Notes
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[1]
Je remercie Lucie Jégat et Cécile Thomé pour leurs remarques qui ont permis d’améliorer ce texte.
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[2]
Le concept de style de vie se rattache aux analyses bourdieusiennes de La Distinction (1979), mais il connaît une médiatisation importante par d’autres biais, à la frontière entre champ académique et champ littéraire (Macé, 2016) ou économique (Cathelat, 1990).
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[3]
Le terme désigne les hommes qui se soucieraient particulièrement de leur apparence.
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[4]
Les traitements statistiques ont été réalisés avec les logiciels R, Iramuteq et TXM.
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[5]
On s’est borné aux catégories qui étaient l’objet d’un nombre suffisant d’articles. Ainsi, ont été abandonnés : boubour, preppy, normcore, yuccie, métrosexuel, cagole, péquenaud, nerd.
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[6]
Les analyses se bornent aux articles publiés après 2000, où les archives en ligne de la majorité des journaux sont disponibles. Quatre journaux ont été ajoutés manuellement car ils n’étaient pas sur Europresse : Vice, Slate, Les Inrockuptibles et Madmoizelle.
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[7]
Les modes de fonctionnement diffèrent : cela peut être une fonction à part entière, mêlée au secrétariat de rédaction, ou le fruit de négociations en conférence de rédaction.
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[8]
C’est sur ces deux aspects que repose l’enquête qualitative que je mène dans le cadre de ma thèse.
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[9]
Voir aussi le travail que j’ai mené sur la trajectoire de Cabu, créateur du « beauf » (Roquebert, 2012).
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[10]
Les définitions sont issues du Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/.
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[11]
La méthode Reinert sépare le corpus en segments de texte, puis opère une classification descendante hiérarchique, en fonction des termes co-occurrents au sein de ces textes, pour classer ces fragments en plusieurs classes.
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[12]
Dans d’autres classifications, une cinquième classe culturelle s’ajoute : celle de la mode (avec des termes comme pantalon, robe, collection).
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[13]
On trouvera une analyse plus complète des thèmes spécifiques de chacun de ces styles de vie en annexe.
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[14]
Dans cette analyse, on a limité les articles à ceux publiés après 2010, afin de ne pas forcer l’association entre les termes et les journaux les plus récents.
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[15]
Florent me conseille par exemple de faire un entretien avec une journaliste parce qu’elle « a toujours eu le nez pour dénicher la nouvelle tendance ».
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[16]
D’autres relais sont importants : la radio (invitation dans des matinales) ou des reportages auxquelles ces producteurs peuvent participer.
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[17]
Dans la constitution du corpus, cela s’est vu par l’existence de beaucoup de doublons d’articles, qui ont alors été enlevés pour ne garder que les dépêches AFP.
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[18]
On retrouve ce type d’analyse dans la linguistique féministe étudiant les discours traitant de « la » femme, ou les différences d’usage entre les adjectifs « femme » et « homme ». Voir par exemple (Khaznadar, 1990 ; Baider, 2004).
-
[19]
Lorsque ce n’est pas le cas, ces catégories désignent souvent exclusivement des femmes : cagole, blonde, etc.
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[20]
On notera aussi que les usages les plus descriptifs (un / une « X ») sont plutôt bien répartis entre les catégories (si ce n’est celles qui s’utilisent avant tout comme adjectif).
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[21]
Il aurait déclaré en 2016 « mon électorat, ce sont des ploucs ».
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[22]
Voir, par exemple, les propos d’Annick Rivoire, qui a introduit le terme bobo en France, dans le débat entre sociologues et journalistes qui conclut l’ouvrage sur les bobos (Authier et al., 2018, p. 169-171). Je retrouve également cette idée dans mes entretiens.
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[23]
En effet, l’usage du singulier pour désigner le groupe est ici lié à la terminaison en aille, qu’on retrouve dans d’autres usages (par exemple, la canaille).
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[24]
Par exemple, plusieurs articles qui associent racaille et les joueurs Benzema ou Anelka sont des commentaires d’un livre de Daniel Riolo intitulé « Racaille football club ».
1L’objet de cet article est de rendre compte de la circulation différenciée de catégories labellisant des groupes sociaux au sein du champ journalistique [1]. Ont été retenus les termes suivants : beauf, bobo, hipster, racaille, bourge, BCBG, hippie, dandy, geek, baba cool, plouc, prolo. Si ces catégories ont des fonctions différentes et des histoires distinctes, elles caractérisent toutes symboliquement certains des domaines de la pratique (vote, alimentation, décoration, profession, etc.) et seront désignées ici sous le terme de « styles de vie [2] », car chacune d’entre elles peut faire l’objet d’un portrait – individuel ou collectif –, où le terme est censé désigner un groupe social réel. Si elles peuvent être utilisées comme adjectif – des qualificatifs attribuant des caractéristiques à un objet –, elles s’emploient également toutes comme nom commun, les caractéristiques se transformant en propriétés essentielles d’un groupe. Cela révèle donc, à des degrés divers certes, des stéréotypes dans les représentations des groupes sociaux dont il est question, en établissant des « frontières symboliques » (Lamont, 1995) entre ces derniers. C’est donc dans un sens descriptif – et non comme un concept analytique – que le terme de style de vie est employé ici. Ces catégories remplissent quatre fonctions, dans une interaction ou dans un texte. Elles permettent : de décrire, c’est-à-dire de caractériser des individus ; de nommer, c’est-à-dire de regrouper sous un même substantif différentes personnes ; de classer, c’est-à-dire de hiérarchiser les groupes entre eux ; et enfin, étant le plus souvent normatives ou critiques, elles permettent de juger les pratiques, les individus ou les entités collectives qu’elles désignent.
2Les représentations véhiculées par ces catégories sont performatives (Austin, 1991) : en mettant l’accent sur des divisions particulières entre des groupes, elles agissent sur la perception du monde social et rendent invisibles certains groupes et rapports de domination. Ces catégories sont donc dans un rapport de concurrence plus ou moins explicite avec des classements scientifiques. Le titre polémique de l’ouvrage qu’ont publié récemment plusieurs spécialistes de la gentrification en est un exemple : Les bobos n’existent pas (Authier et al., 2018). L’introduction est éclairante : les auteurs montrent, sous la forme d’un réquisitoire, ce qui fait de « bobo » une catégorie insatisfaisante, à l’inverse d’un terme comme « gentrifieur ». Il existe donc une lutte entre différents prescripteurs de dénomination des groupes sociaux.
3Journalistes et sociologues ne sont pas les seuls acteurs de cette lutte : c’est souvent à la frontière d’autres champs qu’elle se joue, les agents actifs dans ces processus ayant souvent des positions multiples. Ainsi Cabu, lorsqu’il crée le personnage « Mon Beauf » se situe entre champ journalistique et champ artistique (Roquebert, 2012). David Brooks, lorsqu’il écrit Bobos in Paradise, cherche à conquérir une position légitime au sein du « journalisme de commentaire », entre champ académique et champ journalistique (Authier et al., 2018, p. 18-22). On peut aussi penser au psychologue social de formation Bernard Cathelat qui, lorsqu’il invente la méthode des « sociostyles », revendique à la fois son appartenance à l’université et sa proximité avec les praticiens de la sphère privée (Georgakakis, 1997). Le monde économique peut également être l’instigateur de nouvelles catégories « à succès », comme c’est le cas du « métrosexuel [3] ». Ce terme a été diffusé par l’agence de communication Havas au début des années 2000, suite à une étude de marché où il s’agissait de convaincre des entreprises de créer plus de produits de beauté à destination des hommes, en montrant qu’il y avait des « parts de marché » à conquérir.
4Si l’étude se centre toutefois sur les pratiques journalistiques, c’est qu’elles occupent une place centrale dans la diffusion de représentations du monde social. Dans un univers concurrentiel où les journalistes se lisent entre eux, lorsqu’une nouvelle catégorie est proposée, les articles mobilisant cette catégorie se multiplient rapidement. Les termes, en étant retraités et traduits pour répondre aux enjeux du champ médiatique, peuvent alors changer de sens. La position des acteurs de la diffusion de la catégorie (rédacteurs, rédacteurs en chef, titreurs, interviewés, etc.) intervient alors dans la transformation de sens. Ces productions symboliques doivent en effet être pensées comme les résultats d’une division du travail, au sein d’une rédaction mais également entre une rédaction et l’environnement étudié par le journaliste (Berthaut, 2013), pour questionner le lien entre organisation du travail journalistique et modes de représentation de la réalité sociale (Siracusa, 2000). Il faut cependant rappeler que si les médias sont des opérateurs d’une socialisation linguistique qui contribue à l’intériorisation de représentations différenciées, seule une étude de réception peut en établir l’effectivité (Katz et al., 2008 ; Lignier et Pagis, 2017, p. 234-237), d’autant plus que les usages des productions médiatiques varient en fonction des milieux sociaux (Goulet, 2010).
5L’objet de cet article est donc d’étudier les productions discursives mettant en scène ces figures sociales, en les liant à la place qu’occupent les producteurs de ces discours dans un espace concurrentiel, celui du champ médiatique. Il existerait une homologie entre la position du créateur d’un terme et le type de catégorisation qu’il propose (Georgakakis, 1997) : par exemple, c’est par intérêt idéologique ou via une socialisation adéquate que vont être produites des catégories brouillant les rapports de classe. Cela suppose que l’utilisation de ces styles de vie est structurée par le champ médiatique, c’est-à-dire qu’il y a des usages spécifiques à chacun de ses pôles – intellectuel, commercial, généraliste, etc. Il s’agira donc, une fois qu’on les aura situés historiquement et thématiquement, de montrer comment ces termes sont produits et circulent différemment dans cet espace. Mais cela suppose aussi que ces catégories ne représentent pas les rapports entre groupes sociaux de la même manière : on montrera comment certaines impliquent plus l’idée d’un groupe social comme acteur historique, quand d’autres relèvent plus d’une caractérisation individuelle ou d’une stéréotypie caricaturale. On pourra alors montrer comment les journalistes font des usages croisés de certains de ces termes pour produire des jugements sociaux sur des groupes invoqués par ces catégories. Enfin, on verra que chacun de ces termes admet une pluralité d’usages, s’ajustant à la position du locuteur dans le champ journalistique.
6Méthodologiquement, répondre à ces questions suppose d’articuler une analyse objectivant un champ médiatique avec des mesures permettant de saisir des disparités lexicales et thématiques entre des textes [4]. On s’appuiera donc sur des techniques d’analyse textuelle qui permettent cette articulation ainsi que sur quelques entretiens exploratoires, menés auprès de journalistes producteurs de catégories pour désigner des groupes sociaux, dans lesquels ces derniers reviennent sur leur trajectoire qui les a menés à écrire un livre à propos d’une nouvelle catégorie sociale.
Des catégories de classement historiques aux thématiques variées
Les titres d’articles, instruments d’une stratégie de démarcation dans le champ
7Le corpus étudié est constitué de l’ensemble des articles de presse française qui emploient dans leur titre un des termes suivants : beauf, bobo, hipster, racaille, bourge, BCBG, hippie, dandy, geek, baba cool, plouc, prolo [5]. La base utilisée est Europresse, qui rassemble la plupart des journaux francophones à fort tirage, ainsi que quelques titres de la presse internet (Rue89, Huffington Post [6]).
8Les articles ont été sélectionnés s’ils contenaient une de ces catégories dans leur titre. Ce choix répond à plusieurs exigences. D’une part, pour favoriser le traitement du corpus et limiter le nombre d’articles. D’autre part, le fait qu’une catégorie soit utilisée dans un titre la publicise d’autant plus et il semble donc justifié de ne prendre en considération que les articles qui les mettent en valeur. En effet, comme le montre l’analyse de Nicolas Hubé portant sur la « une » des quotidiens français et allemands (Hubé, 2008), le titre d’un article répond à une double exigence. En tant que « vitrine » du titre de presse, il doit viser un lectorat « cible », en l’attirant vers un contenu approprié ; mais il doit également s’adresser à une « communauté nationale ». Les titres sont à la fois l’objet d’une stratégie commerciale (vendre le plus possible ou obtenir un maximum de « vues ») et la carte d’identité du journal (affirmer sa spécificité dans le champ). En somme, ils peuvent être analysés comme des labels utilisés pour se (dé)marquer dans un espace concurrentiel.
9S’intéresser aux titres des articles permet aussi d’insister sur la division du travail au sein d’une rédaction : le rédacteur d’un article n’est pas nécessairement le titreur de celui-ci. À l’image des « monteurs » des reportages du journal télévisé analysés par Siracusa (2000), l’opération de donner un titre [7] est le produit d’une interaction, où les acteurs doivent s’accorder pour penser que la catégorie utilisée est pertinente. Par ailleurs, dans certains organes de presse sur Internet, comme Slate, ces interactions aboutissant au choix d’un titre ne se limitent pas à la rédaction, puisque le rédacteur d’un article propose trois titres, qui sont chacun testés au moment de la mise en ligne, pour ne conserver finalement que celui qui a généré le plus de « clics » sur la page de l’article. En somme, étudier les titres permet à la fois de saisir les enjeux de placement au sein du champ médiatique et de mettre l’accent sur le produit d’une division du travail au sein d’une rédaction [8].
Les catégories, des productions symboliques institutionnalisées
10Les articles étudiés ici mentionnent donc une des catégories de style de vie qui fondent le corpus. Celles-ci sont le fruit d’un travail de création, diffusion, reprise, réinterprétation et institutionnalisation. La position des acteurs de ces processus peut être objectivée, comme le fait Tissot lorsqu’elle analyse la trajectoire de David Brooks, l’inventeur des « bobos » (in Authier et al., 2018) [9]. Une des grandes étapes dans leur institutionnalisation est l’entrée dans les différents dictionnaires, dont un des derniers exemples est l’entrée du terme hipster dans le Larousse 2017.
Définition des catégories selon le Larousse [10]
Beauf : type de Français moyen, réactionnaire et raciste, inspiré d’un personnage de bande dessinée.
Bobo : personne plutôt jeune, aisée et cultivée, affichant son anticonformisme.
Hipster : jeune urbain qui affiche un style vestimentaire et des goûts empreints de second degré, à contre-courant de la culture de masse.
Racaille : populace méprisable, catégorie de personnes considérées comme viles.
Bourge : bourgeois.
Geek : fan d’informatique, de science-fiction, de jeux vidéo, etc., toujours à l’affût des nouveautés et des améliorations à apporter aux technologies numériques.
Hippie : adepte d’une morale fondée sur la non-violence et l’hostilité à la société industrielle, et d’un mode de vie prônant la liberté dans tous les domaines, ainsi que la vie en communauté.
BCBG : abréviation de « bon chic bon genre ».
Plouc : qui a l’allure maladroite et gauche d’un paysan endimanché, qui ignore les usages.
Babacool : personne qui, dans les années 1970, perpétuait la mode hippie.
Dandy : homme qui affecte une suprême élégance dans sa toilette, ses manières, ses goûts.
11Le corpus regroupe donc 7 700 articles, dont on peut voir la répartition par catégorie sur la figure 1 page suivante. Certains termes sont beaucoup plus employés que d’autres, ce qui a de multiples explications : l’ancienneté de la catégorie, son institutionnalisation, son applicabilité à divers contextes, la possibilité de jouer sur les sonorités du mot dans un titre, etc. On peut toutefois noter que les catégories offrant une vision plus iréniste du monde social (bobo, dandy ou geek) sont plus utilisées que celles qui s’inscrivent dans un registre plus frontal (prolo ou beauf), constat que l’on peut lier au fonctionnement commercial du champ médiatique (d’autant plus vrai en ce qui concerne les titres des articles), c’est-à-dire à la nécessité d’offrir des représentations qui ont moins de chances de heurter un lectorat spécifique.
12Productions symboliques historiquement situées, comme on le voit sur la figure 2, ces catégories ont un usage qui évolue au cours du temps. Ainsi, certaines catégories connaissent un succès croissant ces dernières années, comme hipster et geek. Le terme « racaille » est également intéressant : il est fortement employé entre 2005 et 2007, suite à la phrase de Nicolas Sarkozy, en 2005 lors d’une visite à Argenteuil (« Vous en avez assez de cette bande de racaille, on va vous en débarrasser »). L’expression est ancienne mais elle change de sens avec cet événement, qui contribue à l’associer à la jeunesse des banlieues populaires (Mauger, 2010). Ce cas souligne le rôle ambigu des représentants des institutions étatiques mais aussi du traitement qu’en font les médias, en tant que producteurs légitimes de discours. Ce type d’affaire émanant d’une « petite phrase » en amplifie l’usage, quand bien même les journalistes utiliseraient la formule du ministre pour la critiquer : racaille devient une manière courante et légitime de désigner la jeunesse des classes populaires.
13Ces fluctuations permettent de voir des « effets de mode », ce que les journalistes perçoivent comme étant « dans l’air du temps ». Les usages peuvent alors diminuer, si le terme n’apparaît plus comme opératoire. C’est, par exemple, ce qui est arrivé au « métrosexuel ». Une fois la nécessité économique passée (convaincre qu’il s’agissait d’une nouvelle catégorie de consommateurs à conquérir), ce terme est devenu rapidement inusité. On peut ainsi supposer que les catégories qui ont une fonction économique, ou celles qui viennent du monde du marketing et de la communication, ont une durée de vie plus courte que celles qui sont produites par des agents plus proches du champ médiatique. Dans le même temps, de nouveaux termes sont proposés pour désigner la nouvelle « tendance » et le remplacement d’un groupe social par un autre (par exemple « Les hipsters, c’est fini, voici les yuccies », Libération, 2015), processus lié à l’exigence de nouveauté qui gouverne le champ journalistique.
Figure 1. Nombre d’articles par catégories
Figure 1. Nombre d’articles par catégories
Figure 2. Répartition de chaque catégorie par année
Figure 2. Répartition de chaque catégorie par année
Quatre mondes lexicaux : culturel, politique, socio-économique et technologique
16Afin d’avoir une vision générale du corpus et des thématiques associées aux catégories analysées, une classification a été réalisée selon la méthode Reinert [11] (Marpsat, 2010 ; Pan Ké Shon, 2013 ; Reinert, 1993), dont les résultats apparaissent sur la figure 3 page suivante. Les listes des mots caractéristiques de chacun des clusters formés par cette méthode permettent d’établir les « mondes lexicaux » de chaque partie du corpus.
17Huit classes de textes sont ainsi distinguées en fonction de leur lexique. La structure du corpus est binaire : d’un côté, des textes qui développent un vocabulaire culturel, de l’autre, un vocabulaire mêlant politique, économie, social et technologie. Ainsi, dans le premier pôle, on retrouve quatre mondes lexicaux culturels, centrés sur différents domaines artistiques : la musique (classe 8), le cinéma (classe 3), la littérature (classe 4), la gastronomie et les vacances (classe 7) [12]. Le second pôle oppose deux types de mondes lexicaux. D’un côté, des mondes lexicaux politiques (classe 6) et économique (classe 5), de l’autre, des mondes lexicaux technologiques, centré sur des aspects techniques (classe 1) ou sur des activités ludiques (classe 2). Cette classification permet de penser des premiers liens entre catégories. Par exemple, les termes geek (associé aux deux mondes lexicaux technologiques) et racaille (associé au monde lexical politique) sont isolés des autres, c’est-à-dire que le lexique des articles qui les emploient est spécifique. Par ailleurs, les textes utilisant bobo et prolo sont souvent classés avec le monde lexical socio-économique, tandis que les autres catégories gravitent autour des mondes lexicaux à dominante culturelle. Ainsi, les usages dominants des catégories sont liés à des domaines différents de la pratique et à des thématiques variées. L’étude des mots le plus souvent associés à une catégorie, c’est-à-dire l’étude de son « fonds discursif » (Lahire, 2005), permet de préciser les représentations véhiculées par ces termes [13] : les bobos sont parisiens (36 occurrences), les racailles en bande (15), il existe une allure (21) et un look (11) dandy, une mode (15) et une barbe (5) hipster, etc. Quoi qu’il en soit, plus que désigner des groupes sociaux différents, ces catégorisations s’inscrivent dans des logiques thématiques différentes. Il s’agit donc de relier ces mondes lexicaux à des positions dans le champ journalistique : dans quels espaces ces catégories circulent-elles ?
Figure 3. Les mondes lexicaux du corpus
Figure 3. Les mondes lexicaux du corpus
La circulation des styles de vie dans le champ médiatique
Des producteurs à la marge du champ médiatique ?
19Le champ médiatique est généralement analysé comme structuré autour de deux oppositions : un pôle « généraliste » contre un pôle « spécialisé » et un pôle « commercial » contre un pôle « intellectuel ». Ces oppositions renvoient à la fois au public (des publics qui attribuent notamment des fonctions différentes à la lecture de presse) et aux propriétés des médias eux-mêmes (structure de financement, formation des journalistes, etc.). Par exemple, la presse quotidienne régionale a un lectorat beaucoup plus populaire que la presse quotidienne nationale (Dumartin et Maillard, 2000).
20Dans un contexte où ce champ est éclaté en différents sous-champs spécialisés relativement autonomes, et ce au sein même des rédactions (Marchetti, 2002), on peut s’interroger, à la manière dont Duval a étudié le journalisme économique (Duval, 2004), sur la place qu’occupent les articles qui utilisent une des catégories étudiées ici dans le champ médiatique. Est-ce une presse particulière qui définit et fait circuler ces styles de vie ? Des titres de presse semblent en effet se spécialiser dans la description de nouvelles catégories sociales et dans la diffusion des termes inventés pour les décrire, notamment ceux qui ont les rubriques « lifestyle » les plus importantes. Il s’agit donc de tester quantitativement cette hypothèse d’une congruence entre des formes de journalisme et l’utilisation de ces styles de vie.
21Cependant, c’est également dans les trajectoires individuelles des journalistes qu’il faut chercher pour comprendre l’apparition et le succès de certains de ces termes. L’hypothèse que je peux tirer des entretiens exploratoires que j’ai menés auprès de producteurs de nouvelles catégorisations de groupes sociaux est que ces derniers sont plutôt « à la marge » du champ médiatique : souvent non titulaires d’une carte de presse, ils ne sont pas issus des formations au journalisme les plus légitimes et se présentent comme loin des circuits journalistiques traditionnels. Par ailleurs, ils ont fréquemment suivi une formation à la sociologie ou à des disciplines connexes, ce qui les rend sensibles à une approche du monde social par l’élaboration de types sociaux. C’est par exemple la position et le parcours de Sylvain, ancien journaliste de Slate, qui a publié un guide sur les bobos et récemment un ouvrage sur les hipsters, ou celle de Florent, dont le livre, qui propose une nouvelle catégorie de perception des classes supérieures, est un « essai d’anthropologie sociale » au ton satirique. Ce dernier a une position encore plus marginale car il n’a jamais été journaliste et travaille dans la communication, mais il entretient des liens assez proches avec un certain nombre de journalistes parisiens, ce qui a permis à son ouvrage d’avoir un « succès d’estime ». À côté des producteurs de catégories, on retrouve néanmoins des journalistes au parcours plus classique qui vont jouer un rôle important dans la diffusion de celles-ci et dans leur potentielle institutionnalisation. Dans quels espaces vont-elles alors être utilisées de façon préférentielle ?
Les pôles intellectuels et culturels du champ, plus gros usagers de ces catégories
22Au niveau agrégé, on voit sur la figure 4 que ce sont à la fois des quotidiens régionaux (Ouest-France, Le Parisien, Le Progrès), des quotidiens nationaux (Le Figaro, Libération, Le Monde, L’Humanité, la Croix) et des magazines d’actualité hebdomadaire (Le Point, L’Express, Télérama) qui utilisent le plus ces catégories. Cependant, afin de neutraliser le fait que certains journaux publient plus d’articles que d’autres, la figure 4 présente également le ratio entre le nombre d’articles dans le corpus (à partir de 2012) et le total des articles du journal publié dans Europresse.
23Ainsi, un article sur mille de Marianne utilise une des catégories étudiées ici, ce qui n’est le cas que d’un article sur cent mille d’Ouest France. Si la presse hebdomadaire généraliste est moins présente que la presse quotidienne, elle utilise relativement plus souvent ces catégories. Numériquement, Marianne, Libération, L’Express ou Télérama sont donc des espaces importants de circulation de ces termes tout comme, dans une moindre mesure, Le Monde et Le Figaro. À l’inverse, la presse quotidienne régionale et des journaux comme La Croix ou L’Humanité emploient relativement peu souvent ces catégories. On peut donc formuler l’hypothèse qu’elles circulent mieux dans les pôles intellectuels et culturels dominants du champ journalistique (par opposition à un pôle populaire et à un pôle à plus forte tonalité politique). Cependant, pour mieux comprendre ces circulations, il faut regarder les usages différenciés de chaque catégorie en fonction du titre de presse.
Figure 4. Nombre d’articles par titre de presse
Figure 4. Nombre d’articles par titre de presse
La presse internet lifestyle, lieu privilégié d’apparition des nouvelles catégories
25Les variables que l’on prend pour mesure sont le nombre d’articles par catégorie pour chaque titre de presse [14]. On part donc d’un tableau de contingence entre les journaux et les catégories. Par une analyse factorielle des correspondances (AFC), on réduit les dimensions de celui-ci pour en faire émerger la structure, c’est-à-dire les associations entre journaux et catégories. Sur la figure 5 page suivante, sont donc représentés les deux premiers axes de cette AFC.
26Le premier axe oppose les usagers de hipster à ceux de geek. Cette opposition renvoie à deux pôles du champ journalistique : d’un côté, la presse lifestyle publiée sur Internet (Konbini, Slate, Huffington Post), dont les rédactions sont situées à Paris et dont le lectorat est principalement composé de jeunes urbains ; de l’autre, la presse quotidienne régionale (Le Progrès, La Montagne, La Voix du Nord), dont le lectorat est plus populaire et âgé.
Figure 5. AFC catégories et titres de presse
Figure 5. AFC catégories et titres de presse
28Comme les titres de la presse nationale généraliste sont plus proches des geeks que des hipsters, on peut interpréter cet axe comme opposant le pôle généraliste du champ journalistique à des titres de presse plus spécialisés dans les nouveaux styles de vie, qui peuvent jouer le rôle de prescripteur, détectant les nouvelles « tendances [15] ». Cette interprétation est renforcée par le fait que toutes les catégorisations récentes qui n’ont pu être analysées faute d’effectifs suffisants apparaissent d’abord dans cette presse avant d’être éventuellement diffusées dans la presse « papier » plus classique.
29Le deuxième axe oppose les médias utilisant ces deux catégories (geek et hipster), à ceux qui utilisent des termes comme prolo, bourge et, dans une moindre mesure, racaille. Cet axe oppose des journaux dont la composante partisane est forte (L’Humanité, Marianne, Valeurs actuelles) à des journaux où cette dimension est faible et qui sont proches du pôle commercial. Les journaux gratuits sont caractéristiques de ce pôle : on peut supposer que leur stratégie commerciale est de ne pas utiliser de catégories trop clivantes afin de s’assurer une large audience. Les journaux de la presse économique se situent également dans ce pôle commercial. En revanche, l’autre pôle de cet axe s’interprète plutôt en termes de disposition à prendre parti que comme incarnation d’un pôle intellectuel. On peut alors noter un rapport d’homologie entre le type de presse et les catégories auxquelles elles sont associées, puisque ce pôle partisan utilise des catégories qui semblent mettre en opposition des groupes sociaux (les bourges contre les prolos) ou favoriser l’expression d’un jugement social (les racailles) alors que, de l’autre côté, les catégories mobilisées proposent davantage une vision irénique des rapports sociaux.
Le pôle intellectuel, garant de l’institutionnalisation des styles de vie
30Le pôle intellectuel du champ, incarné par des titres de la presse nationale comme Le Monde, Libération ou Télérama, qui bénéficient encore d’un fort pouvoir symbolique (Neveu, 2013), est au centre de l’AFC, signe d’une relative indifférenciation de ces journaux dans l’utilisation de ces catégories. Or, cette position n’est pas synonyme d’une moindre participation à la constitution de ce champ mais au contraire de leur centralité. Comme on l’a vu sur la figure 4, ils sont parmi les journaux qui ont la plus forte propension à utiliser ce type de catégorisation. Nos entretiens nous apprennent qu’ils jouent un rôle majeur dans leur diffusion et leur institutionnalisation : par exemple, lorsqu’une nouvelle catégorie est proposée, la publication d’un article qui traite de celle-ci dans Le Monde ou Libération est perçue par son créateur comme le point d’orgue de sa publicisation [16]. Ces articles prennent la forme d’une interview de son inventeur, de portraits d’individus la représentant ou d’un discours général sur l’évolution des groupes sociaux et viennent généralement valider et louer le nouveau terme en question. Ainsi, si c’est dans la presse Internet « style de vie » que les nouvelles « tendances » sont perçues et que de nouveaux termes émergent, c’est lorsqu’ils sont utilisés dans la presse du pôle intellectuel qu’un processus d’institutionnalisation commence.
31L’AFP (Agence France Presse) est un autre acteur important de ce processus. Ce « journalisme de routine », consacré notamment à la reprise des communiqués et aux écoutes des émissions politiques, qui « accorde la primauté aux fameuses petites phrases » confère à l’AFP « sa dimension institutionnelle la plus manifeste » (Lagneaux, 1997). Ainsi, une fois une catégorie publicisée, elle est utilisée par des acteurs du monde social et peut être perçue comme devant être citée et rapportée dans une dépêche. C’est ce que l’on observe, sur la figure 5, dans la proximité entre l’AFP et racaille. Ce terme est celui où les usages sont le plus souvent des citations. Or ces citations sont la source d’« affaires » médiatiques, partant de dépêches AFP, souvent reprises dans les autres journaux [17], ce qui favorise la diffusion d’une catégorie, mais aussi sa légitimation et son institutionnalisation au sein du champ médiatique.
32Ainsi, la circulation de ces catégories dans le champ médiatique est soumise à ses règles de fonctionnement propre (recherche de nouveauté, institutionnalisation, etc.) et les différents pôles de cet espace mobilisent des catégories différentes. On a ainsi dit que le pôle commercial favorisait des catégories brouillant les rapports de classe. C’est cette idée de types différents de catégorisation des individus et des groupes sociaux qu’il s’agit dorénavant de creuser.
Décrire des individus, classer des groupes, juger des pratiques
Des groupes sociaux et des stéréotypes
33On peut alors se demander si les styles de vie étudiés ici sont des labellisations de phénomènes sociaux et collectifs, s’ils désignent des groupes ou plutôt des individus, et surtout, si le type de désignation à l’œuvre ne varie pas en fonction des catégories. Pour répondre à ces questions, on étudie les formes des occurrences des catégories. En effet, cela n’a pas le même sens de désigner un groupe par un nom commun, d’attribuer à un objet une caractéristique par un adjectif, ou de décrire un individu comme membre effectif d’une catégorie [18]. Il s’agira alors de voir si ces manières différentes d’invoquer des styles de vie sont liées à des logiques de fonctionnement du champ médiatique.
34Pour toutes ces catégories, on retrouve des marques textuelles indiquant une montée en généralité dans les usages du terme. Ainsi, il existe souvent des dérivés pour désigner un phénomène social, comme boboïsation (19 occurrences) ou boboïsme (11). Celui-ci peut devenir une qualité applicable à l’échelle individuelle : beauferie (15), geekitude (21). Plus le processus d’institutionnalisation de la catégorie est fort et plus les dérivés pour désigner un phénomène social sont importants, comme en témoigne le nombre d’occurrences de dandysme (265). Ces catégories désignent également des phénomènes collectifs du fait de la redondance d’expressions labellisées comme relevant d’un groupe social : mouvement hippie (108 occurrences), culture geek (325), univers geek (37), communauté hippie (24) et geek (28). On peut toutefois se demander si cela ne diffère pas en fonction des termes.
35Pour cela, on limite le corpus au mot qui précède la catégorie, recodé selon les règles données en annexe. On constate ainsi que les occurrences féminisées de ces catégories sont très faibles. Il existe également peu de variantes de ces catégories spécifiques aux femmes, à l’exception du terme geekette (37 occurrences). On peut lier cela à leur mode de fonctionnement androcentré [19] et à la règle du « masculin neutre » (supposé représenter l’universel). Cela contribue donc à l’invisibilisation des femmes dans les représentations des groupes sociaux.
36Afin de systématiser l’étude des types de catégorisation, trois critères sont employés pour distinguer les occurrences des termes :
- l’utilisation de la catégorie comme nom commun (catégorisation) ou comme adjectif (caractérisation) ;
- lorsqu’il s’agit d’un nom, le nombre d’individus désignés : un groupe (collectif) ou un individu (singulier) ;
- lorsqu’il s’agit d’une désignation au singulier, l’utilisation d’un article indéfini, dans un registre descriptif, ou d’un article défini, signe d’une montée en généralité par l’utilisation d’un stéréotype.
38Sur la figure 6, est représenté le premier plan factoriel d’une AFC sur le tableau croisant catégorie et mot qui la précède.
Figure 6. AFC entre les catégories et le mot qui les précède
Figure 6. AFC entre les catégories et le mot qui les précède
40Le premier axe oppose des usages adjectivaux (à gauche), puisque les termes sont souvent précédés d’un nom ou d’un verbe, à des usages nominaux (à droite), puisque les termes sont précédés d’un article ou d’un adjectif, c’est-à-dire des catégories qui qualifient des objets à des catégories qui désignent des individus. Le second axe oppose des usages pluriels (en haut) à des usages singuliers (en bas), c’est-à-dire des catégories qui désignent des collectifs aux désignations particulières. Plusieurs types de catégories apparaissent alors [20] :
- Geek, bcbg et hippie sont plus utilisés comme adjectif : il est relativement plus souvent dit dans le corpus que quelqu’un est geek qu’il n’est un geek (par rapport aux autres catégories). Ces termes relèvent donc plus de la caractérisation symbolique d’un objet, sous la forme d’une variable, que d’un processus de catégorisation qui est un processus plus totalisant.
- D’autres termes sont plus employés comme nom collectif (précédés de les, des ou de de + les) : prolo, plouc, bourge et racaille (dans une moindre mesure, bourge et bobo). Ce type de désignation est celui qui donne le plus de réalité au groupe social comme acteur historique. Or, il s’agit des catégories proches du pôle partisan du champ journalistique, ce qui confirme l’hypothèse d’homologie entre le type de classement employé et les intérêts des producteurs des discours.
- D’autres sont utilisés comme nom singulier : le beauf, le dandy. C’est ici une figure sociale qui est invoquée, le singulier étant le signe d’un processus de généralisation : à la différence des termes précédents, celle-ci ne renvoie pas à un groupe d’individus mais à un stéréotype, dont un des principes de fonctionnement est la réduction de l’identité d’une personne à l’énonciation d’un trait de caractère nominalisé (Amossy, 1991). Dans le cas du beauf, on peut rapprocher ce fait de son origine médiatique : une caricature satirique.
- Bobo et hipster s’emploient assez indifféremment par rapport à la moyenne des autres catégories. Cependant, hipster est plus souvent utilisé au singulier que bobo : étant donné la proximité des objets symboliques associés à ces deux termes, le hipster serait donc une forme de représentation individualiste des bobos. Hipster étant l’apanage de la nouvelle presse lifestyle, on peut supposer que cette individualisation est liée à un ethos qui correspond plus à la vision du monde des acteurs de cette presse qu’une représentation en termes de groupes sociaux organisés.
42En somme, le type de catégorisation diffère en fonction des termes : ils ne désignent pas tous un groupe social historique mais peuvent qualifier des objets, quand d’autres fonctionnent plus à la manière d’un stéréotype. On peut alors se demander s’il n’existe pas des liens entre des catégories, qui désignent ensemble des oppositions dans l’espace social.
Oppositions des styles de vie et production de jugements sociaux
43Étudier les catégorisations indépendamment les unes des autres ne suffit pas. Il s’agit ici de voir comment les catégories étudiées font potentiellement système entre elles dans les productions journalistiques. Pour cela, on procède à une classification des titres par la méthode Reinert. On retrouve alors la même structure que lors de la classification basée sur le corps du texte des articles (figure 3) : une tripartition entre des termes technologiques (autour de geek), politiques (autour de racaille et de plouc) et culturelles (dandy, hippie, bobo, etc.), ce qui confirme l’hypothèse de catégorisations thématiques différentes.
44Le regroupement de racaille et plouc au sein de la même classe n’est pas lié au fait que ces termes sont souvent employés ensemble, mais au fait qu’ils partagent les mêmes co-occurrents. Celui qui revient le plus est Sarkozy : dans les deux cas, ses déclarations ont beaucoup été commentées dans la presse [21]. Dans ce contexte, la presse joue à la fois un rôle de réceptacle et de diffusion. Même lorsqu’elle critique la phrase qu’elle relate, elle légitime son usage – et ce d’autant plus lorsque le producteur du discours détient un pouvoir symbolique important (comme dans le cas d’un ministre d’État). D’autres mots reviennent plusieurs fois dans les titres : par exemple, « traiter », ce qui relève également de la fonction de diffusion d’une affaire dans les médias (« Le patron d’AXA traite ses employés de “ploucs” et s’excuse », La Libre, 2016).
45Cependant, cela révèle aussi les usages d’une catégorie comme insulte. Lorsqu’ils visent une population particulière et sont assumés comme tels au sein d’un pôle polémiste (et ici réactionnaire) du champ médiatique, ces usages dépassent le stade du fait divers. C’est le cas du dossier, publié par Valeurs actuelles en 2016, intitulé « La France racaille », dont les titres sont éloquents : « Foot, rap et médias, la racaille académie », ou « L’arme idéologique de la culture banlieue ». Ces usages, entre description, jugement et insulte, visent à dévaloriser symboliquement une partie de la population (ici, la jeunesse des « banlieues »), le terme devenant une arme politique pour les défenseurs d’une vision du monde social. L’imbrication entre une catégorie de description, d’analyse et de jugement, au sein même des discours journalistiques, mêlant « jugements en indignité et constats empiriques » en renforçant et « en les systématisant, toute une série de présupposés non explicités » (Collovald, 2003, p. 25, sur les usages du terme « populiste ») renvoie à une forme de « stigmatisation du populaire » (Collovald, 2005) de la part d’agents du champ médiatique qui sont en position de domination.
Figure 7. L’espace thématique des titres des articles
Figure 7. L’espace thématique des titres des articles
47On retrouve également des jugements sociaux se présentant comme des analyses sociales lorsque deux catégories sont employées ensemble, comme dans la mise en parallèle récurrente entre beauf et bobo (« En se structurant, la population bobo a vu apparaître des bobeaufs. Là où le premier défend des valeurs, le second copie sans comprendre. », L’Express, 2007). C’est ici sur un registre d’opposition interne que les deux catégories sont employées, ce qui a pour fonction d’établir des frontières symboliques culturelles entre des populations en apparence proches.
48Un autre couple fréquent d’opposés est celui associant bobo et prolo (38 titres regroupent ces deux termes) :
Du prolo au bobo, le café citoyen est né.
Montreuil : plus bobo et moins prolo.
Paris : les bourgeois sont à l’ouest, les bobos à l’est et les prolos dehors.
52Les titres mettent en scène une opposition entre catégorie populaire et catégorie bourgeoise accentuée par l’usage de conjonction comme « ou », « entre », etc. Celle-ci peut témoigner d’une évolution (d’un quartier, d’un artiste, etc.), marquée par des structures du type « de… à… ». L’homophonie entre les deux termes est également un ressort pour les journalistes, dans l’écriture de leur titre : les variables linguistiques ne doivent pas être négligées pour comprendre le succès d’une catégorisation. De nombreux discours de journalistes viennent par exemple souligner que telle catégorie « sonne bien », « est facile à comprendre » ou « parle à tout le monde [22] », à l’opposé de termes perçus comme austères ou trop compliquées.
53La mise à distance du populaire ne se retrouve pas qu’avec bobo. Par exemple, le terme chic est souvent associé à d’autres catégories, comme hippie (21 occurrences), dandy (11) et même geek (8). Le terme sert alors l’évocation d’une opposition avec le populaire : « le quartier du bas-Montreuil est une banlieue populaire, sans chic » (Le Monde, 2004) ; « il a su recycler les mythes de la culture populaire, car le geek est devenu chic » (Libération, 2009). On retrouve également d’autres oppositions entre haut et un bas de l’espace social :
Prénoms BCBG, prénoms ploucs : quand votre signature révèle vos origines sociales.
Un plouc chez les bobos.
Hugo, l’aristo et le prolo.
57L’utilisation de ce schème apparaît ainsi comme une des modalités importantes de ce type de catégorisation : les journalistes peuvent le mettre en œuvre par des oxymores (« La grandeur des ploucs », Figaro, 2007). Cependant, il existe d’autres principes de classement qui visent à opposer des figures sociales :
Steve Jobs et Bill Gates, le hippie et le geek.
Paris la bourge contre Berlin la cool.
Les bobos piétinent à Milan. Les dandys piaffent à Paris.
61Ces oppositions sont structurées autour de variations de capital culturel ou de conceptions politiques différentes (par exemple des variations autour du couple facho/gaucho : « des propos de facho, mal déguisés sous un look bobo et une vulgate supposée gaucho », Libération, 2010). L’opposition n’est pourtant pas la seule manière de croiser les catégorisations. Il existe des procédés de mise en parallèle, d’énumérations, voire de croisements entre catégories :
Les hipsters, hippies 2.0.
Le « hipster » est mort, vive le « ploucster » !
En français de Belgique, beauf se dit baraki.
Une verte « bobo tendance BCBG », Florence Lamblin.
Bienvenue chez les hippies geeks de San Francisco.
Le « dandy prolo » de la chanson. Yves Jamait.
68Il peut s’agir d’instaurer une continuité entre des catégories distinctes, d’un point de vue chronologique (les hipsters comme nouveaux hippies) ou géographique (baraki comme beauf belge). Cette continuité entre deux catégories peut également être évoquée en les juxtaposant (les hippies et les babas) ou en utilisant une catégorie sous forme adjectivale pour en préciser une autre (hippies geeks, bobo BCBG). Cela donne lieu à des oxymores (dandy prolo, ploucster), qui laissent à penser que les frontières entre catégories – et éventuellement entre groupes sociaux – sont poreuses. La représentation sous-jacente de l’espace social est plus fluide, les catégories désignant moins des groupes sociaux que des caractéristiques individuelles.
69In fine, les couples catégoriels les plus présents dans les titres sont : bobo et prolo (registre d’opposition) ; hipster et bobo (registre chronologique) ; hippie et babacool (registre de juxtaposition). Or, on peut lier ces registres différents avec des positions dans le champ journalistique. Certaines associations sont les mêmes que celles révélées lors de l’étude croisant usage des catégories et journaux, alors que d’autres sont plus étonnantes : geek est l’apanage de la presse régionale, de la presse économique et des journaux gratuits (ces types de presse représentent 52 % des titres de la classe, alors qu’ils représentent 30 % des articles du corpus total), dandy est associé au Monde, à Libération et au Figaro (29 % des titres de la classe, contre 20 % sur l’ensemble du corpus). En tant que pôle intellectuel et garant de l’institutionnalisation de ces catégories, les productions de cette presse concernent plus volontiers des catégories antérieures (ils sont aussi fortement associés aux termes hippie, babacool et bcbg). Bobo et beauf sont eux associés avec le terme hipster dans une classe dominée par la presse lifestyle publiée sur Internet (Slate, Konbini).
70Les liens entre catégories sont cependant complexes, car les usages qu’on peut faire de chacune d’elles sont pluriels. On peut toutefois supposer que cette diversité intracatégorielle est également structurée par le champ journalistique, ce qui est l’objet de la prochaine section.
La variation des usages d’une catégorie dans le champ médiatique : les bobos et les geeks
71En étudiant les différences d’usage entre catégories, on a montré que les catégorisations variaient au sein du champ journalistique. Cette approche écrase les usages d’un terme autour de son point moyen et établit des relations entre des usages dominants. Or, ces termes ont la propriété de s’appliquer à des objets de nature diverse, avec des sens s’adaptant au contexte. Dorénavant, il s’agit donc de saisir la pluralité des usages de chacune de ces catégorisations prises séparément. Est-ce que la place dans le champ journalistique induit des usages différenciés de bobo (ou autre) ? En effet, comme le rappelle Collet et Authier dans leur étude des usages de bobo chez les populations gentrifieuses, le sens de l’expression varie du fait de « l’influence de l’espace habité et connu sur la représentation des groupes sociaux » car « l’espace social est très largement perçu à travers ce qui est vécu localement » (Collet et Authier, 2018, p. 87). La perception du monde social varie en fonction de la socialisation, ce qui implique l’usage de catégories différentes, mais aussi des significations différentes pour une même catégorie. Ce phénomène est d’autant plus important lorsqu’une notion voyage dans le champ médiatique, comme le souligne Georgakakis lorsqu’il évoque les usages des « sociostyles » dans les médias (Georgakakis, 1997).
72Sur la figure 8 page suivante sont représentés les mondes lexicaux issus de la classification du sous-corpus bobo. Les usages impliquant une description urbaine ou des questions politiques, qui sont dominants, représentent 43 % des articles ici classés (classe 2, 4 et 5). Le fait qu’eux-mêmes soient distincts en différentes classes indique d’emblée la pluralité de ces usages. Globalement, trois types d’utilisation de bobo émergent : un usage ayant trait à des produits culturels (classe 1), un autre qui implique la description d’un style de vie (classe 2, 3 et 6), et un dernier lié à des questions politiques (classe 4 et 5). Les classes sont liées à des titres de presse, ce qui permet de les situer dans le champ journalistique.
73Classe 1 (personnage) : dans cette classe, on retrouve des critiques cinématographiques (« Les invasions barbares : gros bobos chez les bobos », Le Monde, 2003 ; « Solutions pour écolo bobo », critique d’un film de Coline Serreau, La Tribune, 2010), mais aussi théâtrales ou littéraires. C’est ici que se situe les parallèles avec beauf (13 des 21 articles où les deux termes sont employés sont dans cette classe) : c’est dans la sphère du commentaire de produits culturels que le schème beauf/bobo fonctionne le mieux. Dandy apparaît également régulièrement dans cette classe (11 des 19 occurrences communes). Il n’y a pas d’association avec un positionnement dans le champ médiatique, car la plupart des organes de presse proposent des critiques de ce type : c’est plutôt au sein des rédactions que la division du travail opère. En revanche, la presse économique ou l’Humanité – dont on a vu qu’ils étaient peu usagers de la catégorie – sont surreprésentées dans cette classe, parce que c’est le seul emploi qui en est fait dans cette presse.
Figure 8. Les mondes lexicaux de bobo
Figure 8. Les mondes lexicaux de bobo
75Classe 2 (gentrification) : les articles de cette classe sont des descriptions de l’évolution sociale d’un quartier. Dire bobo permet d’évoquer la gentrification :
Pigalle est en pleine métamorphose depuis plusieurs années. Au fil des fermetures de sex-shops et peep-shows, le quartier chaud s’est mué en quartier bobo, boosté par la hausse des prix de l’immobilier.
« Harlem : Ghetto de bobos ».
78Cette classe est associée à la presse généraliste (L’Express, Le Monde, Le Point sont surreprésentés) qui utilise la forme du reportage pour enquêter sur un quartier, travail journalistique typique de ce type de presse.
79Classe 3 (bio) : les articles sont des descriptions de marchés ou de restaurants, où les termes gastronomiques sont surreprésentés. Bobo est alors mis en parallèle avec le caractère bio du lieu :
En quelques années, ce salon de thé british aussi bio que bobo est devenu une institution.
81Les descriptions sont associées à un lieu précis et bobo caractérise culturellement un lieu ou un produit, là où, lorsque le terme est plus associé à la gentrification, le terme désigne les habitants d’un quartier. La presse régionale est surreprésentée, ce qui correspond à une fonction de « guide », de prescripteur de lieux.
82Classe 6 (mode) : il s’agit d’articles de mode, dans lesquels bobo est souvent utilisé en complément d’autres catégories, comme hipster et hippie. Si la description physique du bobo est assez rare (car il est plus souvent caractérisé par ses pratiques de consommation ou ses idées politiques), la description d’un style vestimentaire est une modalité possible de l’usage de cette catégorie, ce qui appuie l’idée que le terme est employé pour désigner un style de vie.
83Classe 4 et 5 (politique) : ces articles sont centrés sur l’utilisation d’un vocabulaire politique, la première décrivant plutôt des campagnes électorales (les bobos comme électeurs) et sont spécifiques du pôle intellectuel du champ médiatique (particulièrement Libération), tandis que l’autre évoque des politiques locales et urbaines (les bobos comme habitants) et appartient surtout à la presse régionale.
84De la même manière, le terme geek n’est pas univoque et renvoie à différents types de catégorisation. Ainsi, la classification dégage une classe composée d’articles de la presse régionale (80 % des 490 articles du cluster), dont les termes spécifiques sont : tournoi, cosplay, visiteur, festival, etc. Il s’agit d’annonces ou de récits de manifestations culturelles centrées sur les nouvelles technologies :
“To geek or not to geek?” : qu’importe, le geek, c’est chic. C’est le fil rouge de cette 17e édition, peut-être parce que l’événement de la médiathèque de l’Europe court durant tout le festival.
86Il s’agit souvent de manifestations qui contiennent le terme geek, mais la catégorie est également reprise à leur compte par les journalistes pour monter en généralité et évoquer un phénomène qui serait collectif, comme dans la conclusion de cet article sur la Clermont Geek Convention : « la popularité de ces stars de l’immatériel prouve qu’il y a du geek dans tous ceux qui apprécient les nouvelles technologies » (La Montagne, 2016).
87La seconde classe est centrée sur la « culture geek » (surreprésentation de star_wars, série, batman, etc.). Tout comme pour bobo, la catégorisation joue un double rôle : geek qualifie le contenu d’un produit culturel (un personnage de geek), mais aussi le public fantasmé par le critique (une œuvre pour les geeks).
88La troisième classe est centrée sur les usages des nouvelles technologies : or, dans 55 % des articles de ce cluster, geek apparaît uniquement dans le titre. Le terme est employé pour capter l’attention du lecteur dans des articles descriptifs (« Un baladeur MP5 pour les geeks puristes », lsa.fr), ou est devenu une rubrique en tant que synonyme de « technologie » (par exemple une rubrique « Geek en 30 secondes » a existé dans le Parisien).
89Une autre classe est centrée sur les nouvelles technologies, dans leur aspect économique (surreprésentation de entreprise, emploi, secteur). Ces articles, souvent issus de la presse économique (« Comment recruter le meilleur des geeks », La Tribune, 2012 ; « Les professeurs geeks, denrée rare à l’éducation nationale », Acteurs publics, 2016), opèrent une autre catégorisation : le geek comme travailleur qualifié, maîtrisant les outils informatiques, voire comme ressource nécessaire pour l’économie. Geek est donc utilisé dans un sens qui correspond aux intérêts des journalistes de ce champ.
90Enfin, une classe est spécifique au pôle intellectuel généraliste du champ journalistique (la moitié des occurrences de geek dans Le Monde s’y trouve), contenant des articles centrés sur les États-Unis (comme des portraits de Snowden ou de Zuckerberg ou des articles sur la Silicon Valley). Là encore, geek est réinterprété pour correspondre aux enjeux de cette presse.
91Cette approche est donc féconde pour comprendre comment une même catégorie prend des sens différents en fonction de la place des producteurs de ces discours dans le champ journalistique. Ainsi, les usages de dandy ne sont pas exclusivement culturels, comme le terme le laisse à penser. Il est employé dans des contextes politiques (« Un dandy à Matignon », Le Matin, 2016) ou économique (respectivement 17 et 13 % des articles). De la même manière, racaille, si son usage est effectivement fortement politique (50 % des articles), est utilisé dans d’autres contextes : d’un côté, le terme qualifie des produits culturels, de l’autre, il est utilisé pour décrire une réalité sociale (surreprésentation de école, classe, habiter, hlm). Un exemple de cela est l’article « Nadhéra Beletreche : racaille de France » (Le Monde, 2006), où le terme est employé dans une forme de retournement du stigmate (Goffman, 1975). La majorité de ces réappropriations de racaille pour en détourner le sens et la charge stigmatisante se retrouvent dans le pôle généraliste et intellectuel du champ médiatique (Le Monde, Libération, l’Obs, etc.), ce qui confirme le fait que, lorsqu’une catégorie circule dans différents espaces médiatiques, son sens évolue pour s’ajuster aux intérêts propres des producteurs du discours.
Conclusion
92En définitive, ces catégories désignent, à des degrés divers, des styles de vie et diffèrent à plusieurs niveaux : celui des groupes sociaux auxquels elles font référence, des thématiques avec lesquelles elles sont le plus souvent associées (politique, logement, goût, culture, mode, etc.), du type de catégorisation effectué et, enfin, celui des espaces médiatiques dans lesquels elles circulent. En effet les modes d’élaboration des représentations de l’espace social dépendent de la place qu’occupe une production journalistique dans le champ médiatique. Chaque catégorie apparaît plus facilement dans certains espaces : des magazines publiés sur Internet comme Slate ou Konbini sont les premiers à utiliser des termes perçus comme novateurs, avant qu’un processus d’institutionnalisation n’aboutisse à leur mobilisation par les producteurs les plus légitimes du pôle intellectuel du champ. De plus, l’opposition est forte entre un pôle commercial qui favorise des catégories offrant une vision iréniste des groupes sociaux et des médias d’un pôle partisan qui utilisent des termes plus marqués politiquement.
93Cependant, étudier l’apparition ou non d’une catégorie ne saurait être suffisant : il convient également de regarder le contenu des représentations ainsi véhiculées. Il s’agit alors de distinguer des types de catégorisation qui n’impliquent pas les mêmes rapports à la notion de groupes sociaux : désignation nominale d’une entité collective qui peut être un acteur historique, caractérisation d’un objet par un adjectif ou description d’un individu sous la forme d’un stéréotype. En étudiant les co-occurrences entre catégories, on a également pu distinguer des relations entre ces représentations, dans des registres d’oppositions ou, au contraire, de croisement, qui offrent des visions du monde social concurrentes et produisent des jugements sociaux sur les groupes ainsi désignés. De fait, ces conceptions différenciées vont de pair avec des usages distincts pour chaque catégorie et sont à mettre en lien avec les positions occupées dans ce champ de production culturelle.
Annexe 1
94Le recodage des mots qui précèdent les catégories (pour l’AFC de la figure 6) s’est fait selon les règles suivantes :
- des est divisé en deux : si le terme qui précède est un nom (« le quartier des bobos »), il est recodé en de + les.
- aux est transformé en les.
- les pronoms démonstratifs et possessifs sont regroupés (ce, mon, etc.) en PRO
- les genres sont fusionnés : le/la, un/une.
- racaille fait l’objet d’un traitement spécifique : « la racaille » est recodé en « les racailles » [23].
- pour les autres mots précédant les catégories, on les garde en tant qu’adjectif (en supposant qu’alors, la catégorie est un nom : « gros beauf » par exemple), que nom (en supposant que la catégorie est un adjectif : « culture geek ») ou que verbe (la catégorie est alors un adjectif : « être hipster »).
Annexe 2. Classement des termes surreprésentés dans les articles contenant chacune des catégories et analyse du contenu de ces représentations
96Les 50 mots les plus spécifiques de chaque sous-corpus ont été conservés, le but n’étant pas d’analyser chaque mot précisément, mais la structure qui se dégage de l’ensemble des mots. Ainsi, dans les tableaux qui suivent, les résultats de ces analyses n’ont pas seulement été reportés, mais classés : plutôt que de montrer de longues listes brutes de termes, il semblait préférable d’essayer de donner des clés de lecture et d’interprétation de ces listes. Ainsi, les mots les plus spécifiques de chaque partie du corpus ont été rangés dans une des catégories suivantes : nom de lieux, nom de personne, catégorie sociale, attribut physique, pratique, politique, autre. Présenter les résultats ainsi a aussi le mérite de permettre une analyse conjointe – et donc relationnelle – des différentes catégories.
Nom de lieu
Hippie | Woodstock, San_Francisco, Christiania, Vietnam, américain, Katmandou, Pennsylvanie, Goa, village, Philadelphie, Berkeley, plage |
Hipster | Brooklyn, quartier, Williamsburg, Shoreditch, Maboneng, ville, urbain |
Racaille | banlieue, Argenteuil, France, quartier, Annemasse, Clichy, Oise |
Dandy | |
Bobo | quartier, ville, Paris, arrondissement, Brooklyn, urbain, Montreuil, logement, rue, mètre_carré, social, immeuble, immobilier, loft |
BCBG | xiiie, versaillais |
Beauf | camping, Châlons |
Plouc | breton, Saussignac, rural, Razac, Gageac, rennes, Morlaix, bergeracois, Rouillac, Fillols, Finistère, terroir |
Geek | |
Prolo | usine, France |
Babacool | Trancoso, Woodstock, Vermont, Salem, yourte, flamand |
Nom de personne
Hippie | Hendrix, Kerouac, Santana |
Hipster | |
Racaille | Sarkozy, Ravalec, Val, Tarek, Thuram, Wilders, Benzema, Anelka, Le_Pen |
Dandy | Wilde, Barbey, Baudelaire, Gainsbourg, Bowie, Chamfort, Beigbeder, Katerine, Brummell |
Bobo | Delanoë, Kosciusko, Renaud |
BCBG | Lemercier, Gainsbourg |
Beauf | Cabu, Dubosc, Cavanna, Moustic, Onfray, Onteniente, Zemmour, Laspalès, Gaccio, Nicollin, Ranieri, Jugnot, Balkany |
Plouc | Rohou, Chraz, Annegarn, Polski, Nihous, Miossec |
Geek | |
Prolo | Trillat, Oury, Therrien, Baader, Domenech, Moustic, Dumont, Loach, Delanoë, Luchini, Mitchell, Guédiguian |
Babacool |
Catégorie sociale / métier
Hippie | beatnik, baba |
Hipster | boubour, bûcheron, yuccie, hipsteuse |
Racaille | voyou, délinquant, rappeur, policier, ministre, président, habitant |
Dandy | artiste, chanteur, écrivain, compositeur, musicien, poète, homme |
Bobo | bourgeois, bohème, bourgeoisie, classe, aisé, populaire, catégorie, boubour, habitant |
BCBG | preppy, bécébranchés, bourgeois, ado, fille, femme |
Beauf | baraki, boubour, réac, téléspectateur, beau_frère, femme |
Plouc | fils, paysan, péquenaud, provincial, péquenot, toubib |
Geek | fan, passionné, utilisateur, nerd |
Prolo | ouvrier, prolétaire, classe_sociale, prolétariat, chômeur, populaire, pauvre, précaire, salarié, bobo |
Babacool | hippie |
Attribut physique
Hippie | cheveu, combi, robe |
Hipster | barbe, moustache, barbu, barbier, look, tatouage, raser, bonnet, lunette, style, mode, carreau |
Racaille | |
Dandy | élégance, veste, cuir, élégant, costume, pantalon, Dior, cravate, col, manteau, soie, Lacoste |
Bobo | |
BCBG | Lacoste, polo, jean, marque, levi, chemise |
Beauf | survêtement, caricature |
Plouc | |
Geek | |
Prolo | |
Babacool | body, sarouel, cheveu, oréal, coton, laine |
Pratiques
Hippie | lsd, drogue, musique, festival, hair |
Hipster | vélo, café, céréale, bar, food, bière, fixie, burger, magazine, Starbucks, cassoulet, Instagram |
Racaille | rap, émeute |
Dandy | chanson, écrire, roman, rock, collection |
Bobo | bio, vélo, café, marché, vélib |
BCBG | avortement, rallye |
Beauf | foot, blague, match, tf1, humour, rire, tuning |
Plouc | guinguette, festival, fête |
Geek | jeu vidéo, manga, cosplay, Internet, série, console, smartphone, Facebook, Twitter, tournoi, concours, Nintendo, Star_Wars, tablette, Apple, science |
Prolo | vélib, pétanque |
Babacool | yoga, bio, metal, rhum, 2 2cv, festival |
Politique
Hippie | mouvement, communauté |
Hipster | gentrification |
Racaille | Front_national, Ump, République, justice, président, ministre, droite, politique, député, extrême-droite |
Dandy | |
Bobo | gauche, droite, PS, écologie, vert, socialiste, voter, gentrification |
BCBG | |
Beauf | |
Plouc | électorat, syndicat |
Geek | |
Prolo | gauche, travail, chômage, salaire, syndicat, socialiste, grève, licenciement, fiscal, CGT |
Babacool | écologiste, mouvement |
Autre
Hippie | peace_love, année, psychédélique, flower_power, fleur, vivre, paix, utopie |
Hipster | branché, mainstream, cool, vintage, Larousse, Barbie, tendance |
Racaille | kärcher, violence, raciste, insulte, propos, déclarer, immigration |
Dandy | album, scène, œuvre, art, mort, noir, style, disque, parfum, anglais, voix, portrait |
Bobo | branché, population, taxe, prix |
BCBG | topiaire, prénom, minime, famille, confiance |
Beauf | raciste, sexiste, émission, duduche, rire, Charlie_hebdo, personnage |
Plouc | phrase, accent, démenti, prononciation, langue, prénom, déjeuner, bise, mépris, christ, vache, évangile, collège |
Geek | technologie, numérique, informatique, application, Internet, ordinateur, Web, réseau, site, connecter, logiciel, permettre, donnée, culture, game, start_up, univers, écran, information, fiction, entreprise |
Prolo | film, colère, boulot, fédéral |
Babacool | hectare, éolien, sel, shop, aborigène |
97Pour mieux cerner les types de représentations différentes de l’espace social qui sont produites dans le champ journalistique, on intègre les textes des articles dans le corpus afin de réaliser une analyse de spécificité. Cette technique consiste à diviser un corpus en plusieurs parties et à calculer les termes qui sont les plus spécifiques de chacune d’elles. Ici, les sous-corpus sont constitués de l’ensemble des articles où une catégorie est utilisée (un article peut donc être dans plusieurs sous-corpus s’il en contient plusieurs). Quels sont les thèmes le plus souvent abordés lorsqu’une certaine catégorisation est utilisée ?
98Les listes de mots les plus spécifiques de chaque partie du corpus sont accessibles en annexe. Les termes ont été classés en fonction du type de symbole associé à la catégorie (nom de lieu, nom propre, attribut physique, etc.). Une manière d’analyser ses listes est alors le faire en creux, en remarquant les cases vides. En effet, celles-ci sont assez significatives du type de catégorisation effectué lorsque l’on emploie tel terme : par exemple, le fait que dandy et geek ne soient attachés à aucun nom de lieu indique que ce sont des catégorisations qui, du moins dans ce contexte, se font hors de toute géographie. De la même manière, hipster et geek ne sont fortement associés à aucun nom propre, ce qui est lié au caractère récent de ces deux catégories : en effet, le processus de diffusion d’une catégorie suppose un certain temps avant que des productions culturelles émergent à partir de celles-ci.
99Or, l’association d’une catégorie avec plusieurs noms propres est une étape importante dans son institutionnalisation : ces noms désignent parfois des individus qui sont souvent l’objet de cette catégorisation (Wilde ou Baudelaire pour dandy, Dubosc pour beauf), qui peuvent même en devenir des symboles (Kerouac pour hippie) ; dans d’autres cas ils désignent des acteurs qui ont participé à la diffusion de la catégorie (Rohou pour son livre Fils de plouc, Renaud pour sa chanson « Les bobos », Trillat pour son documentaire « Les prolos »), voire à sa création (Cabu pour beauf), ou qui sont liés à un phénomène où la catégorie joue un rôle fort (le maire ou une candidate à la mairie d’un Paris en voie de boboïsation). L’association peut devenir tellement forte qu’apparaissent des expressions contenant ce terme (« beauf à la Cabu », « dandy baudelairien », etc.). Cela permet de saisir dans quels types de produits culturels la catégorisation est la plus souvent utilisée (la littérature et la musique pour dandy, le cinéma pour beauf et prolo, les commentaires sur les footballeurs pour racaille [24], etc.).
100L’association d’un terme avec des attributs physiques, qui sont alors des supports symboliques à l’expression d’un jugement social, est particulièrement importante pour les termes hippie, hipster, dandy, bcbg et babacool. En effet, ces catégories sont fortement associées à la mode : les vêtements ou des parties du corps peuvent même en devenir des symboles dans une forme de métonymie (barbe et hipster par exemple). Ce critère est important du point de vue d’une catégorisation des styles de vie, car l’apparence physique est souvent ce qui permet l’activation d’un stéréotype dans les interactions sociales, comme dans le cas des discriminations raciales (Rudder et Vourc’h, 2010) ou des relations amoureuses (Bozon, 1991).
101Enfin, on peut relever l’association forte entre des catégories et des objets plus ou moins valorisés socialement, ce qui favorise l’expression d’un jugement social positif ou négatif sur une population : le beauf comme personnage raciste et sexiste, le hipster branché et cool qui n’aime pas le mainstream, la prononciation et l’accent du plouc, etc.
Bibliographie
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- Lahire B., L’invention de l’illettrisme, La Découverte, 2005.
- Lamont M., La Morale et l’argent : Les Valeurs des cadres en France et aux États-Unis, Métailié, 1995.
- Lignier W., Pagis J., L’enfance de l’ordre, Le Seuil, 2017.
- Macé M., Styles : Critique de nos formes de vie, Gallimard, 2016.
- Marchetti D., « Les sous-champs spécialisés du journalisme », Réseaux, 2002, n° 111.
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- Mauger G., « Racaille », Lignes, 2010, n° 33.
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Mots-clés éditeurs : catégorisation, jugement social, champ journalistique, style de vie, analyse textuelle
Mise en ligne 25/10/2018
https://doi.org/10.3917/pdc.010.0055Notes
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[1]
Je remercie Lucie Jégat et Cécile Thomé pour leurs remarques qui ont permis d’améliorer ce texte.
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[2]
Le concept de style de vie se rattache aux analyses bourdieusiennes de La Distinction (1979), mais il connaît une médiatisation importante par d’autres biais, à la frontière entre champ académique et champ littéraire (Macé, 2016) ou économique (Cathelat, 1990).
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[3]
Le terme désigne les hommes qui se soucieraient particulièrement de leur apparence.
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[4]
Les traitements statistiques ont été réalisés avec les logiciels R, Iramuteq et TXM.
-
[5]
On s’est borné aux catégories qui étaient l’objet d’un nombre suffisant d’articles. Ainsi, ont été abandonnés : boubour, preppy, normcore, yuccie, métrosexuel, cagole, péquenaud, nerd.
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[6]
Les analyses se bornent aux articles publiés après 2000, où les archives en ligne de la majorité des journaux sont disponibles. Quatre journaux ont été ajoutés manuellement car ils n’étaient pas sur Europresse : Vice, Slate, Les Inrockuptibles et Madmoizelle.
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[7]
Les modes de fonctionnement diffèrent : cela peut être une fonction à part entière, mêlée au secrétariat de rédaction, ou le fruit de négociations en conférence de rédaction.
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[8]
C’est sur ces deux aspects que repose l’enquête qualitative que je mène dans le cadre de ma thèse.
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[9]
Voir aussi le travail que j’ai mené sur la trajectoire de Cabu, créateur du « beauf » (Roquebert, 2012).
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[10]
Les définitions sont issues du Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/.
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[11]
La méthode Reinert sépare le corpus en segments de texte, puis opère une classification descendante hiérarchique, en fonction des termes co-occurrents au sein de ces textes, pour classer ces fragments en plusieurs classes.
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[12]
Dans d’autres classifications, une cinquième classe culturelle s’ajoute : celle de la mode (avec des termes comme pantalon, robe, collection).
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[13]
On trouvera une analyse plus complète des thèmes spécifiques de chacun de ces styles de vie en annexe.
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[14]
Dans cette analyse, on a limité les articles à ceux publiés après 2010, afin de ne pas forcer l’association entre les termes et les journaux les plus récents.
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[15]
Florent me conseille par exemple de faire un entretien avec une journaliste parce qu’elle « a toujours eu le nez pour dénicher la nouvelle tendance ».
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[16]
D’autres relais sont importants : la radio (invitation dans des matinales) ou des reportages auxquelles ces producteurs peuvent participer.
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[17]
Dans la constitution du corpus, cela s’est vu par l’existence de beaucoup de doublons d’articles, qui ont alors été enlevés pour ne garder que les dépêches AFP.
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[18]
On retrouve ce type d’analyse dans la linguistique féministe étudiant les discours traitant de « la » femme, ou les différences d’usage entre les adjectifs « femme » et « homme ». Voir par exemple (Khaznadar, 1990 ; Baider, 2004).
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[19]
Lorsque ce n’est pas le cas, ces catégories désignent souvent exclusivement des femmes : cagole, blonde, etc.
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[20]
On notera aussi que les usages les plus descriptifs (un / une « X ») sont plutôt bien répartis entre les catégories (si ce n’est celles qui s’utilisent avant tout comme adjectif).
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[21]
Il aurait déclaré en 2016 « mon électorat, ce sont des ploucs ».
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[22]
Voir, par exemple, les propos d’Annick Rivoire, qui a introduit le terme bobo en France, dans le débat entre sociologues et journalistes qui conclut l’ouvrage sur les bobos (Authier et al., 2018, p. 169-171). Je retrouve également cette idée dans mes entretiens.
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[23]
En effet, l’usage du singulier pour désigner le groupe est ici lié à la terminaison en aille, qu’on retrouve dans d’autres usages (par exemple, la canaille).
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[24]
Par exemple, plusieurs articles qui associent racaille et les joueurs Benzema ou Anelka sont des commentaires d’un livre de Daniel Riolo intitulé « Racaille football club ».