Elles demeurent des outils indispensables pour réduire les coûts de production et assurer l’adaptation des exploitations.
1Qui l’eût cru ? La mode est à l’individualisme. Le collectif fait fuir. Les grandes institutions sont remises en cause. Les jeunes agriculteurs n’ont plus la foi chevillée au corps pour soutenir les grandes coopératives construites ou regroupées par leurs parents. Mais, dans le même temps, les coopératives d’utilisation du matériel agricole (Cuma) prospèrent. Leur nombre augmente ou stagne malgré la forte diminution du nombre des agriculteurs si bien que, désormais, plus d’un agriculteur sur deux est en Cuma.
2C’est un des paradoxes assez typiquement français où la déception, par rapport au monde politique, grandit alors que nous sommes parmi les champions du monde pour le nombre d’associations par habitant.
3Comment illustrer mieux ce paradoxe qu’en racontant l’histoire professionnelle de son président, Luc Vermeulen. Cet homme du Nord parle peu. Il observe et réfléchit à mettre son action personnelle en adéquation avec ses idées.
La Cuma pour baisser les coûts de production
4Bien évidemment, le premier objectif recherché dans l’utilisation de matériel en commun est celui de baisser les charges de structures. Cela n’a pas toujours été une démarche facile dans une société qui a encouragé les achats individuels par de nombreux mécanismes, en particulier fiscaux mais aussi sociaux. L’amortissement dégressif, la revente exemptée d’imposition sur les plus values, la dotation pour provisions pour investissement et même, pendant quelques années, la possibilité d’amortir 50 % de plus que la valeur de l’investissement. Autant de facilités qui ont encouragé l’appropriation individuelle en permettant de payer moins d’impôts ou de charges sociales au risque de se mettre en péril les années de faible récolte ou plus fréquemment de fortes baisses de prix. Cela a, certes, permis une progression continue de la productivité par heure de travail mais on ne peut pas en dire autant de la productivité du capital ou de celle des consommations intermédiaires. Bref, les charges de structures augmentent et cela pénalise la compétitivité de l’agriculture française. Luc Vermeulen résume le paradoxe par la formule suivante : « Tous ces systèmes risquent de faire des agriculteurs productifs mais pas compétitifs ». La mise en commun du matériel permet de contenir ce poste de dépenses si les achats et la gestion de la Cuma concernée sont adéquats.
Les idées reçues sur l’agrandissement
5La solution la plus facile pour améliorer le revenu par exploitation est d’augmenter les volumes de production. Avec un matériel de plus en plus performant, la première idée qui vient à l’esprit est d’amortir ce matériel en augmentant le nombre d’hectares cultivés. Ce raisonnement de bon sens semble évident. Mais il n’est pas toujours vérifié par les faits observés. Dans une étude faite avec un des centres de gestion de Seine-et-Marne, nous avions découvert que les charges de structure du matériel à l’hectare augmentaient avec la taille des exploitations. Mais comme toutes les idées reçues, cette affirmation est d’autant plus crue qu’elle est répétée sans vérification. Il est vrai aussi qu’il y a beaucoup plus d’études sur les marges à l’hectare que sur les comparaisons de charges de structure.
La Cuma pour faciliter le changement
6Si l’on veut éviter la course à l’hectare et garder des voisins, il faut pouvoir trouver de nouvelles sources de valeur ajoutée. L’expérience de Luc Vermeulen est intéressante à cet égard. Quand il a repris l’exploitation paternelle, il a fait partie des grands perdants des quotas laitiers. Son père croyait à la spécialisation des exploitations et ils produisaient les génisses amouillantes dont trois de ses voisins avaient besoin. Quand les quotas sont arrivés, il n’y a pas eu droit car il ne produisait pas de lait. Il a fallu se reconvertir rapidement dans la production de volailles, de porcs à l’engrais et de légumes. Heureusement qu’il y avait une Cuma qui évitait d’investir aussi dans le matériel.
7Plus tard, Luc Vermeulen a décidé de se lancer avec un collègue dans le co-compostage des déchets agricoles et déchets verts issus des communes. Ce créneau a été intéressant jusqu’au moment où les conditions de l’appel d’offre ont changé sous la pression des grands groupes spécialisés dans la gestion des déchets ! Les prestataires de gestion des déchets devaient justifier la présence d’au moins 15 salariés pour répondre à l’appel d’offre. Du jour au lendemain, une activité lucrative voit ses commandes s’effondrer. Il faut se reconvertir sans possibilité d’agrandissement.
8Luc Vermeulen fera aussi une tentative de diversification dans les installations de panneaux solaires qui permettront à certains agriculteurs des opérations intéressantes quand les contrats étaient à des prix favorables. Cette opportunité à pris fin avec le changement dans les tarifs de rachat.
10 emplois à plein temps et 90 à temps partiel sur 340 ha
9Le retour du fils sur l’exploitation a provoqué une nouvelle orientation vers le bio. Le choix se porte alors sur les légumes pour apporter une valeur ajoutée importante. Mais comment limiter les risques de fortes fluctuations des rendements en fonction des conditions pédoclimatiques et des fortes variations de prix qui s’ensuivent ? En privilégiant les solutions collectives. Ce changement important se fera avec quelques voisins avec la volonté de continuer à travailler avec les Cuma en place. Il aurait été plus simple de créer une Cuma spécifique avec du matériel dédié à la culture bio. Ce n’est pas le choix qui a été fait car cela n’aurait pas permis aux agriculteurs de la Cuma de passer progressivement au bio s’ils se décidaient plus tard. Toujours ce souci de privilégier le collectif le plus largement possible.
10Ils sont actuellement 5 exploitants agricoles sur 4 exploitations avec une surface de 340 ha dont 110 en cultures légumières bio. Cela représente environ 68 ha par exploitant. Luc Vermeulen en avait une soixantaine quand il s’est installé en 1995. Il en a toujours 60 aujourd’hui !
11Outre les 5 exploitants, il y a 4 salariés permanents et de 80 à 90 salariés saisonniers par l’intermédiaire d’un groupement d’employeurs. Il faut, en effet, assurer un désherbage manuel dans la période entre avril et août sur les 110 ha de légumes. Au total, cette surface de 340 ha sera totalement convertie en bio en 2020. D’ores et déjà, elle occupe 10 personnes à plein temps et 90 à temps partiel. La même surface, uniquement en grandes cultures à 5 heures par hectare, ne nécessiterait qu’à peine deux emplois à plein temps !
12Une telle reconversion serait très difficile à opérer dans un cadre individuel. En travaillant à plusieurs, cela permet de limiter les risques en diversifiant les cultures et en mutualisant les résultats.
13C’est aussi dans un cadre collectif qu’avec une vingtaine de producteurs de légumes de la région ils ont créé une Cuma de conditionnement. C’est un important investissement de 3,5 millions € qui permet une meilleure valorisation des légumes produits.
14Les coopératives de la région ne se sont pas encore équipées pour valoriser les produits bio et c’est une coopérative des Hauts-de-France qui assure une grande partie de la commercialisation. Mais les choses changent vite et la firme Bonduelle commence à rechercher désormais des produits bio pour approvisionner ses usines.
Les enseignements à en tirer
15A travers les évolutions de l’exploitation du résident de la Fn Cuma, on comprend une partie des difficultés des exploitants agricoles qui doivent faire face à un changement important dans la conduite de leur exploitation.
16La première leçon est qu’il n’y a jamais de solution miracle et il est toujours plus confortable de préférer l’agrandissement des surfaces exploitées ou l’augmentation des volumes de production sans changement de système. Comme les aides de la Pac sont des aides à l’hectare, il ne faut pas s’étonner si l’agrandissement des structures est la voie royale choisie par la majorité des agriculteurs au risque d’une diminution drastique de l’emploi et de la valeur ajoutée des territoires.
17La deuxième leçon est que chaque étape du changement aurait pu se terminer en catastrophe car les changements importants fragilisent l’équilibre financier d’une exploitation. Pour éviter l’issue fatale et pouvoir rebondir dans de bonnes conditions, il faut pouvoir réduire les besoins de financements aux seuls investissements porteurs du changement en question. Le changement est facilité s’il n’est pas nécessaire de financer en même temps le matériel de culture.
18La troisième leçon est que certains changements porteurs peuvent être remis en cause par un événement extérieur. Il faut pouvoir se reconvertir rapidement. Cette reconversion est d’autant plus facile qu’elle peut être faite dans un cadre collectif. Mais cela suppose d’autres compétences que la maîtrise des techniques de production ou de réparation de matériel.
19La quatrième leçon est l’importance prise par la commercialisation. Luc Vermeulen craint que les prix du bio suivent la même évolution que les prix du reste de la production si on ne parvient pas à la différencier. Les consommateurs plébiscitent les approvisionnements locaux et la progression des produits bio sont souvent des progressions à deux chiffres. Néanmoins, on observe déjà cette année une difficulté pour écouler la production abondante de pommes de terre de l’année 2018. Il ne suffira pas de construire des plates-formes de conditionnement. Il faudra peut-être acheter aussi des magasins collectifs. Ce n’est pas un problème financier car les magasins coûtent beaucoup moins cher que les stations de conditionnement. Mais « c’est un problème culturel, car les agriculteurs n’ont pas été préparés à cette évolution ».
20Avec la diminution des systèmes publics de régulation des marchés, nous allons assister à une forte augmentation des risques et cela obligera des changements plus rapides et plus conséquents dans la conduite des exploitations. La possibilité de s’appuyer sur des organisations collectives de type coopératif sera un élément de compétitivité supplémentaire pour ceux qui sauront saisir ces opportunités.
Les Cuma en chiffres
212 000 adhérents
1 agriculteur sur 2 est en Cuma
25 adhérents par Cuma
4 700 salariés
551 millions d’euros de chiffre d’affaires
464 millions d’euros d’investissements sur un total de 5,9 milliards € achetés par les agriculteurs en 2017
La Fédération nationale des Cuma
Outre la gestion de la communication et du journal, la fédération a aussi des équipes importantes pour faire les comptabilités d’un grand nombre des Cuma et leur apporter des services juridiques.
Son rôle est d’assurer la défense syndicale de ce particularisme français que sont les coopératives d’achat et d’utilisation en commun du matériel agricole. En Allemagne, par exemple, il s’agit de cercles d’échanges mais chaque agriculteur reste propriétaire de son matériel.
Son rôle est aussi de trouver des formes d’innovation pour que les Cuma puissent s’adapter aux nouvelles demandes des agriculteurs. Certaines Cuma souhaiteraient pouvoir accompagner des démarches commerciales mais ce n’est pas encore possible.
La dimension du mouvement coopératif agricole
Ce mouvement représente, en plus des Cuma, 2 500 entreprises coopératives et SICA, réalise un chiffre d’affaires de 85,9 milliards d’euros (40 % du CA de l’agroalimentaire français). Une marque de produits alimentaires sur 3 est coopérative. Les coopératives emploient plus de 165 000 salariés. 75 % des agriculteurs adhèrent à au moins une coopérative.
La part des coopératives dans la production et la commercialisation des produits agricoles varie selon les secteurs. Ainsi, par exemple, elle représente 60 % de la production de volailles, 93 % de celle de porc, 70 % du marché de la nutrition animale, 100 % de celui de la luzerne, 70 % de la collecte de grains, 62 % de la production de sucre de betterave, 95 % des inséminations artificielles de bovins, 55 % de la collecte de lait et 69 % des vins IGP.
Mais seulement 35 % de la commercialisation des fruits frais, 30 % des légumes frais et 10 % des pommes de terre, 33 % du marché des gros bovins finis, 22 % des abattages des gros bovins et veaux et 32 % de ceux de porcs.