Notes
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[1]
Voir le texte du décret sur le site web de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) : http://www.oapi.int/Ressources/documentsPLA/REGLEMENTS/MALI/ Projet_decret_application_loi8.pdf.
- [2]
-
[3]
Deux missions de terrain, en 2013 et 2014, ont été effectuées dans le cadre du projet ANR « De la discomorphose à la numérimorphose. Impact du virage numérique sur la formation des goûts et les usages de la musique au quotidien » (ANR Musimorphose 2013-2016, coord. Philippe Le Guern).
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[4]
La Biennale Artistique et Culturelle a repris en 2003, jusqu’en 2011, comme dispositif participant des politiques de décentralisation (Djebbari, 2013 ; Doquet, 2008). Il est aujourd’hui question de la rétablir, dans le cadre d’une politique de « renaissance culturelle » du Mali (Doumbia, 2016).
- [5]
-
[6]
Notamment la Convention pour la Diversité Culturelle votée en 2005.
-
[7]
Programme d’Appui à la Politique Culturelle du Mali (PAPCM) mis en place par le 8e Fonds européen du Développement (FED) entre 2000 et 2004 (Héau, Simeone et Ndiaye, 2006). Programme d’Appui et de Valorisation des Initiatives Artistiques et Culturelles (PAVIA) entre 2005 et 2008 sur les fonds du 9e Fonds européen de développement (FED). Dans ce cadre, a été mis en place un Projet de Soutien aux Initiatives Culturelles (PSIC). Au sein du 10e FED, un Programme d’Appui au Développement Economique et Social de la Culture au Mali (PASDEC) a été mise en œuvre en 2009-2010 jusqu’à sa phase de clôture en 2012-2014 (L’appui de la Commission européenne au secteur de la Culture au Mali, 2009). Sur la période 2005-2007, la Commission Européenne contribue à 80 % au budget national du ministère de la Culture (Touré, 2006, p. 210-211). Malheureusement, les chiffres manquent pour les années suivantes.
-
[8]
Nombre de festivals ont effectivement vu le jour sur tout le territoire, financés pour l’essentiel par les programmes de l’Union Européenne et/ou les entreprises privées. C’est par exemple le cas du Festival sur le Niger organisé à Ségou chaque année depuis 2006, à l’initiative des hôteliers de la ville et grâce à leur financement (même si le Festival bénéficie aussi d’autres ressources financières, publiques et privées).
- [9]
-
[10]
Le CD ne s’est pas popularisé au Mali ; il est principalement requis pour la diffusion internationale ou bien les musiciens s’en servent de « carte de visite professionnelle » (Olivier, 2014).
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[11]
Le gouvernement malien tente d’implanter une 3e licence depuis 2011, opération qui a été suspendue par la crise de 2012.
-
[12]
Le reste des actions se trouve redistribué entre l’État malien (20 %), les porteurs nationaux (19 %) et les salariés de Malitel (10 %).
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[13]
Élargissement de la bande passante, connexion des zones rurales, etc. Voir Dahmani et Ledjou (op. cit.) ; Keita (op. cit.).
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[14]
Qui se trouvent aujourd’hui en concurrence avec des Smartphones de fabrication africaine.
-
[15]
C’est notamment le cas du programme Le numérique au service de l’éducation en Afrique, financé conjointement par l’UNESCO, l’AFD, l’AUF et Orange.
-
[16]
Programme de la Conférence Internationale « Politiques publiques de promotion de la diversité des expressions culturelles. Défis, contraintes et perspectives à l’ère du numérique » organisée au sein du Forum sur la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique qui s’est tenu à Bamako, du 22 au 25 novembre 2015, à l’initiative de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
- [17]
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Les pratiques et expressions culturelles liées au balafon des communautés Sénoufo du Mali, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire sont inscrites depuis 2012 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/les-pratiques-et-expressions-culturelles-liees-au-balafon-des-communautes-senoufo-du-mali-du-burkina-faso-et-de-cote-divoire-00849).
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[21]
Les confréries de chasseurs sont dites millénaires, œuvrant comme facteur de paix au Mali et dans toute l’Afrique de l’ouest. Voir Ligier, 2000.
-
[22]
Pour le football, Orange est partenaire financier de la Fédération du Football Malien et de plusieurs clubs nationaux ; il est aussi le sponsor principal des principales manifestations liées à ce sport (Coupe d’Afrique des Nations, Coupe de la Confédération CAF, Ligue des Champions, etc.). Le football est enfin très présent sur StarAfrica, le portail web panafricain d’Orange.
-
[23]
Les touch points sont des moyens de générer des revenus par la musique et des moyens de développer la musique par ces revenus.
Les entretiens dont sont issus les extraits cités ont tous été menés auprès du Chef de Division Marketing Produit et Développement d’Orange Mali en juillet 2014. Leur référence ne sera donc pas indiquée par la suite. -
[24]
C’est également le cas pour l’ensemble des opérateurs téléphoniques dans la zone Afrique.
-
[25]
Plus de 83 % de taux de couverture du territoire ; près de 16 000 villages couverts sur les 18 000 que compte le Mali ; 3 000 km de fibre optique déployés pour le désenclavement du pays ; déploiement de la 3G dans toutes les capitales régionales ; plus de 10 000 points de dépôt relais répartis sur l’ensemble du territoire malien (Rapport annuel Sonatel, 2014 : 40).
-
[26]
Chaîne de télévision publique du Mali, créée en 1983.
-
[27]
Créée en 2004, cette chaîne de télévision panafricaine privée émet sur satellite depuis Bamako.
-
[28]
Mini Star, Mini Rap notamment. Voir de nombreux extraits sur le site YouTube.
-
[29]
C’est précisément en 2012 que Deezer s’implante en Afrique, à travers les forfaits prépayés haut de gamme d’Orange qui donnent un accès libre à la plateforme de streaming.
-
[30]
Il s’agit en l’occurrence de distributeurs digitaux de musique, des labels indépendants Zimbalam et Believe, de la radio panafricaine Africa N° 1 et de Soonvibe, l’incubateur digital de créateurs de musiques et de DJ.
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[31]
De fait, la cassette analogique n’a pas été remplacée par le CD, au profit d’une dématérialisation quasi complète des supports.
-
[32]
Le site rhhm.net par exemple diffuse depuis 2013 sur sa page Facebook, Google+ et Soundcloud, ainsi que sur sa chaîne YouTube, et communique sur Twitter.
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[33]
Différents types de contrats semblent être signés, de la cession de droits pour le musicien au profit d’Orange, au simple contrat de distribution d’une œuvre. Des données plus précises restent cependant à recueillir.
-
[34]
Ce type de service a été initié en Corée du Sud où quelque 70 % des possesseurs de téléphone mobile l’utilisent. Au Mali, ce service est appelé Wele tones (litt. « tones d’appel »).
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[35]
Alors que de nombreux chanteurs maliens de zikiri (chants de louanges islamiques) sont très populaires, Orange ne propose curieusement aucun de leurs morceaux. Une enquête doit être menée pour comprendre quelles en sont les raisons.
-
[36]
Comviva est une entreprise mondiale en fournitures de solution de mobilité
(http://www.mahindracomviva.com). Humgama Hungama Digital Media Entertainment est le plus important agrégateur, développeur, éditeur et distributeur de contenus de divertissement de Bollywood et d’Asie du Sud (http://www.hungama.com). Quant à Digital Virgo, c’est une entreprise française présente en Europe, Amérique latine et Afrique, qui propose des contenus de divertissements digitaux
(http://www.digitalvirgo.com/fr/). -
[37]
Orange a également établi un partenariat avec la plateforme vidéo Dailymotion, afin de développer la vidéo en streaming.
-
[38]
Concerts dont de larges extraits sont mis en ligne sur la page Facebook d’Orange Mali.
-
[39]
Sur la visibilité, la réputation, la célébrité en régime médiatique, voir Heinich, 2012.
-
[40]
Orange compte 115 millions de clients en Afrique, dont 15 millions de clients pour le paiement mobile Orange-Money.
-
[41]
Entretien avec le Chef de Division Marketing Produit et Développement d’Orange Mali en juillet 2014.
1 Le 5 février 2015, au terme d’une procédure judiciaire intentée par le Conseil national du patronat du Mali au gouvernement malien, la Cour Suprême annule le décret n° 2014-0407/P-RM [1] fixant les nouveaux droits d’auteur et droits voisins, lequel avait pourtant été adopté en Conseil des ministres et signé par le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, le 6 juin 2014 (voir Diawara, 2015).
2 Ce décret, qui visait à adapter le dispositif réglementaire de la gestion collective des droits d’auteur et droits voisins aux réalités du nouvel environnement numérique, avait été suscité par les artistes maliens et leurs ayants droit. Réunis sous l’égide de l’Union des Associations des Artistes, des Producteurs et des Éditeurs du Mali (UAAPREM), ces derniers avaient déposé un cahier de doléances auprès du ministère de la Culture le 25 août 2012. L’argument était rédigé de la manière suivante : « Les artistes du Mali connaissent de plus en plus une situation de précarité due à l’absence de production, faute de producteurs, au phénomène de la mondialisation, de la piraterie due au développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication, à la mauvaise maîtrise du marché discographique malien et du manque de contrôle au niveau du cordon douanier de l’entrée dans notre pays de matériels informatiques : clés USB, MP3, etc. » (Koné, 2013). Les artistes maliens regrettaient également « le non-paiement par les radios libres du minimum de droit d’exécution publique » (ibid.), alors que leurs programmes diffusent majoritairement de la musique. Ils soulignaient aussi l’absence de communication avec les deux opérateurs téléphoniques Malitel et Orange Mali qui distribuent la musique sous forme de sonneries d’attente personnalisées. Ils dénonçaient enfin la mauvaise maîtrise du nombre et de l’implantation des cybercafés, à Bamako comme à l’intérieur du pays.
3 En réalité, la polémique se cristallisait autour des articles 38 et 39 du décret en question. Le premier portait sur la « redevance forfaitaire pour l’exploitation des œuvres artistiques et littéraires […] aux entreprises de téléphonie, aux sites de téléchargement et aux cybercafés ». Concrètement, les opérateurs de téléphonie mobile auraient à s’acquitter des droits d’exploitation des œuvres musicales par leur clientèle auprès du Bureau Malien des Droits d’Auteur (BUMDA), en l’occurrence 40 francs CFA (0,06 €) par mois et par puce téléphonique vendue. Quant à l’article 39, il visait plus particulièrement les cybercafés, lesquels reverseraient 3 000 francs CFA (4,60 €) par mois au BUMDA.
4 Pour le Conseil national du patronat du Mali (CNPM), au sein duquel les opérateurs téléphoniques Malitel et Orange Mali sont de véritables poids lourds, « ce décret met en place une redevance qui s’applique sur simple présomption d’utilisation des droits d’auteur, ce qui peut être qualifié d’impôt » (Conseil national du patronat du Mali, 2014, p. 12). Le CNPM explique que l’opérateur de téléphonie délivre à ses clients une carte SIM pour accéder à ses réseaux qui ne permet ni le stockage ni le téléchargement. Une redevance à la charge de l’abonné au titre des droits d’auteur, alors que son abonnement ne lui permet pas l’utilisation des œuvres protégées, est dépourvue de tout fondement légal, ou tout au moins contraire à la loi du 23 juillet 2008 relative à « la rémunération des droits patrimoniaux et moraux des auteurs et des droits voisins » (ibid.).
5 Réagissant à l’annulation du décret obtenue par le CNPM le 5 février 2015, la Fédération des Artistes Maliens (FEDAMA) accuse Orange et Malitel d’avoir « poussé le patronat à agir contre ce décret. […] Nous allons lutter jusqu’au bout pour rentrer dans nos droits et la lutte est engagée contre les ennemis des artistes » (Sow, 2015), prévient son représentant. Cette accusation est relayée par un certain nombre de médias maliens pour qui « le décret est attaqué en justice le 5 février 2015 par le Patronat malien à la Cour constitutionnelle avec le concours des opérateurs de téléphonie mobile (Orange-Mali et Sotelma-Malitel) » (Tiénou, 2015).
6 En réalité, le contentieux est loin de se réduire à une simple opposition entre artistes et patronat. Certains mettent en effet en doute la probité de la ministre de la Culture de l’Artisanat et du Tourisme, Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo. Elle est accusée d’avoir validé le décret sans lui avoir fait préalablement suivre le circuit habituel de préparation des dossiers, afin d’assouvir ses « ambitions de prestige » (Keïta, 2015). À cela s’ajoutent des craintes quant aux risques de détournement par le BUMDA de l’argent collecté (ibid.). Enfin, les critiques portent sur le principe de souveraineté du Mali, dont les lois en matière de droits d’auteur sont largement héritées de la législation française. « Les textes copier-coller de la France peuvent-ils aider dans le contexte malien ? » se demandent ainsi les journalistes Kondo et Issa Kaba, dans leur article intitulé « Bureau malien du droit d’auteur : IBK signe un décret porte-malheur » (2014).
7 La FEDEMA demande alors au ministère de la Culture de faire appel pour que l’affaire soit rejugée, tout en craignant que le procès soit tronqué par des magistrats à la solde du patronat du Mali (Diallo, 2015). Le 8 octobre 2015, la section administrative de la Cour suprême rejette l’appel en révision de l’arrêt du 5 février 2015. Depuis, les médias maliens annoncent que la loi n° 08-024 du 23 juillet 2008 fixant le régime de la propriété littéraire et artistique au Mali est en cours de relecture, en vue d’y intégrer les dispositions contenues dans le décret annulé (Doumbia, 2016).
8 Que révèle cette situation pour le moins complexe ? L’indépendance de la justice malienne vis-à-vis du politique (ou ses accointances avec le patronat) ? Le pouvoir affaibli de l’État, incapable de résister à la pression du lobby patronal ? La difficulté des artistes à se penser et à s’organiser hors du cadre international, et moralement correct, des « droits d’auteur » (Olivier 2015) ? Le refus du public de consentir à payer pour la musique enregistrée ? Les difficultés économiques des Maliens qui freineraient le développement de l’Internet et de l’économie numérique si le prix des cartes SIM et des forfaits téléphoniques augmentait ? Au-delà du phénomène d’informalisation du politique, du juridique et de l’économique qui caractérise le Mali, cette affaire met aussi en lumière les conséquences inattendues de la révolution numérique. Devenu le premier opérateur de la musique au Mali, Orange va en effet imposer sa propre politique culturelle, face à un État largement absent dans ce domaine et à un secteur privé peu professionnalisé.
9 Marque commerciale du groupe Sonatel depuis 2006 [2], Orange est leader dans la téléphonie en Afrique de l’ouest, et très implanté au Maghreb et en Afrique anglophone. Depuis 2010, il est également actionnaire de l’entreprise de streaming musical Deezer à hauteur de 11 % et est devenu propriétaire de la plateforme vidéo DailyMotion en 2013. Dans ce texte, on s’attachera à montrer comment Orange est non seulement désormais un acteur majeur dans le secteur de la production, de la promotion, de la distribution et de la diffusion de musiques destinées à un public spécifiquement africain, mais aussi une entreprise privée structurante pour l’économie malienne, à travers le développement technologique, le poids de son chiffre d’affaires, les emplois directs et indirects, la formation professionnelle et jusqu’au management qui influence aujourd’hui l’administration de l’État.
10 Cette étude empirique s’inscrit dans une sociomusicologie des industries culturelles, qui place la révolution numérique et les changements qu’elle engendre dans les pays dits du Sud sur le plan des pratiques, des usages, des savoir-pouvoir et des imaginaires, au centre de ses préoccupations. Les données analysées dans ce texte sont issues de plusieurs enquêtes de terrain que j’ai effectuées au Mali depuis 2010 auprès des divers acteurs du secteur de la culture (fonctionnaires du ministère de la Culture, directeur du Bureau Malien des Droits d’Auteur), et de la musique (musiciens, arrangeurs, propriétaires de studio d’enregistrement, producteurs, distributeurs, médias), mais aussi du public (notamment des « digital natives »), et des opérateurs téléphoniques (vendeurs, responsables d’agences et directeur du marketing d’Orange Mali) [3]. Ces données ethnographiques sont couplées à un travail personnel sur les réseaux sociaux et les plateformes locales et internationales de streaming utilisés au Mali, ainsi qu’à une revue d’articles de presse locaux, de rapports officiels et de documents d’entreprise.
Politiques culturelles au Mali : du domaine de l’État à la libéralisation du secteur
11 Au Mali, la culture a longtemps relevé du domaine de l’État. À l’indépendance du pays en 1960, son premier président, le socialiste Modibo Keïta, déclarait que « la culture est l’alpha et l’oméga de toute politique » (cité par Cutter, 1971, p. 295), une proclamation que partageaient à l’époque nombre d’intellectuels africains de gauche. La culture est alors considérée comme le fondement le plus puissant de la nouvelle nation malienne. Comme dans la plupart des nouveaux États ouest-africains indépendants, c’est dans cette optique qu’a été créée la « triade institutionnelle » (Andrieu, 2009, p. 181) : un Musée National, un Ballet National et une Semaine Culturelle. Le champ de la musique et de la danse s’est ainsi organisé autour des formations nationales, l’Ensemble Instrumental, l’Orchestre Moderne et le Ballet National, tandis que les artistes de ces formations étaient promus fonctionnaires de l’État. La Semaine Nationale de la Jeunesse mise en place en 1962, puis la Biennale Artistique et Culturelle de 1970 à 1988 [4], constituaient le lieu principal de production et de mise en scène d’une culture nationale construite et organisée par l’État malien, en mobilisant toutes les localités et les couches sociales de la société (Touré, 1996 ; Djebbari, 2013). C’est alors la grande époque des formations nationales qui se produisent dans les festivals panafricains de Dakar (1966), d’Alger (1969), et de Lagos (1977) et lors de tournées internationales (Djebbari, ibid. ; Ficquet et Gallimardet, 2009 ; Fléchet et al., 2013). C’est aussi l’époque des rivalités entre les orchestres du Rail Band, les Ambassadeurs du Motel de Bamako, le National Badema ou le Super Biton de Ségou (dont les membres étaient eux aussi fonctionnarisés). À l’exception des « griots » stars comme Bazoumana Sissoko ou Jeli Baba Sissoko, la plupart des musiciens maliens sont alors liés à des orchestres, régionaux ou nationaux. Radio Mali, qui enregistre et diffuse régulièrement leur musique, possède alors l’unique studio d’enregistrement du pays, tandis que l’industrie du disque locale est inexistante. C’est seulement en 1970 que le label allemand Bärenreiter-Musicaphon, en association avec le ministère de l’Information du Mali, commence à publier les principales formations maliennes. Plusieurs dizaines de vinyles sortiront dans les années 1970, avec le soutien financier, et la mainmise, de l’État malien (Mazzoleni, 2008, p. 42). En 1977, un label indépendant, Mali Kunkan, est créé ; il publiera à son tour la plupart des orchestres régionaux maliens, mais les vinyles seront toujours fabriqués en Europe. À noter que toute musique produite dans le cadre de ces formations était alors propriété de l’État malien. Si en 1977 une loi sur les droits d’auteur est instaurée, les créations musicales et chorégraphiques produites dans le cadre de la Biennale Artistique et Culturelle (Djebbari, 2014), appartiennent aujourd’hui encore à l’État.
12 Les Plans d’ajustement structurels imposés depuis les années 1980 par le Fonds Monétaire International, visant à réduire la dette des pays africains par une diminution drastique de la fonction publique au profit du secteur privé, ont mis fin à ce monopole d’État sur la culture. Cela s’est traduit par plusieurs vagues de départs à la « retraite anticipée » des artistes fonctionnaires, précipitant le déclin des grandes formations nationales. D’un autre côté, ces départs ont conduit à l’essor des carrières solos de musiciens comme Salif Keita, Ali Farka Touré, etc., qui ont initié le mouvement de la world music. Sur le plan des technologies de la reproduction, c’est aussi la fin de l’industrie malienne du disque vinyle au profit de celle de la cassette analogique. En 1986, le catalogue de disques de Mali Music et Mali Kunkan est racheté par le label ivoirien Syllart Productions (aujourd’hui Syllart Records), qui produit notamment Salif Keita dans les années 1980 [5]. Trois ans plus tard, l’entreprise Mali K7 est créée, associée au major EMI jusqu’en 1995, date de son retrait du continent africain. Plusieurs studios d’enregistrement professionnels s’ouvrent à Bamako, qui permettent à la plupart des musiciens de sortir leurs albums. La musique est alors reproduite et distribuée par Mali K7 dans un réseau de vente plus ou moins informel, puis massivement écoutée sur des radio-cassettes (made in China). Mais entre-temps, les labels nationaux ont complètement disparu. Quelques musiciens vedettes enregistrent en France, en Angleterre et aux États-Unis, où ils touchent des droits d’auteur, tandis que les autres sortent leurs albums au Mali grâce au soutien de mécènes (riches commerçants ou fonctionnaires, etc.), mais vivent principalement en se produisant dans les fêtes privées.
13 Ce processus de libéralisation du secteur de la culture s’est poursuivi avec la démocratisation du pays en 1991, et plus encore avec la décentralisation de l’État mise en œuvre à la fin des années 1990. Les politiques culturelles maliennes se sont alors trouvées enchâssées dans un système globalisé, piloté par les bailleurs internationaux (FMI, Banque mondiale) et organisé par de grands programmes de coopération internationale (UNESCO [6], UE [7]). En réalité, l’État malien s’est progressivement désengagé du secteur de la culture, ce que Dorothea Schultz qualifie de « dépolitisation de la culture » (2001, p. 209), alors que, dans le même temps, les bailleurs internationaux concentraient, et concentrent toujours, leur aide sur d’autres secteurs jugés plus prioritaires. Rares sont les chiffres disponibles sur le sujet, mais pour 2005, la Banque Mondiale révèle que l’aide publique totale au développement du Mali a été de 691,5 millions de dollars, dont environ 3 millions destinés aux secteurs de la culture, soit 0,4 % de l’enveloppe. Or, cette proportion est sans commune mesure avec l’importance économique et sociale de ce secteur, qui représente 2,38 % du PIB et 5,85 % des emplois (Jérétic, Héau et Cissé, 2008, p. 40). Depuis, le budget du ministère de la Culture malien est consacré pour l’essentiel à son propre fonctionnement. Selon Amadou Chab Touré, « pour l’année 2006, le budget du ministère de la Culture a été de 3,7 milliards de Fcfa, (5 659 154 euros), soit environ 0,74 % du budget national. Seulement 930 millions de Fcfa, soit 25 % de ce budget, sont consacrés aux investissements. Tout le reste, soit 75 %, est destiné au fonctionnement et aux charges salariales » (2006, p. 209-210). En 2007, le budget du ministère ne représente plus que 0,4 % du budget de l’État, tandis que 75 % de celui-ci semble toujours être destiné « aux dépenses de fonctionnement du ministère lui-même, le reste étant consacré au financement des investissements culturels et financement d’activités et d’opérateurs culturels » (Jérétic, Héau et Cissé, ibid., p. 27). La plupart des projets se trouvent donc réalisés grâce à des financements extérieurs, publics et privés.
14 La présidence d’Alpha Oumar Konaré (1992-2002), puis celle d’Amadou Toumani Touré (2002-2012), vont ainsi considérer la culture comme partie prenante des politiques de développement du pays, suivant en cela les Objectifs du Millénaire pour le Développement de l’ONU. Associée au tourisme, ce que traduit le nouvel intitulé du ministère que popularisera sa ministre Aminata Dramane Traoré de 1997 à 2000, la culture devient un facteur de développement économique, social et territorial, une véritable ressource pour le pays. À la fin de la décennie suivante, viendra s’ajouter l’idée de développement durable. La culture sera alors considérée comme une richesse respectueuse du pays, de son environnement, voire une alternative à l’exploitation des ressources naturelles. Ceci dit, à voir l’ampleur de la marchandisation des cultures africaines promue par les grands bailleurs internationaux, certains se sont demandés si « les cultures africaines [étaient] à vendre » (Mensah 2006), eu égard au fait que l’un des principaux enjeux culturels du développement « est bien celui de la souveraineté politique » (ibid., p. 26).
15 Cette nouvelle conception économique vise à « dynamiser […] l’entreprenariat culturel et [à] promouvoir le développement des industries culturelles avec comme résultats la production de richesse et la création d’emplois ». Dans le contexte de la décentralisation malienne, cette politique a permis de fait la création d’infrastructures routières, hôtelières et culturelles, tout autant qu’une revalorisation des « terroirs » et une reformulation des enjeux identitaires locaux, à travers la mise en place d’une série de « festivals » (Doquet, 2008, p. 64) [8]. En réalité, l’État s’est replié sur les musiques dites patrimoniales, tandis que les musiques populaires se sont retrouvées quasiment exclues des politiques culturelles publiques. De fait, les structures de formation des musiciens se réduisent à l’Institut National des Arts et au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté [9]. Les métiers du son pâtissent d’une faible professionnalisation, les principaux stages de formation étant assurés par la coopération espagnole, française, ou allemande, mais aussi la fondation Vivendi (avec le studio Moffou de Salif Keita). L’ensemble du milieu musical, de la production à la diffusion, est fortement marqué par son caractère informel. Quant aux salles de concerts, elles sont quasi inexistantes. Dans le même temps, le piratage est si largement partagé qu’il en devient la norme, précipitant le déclin de l’entreprise Mali K7, rebaptisée Mali Disk depuis l’arrivée du numérique et le pressage de CD [10].
Le numérique comme nouveau facteur de développement
16 La libéralisation de l’économie a aussi touché les télécommunications. La réforme de ce secteur a souvent été conduite à marche forcée sous la houlette des institutions et des bailleurs de fonds internationaux. Ainsi, l’OMC, dans son quatrième protocole de l’accord général sur le commerce et les services signé en 1997, liait-elle la libéralisation des télécommunications à l’octroi de prêts pour les pays africains (Chéneau-Loquay, 2010, p. 104). Cette réforme a consisté en une « séparation de la poste et des télécommunications, [l’]ouverture du capital de l’opérateur historique, [la] privatisation des nouveaux services, téléphone mobile et Internet, [la] création d’une instance de régulation » (Chéneau-Loquay, ibid., p. 105). Les gouvernements ouest-africains ont pourtant su tirer parti de cette réforme, en considérant la vente des licences d’exploitation comme un moyen d’encaisser des devises, alors que le processus de privatisation des télécommunications leur permettait de s’affranchir des contraintes de la modernisation des infrastructures (Dahmani et Ledjou, 2011-2012, p. 96). Au Mali, cette réforme répondait avant tout à une forte demande sociale d’efficacité d’un service de télécommunication de base (Keita, 2015, p. 11-33). Elle a d’abord conduit à la privatisation de l’opérateur national Sotelma, qui devient alors Malitel, puis à l’arrivée d’un second opérateur [11]. En 2001, l’État malien cède une partie du capital de Malitel au secteur privé (44 %) et aux salariés (10 %), avant que Maroc Telecom, filiale de Vivendi, n’en rachète 51 % en 2009 [12]. Le second opérateur naît en 2002, lorsque la Sonatel, filiale ouest-africaine de France Telecom, investit dans la société téléphonique Ikatel, laquelle prend le nom d’Orange Mali en 2006.
17 La première décennie des années 2000 est marquée par une carence en termes de développement numérique, ce que d’aucuns ont appelé, en référence aux zones rurales françaises encore peu connectées, la « fracture numérique » (Attali, 2008). Les opérateurs téléphoniques maliens se sont donc employés à développer le réseau [13]. C’est le début d’Internet et de la téléphonie mobile, réservés à une élite, tandis que les États se dotent d’un ministère de l’Économie numérique et que, de leur côté, les ONG mettent en place des cybercentres communautaires censés faciliter l’accès Internet à tous (Chéneau-Loquay, op. cit.). Mais c’est le passage au haut débit, grâce à la technologie 3G implantée en 2010 par Orange, et dont le Mali est le premier pays ouest-africain à bénéficier, qui change profondément la donne. Cette révolution numérique, et la dématérialisation des supports qu’elle provoque, est d’autant plus rapide que le réseau de téléphonie fixe est coûteux et techniquement insuffisant en Afrique de l’ouest. La mise en œuvre du réseau 3G nécessite donc peu de modifications ou mises aux normes des infrastructures technologiques existantes. En d’autres termes, la dématérialisation se trouve facilitée par l’absence de matérialisation préalable.
18 La téléphonie mobile connaît dès lors un développement fulgurant, grâce aux Smartphones de fabrication chinoise de plus en plus bon marché [14]. Plus encore, on assiste à la création de services innovants de m‑banking et de m‑commerce, particulièrement bien adaptés à la situation économique locale : peu d’ordinateurs personnels, revenus faibles et irréguliers, nombre réduit de comptes bancaires individuels. En quelques années, l’Afrique devient ainsi « un espace d’innovation pour faire du business », où « les marchés offrent un énorme potentiel pour les investisseurs » (Connect Africa Summit, 2007, cité par Chéneau-Loquay, 2010, p. 96), au moment où, dans les pays du Nord, le marché du numérique arrive à maturité. Les entreprises internationales s’y implantent, formant des techniciens et des cadres locaux et investissant dans des start-ups locales. À ce propos, le PDG d’Orange, Marc Rennard, est fier d’annoncer que « Sur nos 21 000 salariés sur place, 20930 sont africains ! » (2015).
19 Sur le plan politique, l’Agenda Universel pour le Développement Durable de l’ONU (2015) qui succède aux Objectifs du Millénaire pour le Développement place le numérique au cœur des enjeux de développement. Considéré comme un « facteur d’innovation transverse » (Servent coord., 2015, p. 5), le numérique permet de générer de nouveaux usages et de contribuer à transformer les modèles économiques, sociétaux et politiques. Le rôle des opérateurs de téléphonie mobile pour la création d’emplois directs et indirects, tout autant que pour les nouvelles ressources fiscales des États est clairement mis en avant (Ménascé et Clément, 2015, p. 43). Pour sa part, la France lance le plan d’action « Développement et numérique 2015-2017 », essentiellement destiné à l’Afrique, quand les grands bailleurs (UNESCO, UE, OIF, etc.) mettent en place des programmes dans le domaine de l’e-éducation, l’e-santé ou l’e-agriculture, dont une bonne part avec la collaboration des opérateurs téléphoniques [15]. Au Mali, ces grandes orientations se traduisent dans le Plan Mali Numérique 2020. Comme « facteur incontournable du développement » (Berthé, 2014), le numérique offre « des possibilités uniques pour répondre aux importants défis actuels sécuritaires et socio-économiques » (ibid.) du pays. Plus encore, il doit « jouer un rôle primordial pour l’identification d’un Mali nouveau, accroître l’employabilité, promouvoir l’entreprenariat, augmenter la productivité [des] entreprises et assurer un développement inclusif et équitable de toutes les régions » (Mahamadou Camara cité in Tangara, 2014).
Orange : « partenaire » du ministère de la Culture, de l’artisanat et du tourisme malien
20 Dans le domaine de la culture, le numérique devient un « nouvel enjeu de coopération » (Servent coord., 2015, p. 46), devant permettre de structurer des industries culturelles au très fort caractère informel (mise en réseau, visibilité et promotion des artistes, distribution et diffusion des biens culturels). Les politiques culturelles, appréhendées dans une nouvelle triangulation « culture-commerce-télécommunication » [16], se trouvent quant à elles redynamisées, voire complètement transformées, par le numérique.
21 La libéralisation du secteur de la culture entreprise par l’État depuis les années 1990 atteint aujourd’hui un niveau supérieur avec le financement des manifestations culturelles publiques par des sponsors privés, au premier rang desquels l’opérateur téléphonique Orange. À ce titre, une convention est signée en février 2016 entre le ministère de la Culture et Orange Mali faisant de ce dernier le « sponsor principal » du ministère, lequel reçoit l’engagement d’un budget de 200 millions de francs CFA. Ce n’est certes pas une première pour Orange, dont la Fondation finance des projets dans les domaines de l’éducation, la santé et la culture (dans sa version patrimoniale) depuis de nombreuses années [17]. Mais la convention qui vient d’être signée est de nature différente : elle met l’opérateur téléphonique en tête des sponsors de la culture malienne, et plus encore, l’institue comme « partenaire » du ministère. Pour Orange, il s’agit en effet de mettre en œuvre « une véritable politique d’accompagnement du gouvernement », rendue possible par la place dominante que l’opérateur a acquise en quelques années dans l’économie du pays. En effet, Orange est non seulement le premier opérateur téléphonique au Mali, avec plus de 15 millions de cartes SIM, mais aussi le premier employeur du pays (avec plus de 1 000 employés et 35 000 emplois indirects) [18], contribuant à hauteur de 4,9 % au PIB du pays, tandis que son service Orange Money fait circuler l’équivalent de 20 % du PIB [19].
22 Cette politique d’accompagnement du gouvernement se traduit ainsi par un soutien aux principales manifestations culturelles et touristiques qui mobilisent le ministère : la Biennale Artistique et Culturelle du Mali ; la Rentrée Culturelle, artisanale et touristique ; le Festival Triangle du Balafon à Sikasso [20] ; la Rencontre des Chasseurs de l’Afrique de l’ouest [21] ; les Contes de la Paix, etc. Certaines de ces manifestations remontent à l’indépendance du pays, d’autres n’ont pris place que récemment, au fil du processus conjoint de démocratisation des institutions et de libéralisation de l’économie. Mais toutes participent de la représentation de l’identité nationale, en mettant en scène ce qui fait culture, au sens patrimonial du terme, pour les Maliens. Sponsorisées par le secteur privé, le patrimoine malien passe aujourd’hui du champ de la culture nationale à celui des produits culturels, qu’il s’agit de promouvoir, au local comme à l’international, au sein d’un marché concurrentiel.
23 Pour Orange, ce mécénat est à la fois un moyen d’action dans le champ politique et une opération de communication sans équivalent. Il s’agit en effet de valoriser son image, en faisant de la marque Orange l’acteur par excellence de la culture nationale. Mais l’opérateur ne concentre pas son action sur les seules manifestations patrimoniales, lesquelles occupent aujourd’hui une place mineure, bien que politiquement sensible, dans le champ des pratiques culturelles maliennes. Orange fait désormais des « contenus populaires », notamment les plus importants d’entre eux que sont la musique et le football, le produit principal de ses services de téléphonie mobile. Si l’on s’en tient à la musique [22], l’opérateur ne se contente plus de sponsoriser des manifestations ou des artistes ; il agit sur l’ensemble de la chaîne production-distribution-diffusion et, ce faisant, professionnalise le milieu de la musique. Pour Orange, ces contenus populaires constituent des services à forte valeur ajoutée, qui participent pleinement de son « business model ». Plus encore, ces services en sont les véritables rouages.
Orange Mali et la musique populaire comme service à forte valeur ajoutée
« Dans l’univers de la musique, nous avons beaucoup de touch points [23] ».
25 C’est par ces propos que le Chef de Division Marketing Produit et Développement d’Orange Mali a engagé le premier entretien qu’il m’a accordé en juillet 2014 à Bamako. Le développement de « contenus populaires » s’inscrit dans la stratégie globale du groupe Orange [24]. Au Mali, ces contenus permettent très concrètement à l’opérateur d’augmenter la vente de ses forfaits téléphoniques et de développer le m‑commerce, mais aussi de valoriser son image de marque et sa « notoriété spontanée » (top of mind) :
« Quand on dit musique au Mali, vous pensez à qui ? […] Il y a une association naturelle d’idées entre Orange et la musique. Cela n’a pas un effet direct, c’est plutôt du ciment valorisable. On le valorise quand même, car on sait que ça a un impact sur notre santé de marque ».
27 Pour que son offre soit acceptée par le public malien, l’opérateur téléphonique a bien compris qu’il doit « s’appuyer sur un cadre politique de développement local […]. Puisque les processus de commercialisation traditionnels descendants ne sont pas appropriés dans ces communautés informelles et complexes, un partenariat local est une clé essentielle pour le succès et la durabilité du business model » (France Telecom-Orange, 2012, p. 11). La grande force d’Orange est en effet d’avoir compris le fonctionnement de l’économie informelle malienne, et de l’avoir utilisée, en la structurant, à son profit (cf. Keita, 2015). Pour la musique, l’opérateur téléphonique développe une véritable politique de création et structure le milieu de la musique, afin de « dynamiser l’innovation et favoriser l’émergence de produits, services et contenus pour le marché local » (France Telecom‑Orange, ibid., p. 9). Ainsi, face à un État absent et un milieu artistique très peu professionnalisé, Orange devient-il le principal opérateur de la musique populaire numérique au Mali.
« On met un podium, on installe des jeunes qui vont chanter, qui vont faire des prestations sur scène. Et ça nous permet de faire de la chalandise et de la vente dans une zone donnée ».
29 Les « campagnes street » dans la capitale malienne, comme les « caravanes » organisées dans les différentes régions du pays, sont des animations commerciales mobiles qui permettent de vendre de nouveaux produits (téléphones mobiles, clés 3G+, box Internet, forfaits téléphoniques, accès aux réseaux sociaux, etc.). Pour attirer le public jeune, principal consommateur de ces produits, rien de mieux que de proposer une animation musicale à son goût (du rap le plus souvent). Une division du Sponsoring Orange est donc chargée d’identifier les artistes talentueux ou en vogue susceptibles d’être produits et de répertorier les genres musicaux qu’ils pratiquent, de manière à établir une cartographie musicale du pays actualisée. Ce faisant, les « caravanes » participent aussi de la politique de décentralisation de l’État malien : en déployant son réseau sur la majeure partie du territoire national [25], Orange devient le « champion de la ruralité » (Manière, 2015) et apporte un soutien au développement économique et social de chaque région du Mali. De fait, la croissance des pôles régionaux, tels que Ségou, Sikasso, Kayes ou Mopti, passe aujourd’hui autant par la téléphonie mobile que le réseau routier.
30 À l’échelle nationale, la stratégie d’Orange se déploie en direction des mass médias, au premier rang desquels la télévision, spécialement l’Office de Radiodiffusion Télévision du Mali (ORTM) [26] et Africable [27], qui sont les deux chaînes nationales gratuites, et donc les plus regardées au Mali. L’opérateur sponsorise des émissions musicales de téléréalité, particulièrement appréciées du jeune public. Il s’agit en l’occurrence de concours [28] inspirés de La Nouvelle Star, qui mettent en compétition, sous le parrainage d’artistes maliens confirmés, de jeunes musiciens auxquels le public s’identifie fortement.
« On organise un concours pour des jeunes talents qui doivent émerger. On ne le fait pas seuls, on le fait avec des producteurs, dans une émission [télévisée]. Ils font de petites battles, et on organise du téléboutique, sachant que ce téléboutique là va permettre de rémunérer ces jeunes talents et permettre éventuellement de produire certains d’entre eux ».
32 Les téléspectateurs y participent en votant par SMS pour l’un ou l’autre des candidats, ce qui permet par ailleurs à Orange de réaliser des profits substantiels sur ces SMS surtaxés. L’opérateur téléphonique profite également de ces émissions pour faire la promotion de ses nouveaux produits. Ils servent de lots pour ceux qui, parmi le public présent sur le plateau remportent les jeux de questions/réponses organisés au fil de l’émission. Ce type de programme permet enfin de repérer de « nouveaux talents » capables de drainer un large public, des talents suffisamment fédérateurs pour qu’Orange propose ensuite leur musique dans son offre de services pour téléphonie mobile. Même si elle s’inscrit dans une stratégie commerciale, cette politique de découverte des jeunes musiciens est unique au Mali, où il existe peu de structures de formation ou de scènes qui fassent office de tremplins pour les musiciens. Cette découverte de talents se poursuit avec le « concours digital et panafricain » StarAfrica Sounds, organisé chaque année depuis 2012 par Orange, et diffusé grâce à la plateforme de streaming Deezer [29] et une série d’autres partenaires [30]. Avec ce concours, Orange mobilise l’ensemble de son réseau africain, en même temps qu’il fait montre de solides alliances avec l’industrie numérique de la musique indépendante et les médias.
33 Les candidats postent leur clip vidéo préalablement diffusé sur YouTube ou Dailymotion, ainsi que le « son » correspondant au format mp3 sur le portail site de divertissement d’Orange en Afrique, StarAfrica, avant d’être élus par un jury de professionnels et les internautes qui votent sur ce site. Les gagnants voient leurs morceaux et leurs vidéo-clips mis en ligne, mais surtout distribués sur les plateformes de téléchargements et de streaming partenaires du concours, tandis que leur promotion est assurée par Africa N° 1 et qu’ils sont mis en relation avec des labels musicaux.
34 Avec StarAfrica Sounds, l’opérateur vise à développer l’usage d’Internet parmi le public africain, en proposant de la musique et des vidéo-clips attractifs pour les jeunes. De cette manière, il s’agit d’augmenter la vente de forfaits Internet mobile en créant de nouveaux habitus d’écoute en ligne. Mais Orange entend aussi inventer de nouveaux modèles économiques dans un marché de la musique africaine jusque-là peu structuré.
Structuration du milieu de la musique populaire
35 Le passage au tout numérique en 2013, après une décennie caractérisée par un régime technologique mixte (analogique et numérique), entraîne des changements majeurs dans l’industrie musicale malienne. Les studios d’enregistrement deviennent des « home studios » qui se multiplient dans tout le pays, grâce auxquels les musiciens autoproduisent leurs albums. La dématérialisation des supports fait disparaître le système de reproduction [31] et de distribution de la musique, et la plupart des musiciens n’ont d’autre choix que de diffuser leur musique en accès libre sur Internet. YouTube et les réseaux sociaux (Facebook) constituent les principaux sites de diffusion, aux côtés de quelques plateformes locales de streaming gratuit, où albums et vidéo-clips sortent en exclusivité [32]. La musique enregistrée est ensuite téléchargée (stream ripping) et échangée sur smartphones via Bluetooth. Mais quelles que soient ses modalités de diffusion et de circulation, la musique entre toujours très peu dans le système des droits d’auteur et les artistes continuent pour l’essentiel à gagner leur vie en animant des fêtes privées.
36 Orange fait rupture avec ce mode de fonctionnement largement informel, en « signant » des musiciens pour exploiter commercialement leurs œuvres. Des rappeurs à la mode parmi les jeunes, comme Mylmo, Penzy, Iba One, Master Soumy, ou des artistes fédérateurs au plan national, tels que Salif Keita, sont, ou ont été, des musiciens Orange. Certains sont signés au « son », d’autres à l’année [33], mais le fait même d’être signés leur donne un statut professionnel et leur assure une rémunération pour leur musique enregistrée. Du côté d’Orange, cette signature est la garantie d’une exclusivité sur la distribution et/ou la diffusion des morceaux. Certains d’entre eux sont directement utilisés pour les musiques d’attente ou les spots publicitaires de l’opérateur. Quelques albums complets sont distribués et vendus en m‑commerce par Orange Money. Mais la majorité des morceaux est aujourd’hui proposée à la vente comme ring back tones (sonnerie d’attente personnalisée) [34], un format d’écoute particulier qui connaît une très forte popularité en Afrique, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie. Chaque mois, les utilisateurs paient une inscription de 150 francs CFA (0,20 €) pour pouvoir acheter des sonneries au prix de 200 francs CFA (0,30 €) l’unité, valables pendant 30 jours. L’écoute est donc limitée dans le temps, ce qui incite les utilisateurs à renouveler régulièrement leur sonnerie d’attente. Pour Orange, il s’agit là d’inciter le public à payer des forfaits Orange pour accéder à de la musique. Envisagé comme streaming inversé, le ring back tone doit dès lors permettre de développer l’usage du streaming :
« Acheter un ring back tone, c’est acheter de la musique en streaming. Sauf que l’usage du streaming est inversé : je n’achète pas de la musique pour moi, je l’achète pour que les autres l’écoutent. Je partage mes goûts musicaux avec les autres, et je paie pour ça. Qu’est-ce qu’on peut faire pour transformer ce streaming inversé là en commodité ? Et les pionniers dans ça, ce sont nos amis égyptiens de Mobi Nil. Mobi Nil et MTN Nigeria, ils arrivent à faire sur le ring back tone des milliards de FCFA. Uniquement sur le ring back tone. Autant sur le mobile money, nos amis kenyans sont la référence, autant la référence africaine sur la musique c’est le Nigeria avec MTN et la référence arabe c’est l’Égypte. »
38 Développer le streaming c’est aussi, et surtout, révolutionner le rapport du public malien aux contenus : passer de la « logique de propriété » (Rifkin, 2000) avec le téléchargement, à celle de l’« accès » (ibid.), avec l’écoute en streaming. Cependant, le consentement à payer pour un contenu dont on n’a pas la propriété est loin d’être évident. Ceci dit, dans la mesure où l’abonnement à Internet est encore très faible au Mali, le téléchargement permet en réalité de disposer de la musique, plutôt que de la posséder. L’accès aux contenus musicaux que permet Internet n’est donc pas libre, mais conditionné, et limité par le coût de la connexion prépayée par forfait. C’est pourquoi depuis 2015, Orange commercialise des packs de téléphone portable incluant carte SIM, unités et forfait Internet. Parallèlement, l’opérateur multiplie les promotions de ses forfaits Internet, dont les tarifs ont fortement diminué ces dernières années.
39 Si l’on examine le répertoire des ring back tones, on repère plusieurs catégories établies par Orange : Bollywood, Rap, Religieux, Promotion, Autres. Pour chacune d’elles, l’usager peut faire défiler les morceaux par ordre alphabétique, ou bien choisir les morceaux relevant du « Top 10 » ou « Le plus récent 50 », suivant en cela les prescriptions d’Orange. Les catégories Bollywood et Religieux [35] comprennent des morceaux achetés à divers fournisseurs étrangers (Comviva, Humgama, Digital Virgo [36]), tandis que les catégories Rap et Autres (musique griotique et de variété) contiennent une majorité de titres maliens dont Orange a directement acheté les droits d’exploitation.
40 Malgré le large répertoire de ring back tones, plusieurs centaines de morceaux régulièrement renouvelés, Orange reconnaît qu’il a des difficultés à exploiter les musiques locales en ligne. Ces difficultés sont dues au nombre important d’intermédiaires (producteur, arrangeur, manager, etc.) entre le musicien et l’opérateur :
« Quand tu signes cette musique d’attente là, il y a un revenu entre l’opérateur qui est le propriétaire de la plateforme et les ayants droits sur les œuvres. Et avec ces ayant droits, l’artiste reçoit tellement peu que ce n’est pas intéressant pour lui de se battre pour qu’on puisse mettre son catalogue en ligne, ou qu’on puisse mettre à jour son catalogue, ou qu’on puisse le mettre en avant. Ça ne l’intéresse quasiment pas, parce qu’il gagne très peu dessus. […] Donc, à un moment donné on s’est dit qu’il faut voir comment travailler directement avec les artistes ».
42 Mais cela est aussi dû à la méconnaissance des musiciens en matière de législation sur les droits d’auteur :
« L’artiste peut venir signer, alors qu’il a déjà cédé ses droits par ailleurs à un producteur ou à un tiers. Ça nous est déjà arrivé : on signe avec un artiste, on met sa musique en ligne, et subitement on reçoit un courrier de mise en demeure [de la part du Bureau Malien des Droits d’Auteur]. Exploitation illégale de tel artiste. […] Ce qui nous oblige nous, alors qu’on voulait partir en front, d’avoir une interface qui, elle endosse la responsabilité du droit d’exploitation des œuvres. […] Mais les artistes sont censés avoir fait ce cleaning avec le BUMDA ».
44 Orange s’emploie donc à réduire le nombre d’intermédiaires, pour que les artistes puissent être mieux rémunérés, et de ce fait plus enclins à signer avec lui. Il s’agit là d’une vaste (re)structuration du système malien de production musicale et du fonctionnement de la chaîne production-distribution-diffusion. On peut même se demander si Orange n’en viendra pas à produire la musique locale qu’il distribue, comme c’est le cas au Kenya, avec l’opérateur Safaricom qui a récemment ouvert son propre studio d’enregistrement (Eisenberg, 2012). Malgré ces difficultés, l’un des effets immédiats de ce nouveau mode de distribution des morceaux en ring back tones et des albums complets via Orange Money est l’augmentation du consentement à payer pour la musique enregistrée. Pour Orange, c’est aussi une meilleure maîtrise des ventes réelles par rapport à ce qui est produit, alors que la musique était jusqu’alors commercialisée dans le secteur informel, et largement piratée (Olivier, 2015).
45 La (re)structuration du système de distribution de la musique malienne opérée par Orange passe enfin par son partenariat avec la plateforme internationale de streaming Deezer, ce qui permet à ce dernier « de faire facturer ses services directement par les opérateurs. Et ce alors que le faible usage sur le continent des moyens de paiement électroniques est toujours un obstacle majeur au développement de services commerciaux sur le web » (Clémençot, 2013) [37]. Ce partenariat fonctionne d’ores et déjà en Côte d’Ivoire et au Sénégal, où Deezer est proposé en accès libre avec les forfaits Orange haut de gamme. Dans cette configuration, l’opérateur ajoute du contenu local à Deezer, dont le catalogue général comprend pour l’essentiel des artistes signés par les labels internationaux, afin de le rendre plus conforme aux goûts (différents selon les pays) du public africain : ainsi, le zouglou, par exemple, constitue-t-il une catégorie majeure sur le site Deezer de Côte d’Ivoire, tandis que le mbalax l’est au Sénégal. Ce partenariat opérateur téléphonique-entreprise de streaming, qui se développe de plus en plus au Sud comme au Nord, permet de distribuer et de rémunérer des musiciens locaux qui, n’étant signés par aucun label, ne pouvaient accéder à ce type de distribution professionnalisant.
Concerts et starisation des musiciens Orange
46 Orange opère enfin dans le domaine de la performance événementielle. Au Mali, les musiciens maliens se produisent essentiellement dans les fêtes privées (mariages, baptêmes, remises de diplôme, etc.), et lors des cérémonies nationales ou religieuses. Il existe peu de salles de concert, mais aussi peu de professionnels (programmateurs, techniciens du spectacle, etc.) travaillant dans ce milieu. La plupart des concerts entrent dans le cadre d’émissions télévisées ou bien sont directement financés par des mécènes (ceux-là même qui financent l’enregistrement d’albums).
47 Là encore, Orange Mali rompt avec les usages en sponsorisant, et plus encore en organisant, les concerts des musiciens qu’il « signe » ou des musiciens vedettes en Afrique de l’ouest. C’est à l’instigation d’Orange que les rappeurs maliens Mylmo, Master Soumi et Iba One, la star du rap congolais Faly Ipupa, ou encore les rappeurs français d’origine malienne Sexion d’Assaut, se produisent en concert à Bamako en remplissant des stades entiers [38]. Pour l’opérateur, ces concerts constituent une monétisation directe du sponsoring, grâce à une commission prise sur l’achat de chaque billet.
48 Les musiciens signés Orange qui se produisent en concert deviennent des « Ambassadeurs d’Orange » qui vont accompagner les campagnes commerciales de l’opérateur et faire vendre les nouveaux produits proposés sur le marché. De fait, la communication commerciale des offres de l’opérateur passe largement par les musiciens. Master Soumy, Penzy, Tal B, Iba One ou Youssoupha font ainsi des séances de dédicaces et tournent des vidéo-clips pour la promotion des nouveaux smartphones Orange (Klif, Pixi2Max). L’opérateur téléphonique joue ici sur l’identification du public à ces musiciens pour créer un lien d’affectivité et de proximité avec ses clients :
« L’affection qu’ils vont vouer à un musicien donné va se traduire naturellement avec l’image de l’opérateur qui est associé à ce musicien ».
50 En retour, l’opérateur accroît la réputation [39] de ces musiciens qui deviennent ainsi des stars médiatiques, un rang auquel ils n’auraient pas pu accéder autrement.
Conclusion
51 Le 25 février 2016, en présence des patrons des deux opérateurs de téléphonie mobile au Mali, un protocole d’accord est signé entre le Conseil national du patronat du Mali (CNPM) et le ministère de la Culture, de l’artisanat et du tourisme sur les modalités de perception et de répartition des redevances des droits d’auteur. Ce protocole prévoit que la redevance perçue par le Bureau Malien des Droits d’Auteur (BUMDA) de la part des opérateurs téléphoniques soit baissée à 250 francs CFA annuels par carte SIM, au lieu des 500 francs CFA demandés dans le décret annulé. De son côté, le CNPM souhaite que la notion d’utilisateur, déjà existante en matière de droits patrimoniaux des artistes, soit requise pour apprécier le nombre de cartes SIM, arguant que cette redevance représente la contrepartie d’un service et/ou d’un bien effectivement utilisé ou consommé. En retour, le ministère demande que le suivi et le contrôle statistique du nombre de clients utilisant les œuvres protégées par le droit d’auteur soit confié à un tiers, en l’occurrence l’Autorité malienne de régulation des télécommunications et des postes (AMRTP), qui a compétence sur les plans technique, organisationnel et fonctionnel (Gueye, 2016). Ce protocole d’accord est suivi par l’adoption d’un nouveau projet de loi fixant le régime de la propriété littéraire et artistique au Conseil des ministres du 9 mars 2016 (Doumbia, 2016). Reste maintenant à le faire adopter par l’Assemblée nationale malienne.
52 En négociant avec le ministère de la Culture, le Conseil national du patronat du Mali a permis de sortir de cette crise politique par le haut. Le nouveau projet de loi sur la propriété littéraire et artistique, tout en intégrant la plupart des demandes des opérateurs téléphoniques, remporte l’adhésion des artistes qui, de leur côté, verront leurs œuvres rémunérées. Mais ce que la résolution (provisoire ?) de ce contentieux montre clairement est le pouvoir d’action des opérateurs téléphoniques, Orange en tête, sur les politiques de la culture au Mali. En réalité, ce que l’on observe tient du management de la culture par l’industrie de la téléphonie mobile.
53 Plus encore, fort de son réseau panafricain [40] et international et de ses alliances avec les géants de l’industrie numérique, mais aussi grâce à une compréhension fine du fonctionnement de l’économie informelle malienne, Orange a su créer des produits et des services innovants adaptés aux besoins locaux, dans des secteurs aussi essentiels que la banque, la santé, l’agriculture ou l’éducation. L’opérateur contribue également à la formation numérique des entreprises maliennes et prend part dans le développement de start-ups. Ces projets de « co-développement » (France Telecom-Orange, 2012, p. 3) ou de « développement partagé » (Orange AMEA, 2015, p. 14) participent ainsi de l’objectif d’Orange : éduquer les Maliens à ses produits, c’est-à-dire « digitaliser leurs usages » [41], pour en faire des consommateurs du numérique.
54 Si le pouvoir qu’exerce Orange au Mali tient en partie à la situation politique, économique et sociale propre à ce pays, les grands opérateurs de téléphonie mobile présents en Afrique, Bharti-Airtel, Etisalat, Millicom, MTN, STC et Vodafone (IDATE, 2014, p. 67-73), sont tous des acteurs centraux de cette nouvelle économie numérique de la musique. Celle-ci repose sur la création de produits et de services spécifiquement destinés au public africain, qui permettent de structurer le milieu de la musique, jusque-là faiblement professionnalisé en Afrique, mais aussi de monétiser la musique enregistrée, alors que le piratage était une pratique tellement généralisée qu’il en était devenu la norme. Ainsi, en partenariat avec des entreprises de streaming locales, les opérateurs téléphoniques diffusent de nombreux artistes locaux, absents des sites de streaming internationaux parce qu’ils ne sont produits par aucun label. Ces opérateurs commercialisent aussi des applications mobiles créées par des start‑ups locales pour permettre au public de télécharger, stocker et partager de la musique sur les réseaux sociaux. Un certain nombre d’entre eux vont jusqu’à produire, distribuer et diffuser eux-mêmes les artistes, structurant ainsi de bout en bout ce nouveau marché de la musique numérique. Enfin, les opérateurs téléphoniques nouent des alliances avec les médias locaux et internationaux (radio, télévision et cinéma), participant pleinement de cette nouvelle industrie numérique du divertissement.
55 Au final, en redéfinissant le local à partir du global, Orange, de concert avec les autres grands opérateurs présents en Afrique, ne conduit-il pas à une nouvelle idée du panafricanisme, où s’articulent innovation technologique, développement durable, économie libérale, culture et identité ?
Bibliographie
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- Touré Y., La Biennale artistique et culturelle du Mali (1962-1988). Socio‑anthropologie d’une action de politique africaine, Thèse de doctorat, EHESS Marseille, 1996.
Notes
-
[1]
Voir le texte du décret sur le site web de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) : http://www.oapi.int/Ressources/documentsPLA/REGLEMENTS/MALI/ Projet_decret_application_loi8.pdf.
- [2]
-
[3]
Deux missions de terrain, en 2013 et 2014, ont été effectuées dans le cadre du projet ANR « De la discomorphose à la numérimorphose. Impact du virage numérique sur la formation des goûts et les usages de la musique au quotidien » (ANR Musimorphose 2013-2016, coord. Philippe Le Guern).
-
[4]
La Biennale Artistique et Culturelle a repris en 2003, jusqu’en 2011, comme dispositif participant des politiques de décentralisation (Djebbari, 2013 ; Doquet, 2008). Il est aujourd’hui question de la rétablir, dans le cadre d’une politique de « renaissance culturelle » du Mali (Doumbia, 2016).
- [5]
-
[6]
Notamment la Convention pour la Diversité Culturelle votée en 2005.
-
[7]
Programme d’Appui à la Politique Culturelle du Mali (PAPCM) mis en place par le 8e Fonds européen du Développement (FED) entre 2000 et 2004 (Héau, Simeone et Ndiaye, 2006). Programme d’Appui et de Valorisation des Initiatives Artistiques et Culturelles (PAVIA) entre 2005 et 2008 sur les fonds du 9e Fonds européen de développement (FED). Dans ce cadre, a été mis en place un Projet de Soutien aux Initiatives Culturelles (PSIC). Au sein du 10e FED, un Programme d’Appui au Développement Economique et Social de la Culture au Mali (PASDEC) a été mise en œuvre en 2009-2010 jusqu’à sa phase de clôture en 2012-2014 (L’appui de la Commission européenne au secteur de la Culture au Mali, 2009). Sur la période 2005-2007, la Commission Européenne contribue à 80 % au budget national du ministère de la Culture (Touré, 2006, p. 210-211). Malheureusement, les chiffres manquent pour les années suivantes.
-
[8]
Nombre de festivals ont effectivement vu le jour sur tout le territoire, financés pour l’essentiel par les programmes de l’Union Européenne et/ou les entreprises privées. C’est par exemple le cas du Festival sur le Niger organisé à Ségou chaque année depuis 2006, à l’initiative des hôteliers de la ville et grâce à leur financement (même si le Festival bénéficie aussi d’autres ressources financières, publiques et privées).
- [9]
-
[10]
Le CD ne s’est pas popularisé au Mali ; il est principalement requis pour la diffusion internationale ou bien les musiciens s’en servent de « carte de visite professionnelle » (Olivier, 2014).
-
[11]
Le gouvernement malien tente d’implanter une 3e licence depuis 2011, opération qui a été suspendue par la crise de 2012.
-
[12]
Le reste des actions se trouve redistribué entre l’État malien (20 %), les porteurs nationaux (19 %) et les salariés de Malitel (10 %).
-
[13]
Élargissement de la bande passante, connexion des zones rurales, etc. Voir Dahmani et Ledjou (op. cit.) ; Keita (op. cit.).
-
[14]
Qui se trouvent aujourd’hui en concurrence avec des Smartphones de fabrication africaine.
-
[15]
C’est notamment le cas du programme Le numérique au service de l’éducation en Afrique, financé conjointement par l’UNESCO, l’AFD, l’AUF et Orange.
-
[16]
Programme de la Conférence Internationale « Politiques publiques de promotion de la diversité des expressions culturelles. Défis, contraintes et perspectives à l’ère du numérique » organisée au sein du Forum sur la diversité des expressions culturelles à l’ère du numérique qui s’est tenu à Bamako, du 22 au 25 novembre 2015, à l’initiative de l’Organisation Internationale de la Francophonie.
- [17]
-
[18]
Ibid.
-
[19]
Ibid.
-
[20]
Les pratiques et expressions culturelles liées au balafon des communautés Sénoufo du Mali, du Burkina Faso et de Côte d’Ivoire sont inscrites depuis 2012 sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (http://www.unesco.org/culture/ich/fr/RL/les-pratiques-et-expressions-culturelles-liees-au-balafon-des-communautes-senoufo-du-mali-du-burkina-faso-et-de-cote-divoire-00849).
-
[21]
Les confréries de chasseurs sont dites millénaires, œuvrant comme facteur de paix au Mali et dans toute l’Afrique de l’ouest. Voir Ligier, 2000.
-
[22]
Pour le football, Orange est partenaire financier de la Fédération du Football Malien et de plusieurs clubs nationaux ; il est aussi le sponsor principal des principales manifestations liées à ce sport (Coupe d’Afrique des Nations, Coupe de la Confédération CAF, Ligue des Champions, etc.). Le football est enfin très présent sur StarAfrica, le portail web panafricain d’Orange.
-
[23]
Les touch points sont des moyens de générer des revenus par la musique et des moyens de développer la musique par ces revenus.
Les entretiens dont sont issus les extraits cités ont tous été menés auprès du Chef de Division Marketing Produit et Développement d’Orange Mali en juillet 2014. Leur référence ne sera donc pas indiquée par la suite. -
[24]
C’est également le cas pour l’ensemble des opérateurs téléphoniques dans la zone Afrique.
-
[25]
Plus de 83 % de taux de couverture du territoire ; près de 16 000 villages couverts sur les 18 000 que compte le Mali ; 3 000 km de fibre optique déployés pour le désenclavement du pays ; déploiement de la 3G dans toutes les capitales régionales ; plus de 10 000 points de dépôt relais répartis sur l’ensemble du territoire malien (Rapport annuel Sonatel, 2014 : 40).
-
[26]
Chaîne de télévision publique du Mali, créée en 1983.
-
[27]
Créée en 2004, cette chaîne de télévision panafricaine privée émet sur satellite depuis Bamako.
-
[28]
Mini Star, Mini Rap notamment. Voir de nombreux extraits sur le site YouTube.
-
[29]
C’est précisément en 2012 que Deezer s’implante en Afrique, à travers les forfaits prépayés haut de gamme d’Orange qui donnent un accès libre à la plateforme de streaming.
-
[30]
Il s’agit en l’occurrence de distributeurs digitaux de musique, des labels indépendants Zimbalam et Believe, de la radio panafricaine Africa N° 1 et de Soonvibe, l’incubateur digital de créateurs de musiques et de DJ.
-
[31]
De fait, la cassette analogique n’a pas été remplacée par le CD, au profit d’une dématérialisation quasi complète des supports.
-
[32]
Le site rhhm.net par exemple diffuse depuis 2013 sur sa page Facebook, Google+ et Soundcloud, ainsi que sur sa chaîne YouTube, et communique sur Twitter.
-
[33]
Différents types de contrats semblent être signés, de la cession de droits pour le musicien au profit d’Orange, au simple contrat de distribution d’une œuvre. Des données plus précises restent cependant à recueillir.
-
[34]
Ce type de service a été initié en Corée du Sud où quelque 70 % des possesseurs de téléphone mobile l’utilisent. Au Mali, ce service est appelé Wele tones (litt. « tones d’appel »).
-
[35]
Alors que de nombreux chanteurs maliens de zikiri (chants de louanges islamiques) sont très populaires, Orange ne propose curieusement aucun de leurs morceaux. Une enquête doit être menée pour comprendre quelles en sont les raisons.
-
[36]
Comviva est une entreprise mondiale en fournitures de solution de mobilité
(http://www.mahindracomviva.com). Humgama Hungama Digital Media Entertainment est le plus important agrégateur, développeur, éditeur et distributeur de contenus de divertissement de Bollywood et d’Asie du Sud (http://www.hungama.com). Quant à Digital Virgo, c’est une entreprise française présente en Europe, Amérique latine et Afrique, qui propose des contenus de divertissements digitaux
(http://www.digitalvirgo.com/fr/). -
[37]
Orange a également établi un partenariat avec la plateforme vidéo Dailymotion, afin de développer la vidéo en streaming.
-
[38]
Concerts dont de larges extraits sont mis en ligne sur la page Facebook d’Orange Mali.
-
[39]
Sur la visibilité, la réputation, la célébrité en régime médiatique, voir Heinich, 2012.
-
[40]
Orange compte 115 millions de clients en Afrique, dont 15 millions de clients pour le paiement mobile Orange-Money.
-
[41]
Entretien avec le Chef de Division Marketing Produit et Développement d’Orange Mali en juillet 2014.