Notes
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[1]
Un MIRV (Multiple Independently Targetable Re-entry Vehicle) est un missile à ogives multiples guidables de manière indépendante sur leurs objectifs (NDLR).
1À l’origine, la maîtrise des armements visait à limiter la course aux armements (essentiellement nucléaires) plutôt qu’à la stopper. Ce terme n’avait pas la même connotation que « réglementation des armements » ou « désarmement », termes utilisés dans la charte de l’Organisation des Nations unies (ONU). Au fil du temps, la vaste panoplie de mesures incluses dans la maîtrise des armements a réuni celles qui : a) gèlent, limitent, réduisent ou abolissent certaines catégories d’armes ; b) bannissent les essais de certaines armes ; c) empêchent certaines activités militaires ; d) régulent certains déploiements armés ; e) proscrivent les transferts de matériels militaires importants ; f) réduisent le risque de guerre accidentelle et g) bâtissent la confiance entre États par une plus grande transparence militaire.
Les grands accords
2Les accords de maîtrise des armements peuvent être bilatéraux, multilatéraux ou régionaux.
Les accords bilatéraux
3• Le traité ABM (Antiballistic Missile Treaty). Signé le 26 mai 1972, le traité entre les États-Unis et l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques interdisait le déploiement de ces systèmes pour la défense totale du territoire des deux pays, ainsi que la création d’une base pour une telle défense. Les systèmes antimissiles balistiques pour une défense régionale étaient également interdits, sauf autorisation expresse. Les systèmes antimissiles étaient alors vus comme non fiables, coûteux, vulnérables aux contre-mesures. Chaque partie conservait cependant le droit de tester des ABM terrestres fixes, sur certains polygones spécifiés. Il n’était pas non plus interdit de développer des systèmes antibalistiques fondés sur des principes physiques autres que ceux des systèmes interdits par le traité ABM. Le traité ABM a été considéré comme la pierre angulaire de la maîtrise des armements : les Américains s’en sont retirés en 2001.
4• L’accord SALT I (Strategic Arms Limitation Talks). Signé en même temps que le traité ABM, l’accord sur la limitation des armements stratégiques gelait pour cinq ans le nombre des lanceurs de missiles balistiques intercontinentaux (Intercontinental Ballistic Missiles, ICBM) terrestres fixes, ainsi que les mêmes dispositifs sur les sous-marins américains et soviétiques. Les parties étaient libres de choisir les proportions entre ces divers éléments. L’accord ne touchait pas la modernisation des armes en question (à l’exception du gel sur la taille des dispositifs de lancement d’ICBM) – ni les techniques touchant à leur invulnérabilité, à leur précision ou à leur portée. Les procédures agréées permettaient aux deux parties de remplacer les types d’armes obsolètes par des modèles modernes. Le nombre d’ogives nucléaires portées par chaque missile n’était pas limité (le traité SALT II de 1979 établissait une parité quantitative, mais il ne fut jamais appliqué).
5• Le traité INF (Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty). Signé le 8 décembre 1987, le traité entre les États-Unis et l’URSS sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée des deux pays, interdisait les essais en vol et la production de ces missiles, ainsi que celle de leurs lanceurs. Les missiles intermédiaires avaient une portée de 1 000 à 5 500 km, et les autres une portée de 500 à 1 000 km. Le traité FNI n’élimina cependant qu’une fraction des vecteurs d’armes nucléaires possédés par les deux parties. De plus, les ogives nucléaires et les systèmes de guidage ôtés des missiles n’étaient pas détruits, mais stockés pour une réutilisation possible. La destruction de ces missiles effaça cependant toute une catégorie d’armes nucléaires qui auraient pu être utilisées, tôt et de manière préemptive, dans un conflit armé Est-Ouest.
6• Le traité START I (Strategic Arms Reduction Treaty). Signé le 31 juillet 1991, le Traité sur la réduction et la limitation des armes stratégiques offensives prévoyait de vastes coupes dans les arsenaux nucléaires des États-Unis et de l’URSS. Les parties s’engageaient à réduire leurs armes stratégiques offensives à des niveaux égaux, sur une période de sept ans. Le stock serait alors de chaque côté de 1 600 vecteurs stratégiques et 6 000 ogives nucléaires déployées, dont 4 900 ogives sur missiles balistiques ; dans le cas soviétique (puis russe), l’accord prévoyait 1 540 ogives sur 154 missiles balistiques intercontinentaux « lourds ». De plus, chaque partie acceptait de ne pas disposer de plus de 1 100 ogives sur ICBM mobiles. En diminuant le nombre d’ogives sur les missiles balistiques les plus menaçants, en coupant substantiellement la capacité d’emport totale des missiles, le traité START I réduisait le potentiel d’attaque nucléaire des superpuissances. Il n’atteignit pourtant pas le but affiché d’une réduction de 50 % des forces stratégiques américaines et russes. En mettant l’accent sur les réductions des missiles à longue portée, des ogives et capacités d’emport, le traité laissait de côté les bombes gravitationnelles ; il ne limitait que partiellement les missiles aéroportés ; et il laissait pratiquement libres les missiles de croisière lancés de plateformes maritimes. En outre, les parties pouvaient moderniser leurs arsenaux d’armes stratégiques au fur et à mesure qu’étaient retirées les armes les plus anciennes.
7• Le traité START II. Signé le 3 janvier 1993, il fixait des plafonds égaux pour les armes nucléaires stratégiques de chaque partie. Ces plafonds devaient être atteints en deux étapes. À la fin de la première étape, chaque partie devait avoir réduit le nombre total de ses ogives nucléaires stratégiques déployées à 3 800-4 250. Ces chiffres incluaient les ogives sur les missiles balistiques intercontinentaux et les missiles balistiques à lanceurs sous-marins (Submarine Launched Ballistic Missiles, SLBM) ou aériens. Sur un total de 3 800-4 250 ogives, au maximum 1 200 pourraient être déployées sur missiles mirvés [1], au maximum 2 160 sur missiles embarqués et au plus 650 sur ICBM lourds. À la fin de la dernière étape, chaque partie aurait réduit le nombre total de ses ogives nucléaires stratégiques à 3 000-3 500. À l’intérieur de ces limites, chacune serait libre de choisir le niveau auquel elle souhaiterait s’établir. Seuls les ICBM transportant une seule ogive devaient être autorisés. Le traité START II visait ainsi à améliorer la stabilité stratégique par l’élimination des ICBM mirvés, les plus susceptibles de participer à une attaque préemptive. Son application devait mener à une réduction des deux tiers des forces nucléaires stratégiques que l’URSS et les États-Unis conservaient au sommet de la guerre froide, mais il n’a pas été appliqué.
8• Le traité SORT (Strategic Offensive Reduction Treaty). Signé le 24 mai 2002 entre les États-Unis et la Russie, ce traité sur la réduction des armes stratégiques offensives impose la réduction de leur stock à 1 700-2 200 ogives au 31 décembre 2012. Le rythme des réductions est laissé à la discrétion des parties. Les limitations s’appliquent uniquement aux ogives déployées sur des plateformes de lancement. En réduisant drastiquement le nombre d’ogives pouvant être lancées instantanément, SORT diminue certes le risque d’une guerre nucléaire accidentelle, mais le bénéfice en terme de maîtrise des armements est faible. Les parties restent libres de produire ogives et vecteurs (missiles, y compris ICBM mirvés, bombardiers), sans restriction. Les ogives non déployées peuvent être stockées sans contrôle. Chaque partie détermine la composition et la structure de son arsenal d’armes stratégiques offensives. Au lieu de les réduire, la Russie et les États-Unis peuvent en réalité restructurer, qualitativement et quantitativement, ou même élargir, leurs arsenaux.
Les accords multilatéraux
9• Le PTBT (Partial Test Ban Treaty). Ouvert à la signature le 8 août 1963, le Traité sur l’interdiction partielle des essais nucléaires interdisait les essais nucléaires dans l’atmosphère, dans l’espace et sous l’eau, mais pas sous terre. Ces restrictions n’empêchèrent pas les puissances nucléaires d’atteindre la plupart de leurs objectifs militaires : elles pouvaient effectuer des essais souterrains et cacher les informations qui auraient pu être plus facilement déduites des essais atmosphériques.
10• Le Traité sur l’espace extra-atmosphérique. Ouvert à la signature le 27 janvier 1967, le traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et autres corps célestes, interdit de mettre sur orbite terrestre un quelconque objet transportant des armes nucléaires ou tout autre type d’arme de destruction massive, ainsi que d’installer de telles armes sur des corps célestes, ou de placer celles-ci dans l’espace extra-atmosphérique de quelque manière que ce soit. L’établissement de bases, d’installations militaires ou de fortifications est également banni, ainsi que les essais de n’importe quel type d’arme et l’exécution de manœuvres militaires sur des corps célestes. En renonçant à installer des armes nucléaires ou autres armes de destruction massive dans l’espace, les grandes puissances n’ont en réalité pas sacrifié grand-chose. Il n’est pas interdit de lancer des missiles balistiques transportant des armes nucléaires dans l’espace, et le déploiement dans l’espace d’armes autres que de destruction massive n’est nullement restreint.
11• Le Traité de non-prolifération (TNP). Ouvert à la signature le 1er juillet 1968, le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires stipule que les États dotés d’armes nucléaires s’engagent à ne transférer à aucun destinataire des armes nucléaires ou un autre dispositif explosif nucléaire, ou le contrôle de telles armes, et à n’aider, encourager ou inciter en aucune façon un État non doté d’armes nucléaires à en fabriquer ou en acquérir. Les États non dotés d’armes nucléaires ne doivent, eux, pas accepter d’armes nucléaires, ni le contrôle de telles armes ; ils s’engagent à ne pas les fabriquer, à ne pas recevoir d’aide visant à leur fabrication. Les parties signataires peuvent développer et utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, et celles qui le peuvent doivent aider les pays non dotés d’armes nucléaires à bénéficier de l’énergie nucléaire civile. Les signataires s’engagent à mener des négociations de bonne foi sur l’arrêt de la course aux armements nucléaires, ainsi que sur un traité de désarmement général et complet. Le TNP est d’une importance capitale pour la maîtrise des armements : il combat l’anarchie nucléaire et incite les puissances nucléaires à réduire leurs arsenaux.
12• Le Traité sur le fond des mers (Seabed Arms Control Treaty ou Seabed). Ouvert à la signature en février 1970, ce traité interdit de placer sur les fonds marins ou dans leur sous-sol toute arme nucléaire ou tout type d’armes de destruction massive, ainsi que des structures, plateformes de lancement ou toute autre installation spécifiquement destinée au stockage, à l’expérimentation ou à l’utilisation de telles armes. Les parties s’engagent également à ne pas aider, encourager ou pousser un État vers des activités interdites par le traité. Le traité sur les fonds marins n’a qu’une faible valeur en terme de maîtrise des armements. Les installations nucléaires sur les grands fonds, autrefois envisagées comme une possibilité, se sont révélées peu attrayantes pour les militaires. Le traité Seabed a interdit quelque chose qui n’existait pas, et qui probablement n’était pas réalisable.
13• La Convention BW (Biological Weapons Convention). Ouverte à la signature le 10 avril 1972, la convention interdit la mise au point, la production et le stockage d’agents microbiologiques ainsi que des toxines, et décide leur destruction. Sont également interdits les armes, équipements ou vecteurs destinés à l’emploi de tels agents et toxines à des fins hostiles, ou dans les conflits armés.
14• L’accord sur la Lune. Ouvert à la signature le 18 décembre 1979, l’accord qui régit les activités des États sur la Lune et les autres corps célestes a renforcé les dispositions du traité sur la dénucléarisation de l’espace. Il a confirmé la démilitarisation de la Lune, interdisant toute menace ou tout usage de la force et tout autre acte hostile sur la Lune. De même, il interdit l’utilisation de la Lune pour commettre de tels actes ou pour menacer la Terre, la Lune, les vaisseaux spatiaux ou leur personnel. Les parties ne sont pas autorisées à mettre sur orbite autour de la Lune – ou sur n’importe quelle trajectoire vers elle, ou autour d’elle – des objets portant des armes nucléaires ou toute autre arme de destruction massive, ou à placer ou utiliser de telles armes sur ou dans la Lune. Le danger d’une guerre menée d’une autre planète vers la Terre semble cependant demeurer une perspective irréaliste.
15• La Convention sur les armes chimiques (CIAC). Ouverte à la signature le 13 janvier 1993, la Convention sur l’interdiction du développement, de la production, du stockage et de l’utilisation des armes chimiques, et sur leur destruction, interdit non seulement les armes chimiques mais aussi les préparatifs militaires pouvant conduire à leur emploi. Les parties ont l’obligation de ne pas aider, encourager ou inciter quiconque à s’engager dans des activités interdites. Contrairement au TNP qui tolérait, pour une durée indéterminée, l’existence de deux types d’États – ceux dotés de l’arme nucléaire et ceux ne la possédant pas –, et qui définissait des droits et obligations différents pour les deux catégories, cette convention met toutes les nations sur le même pied : il leur est interdit de produire ou de conserver des armes chimiques, et elles sont toutes sujettes aux mêmes procédures complexes de vérification.
16• Le Traité d’interdiction complète des expérimentations nucléaires (TICE ou Comprehensive Test Ban Treaty, CTBT). Ouvert à la signature le 24 septembre 1996, il interdit les essais nucléaires, ou toute autre explosion nucléaire, et engage à interdire et empêcher toute explosion de ce type dans tout lieu relevant de la juridiction ou du contrôle des parties. Tout État disposant aujourd’hui d’une base technologique moderne, ou des ressources financières pour acheter les technologies nécessaires, peut fabriquer sans essai un dispositif de fission atomique d’un modèle relativement simple (bien que d’un rendement incertain), avec une forte probabilité que l’appareil marchera. Mais les armes thermonucléaires sont plus complexes. Il est difficile de les développer sans essai, même si ce n’est sans doute pas complètement impossible. Ce traité n’est pas encore entré en vigueur.
17• La Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel. Ouverte à la signature le 3 décembre 1997, la convention interdit l’emploi, le stockage, la production ou le transfert de mines antipersonnel et impose leur destruction. Elle confirme la thèse selon laquelle de simples restrictions sur l’emploi des armes – presque toujours contournées par des exceptions ou des réserves – ne sont pas suffisantes ; elles ne peuvent, au vrai, être utiles que si elles préludent à une interdiction inconditionnelle d’emploi, et conduisent à leur bannissement. À cet égard, la convention sur l’interdiction des mines suit l’exemple des conventions sur les armes biologiques et chimiques. À d’autres égards cependant, elle est unique, en ce qu’elle abolit des armes massivement utilisées dans des conflits internationaux ou internes, et comprend l’obligation de fournir une aide pour les soins aux victimes et leur rééducation.
Les accords régionaux
18• Le traité sur l’Antarctique. Ouvert à la signature le 1er décembre 1959, il exige que l’Antarctique ne soit utilisé qu’à des fins exclusivement pacifiques. Le traité y interdit toute mesure de nature militaire, comme l’établissement de bases ou de fortifications, de manœuvres militaires ou d’expérimentations d’armes.
19• Le traité FCE. Signé le 19 novembre 1990, le Traité sur les forces conventionnelles en Europe limite les armements classiques des États de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et de l’ancien pacte de Varsovie. Dans l’aire d’application du traité, chaque partie doit limiter et, si nécessaire, diminuer, certaines catégories d’armes et d’équipements : tanks, véhicules blindés de combat, artillerie, avions de combat et hélicoptères d’attaque. L’objectif déclaré est ici d’éliminer les disparités entre forces classiques, préjudiciables à la stabilité stratégique. Les dispositions du traité ont dans une très large mesure été dépassées par les faits : réductions unilatérales et désengagements de troupes.
20• Zones libres d’armes nucléaires. Trois accords régionaux de dénucléarisation sont aujourd’hui en vigueur : le traité de Tlatelolco (1967) pour l’Amérique latine, le traité de Rarotonga (1985) pour le Pacifique Sud et le traité de Bangkok (1995) pour l’Asie du Sud-Est. Le traité de Pelindaba (1996) pour l’Afrique et le traité de Semipalatinsk (2006) pour l’Asie Centrale ont été signés mais ne sont pas encore entrés en vigueur. Les obligations des parties à ces traités vont plus loin que celles du TNP : non seulement l’acquisition d’armes nucléaires par les États des zones qui en sont encore exemptes est interdite mais aussi le stationnement de toute arme nucléaire sur la zone.
21En outre, les protocoles qui accompagnent les traités contiennent des « assurances négatives de sécurité » (ANS), notamment l’engagement des puissances nucléaires de ne pas employer d’armes nucléaires contre un État signataire. Les traités mentionnés ci-dessus ont pourtant des faiblesses : le transit de navires et avions transportant les armes nucléaires peut être autorisé. Ni la fréquence, ni la durée de transit ne sont limitées. L’engagement de la France, de la Russie et des États-Unis de ne pas employer d’armes nucléaires contre les signataires de ces traités est conditionnel. Il cesse en cas d’attaque contre une puissance nucléaire ou un de ses alliés, de la part d’un État ne possédant pas l’arme nucléaire mais qui serait associé ou allié à un État la possédant. Cette exception alambiquée affaiblit donc les garanties négatives de sécurité. Dans la mesure où les incitations à acquérir l’arme nucléaire peuvent être largement régionales, l’établissement d’aires exemptes d’armes nucléaires constitue un avantage incontestable pour la cause de la non-prolifération. Confiants dans le fait que leurs ennemis régionaux ne possèdent pas d’armes atomiques, les États seront sans doute moins tentés de s’en doter eux-mêmes.
La vérification et le retrait des accords
22Il est souvent souligné que la vérification doit être adéquate, appropriée ou effective : termes de sens variés… Nombre d’analystes pensent qu’il y aura toujours une limite à la détection des violations, mais que ce seuil doit être assez bas pour que les conséquences de ces éventuelles violations soient négligeables. Ce qui importe en fait n’est pas la non-application en soi, mais ses effets : pour produire une altération grave de l’équilibre militaire entre États, la tricherie devrait être d’une échelle telle que sa détection serait inéluctable. D’autres considèrent au contraire toute déviation par rapport aux obligations contractées comme une faute intolérable, indépendamment de sa signification militaire, et exigent une vérification totale. À la base de cette approche légaliste, se trouve la conviction que le principe pacta sunt servanda doit être respecté sans conditions, même au risque que des différends sur des sujets mineurs en arrivent à saper le traité lui-même. Au vrai, si la vérification absolue d’un traité est impossible, et si l’absence complète de violation ne peut jamais être prouvée, seule la première des deux approches permet des accords effectifs de maîtrise des armements. Les parties doivent juger pour elles-mêmes si la menace d’une violation non détectée excède celle d’une course incontrôlée aux armements.
23Si une violation devait conduire à une importante friction internationale, le Conseil de sécurité des Nations unies pourrait engager une action contre le contrevenant. Au titre du chapitre VI de la Charte, il pourrait recommander à l’État ou aux États concernés « des procédures ou méthodes d’ajustement appropriées ». Il pourrait aussi décider que telle violation ou tel type de violation constituent une « menace contre la paix ». Selon le chapitre VII, il aurait alors la possibilité de demander aux membres de l’Organisation d’appliquer des sanctions. Il pourrait également recommander à l’Assemblée générale la suspension des droits et privilèges liés au statut de membre, voire l’expulsion de l’ONU. Enfin, le Conseil peut décider de sanctions militaires : démonstrations, blocus, opérations de forces aériennes, navales ou terrestres. En pratique cependant, et même avec la majorité requise des deux tiers, le Conseil pourrait se montrer incapable d’agir face au droit de veto.
24L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) peut elle aussi avoir à connaître des manquements aux obligations générées par les accords de maîtrise des armements. Aux termes de l’article XII de son statut, les cas de non-conformité avec les accords de garanties nucléaires doivent être portés à la connaissance du Conseil de sécurité des Nations unies et de l’Assemblée générale. Si des mesures correctives ne sont pas prises dans un délai raisonnable, le conseil de l’AIEA peut interrompre ou suspendre l’aide fournie par l’Agence ou par un État membre, et demander la restitution du matériel et des équipements mis à la disposition de l’État transgresseur. Un État peut également être suspendu de l’exercice des droits et privilèges attachés au statut de membre de l’AIEA. L’efficacité de telles sanctions est cependant douteuse : la faiblesse des mécanismes de coercition à disposition de l’AIEA a été clairement illustrée par le cas de la Corée du Nord.
Le problème du retrait
25Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, un accord de limitation des armements a été dénoncé unilatéralement avec le retrait des États-Unis du traité ABM en 2002. Moins d’un an plus tard, la Corée du Nord se retirait du TNP. Dans les deux cas, une clause de désengagement a été invoquée : un événement extraordinaire en rapport avec le sujet du traité et menaçant les intérêts supérieurs du pays. L’évaluation de la réalité d’un événement « extraordinaire », et de son rapport avec le but du traité, de son impact sur les intérêts du pays, est laissée à l’appréciation de la partie qui se désengage.
26Les éléments de cette clause de désengagement ont été fixés en 1963, lors des négociations du PTBT. Pour certains traités conclus depuis, la règle a été modifiée concernant le temps de prise d’effet du désengagement – de trois à douze mois. En outre, la liste des institutions que le pays se désengageant se doit de prévenir a été élargie. L’obligation d’informer le Conseil de sécurité des Nations unies a un poids particulier : si le Conseil jugeait que le retrait du traité menaçait la paix et la sécurité internationale, il pourrait avoir recours à des sanctions, y compris militaires. Il paraît pourtant peu probable que les Nations unies usent de la force contre un État respectueux du traité, qui déciderait de se désengager non pour acquérir les armes interdites, mais pour montrer son mécontentement face à une non-application du traité, ou pour d’autres raisons politiques.
Comment améliorer le processus de maîtrise des armements ?
Comment s’assurer de l’application des accords ?
27Nombre d’obstacles s’opposent à l’application des accords de maîtrise des armements. Les surmonter tous impliquerait des changements radicaux dans la structure et le travail des organes principaux des Nations unies et des autres organisations internationales. La force des résolutions de l’Assemblée générale devrait être améliorée, le droit de veto des membres permanents du Conseil de sécurité devrait être restreint ou supprimé, les prérogatives des organes exécutifs des organisations d’application des traités élargies et leurs décisions rendues obligatoires.
28Dans les relations bilatérales, la menace de l’abrogation est le principal moyen de faire respecter un traité : elle peut priver la nation en défaut des avantages acquis grâce au traité. Dans les relations multilatérales, les violations pourraient être dissuadées par l’annonce d’une action conjointe de toutes les parties au traité, au côté de l’État ou des États directement touchés par la violation. Pour que de telles mesures collectives puissent être appliquées sans une décision internationale ad hoc, il faudrait naturellement les organiser à l’avance, et distinguer, pour leur mise au point, entre simples violations techniques et violations graves et patentes. Les réponses aux violations potentielles devraient devenir un maillon central des obligations contractées dans le traité. Les sanctions militaires devraient demeurer conditionnées à une décision du Conseil de sécurité. L’ensemble des réponses devraient être graduées, pour exercer une pression progressive sur les contrevenants, les incitant à adapter leur comportement.
29Dans le monde actuel, ces règles seraient fort difficiles à appliquer aux grandes puissances. L’approche étape par étape est donc nécessaire : les parties pourraient par exemple s’engager à mettre en œuvre au moins l’une des mesures figurant dans une liste prédéterminée. Il reste que l’application des traités ne peut être garantie par les seules sanctions. Plus riche et puissant sera le pays contrevenant, plus il résistera aux pressions. Il est pourtant essentiel que la violation des traités de maîtrise des armements ne reste pas ignorée.
Comment rendre les accords irréversibles ?
30La solution la plus évidente consiste à abolir la clause permettant le retrait. Ce qui serait particulièrement important pour les traités interdisant la prolifération et/ou la possession d’armes de destruction massive. En 1977, la Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (Environmental Modification Convention, Enmod) ne comprenait aucune clause de désengagement. Si l’abolition de cette clause se révélait problématique, il faudrait au moins que les raisons du désengagement soient spécifiées sans la moindre ambiguïté. La pertinence de ces raisons pourrait alors être évaluée, par exemple par une conférence des parties convoquée ad hoc.
31Le non-respect d’un traité par une des parties ne devrait pas pouvoir être considéré comme une raison suffisante de désengagement pour les autres – à l’exception des traités bilatéraux. L’annonce du désengagement devrait être faite au moins un an à l’avance, comme cela est stipulé dans la convention de Vienne. À l’exemple de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, le désengagement ne devrait pas être autorisé durant un conflit armé impliquant la partie qui souhaite se désengager. Un désengagement unilatéral devrait être considéré comme une violation patente et traité en conséquence.
Comment négocier ?
32La Conférence du désarmement (CD), seul organe multilatéral de négociation, devrait être remplacée par des conférences spécialisées à durée indéterminée, convocables par les pays intéressés ou directement concernés par certaines mesures spécifiques de maîtrise des armements. Le processus d’Ottawa, enclenché par le Canada et d’autres pays souhaitant négocier l’interdiction des mines antipersonnel, a démontré l’efficacité d’une telle approche. Pour être efficaces, ces conférences doivent être autonomes, ne rendre compte qu’à elles-mêmes. Elles pourraient être beaucoup plus opérationnelles si des règles de travail raisonnables étaient adoptées. La règle du consensus ne devrait pas s’appliquer aux questions de procédure ou d’organisation. Il est même discutable qu’elle s’applique aux questions de fond. Il n’y a aucun risque à adopter une procédure sans veto : nulle conférence ou organisation ne peut imposer d’obligation à un État souverain… Pour obtenir des progrès significatifs dans le domaine du désarmement multilatéral, le fonctionnement des négociations doit être repensé.
L’avenir de la maîtrise des armements
33À la fin des années 1990, la maîtrise des armements est entrée dans un temps de stagnation, voire de régression. Les discussions sur la limitation des armes nucléaires se sont interrompues en 2002 avec le traité SORT, accord de courte durée et de faible portée. Le traité ABM, d’une importance capitale pour le ralentissement de la course aux armes nucléaires, a été abrogé. Le TICE, conçu pour donner un coup d’arrêt à des améliorations qualitatives substantielles des armes nucléaires, n’a pu encore entrer en vigueur. Les négociations pour un traité interdisant la production de matières fissiles pour la fabrication d’armes et autres dispositifs explosifs nucléaires n’ont pas commencé, alors qu’elles auraient dû se conclure en 2005. Aucune réponse adéquate n’a été opposée aux essais nucléaires indiens et pakistanais, ni au désengagement nord-coréen du TNP. La dernière conférence d’examen du TNP, en 2005, a été un fiasco. Et l’annonce de la levée de l’interdiction des approvisionnements en combustible nucléaire au profit de l’Inde – pays non signataire du TNP – a sérieusement porté atteinte au régime de non-prolifération.
34La plupart des États dotés de l’arme nucléaire refusent de donner une garantie inconditionnelle de non-emploi des armes nucléaires contre un État non nucléaire. La destruction des stocks d’armes chimiques, telle qu’elle est stipulée dans la convention de 1993, est reportée au-delà du calendrier fixé. Les efforts réalisés en vue d’élaborer un dispositif de vérification pour la convention sur les armes biologiques ont été interrompus. La recherche de dispositifs de vérification pour d’autres traités ne paraît plus être à l’ordre du jour. Les plus importants producteurs et utilisateurs de mines antipersonnel restent obstinément à l’écart de la convention d’interdiction.
35La responsabilité de cette situation déplorable incombe essentiellement à l’Administration américaine qui refuse de discuter toute mesure limitant ses arsenaux, ou susceptible d’avoir un impact sur sa stratégie. Un changement radical de son attitude a eu lieu après la guerre froide. À cette époque, pour empêcher l’URSS d’accroître son potentiel militaire, Washington acceptait les exigences de réciprocité et la limitation de ses propres armements. Depuis la désintégration de l’URSS, l’arsenal russe a considérablement baissé, et continue de décliner, sans « sacrifice » américain équivalent. La Russie ne semble plus intéressée à la parité, alors que les États-Unis paraissent impatients de consolider leur primauté militaire, pour contrôler les régions (particulièrement pétrolières) à partir desquelles, selon eux, leur sécurité ou celle de leurs alliés pourrait être menacée.
36Paradoxalement, hélas, un réarmement russe ouvrant une nouvelle course aux armements pourrait ranimer l’intérêt américain pour la maîtrise des armements. Ce n’est évidemment pas souhaitable. Les débats à l’ONU le démontrent suffisamment : la plupart des pays privilégient l’idée de la maîtrise des armements. La stagnation est donc sans doute temporaire. En attendant des changements inévitables dans les politiques de sécurité des grandes puissances, il est impératif de promouvoir une meilleure compréhension entre les nations. Construire continûment la confiance – ce qui implique entre autres l’échange d’informations sur les dépenses militaires, sur la puissance des armées, sur la production des armes et leurs transferts – faciliterait déjà grandement la reprise des négociations.
Mots-clés éditeurs : armes nucléaires, maîtrise des armements, AIEA, vérification, ONU
Date de mise en ligne : 01/01/2008
https://doi.org/10.3917/pe.064.0823Notes
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Un MIRV (Multiple Independently Targetable Re-entry Vehicle) est un missile à ogives multiples guidables de manière indépendante sur leurs objectifs (NDLR).