négociations sur les nominations aux nouveaux postes. Le traité de Lisbonne laissant une large part à l’interprétation, le simple fait d’avancer des noms a déjà l’air de définir la nature même de ces postes. L’attribution d’une fonction à tel ou tel homme politique connu pour son leadership et la force de ses ambitions européennes prédéterminera largement le rôle et l’impact de ce nouveau poste. Cette remarque prend toute son importance pour le Haut Représentant (également vice-président de la Commission européenne) et le président du Conseil européen: les rôles respectifs de ces deux personnages et du président de la Commission dans la représentation extérieure de l’Union pourront être sujets à nombre de frictions. À l’heure actuelle, on ignore encore par exemple qui représenterait l’UE à un sommet du G8.

4Par ailleurs, les relations entre la future présidence du Conseil européen et la présidence tournante de l’Union restent à définir. Le succès de la nouvelle structure tricéphale de l’UE dépendra également de la volonté des États-membres d’allouer les ressources nécessaires au rôle directeur de ces nouvelles fonctions [3], ainsi que de leur volonté de coopérer avec les nouveaux responsables. Pour prendre un exemple, les gouvernements nationaux conservent leur propre politique étrangère. En conséquence, il dépendra de la volonté de tous les acteurs que les services nouvellement créés apportent effectivement une valeur ajoutée à la direction européenne, en interne ou vis-à-vis des partenaires de l’Union. La conduite des négociations sous la présidence française, qui fera sans doute face à des?positionnements très divers de la part des États-membres, sera cruciale pour l’efficacité des futures institutions.

5La troisième et dernière raison de la densité de cet agenda est que la France a elle-même défini un certain nombre d’ambitions pour sa présidence. Lors de différents discours prononcés dès l’automne 2007, elle s’est fixé des objectifs d’envergure dans le domaine de l’énergie et de la politique climatique, a souhaité définir un « pacte d’immigration » européen incluant une approche harmonisée des pratiques d’asile, et manifesté le désir de développer la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Elle lancera également la controversée Union pour la Méditerranée dès le 13juillet 2008. En janvier2008, le président Nicolas Sarkozy a ajouté qu’il donnerait le coup d’envoi au débat sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC). Cette ambition coïncide désormais avec la crise alimentaire mondiale qui presse les Occidentaux de revoir leurs pratiques traditionnelles de subventions et leur politique commerciale internationale.

6Enfin, la France a répété qu’elle chercherait à renforcer les mesures d’encouragement à la croissance et à l’emploi dans l’UE. De façon notable, elle a attiré l’attention sur une éventuelle réforme de la zone euro, évoquant même l’introduction d’une innovation institutionnelle durant sa présidence avec un sommet de l’Eurozone [4]. À ce jour, les initiatives concernant la gouvernance de l’Union économique et monétaire (UEM) n’ont reçu que peu de soutien, notamment de la part de l’Allemagne. Mais d’autres dynamiques pourraient se développer, si par exemple la crise des subprimes et la chute du dollar devaient peser davantage sur la zone euro: l’Allemagne, dont l’économie est aujourd’hui la plus importante et la plus compétitive de la zone, pourrait alors trouver intérêt à de telles discussions.

Quelques leçons de la présidence allemande

7L’agenda de la présidence française semble particulièrement ambitieux, surtout évalué à la lumière de l’expérience de la présidence allemande de 2007. Tout d’abord, toutes les priorités évoquées (cf. supra) concernent des champs stratégiquement importants et sont potentiellement conflictuelles. Pour bénéficier du soutien de ses 26partenaires, le gouvernement français devra faire preuve d’un très haut degré d’engagement, et consacrer des ressources importantes aux négociations. Si la même attention est accordée à tous les axes de ce programme, il semble excessivement ambitieux d’atteindre des résultats en seulement six mois. La présidence allemande ne s’était fixé que deux objectifs majeurs: remettre le Traité constitutionnel sur les rails et négocier la Déclaration du cinquantenaire de l’Union dans cette optique, et travailler à la recherche d’un accord pour lancer une politique énergétique européenne– ce à quoi elle est finalement parvenue au Conseil du printemps 2007. Hors ces deux efforts majeurs, la présidence allemande s’est essentiellement concentrée sur l’avancement, sans trop de heurts, des politiques en cours. Les promesses de départ de Nicolas Sarkozy sont bien plus importantes puisqu’il affiche son intention de donner à l’Union de « nouvelles politiques » sur tous les terrains désignés comme les priorités de la future présidence française.

8La tâche semble d’autant plus difficile que les présidences du Conseil du second semestre sont considérées comme des « présidences courtes ». Aucune réunion du Conseil ou de ses groupes de travail ne sera vraisemblablement programmée durant tout le mois d’août, et la présidence se clôt sur les vacances de Noël, qui l’amputent aussi d’une semaine. La capacité de la France à agir comme entrepreneur politique sur l’ensemble des priorités annoncées est en outre limitée, comme nous l’avons dit, par les obligations qui doivent de toute façon être remplies à cette période: procédures législatives en cours et mise en œuvre du traité de Lisbonne.

9De ce point de vue, une leçon intéressante peut être tirée de la présidence allemande de 2007. Sur des sujets très délicats, elle a opté pour une bilatéralisation des négociations, moyen de gérer la complexité de la situation dans le Conseil et ses groupes de travail depuis l’élargissement de l’UE à 25membres en 2004. Cette méthode a été choisie pour la Déclaration de Berlin sur le 50e anniversaire de l’Union européenne et les négociations sur l’avenir du Traité constitutionnel, mais elle a aussi été appliquée à des processus législatifs très difficiles, par exemple dans les domaines de la Justice et de l’Intérieur, où il était très difficile de parvenir à un consensus. Cette approche est très exigeante en temps et en ressources, et ne peut être mise en œuvre que par de grands pays disposant d’une équipe diplomatique se consacrant entièrement à la gestion de la présidence européenne. Même si la France dispose de la force de frappe diplomatique nécessaire, ces ressources doivent pouvoir être concentrées en cas de besoin sur les initiatives essentielles, et non dispersées entre des missions trop nombreuses au même moment. Le fonctionnement de la présidence allemande a montré que la hiérarchisation des priorités constitue un élément clé du succès [5].

10La préparation de la présidence française, en amont de la prise de fonction, semble encore se présenter comme une entreprise assez délicate. La France doit faire face à différentes contraintes, dont les plus évidentes ont trait à la ratification en cours du traité de Lisbonne. Pour ne pas mettre en danger cette ratification par l’Irlande ou par la Grande-Bretagne, Paris doit veiller à ne pas faire de déclarations trop ambitieuses, par exemple dans le domaine de la PESD, où une percée réussie pourrait pourtant être un succès clé de la présidence française. Autre contrainte, la nécessité de faire profil bas durant les mois précédant son entrée en fonction, pour éviter d’éventuels reproches du prédécesseur, la Slovénie, si la France paradait en scène avant même d’y être montée.

Les relations avec les partenaires

11Toutes les relations bilatérales ne seront cependant pas aisées ni sans à-coups pour la France. Durant sa présidence, l’Allemagne avait eu à composer avec deux de ses partenaires: la Pologne tout d’abord, menée par le tandem eurosceptique des frères Jaroslaw et Lech Kaczynski, le second « partenaire difficile » du moment n’étant autre que la France, concentrée sur ses élections de mai2007. Jusqu’à cette date, il était malaisé de savoir quelle position la France adopterait envers le projet central de la présidence allemande de l’UE, à savoir la relance, sous une forme révisée, du contenu politique du Traité constitutionnel. Poursuivant la négociation d’un mandat détaillé pour la conférence intergouvernementale devant, au second semestre 2007, mettre la dernière touche au traité de Lisbonne, le sommet de juin 2007 doit aussi son succès à un appui crucial: celui du président français nouvellement élu, qui y a soutenu les initiatives allemandes.

12Il n’y a pas de cas similaire à l’horizon de la présidence française. Néanmoins, le paysage politique au sein de l’Union reste une variable déterminante. L’établissement de relations de travail constructives avec tous les États-membres, y compris les plus petits, constitue un prérequis essentiel de toute réussite. Or, à plusieurs reprises durant sa première année de mandat, le président français a « surpris » ses partenaires par des choix et des déclarations que certains ont pu ressentir comme n’ayant pas fait l’objet de concertation, voire même franchement unilatérales.

13Les relations franco-allemandes ont par exemple été soumises à de sévères tiraillements depuis l’automne 2007, et ne se sont que récemment détendues, quand une position commune sur l’Union pour la Méditerranée a pu être trouvée, juste avant le Conseil européen de mars2008. Le récent sommet franco-britannique n’a eu que de modestes résultats politiques, principalement à cause de contraintes intérieures auxquelles le Premier ministre britannique fait face, et qui l’empêchent de prendre des engagements européens avant la ratification du Traité, mais aussi en raison de son manque d’ambition européenne plus général. Mais pour faire progresser la PESD, Paris a besoin de Londres comme partenaire majeur. Les relations avec le gouvernement italien restent à construire, avec un Silvio Berlusconi connu pour son comportement eurosceptique et imprévisible sur la scène européenne. Les pronostics sont que l’Italie sera un partenaire aussi difficile que lors des deux précédents mandats de Berlusconi (1994-1996 et 2001-2006), ce dernier gouvernant, cette fois encore, avec la très droitière et eurosceptique Ligue du Nord.

14Concernant la Pologne, la préparation bilatérale de la présidence française avait d’abord subi un coup d’arrêt après l’annulation de dernière minute d’un sommet entre les deux pays censé impliquer une importante délégation française [6]. Mais le sommet bilatéral du 28 mai 2008 a permis d’aborder quelques questions épineuses comme par exemple l’Union pour la Méditerranée, à laquelle la Pologne n’accorde pas de priorité politique. En revanche, la Pologne profite de l’occasion pour exiger de l’UE, appuyée par la Suède, de resserrer les liens avec les voisins orientaux, de l’Ukraine à la Géorgie. La présidence française se trouvera alors devant le jeu politique connu depuis les années 1990 qui consiste à trouver un équilibre délicat entre initiatives concernant les voisinage Sud et Est de l’Union. Le deuxième sujet important concerne le renforcement de la PESD. Malgré la récente déclaration de la Pologne sur l’importance accrue de la coopération en matière de sécurité à l’échelle européenne, des perspectives communes et des projets communs restent à trouver. Face à la volonté française de réformer la PAC, et du fait que la Pologne tient fermement au maintien des subventions directes sans versements nationaux complémentaires, d’autres entretiens bilatéraux seront nécessaires. Varsovie souhaite aussi maintenir de fortes politiques régionales et de cohésion, tout en argumentant que l’UE risque de devoir augmenter ses dépenses totales. La Pologne pourrait également exprimer des positions particulières sur certains enjeux énergétiques, incluant la relation à la Russie, et être ici rejointe par les autres pays d’Europe centrale et orientale. Ceux-ci sont aussi susceptibles d’avoir une réaction empreinte de scepticisme face aux initiatives françaises dans le champ des politiques socio-économiques, par exemple sur la question d’une harmonisation dans l’Union des impôts sur les sociétés.

La présidence française vue d’ailleurs…

15Tout comme l’Allemagne avant sa présidence de 2007, la France doit faire face à un soupçon particulier: les grands pays sont en général suspects d’être moins désireux d’assumer la fonction de modérateur neutre entre tous les États-membres, fonction clé de la présidence. Sur les enjeux clés de l’Union, l’opinion générale leur prête des intérêts importants et les moyens de les faire avancer. Dans le cas de la France, le souvenir de sa dernière présidence, en 2000, renforce cette inquiétude: elle fut alors accusée de ne pas faire son travail en « intermédiaire honnête », mais plutôt d’abuser de sa position dominante pour aller dans le sens de ses propres intérêts [7].

16En diverses occasions dans l’année écoulée, la France a de plus provoqué quelques doutes quant à son engagement européen et envers l’acquis communautaire [8]. Cela a débuté avec les attaques du candidat Sarkozy contre la Banque centrale européenne (BCE). La déclaration du président Sarkozy selon laquelle il mettrait un terme aux quotas de pêche européens a beaucoup étonné ses partenaires: il s’agit bien d’une politique communautaire, à laquelle la France seule ne peut mettre un terme. L’annonce selon laquelle le gouvernement français subventionnerait ArcelorMittal pour maintenir en France des emplois susceptibles d’être délocalisés s’opposait frontalement avec les politiques européennes de contrôle des aides étatiques. Surtout, la suggestion française de lancer une Union méditerranéenne hors cadre communautaire avait provoqué une forte opposition, en particulier en Allemagne. De même, la visite de Nicolas Sarkozy à l’Eurogroupe, pour expliquer que la France ne respecterait pas l’objectif de parvenir à un budget équilibré en 2010, a ajouté à l’impression selon laquelle engagements et règles européens ne sont que d’une importance relative pour le chef de l’État français, face aux intérêts nationaux.

17Les partenaires européens de la France savent pourtant que Paris ne parle pas toujours d’une seule voix par rapport à l’Union, ou sur un tel ton. Le secrétaire d’État chargé des Affaires européennes Jean-Pierre Jouyet, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, comme la grande majorité du personnel diplomatique, s’engagent pour que la France ait un rôle constructif dans le processus d’intégration européen, tout spécialement si peu de temps avant de prendre les rênes de l’Union [9]. Dans la préparation de sa présidence, la France fait des efforts pour afficher une présence forte auprès des institutions européennes, à Bruxelles et à Strasbourg. Le Parlement européen, par exemple, a reçu une attention notable des leaders français: trois visites de N.Sarkozy lui-même, invitations à des entretiens à l’Élysée pour tous les présidents de groupes parlementaires, fréquents contacts entre Jean-Pierre Jouyet et les parlementaires, etc [10]. De bonnes relations avec le Parlement européen peuvent en effet se révéler cruciales, comme la présidence allemande de 2007 en a fait l’expérience [11].

Le couple franco-allemand et la présidence française

18En dépit des liens gouvernementaux et administratifs étroits qui existent entre la France et l’Allemagne, les responsables berlinois font partie de ceux qui, pendant quelques mois, ont observé les manœuvres du président français avec un scepticisme considérable. Certaines initiatives ont même déclenché des tensions sérieuses, comme le projet d’une Union méditerranéenne, ou les positions totalement opposées des deux pays sur la gouvernance de la zone euro. Pour la présidence française de l’Union (et bien au-delà), une relation constructive entre les deux partenaires demeure la condition nécessaire du succès – pour autant que ce succès soit défini comme une progression de l’intégration européenne.

19Il est indiscutable que le tandem franco-allemand a perdu de son poids politique et de son pouvoir mobilisateur dans l’UE depuis les élargissements de2004 et2008 qui ont vu l’Union passer de 15 à 27membres. Il est pourtant resté au cœur de tous les progrès d’intégration de ces dernières années. Ceci concerne aussi bien les initiatives intégratrices à l’échelle de toute l’Europe (traité de Lisbonne, réforme du Pacte de stabilité et de croissance, initiatives conjointes à la Convention européenne, etc.), que la coopération entre un nombre restreint d’États-membres (Schengen, Prüm, etc.). S’il existe une volonté politique de faire avancer l’Union, institutionnellement ou politiquement, celle-ci ne peut se concrétiser sans que la France et l’Allemagne se trouvent au centre du mouvement. Le couple franco-allemand demeure un facteur clé de tout progrès d’intégration futur, aucun « moteur » alternatif d’intégration européenne n’étant apparu. Nul autre groupe de pays n’a le poids de la France et de l’Allemagne, ni leur potentiel à dégager un consensus européen.

20On peut aujourd’hui constater une certaine usure de l’idée d’intégration chez la plupart des membres de l’UE. L’horizon politique de la majorité d’entre eux se réduit dans les faits à la ratification et à la mise en œuvre du traité de Lisbonne. Des réformes supplémentaires (qu’il s’agisse des institutions ou des politiques) ne sont pas à l’ordre du jour et les appels antérieurs à des projets d’intégration plus ambitieux n’ont guère eu d’écho politique [12]. En définitive, avec les deux économies les plus importantes de l’Union européenne (ensemble elles représentent 47% du produit national brut de l’UEM et 34% de celui de l’UE), la France et l’Allemagne mettent des moyens à la disposition de leurs partenaires (par exemple dans le domaine de la défense). Cette capacité à payer et à partager renforce leur capacité et leur crédibilité globale au sein de l’Union.

21Une autre raison pour laquelle le couple franco-allemand demeure essentiel réside notamment dans l’affaiblissement politique de la Commission européenne. Le rôle intégrateur joué par exemple par Jacques Delors lorsqu’il était président de la Commission pour la construction et la mise en place du marché unique et de l’UEM est aujourd’hui inconcevable. Dans une Union élargie, avec des préférences nationales divergentes et des degrés très variables d’expérience et d’aspiration européennes, il est difficile pour un acteur supranational de jouer un rôle important comme initiateur ou moteur politique, d’autant que la légitimité de la Commission a décliné. La période de « construction de l’Europe », où la Commission trouvait un emploi naturel de « bâtisseur », est terminée, et l’acceptation de la Commission dans son rôle traditionnel s’érode. Ceci est d’autant plus vrai des nouveaux adhérents qui ont rejoint l’Union à un stade où elle était déjà parvenue à un degré de consolidation conséquent.

L’état actuel de la relation franco-allemande

22La relation bilatérale entre la France et l’Allemagne a connu un important renforcement administratif à travers la Déclaration du 40e anniversaire du traité de l’Élysée en janvier2003. Depuis lors, un imposant réseau de coopération gouvernementale et administrative a été mis en place. Dans les moments difficiles (comme lors de l’après-référendum), ce réseau a permis une coopération bilatérale constante et la définition d’un agenda commun, dont témoigne par exemple le travail du Conseil des ministres franco-allemand. Toutefois, ces processus de consultation n’ont eu qu’un impact restreint sur les initiatives politiques de grande envergure dans le cadre européen [13].

23De plus, les rencontres de Blaesheim entre le président français et la chancelière allemande se sont révélées être des échanges confidentiels cruciaux, faisant progresser les questions bilatérales, européennes, et internationales. Leur fréquence – une rencontre toutes les six à huit semaines (jusqu’en 2007) – a apparemment été très utile pour la mise en place de positions conjointes. Début 2008, les mécanismes de coopération ont « souffert ». Signe le plus visible: l’ajournement de la rencontre de Blaesheim du 3mars 2008, un ajournement qui avait clairement valeur de symbole. On ne peut ignorer le risque que les processus de coopération administrative qui sous-tendent le Conseil des ministres soient remis en cause car considérés comme « trop lourds ». Les cinq ans de coopération bilatérale intensifiée depuis l’anniversaire du traité de l’Élysée ont montré que même des procédures administratives bien établies ont besoin d’un encouragement politique venu du sommet de l’État pour éviter une lente dégradation. Les désaccords publics autour de l’Union méditerranéenne et de la réforme de l’Union économique et monétaire ont contribué à étendre un certain climat de méfiance qui s’est établi ces dernières années dans la relation franco-allemande. On en a trouvé l’écho non seulement dans les comptes rendus de presse, mais encore dans les débats impliquant experts académiques, think tanks, ou décideurs politiques…

24Le tournant dans cette relation délicate depuis l’automne 2007 semble avoir été un dîner de mars2008 entre la chancelière allemande et le président français. Non seulement les deux pays sont alors tombés d’accord sur une position commune au sujet de l’Union pour la Méditerranée, qui a permis, lors du sommet européen du printemps, de relancer le processus de Barcelone sous un nouveau titre en tant qu’initiative de l’Union; mais ils se sont aussi accordés sur la constitution d’équipes bilatérales pour travailler sur certaines des priorités de la présidence française.

25Dans le contexte de la présidence française de l’Union, l’expérience bilatérale pourrait se révéler décisive pour que la France et l’Allemagne maintiennent leur intérêt politique et leur pouvoir de mobilisation en tant que moteurs de l’intégration au-delà de 2008. À l’heure actuelle, aucun « grand projet » commun n’est en vue. Alors que la France, en diverses occasions, a argumenté en faveur d’un débat plus vaste sur le futur de l’Europe (par exemple avec la mise en place du « Comité des Sages » ou dans sa recherche d’une discussion stratégique sur le rôle international de l’UE), cela ne semble pas une priorité pour le gouvernement allemand. La France est aujourd’hui en position de jouer un rôle productif dans la réflexion nécessaire sur le long terme. Premièrement, le « non » au référendum et le débat public qui l’a précédé (sur l’Union européenne, à défaut d’être nécessairement sur le Traité constitutionnel) ont révélé quantité d’informations sur les perceptions, les idées, les demandes et les critiques des citoyens de ce pays par rapport à l’Union. Deuxièmement, la France affiche la volonté politique de promouvoir le rôle de l’UE à l’échelle internationale, afin de contribuer de façon constructive et efficace au traitement des défis internationaux contemporains. Pour mener à bien cette mission, la France devra impliquer un nombre important de ses partenaires dans un débat de fond, mais aussi prendre, avec beaucoup de souplesse, le rôle de modérateur des différentes approches et positions nationales, tout en gardant une position d’initiateur et de moteur. La présidence française, en anticipant la mise en œuvre du traité de Lisbonne qui renforce la représentation internationale de l’UE, permettra d’avancer dans cette direction – même si cette tâche ne sera pas accomplie en décembre 2008.


Mots-clés éditeurs : Union européenne, Traité de Lisbonne, Présidence française, Coopération franco-allemande

Date de mise en ligne : 15/07/2008.

https://doi.org/10.3917/pe.082.0361

Notes

  • [1]
    La première a été ouverte par l’Allemagne le premier janvier 2007, en coopération avec le Portugal et la Slovénie.
  • [2]
    Sur la réforme du Conseil européen et l’installation d’un président permanent, voir les articles 13, 15, 22 et 26 du traité de l’Union européenne et les articles 68, 121, 148, 222, et 235-236 du Traité modificatif.
  • [3]
    A. Maurer, Der Europäische Rat und sein Präsident, Berlin, SWP, « SWP-Dossier: Der Vertrag von Lissabon », mars 2008. Ph. Ricard, « Qui sera le premier président de l’Union européenne de demain? », Le Monde, 24 avril 2008.
  • [4]
    Ph. Ricard, « Gouvernance de la zone euro: Paris juge insuffisantes les propositions de M. Almunia », Le Monde, 27 avril 2008.
  • [5]
    D. Kietz et V. Perthes (dir.), The Potential of the Council Presidency. An Analysis of Germany’s Chairmanship of the EU 2007, Berlin, SWP, « SWP Research Paper », n 1, janvier 2008, p. 15, disponible sur www.swp-berlin.org/.
  • [6]
    « Report sine die de la visite en Pologne de Nicolas Sarkozy », Le Figaro, 22 avril 2007 ; et « Sarkozy en Pologne de nouveau reporté », AFP, repris dans la rubrique en ligne du Figaro « Flash actu », 24 avril 2008, disponible sur www.lefigaro.fr.
  • [7]
    Voir par exemple H. Drake, « France on Trial? The Challenge of Change and the French Presidency of the European Union, July-December 2000 », Modern & Contemporary France, vol. 9, n 4, 2001, p. 461.
  • [8]
    Voir par exempleG. Watson, « Ce que l’Union européenne attend de la présidence française », dans la rubrique en ligne du Figaro « Débats », 23 avril 2008, disponible sur www.lefigaro.fr.
  • [9]
    « La France baisse le ton sur la présidence de l’UE », publié sur le site EurActiv, 31 janvier 2008, disponible sur www.euractiv.com.
  • [10]
    G. Watson, op. cit. [8].
  • [11]
    Voir D. Kietz et V. Perthes (dir.), op. cit. [5], et plus particulièrement les chapitres de R. Parkes, « Asylum and Immigration Policy. Efficient Realisation of a Modest Agenda » (p. 49-55) et de D. Kietz, « Holding all the Cards. Strong German Impulses for Police Cooperation » (p. 56-64).
  • [12]
    Voir sur l’intégration politique de l’UEM, G. Verhofstadt, Les États-Unis d’Europe, Bruxelles, Luc Pire, « Voix politiques », 2006.
  • [13]
    Voir par exemple D. Schwarzer, « Deutschland – Frankreich: Duo ohne Führungswillen. Das bilaterale Verhältnis in der erweiterten Europäischen Union », Berlin, SWP, « SWP Studie », n 15, 2006, disponible sur www.swp-berlin.org/.
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