Notes
-
[1]
Il en est de même avec l’accord déjà conclu avec le Canada, même si les enjeux agricoles sont plus modestes.
-
[2]
Rappelons que pour l’économiste anglais du début du 19e siècle, il est préférable de produire du drap en Angleterre et du vin au Portugal plutôt que l’inverse. Elargi à l’ensemble de l’agriculture et au monde d’aujourd’hui, il est logique de produire par exemple de la viande bovine au Brésil et du vin en France. Et de fait, sur l’ensemble des marchés agricoles, c’est bien ce qui se passe, même si des aides publiques sont susceptibles de conduire à des distorsions de concurrence. La France a pu ainsi conserver un élevage bovin de qualité mais assurément non compétitif face aux producteurs brésiliens par exemple.
L’injonction à consommer plus vertueusement est contrainte par les modes de vie et la nécessité du commerce des denrées agricoles de base.
1Le projet d’accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur est contesté à la fois par les syndicats agricoles français, avec à leur tête la FNSEA, et par l’ensemble des mouvements écologistes [1]. Après des décennies d’opposition frontale, ce rapprochement n’a pas manqué d’étonner, même si dans le contexte présent, il peut s’expliquer. Il repose pourtant sur des bases fragiles et sans doute temporaires.
2Les agriculteurs redoutent à juste titre la concurrence des grandes firmes sud-américaines dont les coûts de production sont particulièrement bas. Car si le monde agricole européen a longtemps réussi à se protéger d’une telle concurrence grâce à des droits de douane puis à des aides directes, la mondialisation progressive des marchés agricoles constitue une réelle menace pour les agricultures européennes et notamment pour toutes les petites et moyennes exploitations. D’où les levées de bouclier actuelles contre ce projet. En revanche, les syndicats agricoles ne voient aucun inconvénient à continuer d’exporter leurs productions dans le monde entier, le cas échéant à l’aide de subventions publiques.
3Pour leur part, les écologistes s’inquiètent des conséquences de l’accroissement des échanges de produits agricoles sur les émissions de gaz à effet de serre et donc sur le réchauffement climatique. Ils craignent également l’importation de produits contenant des pesticides dangereux pour les consommateurs, car certaines molécules actives sont interdites en Europe mais autorisées en Amérique du Sud. Est-il effectivement logique d’importer des pommes du Chili, des raisins d’Afrique du Sud et même des tomates du Maroc (qui comportent 97 % d’eau) alors que ces pays sont menacés par la sécheresse ? Comment également éviter la déforestation de l’Amazonie ou celle des forêts indonésiennes si les marchés du soja et celui de l’huile de palme poursuivent leur expansion ?
4Le récent regroupement d’intérêts entre le monde agricole et la mouvance écologiste peut donc tout à fait se justifier. Deux conditions cependant doivent être réunies pour que ce regroupement ait une chance de succès, même partiel : que les agriculteurs soient parfaits au regard des normes environnementales et que les écologistes ne demandent pas des mesures irréalistes. Peut-être ainsi pourra-t-on réduire les échanges commerciaux de produits agricoles, au moins ceux qui exigent des transports lointains. Dans cette hypothèse, les coûts de production ne constitueraient plus le seul facteur déterminant de la localisation des productions agricoles.
5Ainsi agriculteurs et écologistes contestent les avantages énoncés par Ricardo sur le commerce international [2]. Ont-ils quelque chance de succès dans ce combat après deux cents ans de développement des échanges commerciaux alors même que l’évolution séculaire est de faire peu à peu disparaître les barrières douanières ?
Le commerce des produits alimentaires de base ne peut être remis en question
6A défaut de répondre à cette question, commençons par nous pencher sur la finalité des différents échanges internationaux de produits agricoles. Nous verrons ensuite si des changements significatifs sont possibles. Pour cela, il convient de sérier les problèmes.
7La pérennité du commerce des produits alimentaires de base ne peut être remise en question. De nombreux pays sont lourdement déficitaires et, quoi qu’il arrive, le seront de plus en plus. Il ne peut être question de les priver du recours aux marchés internationaux pour approvisionner leurs populations. Par exemple, les pays méditerranéens et du Moyen-Orient importent de grandes quantités de céréales, sucre ou huile, car leur climat et leur sol ne leur permettent pas de produire eux-mêmes et en quantité suffisante ces denrées. Mais le Japon, l’Indonésie, le Royaume-Uni et de nombreux autres pays dans le monde s’approvisionnent également à l’extérieur. Rappelons aussi que l’activité agricole est par nature pleine d’aléas. Une bonne récolte peut être suivie d’une très mauvaise. Le recours au marché mondial peut s’avérer nécessaire pour assurer un approvisionnement normal des consommateurs ou la reconstitution de stocks insuffisamment garnis. Les blés américains ou ceux de la mer Noire, le riz thaïlandais ou l’huile de palme du Sud-Est asiatique ont donc, selon toute vraisemblance, un avenir assuré pour longtemps.
Le développement de la consommation de viande est un phénomène mondial
8Le développement de la consommation de viande dans le monde implique le recours aux importations. Même si on constate une diminution régulière de la consommation de viande en Europe occidentale, cette tendance reste une exception. En effet dans tous les pays émergents, la demande de produits carnés augmente car leurs nouvelles classes moyennes souhaitent mieux se nourrir. On ne peut pas le leur reprocher. Cette demande nouvelle porte, selon les pays, les pouvoirs d’achat et les traditions alimentaires, sur le poisson, la volaille, le porc ou le mouton, plus rarement le bœuf encore trop onéreux. Bien souvent, ces nouveaux besoins ne peuvent être satisfaits par la production domestique. Il faut donc recourir aux importations, soit de viande (comme dans les pays du Moyen-Orient), soit de soja (à l’exemple de la Chine, premier importateur mondial) et même de maïs (comme le Japon ou l’Iran), pour approvisionner les élevages locaux. L’UE est le second importateur de soja américain et importe également du maïs, notamment d’Ukraine. Certes, ils pourraient être en partie produits sur place, mais dans des conditions de rentabilité relativement médiocres. En outre, une telle orientation impliquerait une modification importante des assolements mais aussi une protection aux frontières, ce qui n’est pas dans l’air du temps. Surtout ce serait contester les accords de Blair House signés en 1992 avec les Etats-Unis dans le cadre de l’Uruguay Round. Or ceux-ci ouvrent largement l’UE au soja américain. Cette hypothèse semble donc peu probable à court terme. Le développement de la consommation de viande est un phénomène mondial. Celui-ci a pour conséquence la poursuite, voire l’amplification, des achats de viande, de soja ou de maïs de la part des pays émergents comme de l’UE. La satisfaction de ces besoins implique toujours d’importants transports par bateaux à travers les océans.
9La consommation de produits tropicaux dans les pays du Nord est une tradition très ancienne. Les Européens et les Américains du Nord n’imaginent pas renoncer à leur café, thé ou chocolat quotidiens. Tous ces produits proviennent évidemment des pays tropicaux. On peut y ajouter la consommation de bananes et, plus récente, celle d’ananas, de mangues ou d’avocats ; ces derniers étant en pleine expansion. Même si les volumes concernés sont moins conséquents que pour les céréales ou le soja, ce sont des milliers de kilomètres que ces produits doivent parcourir pour arriver jusqu’à nous. Au moins à court terme, il semble difficile d’imaginer des changements rapides et conséquents de ces commerces.
Les consommateurs européens ont perdu la notion de primeur
10Les produits de contre-saison font l’objet d’une vigoureuse contestation. Les consommateurs européens et américains ont pris l’habitude de trouver toute l’année les mêmes fruits et légumes dans leur supermarché habituel. Ils n’imaginent pas qu’il pourrait en être autrement. Beaucoup de ces produits doivent donc être importés, souvent de très loin. En conséquence, les consommateurs européens ont perdu la notion de primeur qui marque l’apparition sur les marchés des premières fraises, cerises ou asperges. C’était autrefois un évènement attendu et le signe de l’arrivée du printemps ou de l’été. Puis venaient à leur tour les fruits et légumes de pleine saison. Enfin celle-ci passée, les consommateurs se reportaient sur d’autres produits. Tout cela n’a plus de signification. Pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs, ces produits nous arrivent de très loin, d’Israël, d’Afrique subsaharienne, d’Amérique du Sud voire de la Nouvelle Zélande pour les kiwis. Ce sont évidemment des transports longs et coûteux. De plus, certains produits périssables voyagent même par avion ce que permet le kérosène détaxé. On peut comprendre les critiques que ces pratiques suscitent chez les écologistes et de tous les défenseurs de la planète. C’est particulièrement choquant lorsqu’il s’agit d’approvisionner chaque jour en roses coupées, Aalsmeer, le grand marché aux fleurs d’Amsterdam, depuis la Colombie, l’Ethiopie ou le Kenya. Et que dire de l’avion-cargo qui, chaque année à la mi-novembre, quitte Lyon pour le Japon rempli de Beaujolais nouveau ?
11Les exportations de surplus agricoles sont l’objet de critiques justifiées. Les exportations d’excédents alimentaires par les pays européens ou les Etats-Unis ont parfois gravement perturbé les marchés des pays en développement. Il s’agit selon les cas ou les époques, de viande de bœuf, de cuisses de poulets, de beurre ou de poudre de lait. Certes, pour les pays bénéficiaires, c’est une aubaine qui leur permet d’approvisionner au moindre coût les populations pauvres de leurs grandes villes. Mais ces apports sur des marchés locaux fragiles font baisser les prix et perturbent les modestes productions locales. Fort heureusement, l’ampleur de ces dégagements d’excédents a beaucoup diminué ces dernières années. En revanche, il n’est pas question de contester la nécessité du transport des produits destinés à l’aide humanitaire. La multiplication des camps de réfugiés dans le monde montre que ces besoins ne sont pas près de disparaître.
12Les produits agricoles à vocation industrielle voyagent beaucoup. Ces produits sont très divers : il s’agit pour l’essentiel de coton africain, de la laine d’Australie, des bois tropicaux ou du latex pour la production de caoutchouc, sans oublier l’éthanol. Ces produits ne sont ni utilisés ni même traités dans le pays dont ils sont originaires. Ils sont souvent transformés dans des nouveaux pays industriels où la main- d’œuvre est bon marché, puis réexportés vers les pays consommateurs. Ils font même parfois plusieurs allers-retours dans leur voyage autour du monde. Au regard de l’émission de gaz à effet de serre, c’est évidemment une aberration mais difficilement évitable.
Les récents échanges bilatéraux conduisent à encourager les échanges
13Cette réalité a diverses conséquences. Premièrement, compte tenu de ce qui précède, il peut paraître illusoire d’imaginer réduire rapidement et fortement le commerce international des produits agricoles afin d’assurer la protection de nos agriculteurs et de limiter l’empreinte écologique du commerce au long cours. De plus, il est évident que l’ensemble des négociations multilatérales passées, mais aussi les récents accords bilatéraux, conduisent à encourager les échanges de produits agricoles, le cas échéant sur de longues distances.
14Deuxièmement, les moyens de transport des produits agricoles ne sont pas tous équivalents. Malgré les distances parcourues, les grands porte-containers sont peu consommateurs de carburant car les quantités transportées sont considérables. D’ailleurs, le coût par tonne est très faible. Ce serait néanmoins un progrès pour l’environnement si le fuel lourd utilisé, très polluant, était remplacé par du gaz naturel. Il est vrai aussi qu’avant le chargement et à l’arrivée, il faut ajouter un bon nombre de kilomètres en camions, eux-mêmes infiniment plus gourmands en carburant que le transport maritime. La première priorité serait donc de réduire les transports par camion. Est-il par exemple raisonnable de faire venir des tomates de Grèce ou des salades de Murcie au Sud de l’Espagne afin de les consommer au Nord de l’Europe ? C’est bien sûr encore le transport ferroviaire qui est le moins polluant, mais pourtant on ferme la dernière ligne approvisionnant les halles de Rungis en légumes depuis Perpignan !
15Enfin, dans l’hypothèse où les consommateurs des pays développés renonceraient à acquérir les produits venant des pays lointains, ils doivent aussi savoir que ce serait mettre au chômage des dizaines de milliers de travailleurs dans les pays en développement. Or dans le même temps, nos dirigeants prétendent aider ces pays à créer des emplois et à réduire ainsi l’incitation à émigrer.
16Ni les intérêts des agriculteurs européens, ni ceux des petits paysans des pays du Sud, n’ont guère pesé dans les négociations des récents accords internationaux. Peut-on imaginer que la nécessité de protéger la planète obtienne de meilleurs résultats ? On peut évidemment en douter, à moins qu’une autre logique s’impose. Mais il faudrait à la fois que se produisent un mouvement de grande ampleur en faveur de la production locale, une augmentation significative du coût des transports de marchandises et un gros effort pour développer la production agricole domestique dans les pays où celle-ci est structurellement déficitaire.
Repères : L’écologie, une révolution culturelle
Notes
-
[1]
Il en est de même avec l’accord déjà conclu avec le Canada, même si les enjeux agricoles sont plus modestes.
-
[2]
Rappelons que pour l’économiste anglais du début du 19e siècle, il est préférable de produire du drap en Angleterre et du vin au Portugal plutôt que l’inverse. Elargi à l’ensemble de l’agriculture et au monde d’aujourd’hui, il est logique de produire par exemple de la viande bovine au Brésil et du vin en France. Et de fait, sur l’ensemble des marchés agricoles, c’est bien ce qui se passe, même si des aides publiques sont susceptibles de conduire à des distorsions de concurrence. La France a pu ainsi conserver un élevage bovin de qualité mais assurément non compétitif face aux producteurs brésiliens par exemple.