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Article de revue

Autonomie protéique des élevages, une nécessité d’avenir

Pages 40 à 46

Notes

  • [1]
    Olivier Dupire « Autonomie en élevage français : où en sommes-nous ? », Analyses et Perspectives, APCA, Paris, 2021.
  • [2]
    Olivier Dupire, « Trajectoires d’évolution des exploitations bovines laitières françaises », Analyses et Perspectives, APCA, Paris, 2020.
  • [3]
    André Voisin (1903-1964), agronome et agriculteur français, précurseur de l’agriculture raisonnée, auteur d’un ouvrage sur la productivité de l’herbe en 1954.

L’élevage français doit se mobiliser pour améliorer son autonomie protéique y compris dans le domaine de la recherche et de l’expérimentation. Les éleveurs aidés des pouvoirs publics doivent poursuivre leurs innovations.

1Le 9 août 2021 était publié le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Alors que les experts appellent à un changement de cap rapide et drastique pour limiter les effets du changement climatique sur l’ensemble des pans de notre économie et de notre environnement, le secteur agricole doit se saisir de ces enjeux et notamment l’élevage. Il est souvent pointé du doigt pour ses impacts négatifs sur l’environnement. Rares sont les débats apaisés sur le sujet élevage-environnement où les problématiques de déforestation induites par la production de matières riches en protéines trônent parmi les plus citées et ce, à juste titre.

2Oui, l’élevage français doit accélérer sa transition vers une production relocalisée de protéines. À ce titre, les élevages de ruminants bénéficient d’un avantage considérable pour limiter leur dépendance aux protéines importées grâce à leur capacité à valoriser les fourrages. Accélérer, oui, mais encore faut-il savoir d’où part l’élevage français en termes d’autonomie protéique afin de prioriser les actions de transition et accompagner au mieux les éleveurs vers une transition technique, assurément complexe. Tout en assurant cohérence économique et viabilité des solutions apportées aux exploitations.

3Il n’a pas fallu attendre le plan de relance de l’économie 2021 pour que les politiques publiques affichent une volonté de reconquête de souveraineté protéique pour le secteur agricole. Le dernier en date, le plan de relance français a récemment fléché 1,2 milliard d’euros vers le secteur agricole et agroalimentaire. Parmi les priorités, la protéine. Qu’elle soit à destination de l’alimentation humaine ou animale, la protéine est mise sur un piédestal dans ce plan. Des moyens financiers importants sont alloués aux projets qui participeraient à renforcer la souveraineté protéique de la nation. Bâti sur une stratégie de développement des protéines végétales à dix ans, le volet protéines du plan de relance ambitionne le développement de filières légumes secs et l’amélioration de l’autonomie des élevages en réduisant les importations, notamment de soja. Cent millions d’euros, c’est la somme allouée à ce volet protéines, dont près de 20 millions fléchés pour le secteur de la recherche et du développement, duquel est né le projet « Cap Protéines ». Ce projet est piloté par trois instituts techniques, Idele, Terres Inovia et Arvalis, en y impliquant de nombreuses autres organisations professionnelles agricoles.

Des efforts de recherche et d’expérimentation indispensables

4Accompagner l’expérimentation, démontrer les trajectoires gagnantes, communiquer et développer des outils sont les principaux axes de travail de ce projet qui sera conduit pendant deux ans. Pour autant, la France n’en est pas à son coup d’essai en matière de plan protéines. Les projets se sont succédé et sont nombreux. En 1974, le plan protéines françaises est lancé en réponse à l’embargo américain afin d’accroître la production française de graines riches en protéines. Puis vint un plan protéine initié par le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, entre 2014 et 2020 afin de soutenir l’implantation de légumineuses, notamment fourragères. Ces projets d’envergure nationale ont été complétés par un nombre important de projets plus localisés à l’image de « SOS protéines » dans le Grand-Ouest. Par ailleurs, les annonces récemment formulées par le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, dans le cadre du prochain plan stratégique national pour la mise en œuvre de la Pac pendant la période 2023-2027, soulignent l’ambition politique de reconquête de la souveraineté protéique avec un signal financier clair pour la production de protéines, notamment à graines.

5S’il est difficile de mesurer les impacts de tels plans sur l’amélioration des niveaux d’autonomie en protéines de la France, des efforts de recherche et de démonstration sont indéniables et constituent une base robuste de connaissances dans le domaine. L’accompagnement au changement de pratiques est long et délicat. Mais, c’est pourtant cette étape de terrain qu’il convient d’enclencher. La volatilité des cours des protéines et notamment ceux des tourteaux permet tantôt d’accélérer cette transition, tantôt de la freiner dans des périodes où le prix du tourteau de soja s’avère compétitif en élevage. Là en réside une des difficultés auxquelles s’ajoutent différentes problématiques techniques. La collecte de données et le suivi d’élevages sur le long terme permet néanmoins de mesurer les efforts réalisés par les éleveurs français et les marges de manœuvre qu’il reste à actionner. Le dispositif Inosys Réseaux d’élevage, commun aux Chambres d’agriculture et à l’Institut de l’élevage, nous permet de bénéficier d’une photographie des niveaux d’autonomie des élevages de ruminants français qu’il est important d’analyser en cette période « d’émoustillement politique » autour de cette thématique.

Des niveaux d’autonomie remarquables et des marges de progression

6Dans la famille ruminante, les bons élèves sont les élevages allaitants à n’en pas douter. Au sein des élevages bovins viande et ovins viande, les niveaux d’autonomie protéique atteignent en moyenne plus de 80 % [1]. Pour les élevages bovins viande le niveau atteint 86 %. Il s’explique par la forte présence de l’herbe dans les systèmes fourragers de ces élevages et par une utilisation très modérée des concentrés riches en protéines. Pour les élevages laitiers, les niveaux sont plus faibles avec en moyenne 70 % pour les élevages bovins et ovins laitiers mais seulement de 47 % pour les élevages caprins.

7Ces moyennes bovines et ovines, qui semblent élevées, cachent néanmoins une forte disparité en fonction des systèmes d’élevage. En effet, dans les systèmes bovins, les niveaux d’autonomie protéique sont intimement corrélés à la part d’herbe distribuée aux animaux. Les systèmes les plus herbagers peuvent atteindre des niveaux très élevés, à l’image des élevages laitiers en agriculture biologique qui atteignent près de 90 % d’autonomie (figure 1).

Figure 1

Niveau d’autonomie protéique des élevages Inosys Réseaux d’élevage en 2018. (a) élevages ovins laitiers du bassin de Roquefort, pas de suivis biologiques en Pyrénées-Atlantiques

Figure 1

Niveau d’autonomie protéique des élevages Inosys Réseaux d’élevage en 2018. (a) élevages ovins laitiers du bassin de Roquefort, pas de suivis biologiques en Pyrénées-Atlantiques

8La part d’herbe (prairies permanentes et multi-espèces) dans les systèmes et le niveau de consommation de concentrés sont deux facteurs explicatifs des niveaux d’autonomie protéique en élevage. En effet, les contraintes d’élevage des caprins avec peu d’accès à l’extérieur et des niveaux de consommation de concentrés élevés expliquent le seuil moyen d’autonomie plus faible. C’est donc pour les élevages laitiers et notamment caprins que la marge de progression est la plus forte, mais également la plus délicate dans un souci de maintien de performances zootechniques élevées.

9Si les discours simplistes marient souvent les termes autonomie et économie, il faut être plus prudent dans la manière d’appréhender cette question. En effet, une plus grande autonomie n’est pas toujours garante de meilleures performances économiques. C’est bien sur une trajectoire de long terme qu’il faut repenser nos systèmes d’élevage afin qu’ils reposent sur un système fourrager cohérent, en phase avec les objectifs de production. Cela permettra de maximiser l’autonomie protéique par la voie des fourrages prioritairement, tantôt par la maximisation d’un pâturage géré quotidiennement, tantôt par l’implantation de légumineuses fourragères et à graines. Nombreuses sont les solutions agronomiques qui s’offrent aux éleveurs pour diminuer la fraction « tourteaux », et plus généralement concentrés, dans la ration des animaux. L’élévation des niveaux de matière azotée totale (Mat) des fourrages pâturés ou récoltés sous forme d’ensilage, d’enrubannage ou encore en foin est un levier essentiel d’amélioration de l’autonomie protéique. Près de 90 % de la ration moyenne des vaches laitières est constituée de fourrages, le reste étant couvert par des concentrés et minéraux. Il convient donc de travailler ce levier qui bien souvent permet, en parallèle, de réduire le coût alimentaire de l’atelier laitier et donc les performances économiques de l’élevage. Ce travail d’optimisation de la qualité des fourrages est une des clés de la réussite du gain d’autonomie protéique ; l’amélioration de l’autonomie sur la fraction « concentrés » vient souvent dans un second temps. Les marches à franchir sont généralement plus délicates et complexes que sur les fourrages. Néanmoins, sans parler nécessairement d’autoproduction, nous observons des pratiques particulièrement intéressantes d’approvisionnement en tourteaux et matières riches en Mat d’origine France ou d’origine locale. La trituration du colza au niveau local afin de fournir un tourteau « tracé » aux élevages en est un bel exemple. Les solutions sont nombreuses. Mais il revient à chaque éleveur de raisonner la solution la plus pertinente vis-à-vis de son système. Les élevages français poursuivent leur agrandissement, se mécanisent, des problèmes de disponibilité de la main-d’œuvre apparaissent, le changement climatique contraint le changement de pratiques [2]. Non, la quête d’autonomie protéique n’est pas un long fleuve tranquille et s’apparente à un véritable défi pour la majorité des filières animales.

La prairie, pierre angulaire de la quête d’autonomie protéique

10Le défi est conséquent mais les élevages de ruminants, à la différence des monogastriques, bénéficient néanmoins d’un atout incontestable par leur capacité à valoriser les fourrages. Les élevages allaitants, aux niveaux d’autonomie élevés, reposent essentiellement sur la prairie. Nous observons par ailleurs des niveaux d’autonomie protéique sensiblement plus élevés dans les élevages bovins laitiers où la part d’herbe est importante (Figure 2).

Figure 2

Niveaux d’autonomie des élevages bovins laitiers en fonction du système fourrager

Figure 2

Niveaux d’autonomie des élevages bovins laitiers en fonction du système fourrager

11Innombrables sont les atouts de la prairie dans le contexte agroclimatique que nous connaissons actuellement : stockage de carbone, protection de la ressource en eau, biodiversité, image positive des consommateurs, structuration des paysages et maillon indispensable des rotations peu gourmandes en intrants. Qu’elle soit permanente, de longue durée ou temporaire, la prairie a un rôle à jouer dans la quête d’autonomie protéique. Les élevages de petits ruminants comme les ovins et caprins ont considérablement augmenté leur autonomie protéique ces dernières années par l’intégration de davantage de luzerne, notamment.

12Produit sur l’exploitation ou contractualisé avec un céréalier de la zone, ce fourrage aux multiples vertus a permis notamment à des élevages, bien qu’en zone pédoclimatique dite intermédiaire (à potentiel agronomique limité), de témoigner de niveaux d’autonomie remarquables, à l’image des exploitations ovines laitières de la zone de Roquefort avec en moyenne 74 % d’autonomie protéique.

Confort de travail et réduction de l’impact environnemental

13Ces leviers « légumineuses fourragères » apportent un premier niveau de réponse, conséquent, à cette quête d’autonomie. Étudiée, défendue et prônée par certains agronomes au cours du temps, à l’image d’André Voisin [3], la prairie se réinvente et les techniques de production et d’exploitation évoluent bel et bien rapidement. Les éleveurs doivent désormais combiner changement climatique, confort de travail et réduction de l’impact environnemental. Il en résulte une complexification des mélanges prairiaux, un allongement des cycles et une association plus forte des cultures, autant de complexité que bon nombre d’éleveurs appréhendent d’ores et déjà en innovant au quotidien pour trouver le bon équilibre.

14La quête d’autonomie protéique en France fait consensus. L’enjeu est primordial, aussi complexe qu’en est le défi de la réduction de la dépendance aux matières riches en protéines que nous importons. Les signaux envoyés par les politiques publiques sont nombreux et les outils variés, Pac, recherche et développement, aides à l’investissement, soutien de l’industrie et des filières… Cette valse des « plans protéines » est à souligner. Néanmoins leur efficacité est sûrement nettement plus modérée que le bouillonnement d’idées et d’innovations déployées par les éleveurs, directement au sein de la parcelle et du troupeau.

Repères : Nos exploitations céréalières sont petites

En 2000, selon l’Association générale des producteurs de blé (AGPB), seules 250 exploitations céréalières françaises de plus de 1 000 hectares étaient recensées. En 2017, selon la même source, les exploitations céréalières françaises exploitaient, en moyenne 190 hectares. C’est moins qu’au Royaume-Uni (260) ou en Allemagne (360) mais cela reste du même ordre de grandeur. Cependant, nombre de pays exportateurs de céréales disposent d’exploitations beaucoup plus vastes. C’est le cas de l’Argentine (3 300 hectares), de l’Australie (3 600 ha) et surtout de la Russie (12 000 ha).

Notes

  • [1]
    Olivier Dupire « Autonomie en élevage français : où en sommes-nous ? », Analyses et Perspectives, APCA, Paris, 2021.
  • [2]
    Olivier Dupire, « Trajectoires d’évolution des exploitations bovines laitières françaises », Analyses et Perspectives, APCA, Paris, 2020.
  • [3]
    André Voisin (1903-1964), agronome et agriculteur français, précurseur de l’agriculture raisonnée, auteur d’un ouvrage sur la productivité de l’herbe en 1954.
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