Notes
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[1]
Je remercie Annick Allaigre, Dimitri Courant, Samuel Hayat, Claire Judde de Larivière et Liliane Lopez-Rabatel pour leurs commentaires sur les premières versions de ce texte. Celui-ci a fait l’objet d’une première parution sous le titre « A child drawing lots : the ‘pathos formula’ of political sortition ? », in Chollet, Fontaine (2018), p. 223-256.
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[2]
Je suis reconnaissant à Muriel Pic de m’avoir poussé dans cette direction de recherche.
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[3]
Je remercie Raphaël Barat d’avoir attiré mon attention sur ce point.
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[4]
Je remercie Claire Judde de Larivière pour ses éclaircissements sur ce point.
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[5]
Je suis étroitement dans ce passage un manuscrit non publié de Claire Judde de Larivière, qui a eu la gentillesse de me l’avoir communiqué.
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[6]
Je remercie Olivier Christin de m’avoir transmis ces illustrations.
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[7]
Je remercie Dimitri Courant d’avoir attiré mon attention sur ce point.
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[8]
Je remercie Claire Judde de Larivière d’avoir attiré mon attention sur ce point.
1Le tirage au sort n’a pas une signification essentielle, transhistorique, qui serait indépendante des contextes et en particulier de la façon dont les acteurs l’instrumentent, s’en saisissent, le revendiquent où le critiquent [1]. Il n’en va d’ailleurs pas autrement pour les autres procédures de désignation et de décision, à commencer par l’élection (au sens moderne du mot) et le vote majoritaire. Lorsqu’Aristote (1990, IV, 9, 1294-b) écrivait : « Il est considéré comme démocratique que les magistratures soient attribuées par le sort et comme oligarchique qu’elles soient électives », il théorisait avec justesse le bilan de deux siècles de démocratie à Athènes. Cependant, il tempérait ensuite l’opposition en montrant que ces procédures ne prenaient un sens politique qu’en fonction de leurs usages, et en particulier du cercle à l’intérieur duquel avait lieu le tirage au sort (Buchstein, 2015). Une telle assertion n’aurait eu aucun sens dans la Rome républicaine ou impériale, à propos de l’élection du doge de Venise, ou dans la Chine des Ming et des Qing. Une sociologie historique du tirage au sort en politique peut par contre élaborer des idéaux-types qui, dans une approche inspirée de Max Weber, permettent de reconstituer des logiques abstraites autorisant des comparaisons transhistoriques. L’analyse des cas concrets nécessite certes toujours la combinaison de plusieurs idéaux-types, mais ils donnent des points cardinaux conceptuels permettant de mieux s’orienter dans l’étude de celui-ci. C’est ainsi que j’ai, dans un ouvrage précédent, distingué cinq logiques idéaltypiques du tirage au sort en politique (Sintomer, 2011).
2Une telle approche n’épuise cependant pas la comparaison. N’est-il pas en effet nécessaire de coupler enquête généalogique et enquête formelle ? Il semble important d’effectuer pour le tirage au sort en politique quelque chose qui s’inspire du chantier ouvert par Marc Bloch (1983) avec Les Rois thaumaturges sur la question du pouvoir guérisseur des souverains, par Carlo Ginzburg (1992) autour du Sabbat des sorcières et des pratiques chamaniques, ou par Aby Warburg (1990) dans ses Essais florentins à propos de la survivance de formes artistiques qui passent d’une civilisation à l’autre.
3Pour ces auteurs, l’articulation de deux approches répond tout d’abord à un impératif méthodologique. La reconstruction chronologique permet de retracer les transferts et de repérer les généalogies historiques ; l’enquête morphologique implique quant à elle de repérer des similitudes formelles dans des contextes que rien ne permet a priori de rapprocher par des fils chronologiques, ne serait-ce que du fait de l’insuffisance des sources. Ces deux méthodes peuvent être suivies indépendamment l’une de l’autre mais aussi être croisées – un rapprochement morphologique incitant notamment à rechercher des transferts là où l’on n’aurait initialement pas pensé utile de se pencher. Au-delà des préoccupations méthodologiques, ces historiens originaux ambitionnent de construire une explication plus complexe, jouant sur différents niveaux. Marc Bloch s’appuie sur le comparatisme anthropologique pour mettre en évidence une prédisposition des esprits à accepter ou à promouvoir l’idée d’un pouvoir guérisseur des souverains. Simultanément, il avance que la « cristallisation » de ces croyances en une pratique concrète comme celle des rois thaumaturges qui, en France ou en Angleterre, avaient réputation de guérir par le toucher la maladie des écrouelles, constitue un événement contingent dont il s’agit de retracer précisément la naissance et l’évolution (Bloch, 1983, p. 79-80). Carlo Ginzburg entend quant à lui mener une vaste enquête sur les pratiques chamaniques de l’aire eurasiatique pour rendre plausible, à travers l’étude de ressemblances formelles de cultes que tout semble par ailleurs séparer, l’existence d’un substrat culturel commun. Sans celui-ci, et sans la « lente sédimentation » qu’il a permise dans les cultures et les pratiques populaires, l’apparition de l’image du sabbat dans les Alpes occidentales au cours de la seconde moitié du xive siècle n’aurait pas été possible. Par ailleurs, une enquête historique minutieuse est nécessaire pour retracer pourquoi ce fut précisément en ce lieu et à cette date que surgit l’image du sabbat, comment elle a évolué et comment elle s’est finalement éteinte au cours des siècles ultérieurs (Ginzburg 1992, p. 27, 269). Aby Warburg avance de son côté que la survivance de certaines pratiques, par exemple les arts divinatoires entre Babylone et Rome, s’explique à la fois par des « rapports directs », à savoir par des transferts passant en l’occurrence par l’Étrurie, mais aussi par des « besoins primitifs » quasiment innés sans lesquels on ne comprendrait pas le maintien de ce lien pendant 2 000 ans (Warburg, 1990, p. 278). Dans cette perspective, il propose un outil conceptuel, la « formule de pathos » (Pathosformel). Celle-ci permet de croiser deux composantes en tension : le « pathos » est une réaction corporelle forte produite par l’émotion, mais il se coule dans une « formule » de caractère stable, qui permet de contrôler jusqu’à un certain point le sentiment. L’observation ethnographique d’un rituel, dit du serpent, dans la tribu autochtone des Pueblos au Mexique permet à Warburg de mettre en évidence une forme, en l’occurrence la forme serpentine, qui exprime la peur dans le rite des Pueblos, dans la statuaire grecque antique et dans l’art de la Renaissance. Or, si des liens généalogiques peuvent être recherchés entre le monde antique et l’Europe du xve siècle, ce ne peut être le cas avec les Pueblos mexicains (cf. figures 1-3).
Aby Warburg : Le rituel du serpent (Aby Warburg avec un Indien pueblo, 1924, Washington, Library of Congress. Source : Warburg, 1979, p. 323, ill. 1.) ; Groupe du Laocoon (des Rhodiens Agésandre, Athénodore et Polydore, iie ou ier siècle av JC, musée du Vatican) ; Bataille des dix hommes nus (d’Antonio del Pollaiuolo, vers 1470, Washington, National Gallery – il s’agit de la première estampe gravée par un grand maître et signée de son nom)
Aby Warburg : Le rituel du serpent (Aby Warburg avec un Indien pueblo, 1924, Washington, Library of Congress. Source : Warburg, 1979, p. 323, ill. 1.) ; Groupe du Laocoon (des Rhodiens Agésandre, Athénodore et Polydore, iie ou ier siècle av JC, musée du Vatican) ; Bataille des dix hommes nus (d’Antonio del Pollaiuolo, vers 1470, Washington, National Gallery – il s’agit de la première estampe gravée par un grand maître et signée de son nom)
4Une « formule de pathos » s’actualise dans des combinaisons toujours nouvelles et permet en cela une dynamique qui la différencie du topos ou du canon, plus figés (Bredekamp, 2015, p. 272sq.). Du fait de cette flexibilité, elle pourrait s’avérer être un outil méthodologique précieux dans la recherche d’une similarité formelle entre les divers usages du tirage au sort en politique. En outre, la formule de pathos n’est pas purement formelle : elle implique une tension entre une forme artistique et une substance émotionnelle. En passant du champ artistique au champ politique, est-il possible de trouver une formule de pathos du tirage au sort en politique qui nous révélerait quelque chose de substantiel sur les pratiques qui ont recours à ce mode de sélection ? Cette approche morphologique permettrait-elle de mieux comprendre la « survivance » du tirage au sort en politique, à travers ses émergences, ses éclipses, ses réapparitions successives [2] ?
5Il faudrait donc trouver un équivalent des homologies formelles sur lesquelles ont travaillé Marc Bloch, Carlo Ginzburg ou Aby Warburg : le toucher des scrofules par le roi, le voyage de nuit d’hommes et de femmes affectés de certaines particularités physiques pour participer à des fêtes étranges, les courbes serpentines pour rendre l’émotion éprouvée lors d’un rituel impliquant des serpents (figure 1) ou lors d’un combat (figures 2 et 3). De prime abord, il ne semble pas facile d’identifier dans la littérature et l’iconographie une formule de pathos de la sélection aléatoire en politique, tant ses usages ont reposé sur des techniques différentes. Il est cependant une figure qui mérite un examen systématique, celle du jeune garçon qui tire au sort. C’est sur elle que nous allons nous centrer dans cet article. Nous examinerons dans une première partie ses apparitions dans le domaine politique, afin d’établir si cette figure peut être assimilée à une formule de pathos. Dans un second temps, nous élargirons le panorama à d’autres pratiques et tenterons de retracer les transferts entre les différents domaines où apparaît l’enfant tirant au sort. En conclusion, nous nous demanderons si cette figure peut nous apprendre quelque chose de plus général sur le tirage au sort en politique.
L’enfant tirant au sort, une formule de pathos politique ?
6L’élection du doge de Venise offre un exemple paradigmatique de l’enfant tirant au sort en politique, un exemple susceptible de jouer le rôle qui fut celui du rituel du serpent pour Warburg. La procédure a été décrite maintes fois, et elle est célèbre dès le bas Moyen Âge. Le récit canonique qui en rend compte est le suivant.
Le ballottino vénitien
7Lorsque le siège de doge est vacant dans la Sérénissime République, le Grand Conseil se réunit solennellement. Le conseiller le plus jeune sort de la salle de réunion et en revient avec le premier enfant dont l’âge est compris entre huit et dix ans qu’il rencontre dans la rue. Au centre de la salle est placé un grand sac qui contient autant de billes de bois (les ballotte) qu’il y a de conseillers. Sur trente d’entre elles figure le mot « électeur ». Les conseillers défilent en silence devant l’urne et le ballottino, c’est-à-dire le jeune garçon choisi, tire les billes et en donne une à tour de rôle à chacun d’eux. Les trente conseillers qui reçoivent une bille électorale restent dans la salle, qu’évacuent immédiatement les autres membres. Les conseillers présents ne peuvent faire partie de la même famille ou avoir des relations consanguines les uns avec les autres : si c’est le cas, ils doivent renoncer à leur rôle et sont par le même mécanisme remplacés par d’autres conseillers. Dans un second temps, les trente conseillers restants sont réduits à neuf, selon le même système. Au troisième tour, les neuf sélectionnés élisent quarante personnes parmi les membres du Grand Conseil, par un vote à la majorité qualifiée. Au quatrième tour, les quarante élus sont réduits à douze par tirage au sort ; au cinquième, ces derniers élisent vingt-cinq personnes parmi les conseillers ; au sixième, ces vingt-cinq sont réduits à neuf par tirage au sort ; au sixième, ces derniers élisent quarante-cinq conseillers, qui sont au septième tour réduits à onze, toujours par tirage au sort ; ces derniers élisent (toujours à la majorité qualifiée) les quarante et un conseillers qui, grâce à un neuvième tour, élisent en conclave le doge, avec une majorité qualifiée de vingt-cinq voix (Sintomer, 2011, p. 56-57 ; Judde de Larivière, 2019). Le ballottino est omniprésent dans la procédure, puisque c’est à lui qu’il revient de tirer les billes de bois chaque fois que le sort intervient (cf. figure 4).
Ballottino, Venise, par Jan van Grevenbroeck (ou Giovanni Grevembroch) (1731-1807), “Gli Abiti dei Veneziani”, gravure d’un livre illustré
Ballottino, Venise, par Jan van Grevenbroeck (ou Giovanni Grevembroch) (1731-1807), “Gli Abiti dei Veneziani”, gravure d’un livre illustré
8Le recours au ballottino ne se limitait pas à l’élection du doge. Il intervenait par exemple dans le rituel de la Balla d’oro, qui marquait l’entrée en politique des jeunes nobles (Chojnacki, 2000, cité par Judde de Larivière, 2019). La cérémonie, dont les premières mentions remontent à 1319, permettait à un nombre restreint d’entre eux d’entrer au Grand Conseil avant l’âge de la majorité politique. Le tirage au sort avait lieu chaque année le 4 décembre, le jour de la Sainte-Barbara. « Les patriciens qui le désiraient devaient inscrire leurs fils légitimes âgés d’au moins 18 ans. Le nom de chaque candidat était reporté sur un morceau de papier, puis placé dans une urne (capello). Une autre urne contenait un nombre de boules équivalent à celui des candidats, dont un cinquième était des boules dorées. Le doge extrayait un nom, en même temps qu’un jeune garçon (ballottino) tirait une boule : si celle-ci était dorée, le candidat se voyait garantie son entrée anticipée dans le conseil. » (Judde de Larivière, 2019).
9Cette procédure d’élection du doge, instaurée au xiiie siècle, dura jusqu’à la fin de la République de Venise, en 1797. Entretemps, les exemples de recours à un enfant « innocent » pour procéder au tirage au sort se multiplièrent dans des contextes extrêmement différents. Sans prétendre effectuer un inventaire exhaustif, on peut en citer quelques exemples.
L’insaculación dans les royaumes d’Aragon et de Castille
10Dès le xive siècle, le tirage au sort des charges publiques, généralement combiné à l’élection ou à la cooptation, commença à se diffuser dans les communes de la Couronne d’Aragon, et son usage se généralisa au siècle suivant. Il perdura jusqu’au début du xviiie siècle (Sintomer, 2011, p. 79sq.). La procédure, dite de l’insaculación (ou insaculació en catalan), incluait fréquemment la présence d’un enfant. En témoigne la façon dont elle se déroulait dans la ville de Huesca. Elle impliquait plusieurs étapes. Les représentants des divers quartiers se rassemblaient en assemblée générale. Les noms des volontaires étaient inscrits sur des morceaux de parchemin puis enrobés dans de la cire pour former de petites boules appelées redolinos (un peu sur le modèle des ballotte vénitiennes). Lorsque ces redolinos étaient mis dans des bourses, on lisait publiquement le nom des candidats. Au moment du tirage au sort, les bourses étaient vidées dans une vasque d’eau. « L’extraction était ensuite effectuée par un enfant de sept ans qui introduisait son bras droit dénudé à travers un bassin rempli d’eau et recouvert par une serviette. Une fois extrait, le redolino était placé sur une étagère à la vue des participants. » (Gracia, 2006, p. 311). Les personnes sélectionnées, que l’on appelait les « électeurs », formaient une commission électorale chargée d’élire ceux qui allaient occuper une charge publique. Dans d’autres communes, la procédure permettait de désigner directement les magistrats à partir d’une liste de noms présélectionnés.
11À compter de 1446, le tirage au sort entra également en jeu dans la désignation des représentants au parlement (Cortes) du royaume d’Aragon. Le cérémonial y était encore plus complexe qu’à l’échelon municipal. Il débutait par une « messe du Saint-Esprit » dans la chapelle des Cortes. Un notaire était ensuite chargé de sortir le coffre où étaient entreposés les dix sacs de la salle des archives. Les cinq serrures de la caisse étaient ouvertes simultanément par un représentant de chacun des groupes corporatifs de la Couronne et par le notaire lui-même, qui détenait la cinquième clef. Les redolinos du premier sac étaient alors vidés dans une vasque d’argent et un enfant en extrayait un, selon la méthode déjà expliquée pour Huesca. Le notaire lisait à voix haute le nom à l’assistance avant de refermer la boule. L’enfant devait alors recompter le nombre de boules et vérifier qu’il correspondait bien à celui qui était inscrit sur le matricule. Le notaire remettait ensuite toutes les boules dans le sac, puis le sac dans la caisse et on répétait l’opération avec chacun des autres sacs. La cérémonie mettait en relief la pureté de la procédure à travers l’office religieux, l’intervention de l’enfant, le passage dans une eau claire, presque lustrale, et la vasque d’argent. Elle était publique et notariée (Sesma, 1978, p. 49sq. et 503sq.).
12Parallèlement, la procédure du tirage au sort s’étendit à la Castille. Durant la révolte des Comunidades (1520-1521), qui vit nombre de villes du Royaume se soulever contre l’autorité de Charles Premier, elle fut utilisée et certaines sources y témoignent du recours au jeune garçon pour y procéder. De façon plus durable, à partir du xve siècle, certaines communes introduisirent l’usage du tirage au sort pour désigner leurs représentants (procuradores) aux Cortes. La méthode utilisée constituait une variante un peu simplifiée des procédés aragonais. À Cordoue, où le recours au tirage au sort est attesté depuis le xiiie siècle, les vingt-quatre membres de l’exécutif communal se réunirent ainsi le 9 décembre 1575 pour désigner en leur sein les deux procuradores. Ils écrivirent chacun leur nom sur un morceau de papier, placèrent celui-ci dans une sorte de noisette d’argent et celle-ci dans une jarre d’argile. La jarre fut vidée une première fois, les noisettes décomptées pour s’assurer qu’il y en avait bien vingt-quatre, puis remises dans le récipient. Un jeune garçon de huit ou neuf ans nommé Salvador agita la jarre et en tira les deux noisettes qui allaient désigner les noms des deux procuradores. La procédure avait le mérite de pacifier la compétition entre grandes familles. Elle perdura partiellement jusqu’au milieu du xviie (Weller, 2010, p. 117-138).
Les pratiques suisses
13En Suisse, le tirage au sort commença à être utilisé à une date plus tardive, mais il persista également longtemps, jusque dans le premier tiers du xixe siècle. En 1640, l’assemblée générale des citoyens (Landesgemeinde) évangélique de Glaris décida, pour mettre un terme à la corruption et aux intrigues, qu’on nommerait, pour chaque emploi public, huit citoyens entre lesquels il serait procédé publiquement à un tirage au sort. Le cérémonial utilisé recourait à des éléments déjà utilisés ailleurs : « Les huit élus se présentaient dans le Ring, et un enfant leur distribuait huit boules enveloppées de noir, dont sept argentées et une dorée. Celui qui avait la boule d’or était élu. » (Rambert, 1889, p. 226). Par la suite, la sélection se fit progressivement parmi tous les citoyens. Le recours au tirage au sort ne fut définitivement aboli qu’en 1837 (Rambert, 1889, p. 225-228 et 276-277).
14Lors de l’élection des auditeurs en novembre 1691, la première où le tirage au sort fut utilisé dans la République de Genève, une formule assez proche fut utilisée. « On met à la vue du peuple devant messieurs les syndics six boules ou boîtes d’une égale grosseur et couleur en dehors, deux desquelles sont noires en dedans. Un jeune enfant de six à sept ans, en l’occurrence le petit Léonard, fils du procureur général Jean-Pierre Trembley, les tire l’une après l’autre du sac et les distribue au fur et à mesure aux six nominés suivant leur rang. Chacun ouvre sa boîte : la première et la quatrième sont noires dedans, et Jacob de la Rive et Jean Sales sont exclus de la nomination. Au terme du vote entre les quatre prétendants restants, André Dunant et Pierre Lect sont finalement élus auditeurs. » (RC 191, 31/10/1691, 01/11/1691, p. 316-20, cité in Barat, 2019).
15La formule, très ritualisée, aura une durée de vie très longue, à travers maintes variantes. Durant la République helvétique créée à la suite de l’invasion française, il était ainsi utilisé pour sélectionner les grands électeurs chargés d’élire les députés et les juges. Chaque bourg d’au moins 100 habitants tenait une assemblée primaire qui désignait un électeur pour 100 habitants. Les noms des élus étaient envoyés au préfet national qui, assisté du président de chaque autorité constituée du lieu de sa résidence, procédait en public, par la voie du sort, à l’exclusion de la moitié des élus. La procédure était réglée de façon très précise : « La Municipalité des Chefs-lieux pourvoira d’avance à ce qu’alors il entre dans la salle deux enfants intelligents dont aucun ne devra avoir passé l’âge de six ans. Les enfants devront tirer les billets ; l’un se placera par conséquent devant le préfet National ; l’autre devant le Président de la Chambre Administrative. Celui des enfants qui tire les billets sur lesquels sont inscrits les noms, remet ces billets qu’il doit tirer l’un après l’autre de l’un des sacs au Président du Tribunal de Canton qui l’ouvre et le lit à haute voix. Les secrétaires inscrivent de suite le nom sur un registre lequel est de nouveau lu à haute voix aussitôt qu’il est écrit. L’autre de ces enfants qui tire les billets désignant si les Électeurs restent ou sont exclus tirera immédiatement après la lecture de ce nom tiré par l’autre enfant également un billet du second sac et le remet fermé au Président du Tribunal de District qui l’ouvre aussitôt et en fait lecture à haute voix. » (Archives fédérales suisses, BO#1000/1483/23*, Séance du 31 août 1799, in Manuel des résolutions du 1er juillet au 31 décembre 1799, 31 décembre 1799, p. 129-132, cité in Mellina, 2019)
Les ballotines en Angleterre
16En Angleterre, le tirage au sort fut utilisé localement dans quelques villes. À Great Yarmouth, une procédure assez similaire à la vénitienne, à l’aragonaise ou à la suisse, appelée inquest, était mise en œuvre. Elle resta en vigueur de 1491 à 1835. Là encore apparaissait la figure du jeune enfant : au cours d’une assemblée ouverte, les noms des magistrats en place étaient placés dans des chapeaux, à raison de six noms par chapeau. Trois noms étaient alors tirés de chaque chapeau par une « personne innocente », généralement un jeune garçon, et les personnes ainsi désignées formaient une commission électorale. Elles se réunissaient dans un lieu fermé, n’ayant le droit de prendre ni nourriture, ni boissons, ni feu, ni bougies, et sans pouvoir communiquer avec l’extérieur. Elles devaient élire les nouveaux magistrats, chacun devant recueillir une majorité qualifiée de neuf voix (Palmer, 1856, cité par Dowlen, 2008, p. 139).
17Le recours au ballotin pouvait se revendiquer d’un théoricien prestigieux. Comme on sait, James Harrington fut l’un des auteurs qui contribua le plus à diffuser dans le monde anglo-saxon les idées républicaines et, en particulier, l’exemple de Venise. Harrington publia aux alentours de 1660 une courte brochure, The Manner and Use of the Ballot, qui connut plusieurs éditions et fut parallèlement intégrée ensuite aux principales éditions de son œuvre maîtresse, Oceana (Harrington, 1977, p. 361-368) [3]. Harrington défendait un système de désignation (ballot) mixte couplant, sur le modèle vénitien, élections (suffrage) et tirage au sort (lot), selon une procédure extrêmement codifiée où intervenaient des ballotines. Le rôle de ceux-ci n’était cependant pas de procéder à l’extraction des boules mais de gérer les boîtes dans lesquelles les conseillers mettaient leurs bulletins de vote et de les vider dans des vasques destinées à cet effet (cf. figure 5). Le recours à l’enfant n’était donc pas réservé au tirage au sort et pouvait intervenir dans une votation différente. La gravure d’Harrington s’inspirait de deux autres (cf. figures 6-7), tirées d’un ouvrage à succès que l’intellectuel républicain Donato Giannotti avait publié un siècle plus tôt, aux alentours de 1540, pour décrire et analyser le système vénitien (Riklin, 1999). Des illustrations semblables se retrouvaient dans de nombreux ouvrages sur Venise : le rôle des ballottini était en effet de tirer au sort mais aussi, de façon plus générale, de recueillir les votes [4]. Comme nous l’avons vu, les deux procédures étaient liées et non opposées dans la pratique vénitienne. Jusqu’en 1492 (Mueller, 2013), date à laquelle furent introduites des urnes constituées de deux ou trois tubes verticaux et d’un tube horizontal dans lequel on insérait le bras avant de lâcher sa boule dans le tube vertical désiré (pour, contre, abstention, le procédé permettant de garantir le secret du vote), on utilisait largement les mêmes instruments pour voter et tirer au sort. Il n’est pas très étonnant qu’Harrington, grand admirateur du système vénitien, se soit inscrit dans cette tradition.
James Harrington The Manner and Use of the Ballot (1660), in Harrington, 1977, p. 361
James Harrington The Manner and Use of the Ballot (1660), in Harrington, 1977, p. 361
Donato Giannotti, Dialogi de repub. Venetorum (1642). Source : Giannotti, 1642
Donato Giannotti, Dialogi de repub. Venetorum (1642). Source : Giannotti, 1642
Les colonies américaines
18Quelques autres exemples peuvent être ajoutés de l’autre côté de l’Atlantique. En 1731, la Caroline du Sud adopta une loi confirmant des « pratiques anciennes » et imposant le tirage au sort des jurys. La méthode était considérée comme « juste, neutre et impartiale » et comme un élément garantissant le bon fonctionnement de la justice. C’était à un enfant de moins de dix ans qu’il revenait, dans la salle du tribunal, de tirer au sort les noms des futurs jurés, avant la proclamation du résultat au son de la trompette dans les rues de Charleston (Trott, 1736, p. 503-506, cité par Dowlen, 2008, p. 176).
19En 1809, lors de la révolte contre l’occupation française de l’Espagne, la Nouvelle Espagne (l’actuel Mexique) fut invitée à envoyer ses députés à la Junte centrale insurrectionnelle. Elle y procéda en utilisant un mixte d’élection et de tirage au sort, le recours à celui-ci étant censé chasser « l’esprit de parti qui tendait à dominer dans de tel cas » et à « faire intervenir la Providence dans l’élection humaine, en tant que garante ultime de l’ordre social » (Guerra, 1992, p. 192). Les quatorze ou quinze provinces de Nouvelle Espagne désignèrent chacune un délégué. Trois d’entre eux furent ensuite élus par le vice-roi et le tribunal suprême (la Real Audiencia) pour faire partie d’une liste restreinte. Celle-ci composée, les noms furent inscrits sur des morceaux de papier et déposés dans une urne. Un jeune garçon du nom de Florencio Ruiz procéda à l’extraction de l’un des papiers. Il portait le nom de Miguel de Lardizábal, et celui-ci devint ainsi le député mexicain à la Junte centrale insurrectionnelle (Ávila, 1999, p. 85, cité par Serafín Castro, 2019). Par la suite, dans le Mexique indépendant, le recours au sort persista fort avant dans le xixe siècle. Il permettait de trancher lorsqu’aucun des candidats aux élections ne parvenait à obtenir la majorité absolue, et la figure de l’enfant semble avoir été fréquemment mobilisée à cet effet (Serafín Castro, 2019).
Quelle formule de pathos ?
20Ces exemples, parmi de nombreux autres (il faudrait par exemple mentionner les élections au Consulat d’Aix-en-Provence de la fin du xvie siècle au xiiie siècle – Martemyanova, 2019), dessinent sans conteste une formule de pathos. C’est à un enfant de sexe masculin qu’il revient de tirer au sort. Il n’a pas encore atteint l’âge de la puberté. Il agit dans un cadre fortement ritualisé, qui implique selon les variantes tel ou tel élément supplémentaire : une vasque d’argent, une boule dorée ou argentée, de l’eau lustrale. Comme le note Claire Judde de Larivière (2019) à propos des procédures vénitiennes, « le caractère public et rituel du tirage au sort était essentiel », et ce constat peut être étendu à l’ensemble des procédures recensées ici. Le pathos, si l’on veut emprunter de façon quelque peu métaphorique le terme à Warburg, réside dans le fait que cette formule est destinée à susciter dans le public le respect spontané d’une procédure où œuvre un être réputé innocent, qui bénéficie d’une présomption de neutralité et d’impartialité. La formule a une dimension symbolique mais aussi une portée légale : la décision ne peut être contestée car l’honnêteté ou la pureté de l’enfant ne peuvent pas l’être. Il est probable que dans les contextes où la politique était le plus intriquée avec la religion, comme au Nouveau-Mexique, l’action de l’enfant pouvait être intimement perçue comme vectrice de la main de Dieu, mais cette signification n’était pas généralisée et elle ne pouvait être soutenue de façon radicale du fait de la condamnation du sort divinatoire par l’Église.
21Certes, entre la formule et la réalité des pratiques, des écarts importants pouvaient être constatés (Muir, 1981, p. 279sq.). Il fallait surveiller les ballottini, qui étaient ceux qui pouvaient le plus aisément falsifier les élections. En 1496, le chroniqueur Domenico Mailipiero (1843, p. 701) raconte ainsi qu’un garçon de boutique qui avait joué le rôle de ballottino s’était vanté auprès de son patron d’avoir, avec un ami, « fait son devoir » en mettant dans un coin de l’urne les boules qui permettaient d’être élu. Son employeur dénonça l’acte au doge, le geste méritant selon lui la pendaison. Les deux jeunes garçons furent arrêtés avant que le Conseil des Dix ne se réunisse pour délibérer. Le patricien qui avait profité de la manipulation, du nom de Bon, fut arrêté alors qu’il commandait les galères armées qui sont sur les côtes toscanes. Selon le chroniqueur Sanudo (Diarii 1 col. 303), c’était lui qui avait inventé cette machination. Il le nia, mais l’un des ballottini, Hironimo Friso, lui répliqua : « C’est vous qui me l’avez fait faire. ». Les conséquences furent sévères pour Bon, qui fut banni de Venise et dut passer le reste de sa vie à Famagouste. Les deux garçons furent eux aussi bannis et confinés à Retimo (Crête), tandis que d’autres complices furent également condamnés [5]. Si de tels épisodes ont dû se répéter au cours de l’histoire, ces transgressions ne font que souligner la norme idéale portée par la formule de pathos de l’enfant tirant au sort.
22Pourtant, il est clair que cette dernière ne constitue pas la formule de la sélection aléatoire en politique. L’enfant n’apparaît pas systématiquement. Il n’est mentionné ni à Athènes, ni à Rome, ni dans la Chine impériale. Il est loin d’être toujours présent durant le Moyen Âge et la Renaissance (on ne le retrouve notamment pas à Florence, où des magistrats ad hoc, les accopiatori, sont chargés de procéder à l’extraction). Il est marginal dans les expériences contemporaines. Cette formule de pathos, quoique répandue, ne constitue donc pas une constante historique.
Histoires connectées
23Pour autant, l’homologie formelle appelle à une enquête généalogique pour cerner les transferts (Espagne, Werner, 1988 ; Fontaine, Chollet, 2018) et les connexions (Subrahmanyam, 2014) qui peuvent expliquer la diffusion massive de la formule de pathos. Il fait peu de doute que l’Italie communale et en particulier Venise ont été dans de nombreux endroits des sources d’inspiration. Cette diffusion était favorisée par les réseaux commerciaux, politiques et académiques, et par les réflexions transnationales sur l’ordre politique et divin menées dans les ordres chrétiens, à commencer par les franciscains. Les sources sont cependant peu disertes sur ces transferts, et leur dépouillement systématique impliquerait un travail d’équipe qui n’est pas de notre ressort ici. L’interrogation généalogique pousse cependant à sortir des limites de la politique, ou plus exactement de ce que nous définissons aujourd’hui comme politique, pour chercher si dans certains cas au moins, le recours à l’enfant dans le tirage au sort politique ne viendrait pas d’un transfert depuis d’autres types de pratiques.
Quatre ensembles de pratiques
24Au xxie siècle, nous considérons spontanément en Europe occidentale que la politique constitue un champ relativement distinct, séparé notamment de la religion et de la sphère ludique. Cependant, cela n’a pas toujours été le cas. Dans l’Europe médiévale, le grand partage entre le sort mondain et le sort divinatoire n’intervint que progressivement. Il faut attendre le xiiie siècle pour que Thomas d’Aquin théorise la partition entre sors divisoria et sors divinatoria. En reprenant une version modifiée et amplifiée de celle-ci, il est possible de distinguer de façon idéaltypique plusieurs usages du recours au sort (Grottanelli, 2001). Celui-ci peut d’un côté servir à répartir les biens ou les fonctions (sors divisoria) ; de l’autre, constituer un instrument de divination (sors divinatoria), qu’il permette de révéler un destin ou d’être le médium de la volonté divine ; enfin, le recours au sort est le support des jeux de hasard. Les transferts entre ces domaines ont été nombreux au cours de l’histoire, et leurs frontières furent loin d’être aussi tranchées qu’aujourd’hui. Utilisée avec précaution, cette trilogie a cependant une valeur méthodologique non négligeable, parce qu’elle permet de donner des points cardinaux à la recherche tout en poussant à la clarifier et à la systématiser.
25Munis de cette grille, l’élargissement de l’enquête formelle sur l’enfant et le sort au-delà de la politique aboutit à distinguer quatre grands ensembles : des pratiques séculaires de divination populaire (des Égyptiens et des Étrusques au xxie siècle) ; la christianisation de ces coutumes païennes dans les « sorts bibliques » (du ve au viiie siècle) et dans les pratiques de l’Église copte (jusqu’au xxie siècle) ; le tirage au sort politique (pour l’essentiel du xiiie au début du xixe siècle) ; enfin, les jeux, en particulier le tirage au sort des parts de la galette des rois et les loteries (du xve au xxie siècle). Nous avons déjà examiné le tirage au sort politique dans la première partie du présent article. Reprenons maintenant les trois autres ensembles l’un après l’autre.
L’enfant et le sort dans les pratiques séculaires de divination populaire
26Le recours au sort divinatoire à l’aide d’un enfant a été largement répandu dans les mondes européen, méditerranéen et proche-oriental. L’historien des religions Cristiano Grottanelli (1993, 2001) en a livré une étude systématique, depuis la Grèce archaïque ou les papyrus égyptiens des premiers siècles après Jésus-Christ jusqu’à certaines pratiques villageoises contemporaines. Il en distingue deux formes principales. D’une part l’enfant-devin, qui délivre un oracle dont le sens doit être interprété, souvent par des personnes spécialisées à cet effet. L’enfant est alors un médium de la divinité ou du destin, que l’anthropologie, à la suite de Marcel Mauss, a pu rapprocher des simples d’esprit, des personnages en marge de la société comme les saltimbanques ou les bergers, ou de certaines femmes considérées comme étranges. Comme le disent les proverbes français : « la vérité sort de la bouche des enfants », et « enfants et sots sont devins. ». Il est à noter que dans cette variante, le sexe de l’enfant importe moins qu’en politique. Des jeunes filles peuvent intervenir aussi bien que des jeunes garçons, l’essentiel étant qu’ils ou elles ne soient pas pubères. L’enfant comme médium du surnaturel peut se manifester de façon prophétique, c’est-à-dire d’une manière spontanée, lorsque le surnaturel fait une intrusion imprévue sur la scène humaine. Mais il est plus souvent encore le support de pratiques à proprement parler divinatoires, qui impliquent un rituel au cours duquel le surnaturel est interrogé sur initiative humaine (Grottanelli, 1993, p. 67-68 et 24-25). L’un des exemples les plus frappants est rapporté par Carlo Ginzburg dans Les batailles nocturnes. Le rituel divinatoire qu’il décrit, s’il présente des traits particuliers, s’inscrit sur un fond diffus qui mobilise l’enfant comme médium d’une parole surnaturelle. À l’occasion du procès de Giuliano Verdena, tenu à Mantoue en 1489, on apprend ainsi que
Si les procédures politiques ne font presque jamais appel à l’enfant-devin, la formule de pathos que nous avons analysée à partir du ballottino vénitien se retrouve par contre dans les pratiques où l’enfant n’exprime pas de sa bouche un message mais se contente de procéder au tirage au sort. Il s’agit là de la seconde variante impliquant l’enfant dans l’accession à un ordre de réalité pensé comme surnaturel. Le phénomène est attesté chez les Étrusques dès le ve siècle (Bagnasco Gianni, 2001), et se retrouve dès le ive siècle avant J.-C. à Préneste, qui était le principal centre divinatoire de la République romaine, à une trentaine de kilomètres de la capitale. Cicéron (1984, II, 41) le décrit longuement à la fin de l’ère républicaine. L’épigraphie montre un enfant en train de tirer les sortes, en l’occurrence des tablettes entreposées dans un puits et sur lesquelles sont inscrits des messages qu’il reviendra aux devins de déchiffrer (cf. figure 8) (Champeaux, 1982-1987). Un procédé similaire était employé à Ostie, le port de Rome. D’autres exemples de telles pratiques se retrouvent au cours des siècles.« l’accusé a l’habitude de lire les sorts dans un récipient rempli d’eau – il s’agit parfois d’eau bénite –. Giuliano éclaire le baquet et demande à un garçon ou une fille de regarder dedans en les obligeant à prononcer une formule magique : «Ange blanc, ange saint… etc…». Le procédé est classique, mais le but de l’enchantement est insolite. Giuliano n’accepte qu’occasionnellement de faire apparaître dans l’eau du récipient les images des auteurs de petits larcins. D’habitude, il lit un livre, en recommandant aux enfants d’être très attentifs à ce qui apparaîtra à la surface de l’eau : les enfants disent voir «des quantités de gens qui ressemblent à des Maures», soit «une grande foule d’hommes, les uns à pied, les autres à cheval, d’autres sans mains», soit «un homme très grand assis, entouré de deux serviteurs.» »
La divination par les sorts à Préneste (Source : Champeaux, 1982-1987)
La divination par les sorts à Préneste (Source : Champeaux, 1982-1987)
L’enfant et les « sorts bibliques »
27Au cours de leurs premiers siècles d’existence, les Églises chrétiennes procédaient généralement à la nomination de leur responsable par consensus, mais recourraient de façon sporadique au tirage au sort en cas de désaccord. Elles pouvaient en cela s’appuyer sur des pratiques solidement ancrées dans les mondes romain (Prescendi, 2010) et hellénistique. Le terme de clergé lui-même dérivait du grec klèros, qui désignait le « sort », mais aussi le « lot » ou l’« apanage », en particulier dans le cadre des règlements successoraux (Ehrenberg, 1923, p. 1467 et 1490 ; Demont, 2010). La pratique trouvait également sa justification dans l’utilisation du sort mentionnée à plusieurs reprises dans la Bible, principalement dans l’Ancien testament (Buchstein, 2009). Dans le Nouveau testament, c’est surtout à l’occasion de la nomination de Matthias comme douzième apôtre, en remplacement de Judas, que le tirage au sort apparaît comme une pratique chrétienne légitime (Actes, I, 26). Cependant, la Bible ne mentionne aucun recours à l’enfant dans les nombreux exemples de tirage au sort qui y sont mentionnés.
28Or, malgré l’interdiction des pratiques divinatoires par le Concile de Vannes en 462, la coutume païenne qui associait l’enfant à la manifestation du surnaturel fut christianisée dans la partie occidentale du monde chrétien à partir du ive siècle, et ce jusqu’au viiie siècle. Le tirage au sort de Matthias fut alors réputé avoir été effectué par un enfant – une interprétation dont on retrouve parfois la trace jusqu’à l’ère moderne (cf. par exemple Letti, 1697, I, p. 75). Une série de textes chrétiens lièrent le recours au sort dans un cadre religieux à la présence d’un puer, et cette figure devint pour un temps inséparable des « sorts bibliques » (Courcelles, 1953). L’impulsion principale fut donnée par un épisode fameux du Livre VIII des Confessions de Saint Augustin (354-430), marqué par la fameuse expression « Tolle, lege. ». Augustin y rapporta un épisode où, torturé par les doutes, déchiré entre son ancienne vie et la perspective d’une conversion à un christianisme rigoureux, il pleurait dans son jardin. « Je disais et je pleurais dans toute l’amertume d’un cœur brisé. Et tout à coup j’entends sortir d’une maison voisine comme une voix (vocem) de jeune garçon (pueri) ou de jeune fille (puellae) qui chantait et répétait souvent : « Tolle, lege, tolle, lege. » [que l’on traduit généralement par « prends et lis ! », la signification étant plus précisément « Prends au hasard et lis ! »]. Et aussitôt, changeant de visage, je cherchai sérieusement à me rappeler si c’était un refrain en usage dans quelque jeu d’enfant ; et rien de tel ne me revint à la mémoire. Je réprimai l’essor de mes larmes, et je me levai, et ne vis plus là qu’un ordre divin d’ouvrir le livre de l’Apôtre, et de lire le premier chapitre venu. » Ouvrant le Livre saint au hasard, Augustin tomba sur cette phrase : « Ne vivez pas dans les festins, dans les débauches, ni dans les voluptés impudiques, ni en conteste, ni en jalousie ; mais revêtez-vous de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et ne cherchez pas à flatter votre chair dans ses désirs. ». Les ténèbres se dissipèrent alors et Augustin s’engagea résolument dans la voie de la continence sexuelle (Saint Augustin, 397-400, Livre VIII, chapitre XII, 29).
29La conversion de Saint Augustin fait intervenir deux fois le sort : la première mobilise la figure de l’enfant-devin, dont la voix est entendue par hasard et doit être interprétée (clédonomancie), la seconde implique l’ouverture au hasard d’un livre, en l’occurrence du Livre sacré (bibliomancie). L’épisode s’inscrit dans un ensemble plus vaste de pratiques religieuses faisant intervenir l’enfant-devin ou l’enfant effectuant le tirage au sort.
30Les sources attestent ainsi que Saint Agnan (358-453), évêque d’Orléans, fut désigné en recourant à un puer qui tira au sort parmi les bulletins où étaient inscrits les noms des candidats. La procédure était clairement miraculeuse car, après avoir procédé à l’extraction, l’enfant, qui n’avait pas encore atteint l’âge de la parole, prononça à haute voix le nom de l’heureux élu. On procéda à une vérification en ouvrant au hasard trois livres sacrés, qui donnèrent des présages concordants confirmant le choix de Saint Agnan (Courcelles, 1953, p. 201-202). Une procédure similaire intervint pour la désignation de Saint Ambroise comme évêque, en 374. Grégoire de Tours (539-594) rapporta quant à lui des épisodes de lecture au hasard de textes sacrés par un puer lecteur. Dans la Frise (la façade maritime allant des Pays-Bas actuels jusqu’au fleuve Weser, actuellement en Allemagne), alors récemment christianisée, un recueil très connu des principales lois, la Lex Frisionum (734), mentionnait l’utilisation dans le droit pénal d’un procédé selon lequel un prêtre ou à défaut un enfant innocent (puer quilibet innocens) tirait (tollere) les sorts (sortibus) pour découvrir le coupable d’un crime. Le rapprochement de l’enfant avec la figure pure et neutre du prêtre pouvait aller plus loin, le mot puer pouvant aussi désigner les jeunes clercs qui se destinaient à la prêtrise et à la chasteté cléricale (Courcelles, 1953, p. 203-209).
31Ces pratiques se firent cependant de plus en plus rares après le viiie siècle, et le Décret Gratien (1139-1158), qui compila la jurisprudence antérieure et constitua un moment important dans la constitution de la loi canon, condamna clairement les pratiques de divination. À partir du xiiie siècle, un véritable gouffre sépara pratiques religieuses et pratiques politiques : le tirage au sort se diffusa rapidement dans les communes italiennes et dans l’Andalousie reconquise aux Arabes, au moment même où le pape Honorius III interdisait la sélection aléatoire dans la procédure de nomination des évêques (1223) puis, deux ans plus tard, des autres charges ecclésiastiques (Keller, 2014, p. 1089 ; Maleczeck, 1990, p. 129sq.).
32Une telle interdiction concerna cependant surtout l’Église romaine. Nombre d’Églises protestantes considérèrent le sort avec beaucoup plus de bienveillance (Buchstein, 2009, p. 145sq.). L’Église copte orthodoxe ne se sentit pas non plus tenue par ce dogme. Au ve siècle, à l’issue du quatrième Concile œcuménique, dit de Chalcédoine (451), elle se sépara définitivement de l’Église grecque orthodoxe et des autres Églises chrétiennes. De nos jours, le pape de l’Église copte orthodoxe est encore tiré au sort par un enfant entre cinq et huit ans qui doit extraire d’une urne transparente la boule de cire contenant le nom du futur élu, sur la base d’une liste présélectionnée par un synode réunissant les personnages les plus importants de cette Église. La procédure, qui existait depuis des temps antiques mais avait été interrompue, fut de nouveau codifiée en 1953 et est restée depuis en vigueur. En 2012, « la main de Dieu » a ainsi sélectionné à travers le médium de l’enfant pur et innocent celui qui allait devenir Tawadros II. La similarité formelle de ce rituel avec celui du ballottino, et plus généralement avec la formule de pathos étudiée plus haut, est tout à fait frappante. De fait, il s’agit d’une pratique où sort distributif et sort divinatoire sont étroitement mêlés – et il faut ajouter que la formule emprunte ici à la représentation de la déesse Fortune, aux yeux bandés, qui s’imposa à la Renaissance (cf. figure 9).
Élection par tirage au sort du nouveau pape de l’Église copte orthodoxe, 04/11/12 (Source : AFP/Getty Images)
Élection par tirage au sort du nouveau pape de l’Église copte orthodoxe, 04/11/12 (Source : AFP/Getty Images)
L’enfant dans les jeux de hasard
33Le quatrième ensemble de pratiques liant l’enfant et le sort apparaît dans certains jeux de hasard. Il est important sur ce point de bien en souligner la spécificité : de tout temps, des enfants (et des adultes !) ont joué à des jeux de hasard. Ce que nous visons ici est plus précis : le fait de recourir à l’enfant pour procéder au tirage au sort dans un cadre ludique (la figure de l’enfant-devin n’apparaît en effet pas dans les jeux). Deux pratiques sont en particulier concernées : le tirage des parts de la galette des rois et les loteries.
34En France, et au-delà dans plusieurs régions d’Europe occidentale, il est courant de « tirer les rois » à l’Épiphanie. Les origines de cette coutume remontent au moins aux Saturnales, la principale fête romaine. De nature carnavalesque, elle avait lieu après le solstice d’hiver, dans les 12 jours intercalaires entre le cycle solaire et le cycle lunaire. Banquets et orgies se multipliaient alors. Les normes sociales ordinaires étaient suspendues. Il était notamment permis de s’adonner aux jeux de hasard comme les dés, une pratique normalement interdite. Les esclaves mangeaient à la table de leurs maîtres, voire se faisaient servir par eux. Les hommes libres tiraient au sort un roi des Saturnales (Saturnalicius princeps), qui pouvait donner des ordres burlesques à ses sujets (Nilsson, 1923). Cependant, la fête n’impliquait pas particulièrement les enfants (Prescendi, 2015). La pratique contemporaine en fait par contre un acteur central : le plus jeune doit se mettre sous la table et répondre rituellement à la question : « pour qui celle-là ? » en énonçant tour à tour les noms des convives auxquels les parts de galettes sont distribuées. La personne qui reçoit la part contenant une fève devient le roi ou la reine de la fête.
35Or, dès le xve siècle, voire plus tôt, la fête des rois commença à faire intervenir l’enfant d’une façon qui préfigure les usages français actuels. Une miniature tirée des Heures d’Adelaïde de Savoie (cf. figure 10) montre ainsi un enfant sous la table, attribuant les parts de galette tout en récitant des paroles rituelles que l’on retrouve rapportées sous forme littéraire un siècle et demi plus tard par Étienne Pasquier : « Nous commençons dès la veille, non de prier Dieu, mais de faire bonne chair. Celui qui est le maître du banquet a un gâteau, dans lequel y a une fève cachée, gâteau, dis-je, que l’on coupe en autant de parts que de gens conviés au festin. Cela fait on met un petit enfant sous la table, lequel le Maître interroge sous ce nom de Phébé [Phébus, le nom latin d’Apollon, le dieu des oracles, dont le principal site était Delphes], comme si ce fut un qu’en l’innocence de son âge représentait une forme d’Oracle d’Apollon. À cet interrogatoire l’enfant répond d’un mot latin Domine [seigneur, maître] : sur cela le maître l’adjure de dire à qui il distribuera la portion du Gâteau qu’il tient dans sa main, l’enfant le nomme ainsi qu’il lui tombe en la pensée, sans acception de la dignité des personnes, jusqu’à ce que la part soit donnée où est la fève, et par ce moyen il [celui qui reçoit la fève] est réputé roi de la compagnie, encore qu’il soit moindre en autorité. Et, ce fait, chacun se déborde à boire, manger et danser. Il n’y a [pas] de respect des personnes, la festivité de la journée le veut ainsi. » (Pasquier, 1621, Livre IV, chapitre IX, p. 375-376, orthographe légèrement modernisée). Il s’agit là sans conteste d’une nouvelle variante de la formule de pathos que nous avons analysée tout au long de cet article.
Miniature tirée des Heures d’Adelaïde de Savoie (1450-1470)
Miniature tirée des Heures d’Adelaïde de Savoie (1450-1470)
36L’autre jeu impliquant massivement l’enfant et le sort est la loterie. Attestées en Chine dès la dynastie Han (206 avant JC-220 après JC), les loteries d’État étaient largement pratiquées à l’époque romaine. Elles disparurent vers 222 après J.-C., pour ne réapparaître en Occident qu’au xve siècle (Pardieu, 1865, p. 759), ou peut-être un peu plus tôt. À partir du milieu du xve siècle, elles se répandirent rapidement en Europe, depuis les premiers foyers situés aux Pays-Bas et dans les communes d’Italie du Nord (alors les centres les plus avancés du commerce et de la finance) (Wykes 1964 ; Belmas, 2006, p. 308-328 ; Näther, 2008, p. 99sq.). La loterie était particulièrement populaire à Venise et à Gênes, où le jeu était fréquemment organisé par des personnes privées et où l’ancêtre du jeu moderne du loto fut inventé.
37Aux Pays-Bas, une gravure du xviie siècle montre ainsi des enfants procéder au tirage de la loterie générale des Provinces unies (gravure de B. Mourik, Tirage de la loterie générale des Provinces unies, Librairie Royale des Pays-Bas, reproduite dans la version hollandaise de Wikipedia, entrée « Loterij »). À partir du xviiie, les témoignages se multiplient dans toute l’Europe. En Angleterre, où la première loterie officielle date de 1566, l’enfant n’apparaît pas dans une gravure publiée l’année suivante, mais il est par contre très présent au xviiie siècle (cf. figure 11) [6]. En Allemagne, un dessin du début du xviiie montre deux enfants en train d’extraire les numéros de grands sacs lors du tirage de la loterie de la Ville-État de Hambourg (cf. figure 12). Au xviiie siècle encore, une autre gravure montre une roue de loterie en usage où un jeune garçon ou adolescent aux yeux bandés est à la manœuvre (Allemagne, 1905, p. 101sq.). En France, une gravure du début du xviiie siècle montre de même un « enfant trouvé » (très probablement une réminiscence de la procédure du ballottino vénitien) à la manœuvre dans les loteries royales (cf. figure 13). Un siècle plus tard, un certain Delion organisa des loteries privées pour lesquelles il rédigeait des bulletins publicitaires sur lesquels on voyait là encore un enfant aux yeux bandés procédant au tirage (Allemagne, 1905, p. 118-119), (cf. figures 14 et 15).
Drawing a state lottery in Guildhall, London, 1739 (source : Hilary Morgan / Alamy Banque d’images) ; figure 12 : tirage de la loterie de la ville-État de Hambourg, 1716 (source : Wikipédia, version allemande) ; figure 13 : Nicolas de Larmessin, Tirage des loteries royales par un enfant trouvé, 1706, copyright BNF
Drawing a state lottery in Guildhall, London, 1739 (source : Hilary Morgan / Alamy Banque d’images) ; figure 12 : tirage de la loterie de la ville-État de Hambourg, 1716 (source : Wikipédia, version allemande) ; figure 13 : Nicolas de Larmessin, Tirage des loteries royales par un enfant trouvé, 1706, copyright BNF
Vignettes ornant les prospectus de Delion, France, années 1810 (la seconde vignette est un détail). Source : Allemagne, 1905, p. 118-120
Vignettes ornant les prospectus de Delion, France, années 1810 (la seconde vignette est un détail). Source : Allemagne, 1905, p. 118-120
38Dans de nombreux pays, l’usage persista jusqu’au xxe siècle et ne disparut que lorsque le tirage à la main fut remplacé par un tirage électronique, dans les années 1960-1970. Une photographie montre ainsi des enfants procédant au tirage de la Loterie Nationale française en 1950 (cf. figure 16) ; une autre celle du premier tirage, le 9 octobre 1953, d’une loterie de Hambourg très populaire, dite « 6 sur 49. » Il fut effectué par une jeune fille appelée Elvira Hahn (http://www.mopo.de/22980512 ; Wykes, 1964, p. 238). Au Luxembourg, une autre photographie montre là encore le recours à un enfant pour le tirage de la loterie du Grand-Duché en 1945 (cf. figure 17). En Italie, cet usage était très populaire dans les décennies qui suivirent la seconde guerre mondiale, et le tirage au sort de telles loteries était retransmis à la télévision en direct (cf. figure 18). Au xxie siècle, la pratique est encore répandue en Espagne (où la première loterie d’État ne fut introduite qu’en 1763) : significativement, l’une des principales loteries de ce pays se nomme loterie de l’enfant (del Niño). Elle a lieu le 6 janvier, au moment de l’épiphanie (fêtes des Rois mages), une fête qui a en Espagne gardé une importance très grande, à peu près similaire à celle de Noël. Le moment de l’extraction fait l’objet d’une publicité considérable à la télévision et dans la presse (cf. figure 19). Comme pour la galette française, l’origine païenne de la fête n’a pas empêché sa christianisation, l’hybridation avec le thème de l’enfant Jésus et dans le cas de la loterie son usage commercial dans les médias de masse.
Tirage de la 35e tranche de la Loterie Nationale française, Figeac, 06/09/1950 (source : Ladepeche.fr, 29/01/2017). Figure 17 : Tirage de la Loterie nationale du Luxembourg, 1945 (Source : https://www.loterie.lu/content/portal/fr/decouvrez-la-loterie-nationale/historique-organisation.html). Figure 18 : Loterie italienne contemporaine, tirage au sort du 30/09/1959 (Istituto Luce, http://fondazionerrideluca.com/tag/lotteria/). Figure 19 : Loterie espagnole dite de l’enfant (lotería del niño), extraction par tirage au sort du premier prix de l’année 2017 (RTVE, 06/01/2017)
Tirage de la 35e tranche de la Loterie Nationale française, Figeac, 06/09/1950 (source : Ladepeche.fr, 29/01/2017). Figure 17 : Tirage de la Loterie nationale du Luxembourg, 1945 (Source : https://www.loterie.lu/content/portal/fr/decouvrez-la-loterie-nationale/historique-organisation.html). Figure 18 : Loterie italienne contemporaine, tirage au sort du 30/09/1959 (Istituto Luce, http://fondazionerrideluca.com/tag/lotteria/). Figure 19 : Loterie espagnole dite de l’enfant (lotería del niño), extraction par tirage au sort du premier prix de l’année 2017 (RTVE, 06/01/2017)
39On peut encore signaler une variante de loterie, le jeu dit d’ozieri, répandu en Sardaigne et dans une aire allant des Balkans à l’Espagne. Se déroulant généralement lors de la fête de la nouvelle année, il consiste à faire tirer par un petit garçon ou une petite fille des objets déposés par chacun des participants, l’extraction étant à chaque fois accompagnée d’un court chant prédisant bonne ou mauvaise fortune, avec comme contrainte que le nombre de présages favorables équivaille à celui des présages défavorables (Grottanelli, 1993, p. 47-48).
De l’approche formelle à l’analyse généalogique
40Si la figure de l’enfant-devin est spécifique au domaine divinatoire, il est frappant que la formule de pathos de l’enfant procédant au tirage au sort soit quant à elle transversale aux domaines politique, religieux et ludique. On la retrouve même, de façon beaucoup plus parcellaire dans le domaine de la répartition des biens. Ainsi, en Sardaigne il y a encore quelques décennies, il revenait à un enfant de répartir les portions du ou des sangliers qui avaient été tués à la chasse. L’enfant se mettait face à un mur tandis qu’un ancien indiquait tour à tour les parts avec une baguette, demandant : « pour qui celle-là ? », jusqu’à ce que tous les noms des participants aient été prononcés. La pratique évolua ensuite : les lots furent numérotés et l’enfant tirait au sort les numéros (Padaglione, 1989, p. 195-201, cité in Grottanelli, 1993, p. 47).
41Au total, on peut donc résumer ainsi les grands types de pratiques associant l’enfant au sort (cf. tableau 1).
L’enfant et le sort dans divers types de pratique
L’enfant et le sort dans divers types de pratique
42Sur la base de cette mosaïque formelle ainsi reconstituée par l’enquête morphologique, est-il possible d’avancer d’autres hypothèses de type généalogique, qui permettraient de préciser les filiations et les transferts entre ces divers usages ?
43Philippe Ariès (1973, p. 109) écrit que la procédure des loteries officielles s’inspira sans doute de l’usage du tirage au sort par l’enfant des parts de la galette. L’hypothèse ne peut être écartée d’emblée. Les sources que nous avons retrouvées montrent que l’enfant qui tire au sort est attesté au moins dès le milieu du xve siècle pour la galette des rois, tandis que la plus ancienne mention pour les loteries que j’ai retrouvée se trouve dans un livre datant de 1694, Critique historique, politique, morale, économique et comique, sur les lotteries anciennes et modernes, spirituelles et temporelles des états et des églises, de Gregorio Leti. Le livre évoque cependant une pratique présentée comme traditionnelle et en référence avec une invention institutionnelle bien antérieure – nous allons y revenir dans un instant. En tout état de cause, le recours à l’enfant pour répartir les parts de galettes est plus ou moins contemporain des premières loteries, à savoir le milieu du xve siècle. Par ailleurs, il est attesté que le foyer de diffusion de la galette est essentiellement l’aire française et que les loteries furent importées d’Italie à l’époque de François Ier, dans la première moitié du xvie siècle. Sans pouvoir être formellement démentie, l’hypothèse d’Ariès est donc peu probable.
44De son côté, Cristiano Grottanelli écrit de façon étonnante, dans sa remarquable synthèse sur l’enfant et la divination : « Je n’ai pas pu trouver d’exemples de recours à des enfants dans le tirage au sort des fonctionnaires civils ou des magistrats de l’époque moderne, que j’ai […] proposé comme constituant le lien historique entre la divination par le sort de Préneste (et du Moyen Âge) et les loteries. » (Grottanelli, 1993, p. 45).
45Or, sur la base de notre enquête, nous pouvons clairement faire l’hypothèse que le tirage au sort politique réalisé par la main d’un enfant a bien constitué la médiation historique entre les pratiques divinatoires et les sorts bibliques de l’Antiquité et du Moyen Âge d’une part, les jeux de loterie des époques modernes et contemporaines d’autre part. Certes, les pratiques populaires impliquant des enfants dans la divination et la prophétie ne se sont jamais interrompues, et elles ont constitué un terreau culturel qui pouvait périodiquement nourrir des innovations politiques ou ludiques. Il est cependant probable qu’elles ne suffisent pas à elles seules à expliquer les résurgences marquées de cette formule de pathos à l’époque moderne.
46Les sources ne permettent pas d’établir pourquoi le tirage au sort politique a émergé avec cette ampleur dans les communes italiennes ou à Cordoue à partir du xiiie siècle, ni pourquoi la formule de pathos avec l’enfant y est si souvent liée. Des éléments épars pouvaient fournir une source d’inspiration, des pratiques divinatoires aux sorts bibliques en passant par les quelques textes antiques connus à l’époque. Reste que la sélection aléatoire connut un tel succès dans l’univers communal qu’on a pu à bon droit avancer qu’elle en a constitué l’apport original le plus important sur le plan des procédures politiques (Keller, 2014). Au cours du bas Moyen Âge et plus encore à l’époque moderne, elle a été la principale source d’un processus de diffusion de la formule de pathos de l’enfant tirant au sort. Venise et Gênes en ont constitué les centres. La première a vu la procédure par laquelle elle élisait son doge depuis le xiiie siècle publicisée et commentée aux quatre coins de l’Europe. La seconde, si elle a joué dans l’histoire des idées et pratiques politiques un rôle plus modeste, n’en a pas moins livré une contribution décisive, à l’époque où les loteries se diffusaient sur tout le continent. En 1528, trois ans avant que la République florentine ne sombre définitivement pour laisser la place à la domination des Médicis, Gênes réforma son système politique sous l’impulsion d’Andrea Doria pour tenter de désamorcer les conflits qui opposaient traditionnellement les deux grandes familles de la ville. La réforme consistait à attribuer les principales charges publiques, à commencer par celle du Doge et des membres de la Signoria, pour deux ans plutôt qu’à vie, à faire alterner les membres des vieilles familles patriciennes et nouveaux patriciens aux fonctions les plus importantes, et à combiner élections et tirage au sort dans une procédure qui était encore plus complexe et qui impliquait plus d’étapes qu’à Venise. La réforme fut couronnée de succès et au prix de quelques modifications, le système perdura jusqu’à l’invasion française en 1797.
47Le nouveau système instauré en 1528 prévoyait aussi que les huit personnes qui composaient la Signoria avec le Doge soient renouvelées deux par deux tous les six mois, chacune d’elles restant en charge deux années pleines. Elles étaient sélectionnées parmi les 120 membres du Grand Conseil aristocratique. Le recours au sort avait lieu de la façon suivante : « Après avoir mis les noms de tous dans une urne, on en fait tirer deux par un jeune garçon, chargé de Saintes Reliques, soit pour chasser les Démons sans doute soit pour servir de parure simplement. » (Leti, 1697, p. 112). La pratique se répandit de faire imprimer ces 120 noms à l’avance, et de faire parier sur l’issue du résultat. Après avoir combattu cet usage, le Sénat finit par l’endosser publiquement et par la transformer en pratique officielle en 1643-1644, en retirant « un très grand avantage » (Leti, 1697, p. 140 ; Grottanelli, 1993, p. 43).
48Il est donc fort probable que la formule de pathos venue des usages politiques du tirage au sort ait fait l’objet d’un transfert vers les loteries, la ville de Gênes constituant sans doute un vecteur privilégié en la matière. Des transferts assez proches ont peut-être eu lieu en Espagne. Il est d’ailleurs significatif que dans sa Critique des lotteries, Leti (1694) rassemble sous le même terme pratiques civiques et pratiques ludiques. L’une des éditions de ce livre à succès inclut d’ailleurs une gravure montrant un enfant ou un adolescent aux yeux bandés à la manœuvre auprès de la roue de loterie (cf. figure 20). Au xviiie siècle, la pratique semble solidement établie dans plusieurs pays européens. Si Grottanelli ne l’a pas saisi, c’est qu’il mentionne le tirage au sort effectué par un enfant lors des loteries génoises sans voir que ce mode de désignation s’inscrivait dans un ensemble déjà ancien de pratiques politiques.
Tirage de la loterie, illustration extraite d’une édition du livre de Gregorio Leti, Critique des lotteries (Source : reproduite in Allemagne, 1905, p. 120)
Tirage de la loterie, illustration extraite d’une édition du livre de Gregorio Leti, Critique des lotteries (Source : reproduite in Allemagne, 1905, p. 120)
49L’origine du tirage au sort par l’enfant des parts de la galette des rois est plus difficile à établir. Déplorant la reprise des coutumes païennes, Étienne Pasquier se réfère à juste titre aux Saturnales romaines pour l’origine carnavalesque de la fête. Il souligne la filiation directe avec les pratiques divinatoires impliquée par l’invocation de Phébus-Apollon et, là encore à bon escient, il mentionne les Grecs pour la procédure qui consistait au temps de Socrate à tirer la fève pour choisir les magistrats (Pasquier, 1621, Livre IV, chapitre IX, p. 376). S’appuyant sur Xénophon (1859, Livre Premier, II, 9), il cite les Adages d’Érasme de Rotterdam (2013, p. 56-58 [1500], Adage 2.8 : « Abstiens-toi des fèves ») et compare explicitement les fèves aux « ballotes », qui pour un lettré de l’époque ne pouvaient manquer d’évoquer (entre autres) les pratiques vénitiennes ou génoises. Si l’on suit son interprétation, il est ainsi probable que dans le syncrétisme qui présida à l’invention du tirage au sort des parts de galettes à l’aide d’un enfant, le tirage au sort politique des principales charges publiques des Grecs à Venise ait joué un rôle tout à fait notable.
50Inversement, alors que les procédures ayant recours au tirage au sort retrouvent une certaine actualité en politique depuis la fin du xxe siècle, cette formule de pathos y a fait une réapparition marginale (cf. figures 21 et 22) [7]. Il est probable que l’influence de la formule dans les jeux de hasard y soit pour quelque chose, au vu des hybridations instrumentales que l’on constate par ailleurs entre les deux domaines (Sintomer, 2011).
Tirage au sort des jurés d’assises à Arc-les-Gray, France (L’Est républicain, édition de Vesoul-Haute-Saône, 15/06/2016). Figure 22 : Tirage au sort des membres du Comité consultatif à La Montagne, France (Ouest France, édition Pays de la Loire, 10/02/2015)
Tirage au sort des jurés d’assises à Arc-les-Gray, France (L’Est républicain, édition de Vesoul-Haute-Saône, 15/06/2016). Figure 22 : Tirage au sort des membres du Comité consultatif à La Montagne, France (Ouest France, édition Pays de la Loire, 10/02/2015)
Conclusion
51Arrivés à la fin de cette enquête, nécessairement parcellaire, nous disposons de quelques résultats non négligeables. Nous avons mis en évidence une formule de pathos, celle du tirage au sort effectué par un enfant, que l’on retrouve dans des domaines assez divers. Nous en avons reconstitué les principales manifestations : pratiques populaires de divination (des Étrusques jusqu’à la période contemporaine) ; christianisation de cette coutume païenne (du ive au viiie siècle dans les sorts bibliques, jusqu’à aujourd’hui avec le tirage au sort du pape de l’Église copte orthodoxe) ; galette des rois et loteries (xve-xxie siècle) ; et tirage au sort des fonctions politiques (xiiie siècle - xixe siècle). Nous avons montré que la formule implique une forte ritualisation. Enfin, nous avons esquissé quelques fils généalogiques permettant d’indiquer les pistes où chercher les traces des transferts entre ces ensembles, le tirage au sort politique constituant selon toute probabilité une médiation cruciale.
52Cette formule de pathos n’est pas la seule manière de lier l’enfant et le sort, puisque la manifestation du surnaturel peut aussi passer par l’enfant-devin, mais elle est la plus répandue. Elle offre plusieurs variantes formelles. L’enfant peut procéder directement au tirage au sort, ce qui constitue le cas le plus répandu. Il peut aussi énoncer des noms (comme dans le cas de la galette des rois et dans l’une des variantes de la chasse au sanglier en Sardaigne) ou des numéros (comme dans l’autre variante de la répartition de la chasse au sanglier). Le tirage peut ou non être public. La formule de pathos utilisée dans le domaine politique du xiiie au xixe siècle a plusieurs spécificités : elle ne fait intervenir que la figure de l’enfant tirant au sort, jamais l’enfant-devin ; l’enfant procède directement à l’extraction, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres domaines ; le tirage est toujours public ; enfin, à l’image de la politique à cette époque, il est sauf exception de sexe masculin – alors que dans les autres ensembles de pratique, le sexe est en général plus indifférencié.
53Une autre caractéristique doit être ajoutée : généralement, dans le sort divinatoire, l’accent est fortement mis sur la pureté de l’enfant, qui ne doit pas être pubère (Prescendi, 2010). C’est d’ailleurs pourquoi, dans un contexte chrétien, l’enfant peut être remplacé par un jeune prêtre voué à la continence sexuelle. L’impartialité, dans cette optique, pourrait être considérée comme une conséquence de la pureté. Dans le tirage au sort politique impliquant un enfant, c’est l’impartialité qui domine (et la figure de l’enfant peut être mobilisée indifféremment pour le tirage au sort et l’élection, comme à Venise ou chez Harrington). La pureté n’est pas nécessairement mise en avant. On y recourt en particulier dans les sociétés où politique et religion sont plus étroitement mêlées, comme dans l’Espagne du Siècle d’or, mais elle semble alors davantage une des conditions de l’impartialité qu’un but en soi. C’est d’ailleurs pourquoi, dans les communes italiennes du Moyen Âge ou de l’époque moderne, l’enfant peut être remplacé par un prêtre, mais aussi, le cas échéant, par un adolescent, par exemple à Venise [8]. Avec la sécularisation des pratiques, la « main innocente » change ainsi de sens – il faudrait d’ailleurs complexifier l’enquête en prenant plus systématiquement en compte les significations fort contrastées de l’enfance selon les contextes historiques. La dimension rituelle de l’acte reste cependant très forte, et c’est pourquoi l’on peut continuer à parler de formule de pathos (cf. tableau 2).
La formule de pathos de l’enfant tirant au sort dans les différents domaines sociaux
La formule de pathos de l’enfant tirant au sort dans les différents domaines sociaux
54Notre enquête a débouché sur un second résultat : cette formule de pathos nous a permis de découvrir une série de liens généalogiques qui démontrent que des transferts ont eu lieu entre différentes pratiques, transferts dans lesquels le tirage au sort politique a joué un rôle crucial. Les enfants français ne se mettraient sans doute pas sous la table pour répartir les parts de la galette des rois si la sélection aléatoire des magistratures impliquant un enfant n’avait pas été aussi répandue dans les communes italiennes.
55Un troisième résultat doit être souligné. La formule de pathos que nous avons mise en évidence pourrait nous dire quelque chose sur le tirage au sort. Celui-ci n’a pas de signification essentielle car il peut être le support de logiques très différentes (Sintomer, 2011) : résolution impartiale ou au moins réduction des conflits, divination politique, autogouvernement républicain et démocratie radicale, sens commun de tout un chacun dans les jurys d’assise, démocratie délibérative. Cependant, de toutes ses qualités potentielles, celle de l’impartialité est la seule qui se retrouve dans la quasi-totalité des exemples empiriques. Elle est en effet susceptible d’être intégrée de façon subordonnée à toutes les autres logiques (cf. tableau 3).
L’impartialité comme dimension secondaire des autres logiques idéaltypiques de recours politique au sort
L’impartialité comme dimension secondaire des autres logiques idéaltypiques de recours politique au sort
56Si le tirage au sort politique n’a pas une essence ou une fonction universelle, il pourrait cependant avoir une affinité élective particulière avec l’impartialité. En prenant le concept dans un sens assez souple, on pourrait même dire que l’acte ritualisé du tirage au sort en général (et pas seulement ses variantes ayant recours à l’enfant) constitue une formule de pathos de l’impartialité en politique.
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Mots-clés éditeurs : tirage au sort, formule de pathos, impartialité politique, enfant, loteries, divination
Date de mise en ligne : 05/06/2019
https://doi.org/10.3917/parti.hs01.0475Notes
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[1]
Je remercie Annick Allaigre, Dimitri Courant, Samuel Hayat, Claire Judde de Larivière et Liliane Lopez-Rabatel pour leurs commentaires sur les premières versions de ce texte. Celui-ci a fait l’objet d’une première parution sous le titre « A child drawing lots : the ‘pathos formula’ of political sortition ? », in Chollet, Fontaine (2018), p. 223-256.
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[2]
Je suis reconnaissant à Muriel Pic de m’avoir poussé dans cette direction de recherche.
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[3]
Je remercie Raphaël Barat d’avoir attiré mon attention sur ce point.
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[4]
Je remercie Claire Judde de Larivière pour ses éclaircissements sur ce point.
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[5]
Je suis étroitement dans ce passage un manuscrit non publié de Claire Judde de Larivière, qui a eu la gentillesse de me l’avoir communiqué.
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[6]
Je remercie Olivier Christin de m’avoir transmis ces illustrations.
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[7]
Je remercie Dimitri Courant d’avoir attiré mon attention sur ce point.
-
[8]
Je remercie Claire Judde de Larivière d’avoir attiré mon attention sur ce point.