Couverture de PES_371

Article de revue

La France perd des places dans l’UE

Pages 25 à 30

Elle est le seul des pays excédentaires européens à connaître une réduction de son excédent commercial dans ce domaine depuis dix ans.

1Au moment de la signature du Traité de Rome en 1957, la France détenait la moitié de la surface cultivable des 6 pays de la CEE d’alors et, malgré cela, nos échanges extérieurs agroalimentaires étaient largement déficitaires. Les initiateurs de cette politique commune espéraient encourager une augmentation rapide de la production et apporter enfin aux peuples, durement éprouvés par la guerre, une sécurité alimentaire dans un monde inquiet des conséquences de la Guerre froide.

2Le pari a été largement gagné. L’abondance sur les marchés des produits agricoles est revenue rapidement au point de créer des excédents coûteux à exporter. Alors que l’Union européenne, même passée de 6 à 28 pays, ne disposait que moitié moins de surface cultivable que les Etats-Unis et d’une population nettement supérieure, l’UE a pu être autosuffisante en céréales depuis le débit des années 80.

3Dans ce concert, la balance commerciale française des produits agroalimentaires est devenue enfin positive au milieu des années 70. Depuis cette date, elle est devenue structurellement excédentaire. Mais depuis la crise de 2008, les résultats semblent moins probants à l’exception de la réussite insolente des vins et boissons qui sont en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt.

Un excédent français de 5,7 milliards € en 2017

4Pas de catastrophisme cependant ! Les résultats de la balance commerciale agroalimentaire française de 2017 restent très positifs et atteignent 5,7 milliards € (Mds €). Un résultat bien appréciable quand le déficit global augmente de 14 Mds € pour atteindre 62 Mds €. On est cependant encore très loin de pouvoir payer ainsi la facture pétrolière qui se monte à 39 Mds €. Rappelons, cependant, que cet excédent a dépassé 10 Mds € pendant 3 ans entre 2011 et 2013.

5Il y a pourtant des réussites étonnantes. Le secteur des vins et boissons continue de battre des records d’année en année avec plus de 12 Mds € d’excédent en 2017, soit les deux tiers du solde positif de l’industrie aéronautique ! Cela signifie à l’inverse que, sans le secteur vins et boissons, notre balance commerciale agroalimentaire serait déficitaire de plus de 6 Mds €. Après 50 ans de PAC, notre pays redeviendrait dépendant des approvisionnements étrangers et n’assurerait plus sa sécurité alimentaire ! Plusieurs explications internes sont possibles et nous ferons ensuite les comparaisons avec les résultats de nos principaux partenaires européens.

La France perd son atout céréalier

6Dans la CEE à 6 pays, la France disposait de la moitié des surfaces cultivables et cela lui a donné un atout considérable dans le domaine céréalier. Mais cet atout s’est fortement réduit car l’Allemagne avait imposé des prix élevés pour permettre d’augmenter la production même dans les régions peu propices à cette culture. C’est ainsi que, depuis le début des années 80, l’UE connaissait des excédents qu’il fallait exporter à grands frais. Mais le coup de grâce est venu de l’embargo contre la Russie. Le gouvernement Russe a réagi en interdisant les importations agroalimentaires en provenance de l’UE. Le résultat est clair. Cela a donné une formidable impulsion à la production russe et ukrainienne. Nous avons perdu un client important et récupéré des concurrents redoutables. Les blés de la Mer Noire inondent les marchés mondiaux. Pire encore, alors que l’on vient de connaître une série ininterrompue de 5 ans de récoltes mondiales record, la France a été l’épicentre d’un aléa climatique en 2016. En 2017, nos exportations de céréales sur le marché mondial étaient insuffisantes pour payer nos importations d’oléagineux.

Le déficit des fruits et légumes s’accroit de un milliard € tous les deux ans

7En 2007, le déficit des fruits et légumes était de 3,5 Mds €. Il est de 6,7 Mds € en 2017. Ce déficit progresse de un milliard tous les deux ans dans la période actuelle. Il y a de bonnes raisons. La France ne sera jamais capable de produire des fruits tropicaux. Les fruits et légumes d’Espagne ou d’Italie bénéficient de plus de soleil que ceux produits en France. Remarquons, cependant, que de nombreuses tomates sont importées des Pays-Bas, qu’une grande partie de nos importations de poires viennent de Belgique et des Pays-Bas et que la Pologne est devenue un des plus importants producteurs de fraises de l’UE. Alors que le corps médical ne cesse de répéter que nous devons manger de plus en plus de fruits et légumes, est-il bien raisonnable de dépendre autant des pays étrangers ? Alors qu’on ne cesse de parler des méfaits du changement climatique, est-il pertinent de faire venir d’Andalousie une partie croissante de nos approvisionnements ? La France a la particularité d’être située autour du 45ème parallèle, cela devrait, tout au contraire, nous permettre de développer toute la variété souhaitable de fruits et légumes pour des concitoyens attirés par des productions plus proches géographiquement.

Un déficit croissant des poissons et produits de la pêche

8En 2007, le solde des poissons et produits de la pêche était déjà négatif et atteignait 2,5 Mds €. En 2017, il atteint 4,4 Mds. Ce sont des produits qui bénéficient d’une forte demande des consommateurs. Mais, comment expliquer qu’un pays comme la France, qui a des milliers de kilomètres de côtes aussi bien sur l’Atlantique que sur la méditerranée et qui se targue d’avoir le second espace maritime mondial, puisse connaître un tel déficit ?

9Ces quatre exemples sont instructifs. Il y a peu d’études et de rapports sur le succès des vins et boissons, le déclin programmé des céréales, les moyens de redresser la barre pour les fruits et légumes et les produits de la pêche. Il y a pourtant près de 9 Mds € distribués chaque année au titre de la PAC. Il y a des dégrèvements fiscaux pour l’achat de matériel. Ne pourrait-on utiliser cette manne budgétaire pour améliorer nos résultats du commerce extérieur ? Il est intéressant de regarder à ce sujet les résultats de nos voisins.

Pas de miracle allemand et une réussite exceptionnelle des Pays-Bas

10Notre premier réflexe en France est de regarder avec envie les performances allemandes. Il est vrai qu’à la fin des années 2 000, nous avons été surpris de constater que nos voisins exportaient davantage que nous de produits agroalimentaires. C’est un pays qui a deux fois moins de surface cultivable par habitant que la France. Se pourrait-il qu’il ait dépassé la France même dans le secteur agricole ? En fait, la France est restée le premier producteur agricole de l’UE avec 18 % de la production totale contre 14 % pour l’Allemagne. Effectivement, les exportations allemandes sont plus importantes que les nôtres mais leurs importations sont deux fois plus importantes. Ils exportent plus que nous mais ils connaissent néanmoins un déficit de 16 Mds € en 2017 alors que nous continuons à dégager un excédent de plus de 5 Mds €. En évolution sur les dix dernières années, nous sommes aussi peu performants qu’eux. Le déficit allemand s’est accru de 3,7 Mds € et notre excédent s’est réduit de plus de 3 Mds €.

11Le meilleur exemple en matière de commerce extérieur n’est donc pas l’Allemagne mais les Pays-Bas. Ce petit pays réussit la prouesse de dégager un solde positif de 30 Mds € en 2017. C’est 10 Mds € de plus que la prouesse de l’industrie française aéronautique. Il est de bon ton de dire que cela est dû à la position stratégique du port de Rotterdam, que les Hollandais sont un peuple de commerçants … Il n’empêche ! Cela fait des années que les agriculteurs de ce pays ont investi dans les fruits et légumes et même dans les fleurs alors que, dans le même temps, le secteur des fruits et légumes a été le parent pauvre de la distribution des aides en France. Quant au secteur de l’horticulture ornementale, faisait-il partie des attributions du ministère de l’Agriculture puisque cela ne se mangeait pas ! En attendant, le solde positif des Pays-Bas a augmenté de 6 Mds € dans les 10 dernières années.

La montée en puissance de l’Espagne et de la Pologne

12Mais il y a aussi des évolutions intéressantes à observer en Espagne et en Pologne. L’excédent espagnol était de quelque 600 millions d’€ en 2007. Il est de 12 Mds en 2017. Une spécialisation croissante sur les fruits et légumes mais aussi une montée en puissance sur la production porcine. Pour ce dernier produit, il ne s’agit pas seulement de produire le kilo de porc le moins cher possible, mais aussi d’une réelle capacité de vendre une gamme de charcuterie de très haute qualité.

Soldes des échanges agroalimentaires dans l’UE

Soldes dépassant 1 500 millions d’euros
2007201020162017
Royaume-Uni-24 008-23 202-29 543-30 017
Allemagne-12 296-11 401-14 999-16 037
Suède-4 277-4 738-6 676-6 756
Portugal-3 883-3 804-3 313-3 630
Finlande-1 822-2 623-3 559-3 713
Italie-7 819-7 400-3 300-2 389
Hongrie1 6792 1322 8433 233
Irlande3 0042 3163 5234 325
Belgique2 6112 8504 2964 531
France8 8734 5716 0345 635
Danemark5 2575 8185 9086 342
Pologne2 0312 5897 1038 410
Espagne6013 77411 92412 292
Pays-Bas24 28526 15028 80330 000

Soldes des échanges agroalimentaires dans l’UE

millions d’euros
Source Eurostat

13La performance de la Pologne est très intéressante aussi. Le solde positif était de 2 Mds € en 2007. Il est de 8 Mds € en 2017. Par ailleurs, le Danemark a réussi à maintenir sa capacité exportatrice et il dégage en 2017 un solde agro alimentaire désormais supérieur à celui de la France avec 6,3 Mds €. Ce sont, avec les Pays-Bas, des pays qui ont pourtant dix à quinze fois moins de surface cultivable que la France !

14La France n’est donc désormais qu’au 5ème rang seulement pour les soldes agroalimentaires de l’UE.

15Parmi les autres pays excédentaires, signalons l’Irlande et la Belgique avec, respectivement, des excédents de 4,3 et 4.5 Mds €. Ces deux excédents sont en augmentation par rapport à 2007. Il en est de même de la Hongrie qui a doublé son excédent en 10 ans avec 3,2 Mds € en 2017. Autrement dit, la France est le seul des pays excédentaires européens à connaître une réduction de son excédent depuis 10 ans. Il y a en effet une demande importante dans les pays déficitaires.

Les pays déficitaires : le Royaume-Uni en tête

16En 2017, le déficit des échanges agroalimentaires du Royaume-Uni atteint 30 milliards d’euros. C’est de loin le plus grand déficit des 28 pays de l’Union européenne actuelle. Contrairement à une idée reçue, ce déficit n’est pas dû à des importations excessives des pays de l’ancien Commonwealth mais il est pour l’essentiel (24 sur 30 Mds €) le fait d’échanges très inégaux avec ses partenaires de l’Union européenne. Le Royaume-Uni a pleinement joué le jeu européen. Depuis 2007, il a réduit de 1,5 Mds € son déficit avec les pays tiers et il a accru son déficit avec l’Union européenne de 7,5 Mds €.

17Que va-t-il se passer si le Brexit a bien lieu ? L’enjeu est important pour les entreprises agroalimentaires de la plupart des pays européens. Il est important aussi pour le Royaume-Uni qui connaît, en ce domaine, un déficit agroalimentaire du même ordre que notre facture pétrolière (39 Mds € en 2017). On pouvait penser que le Royaume-Uni profiterait de son appartenance à l’Union européenne pour diminuer sa dépendance extérieure dans le domaine alimentaire.

18Une chose est sûre, le déficit anglais est de loin le plus important de l’UE. Le déficit allemand vient loin derrière avec 16 Mds €. Le troisième pays déficitaire européen est la Suède. Son solde négatif croît de 2 Mds € en 10 ans et atteint 6,7 Mds € en 2017. Viennent ensuite le Portugal et la Finlande avec un déficit d’environ 3,5 Mds € en 2017. Là aussi, loin de se réduire, les déficits de ces cinq pays les plus déficitaires se sont accrus.

L’Italie à la reconquête de son marché intérieur

19L’Italie fait partie des pays déficitaires de l’UE. Mais en dix ans, son déficit a été divisé par 4. Le déficit était en effet d’environ 8 Mds € entre 2007 et 2010. Il n’est plus que de 2,3 Mds € en 2017. C’est une performance en quelque sorte à contre courant. La PAC n’a pas conduit à améliorer la sécurité alimentaire de chaque pays en limitant ses échanges extérieurs. Elle a eu pour résultat d’augmenter les excédents et les déficits.

20Dans les 10 dernières années, la position de la France s’est détériorée même si cela a été en partie masqué par la réussite exceptionnelle des vins et boissons. Ce secteur devrait servir d’exemple. Face aux campagnes de santé publique sur l’alcoolisme, ce secteur a su réduire sa production et néanmoins doubler sa part dans la valeur ajoutée de la Ferme France grâce à une montée en gamme et à une diversification extrême de sa production. On voit bien que c’est cela qui séduit les acheteurs étrangers. La recette fonctionne bien. Tous les secteurs qui parient sur la stratégie des volumes de produits indifférenciés sont en perte de vitesse. Il serait dommage de ne pas en tirer les conséquences pour les stratégies par filière.

Sources : http://agreste.agriculture.gouv.fr
Il est désormais possible de télécharger le tableau Excel des évolutions du commerce extérieur depuis 2007 en faisant le partage entre les soldes UE et Pays-Tiers pour tous les produits cités dans la note Agreste. Mais le partage entre produits bruts et produits transformés ne facilite pas les approches par filières. Nous avons donc regroupé produits bruts et transformés, en particulier pour la rubrique Fruits et légumes.
Les données sur les autres pays sont disponibles sur Eurostat mais elles sont difficiles à trouver. Nous remercions Thibault Champagnol, du Service statistiques du Minagri, d’avoir mis à notre disposition ces chiffres qui mériteraient une grande diffusion dans les publications sur ce sujet.

Date de mise en ligne : 06/12/2020

https://doi.org/10.3917/pes.371.0025

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