Couverture de PDC_011

Article de revue

« Dans la gestion d’une crise, il faut éviter l’affolement et la panique »

Comment les communicants légitiment le sens commun des décideurs politiques

Pages 103 à 130

Notes

  • [1]
    Nous ne voulons pas dire que les représentations de la population exprimées au cours de ces auditions et ces entretiens sont purement irrationalisantes et que la rationalité des individus était systématiquement niée. Comme nous l’avons montré autre part (Ward, 2018), les décideurs impliqués dans la gestion de cette crise et les documents qui les ont guidés présentent des représentations ambivalentes de la population, composée d’individus à la fois capables d’entrer dans un rapport calculatoire à la pandémie, ce qui justifie une communication centrée sur le chiffrement et la comparaison des risques, mais néanmoins susceptibles de basculer spontanément dans l’irrationalité, la tâche d’instituer ce rapport rationnel au risque pour éviter « la panique » incombant alors aux pouvoirs publics. Nous ne voulons pas non plus suggérer dans cet article que le SIG a promu une représentation des comportements individuels purement irrationalisante. Une étude entièrement consacrée à l’ontologie du monde social du SIG, notamment en situation de crise pandémique, montrerait probablement que celle-ci se caractérise par le même type d’ambivalence. Cependant, il nous semble nécessaire, dans un premier temps, d’étudier les facteurs qui contribuent au maintien de cette ambivalence et de l’idée d’un basculement au moins possible de la population dans l’irrationalité, ce que nous souhaitons faire dans cet article.
  • [2]
    Les rares travaux empiriques dédiés aux représentations que les décideurs politiques et experts se font de la population ont montré la persistance de ces représentations irrationalisantes (Bauer, Allum et Miller, 2007 ; Besley et Nisbet, 2013). Ce phénomène a aussi été documenté dans plusieurs études portant sur des controverses socio-techniques et la gestion des risques (Barbot, 2002 ; Dodier, 2003 ; Chateauraynaud, 2008).
  • [3]
    Les sources médiatiques consultées ont été : Le Monde, Le Figaro, Libération, La Croix, Le Parisien/Aujourd’hui en France, France Soir, AFP, L’Humanité, L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, Marianne, Le Journal du dimanche, Le Canard enchaîné, Valeurs actuelles, TF1 (Le journal de 13 h, Le journal de 20 h) ; France 2 (Le journal de 12 h, le journal de 20 h), Rue 89, Médiapart, Slate, Arrêts sur image.
  • [4]
    D’abord sous le nom de Service d’information et de diffusion qui prendra ce nouveau nom en 1996. Pour une description détaillée de l’histoire du SIG et de ses prédécesseurs éphémères, voir Ollivier-Yaniv, 2000.
  • [5]
    Trois exercices de gestion pandémique seront notamment organisés avant la grippe A en 2006, 2007 et mars 2009.
  • [6]
    Certains chercheurs se sont attelés à proposer des définitions et analyses de ces phénomènes qui échappent à ces implicites irrationalisants. Ainsi, plusieurs économistes présentent les cas de « panique » comme le produit stochastique de décisions réalisées en situation de pression et d’incertitude par des groupes d’individus mus par leur intérêt personnel et une rationalité adaptée au contexte (pour une revue de littérature, voir (Clarke et Chess, 2008). Certains sociologues préservent cette idée d’une rationalité des acteurs tout en insistant plutôt sur le manque de régulation collective qui caractérise ces situations (Johnson, 1987). De la même façon, la sociologie de l’adhésion aux « théories du complot » et de la propagation des « rumeurs » propose une définition de ces phénomènes qui suppose la rationalité des acteurs. L’adhésion à ces contenus cognitifs se fonde sur de bonnes raisons cognitives plutôt que sur une appréhension émotionnelle de la réalité (Aldrin, 2005 ; Bronner, 2009 ; Fassin, 2011). Cependant, toutes ces tentatives de redéfinition compréhensive et rationalisante de ces notions sont explicitement présentées par leurs auteurs comme des ruptures avec leur usage courant. Dans leur effort de redéfinition, ces auteurs montrent paradoxalement à quel point cet usage courant, notamment parmi les élites politiques, suppose l’irrationalité des actes et personnes qui sont ainsi désignés.
  • [7]
    Dans le document de bilan du volet « opinion » de l’exercice de mars 2009, on retrouve les termes de « peur » (23 fois), d’« anxiété » (5), de « rumeurs » (8) et de « panique » (16). On retrouve une proportion similaire de ces termes dans les documents tirés des exercices de 2005 et 2006, dont le terme d’« hystérie collective » dans celui de 2005.
  • [8]
    Le terme « inquiet » et ses variantes est utilisé 309 fois dans ces notes d’alerte.
  • [9]
    Ce qui constitue l’une des très rares commandes directes d’acteurs de la CIC grippe A au pôle analyse du SIG.
  • [10]
    Dont l’auteur revendique une approche « émotionnelle » de la population.

1En avril 2009, l’identification au Mexique et aux États-Unis d’une variante du virus de la grippe, la souche A (H1N1), a mis en alerte la plupart des pays développés. En France, une Cellule interministérielle de crise chapeautée par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Santé est mise en place le 25 avril 2009 (la CIC Grippe A). Sur un peu moins d’une année, entre avril 2009 et la fin du mois de janvier 2010, l’actualité médiatique sera marquée par ce virus et la campagne de vaccination organisée par cette CIC Grippe A. Celle-ci commandera 94 millions de doses de vaccin juste avant l’été en vue de vacciner plus de 70 % de la population à l’automne. Cependant, cette campagne n’aura pas l’effet escompté. Son coût, la réalité du danger de ce virus et la sécurité de ces vaccins seront au cœur d’intenses débats entre la fin de l’été et l’ouverture des centres de vaccination. In fine, seulement 7,9 % de la population se fera vacciner (Guthmann et al., 2010). Deux commissions d’enquête parlementaire seront d’ailleurs créées dès février 2010 à l’Assemblée Nationale et au Sénat pour tirer les conclusions de cet échec.

2Ces exercices d’interprétation a posteriori révèlent les représentations que se font les décideurs politiques et sanitaires du public visé par leurs politiques. On ne peut alors qu’être frappé par le portrait qu’en dressent les membres de la CIC Grippe A :

3

« Certains ont pris peur, à la suite de rumeurs sur les adjuvants, les vaccins… On a même parlé “d’expérimentation grandeur nature”. »
Roselyne Bachelot (ministère de la Santé), Auditions de la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1), Sénat, 30 juin 2010.

4

« Tout cela a inquiété la population. Et les gens ont préféré courir le risque d’attraper la grippe plutôt que d’avoir l’impression de choisir délibérément un risque en allant se faire vacciner, aussi infime, voire nul qu’ait été ce risque. Cette attitude échappe à la raison. »
Laurent Degos (Haute Autorité de la Santé), Auditions de la commission d’enquête sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1), Sénat, 7 avril 2010.

5C’est d’ailleurs par peur de créer une surréaction irrationnelle de la population que les membres de la CIC Grippe A décideront de ne pas communiquer sur la sécurité des vaccins avant que ce sujet ne s’impose à l’agenda médiatique en septembre 2009 (Ward, 2018).

6Il ressort ainsi que les gestionnaires de la grippe A ont adhéré à des représentations de la population que l’on peut qualifier d’irrationalisantes. Ce type de représentations repose sur une dichotomie entre processus cognitifs et processus émotionnels, les émotions étant vues comme empêchant l’appréhension raisonnée des informations. Elles se définissent par le recours aux seconds plutôt qu’aux premiers dans l’explication des comportements des individus [1].

7Les représentants des sciences sociales dénoncent régulièrement l’importance de ce type de représentations dans le traitement de différents enjeux sociaux et politiques. Loïc Blondiaux et Arlette Farge ont notamment montré à quel point les élites politiques des xviiie et xixe siècles ont utilisé l’idée que la population française constitue une foule aux réflexes ataviques et prompte aux réactions émotionnelles pour justifier leur réticence à étendre le suffrage universel (Farge, 1992 ; Blondiaux, 1998). Ces représentations participent aujourd’hui encore à la division du travail gestionnaire, notamment sur les sujets relatifs aux risques et aux technologies. Elles sont régulièrement brandies pour justifier la faible transparence des processus de décision dans les arènes confinées (Gilbert, 2001 ; Marris et al., 2001 ; Dodier, 2003). L’intérêt accordé aujourd’hui aux rumeurs et théories du complot, notamment sur Internet, témoigne aussi de la prégnance de ces représentations. Les sociologues travaillant sur ce sujet expliquent ainsi qu’ils doivent constamment se battre contre l’acception irrationalisante de ces termes qui domine dans les discours publics (Aldrin, 2005 ; Bronner, 2009 ; Fassin, 2011).

8Or, les travaux récents portant sur les instruments de gouvernement ont montré que l’idée de rationalité, notamment économique, est de plus en plus intégrée dans les processus de construction des politiques publiques (Borraz et Guiraudon, 2010). La persistance de ces représentations irrationalisantes de la population chez les élites politiques [2] constitue une énigme au croisement de la sociologie des politiques publiques, de la sociologie de la connaissance et de la sociologie des élites. Elle pose notamment la question de la capacité des sciences sociales et de leurs représentants à avoir une influence sur les sociétés qu’ils étudient. Elle interroge aussi le rôle de l’expertise comportementale dans les processus de construction des problèmes et politiques publics, et sa mise en concurrence avec les idéologies professionnelles et politiques des acteurs auxquels elle s’adresse.

9De multiples facteurs et mécanismes contribuent à cette persistance. Dans cet article, nous développons la thèse que le processus d’institutionnalisation de l’expertise en communication constitue l’un de ces facteurs. De nombreux travaux ont été consacrés à ce processus d’institutionnalisation (Champagne, 1990 ; Bourdieu, 1996 ; Neveu, 2000). Ils montrent que les professionnels de la communication jouissent d’une proximité croissante avec les élites politiques. Nous souhaitons prolonger cette réflexion engagée au début des années 1990, notamment dans son volet centré sur les catégories d’analyse employées par les experts en communication (Neveu, 1990 ; Neveu et Rieffel, 1991 ; Georgakakis, 1997). Ces travaux se sont concentrés sur les formes de catégorisation sociale au fondement du discours des communicants. Ici, nous nous intéresserons plutôt à leurs conceptions de la rationalité des acteurs sociaux.

10Cette analyse s’appuiera sur l’étude du cas de la gestion de la pandémie de grippe A en 2009-2010. La focale sera posée sur une institution spécialisée dans l’expertise en communication, le Service d’information du gouvernement (SIG), et son rôle dans cette gestion. Nous présenterons comment les experts du SIG ont promu des représentations irrationalisantes du public auprès des décideurs de la CIC grippe A.

11Nous commencerons par replacer le travail du SIG dans le contexte de la gestion de cette pandémie. Dans un second temps, nous montrerons que tout au long de la préparation à la gestion de la pandémie entre 2004 et 2009, les membres du SIG ont constamment mis en avant le potentiel irrationnel de la population. Ceci avait en partie pour objectif de montrer la nécessité de la communication en temps de crise et de conforter leur position au sein du dispositif de gestion. Ensuite, nous nous intéresserons aux déclinaisons de ces principes se traduisant par une vigilance accrue vis-à-vis des signes de basculement dans l’irrationalité durant la période de la pandémie. Ces signes ont alors été portés à l’attention des membres de la CIC. Ces signalements ont focalisé l’attention des membres de la CIC, au détriment d’autres problématiques mises en avant par les membres du SIG comme la nécessité de communiquer sur Internet. Dans une dernière partie, nous insisterons sur le caractère inachevé du processus de légitimation et d’institutionnalisation de l’expertise en communication. En effet, si le SIG bénéficiait effectivement d’une position au sein de la CIC, cette position restait dominée. Les membres du SIG doivent en permanence se battre pour faire reconnaître leur expertise lorsque celle-ci va à l’encontre du sens commun des décideurs. Nous verrons ainsi que la faible légitimité accordée à leur expertise ne leur permet pas d’imposer leur propre interprétation des phénomènes qu’ils signalent. Ainsi, la capacité de légitimation des représentations irrationalisantes des décideurs de la CIC par les membres du SIG s’appuie à la fois sur l’institutionnalisation progressive de cette forme d’expertise mais aussi, paradoxalement, sur le caractère inachevé de ce processus de légitimation.

12Dans la suite de cet article, nous utiliserons les guillemets pour signaler la terminologie spécifique employée par les membres du SIG et inscrite dans les documents administratifs relatifs à la gestion de crise.

Données

Pour étudier la manière dont le SIG a participé à la promotion des représentations irrationalisantes de la population auprès des acteurs de la gestion de la grippe A, il nous a fallu établir le rôle que le SIG a occupé dans ce dispositif, donc les moyens à sa disposition lui permettant d’exercer une influence. Il nous a aussi fallu étudier les discours que ses membres ont pu adresser aux autres acteurs de la CIC Grippe A. Il est important de noter que cette influence ne s’est pas restreinte à la période de la pandémie elle-même (avril 2009-fevrier 2010). Le SIG a participé au processus de préparation à la crise pandémique qui a intégré, à partir de 2004, la plupart des personnes qui participeront à cette gestion et qui a conduit à la fixation des normes de la gestion de crise sous la forme de documents-guides. Le travail réalisé dans le cadre de la préparation à la pandémie a donc dû être intégré à l’analyse qui s’est alors appuyée sur les données suivantes :
  • les principaux documents de préparation à la gestion d’une pandémie (Plans nationaux de prévention et de lutte « Pandémie grippale » de 2006, 2007, 2009 et 2011) ;
  • les comptes rendus des auditions des membres de la CIC dans le cadre des commissions d’enquête sur Le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1)v (Sénat) et sur La manière dont a été programmée, expliquée et gérée la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1) (Assemblée nationale) ainsi que les rapports produits par ces commissions,
  • les 57 notes envoyées par le SIG à la CIC Grippe A entre le 27 avril 2009 et le 27 janvier 2010 ainsi que d’autres documents produits par le SIG au cours de cette période et dans le cadre de la préparation à la pandémie (comptes rendus du volet communication des exercices de crise de 2005, 2006 et 2009, document de présentation du rôle du pôle analyse en situation de crise faite à l’occasion de la révision du plan de 2009) ;
  • dix entretiens réalisés en février 2014 avec la quasi-totalité des membres du SIG ayant travaillé sur la grippe A au cours de la période (directrices des trois départements chargés de la veille d’opinion ainsi que le chargé d’étude affecté à la veille de la grippe A pour chacun de ces départements ; directeur adjoint du département communication de crise affecté aux sujets pandémiques, directrice du département communication externe). Ces entretiens ont été centrés sur la description de leur travail de veille et de conseil en situation de crise à partir du cas de la pandémie de grippe A ;
  • six entretiens, réalisés entre septembre 2013 et avril 2014, avec des personnes impliquées dans la CIC et plus spécifiquement dans les décisions relatives à la communication (le Directeur Général de la Santé, les deux chargées de communication du ministère de la Santé, le directeur de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, les deux responsables de la communication à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la Santé). Ces entretiens ont été centrés sur les choix de communication au cours de cette période (organisation, contenu et motivations) et sur le rôle de l’expertise en comportement dans ces choix (usage des sondages, choix des experts).
Cette étude s’inscrit dans le cadre d’un travail plus large sur cette période qui comprend notamment une analyse systématique de 21 sources médiatiques ainsi que des entretiens avec les principaux critiques de ces vaccins [3]. Cette approche a permis de placer le travail du SIG dans son contexte.

Le Service d’information du gouvernement et la Cellule interministérielle de crise

13Pourquoi le SIG a-t-il été intégré au dispositif de gestion de crise CIC Grippe A ? Pour répondre à cette question, il faut à la fois présenter la genèse des dispositifs de gestion de crise en France et croiser cette histoire avec celle de l’institutionnalisation de l’expertise en communication politique.

14L’émergence de l’expertise en communication a été principalement étudiée par des sociologues inspirés par les travaux de Pierre Bourdieu et adoptant une démarche critique. Leurs travaux montrent qu’entre les années 1960 et les années 1990, la pratique du jeu politique a connu une transformation significative plaçant la fabrique de l’opinion publique au centre des préoccupations (Champagne, 1990). Cette transformation est en partie liée à l’explosion de l’industrie médiatique et à sa prise d’autonomie par rapport au champ politique (Marchetti, 2008). Mais elle est aussi le produit du travail d’acteurs à la frontière entre le monde universitaire et le monde économique qui ont promu l’usage de techniques de sondage et la conception de l’opinion publique qu’elles impliquent (Bourdieu, 1985 ; Riutort, 2010). Ce travail a conduit à la légitimation progressive dans le champ politique de ce nouveau type de profession. Des ressources et des postes se sont ainsi progressivement vus affecter à cette fonction d’analyse et de conseil au sein des administrations et dans l’entourage des politiques (Georgakakis, 1995).

15La fondation en 1976 de ce qui deviendra le Service d’information du gouvernement [4] participe de ces transformations. Placé sous la tutelle du Premier ministre, il a pour mission de coordonner la communication des différents ministères, de proposer un support technique pour les grandes opérations de communication et de suivre l’actualité médiatique et de l’opinion sur les sujets d’importance pour le gouvernement. Sa structure a évolué au cours des 40 dernières années, notamment pour inclure des fonctions spécifiques à Internet. En 2009, si l’on met de côté les fonctions purement administratives, le SIG se décomposait entre la Direction (en contact direct avec les cabinets des ministres, cinq agents), le département Communication externe, spécialisé dans les campagnes de communication nationales (trois agents), le département Communication de crise (trois agents), et le pôle analyse qui assure la surveillance des médias (département Analyse tous médias, cinq agents), d’Internet (département Observatoire de l’expression publique, cinq agents) et de l’opinion par le biais des nombreux sondages et autres types d’enquêtes que commande régulièrement le département Études et sondages (trois agents). L’expertise du SIG s’appuie sur une stratégie de recrutement de la quasi-totalité de ses membres sur la base d’un cursus universitaire dans la communication ou dans le domaine des sciences politiques centrées sur l’analyse des sondages. Les agents du SIG présentent donc des profils similaires aux conseillers de communication des ministères et services (Nollet, 2006 ; Ollivier-Yaniv, 2015). La légitimité de cette institution au sein du gouvernement se fonde sur une capacité inégalée de surveillance systématique de l’opinion par son pôle analyse. Ainsi, celui-ci réalise le même type de taches que celles réalisées par les conseillers en communication recrutés au sein des cabinets et administrations (lecture de la presse, consultation des sondages publiés, navigation sur les forums et réseaux sociaux d’Internet) mais avec des moyens beaucoup plus importants. Elle s’appuie aussi sur sa capacité à payer des prestataires de services qui lui fournissent notamment des résumés d’une grande variété de contenus médiatiques, des analyses de « tendances web », un sondage hebdomadaire et des études ad hoc. Les résultats de cette veille sont alors transmis aux cabinets ministériels par le biais de notes et de contacts directs. La légitimité du SIG au sein du gouvernement se construit donc à la fois sur la compétence technique de ses membres et sur sa production de savoirs sur l’actualité de l’opinion publique.

16L’intégration du SIG dans le dispositif standard de gestion de crise, la Cellule interministérielle de crise (CIC), se place dans la continuité du processus général d’institutionnalisation de l’expertise en communication. Ainsi, au tournant des années 2000 l’idée s’impose qu’il est nécessaire pour l’État français de se préparer à l’arrivée d’une pandémie. Les outils administratifs de la gestion de crise (plans de préparations, dispositifs de surveillance, scénarii de circulation des virus, etc.) sont alors progressivement créés (Buton et Pierru, 2011 ; Torny, 2012). La fonction de communication est intégrée à ces réflexions. Ces années voient concomitamment l’institutionnalisation de la « communication de crise », avec le recrutement de conseillers spécialisés par le SIG et par les ministères et services concernés (Nollet, 2006 ; Ollivier-Yaniv, 2015). Le dispositif standard de gestion de crise qui s’impose au cours de ce processus, la CIC consacre cette idée que la communication en est une facette indispensable. Ce dispositif est aussi une consécration pour le SIG. Il fait partie des institutions intégrées d’office dès qu’une CIC est constituée. Cette institution se voit posée en représentante de la « fonction communication » et chargée de coordonner les activités liées à cette fonction. Ce dispositif, dans sa déclinaison sur les sujets pandémiques, s’articule autour de quatre cellules dont l’une est entièrement dédiée à la communication : la cellule décision, la cellule de continuité économique, le centre de crise et de veille sanitaire et la cellule communication. Le SIG, par le biais de son département Communication de crise, qui organise et coordonne les réunions de la cellule communication et qui en présente les conclusions directement auprès des décideurs lors des réunions de la cellule décision (qui comprend les représentants des ministères et de divers services spécialisés de l’administration). Lors de ces réunions, il est aussi chargé de présenter les résultats de sa veille de l’opinion réalisée par les membres de son pôle analyse, résultats qui seront aussi communiqués sous forme de notes d’alertes.

17Cette place accordée à la communication donne donc au SIG plusieurs moyens d’influencer les membres décideurs de la CIC : par le biais des conseils directs qu’ils peuvent donner au cours des réunions de la cellule décision et par le biais des notes qu’ils leur transmettent tout au long de la période et qui constituent le principal savoir relatif à l’opinion publique dont les membres de la CIC disposent.

18Mais cette position privilégiée permet aussi au SIG d’exercer une influence avant même la constitution d’une CIC. En effet, à partir de 2005 son département communication de crise s’est vu confier la tâche de constituer un corpus de savoirs et de méthodes relatives à la communication en situation de crise. Il organise dès lors des réunions mensuelles intégrant des représentants des futurs membres des CIC, et notamment de la future CIC Grippe A. Dans le cadre des exercices de préparation à la gestion de crise, il a aussi la charge d’organiser et d’interpréter des simulations de réactions de l’opinion publique aux décisions prises par la CIC [5]. Les conclusions que les membres du SIG tirent de ces réunions et de ces exercices sont ensuite intégrées au document de référence pour l’organisation d’une CIC (le Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale »). Le SIG a donc ainsi un pouvoir de constitution d’un horizon d’attente concernant les réactions de la population en situation de crise. Celui-ci est d’autant plus fort qu’il est inscrit dans les documents à vocation pratique qui président à la constitution d’une CIC et à ses décisions (définition des scénarii-types et des mesures à prendre suivant ces scénarii).

19L’intégration du SIG dans la gestion de crise française constitue donc une nouvelle instanciation du processus de long terme de légitimation de l’exper­tise en communication. Seulement, comme l’a montré Jérémie Nollet, l’institutionnalisation de la communication dans les administrations centrales est aussi le produit des stratégies de construction d’un besoin de communication déployées par les conseillers occupant ces postes ou aspirant à les occuper (Nollet, 2006). Même une fois intégrés au dispositif de gestion de crise, les membres du SIG se sont ainsi employés à justifier cette intégration et à valoriser leur travail, à la fois pour construire et renforcer leur légitimité auprès des membres de la CIC et pour obtenir davantage de prérogatives. Or, pour ce faire, ils mettront en avant le potentiel irrationnel de la population.

Les principes de la communication de crise : bien communiquer pour éviter la panique

20Pourquoi est-il nécessaire pour les décideurs de la CIC de s’adjoindre les services d’experts en communication ? La réponse formulée par les agents du SIG au cours du processus de préparation à la pandémie est riche et complexe. Elle place néanmoins au premier plan la possibilité d’un basculement de la population dans l’irrationalité. L’extrait suivant de l’audition du directeur du SIG, Thierry Saussez, le 5 mai 2010 par les membres de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale est révélateur de cette conception du rôle de la communication en situation de crise :

21

« Dans la gestion d’une crise, il faut éviter l’affolement et la panique, et le rôle de l’État consiste à envisager toutes les situations possibles, y compris la pire. »

22Cette représentation irrationalisante de la population se retrouve dans les discours de la plupart des agents du SIG impliqués dans la préparation à la pandémie que nous avons interrogés. Ainsi, à côté des injonctions à la « transparence », à la « pédagogie », à l’utilisation des meilleures « voies de communication », leur discours comprend de nombreux emprunts au champ lexical de l’émotion. Les termes « inquiets » et « peur » reviennent sans cesse tout comme ceux de « théorie du complot », « panique » et « rumeurs ».

23Penchons-nous sur ces trois derniers termes dont l’usage courant porte clairement une conception irrationalisante des comportements. La panique est ainsi quasiment systématiquement entendue comme un événement collectif de perte de contrôle cognitif des individus sur leur comportement causée par une situation de stress (Clarke et Chess, 2008). Philippe Aldrin montre que les rumeurs, c’est-à-dire la circulation d’informations fausses, sont elles aussi le plus souvent présentées comme « la manifestation de spasmes irrationnels propres aux foules apeurées » (Aldrin, 2003, p. 128). L’usage du terme « théorie du complot » pour désigner des formes illégitimes de critique politique porte des présupposés similaires. Les théories du complot sont ainsi le plus souvent présentées comme le produit d’esprits malades (paranoïaques) et la résurgence de formes de pensée mythique s’opposant à la pensée rationnelle (Fassin, 2011) [6].

24Cette conception irrationalisante est au cœur de la présentation des principes de la « communication de crise » que nous a fait le responsable adjoint du département communication de crise. Celui-ci insiste au cours de notre entretien sur la nécessité de surveiller les « niveaux de stress » et les « peurs » de la population, ainsi que de lutter contre les « rumeurs ». Ces principes se déclinent au niveau de la veille de l’opinion. Les membres du pôle analyse interrogés nous ont ainsi expliqué que le processus de préparation à la crise pandémique les a conduits à identifier trois « variables » à surveiller en priorité : « la perception de l’action du gouvernement », « le niveau d’information de la population » et « le niveau d’inquiétude ». Ce dernier critère se construit directement en référence à cette réaction émotionnelle de la population, comme nous l’expliquent les personnes qui sont à l’origine de son inscription dans le plan de préparation :

25

« Interviewer : Comment vous en êtes venus à ces questions, inquiétude, niveau d’information et perception de l’action du gouvernement ?
Responsable du département études et sondages : […] Intuitivement c’est une première question qui se pose. On parle de ça, les médias sont en train de dire attention épidémie ! Crise sanitaire ! etc. La première chose qu’on a envie de savoir en tant que gouvernement, c’est peut-être juste du bon sens, mais intuitivement la première question que vous vous posez en tant que gouvernant c’est : est-ce que les Français ont peur ? […] En tout cas les deux premières questions c’est est-ce qu’ils ont peur et est-ce qu’ils savent ce qu’il faut faire. Comment on se protège ?
Chargée d’étude au département études et sondages : oui et puis les idées reçues, les craintes un peu spontanées et un peu folles des fois.
Responsable du département études et sondages : […] il y a toujours une partie de la population qui sait pas, qui sait mal. Donc du coup c’est pour éviter de créer des psychoses. Je pense qu’il y a les deux : éviter de créer des psychoses inutiles et aider les gens à se protéger. »

26Là encore la figure limite de la psychose émerge au cœur de l’appréhension de la population en situation de crise. Le « niveau d’inquiétude » mesuré chaque semaine est la manière de surveiller le potentiel de basculement dans l’irrationnel de la population. On retrouve aussi ces représentations dans les documents présentant les principes de la veille en situation de crise, écrits dans le but de valoriser ce travail de veille (utilisation des termes « rumeurs », « craintes », « réflexes spontanés » et de la variable « niveau d’inquiétude »). La vision qui ressort de ces documents et entretiens est que les individus composant la population ne fonctionnent pas de la même manière que les décideurs, parce qu’ils ont un rapport émotionnel aux informations. De ce fait, il n’est pas suffisant de fournir les données statistiques sur lesquelles s’appuient les recommandations de santé publique. Cette représentation irrationalisante participe de la valorisation de la communication en situation de crise en la rendant indispensable. Puisque les situations de crise exacerbent ces tendances irrationnelles, le travail de communication constitue une facette essentielle de la gestion de crise. À la prise de décision sur la base d’une connaissance de la maladie, doit s’ajouter un travail de traduction, d’interprétation, de mise en scène, etc. fondé sur la connaissance de ces mécanismes subtils de la population et de leurs « influenceurs ».

27Ces principes de la communication de crise, en plus d’être affirmés et retravaillés lors des réunions de préparation à la pandémie, se voient inscrits dans les principaux documents de préparation à la gestion de crise pandémique. On les retrouve ainsi dans les documents faisant le bilan du volet « opinion » des exercices de crise de 2005, 2006 et mars 2009 [7]. Surtout, ces représentations irrationalisantes se voient consacrées dans le Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale ». Une page y est dédiée aux comportements de la population (la page Information, Formation et Communication). Écrite conjointement par le SIG et le Secrétariat général à la Défense nationale :

28

« Pour les pouvoirs publics, placés en position d’émetteur de l’information, la communication vise également à informer et donc à atténuer les craintes et l’anxiété de la population et à éviter le risque de désinformation, de rumeurs, voire de déstabilisation. »
SGDN, Plan national de prévention et de lutte « Pandémie grippale », 20 février 2009

29Cette promotion de l’idée que la population peut basculer à tout moment dans l’irrationalité ne s’est pas limitée à la période de préparation à une pandémie. Elle s’est aussi faite au sein de la CIC Grippe A dans un contexte de gestion d’une crise bien réelle. Les notes d’alerte transmises aux membres de la cellule décision sont, sur ce point, particulièrement évocatrices. Le choix des éléments à surveiller et à inclure dans ces notes a découlé directement de ces principes de la communication de crise.

La veille d’opinion durant la pandémie : repérer les rumeurs et théories du complot

30Ces principes de la communication de crise se sont traduits dans la pratique de la veille ainsi que dans les recommandations faites par les membres du SIG aux membres de la CIC. Durant la période de la grippe A, les experts du SIG répètent régulièrement qu’il est nécessaire de « rassurer » la population pour éviter ces réactions émotionnelles. Mais, cette stratégie de valorisation se traduit surtout par une pratique particulière de la surveillance de l’« opinion » : la recherche de signes de basculement dans l’irrationalité. Concentrons-nous sur le produit de cette veille : les 57 notes d’alerte transmises aux membres de la CIC au cours de cette période. Dans ces notes, les agents du SIG proposent une sélection des phénomènes observés dans le cadre de leur veille des différents volets de l’« opinion » (médias, Internet, sondages).

31Tout d’abord, nous avons vu que trois variables à surveiller ont été mises en avant au cours de la préparation à la pandémie : « la perception de l’action du gouvernement », « le niveau d’information de la population » et « le niveau d’inquiétude ». Ce troisième indicateur nous intéresse particulièrement. La définition de l’« inquiétude » comme un phénomène à surveiller se traduit par sa transformation en un item de questionnaire (« À propos de l’épidémie de grippe A, vous diriez que vous êtes inquiet ou pas ») inséré dans le sondage hebdomadaire du SIG dédié à l’« actualité » du gouvernement. À côté de cette approche par la méthode du sondage, le « niveau d’inquiétude » est aussi utilisé par les agents des deux autres départements du pôle analyse comme un principe d’agrégation des jugements sur le danger de la grippe publiés dans les médias et sur Internet (« niveau d’inquiétude globalement faible dans les médias » par exemple). Enfin, le terme « d’inquiétude » est utilisé pour qualifier ou résumer le contenu de prises de positions jugées notables, comme celles de personnalités du monde politique ou médical [8]. Cette notion d’inquiétude est particulièrement mise en avant dans ces notes : leurs premiers paragraphes y sont systématiquement consacrés.

32En plus de cette thématique de l’inquiétude, les notes d’alerte mobilisent de nombreuses autres catégories descriptives suggérant cette irrationalité potentielle de la population. À côté du champ lexical de l’émotion, le terme de « panique » revient ainsi pas moins de 35 fois au cours de cette période, le terme de « rumeur » 18 fois, le terme « peur » 42 fois et le terme « complot » 22 fois, comme dans les extraits suivants :

33

« À noter en signal faible
– Quelques signes de panique (faire des provisions) / très mineur »
Pôle analyse, Note d’alerte n° 4, Service d’information du gouvernement, 28 avril 2009

34

« À surveiller : théories du complot
Une rumeur commence à circuler : l’OMS et l’ONU planifieraient un “génocide de masse” en imposant une vaccination obligatoire après avoir diffusé un virus créé en laboratoire »
Pôle analyse, Note d’alerte n° 28, Service d’information du gouvernement, 22 juillet 2009

35Il est essentiel de revenir sur l’usage de ces termes car, plus encore que l’usage du vocabulaire émotionnel, ils donnent à voir comment les principes de la communication de crise se déclinent dans la veille d’Internet. En effet, si le registre lexical de l’émotion est utilisé dans les notes par les agents des trois départements, les termes de « rumeurs » de « théorie du complot » et de « panique », sont principalement utilisés pour décrire des phénomènes identifiés sur Internet. Ils sont aussi très souvent accompagnés de descriptions ou de verbatim décrivant des positions dont la radicalité est susceptible de renforcer l’acception irrationalisante de ce terme, comme c’était le cas dans l’extrait précédent. Ainsi, les plateformes participatives d’Internet (forums, sections commentaires des articles, etc.) se caractérisent par la faiblesse des contraintes posées à la publication de contenus. Elles donnent alors accès à une variété de prises de position sur un sujet donné qui peuvent nettement s’éloigner des positionnements les plus légitimes sélectionnés pour les pages des médias d’information générale et autour desquels les enquêtes par questionnaire se construisent. Ces prises de position, qui peuvent être interprétées comme irrationnelles du fait de leur exotisme par rapport aux contenus des débats médiatiques, ne seraient pas nécessairement signalées en situation d’actualité plus habituelle. Mais le fait que les pandémies soient vues comme « anxiogènes » conduit les veilleurs à les rechercher, les sélectionner et les signaler comme de potentiels signes avant-coureurs de réactions plus générales. Les veilleurs web du SIG reconnaissent que ces critiques radicales représentent une très faible part du corpus global des commentaires analysés. Néanmoins, ils leur consacrent une partie des notes d’alerte et les portent donc à l’attention des membres de la CIC Grippe A.

36Cependant, il est important de noter que ces phénomènes ne constituent jamais le principal message mis en avant dans les notes. Celles-ci mettent plutôt en avant les critiques adressées au gouvernement pour sa surréaction, les incertitudes quant à la nature du virus et la faible « inquiétude » de la population. En effet, le travail des veilleurs web du SIG les amène surtout à collecter une variété d’attitudes fines et ambivalentes qui se rapportent souvent aux débats médiatiques qu’a suscitée cette campagne de vaccination. Ils proposent une cartographie des espaces de positionnement sur ces sujets suivant le type de site sur lesquels ces commentaires sont postés. Cette cartographie associe aussi ces positionnements au niveau socioéconomique du commentateur qu’ils déduisent de son niveau de maîtrise de la langue française et du positionnement sur le marché de la plateforme sur laquelle il intervient. Leur expertise consiste aussi à identifier et signaler les principaux influenceurs sur ces questions, leurs arguments, leur parcours ainsi que les raisons de leur succès auprès de leur public. Cette connaissance empirique, leur expérience passée d’autres crises sanitaires et leur formation en communication les conduisent à relativiser l’importance de ces « rumeurs » et « théories du complot » par rapport à d’autres enjeux tels que la non-implication des médecins généralistes dans la campagne. Les signalements des premières sont ainsi le plus souvent cantonnés à la fin des notes. Ils sont aussi accompagnés des marqueurs de marginalité tels que « à surveiller », « en mineur » ou « signaux faibles ». Ces prises de position sont donc signalées comme méritant l’attention certes, mais pas comme des informations de premier ordre.

37Ces signalements marqueront pourtant les esprits des membres de la CIC Grippe A. L’importance qui leur est accordée se manifeste d’ailleurs peu après le début de la campagne de vaccination en novembre 2009. Le Directeur Général de la Santé demande alors au SIG de produire un document qui résumerait les principales « rumeurs » et « théories du complot » sur le sujet du vaccin [9]. Surtout, plusieurs membres du SIG constateront au cours des réunions de la cellule décision que les membres de la CIC se focalisent sur ce sujet. Cela a particulièrement frappé la directrice du département observatoire de l’expression publique qui coordonne la veille du Web :

38

« On s’est rendu compte qu’on avait des interlocuteurs, ceux qui faisaient la gestion de crise, qui s’attardaient souvent beaucoup sur toutes les théories du complot ou les positions extrêmes que l’on peut voir sur Internet. […] il y avait une vision complètement déformée de ce que l’on pouvait observer sur le Web : en disant mais oui mais sur le Web ce sont les complotistes, les extrêmes, et notamment par rapport au vaccin les théoriciens du complot. Et c’est vrai qu’il y avait des trucs complètement farfelus. Il y avait de tout. Et le problème c’est que ces trucs-là existaient donc on le signalait. Mais c’était loin d’être la majorité des commentaires. C’était pas ce qu’il y avait de plus représentatif et significatif des débats en ligne. »

39Ce point est paradoxal du point de vue de la légitimation de l’expertise en communication. En effet, ce dernier extrait d’entretien montre bien la frustration ressentie par les membres du SIG face à cette focalisation sur les signes d’irrationalité du public alors même qu’ils se sont appuyés sur leur existence pour valoriser leur propre participation à la gestion de crise. La légitimation et l’institutionnalisation progressives de l’expertise en communication a permis au SIG d’exister et de se voir désigner comme un des acteurs de la gestion de crise. Ce processus a permis à ses membres d’avoir des contacts réguliers avec une grande variété de décideurs politiques. Seulement, comme nous allons le voir maintenant, les experts du SIG se voient certes attribuer une légitimité, mais cette légitimité reste faible comparée aux autres formes d’expertise intégrées à la gestion de cette grippe. Dans le cas présent, le caractère incomplet de la reconnaissance de l’expertise en communication renforcera paradoxalement la capacité de ces experts à légitimer les représentations irrationalisantes des décideurs.

La communication dans la gestion de crise : mettre en musique les décisions

40Les limites de la légitimité accordée à l’expertise des membres du SIG se sont données à voir lorsque ses membres ont voulu attirer l’attention sur la multiplication sur Internet des doutes et critiques quant à la sécurité de ces vaccins.

41Le sujet des dangers des vaccins pandémiques a émergé à l’actualité médiatique au début du mois de septembre 2009. Mais dès le mois de mai, les agents chargés de la veille web signalent la montée d’une défiance vis-à-vis des vaccins. Dans ces notes, cette défiance n’est pas réduite à des prises de position exotiques et marginales. Pour ces veilleurs du Web, les discours relevés suggèrent au contraire qu’ils traduisent l’opinion de personnes plus « représentatives » des « Français » ou au moins d’une grande partie d’entre eux. Cette mise en garde devient dès le mois de juin l’un des messages principaux inscrits dans les notes d’alerte et mis en avant lors des réunions de la cellule décision. Selon eux, ces réactions sont en partie émotionnelles et le produit de « rumeurs ». Cependant, le fait qu’elles ne soient pas réduites aux marges de la population montre leur potentiel de propagation et qu’il est possible de faire entendre raison à cette population. Pour les agents du SIG, il est clair que les membres de la CIC Grippe A doivent s’exprimer sur cette thématique et communiquer sur Internet.

42Ce message ne sera pas entendu. Les membres de la CIC Grippe A ne commenceront à traiter publiquement du sujet de la sécurité des vaccins qu’après que le sujet fera la une des médias, au milieu du mois de septembre. L’intervention sur les médias sociaux demandée dès le début de l’été ne sera discutée qu’à partir du mois de novembre et mise en place dans les derniers jours de la pandémie (janvier 2010). Les experts du SIG ont ainsi buté sur l’idée, commune parmi les membres de la CIC Grippe A, qu’Internet est une plateforme principalement investie par les courants les plus marginaux de la population et que les phénomènes qui s’y donnent à voir représentent ses penchants les plus illégitimes et irrationnels. Caroline Ollivier-Yaniv a noté qu’en 2011 les agents du SIG souffraient de la faible légitimité politique attribuée à Internet à la fois comme lieu d’expression d’une parole politique et comme lieu d’intervention communicationnelle (Ollivier-Yaniv, 2015). En 2009, cette délégitimation d’Internet semble avoir été encore plus forte et constitué un problème encore plus saillant pour ces agents. Ceux-ci n’arrivent pas à faire changer d’avis les autres membres de la cellule décision de la CIC qui en restent à leur avis initial sur ce sujet.

43Face à ce constat, les experts du SIG vont, dans un second temps, tenter de transformer cette vision d’Internet et de la population qui s’y exprime. Pour ce faire, ils prennent le contre-pied de leur stratégie de valorisation par la mise en avant du potentiel irrationnel de la population. Dès la fin de l’été, les agents du pôle analyse tenteront activement de contrer cette surinterprétation irrationalisante des phénomènes apparaissant sur Internet. Ainsi, ils limiteront volontairement leur usage des termes « rumeurs » et « théories du complot » (sans pour autant les abandonner complètement). Ils cesseront aussi d’en détailler les contenus. La demande faite en novembre par le Directeur général de la santé d’une présentation des principales « rumeurs » sera aussi saisie comme une occasion de réaffirmer la marginalité de ces phénomènes les plus irrationnels. Au contraire, le message mis en avant lors de cette réunion est l’idée que « tout le monde est sur Internet », pour reprendre les termes employés par la directrice de l’observatoire de l’opinion publique. Ces tentatives d’acculturation des membres de la CIC Grippe A à leurs représentations d’Internet, ont cependant été un échec. Il faudra des événements extérieurs, comme la faible affluence des centres de vaccination, pour convaincre les membres de la CIC Grippe A de s’intéresser à ce qui se passe sur Internet.

44Une partie de l’explication de cette incapacité des experts du SIG à imposer leur interprétation des données qu’ils proposent réside dans le statut accordé à la communication dans le dispositif de gestion de crise. Nous avons vu que le SIG était intégré au dispositif de la CIC. Comme l’Institut de veille sanitaire qui propose une expertise épidémiologique sur le virus, le rôle du SIG y est de fournir des données et des conseils. Leur intégration ne s’accompagne pas de l’attribution de moyens de coercition ou de prérogatives fortes. En effet, le SIG est le représentant de l’expertise en communication au sein de la CIC. Seulement, ce n’est pas lui qui communique, mais bien les autres membres de la CIC qui en constituent la face publique (ministères, services, agences, etc.).

45Or, force est de constater que l’épidémiologie et les sciences de la communication n’ont pas bénéficié de la même légitimité au cours de cette période. De l’aveu même des responsables de cette gestion de crise, la fonction de communication était définie comme une fonction « support ». Les enjeux de communication y étaient vus comme secondaires par rapport à l’évaluation de la dangerosité de ce virus, la mise à disposition à temps d’un vaccin efficace et sûr ou la coordination efficiente de centres de vaccination :

46

« Directeur général de la santé (DGS) : La communication, ça, c’est un des progrès qu’il faut faire, la communication était quand même vue comme un aval de la décision. C’est-à-dire qu’il y a des décisions qui ont été prises. Des décisions d’organisation […] et ensuite la communication venait expliquer, commenter, etc. […] La cellule communication, c’est celle qui était chargée de mettre en musique en terme de communication les décisions qui étaient prises, d’organiser les points presse. »

47Les travaux de Jérémie Nollet ont montré que, à la fin des années 1990, les experts en communication souffraient de leur position dominée par rapport aux expertises médicales et administratives (Nollet, 2006). Si la légitimation de cette expertise a progressé en 10 ans, elle reste manifestement loin d’être complète. Certaines décisions témoignent d’ailleurs de cette sous-valorisation des enjeux de communication par rapport à d’autres enjeux organisationnels. C’est le cas notamment du choix de vacciner dans des centres ad hoc et non dans les cabinets des médecins généralistes. Cette décision est prise malgré les recommandations contraires et insistantes des membres du SIG qui insistent sur l’influence cruciale de cette profession sur les comportements de santé. Le fait que le SIG n’ait pas été intégré à la réflexion sur le nombre de vaccins à commander témoigne aussi de cette relégation. Enfin, cette hiérarchisation des fonctions se retrouve dans le déroulement des réunions de la cellule décision. Plusieurs agents du SIG ont ainsi exprimé au cours de nos entretiens leur frustration de se voir accorder très peu de temps pour exposer les éléments importants de la note d’alerte. Ils se sont aussi plaints du fait que leurs interventions aient très peu fait l’objet de discussions. De plus, ils ne pouvaient pas réaliser de réelles actions de coordination dans la mesure où les conférences de presse étaient systématiquement réalisées à la fin de chaque réunion.

48Les membres de la CIC Grippe A se sont donc fiés à leurs propres représentations des phénomènes se déployant sur Internet plutôt que de déléguer leur jugement aux experts attitrés de ce domaine. Ce phénomène renvoie à un problème central pour la profession de conseil en communication politique. En faisant d’une partie du jeu politique leur objet d’étude - les logiques liées au caractère public des discours et actes politiques - leur domaine d’expertise recoupe celui des acteurs pris dans ce jeu. Or, ceux-ci constituent le public auprès duquel ils doivent valoriser leur expertise. Cette proximité des intérêts, au sens intellectuel du terme, constitue un des ressorts fondamentaux de cette légitimation. Les communicants parviennent alors aisément 1) à traduire dans leur propre perspective les problèmes politiques auxquels font face les décideurs, 2) à reconnaître l’importance de ces problèmes et 3) à formuler des solutions qui ne remettent pas en cause les principes mêmes de l’action de leur public (notamment les orientations idéologiques) (Nollet, 2006).

49Le cas de la grippe A met au jour un des effets pervers de cette stratégie particulière de valorisation-définition de l’objet de la communication. Cette manière de définir l’expertise en communication fait partie des phénomènes qui ont conduit à l’intégration du SIG dans une variété de dispositifs institutionnels, dont celui de la CIC. Seulement, leur intégration ne consacre la reconnaissance que d’une fraction des compétences auxquelles prétendent les représentants du SIG. Le public des communicants, ici les membres de la CIC Grippe A, se sent toujours suffisamment légitime pour opérer sa propre sélection parmi les informations fournies par leurs conseils. De la même façon, la stratégie des agents du SIG de valoriser la communication de crise en mettant en avant le caractère irrationnel de la population a eu pour effet pervers de favoriser le rejet de leurs propres conseils. Les agents du SIG ne bénéficiaient ainsi pas des moyens de lutter contre la surmobilisation de cadres interprétatifs qu’ils avaient contribué à légitimer.

Conclusion

50Cette étude de cas met en évidence un des mécanismes par lesquels le processus de légitimation et d’institutionnalisation de l’expertise en communication peut contribuer à influencer la sociologie spontanée des élites politiques et administratives. Ce travail corrobore une hypothèse avancée notamment par Pierre Bourdieu : la valorisation politique de la communication se fait sur la base d’une reprise par les experts en communication du sens commun politique du moment et des postulats sociaux à son fondement (Bourdieu, 1985 ; Champagne, 1990 ; Georgakakis, 1997). Mais cette analyse du rôle du SIG en situation de crise suggère aussi qu’il faut remettre sur pied le projet d’une sociologie des catégories de perception de l’expertise en communication. En effet, plus de vingt ans après la publication des principaux travaux sur ce sujet les conditions de production d’un savoir sur l’actualité de l’opinion ont beaucoup changé. Notamment, l’imposition de l’idée qu’Internet est un lieu où se fait et se donne à voir l’opinion constitue une évolution majeure. Ainsi, cette plateforme met à la disposition de ces conseillers un contenu déjà-là, donnée qui se démarque nettement de la référence que constitue le sondage représentatif produit par l’analyste. L’émergence d’Internet est donc susceptible d’avoir contribué à transformer les conceptions de la scientificité de cette discipline ainsi que l’ontologie sociale à son fondement. L’étude de l’évolution de la pratique de la veille constituerait ainsi une importante contribution à la mise au jour de l’ontologie sociale qui sous-tend l’exercice contemporain du pouvoir.

51Nous avons aussi montré la position ambiguë qui peut être accordée à l’expertise comportementale (ici la communication) dans un dispositif d’action publique particulier (ici la CIC). Ce faisant, cette étude de cas suggère les effets sociaux que peut avoir l’utilisation de termes de sens commun par les experts en comportements sociaux dès lors qu’ils ne bénéficient pas des ressources institutionnelles ou symboliques suffisantes pour en imposer la redéfinition. En effet, si nous nous sommes focalisés sur la discipline de la communication dans notre analyse, il est important de noter que les experts en communication et politologues, ne sont pas pour autant les seuls à employer dans leurs analyses les termes de « panique », « peur », « affolement », « rumeurs » ou « théories du complot ». Certains sociologues reprennent notamment ces catégories tout en en proposant des redéfinitions rationalisantes (Aldrin, 2005 ; Froissart, 2010 ; Bronner, 2015). Au-delà de cet enjeu de la disjonction entre le sens attribué à un concept par son auteur et celui interprété par son public, certaines branches de la sociologie ont explicitement embrassé les modes d’explication irrationalisants. Ce faisant, ils ont directement contribué à promouvoir ce type de représentation de la population. Depuis la psychologie des foules de Gustave Le Bon, jusqu’au succès récent de concepts tels que ceux de « panique morale » (Goode et Ben-Yehuda, 1994) [10], cet enjeu de la théorie du comportement reste un sujet clivant au sein des sciences sociales. Notre étude de cas montre que ces choix théoriques dépassent le cadre académique et ont des effets sociaux.

52On peut ainsi noter que dans le cas de la grippe A, d’autres types d’experts en comportements ont employé ces termes pour rendre compte des phénomènes sociaux à l’origine de l’échec de cette campagne de vaccination. Ne serait-ce qu’au cours des auditions des commissions parlementaires de 2010, ce type de termes s’est aussi vu employer par un sociologue et un professeur spécialisé dans les politiques de la santé. Mais surtout, la sociologie des politiques publiques gagnerait à prendre acte du rôle croissant joué par le Comité national consultatif d’éthique dans la configuration des relations entre l’État et la population. Ce comité est constitué de quarante membres représentants une grande variété de disciplines académiques et de positionnements institutionnels (représentants de religions, membres des grands corps d’État, essayistes, etc.) dont plusieurs psychologues, anthropologues et sociologues ainsi qu’un grand nombre de philosophes. Il est en charge de formuler des recommandations sur une grande variété de sujets et son expertise est censée se fonder sur la diversité de profils de ses participants. Si son rôle n’est que consultatif, son intégration à un grand nombre de dispositifs administratifs rend saillant l’enjeu des représentations de l’individu et de leurs comportements collectifs qui se voient consacrées à travers cette forme particulière d’institutionnalisation de l’expertise en éthique. C’est ainsi en partie en référence à son avis n° 106 du 5 février 2009 que sera décidée la commande de 94 millions de doses. Cet avis insiste en effet sur les problèmes d’acceptabilité sociale que poserait la restriction de la vaccination à certaines sous-populations, et ce sur la base d’une description de la population dans des termes qui traduisent clairement une représentation irrationalisante du public :

53

« Pour empêcher qu’une peur collective, alors inévitable mais compréhensible, ne dégénère en phénomènes de panique irrépressible, les grands médias doivent prendre toute la mesure de leur potentiel d’influence sur les comportements individuels et collectifs. Le poids considérable de leur implication dans l’amplification des réactions émotionnelles collectives, et des effets corrélatifs de stigmatisation qui peuvent en résulter, devrait d’ores et déjà inciter à engager un travail de concertation aboutissant à la mise en place d’un comité de réflexion dédié au rôle des médias, en termes d’anticipation et de responsabilité, en cas de pandémie grippale. »
CCNE, Questions éthiques soulevées par une possible pandémie grippale, http://www.ccne-ethique.fr, avis n° 106, 5 février 2009.

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Notes

  • [1]
    Nous ne voulons pas dire que les représentations de la population exprimées au cours de ces auditions et ces entretiens sont purement irrationalisantes et que la rationalité des individus était systématiquement niée. Comme nous l’avons montré autre part (Ward, 2018), les décideurs impliqués dans la gestion de cette crise et les documents qui les ont guidés présentent des représentations ambivalentes de la population, composée d’individus à la fois capables d’entrer dans un rapport calculatoire à la pandémie, ce qui justifie une communication centrée sur le chiffrement et la comparaison des risques, mais néanmoins susceptibles de basculer spontanément dans l’irrationalité, la tâche d’instituer ce rapport rationnel au risque pour éviter « la panique » incombant alors aux pouvoirs publics. Nous ne voulons pas non plus suggérer dans cet article que le SIG a promu une représentation des comportements individuels purement irrationalisante. Une étude entièrement consacrée à l’ontologie du monde social du SIG, notamment en situation de crise pandémique, montrerait probablement que celle-ci se caractérise par le même type d’ambivalence. Cependant, il nous semble nécessaire, dans un premier temps, d’étudier les facteurs qui contribuent au maintien de cette ambivalence et de l’idée d’un basculement au moins possible de la population dans l’irrationalité, ce que nous souhaitons faire dans cet article.
  • [2]
    Les rares travaux empiriques dédiés aux représentations que les décideurs politiques et experts se font de la population ont montré la persistance de ces représentations irrationalisantes (Bauer, Allum et Miller, 2007 ; Besley et Nisbet, 2013). Ce phénomène a aussi été documenté dans plusieurs études portant sur des controverses socio-techniques et la gestion des risques (Barbot, 2002 ; Dodier, 2003 ; Chateauraynaud, 2008).
  • [3]
    Les sources médiatiques consultées ont été : Le Monde, Le Figaro, Libération, La Croix, Le Parisien/Aujourd’hui en France, France Soir, AFP, L’Humanité, L’Express, Le Point, Le Nouvel Observateur, Marianne, Le Journal du dimanche, Le Canard enchaîné, Valeurs actuelles, TF1 (Le journal de 13 h, Le journal de 20 h) ; France 2 (Le journal de 12 h, le journal de 20 h), Rue 89, Médiapart, Slate, Arrêts sur image.
  • [4]
    D’abord sous le nom de Service d’information et de diffusion qui prendra ce nouveau nom en 1996. Pour une description détaillée de l’histoire du SIG et de ses prédécesseurs éphémères, voir Ollivier-Yaniv, 2000.
  • [5]
    Trois exercices de gestion pandémique seront notamment organisés avant la grippe A en 2006, 2007 et mars 2009.
  • [6]
    Certains chercheurs se sont attelés à proposer des définitions et analyses de ces phénomènes qui échappent à ces implicites irrationalisants. Ainsi, plusieurs économistes présentent les cas de « panique » comme le produit stochastique de décisions réalisées en situation de pression et d’incertitude par des groupes d’individus mus par leur intérêt personnel et une rationalité adaptée au contexte (pour une revue de littérature, voir (Clarke et Chess, 2008). Certains sociologues préservent cette idée d’une rationalité des acteurs tout en insistant plutôt sur le manque de régulation collective qui caractérise ces situations (Johnson, 1987). De la même façon, la sociologie de l’adhésion aux « théories du complot » et de la propagation des « rumeurs » propose une définition de ces phénomènes qui suppose la rationalité des acteurs. L’adhésion à ces contenus cognitifs se fonde sur de bonnes raisons cognitives plutôt que sur une appréhension émotionnelle de la réalité (Aldrin, 2005 ; Bronner, 2009 ; Fassin, 2011). Cependant, toutes ces tentatives de redéfinition compréhensive et rationalisante de ces notions sont explicitement présentées par leurs auteurs comme des ruptures avec leur usage courant. Dans leur effort de redéfinition, ces auteurs montrent paradoxalement à quel point cet usage courant, notamment parmi les élites politiques, suppose l’irrationalité des actes et personnes qui sont ainsi désignés.
  • [7]
    Dans le document de bilan du volet « opinion » de l’exercice de mars 2009, on retrouve les termes de « peur » (23 fois), d’« anxiété » (5), de « rumeurs » (8) et de « panique » (16). On retrouve une proportion similaire de ces termes dans les documents tirés des exercices de 2005 et 2006, dont le terme d’« hystérie collective » dans celui de 2005.
  • [8]
    Le terme « inquiet » et ses variantes est utilisé 309 fois dans ces notes d’alerte.
  • [9]
    Ce qui constitue l’une des très rares commandes directes d’acteurs de la CIC grippe A au pôle analyse du SIG.
  • [10]
    Dont l’auteur revendique une approche « émotionnelle » de la population.
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