1La nécessité d’une montée en gamme des produits agricoles français semble faire l’unanimité tant dans les discours officiels que dans les médias. A première vue, cette « montée » présente de nombreux avantages. Elle permet de vendre plus cher et donc de mieux rémunérer l’agriculteur. Elle implique une maîtrise en volume de la production à l’hectare, ce qui rend possible la répartition sur davantage d’exploitations. Elle souffre cependant d’un redoutable inconvénient : son prix de vente aux consommateurs. Son niveau est tel que ce type de produits est réservé à une clientèle aux moyens financiers confortables, donc forcément limitée.
2De nombreux exemples illustrent cette situation.
3La seule catégorie de viande bovine dont la consommation augmente est celle de la viande hachée. Elle peut provenir d’autres parties de la carcasse que celles qui fournissent les steaks. D’où son faible prix qui, conjugué avec sa facilité d’utilisation (la praticité), explique son succès.
4Pendant longtemps, le poulet de chair français, protégé par des labels ou des AOC, s’est développé sans se soucier de la concurrence étrangère. Mais, peu à peu, les habitudes des consommateurs français et européens ont changé. Leurs achats se portent de plus en plus sur des découpes ou des produits élaborés (cuits, fumés, marinés). Une personne seule, ou même un couple sans enfants, ne va pas acheter un poulet entier. Une ménagère n’a pas le temps de faire cuire un poulet cru.
5Or, contrairement à leurs collègues européens, les producteurs français, sûrs d’eux et de la supériorité qualitative de leurs produits, n’ont pas su anticiper cette évolution. En conséquence, la France a dû diminuer sa production de volailles de 18 % entre 2000 et 2012 alors que les autres pays de l’Union européenne, qui ont su utiliser les opportunités offertes par ce changement de comportement, ont augmenté la leur d’un pourcentage équivalent.
6Enfin, d’une façon plus générale, les consommateurs des pays développés se tournent de plus en plus vers des plats élaborés, prêts à consommer, dont la qualité dépend plus du savoir-faire de l’industriel qui les fabrique que de l’agriculteur qui lui en fournit les éléments de base. Même si ceux-ci sont haut de gamme, cela ne profite pas au producteur, le succès du produit étant dû surtout au marketing et à la publicité de la marque.
7Il est cependant un domaine dans lequel le haut de gamme « paie », c’est celui des vins de qualité. Leur succès, tant dans l’Union européenne que sur les pays tiers, est évident : 8,27 millions d’euros de ventes en 2015. Mais ces ventes, si elles augmentent en valeur, stagnent en volumes. De plus, il s’agit de produits de luxe dont les consommateurs peuvent facilement se passer en cas de difficultés financières.
8Enfin, dans le même temps, nos achats à l’étranger de vins d’entrée de gamme, sans indication de cépage, constitués à plus de 80 % de produits en vrac, ne cessent de croître en volume. Ils proviennent à 75 % d’Espagne. Il faut dire que les Espagnols pratiquent des prix imbattables pour ce type de produit : 36 centimes d’euro le litre alors que la même catégorie de vins, dits autrefois vins de table, étiquetée en France s’échangeait, en 2015, à 70 centimes.
9Impossible de lutter dans ces conditions, affirment les viticulteurs français.
10Il existe pourtant des solutions technico-économiques permettant d’abaisser les coûts de production de ce type de vins tout en étant « écologiquement intensives ». Mais nos viticulteurs hésitent encore à s’y lancer. C’est dommage, car ces vins sont surtout achetés par des jeunes ou des consommateurs des pays émergents qui pourraient passer ensuite à des vins plus hauts de gamme.
11En attendant, le solde de notre commerce extérieur agricole et agroalimentaire ne cesse de se dégrader. Mais cela ne semble pas inquiéter certains économistes pour qui la France devrait se concentrer sur les produits pour lesquels elle excelle et renoncer aux autres. A quoi bon s’entêter, par exemple, à produire du blé sur notre territoire alors que la Russie et l’Ukraine peuvent nous en fournir à un coût bien moindre ! Ce serait tout bénéfice pour les consommateurs ! Ils oublient de dire combien d’exploitations agricoles il faudrait supprimer dans ce cas.
12Pour eux, les notions d’autonomie, de souveraineté alimentaire n’ont aucune importance dans une économie mondiale dans laquelle les échanges commerciaux sont totalement libéralisés. Un pays qui a les moyens de payer trouvera toujours des entreprises qui lui fourniront de quoi se nourrir, car ce sera leur intérêt.
13Mais ce n’est pas ce que nous enseigne l’histoire.
14En mars 1962, la Communauté économique européenne (CEE), par l’accord de Genève, a renoncé définitivement à toute protection douanière sur les oléagineux et leurs sous-produits riches en protéines. En juin 1977, 11 ans plus tard, sous prétexte de mauvaises récoltes, les Etats-Unis ont suspendu leurs exportations de soja. Au grand dam des éleveurs européens. Ce qui a conduit l’Europe à lancer un plan de production pour les oléoprotéagineux.
15Quand on voit comment se comporte actuellement Donald Trump qui multiplie les taxes aux importations dans son pays, ne cesse de brandir des menaces de représailles contre ses concurrents, réussit à imposer au géant pétrolier Total de renoncer à ses investissements en Iran, on se rend compte que, pour un pays ou un ensemble de pays, compter sur le libre-échange pour assurer sa sécurité alimentaire est un leurre.
16En fait, pour y parvenir, il faut assurer au maximum, par sa propre production, l’essentiel des besoins de ses consommateurs dans toute leur diversité. Sans négliger, bien sûr, les produits haut de gamme mais en se gardant bien de s’en contenter et en oubliant pas que les exportations agricoles et agroalimentaires conditionnent le maintien du nombre d’exploitations agricoles.