Couverture de PEP_239

Article de revue

Stimuler l’appropriation comportementale du feed-back en contexte d’évaluation du potentiel

Pages 12 à 15

Notes

  • [1]
    Boudrias, J. S., Pettersen, N., Longpré, P, & Plunier, P. (2008), « Enquête sur les pratiques québécoises en évaluation du potentiel et des compétences », Rapport présenté à la Société québécoise de psychologie du travail et des organisations.
  • [2]
    En ce sens, une recension des études empiriques publiée en 2008 relevait 41 articles sur le sujet et peu d’écrits sont parus depuis. Cf. Plunier, P, Boudrias, J. S., et Landry Gagne, M. (2008), « L’appropriation d’un feedback dans un contexte d’évaluation du potentiel : essai de modélisation et résultats empiriques », Revue québécoise de psychologie, 29(3), 223-237.
  • [3]
    Hattie, J., & Timperley, H. (2007), « The power of feedback », Review of educational research, 77(1), 81-112.
  • [4]
    Ilgen, D. R., Fisher, C. D., & Taylor, M. S. (1979), « Consequences of individual feedback on behavior in organizations », Journal of applied psychology, 64(4), 349.
  • [5]
    Plunier, P. (2012), Modéliser íe processus d’appropriation du feedback en évaluation du potentiel pour en optimiser les retombées positives auprès des candidats (thèse de doctorat), Université de Montréal.
  • [6]
    Petty, R. E., & Cacioppo, J. T. (1986), Communication and persuasion : central and peripheral routes to attitude change, New York, Springer-Verlag.
  • [7]
    Korman, A. (1970), « Toward an hypothesis of work behavior », Journal of Applied Psychology, 54, 31-41.
  • [8]
    Boudrias, J. S., Bernaud, J. L., & Plunier, P (2014), « Candidates’ integration of individual psychological assessment feedback », Journal of Managerial Psychology, 29(3), 341-359.
  • [9]
    Malo, M., Tremblay, I., Goyette, V, & Boudrias, J.-S. (2014), « Comment l’évaluateur peut-il favoriser l’intention d’agir dans le sens du feed-back en contexte d’évaluation du potentiel ? », communication orale présentée au 18e Congrès de l’Association internationale de psychologie du travail de langue française, Août, Italie.
  • [10]
    Festinger, L. (1957), A theory of cognitive dissonance, Evanston, IL, Row & Peterson.
  • [11]
    Par exemple, Savaria, K. (2011), Estime de soi et appropriation cognitive du feedback en contexte d’évaluation de potentiel : le rôle de la valence et l’influence de la source (thèse de doctorat), Université de Montréal.
  • [12]
    Rose, M., Eidson, C., Steffensmeier, J., & Kudisch, J. D. (2004), « Factors affecting assessment center feedback acceptance : An expanded view », présenté au 19’ Annual Conference of Industrial and Organisational Psychology, Chicago.

Selon une enquête menée auprès des psychologues du travail et des organisations du Québec, l’évaluation du potentiel s’inscrit dans le champ de pratique le plus populaire [1]. Pourtant, sur le plan de la recherche, la compréhension de l’évaluation du potentiel demeure embryonnaire [2].

1 L’évaluation du potentiel consiste en une estimation des habiletés et des compétences dont dispose un candidat ou de sa capacité à les développer. Le psychologue dresse, au moyen d’une variété de mesures, le portrait des forces et des zones d’amélioration du candidat en regard d’un contexte professionnel prédéterminé et lui communique ses résultats lors d’une rencontre prévue à cet effet. Cette communication des résultats, appelée feed-back, représente une étape essentielle car elle vise à stimuler le développement des talents du candidat sur la base des recommandations faites par le psychologue.

2 Or, les effets du feed-back en contexte d’évaluation du potentiel sont mitigés. Que ce soit dans les écrits scientifiques ou dans le cadre de notre pratique professionnelle, nous observons que certains candidats modifieront leurs attitudes et leurs comportements en tenant compte des recommandations formulées lors de l’évaluation du potentiel, tandis que d’autres personnes n’apporteront aucun changement à leurs façons de faire. Comme le soulignent Hattie et Timperley [3], « le feed-back implique une transmission d’informations et une réception d’informations et il peut parfois y avoir un océan entre les deux ». Si les écrits et les données probantes manquent pour expliquer ces résultats, plusieurs hypothèses explicatives peuvent être formulées à partir d’une réflexion théorique, empirique et pratique.

Hypothèses expliquant l’appropriation comportementale du feed-back en contexte d’évaluation du potentiel

De l’appropriation cognitive à l’appropriation comportementale du feed-back

3 À titre de première hypothèse, nous avançons que plusieurs étapes seraient requises pour qu’une personne émette des comportements allant dans le sens du feed-back. Emprunté au contexte d’évaluation de performance, le modèle d’Ilgen, Fisher et Taylor [4] décrit une séquence d’éléments qui aboutit à une mise en action chez le candidat : la perception du feed-back, sa compréhension, son acceptation, puis un désir et une intention de fournir des réponses dans le sens du feedback. Plunier [5] a adapté le modèle d’Ilgen et de ses collègues au contexte d’évaluation du potentiel. Selon ce modèle, l’appropriation cognitive du feed-back conduirait à l’intention d’agir, qui mènerait à l’appropriation comportementale du feed-back. Pour l’auteur, l’appropriation cognitive se traduit par un processus par lequel le candidat intègre les informations contenues dans le feed-back à sa conception de lui-même. L’appropriation serait composée de deux réactions cognitives : l’acceptation et la conscientisation. L’acceptation correspond au degré selon lequel le candidat évalue les informations transmises lors du feed-back comme étant une évaluation juste de sa personne et de ses compétences. La conscientisation réfère à l’évaluation effectuée par le candidat afin de déterminer si le feed-back lui permet de mieux se connaître et saisir les enjeux de ses comportements par rapport à son environnement de travail.

4 Deux théories s’affrontent pour expliquer comment l’acceptation et la conscientisation sont liées à l’intention d’agir et à la mise en action dans le sens du feed-back. D’une part, selon la théorie de la probabilité d’élaboration [6], plus une personne traite un message en profondeur sur le plan cognitif, plus elle aurait une motivation à changer. Puisque la conscientisation amènerait l’individu à revoir les représentations qu’il se fait de lui-même, cette réaction cognitive requerrait un traitement de l’information plus profond que l’acceptation, une réaction cognitive pour laquelle le message correspond aux représentations individuelles. Ainsi, la conscientisation aurait une influence plus grande sur l’intention d’agir et l’appropriation comportementale que l’acceptation selon la théorie de la probabilité d’élaboration.

5 D’autre part, selon la théorie de la cohérence de soi [7], les individus seraient plus motivés à émettre des comportements qui sont cohérents avec l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Plus un candidat accepte son feed-back comme étant vrai, plus il aurait tendance à s’y conformer et agir en ce sens. Ainsi, l’acceptation aurait une influence plus grande sur l’intention d’agir et l’appropriation comportementale que la conscientisation selon la théorie de la cohérence de soi.

6 Les rares études qui se sont penchées sur l’influence conjointe de l’acceptation et de la conscientisation appuient tantôt la théorie de la probabilité d’élaboration [8], tantôt la théorie de la cohérence de soi [9]. Ainsi, les deux réactions cognitives apparaissent jouer un rôle sur l’intention et l’action dans le sens du feed-back. Sur la base de ce qui précède, le psychologue du travail et des organisations est invité à mettre en place des stratégies pour favoriser l’acceptation du message qu’il transmet au candidat, de même qu’à en stimuler une prise de conscience. Cette recommandation soulève le questionnement suivant : comment favoriser l’appropriation cognitive du feed-back en contexte d’évaluation de potentiel ?

La crédibilité et la validité d’apparence au service de l’appropriation du feed-back

7 En réponse à cette question, la deuxième hypothèse porte sur les facteurs affectant les réactions cognitives au feed-back. La documentation tirée de la psychologie sociale et du counseling fait état de variables qui auraient une influence sur les processus cognitifs, à savoir la source du message (c’est-à-dire la personne qui donne le feed-back) et le contexte dans lequel le message est transmis.

8 Parmi les caractéristiques de la source examinées pour comprendre les réactions au feed-back, la crédibilité perçue a largement retenu l’attention des chercheurs et est un enjeu particulièrement sensible chez le praticien junior. La crédibilité correspond à la perception de l’individu qui reçoit le feed-back en regard de la capacité du psychologue à l’évaluer et à lui présenter l’information adéquatement. En matière du contexte associé au message, la validité d’apparence du processus d’évaluation représente un antécédent fortement lié aux réactions des candidats à l’évaluation. La validité d’apparence renvoie notamment aux impressions du candidat concernant la pertinence des outils employés dans le cadre du processus d’évaluation du potentiel.

9 La théorie de la dissonance cognitive [10] fournit une piste pour expliquer l’effet de la crédibilité perçue et de la validité d’apparence du processus d’évaluation sur l’appropriation du feedback. Selon cette théorie, une tension est créée lorsqu’une personne perçoit un écart entre l’image qu’elle se fait d’elle-même et le message qu’on lui transmet. Pour gérer cette tension, plusieurs stratégies peuvent être employées, notamment de discréditer la source du message ou le contexte qui lui est associé. Or, lorsque la source et le processus d’évaluation sont perçus comme étant crédibles, le récepteur aurait moins tendance à argumenter et à discréditer la source du message et le processus d’évaluation. Pour réduire la dissonance cognitive, la personne serait poussée à accepter le message comme étant vrai et à y faire une prise de conscience. Plus la dissonance est grande, plus la pression pour réduire la dissonance l’est également. L’individu qui change sa façon de se percevoir serait enclin à modifier ses comportements afin d’agir de façon cohérente avec sa nouvelle perception de lui-même. Bien que davantage de recherches soient requises, de récentes études [11] empiriques appuient cette explication.

Considérant l’argumentaire précédent, le psychologue du travail et des organisations, pour favoriser l’appropriation du feed-back du candidat, aurait avantage à miser sur sa crédibilité et à gérer les impressions en lien avec le processus d’évaluation que le client se fait. Pour ce faire, il gagnerait à rester à jour sur les outils et techniques requis dans le cadre d’une évaluation du potentiel. En outre, il est invité à utiliser des outils contextualisés au travail, notamment des inventaires de la personnalité dont les énoncés sont tirés de la réalité organisationnelle. Enfin, il tirerait avantage à porter une attention à la manière de communiquer avec le candidat, à planifier un moment pour lui expliquer les outils et le déroulement du processus d’évaluation et à vérifier les perceptions du client afin d’ajuster ses interventions en conséquence.

Les techniques d’intervention comme levier à l’appropriation

10 Au-delà de l’influence de la source et du contexte du message, une troisième hypothèse pour expliquer l’appropriation comportementale du feed-back concerne les techniques d’intervention employées par le psychologue du travail et des organisations. Comme c’est le cas pour la psychothérapie, une utilisation judicieuse des types d’intervention favoriserait un désir de la part du client de changer certains comportements inadéquats au travail, contrairement à l’effet qu’aurait un l’emploi maladroit de ces techniques. En premier lieu, le recours à des techniques d’intervention stimulant la compréhension du feed-back par le candidat serait à privilégier. Une étude a montré que l’action de vérifier la compréhension par le candidat du message partagé lors du feed-back serait liée à son appropriation du feed-back [12]. Ces résultats sont cohérents avec le modèle de feed-back d’Ilgen et de celui de Plunier qui placent la compréhension du feed-back comme première étape des processus cognitifs menant à l’action comportementale du candidat dans le sens du feed-back. En d’autres mots, s’assurer que le client ait bien compris le message qui lui est donné lors de la séance de feed-back constituerait l’étape charnière du processus qui lui permettrait d’accepter le feed-back, puis d’avoir le désir et l’intention d’y répondre.

11 En second lieu, l’utilisation d’interventions axées sur la relation entre le psychologue et le client pourrait faciliter le désir du client d’agir dans le sens du feed-back reçu. En effet, ces interventions prennent leurs racines dans l’approche centrée sur la personne de Carl Rogers et sont, selon lui, des conditions nécessaires, mais non suffisantes, pour amener le client à effectuer un changement de comportement.

Ces interventions se définissent par la mise en place de trois comportements de la part du psychologue. Le premier, la congruence, fait appel à une cohérence entre le ressenti, les pensées et les comportements du psychologue. Ainsi, en démontrant une réelle authenticité dans sa manière d’être avec son client, le psychologue permettrait l’installation d’un climat de confiance et de sincérité. Le deuxième comportement se traduit par le regard positif inconditionnel et fait référence à l’acceptation tangible du client tel qu’il est. En créant un climat réconfortant, cette acceptation serait un excellent point de départ pour l’exploration des vulnérabilités du client et pour l’amener à des prises de conscience sur certains éléments moins adaptés dans ses comportements. Le troisième comportement renvoie à l’empathie, c’est-à-dire la capacité à saisir les nuances dans le ressenti du client. L’empathie permettrait au client d’explorer ses enjeux sans être distrait par la préoccupation que le psychologue les a bien compris. Ainsi, toute l’énergie du candidat pourrait être utilisée dans l’acceptation et les prises de conscience qu’il aura à faire pendant la séance de feed-back.

12 À la lumière de notre compréhension théorique et de notre pratique professionnelle, nous croyons que ces interventions axées sur la compréhension du feed-back et sur la relation favoriseraient l’appropriation comportementale du client en facilitant l’acceptation du feed-back et les prises de conscience. C’est pourquoi nous pensons que les psychologues du travail et des organisations, tout comme les psychologues cliniciens, devraient porter une attention particulière à la compréhension de leur message par le client et devraient faire preuve d’un savoir-être qui soutient les trois comportements inéluctables au changement chez le client.

13 À la question centrale de l’article portant sur les facteurs favorisant l’appropriation comportementale du feedback en contexte d’évaluation du potentiel, plusieurs éléments de réponse ont été proposés. Si des parallèles peuvent être tracés avec des domaines connexes comme la psychologie sociale et la psychologie clinique, l’étude du feed-back propre à l’évaluation du potentiel fait face au défi de tester empiriquement plusieurs hypothèses. L’augmentation des données probantes sur le sujet permettra au psychologue du travail et des organisations d’arrimer ses interventions aux meilleures pratiques. B


Date de mise en ligne : 20/12/2022

https://doi.org/10.3917/pep.239.0012

Notes

  • [1]
    Boudrias, J. S., Pettersen, N., Longpré, P, & Plunier, P. (2008), « Enquête sur les pratiques québécoises en évaluation du potentiel et des compétences », Rapport présenté à la Société québécoise de psychologie du travail et des organisations.
  • [2]
    En ce sens, une recension des études empiriques publiée en 2008 relevait 41 articles sur le sujet et peu d’écrits sont parus depuis. Cf. Plunier, P, Boudrias, J. S., et Landry Gagne, M. (2008), « L’appropriation d’un feedback dans un contexte d’évaluation du potentiel : essai de modélisation et résultats empiriques », Revue québécoise de psychologie, 29(3), 223-237.
  • [3]
    Hattie, J., & Timperley, H. (2007), « The power of feedback », Review of educational research, 77(1), 81-112.
  • [4]
    Ilgen, D. R., Fisher, C. D., & Taylor, M. S. (1979), « Consequences of individual feedback on behavior in organizations », Journal of applied psychology, 64(4), 349.
  • [5]
    Plunier, P. (2012), Modéliser íe processus d’appropriation du feedback en évaluation du potentiel pour en optimiser les retombées positives auprès des candidats (thèse de doctorat), Université de Montréal.
  • [6]
    Petty, R. E., & Cacioppo, J. T. (1986), Communication and persuasion : central and peripheral routes to attitude change, New York, Springer-Verlag.
  • [7]
    Korman, A. (1970), « Toward an hypothesis of work behavior », Journal of Applied Psychology, 54, 31-41.
  • [8]
    Boudrias, J. S., Bernaud, J. L., & Plunier, P (2014), « Candidates’ integration of individual psychological assessment feedback », Journal of Managerial Psychology, 29(3), 341-359.
  • [9]
    Malo, M., Tremblay, I., Goyette, V, & Boudrias, J.-S. (2014), « Comment l’évaluateur peut-il favoriser l’intention d’agir dans le sens du feed-back en contexte d’évaluation du potentiel ? », communication orale présentée au 18e Congrès de l’Association internationale de psychologie du travail de langue française, Août, Italie.
  • [10]
    Festinger, L. (1957), A theory of cognitive dissonance, Evanston, IL, Row & Peterson.
  • [11]
    Par exemple, Savaria, K. (2011), Estime de soi et appropriation cognitive du feedback en contexte d’évaluation de potentiel : le rôle de la valence et l’influence de la source (thèse de doctorat), Université de Montréal.
  • [12]
    Rose, M., Eidson, C., Steffensmeier, J., & Kudisch, J. D. (2004), « Factors affecting assessment center feedback acceptance : An expanded view », présenté au 19’ Annual Conference of Industrial and Organisational Psychology, Chicago.

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