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Article de revue

Convention citoyenne pour le climat : faire rimer écologie et économie

Pages 33 à 37

Notes

  • [1]
    Selon le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, 45 % des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite d’ici à 2026.
  • [2]
    Évolution entre 2006 et 2015 (source : Alice Colsaet. « Artificialisation des sols : quelles avancées politiques pour quels résultats ? » in Décryptage, n°2, 2019).
  • [3]
    Le Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) est un accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.
  • [4]
    Marché commun de l’Amérique du Sud créé par le traité d’Asuncion en 1991.

Pour les Jeunes Agriculteurs, certaines propositions de la Convention citoyenne sont dignes d’intérêt et doivent être mises en œuvre, notamment sur le foncier, la Pac ou les accords commerciaux internationaux.

1Le 29 juin, Emmanuel Macron a répondu à la Convention citoyenne pour le climat en reprenant 146 propositions sur les 149. Malgré une faible présence d’agriculteurs parmi les membres, les mesures relatives à l’agriculture sont nombreuses et vont loin. C’est la preuve d’un intérêt fort des consommateurs envers leur agriculture et leur alimentation.

2À l’heure où, en cette rentrée, ces propositions se déclinent par voie législative ou règlementaire, c’est aussi l’occasion de rappeler une évidence : sans agriculteur, pas d’alimentation. Sans renouvellement des générations de producteurs, les défis énoncés dans la Convention citoyenne ne pourront être relevés. D’ici à 2026, près de la moitié des agriculteurs sera en âge de partir à la retraite, et un cédant sur trois n’a pas identifié de repreneur [1]. Nous devons donc faire en sorte que, demain, les paysans soient encore nombreux sur nos territoires. Pour cela, il est nécessaire de leur donner des perspectives, de travailler avec eux et non contre eux. Cette prise de conscience a semble-t-il été amplifiée par la crise sanitaire que nous vivons depuis le début de l’année. Nous souhaitons que ce changement de vision perdure dans le temps, qu’il permette de rapprocher durablement agriculteurs et consommateurs, en réconciliant les impératifs économiques et écologiques, trop souvent mis en opposition.

3C’est pourquoi, malgré certaines critiques émises à l’égard de cette Convention citoyenne, nous avons choisi de l’aborder sous un angle optimiste, en nous concentrant sur les thèmes qui nous paraissent essentiels et qui sont défendus par les Jeunes Agriculteurs de longue date, tels que le revenu des agriculteurs, le foncier, la Pac ou encore les accords commerciaux internationaux.

Une transition continue qui doit prendre en compte l’aspect économique

4La Convention citoyenne pour le climat affiche une ambition de « transition » vers un modèle plus « durable ». En agriculture, la transition est un concept pratiqué au quotidien, pour anticiper et s’adapter, depuis la nuit des temps, aux exigences sanitaires, climatiques, agronomiques, puis aujourd’hui sociétales.

5Parmi les éléments du secteur agricole les plus médiatisés de la Convention citoyenne figurent l’ambition d’atteindre 50 % d’exploitations en agroécologie en 2040 ou encore la diminution de l’usage des produits phytosanitaires de 50 % d’ici à 2025. Nous ne nous attarderons pas sur ces chiffres, car nous pensons que le débat n’est pas là. La profession s’est engagée de longue date dans l’optimisation des intrants et dans une logique environnementale aussi bien qu’économique. Quel agriculteur aurait envie d’utiliser plus d’intrants que nécessaire, sachant qu’il s’agit pour lui d’une charge pour son exploitation ? Reste ensuite la question agronomique. L’utilisation d’alternatives en cas d’interdiction d’un produit - nous le voyons aujourd’hui sur les néonicotinoïdes - doit faire l’objet de recherche et d’innovation de la part d’un ensemble d’acteurs, pouvoirs publics, instituts techniques et de recherche, industries. Et cela ne se fait pas du jour au lendemain.

6Nous, agriculteurs, en particulier la jeune génération que nous représentons, continuerons à faire évoluer nos pratiques, comme nous l’avons toujours fait, et sommes prêts à répondre à la demande des citoyens, à condition d’en avoir les moyens techniques, d’être accompagnés et surtout d’être rémunérés à la hauteur du travail fourni. Nous ne le répèterons jamais assez : la première des conditions est le revenu ! Qui accepterait de faire toujours plus d’efforts sans être payé au juste prix ? Quel jeune accepterait d’entrer dans un métier sans l’assurance d’être rémunéré, alors que la conduite d’une exploitation est de plus en plus complexe et demande d’immenses efforts d’anticipation, d’adaptation, d’innovation ? Les agriculteurs sont encore trop nombreux à connaitre des difficultés financières et les politiques publiques doivent nous aider à renverser la tendance. En ce sens, la Convention a insisté sur l’application de la loi issue des États généraux de l’alimentation. Assurer la transparence dans les négociations, renforcer le dialogue au sein des interprofessions et les contrôles par la Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, appuyer la structuration des filières, ou encore développer l’approvisionnement local en restauration collective font partie des mesures proposées. Nous pourrions ajouter à cela l’obligation de l’étiquetage de l’origine des produits afin de renforcer l’information du consommateur.

7Ces leviers indispensables pourront permettre de rééquilibrer la chaîne de valeur et de mettre fin à la guerre des prix au profit des agriculteurs. Rappelons que, selon le dernier rapport de l’Observatoire de la formation des prix et des marges, sur cent euros de dépenses alimentaires, seuls six reviennent à l’agriculteur, part en baisse constante ces dernières années ! Les consommateurs ont également leur rôle à jouer par leurs actes d’achat, par le choix de leurs produits, parfois plus chers, mais gage de qualité pour eux et de juste rémunération pour les producteurs. Ainsi, nous nous félicitons que la Convention citoyenne traite de la question du revenu, condition première à toute « transition ».

8Le lien entre actes de production et de consommation doit sortir durablement renforcé de cette crise. La société ne peut pas, seule, imposer des règles à l’agriculture, mais l’agriculture ne peut pas avancer sans lien avec les consommateurs.

Des avancées à consolider sur le foncier

9La Convention citoyenne contient également une proposition sur le foncier, en particulier sous l’angle de la lutte contre l’artificialisation des sols (interdire toute artificialisation si l’utilisation de friches est possible, stopper les projets de centres commerciaux trop consommateurs d’espace, etc.). Elle s’est déjà traduite par une circulaire du Premier ministre envoyée aux préfets.

10L’agriculture perd l’équivalent d’un département français tous les cinq ans. Chaque jour, c’est la surface occupée par quatre exploitations qui disparaît, soit une perte en dix ans de 800 000 hectares de terres agricoles (près de 3 % de la SAU). L’artificialisation des terres progresse plus vite (+13 %) que la croissance démographique (+ 5%) ou encore le PIB (+5 %) [2]. Lutter contre toutes les formes d’artificialisation qui peuvent être évitées est donc un enjeu majeur pour préserver nos espaces agricoles.

11Le foncier, premier outil de travail des agriculteurs, est aussi une source de biodiversité majeure et un levier pour lutter contre le changement climatique, par le stockage de carbone dans les sols. Les conséquences de la « bétonisation » croissante sont donc d’ordre économique (pression foncière, spéculation, augmentation des prix), mais aussi sociales et environnementales (perte de biodiversité, de richesse des sols, dégradation de paysages caractéristiques, disparition de puits de carbone). Concernant l’artificialisation des sols, l’enjeu est aussi de porter une attention particulière aux projets de centrales solaires photovoltaïques qui, sous couvert d’écologie, peuvent être très gourmandes en hectares de terres agricoles et conduire à une remise en question du statut du bail pour l’agriculteur. Reste également la question de l’accès des terres aux jeunes qui doit être favorisé et de la préservation de notre modèle d’agriculture familiale, avec des exploitations transmissibles et donc à taille humaine. Pour répondre à cet objectif, il est nécessaire de lutter davantage contre la concentration des terres en renforçant le dispositif existant du contrôle des structures.

Une ambition européenne et internationale

12La prochaine Pac a son rôle à jouer dans la lutte contre le dérèglement climatique notamment en accompagnant le financement du stockage de carbone, ce qui est souligné par la Convention citoyenne. Pour réussir la transition, nous devons aussi soutenir le renouvellement des générations agricoles en augmentant le budget minimum dédié de 2 à 4 % du premier pilier de la future Pac. La Convention citoyenne met également l’accent sur la notion d’actif agricole, c’est-à-dire du véritable agriculteur, celui qui vit de sa production, et qui doit être au cœur des politiques. Ce sont vers les actifs agricoles que les soutiens doivent être ciblés, plutôt que de considérer les hectares comme unique base de distribution des aides.

13Concernant les accords commerciaux internationaux, la Convention citoyenne réaffirme le besoin de transparence lors des négociations et la nécessité de respecter les standards nationaux en matière de qualité sanitaire et environnementale des produits. Le président de la République s’est engagé à abandonner l’Accord économique et commercial global (Ceta) [3] si son évaluation montrait une incompatibilité avec l’accord de Paris. Le projet d’accord UE-Mercosur [4] semble être abandonné à ce stade par nos responsables politiques.

14Nous demandons d’aller plus loin en mettant en place un moratoire sur les accords commerciaux internationaux, le temps de réformer notre politique commerciale. Nous ne sommes pas opposés à ces échanges qui sont nécessaires. Nous sommes opposés à l’idée d’une compétition mondiale qui mettrait en concurrence les paysans en considérant les biens agricoles et alimentaires comme n’importe quels autres biens de consommation. Nous sommes opposés aux accords bilatéraux dont les droits de douane, revus voire annulés, déstabilisent certaines filières au profit d’autres secteurs, comme c’est le cas des accords Ceta et UE-Mercosur. Et ce au détriment des producteurs mais aussi des consommateurs ; les standards de qualité sanitaire et les conditions d’élevage étant souvent tirés vers le bas, contrairement à ce qui est dit dans les discours officiels.

15Nous pensons qu’il est plus pertinent de voir ces échanges en tenant compte des équilibres en place, entre grands ensembles géographiques, dans l’intérêt de tous les paysans du monde. Car si nous voulons être cohérents, en défendant le revenu des agriculteurs français, nous devons également défendre le revenu de nos collègues agriculteurs d’autres pays. C’est dans cet esprit que nous avons organisé, en avril 2019, le Sommet international des Jeunes Agriculteurs. Nous devons travailler, à chaque échelon, pour atteindre ces objectifs. Collectivement, travailler pour faire rimer écologie et économie. Pour assurer une alimentation saine, sûre, durable, de qualité et accessible à tous qui rémunère les producteurs au juste prix. Pour assurer le renouvellement des générations d’agriculteurs.

16Accompagner les changements, financer des investissements à la hauteur des ambitions et permettre à chacun de jouer son rôle dans la lutte contre le changement climatique, en donnant des perspectives à la jeune génération. Voilà les suites à donner maintenant à ces propositions !


Date de mise en ligne : 11/12/2020

https://doi.org/10.3917/pes.383.0033

Notes

  • [1]
    Selon le ministère de l’Agriculture et de l’alimentation, 45 % des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite d’ici à 2026.
  • [2]
    Évolution entre 2006 et 2015 (source : Alice Colsaet. « Artificialisation des sols : quelles avancées politiques pour quels résultats ? » in Décryptage, n°2, 2019).
  • [3]
    Le Comprehensive Economic and Trade Agreement (Ceta) est un accord commercial bilatéral de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada.
  • [4]
    Marché commun de l’Amérique du Sud créé par le traité d’Asuncion en 1991.

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