Entre les hommes et leurs douleurs, c’est une histoire compliquée. A priori, on a mal ou pas, un point c’est tout… Ou à peu près tout, car dès qu’on va un peu plus loin, ou un peu plus profond que le ressenti immédiat de la douleur, les choses semblent se présenter dans des termes plus ambigus : ceux de la répulsion, mais aussi, bizarrement, de l’attirance… Cela ne fait pas de nous systématiquement des sadiques ou des masochistes. Pourtant, exception faite des écrits du marquis de Sade, il y a là quelque chose que les hommes n’avouent pas spontanément, n’abordent pas directement : ils préfèrent les détours, spécialement ceux que leur offrent les arts… Tous les arts ou à peu près. Combien d’évocations et même de représentations de la douleur, depuis les débuts de la Littérature, de la flèche dans le talon d’Achille, dans l’Iliade, à l’œil crevé du cyclope, dans l’Odyssée ? L’Ancien Testament ne manque pas non plus de scènes sanguinaires… En peinture, combien de tableaux où l’on voit des martyrs flagellés, percés de flèches, comme Saint Sébastien ? Jusqu’à la musique qui dit elle aussi, souvent une souffrance physique ou morale dont on entend nettement l’écho dans le blues, le flamenco, le fado et, entre autres, la Passion selon Saint Matthieu, de Bach…
Je commencerai mon exposé par la description d’un instrument de torture : l’arc de Philoctète.
Écoutons la plainte d’un homme blessé à la guerre et qui en connaissait donc un bout sur la douleur. La douleur infligée directement par la blessure ou la maladie, mais aussi celle causée par ceux qui l’entouraient et dont il espérait une aide et une consolation…