Introduction
1Le rapport « Les 1 000 premiers jours » publié en septembre 2020 invite à interroger le rôle de chaque professionnel durant cette période sensible qui s’étend du début de la grossesse aux deux ans de l’enfant afin d’optimiser les conditions environnementales de son développement [1].
2Le premier examen médical du bébé est généralement pratiqué par le pédiatre de la maternité. Nous savons combien les pratiques professionnelles varient d’un lieu à l’autre et au sein d’une même équipe. Des recommandations existent [2], et leur mise en œuvre nécessite une démarche collective, pluridisciplinaire et partagée. Le pédiatre qui travaille en maternité est un membre de l’équipe en lien avec les obstétriciens, les sages-femmes, les puéricultrices, les auxiliaires de puériculture, l’équipe de pédopsychiatrie périnatale… La consultation pédiatrique en maternité s’inscrit dans la continuité des soins débutés durant la grossesse, avec notamment les consultations pédiatriques anténatales : elle demande expertise, disponibilité, connaissance du dossier de grossesse, des antécédents familiaux, des situations de vulnérabilité.
3Si, dans la majorité des cas, l’examen clinique du bébé est normal, la première consultation revêt un autre caractère majeur pour l’avenir de l’enfant : elle est l’occasion de regarder avec les parents, de commenter les manifestations spontanées du bébé ou ses réponses, de partager les émotions qui ne manquent pas de surgir, de repérer les angoisses résiduelles à un parcours obstétrical complexe, de prodiguer avec bienveillance des conseils cohérents avec la trajectoire vécue avec les professionnels précédents, d’anticiper au mieux le retour de la famille au domicile avec l’introduction de nouveaux professionnels si besoin.
4Les consultations pédiatriques anténatale ou postnatale immédiate sont de véritables consultations de développement [3], qui nécessitent des connaissances sans cesse remises à jour dans des domaines aussi variés que le dépistage des pathologies néonatales, l’allaitement maternel, les laits infantiles et les besoins du bébé, la plasticité cérébrale et le développement du jeune enfant, la prévention de la mort inexpliquée du nourrisson, la plagiocéphalie, la psychopathologie périnatale, l’attachement, l’impact de l’environnement sur le développement de l’enfant, etc.
Examen clinique du nouveau-né
Cadre réglementaire
5L’arrêté du 26 février 2019 relatif au calendrier des examens médicaux obligatoires de l’enfant précise que le premier examen de santé de l’enfant doit avoir lieu avant le huitième jour postnatal et donne lieu à l’établissement d’un certificat de santé [4].
6L’examen du nouveau-né en maternité est réalisé par un pédiatre. C’est l’occasion de valider l’absence de pathologie, de compléter le carnet de santé et d’établir le certificat du huitième jour. Aucune expertise ou formation particulière n’est exigée actuellement pour assurer cette consultation qui a pourtant une importance majeure en termes de dépistage et de prévention.
Déroulé de l’examen
7C’est un examen clinique complet qui permet de délivrer aux parents des informations précises, rassurantes lorsqu’aucun élément anormal n’est retenu. Par souci de confidentialité, il est préférable qu’il soit fait dans un espace approprié, au mieux dans la chambre de la mère, en présence des deux parents si possible. Ils peuvent ainsi s’exprimer librement, croiser leur regard avec celui du pédiatre, observer les réponses du bébé aux sollicitations, l’effet positif des adaptations posturales proposées sur son état d’éveil et ses capacités d’apaisement. Ils sont invités à soutenir la régulation tonique du bébé, en lui parlant, en le regardant se mouvoir, en découvrant ses capacités d’entrer en relation, en lui apportant un soutien apaisant, par la voix ou le toucher. Ils offrent ainsi une précieuse aide à leur bébé et facilitent la tâche du pédiatre. En effet, la normalité de l’examen du nouveau-né ne peut être évaluée que si l’enfant est en éveil calme, à distance d’un repas, dans un environnement sensoriel adapté (luminosité, température, niveau sonore, ambiance calme).
8Le sujet n’est pas ici de décrire l’examen dans sa totalité, mais certains points sont abordés soit parce qu’ils font l’objet d’évolutions récentes des pratiques, soit parce qu’ils restent fondamentaux dans l’évaluation clinique du nouveau-né. La recherche d’une cardiopathie congénitale grave qui aurait échappé au diagnostic anténatal est nécessaire [5] : inspection, auscultation, palpation, recherche de particularités morphotypiques sont complétées par la mesure de la saturation en oxygène par oxymétrie de pouls. Le dépistage de la luxation congénitale de hanche est systématique et demande un apprentissage [6]. L’examen oculaire du nouveau-né est souvent difficile et nécessite de disposer d’une source lumineuse et d’un ophtalmoscope [7]. Pour observer le comportement visuel du nouveau-né, l’intensité lumineuse sera abaissée dans la chambre (baisser les volets, lumière indirecte). En dehors de toute autre stimulation sensorielle, le bébé éveillé, calme et bien soutenu, pourra montrer à ses parents ses capacités de fixation et de poursuite visuelle de la cible. L’examen neuromoteur permet d’évaluer la normalité du fonctionnement cérébral [8] : les critères d’optimalité de l’examen neurologique à terme doivent être recherchés systématiquement. L’analyse des general movements est particulièrement intéressante dans le contexte d’accouchement difficile et permet de prédire des anomalies de fonctionnement neurologique de type paralysie cérébrale avec une sensibilité et une spécificité élevées [9].
Aménagements simples pour favoriser le déroulement de l’examen
9Le soutien postural proposé au bébé a pour but d’éviter la désorganisation motrice, les réactions toniques en extension et les pleurs. Dès la naissance, le nouveau-né est soumis à des conditions de vie extra-utérine nouvelles, à des stimulations sensorielles qui ne lui sont pas familières. Il subit les lois de la gravité auxquelles il échappait dans l’utérus (milieu aquatique et posture enroulée). Alors qu’il était maintenu dans une posture en flexion in utero, il est maintenant couché sur le dos pour dormir ou sur la table à langer pour le change et ne peut lutter contre l’effet de la pesanteur. L’observation du comportement du nouveau-né renseigne sur ses capacités d’affronter ces changements [10]. Les parents sont invités à décrire comment ils perçoivent les réactions diverses de leur enfant, ce qui donne l’occasion de regarder ensemble les signaux du bébé et d’en décrypter le sens pour chacun.
10Durant l’examen, l’attention du pédiatre doit être centrée sur le bébé : il s’adresse à lui pour raconter ce qu’il fait et ce qu’il observe. Le rythme de l’examen est lent et respecte les capacités d’adaptation du nouveau-né. Des aménagements simples de l’environnement immédiat en facilitent le déroulement : baisser le niveau sonore (éteindre la télévision !), diminuer l’intensité lumineuse, apporter un soutien postural en enroulement (cocon, flexion de la nuque, enroulement du bassin). Alors que souvent les parents déclarent que le bébé va pleurer, car il n’aime pas être déshabillé, ils vont observer que le soutien postural et le rythme ralenti vont permettre de mener l’examen sans désorganisation et sans pleurs. Le déroulé de l’examen médical est propre à chaque praticien. La seule obligation est de ne rien oublier, d’enchaîner les tests et étapes de manière fluide et douce. Il n’est pas nécessaire de déshabiller complètement le bébé pour débuter. Le transfert des bras des parents ou du berceau vers la table d’examen se fait sans précipitation, en gardant une posture fléchie de l’axe corporel, puis en le posant sur les fesses, en descendant lentement le tronc en décubitus latéral puis sur le dos. L’installation dans un cocon ou au centre d’un linge enroulé assure un maintien de la nuque en flexion, un enroulement du bassin et une possibilité pour le bébé de rapprocher ses mains de l’axe médian et de sa bouche. Dans cette position, les vêtements peuvent être écartés, et l’auscultation cardiaque est possible. Puis lentement, le bébé va être déshabillé. La succion du pouce ou de la sucette peut aider, la main d’un parent posée fermement sur la tête ou sur l’abdomen également. Le bébé doit être vu nu dans sa totalité à un moment de l’examen pour rechercher des anomalies cutanées, une fossette lombosacrée, mais ce passage délicat doit être amené avec délicatesse. Le passage du décubitus dorsal au procubitus est l’occasion de guider un retournement au cours duquel vont être observés l’adaptation posturale, le dégagement du membre supérieur et le relèvement de la tête. C’est encore et toujours l’occasion de parler au bébé, de le féliciter, d’évoquer ses capacités et ses limites, son besoin d’être soutenu par l’adulte, donc ses parents avant toute autre personne. Ces derniers partagent avec le pédiatre l’observation des effets du regroupement sur la régulation du tonus et des émotions ainsi que sa disponibilité relationnelle. Lorsque l’examen clinique est terminé, l’installation en peau à peau sur sa mère ou son père est proposée, ou la mise au sein si l’enfant montre des signaux dans ce sens. Les bénéfices du contact peau à peau et du portage sont expliqués, à poursuivre de façon prolongée après la sortie de la maternité [11].
Notion de consultation de développement
11La consultation pédiatrique à la maternité s’inscrit dans une démarche de soins de développement et de soutien à la parentalité. La rencontre du bébé et de ses parents aborde les conditions d’accueil du bébé, l’histoire familiale et les conditions de vie, les événements heureux et traumatiques, les vulnérabilités, le projet familial et les besoins du bébé pour un développement optimal. Il faut donc que le pédiatre ait du temps et soit réellement disponible. Il est recommandé que l’organisation des soins permette de « sanctuariser » cette rencontre (pas de bip ou d’appel téléphonique pour une urgence dans un autre secteur). Les échanges avec les parents sont l’occasion d’aborder tous les sujets qui les préoccupent, de délivrer des messages de prévention, dont beaucoup sont présentés d’ailleurs dans le carnet de santé. Ils concernent :
- l’allaitement maternel : rappeler les bénéfices de l’allaitement au sein jusqu’à six mois pour la santé de l’enfant, rechercher l’existence de messages contradictoires (complément au biberon, horaire des tétées au sein, perte de poids) et tenter de retrouver de la cohérence en s’appuyant sur des notions validées, recourir si nécessaire à un professionnel expert au sein de l’équipe de la maternité, orienter vers un relais de soutien après la sortie de la maternité ;
- l’alimentation au biberon : rythme des repas, soutien postural, reconnaissance du bien-être et de la satiété, notion de plaisir partagé donc de disponibilité à la fois du bébé et de ses parents ;
- les besoins du nouveau-né et l’appétence pour la relation, sa préférence pour les stimuli sociaux, les visages humains plutôt que les jouets ou les mobiles ;
- l’importance et les bénéfices de la proximité physique (peau à peau, portage, lit « cododo ») qui améliore le repérage par les parents des signaux du bébé, calme les pleurs, améliore la qualité du sommeil ;
- la synchronie des interactions entre le bébé et ses parents = source de plaisir ;
- le bénéfice du « toucher affectueux » (massages, pressions sur la surface cutanée du bébé), voie essentielle pour établir et maintenir la synchronisation interactionnelle parent–enfant au niveau comportemental et neuronal, joue un rôle fondamental dans la mise en place de liens sociaux précoces et de comportement psychosocial précoce [12] ;
- l’importance de parler au bébé, de lui expliquer les situations, d’exprimer ses émotions ;
- la reconnaissance par le nouveau-né de la voix et de l’odeur maternelle ;
- le respect des rythmes du bébé : sommeil, repas, période d’éveil ;
- la gestion des situations de pleurs, de troubles du sommeil ou de l’alimentation, la reconnaissance des signaux émis par le bébé, la différence entre faim et besoin de succion [13] ;
- l’importance de la répétition des expériences partagées et parlées avec le bébé, comme un rituel qui va lui permettre de se familiariser, de reconnaître les situations puis de les anticiper. Cela concerne les soins de nursing, les repas, les moments d’éveil avec des expériences de partage et d’interaction dans des postures variées (sur le dos, sur le côté, sur le ventre) ;
- les recommandations de couchage sur le dos pendant le sommeil [14] ;
- l’environnement sensoriel adapté au bébé, l’installation du mobile au pied du lit, la notion de surstimulation, l’effet délétère des écrans [15] ;
- la question du matériel de puériculture nécessaire, ou pas, inadapté, voire dangereux : coussin de positionnement pour la tête ou cale-bébé, transat de bain, siège-coque, trotteur, matelas-cocon [14] ;
- les risques de la consommation des substances telles que le tabac dans une pièce fermée ;
- les risques, en cas de prise de substances psychoactives, de baisse de la vigilance ou de perte du contrôle de soi alors que le bébé est dans un état de totale dépendance dans ses premières années de vie.
12Cette liste est loin d’être exhaustive. La connaissance de l’histoire de la grossesse, enrichie par l’apport de l’entretien prénatal précoce qui donne la parole aux futurs parents, a modifié les pratiques. Ainsi, tout antécédent de grossesse avec avortement précoce ou tardif, mort fœtale in utero, interruption médicale de grossesse, accouchement traumatique, événement de vie contemporain à la naissance, incite à porter une attention particulière à la recherche d’un état anxieux ou dépressif chez la mère ou le père [16]. Avant la sortie de la maternité, il est nécessaire d’interroger la possibilité d’accompagnement postnatal plus étayé : y a-t-il un professionnel référent, une sage-femme libérale ou l’équipe de Protection maternelle et infantile (PMI), la poursuite d’un suivi pédopsychiatrique déjà en place en anténatal ? La connaissance du réseau des professionnels de proximité aide le pédiatre à orienter la famille. Donner les coordonnées de la puéricultrice de secteur, l’adresse du centre médicosocial ne suffit pas : la rencontre de la puéricultrice de PMI avec la mère ou les parents en anténatal puis dans la chambre à la maternité est préférable et facilite la mise en place de l’accompagnement postnatal, démine le terrain des représentations négatives. Dans les situations les plus fragiles ayant bénéficié d’un accompagnement pluridisciplinaire, l’anticipation dès la période anténatale d’un séjour en maternité prolongé est un ressort puissant pour soutenir le bébé et ses parents et organiser la sortie à domicile en activant le réseau de professionnels ressources nécessaires.
Conclusion
13L’examen de santé du nouveau-né en maternité doit permettre une alliance avec les parents qui peuvent alors évoquer leurs émotions, leurs craintes et leur situation familiale. Il est de la responsabilité du pédiatre et de l’équipe de maternité de s’assurer que la sortie à domicile de l’enfant est possible dans de bonnes conditions médicales, de sécurité affective et matérielle. Il s’agit de consacrer le temps nécessaire pour rencontrer le bébé et ses parents, croiser les regards, observer et commenter, écouter les craintes, renforcer les compétences de chacun, et donner les clés pour une compréhension des besoins du nouveau-né dans son processus de développement. La recherche de signes évocateurs d’anxiété ou de dépression parentale est indispensable.
14Des relais avec des professionnels pouvant soutenir la famille au domicile doivent être proposés, avec pour effets recherchés la diminution du recours aux consultations d’urgences pédiatriques dans les premières semaines de vie, des changements de régimes lactés itératifs ou des arrêts précoces d’allaitement maternel, des situations de détresse parentale.
15Les enjeux de la consultation pédiatrique en maternité sont majeurs en termes de sécurité parentale et de développement précoce : elle ne peut être confiée qu’à un pédiatre expérimenté et disponible, ayant une connaissance solide du développement du bébé et du réseau de professionnels à proximité du domicile familial. Comme pour cet examen de la première semaine de vie, l’évaluation du bien-être familial, de la santé du nourrisson et de son développement nécessitera la même attention et la même rigueur lors des examens de santé ultérieurs, à la lumière des connaissances scientifiques concernant la période sensible des 1 000 premiers jours.
Références
- 1Commission ministérielle des 1 000 premiers jours (2020) Les 1 000 premiers jours. Là où tout commence. Ministère des Solidarités et de la Santé
- 2HAS (2014) Sortie de maternité après accouchement : conditions et organisation du retour à domicile des mères et de leurs nouveau-nés
- 3Petit T, Dupuy RP (2021) Plaidoyer pour la consultation de développement. In : ABSM–André Bullinger (eds) Les enjeux de la consultation de développement. Érès, 1001BB, Toulouse, pp 97–117
- 4Journal officiel. Arrêté du 26 février 2019 relatif au calendrier des examens médicaux obligatoires de l’enfant
- 5Narvey M, Wong K, Fournier A (2017) La saturométrie pour mieux dépister la cardiopathie congénitale grave chez les nouveau-nés. Paediatr Child Health 2017 :499–503
- 6HAS (2013) Luxation congénitale de la hanche : dépistage. Recommandation de bonne pratique
- 7Vacherot B (2005) Examen ophtalmologique du nouveau-né à terme à la maternité. Med Ther Pediatr 8 :383–4
- 8Gosselin J, Amiel-Tison C (2007) Évaluation neurologique de la naissance à 6 ans. Éditions du CHU Sainte-Justine, Montréal
- 9Hadders-Algra M (2004) General movements : a window for early identification of children at risk for developmental disorders. J Pediatr 145 :S12–S18
- 10Bullinger A (2004) Le développement sensorimoteur de l’enfant et ses avatars. Un parcours de recherche. Érès, Toulouse
- 11Moore ER, Anderson GC, Bergman N, Dowswell T (2012) Early skin-to-skin contact for mothers and their healthy newborn infants. Cochrane Database Syst Rev 5 :CD003519
- 12Carozza S, Leong V (2021) The role of affectionate caregiver touch in early neurodevelopment and parent–infant interactional synchrony. Front Neurosci 14 :613378
- 13Petzoldt J, Wittchen HU, Einsle F, et al (2016) Maternal anxiety versus depressive disorders : specific relations to infants’ crying, feeding and sleeping problems. Child Care Health Dev 42 : 231–45
- 14Task Force on Sudden Infant Death Syndrome (2016) SIDS and other sleep-related infant deaths : updated. Recommendations for a safe infant sleeping environment. Pediatrics 138 :e20162938
- 15Anderson DR, Subrahmanyam K (2017) Digital screen media and cognitive development. Pediatrics 140 :S57–S61
- 16Reck C, Tietz A, Müller M, et al (2018) The impact of maternal anxiety disorder on mother–infant interaction in the postpartum period. PLoS One 13 :e0194763
Mots-clés éditeurs : soutien parental, nouveau-né, examen pédiatrique, soins de développement, besoins fondamentaux précoces
Date de mise en ligne : 05/07/2021
https://doi.org/10.3166/rmp-2021-0121