Notes
-
[1]
Voir le rapport Étude sur la participation des étudiants aux élections universitaires publié en 2004 par l’association Civisme et Démocratie (https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/044000126.pdf, accès le 24/03/2022) ; Le Mazier et al. (2014).
-
[2]
Les modalités de représentation se trouvent somme toute reléguées à l’arrière-plan des objets de lutte visibles et médiatisés.
-
[3]
Article 13 de la loi no 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, voir Annexe pour le détail de l’article.
-
[4]
Répondante no 3, voir encadré.
-
[5]
FAGE, 2015, Guide du responsable associatif et du bénévole étudiant (GRABE), 3e édition, p. 20, sur demande auprès de la FAGE, https://www.fage.org/formations/grabe/ (accès le 24/03/2022).
-
[6]
Propos de Marcel Rudloff, compte rendu du 28 juin 1989, p. 2086, Archives des débats sénatoriaux (http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1989/06/s19890628_2027_2094.pdf, accès le 24/03/2022).
-
[7]
Déjà par le nom, le « AGE » de l’acronyme FAGE qui reprend l’idée des « assemblées générales étudiantes », mais aussi dans les récits véhiculés lors des formations sur l’histoire de l’organisation.
-
[8]
Propos de Marcel Rudloff, op. cit.
-
[9]
Discours de présentation de la loi d’orientation sur l’éducation par Lionel Jospin, discussion en séance publique au Sénat, 27 juin 1989.
-
[10]
Chiffres de 2018, tels que présentés sur le site Internet de la FAGE, https://www.fage.org/les-assos-etudiantes/federations-fage/federations-annuaire/ (accès le 20/11/2020).
-
[11]
Répondante no 3.
-
[12]
Répondant no 2.
-
[13]
La confédération étudiante, très proche et même financée par la CFDT, n’est plus représentative à partir de 2013. La FAGE est aujourd’hui le partenaire associatif étudiant de la CFDT : en témoignent notamment des communiqués conjoints avec le SGEN.
-
[14]
Répondant no 6.
-
[15]
FAGE, 2015, Guide du responsable…, op. cit., p. 28.
-
[16]
Traduit par nos soins.
-
[17]
Répondants no 2 et 5.
-
[18]
FAGE, « Loi Travail : Un nouveau texte reprenant largement les propositions de la FAGE », 16 mars 2016, https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2016-03-16,fage-loi-travail-un-nouveau-texte-reprenant-largement-les-propositions-de-la-fage.htm (accès le 11/05/2022). À ce titre, les différentes interventions du président de la FAGE de l’époque confirmeront la position de négociation. L’appel et la participation aux mobilisations seront ainsi un point de clivage particulièrement médiatisé entre les deux organisations.
-
[19]
Deux anciens membres nationaux de la FAGE (des répondants) ont été recrutés par la CFDT à l’époque de leur mandat, y travaillent encore aujourd’hui ou y ont travaillé.
-
[20]
Répondant no 2.
-
[21]
Répondant no 1.
-
[22]
Répondante no 3.
-
[23]
Répondant no 2.
-
[24]
Répondante no 3.
-
[25]
DRJSC : Direction régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports.
-
[26]
Dossier de presse Inauguration de l’AGORAé de la FEUCL, 23 octobre 2012.
-
[27]
FAGE, « Rentrée 2019 : une nouvelle année pour le volontariat en service civique à la FAGE », 18 septembre 2019, https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2019-09-18,volontariat_service_civique_fage.htm (accès le 11/05/2022).
-
[28]
Répondante no 3.
-
[29]
Présentation de la FAGE à l’adresse : www.fage.org/les-assos-etudiantes/presentation/ (accès le 24/03/2022).
-
[30]
Répondant no 4.
-
[31]
Répondant no 4.
-
[32]
Discours du président de la FAGE issu du dossier de presse Inauguration de l’AGORAé de la FEUCL, 23 octobre 2012.
-
[33]
Répondante no 3.
-
[34]
Catalogue des formations de la FAGE, https://www.fage.org/formations/catalogue-formation/ (accès le 24/03/2022).
-
[35]
La neutralité est souvent invoquée comme une qualité pour la négociation, elle permet d’insister sur l’expertise et de se distancier du « mouvementisme » de l’UNEF. Elle peut aussi être un moyen de recruter des « primo-arrivant·es » voire de se distinguer de militant·es aguerri·es « intimidant·es ».
-
[36]
Répondant no 4. Cela a aussi provoqué une rupture au sein de sa trajectoire : contrairement à la grande majorité des étudiant·es élu·es, de la FAGE comme de l’UNEF, il a « quitté le politique » pour finir ses études de kinésithérapeute (voir encadré).
-
[37]
Cette dimension est très présente dans l’entretien de Jean-Baptiste Mougel, président de la FAGE en 2003, dans la revue Agora débats/jeunesses : « Les spécificités de l’engagement étudiant », propos recueillis par Francine Labradie et Tariq Ragi, no 31, p. 94-105.
-
[38]
Sur ce point, la dernière réforme de l’université (LPR : Loi de programmation de la Recherche) avait souhaité criminaliser les occupations. Le Conseil constitutionnel a finalement censuré ce « délit d’entraver » qui a dû être retiré de la loi avant promulgation.
-
[39]
Association ÉCHARDE, « L’Alternative : une nouvelle force syndicale, associative et combative pour représenter les étudiant⋅es », 18 octobre 2019, https://echarde.org/2019/10/18/lalternative-une-nouvelle-force-syndicale-associative-et-combative-pour-representer-les-etudiant%E2%8B%85es/ (accès le 24/03/2022).
1 Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le principal syndicat étudiant, l’Union nationale des étudiants et étudiantes de France (UNEF), est perçu comme une véritable institution et représente un interlocuteur incontournable pour les acteurs publics de l’enseignement supérieur. Or, depuis les années 2010, une autre association nationale étudiante est venue supplanter l’UNEF dans la représentation nationale étudiante : la Fédération des associations générales étudiantes (FAGE). Sur le plan historique, ce changement a participé à réorganiser certaines règles du jeu du mouvement étudiant. Plus précisément, les conditions politiques de son ascension nous renseignent sur les effets de l’institutionnalisation de la représentation étudiante au gré des réformes de la gouvernance universitaire, un aspect peu analysé dans la littérature sur le mouvement étudiant. Ainsi, en se concentrant sur les mécanismes institutionnels et organisationnels de la participation étudiante, il est possible de faire une histoire longue de la régulation étatique de cette dimension. Retracer la généalogie institutionnelle de la FAGE nous permet de saisir sous un autre aspect la décentralisation et la mise en compétition des universités.
2 Le mouvement étudiant français a jusqu’ici surtout été étudié depuis un point de vue historique ou au prisme des trajectoires d’engagement et des carrières militantes (Yon, 2005 ; Argibay, 2014), notamment avec une forte attention portée sur les événements de mai 1968 et leurs suites (Côme, Morder, 2009). Sur la base d’une approche néo-institutionnaliste, d’autres travaux, à l’échelle de la comparaison internationale, ont mis l’accent sur le poids des contextes nationaux pour aborder les modalités de représentation et d’organisation des mouvements étudiants et proposé une analyse compréhensive des transformations politiques de l’enseignement supérieur (Brooks, 2016 ; Klemenčič, 2014). En France, plus récemment, des recherches sous l’angle de la participation sont venues apporter une réflexion sur la formalisation de la participation étudiante (Testi, 2016), en analysant les ressemblances entre les dispositifs participatifs et les procédures des assemblées générales étudiantes (Le Mazier, 2014), là où d’autres études ont insisté sur les processus de compétition électorale (Haute, 2015). Dans un chapitre collectif, des scientifiques ont conjointement exploré, depuis leurs terrains d’enquête respectifs, la question de la représentation mais surtout du côté des relations avec les étudiant·es, et en particulier sur l’UNEF (Le Mazier, Testi, Vila, 2014). La FAGE en tant que telle n’a fait l’objet que de très peu de recherches, bien que celle-ci soit aujourd’hui présentée comme la première organisation étudiante représentative (ORE) française. De plus, les études sur le mouvement étudiant se sont peu attardés à ces logiques de représentation dans les interactions avec les institutions gouvernementales et universitaires : ils portent en général sur le niveau local et micro de l’engagement étudiant, en interrogeant la représentativité à travers les mécanismes et objectifs de légitimation auprès du public étudiant. Une grande partie du travail quotidien des élu·es des bureaux nationaux et conseils d’administration des associations étudiantes consiste pourtant à aller à la rencontre des ministres et/ou des membres des cabinets. Il nous est ainsi apparu pertinent d’interroger ces notions de représentation et de participation à partir de ce qu’en fait l’État, dans le secteur de l’enseignement supérieur.
3 Si la littérature sur l’institutionnalisation des procédures de représentation a surtout considéré la participation citoyenne au travers de l’arène électorale (Hayat, Sintomer, 2013), il est moins fréquent de transposer ce type d’analyse aux organisations étudiantes, plus souvent envisagées au sein de l’espace des mouvements sociaux. De fait, peu de recherches se sont penchées sur le travail politique formalisé lié à cette fonction qu’exercent ces organisations. Une distinction s’opère entre la participation (des étudiant·es aux organes de décision et de consultation) et le travail de représentation (qu’effectuent les syndicats étudiants). La loi Jospin d’orientation sur l’éducation adoptée en 1989 est surtout connue pour les réformes des enseignements primaire et secondaire. Elle a néanmoins impacté le fonctionnement des organisations étudiantes en conditionnant leur représentativité à leur participation aux conseils nationaux de l’enseignement supérieur. Le couple participation-représentation ainsi défini ne recouvre pas la notion de participation citoyenne à des dispositifs généralement mis en place par des institutions publiques, qui peuvent s’adresser autant à des individus qu’à des collectifs (Nez, 2013), mais bien le travail des regroupements étudiants qui sont partie prenante de certains conseils universitaires, ainsi que la fonction de représentation politique qu’ils y exercent. Ce travail s’est trouvé décrié dans le prolongement d’une « crise » de la démocratie représentative. En effet, la littérature sur les mouvements sociaux insiste sur la critique mise en avant par les mouvements récents de mobilisation, comme le mouvement altermondialiste ou les « mouvements des places » (Ancelovici, Dufour, Nez, 2016 ; Flesher Fominaya, 2015), à propos de ces véhicules formels, organisés hiérarchiquement, qui suivent une logique d’agrégation des intérêts et qui valorisent la médiation au sein de structures officielles. Pourtant, ces acteurs et actrices qui fonctionnent selon un modèle classique de représentation politique sont encore au cœur des organisations de mouvements sociaux. Les travaux de Sophie Béroud ont, par exemple, montré que les syndicats avaient pu jouer un rôle central dans les mobilisations post-2008 en Espagne (Béroud, 2014).
4 D’un point de vue plus structurel, nous souhaitons apporter un regard sur l’organisation de la représentation au travers de l’histoire et du mode de fonctionnement de l’objet politique peu étudié qu’est la FAGE. En tant qu’interlocuteur principal des gouvernements et des ministères, l’étude de sa création, de son organisation interne et de ses stratégies apporte un éclairage sur les transformations des modalités de la participation étudiante, et in fine des conséquences de son encadrement étatique. Ce type d’analyse est bien connu de la littérature portant sur les enjeux de la représentation syndicale des salarié·es et ses transformations (Offerlé, 1998 ; Giraud, Yon, Béroud, 2018). D’ailleurs, plusieurs des transformations législatives et organisationnelles que nous évoquons pour les associations étudiantes et la gouvernance universitaire font un écho direct à celles de la régulation du monde du travail salarié. Néanmoins, ce type de questionnement est plus rare pour le mouvement étudiant qui n’est que rarement considéré sous l’angle de son institutionnalisation. On peut aussi prêter ce faible intérêt aux constats d’une abstention massive des étudiant·es aux élections universitaires, du faible pourcentage de membres étudiant·es dans les associations nationales [1], ainsi que par les formes actuelles et récentes de la contestation étudiante, comme on a pu le voir avec les mobilisations contre la loi « relative à l’orientation et à la réussite des étudiants » (Melchior, 2018). Il n’empêche qu’étudier la notion de représentation à travers ses dimensions institutionnelles apporte des éléments de compréhension sur les effets et la réception des réformes universitaires. Dans un récent ouvrage, Baptiste Giraud, Karel Yon et Sophie Béroud (2018) amènent à penser les effets de l’institutionnalisation du syndicalisme de manière relationnelle, comme « une reconfiguration des environnements et des interactions dans lesquels sont pris les acteurs syndicaux et qui les conduit à penser […] la “bonne façon” de tenir leur rôle » (p. 44). Bien que les organisations étudiantes ne soient pas reconnues comme ayant le statut syndical, les conclusions de cet ouvrage sont applicables au cas de la FAGE. En effet, nous montrons dans cet article comment le changement institutionnel concernant la participation des organisations étudiantes a effectivement (progressivement) modifié le rôle tenu et attendu par les associations nationales ce qui en retour a eu des effets sur les pratiques et stratégies de la FAGE. Cependant, à la différence de ces travaux, qui s’appuient sur une conception interactionniste de l’institutionnalisation, nous privilégions une analyse « du haut vers le bas » du changement institutionnel. L’analyse se concentre sur une étude de la réception des transformations législatives par l’entremise des discours des acteurs et actrices sur leurs stratégies et par le biais des documents organisationnels.
5 Cette perspective déplace partiellement le regard porté sur les organisations des mouvements sociaux qui s’est plus souvent penché sur des mobilisations visibles dans l’espace public (c’est-à-dire les mobilisations de masse relayées par les médias) ou des luttes internes, dans une perspective historique ou sur le temps court de l’irruption. Nous proposons plutôt de considérer une organisation étudiante formelle sur le temps long et via son jeu institutionnel. Cette approche permet d’apporter un éclairage sur les conséquences de l’institutionnalisation de la contestation qui a aussi été le fruit de demandes réformistes des syndicats de la scène étudiante.
6 La FAGE s’est développée depuis le regroupement de fédérations territoriales et de fédérations de filières qui s’étaient par ailleurs déjà rassemblées pour se présenter sur des listes indépendantes (voir tableau 1). Elle a été créée en 1989 dans la suite de l’adoption de la loi Jospin sous l’impulsion de quelques fédérations locales, notamment celles de Strasbourg et de Lille. En 1994, des associations et fédérations monodisciplinaires jugeant le modèle de la FAGE trop « syndical et confédéral » (Porte, 2007) créeront Promotion et défense des étudiants (PDE). La crise interne de l’UNEF, parallèle à un certain déclin du Parti socialiste, est aussi un facteur de ces recompositions, notamment parce qu’il a précipité la perte d’influence du syndicat national étudiant originel. Bien qu’il puisse expliquer l’essor de la FAGE, nous nous concentrons ici sur le contexte législatif et politique de son apparition et de son positionnement par rapport à l’UNEF et aux autres organisations. Cet angle d’analyse apporte des éclairages sur les reconfigurations de l’espace institutionnalisé du mouvement étudiant.
Méthode et objet
7 Les données de cet article font partie d’une enquête plus large menée sur les luttes autour du logement et de l’éducation en France, en Espagne et au Québec sur la période allant de 2005 à 2016. Dans cet article, nous mobilisons l’analyse documentaire effectuée en France (les textes législatifs des différentes réformes de l’enseignement supérieur et la documentation interne de la FAGE) et les quinze entretiens menés entre 2017 et 2019, auprès des membres de la FAGE et de l’UNEF (n=12), ainsi qu’auprès d’un conseiller de cabinet et de président·es d’université (n=3). Les extraits directement mobilisés ici (6 répondant·es) sont principalement tirés de ceux menés avec les membres de la FAGE (voir infra). L’objectif des entretiens était de saisir les jeux de négociation et les stratégies développées par les organes nationaux dans leurs interactions avec les représentant·es des gouvernements et des administrations. Ces entretiens semi-dirigés et les analyses documentaires approfondies qui les ont précédés nous ont permis de mettre en lumière les enjeux « des coulisses » de la politique étudiante, ainsi que la réception des réformes universitaires par les acteurs et actrices des organisations étudiantes à un niveau très institutionnalisé.
Encadré. Liste et profils des répondant·es
Répondant no 1 : Ancien président de la FAGE, il a aussi été président d’une fédération territoriale. Il était en poste au Conseil économique social et environnemental au moment de l’enquête. Il a aussi été vice-président étudiant de son université, pendant ses études de droit.
Répondant no 2 : Ancien président de la FAGE, il a suivi un parcours de sciences humaines dans une université où il a d’ailleurs participé à la refonte des curriculum suite à la réforme LMD (licence, master, doctorat). Il est aujourd’hui secrétaire fédéral au sein de la Confédération des syndicats européens.
Répondante no 3 : Ancienne présidente de la FAGE, elle s’est engagée dans une association d’accueil des étudiants et étudiantes étrangères pendant ses études de langues et est rapidement « montée » sur le bureau national de la FAGE. Après un master en science politique, elle travaille aujourd’hui au sein d’une ONG de développement durable.
Répondant no 4 : Ancien président de la FAGE, il a poursuivi des études de kinésithérapie et s’est engagé dans la fédération de filière correspondante. Il exerce aujourd’hui comme kinésithérapeute.
Répondant no 5 : Ancien membre du bureau national de la FAGE, il a d’abord adhéré à une association d’accueil des étudiantes et étudiantes étrangères à son arrivée en France, où il a poursuivi des études de langues puis de science politique. Il s’est particulièrement investi au sein de l’ESU (European Student Union). Il est actuellement responsable des questions européennes au sein de la CFDT.
Répondant no 6 : Ancien président de l’UNEF, il a été président de la section locale d’une université en banlieue parisienne au sein de laquelle il étudiait la biologie. Élu au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) pendant deux ans, il a complété un master 2 en action publique. Il a ensuite pendant son mandat largement participé aux mobilisations contre la loi Travail et militait à la France insoumise à l’époque de l’entretien.
8 Dans une première partie, nous revenons donc sur le cadre institutionnel de la représentation étudiante : en prenant la loi de 1989 comme repère temporel, nous verrons en quoi la compétition entre les associations nationales étudiantes s’est transformée et déplacée vers l’échelon national. C’est le moment à partir duquel les conditions institutionnelles sont réunies pour qu’une nouvelle organisation nationale étudiante apparaisse. Dans un deuxième temps, il s’agira de documenter l’homothétie entre le fonctionnement de la FAGE, ses répertoires privilégiés d’action, et ce que demande et présuppose le système de gouvernance universitaire au gré des dernières réformes. La FAGE apparaît mieux placée que l’UNEF dans les fonctions qui sont aujourd’hui valorisées par les institutions. Pour qu’elle prenne de l’ampleur et s’installe durablement dans le paysage de la représentation étudiante, il lui a fallu opérer un travail interne important. Nous montrons ainsi, dans une troisième partie, que la gestion interne de la FAGE, par le biais de la formation et de l’apprentissage, était nécessaire à sa croissance et au développement d’une identité cohérente. Ces activités de formation participent d’une formalisation de l’engagement étudiant qui s’éloigne de l’image de la transmission de savoirs militants véhiculée par l’histoire des luttes de l’UNEF (Legois, Monchablon, Morder, 2007).
L’ouverture institutionnelle à la compétition
9 En France, le rôle des étudiant·es dans la gouvernance universitaire se trouve institutionnalisé dès la loi Faure du 12 novembre 1968, venue légiférer et encadrer la participation étudiante dans les conseils universitaires. Les étudiant·es siègent depuis longtemps dans des instances de décision, notamment pour les « œuvres universitaires », aujourd’hui appelées les Centres régionaux et nationaux des œuvres universitaires et scolaires (respectivement CROUS et CNOUS). Via les associations, les étudiant·es ont un rôle notable et majeur dans la gestion de services, de restaurants universitaires, du logement étudiant, des assurances sociales et des bourses. Avec cette réforme instaurée dans la foulée des mouvements de 1968, des élections sont organisées pour désigner les étudiant·es qui siègent dans les conseils centraux des facultés et des universités. Via des élections indirectes, ils et elles élisent ensuite des représentant·es pour siéger au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), là où ils et elles sont plutôt cantonné·es à un rôle consultatif sur les grandes orientations de la politique universitaire.
10 Ce type d’encadrement législatif, en contribuant à une reconnaissance avant tout formelle et institutionnelle de la représentation étudiante, a néanmoins été la source de désaccords et de conflits au sein et entre les organisations, de droite comme de gauche. En 1971, la scission de l’UNEF s’est ainsi jouée entre les « participationnistes » et les « non-participationnistes » (Morder, 2020a), entre l’UNEF-Renouveau qui décide alors de prendre part aux élections et l’UNEF-US qui appelle au boycottage, dénonçant cet élan « comme une “tentative d’intégration des étudiants” par le régime capitaliste » (Desvignes, 2019). Cette décision ne sera remise en cause au sein de cette dernière, devenue UNEF-Identité démocratique (UNEF-ID), qu’au milieu des années 1980 à la suite de l’abrogation de la loi Faure et sous le mandat de François Mitterrand. Par la suite, les revendications des organisations qui émergeront autour de cette question au moment de l’adoption de nouvelles lois concerneront bien plus les modalités de la participation – le nombre de sièges, la part d’élu·es dans les conseils centraux des universités – que le fait de participer en tant que tel [2]. Ce fut par exemple le cas à l’occasion de la loi Sauvage, qui avait renforcé la représentation des professeur·es et des maîtres et maîtresses de conférences sur les conseils d’universités au détriment des autres catégories, notamment étudiantes. La loi de 1989 est, elle, bien plus consensuelle et peu discutée au moment de son adoption. Elle a toutefois eu des effets importants sur la participation, en particulier sur le plan de l’allocation des financements.
La loi de 1989 : effets non désirés de la compétition électorale
11 Endossée par Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, cette réforme structure la représentation sur deux plans simultanément : elle officialise une définition de la « représentativité » des organisations étudiantes à l’échelle nationale, et elle crée des « subventions accordées au titre de la formation » [3], calculées en fonction du nombre d’élu·es. Présentée dans le discours gouvernemental comme une mesure d’amélioration et de clarification de la démocratie étudiante, cette réforme a pourtant rejoué les règles de la compétition électorale entre les associations étudiantes, en fixant l’espace national comme arène principale, mais surtout en faisant de ces élections le critère primordial pour l’obtention d’un soutien matériel et financier. Auparavant plutôt opaque, celui-ci passait plus par l’attribution de locaux, de « subventions indirectes », et était principalement géré au niveau local. Avec la configuration législative de 1989, les organisations étudiantes se trouvent dans l’obligation de se regrouper à l’échelle nationale pour participer à la compétition électorale, si elles souhaitent obtenir ces financements.
12 Dans cette perspective, la création de la FAGE se trouve très corrélée à la mise en œuvre de la loi de 1989. Elle est en effet le fruit de la rencontre entre des organisations implantées localement, qui se distinguent des antennes locales de l’UNEF dans leur statut comme dans leurs activités. Ses membres justifient la mise en place de la structure fédérative afin que les associations puissent « continuer à être représentatives à la fois institutionnellement et financièrement » [4]. Ces associations locales, qui auparavant se regroupaient de manière sporadique pour les élections sur des listes indépendantes, ont pu se constituer comme organisme national permanent. Depuis 2017, la FAGE est majoritaire en nombre d’élu·es dans le CNOUS et le CNESER : devançant l’UNEF, elle est devenue la « première organisation étudiante ». Les résultats électoraux depuis 2000 (voir tableaux 1 et 2) montrent aussi comment son accession aux postes électifs est venue supplanter le poids d’autres organisations, notamment de l’Union nationale inter-universitaire (UNI), se réclamant de la droite étudiante. La compétition politique, se déplaçant vers un jeu bipartite entre l’UNEF et la FAGE, a relégué au second plan les clivages entre la gauche et la droite, notamment entre l’UNEF et l’UNI. La tension entre un « corporatisme apolitique et un syndicalisme politisé » (Le Mazier et al., 2014) s’en trouve ainsi organisée au niveau institutionnel et cristallisée dans la compétition électorale. La FAGE joue aussi sur ce déplacement de la compétition pour justifier à rebours de son essor en présentant la loi de 1989 comme une tentative politique de ratifier le monopole de l’UNEF tout en faisant « barrage à la remontée du mouvement associatif » [5].
Tableau 1. Résultats électoraux CNOUS, en nombre de personnes élues (1989-2019)
Tableau 1. Résultats électoraux CNOUS, en nombre de personnes élues (1989-2019)
Tableau 2. Résultats électoraux CNESER, en nombre de personnes élues (1989-2019)
Tableau 2. Résultats électoraux CNESER, en nombre de personnes élues (1989-2019)
13 Néanmoins, comme le soulignent Klemenčič (2014) et Brooks (2016), si les conditions institutionnelles changeantes de la gouvernance universitaire et de l’institutionnalisation des associations étudiantes modifient l’activité militante en l’orientant de plus en plus vers la gestion de la vie universitaire (et ici, le travail de représentation), elles ne permettent pas à elles seules de rendre compte des trajectoires de ces associations. Il est aussi nécessaire de bien comprendre les jeux d’échelles qui se créent entre l’échelon national et l’échelon local après la loi de 1989.
Construire avec une diversité de groupes
14 Avant 1989, certaines des fédérations membres historiques de la FAGE possédaient déjà un ancrage local très fort. À titre d’exemple, l’Association fédérative générale des étudiants de Strasbourg (AFGES), qui existe depuis 1923, est depuis longtemps majoritaire sur les conseils centraux de l’Université. Elle a d’ailleurs été une section locale de l’UNEF jusqu’en 1971. La Fédération des étudiants de l’université catholique de Lille (FEUCL), elle aussi à l’initiative des premiers rassemblements, ne représente quant à elle que des étudiant·es d’une université privée ou de grandes écoles qui lui sont rattachées, majoritairement réuni·es au sein de « BDE » (bureaux des étudiants) ou de « corpos ». Ces fédérations se sont ainsi regroupées dans la foulée de l’adoption de la loi de 1989 pour créer un organisme national et pouvoir prétendre aux subventions allouées. Au cours des débats parlementaires, si l’article dédié à la représentativité étudiante n’a été que très peu discuté – aussi parce que la loi porte surtout le secondaire –, la seule critique formulée par un député centriste illustre les inquiétudes pour l’avenir de ce type d’organisation. Ancien étudiant de la faculté de Strasbourg et conseiller régional d’Alsace, il s’interroge sur « le sort qui sera réservé à un certain nombre d’associations qui animent la vie culturelle des étudiants dans les universités sous forme d’amicales » [6]. Le type d’organisation locale qu’il évoque, majoritaire parmi les associations actuellement membres de la FAGE, se démarque fortement de la forme assemblée. La FAGE puise néanmoins dans l’héritage politique de ces assemblées générales étudiantes (AGE) par l’histoire qu’elle transmet à ses membres. Une partie des associations constitutives de la FAGE sont en effet issues de la « grande UNEF » [7] des années 1950 et 1960 (Monchablon, 1983), à son « âge corporatiste » (Legois et al., 2007). Ces associations sont aujourd’hui surtout dédiées à l’organisation de services matériels et davantage tournées vers l’animation de la vie étudiante sur les campus. Elles apparaissent souvent sous la forme de « corpos », surtout présentes dans les facultés de droit et de médecine, qui empruntent au répertoire des corporations de métiers, historiquement axées sur la défense d’un ordre professionnel et réuni sur la base d’une appartenance disciplinaire. La FAGE prend ainsi la forme d’une organisation qui travaille à fédérer une pluralité d’associations locales, ainsi que de nombreuses fédérations territoriales aux héritages politiques variés.
15 En mentionnant l’ancienneté de l’AFGES et son implication dans la création d’un restaurant universitaire, ce même député sera le seul à faire allusion à « la définition purement nationale de la représentativité des organisations étudiantes [qui pourrait] porte[r] préjudice aux structures locales » [8]. Bien que sa composition éclatée ait longtemps été un obstacle à l’unité du collectif national, la FAGE, ou plutôt le bureau et les conseils nationaux de cette fédération, ont progressivement su et pu profiter de cette organisation décentralisée. Avant l’adoption de la loi, les associations dites « indépendantes » se regroupaient sous différentes fédérations, mais la réforme de 1989 a joué en faveur de l’émergence d’une grande organisation, capable de peser dans les jeux électoraux. Contrairement aux préoccupations du député centriste, ces « amicales » ont su se saisir d’un cadre institutionnel pour fonder une organisation « représentative ». Les débuts de la FAGE révèlent bien l’ambiguïté de la notion de représentativité. Celle-ci agit à la fois comme un instrument de démocratisation procédurale des instances de gouvernance universitaire, de « reconnaissance du rôle et de la place des […] étudiants » [9] par l’État, et comme un levier pour la captation de fonds. Prendre en compte cette ambivalence répond à l’intérêt analytique (Offerlé, 1998) d’envisager le travail de regroupement qu’effectuent les organisations, ici étudiantes, comme fluctuant entre le rassemblement depuis la base, et « l’hétéronomie » de leur création : les groupes sont aussi constitués par les catégories étatiques.
16 En consultant le fonctionnement des associations membres de chacune des fédérations représentées par la FAGE, on observe une régularité à la fois dans la structure (des BDE, des « corpos » surtout en droit et en STAPS, des associations de filière) et dans le secteur d’implantation (une large part des associations provient des filières de santé, de sciences, d’ingénierie). Parmi les 19 fédérations de filières [10] que représente la FAGE, 13 sont issues des professions de santé. Ce constat se trouve corroboré par les comportements électoraux à l’échelle nationale : les filières médicales votent à plus de 80 % pour des listes soutenues par la FAGE (Haute, 2015). Les élu·es de la FAGE au niveau national profitent ainsi de leur ancrage disciplinaire au niveau local, semblable à la « défense de métier » des corporations, pour remporter les élections au niveau national. En retour, ils et elles apportent souvent leur soutien dans le cadre de mobilisations locales et professionnelles, notamment en soins infirmiers et en kinésithérapie. L’apparition de la FAGE transforme ainsi le paysage institutionnel étudiant en renforçant la compétition au niveau national et en se mobilisant comme un acteur associatif indépendant, se distinguant du syndicalisme politique affiché par l’UNEF. La création de Promotion et défense des étudiants (PDE) en 1994 est cependant venue fragiliser les ambitions de la FAGE. Contrairement à la FAGE qui fédère sur une base territoriale, PDE revendique une alliance de groupements disciplinaires. Ceci poussera la FAGE à intégrer finalement des fédérations monodisciplinaires tout en se démarquant de « son équivalent conservateur » [11]. Certaines associations créent parfois des listes communes à l’échelle des universités alors qu’elles appartiennent à ces deux organisations nationales distinctes, ce qui crée des tensions entre le local et le bureau national (BN) de la Fédération. En rappelant à l’ordre les associations, les membres du bureau font face à l’accusation « d’être ceux de Paris qui viennent diviser » [12]. La totalité des président·es nous ont relayé les stratégies de distinction mises en place afin de se désaffilier de PDE : la FAGE a en effet progressivement travaillé à se démarquer d’une identité de « fédé de corpos ». Le mode d’organisation de PDE semble plus hériter de l’époque des listes indépendantes, là où la constitution de la FAGE témoigne de la mise en place de stratégies électorales et organisationnelles pour avoir une présence nationale et une reconnaissance étatique. PDE a depuis perdu son label d’ORE et les fédérations « mono » à la base de sa création sont aujourd’hui adhérentes à la FAGE.
Un apprentissage de la compétition électorale
17 Dès 1991, l’obtention rapide de sièges à la fois au CNESER et au CNOUS témoigne non seulement de l’implantation préalable des fédérations de la FAGE, mais aussi de l’effet de la loi sur la compétition électorale. Le retour de l’UNEF-ID au sein du jeu électoral dès le début des années 1980 s’est accompagné de sa domination sur l’UNEF (SE). Les deux UNEF finissent par présenter une liste commune aux élections du CNESER en 2000 et par procéder à leur réunification en 2001. Jusqu’en 2006, aux élections du CNOUS, l’UNEF demeure donc la plus importante association nationale et ce jusqu’en 2015 pour le CNESER, la FAGE partageant aussi des sièges avec PDE. Il s’agit donc d’une remontée progressive pour la FAGE depuis le début des années 2000.
18 Les élections au CNOUS de 2006 interviennent à un moment particulier des luttes étudiantes. Les AG de l’UNEF, alors très mobilisées contre le contrat première embauche (CPE), boycottent en grand nombre les élections. La FAGE, elle, y participe et obtient la majorité des sièges. Ces élections sont finalement annulées, à la suite de recours faits par l’UNEF. Cet événement s’inscrit dans l’effort stratégique fourni pour remporter les élections des CROUS. Lancer des campagnes à cette échelle amène les membres du bureau national à créer du lien entre des associations surtout implantées localement, à travailler une identité cohérente, à se doter d’orientations générales qui leur permettront de se positionner par rapport à ces adversaires, et en particulier l’UNEF. Les stratégies et les activités des élu·es des organisations étudiantes au niveau national sont ainsi fortement orientées par les élections aux conseils. Certaines revendications de l’UNEF comme de la FAGE sur la période étudiée concernent ainsi le nombre et les modalités de désignation des représentant·es étudiant·es. Cela a été le cas au moment de l’adoption de la loi de 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités (loi LRU) qui modifiait la part de représentant·es sur les conseils centraux des universités. Les réactions des syndicats à l’occasion des élections pour le CNESER en 2012 attestent de ces mêmes contestations. L’impossibilité pour les suppléant·es des conseils d’administration de faire partie du collège électoral et de prendre part au vote avait alors été contestée, bien que différemment, par toutes les organisations étudiantes représentatives de l’époque (UNEF, FAGE, PDE, Confédération étudiante – Cé [13], UNI).
19 Les périodes d’élection et les batailles juridiques autour de leurs modalités, particulièrement chronophages pour les organisations, structurent en partie les stratégies développées en interne, entre les organes centraux et les associations ou AG locales. On voit cette difficulté transparaître dans les propos d’un ancien président de l’UNEF. Selon lui, l’objectif d’« assumer le rôle de première organisation étudiante, de le rester, et ce dans une concurrence » avec les autres organisations, notamment celles montantes comme la FAGE, « demande de l’énergie » qui est déployée « au détriment de [leur] capacité à réorganiser l’UNEF » et du temps qui pourrait être consacré « à changer [leurs] pratiques syndicales » [14]. Si la loi de 1989 est à l’époque venue ratifier le rôle de première organisation étudiante qu’avait déjà et presque toujours eu l’UNEF (ou les UNEF), l’apparition d’un concurrent officiel à l’échelle nationale débouche sur une réorganisation nécessaire du temps militant des membres du BN. Les constats que nous tirons ici ne concernent pas bien sûr les modes d’organisation locaux ou non institutionnalisés (AGE, coordinations nationales, assemblées générales). Il n’en reste pas moins que la définition légale et étatique de la « représentativité » et de la participation étudiante joue aussi dans les choix des stratégies des élu·es. Les élections et la représentation institutionnelle « ne suffi[sen]t pas à assurer la légitimité des porte-parole » et « ne confère[nt] qu’une voie de légitimation partielle » auprès des étudiant·es (Le Mazier et al., 2014), mais elles pèsent sur les répertoires d’action mobilisés par ces groupes. Si l’histoire politique et organisationnelle de l’UNEF est aussi celle d’un « investissement de la forme associative par un contenu syndical » (Morder, 2003), l’apparition de la FAGE dans le jeu électoral montre comment, à l’inverse, l’institutionnalisation des élections étudiantes peut jouer en sa faveur alors qu’elle appelle peu à des mobilisations de grande ampleur. En effet, le recours à la manifestation se fait toujours « en dernier lieu » : la FAGE n’a réellement appelé aux manifestations que contre Jean-Marie Le Pen en 2002, et plus récemment contre la hausse des frais de scolarité des étudiants et étudiantes étrangères. Ainsi, la FAGE se doit d’adopter des stratégies de cohésion et d’appartenance organisationnelle fortes afin de consolider sa position et de ne pas seulement dépendre conjoncturellement de la volonté de fédérations monodisciplinaires et/ou d’associations de filières (voir aussi le rapport de Côme et Morder, 2009, p. 50 et s.).
20 Les arrangements institutionnels adoptés en 1989 ne semblent pas découler d’une rationalisation politique au sommet de l’État visant à dépolitiser les associations nationales étudiantes. L’apparition de la FAGE se dessine pour les personnes interrogées comme un effet inattendu d’une loi qui visait à ratifier la représentativité des organisations déjà existantes, et en particulier l’UNEF, par l’octroi de moyens financiers. La période autour de la promulgation de la loi Jospin est donc une première phase d’émergence de la FAGE.
La FAGE et la gouvernance universitaire
21 Par plusieurs aspects, le fonctionnement de la FAGE et son positionnement politique en développement vont faire écho aux réformes de la gouvernance universitaire qui se succèdent durant la période étudiée (2005-2016). Ceci a joué favorablement dans l’évolution de la popularité de la FAGE auprès des institutions en place, mais aussi auprès d’un certain public étudiant. En revendiquant un « militantisme pragmatique […] en dehors de dogmes préétablis » [15], ainsi qu’en privilégiant la négociation du contenu des réformes, le sens que la FAGE donne au travail de représentation étudiante renvoie aux transformations introduites par les évolutions législatives de la politique universitaire. Dans ses travaux sur ce qu’elle dénomme les « gouvernements étudiants », Manja Klemenčič insiste sur le fait que « plus leur autonomie financière et légale est faible, plus leur transformation vers la professionnalisation et l’entrepreneuriat est rapide » (2014, p. 407) [16]. L’objet politique peu identifié qu’est la FAGE témoigne de cette transition. À mesure qu’elle se développe, elle emprunte de moins en moins en pratique à des registres et répertoires d’action coutumiers des milieux militants étudiants, pour valoriser et favoriser la négociation, tout en s’inscrivant dans le secteur de l’économie sociale et solidaire en tant qu’organisation de jeunesse.
« La culture de la manifestation c’est quand tout le reste a échoué »
22 La FAGE ne lance en effet que très rarement des appels à la mobilisation. Elle n’a par exemple pris part aux manifestations contre le CPE (2006) que tardivement, et elle s’était présentée à la réunion convoquée par le ministre de l’Éducation et le Premier ministre, avec l’UNI et PDE, là où les autres organisations étudiantes avaient depuis longtemps refusé la négociation. Bien qu’elle se soit positionnée contre la réforme, les membres de la FAGE de cette époque expliquent avoir souhaité saisir cette opportunité pour ouvrir les discussions autour de l’insertion professionnelle des jeunes [17]. La présentation de listes aux élections CROUS de l’époque démontre aussi la volonté de continuer à rester dans le jeu institutionnel, même dans les moments de rupture et de mobilisation de masse. La FAGE ne participera pas ni n’appellera aux mobilisations contre la loi Travail, et revendiquera à cette époque le « succès d’une démarche réformiste » [18]. Comme la CFDT dans le champ du syndicalisme salarié, la FAGE développe un positionnement de « partenaire » de l’État, et s’est d’ailleurs rapprochée fortement de ce syndicat après la dissolution de la Cé [19].
23 Le moment politique de la LRU s’avère plus complexe, notamment parce que le mandat de Nicolas Sarkozy est perçu conjointement par l’UNEF et la FAGE comme une période difficile pour le mouvement étudiant. Ces organisations se trouvent rejetées dans l’opposition et ont des difficultés autant à mobiliser qu’à négocier avec le gouvernement. Néanmoins, le personnel permanent de la FAGE de l’époque et son président avaient souhaité se saisir de la volonté gouvernementale d’instaurer une sélection à la fin de la première année de master pour aborder des problèmes qui tenaient de leur avis à une mauvaise architecture des diplômes. En interrogeant ce président à propos des négociations autour de la LRU, il nous explique que là où l’UNEF s’opposait en bloc à toute forme de sélection, c’était plus les modalités de cette sélection qui importait au sein de la FAGE. Il explique ensuite que la FAGE et l’UNEF se sont aussi plus ou moins naturellement réparti les dossiers, l’UNEF étant sur la sélection et la FAGE s’étant rabattue sur la réduction du nombre d’étudiant·es dans les conseils :
« C’est aussi lié à l’ADN de nos organisations. C’est-à-dire que l’UNEF avait besoin d’un sujet très politique, même si derrière, la réalité était plus complexe en termes pédagogiques, ils avaient besoin d’un chiffon rouge : la sélection en master […]. Et nous de par notre ADN très déconcentré, très fédératif, d’avoir l’assurance que les étudiants là où ils sont, sont acteurs de leur université puis ils peuvent participer aux discussions dans leur université. » [20]
25 La distinction des « ADN » politiques entre l’UNEF et la FAGE que livre cet ancien président montre bien en quoi la structuration fédérative de la FAGE (et la rationalisation officielle qui en est faite au sein de l’organisation) facilite les négociations que les élu·es au niveau national entreprennent avec le ministère de l’Enseignement supérieur. Les modalités de la représentation sont des enjeux importants pour la FAGE, susceptibles de devenir les « lignes rouges » à ne pas dépasser, là où le contenu des réformes sur le plan pédagogique est plus matière à discuter de l’avenir des étudiant·es, notamment sur le plan professionnel. Comme pour le CPE, d’abord pris comme une occasion de discuter de « l’employabilité des jeunes », la LRU a été l’occasion, en effectuant un travail de lobbying auprès du Sénat, de modifier la loi pour la création des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle (BAIP), soutenus aussi à l’époque par PDE et la Cé. L’insertion professionnelle est encore aujourd’hui centrale dans les programmes de la FAGE.
26 Dans cette perspective, la manifestation et l’occupation restent des moyens de pression « de dernier recours », quand les négociations se transforment en impasses. Pour un ancien président :
« Le principe de la FAGE c’est de dire que son premier point c’est la négociation, elle assume d’être une organisation qui négocie et qui donc fait des compromis. Mais […] qu’elle peut utiliser tout le panel des moyens qui sont à sa portée » [21].
28 Cette position est confortée par la plupart des dirigeant·es et des membres des bureaux nationaux qui endossent aussi la posture « réformiste » [22] ou « progressiste » [23] de la FAGE. La structuration nationale de la FAGE est initialement le fait d’une nécessité organisationnelle liée à la réforme de 1989. Par la suite, elle a dû et su se développer en fonction des stratégies de négociation tournées vers les institutions, dans une « logique d’influence » (Klemenčič, 2014). Mais il lui a été nécessaire de consolider des liens avec les associations locales dans une « logique d’adhésion », notamment par la formation syndicale. Cette fédération a principalement recouru à des stratégies d’implantation qui relèvent du secteur associatif de l’économie sociale et solidaire.
La FAGE, une « entreprise associative » du mouvement étudiant ?
29 Si la FAGE a su se saisir des opportunités de financement ouvertes par la loi de 1989, elle a aussi continué en interne un travail de captation de diverses subventions provenant des ministères, voire d’entreprises privées, notamment des mutuelles. Ainsi, l’organisation ne dépend pas que de la compétition électorale pour son autonomie financière : elle travaille aussi activement à la recherche de fonds pour développer des projets de prévention en santé (sur les infections sexuellement transmissibles, la santé mentale, la santé alimentaire) ou encore pour la création des épiceries solidaires « AGORAé » à l’échelle des campus. La FAGE salarie ainsi une dizaine de personnes pour la communication, le développement de projets et la recherche de fonds. En ce sens, les stratégies de la FAGE s’apparentent à celles développées par les « entreprises associatives » (Hély, 2009) de l’économie sociale et solidaire. Ces épiceries ou ces types de projet se dessinent comme un espace d’identification pour les membres. Comme le mentionne une ancienne présidente, tout en réprouvant l’obligation de se situer politiquement sur l’axe gauche-droite, la FAGE bien qu’« identifiée comme un mouvement centriste […] en travaillant avec des acteurs comme le Secours populaire, la MACIF, […] a trouvé [sa] bulle auprès des acteurs de l’économie sociale et solidaire ». L’obtention de l’agrément association de jeunesse et d’éducation populaire en 1997, autre élément qui permet de comprendre l’institutionnalisation de la FAGE, a ainsi été l’opportunité d’engager des contrats pluriannuels d’objectifs (CPO) avec les différents ministères. Le développement de services à destination de la population étudiante sert aussi de critère de distinction dans les discours officiels de la FAGE : « Contrairement aux autres, on n’avait pas que des objectifs politiques, on avait aussi des objectifs associatifs […] on avait deux parties strictement compartimentables d’activités qui correspondaient à des sources d’activité différentes. » [24] La mise en place des AGORAé repose ainsi sur de nombreux partenariats publics et privés (les DRJSC [25], les départements, mais aussi des fondations telles que celles de groupes de la grande distribution comme Auchan ou Carrefour, ou de l’organisme de protection sociale La Mondiale). La mise en place de ces épiceries solidaires s’inscrit dans des objectifs de sécurité alimentaire, tout en valorisant la figure d’un ou d’une étudiant·e « consomm’acteur » ou « consomm’actrice » [26].
30 La progressive reconnaissance par l’État de l’engagement bénévole dans les cursus universitaires, concrétisée par l’obtention de crédits d’enseignement et d’aménagement du temps des études pour ce type d’activités, entre en résonance avec l’engagement associatif promu par la FAGE. Permis par la loi relative à l’égalité et la citoyenneté, cette conception de l’engagement étudiant s’inscrit dans la logique du processus de Bologne et de la LRU (Testi, 2016). L’approche par compétences qui y est développée valorise ce type d’activités para-académiques comme le lieu d’un apprentissage de la « vie citoyenne ». Cette conception de l’engagement étudiant rompt fortement avec le militantisme encouragé et développé au sein de l’UNEF. En effet, la FAGE « promeut l’engagement sous toutes ses formes » et embauche des volontaires en service civique au sein des fédérations [27]. Pour l’ancienne présidente, la FAGE aurait réussi à proposer un espace pour les « jeunes qui ont envie de faire quelque chose et de se rendre utiles ». Ceci « répond beaucoup plus à [ce qu’elle conçoit comme une demande] en termes de communication et d’engagement », notamment parce qu’elle s’affiche comme la seule organisation à « faire vraiment à la fois du syndicalisme et des campagnes de promotion, et de bénévolat » [28]. La promotion de cette forme d’engagement est aussi liée à une posture stratégique qui cherche à s’adresser au « jeune, à l’étudiant dans sa globalité » [29]. Dans la dernière section, nous revenons sur les décisions prises en interne par la FAGE durant la période étudiée et qui lui ont permis de solidifier sa position de première organisation étudiante de France.
Une organisation au service de la population étudiante ?
31 La volonté de diversifier les subventions de l’organisation pour développer des actions de service et de solidarité à l’échelle des universités reflète la valorisation d’une certaine conception de l’engagement étudiant. La cohérence des discours tels que prônés par la FAGE en tant qu’organisation avec un modèle d’engagement étudiant plus individualisé (Vermeersch, 2004 ; Testi, 2016) se retrouve aussi dans les activités de formation mises à disposition des membres. Ce modèle d’engagement est de fait moins ancré dans une conception collective de la représentation. L’analyse porte bien ici sur les discours des membres au niveau national et les stratégies et outils à leur disposition pour travailler l’identité collective. Elle ne peut prendre en compte la diversité des méthodes employées pour mobiliser un électorat, ou les pratiques réelles sur les conseils centraux et les CROUS des élu·es FAGE. Néanmoins, l’énergie déployée à la formation des élu·es témoigne du défi pour les organes centraux de la Fédération de créer du lien avec la base. Ces problèmes tiennent pourtant au fait que sa création a été précipitée par des dispositifs légaux ouvrant aux financements. Autrement dit, la centralisation des ORE induite par les lois qui encadrent « la représentativité » et la « représentation » étudiante au sein de la gouvernance universitaire a des effets ambivalents. Le regroupement d’une multitude d’associations locales, pourtant très diversifiées, semble dans un premier temps motivé par des stratégies de captation de ressources, mais a pourtant des effets sur l’organisation des relations entre le bureau national et l’échelle locale. Ces stratégies renseignent aussi sur la dimension « apolitique » ou indépendante qu’a ouvertement endossée la FAGE.
Un système fortement décentralisé et une appartenance organisationnelle floue
32 Que ce soit à des fins de stratégie électorale ou pour asseoir une certaine légitimité de l’organisation fédérative, il s’avère nécessaire pour la FAGE de travailler ce lien avec les étudiant·es membres des associations locales. Les élu·es se trouvent en effet face au défi du poids organisationnel de cette « fédération de fédérations d’associations » : le manque de cohérence politique sur les positions à adopter face aux réformes retarde ou empêche certains dossiers d’avancer. L’absence de la FAGE au moment de la réforme des retraites en 2010 est ainsi attribuée à ce manque de cohérence :
« Nous avions été je dirais la seule organisation représentative qui n’était pas allée sur ce débat-là parce qu’on avait une énorme lourdeur, parce que certains étaient pour, certains étaient contre le fait qu’on se prononce […] on était restés je dirais englués dans ces considérations démocratiques, administratives qui ne rendaient pas l’organisation efficiente. » [30]
34 Les associations locales étant très variées, tantôt basées sur l’appartenance disciplinaire, tantôt centrées autour de l’animation de la vie étudiante (comme les BDE), la FAGE se doit de fournir un travail politique autour d’une identité commune. Les outils de formation qu’elle développe sont ainsi pensés pour construire un sentiment d’appartenance collective qui passe de fait surtout par l’apprentissage de compétences techniques.
35 La diversité des associations locales est aussi critiquée par d’autres organisations accusant la FAGE d’être « une fédé de corpos ». Le flou lié à l’appartenance des associations locales débouche sur des situations ambiguës. Si la constitution de listes communes entre la FAGE et PDE était surtout le fait de ces associations locales, elle était aussi le résultat de la faible identification de celles-ci, même par leurs membres, aux deux fédérations nationales. Ainsi, même les membres interrogé·es des bureaux nationaux successifs n’étaient pas toujours au courant, lors de leurs premiers engagements, de l’adhésion de leur association à la FAGE. De plus, des rumeurs autour des tendances politiques de droite au sein de certaines associations, voire des attaques envers des militant·es de l’UNEF relayées à cette époque par la presse (Delaporte, 2013), poussent la FAGE à clarifier son positionnement politique et à travailler autrement le lien avec les groupes locaux. Comme en témoigne un enquêté :
« Nos fédérations portent des noms différents, les associations portent des noms différents, les étudiants ne s’adressent pas aux associations forcément pour des questions syndicales mais plus pour les questions de services, sans savoir que derrière l’association il y a le réseau de la FAGE. On avait donc ce déficit d’image où les associations ne revendiquaient pas forcément l’appartenance à un réseau national et […] quand on disait “la FAGE porte une position”, les étudiants ne savaient même pas que leur association en faisait partie. Donc il y avait ce gros problème, je dirais, de communication auprès des étudiants qu’il fallait pallier » [31].
37 Ainsi, le développement de projets associatifs, tel que mentionné à propos de leur inscription dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, est l’occasion de contrebalancer cette image. Le mot du président dans le cadre de l’ouverture d’une AGORAé locale souligne cette préoccupation :
« Oui, certains de nos associatifs s’engagent pour organiser des soirées ou vendre des blouses. La FAGE leur apporte une conscience citoyenne, les amène à développer une conscience politique pour en faire des élus nationaux ou des présidents de la FAGE. » [32]
39 Afin de contrer les effets d’une faible cohésion associative et de démentir les accusations des autres organisations, la Fédération a développé de nombreux outils. Aujourd’hui, les listes aux élections universitaires et celles des œuvres ont été harmonisées (« Bouge ton CROUS », « Bouge ta Fac »). La FAGE a dû aussi développer une panoplie de supports communicationnels pour rendre visible son existence à l’échelle des associations locales. En plus d’avoir recours à du matériel et des tactiques électorales, la FAGE a développé un éventail de dispositifs de formation que tous les membres des bureaux successifs de notre enquête font valoir comme une stratégie essentielle et opérante pour créer du lien.
40 Peu à peu, la FAGE se construit une image d’organisation pragmatique, ouverte à la négociation, proche des besoins étudiants et efficace dans son rôle de cogestionnaire. Ce type de développement n’est pas nouveau sur le plan international pour les organisations étudiantes, mais il marque un changement dans le paysage étudiant français, jusque-là associé au syndicalisme de lutte.
Former pour consolider une identité organisationnelle ou pour former des cadres ?
« Ce n’est pas un changement de stratégie, mais il y a eu un renforcement aussi encore plus important, de tout ce qui était la politique de formation, où on a vraiment poussé là-dessus pour essayer d’avoir le réseau le plus expert, avec aussi un bureau national très, très présent. » [33]
42 Cette citation montre la double logique sous-jacente au développement des formations internes de la FAGE : elle permet à la fois de développer une expertise, tournée vers les partenaires et les institutions, mais aussi de renforcer la présence des permanent·es du niveau national dans les fédérations et associations locales pour essayer de les souder à une échelle plus large que leur ville. Un poste salarié et un poste de vice-président·e sur le bureau national sont entièrement et uniquement dédiés à la formation et environ 80 formations sont actuellement disponibles dans les catalogues, précisant le niveau d’expertise et de technicité requis. La FAGE travaille le lien avec le réseau par les formateurs et formatrices, en poussant les fédérations territoriales à se saisir de ces dispositifs pour former leurs membres sur des sujets variés : compétences techniques sur les réformes universitaires, CROUS, élections, gestion de budget, création d’une association, montage de projets, « démarchage et gestion des partenaires », gestion des « relations presse » ou encore « assurance qualité de la gestion de projet » [34]. Des « week-ends formation » ponctuent les calendriers des fédérations territoriales, des universités d’été dites « Assoliades » sont organisées chaque année, et plus des deux tiers du temps du « Séminaire national des élu·es étudiant·es » sont consacrés à ce type d’activités. L’importance de la formation témoigne de la centralité de l’enjeu de l’expertise promu par la FAGE. Elle revendique ainsi délivrer des formations à plus de 7 000 « bénévoles » chaque année, pour lesquelles elle demande des retours d’évaluation par les formateurs et formatrices mobilisé·es pour « l’évaluation continue du pôle ». La formation y est coordonnée et centralisée.
43 La FAGE sert aussi de base au développement des projets associatifs qu’elle finance en partie avec les contrats pluriannuels d’objectifs (prévention santé, AGORAé, solidarité locale). In fine la formation permet de travailler la cohésion non pas tant sur le plan politique ou sur des valeurs partagées que par l’investissement et l’engagement d’élu·es « expert·es », des cadres. Ceci n’empêche pourtant pas les conflits et débats de positions au moment des réformes, et sur les stratégies à adopter. Sans présager des résultats qui pourraient être obtenus à partir d’une prosopographie complète, les dirigeant·es de notre enquête ont d’ailleurs des carrières et orientations politiques sensiblement différentes. Encarté·es au PS pendant un temps, proches des jeunes En Marche, déçu·es d’un passage par la FAGE qui a provoqué l’exit du champ politique ou cadres au sein de la confédération des syndicats européens, ils et elle s’appliquent à distinguer leurs engagements personnels de leur passage par la FAGE. La dimension politique reste souvent évacuée de leurs discours sur les activités qu’ils et elle ont menées en tant qu’élu·es et représentant·es.
Dépolitisation ou déconflictualisation ?
44 Le caractère « apolitique » de la FAGE, qui se présente d’ailleurs plutôt comme une organisation « indépendante », est ainsi mobilisé comme une stratégie par ses membres, qui vont jusqu’à en revendiquer la primauté de leur expertise ou leur identité de négociateur ou négociatrice [35]. La dimension associative des projets qu’elle développe à l’échelle des universités s’apparente plus à une logique de syndicalisme de services. Si l’État n’a jamais souhaité donner le statut légal de syndicat aux organisations étudiantes, la FAGE, en tant qu’association, s’est saisie d’une certaine conception des intérêts étudiants pour se construire une identité collective. Ce contournement du politique passe par exemple, sous le mandat d’un des président·es, par un rejet de la formalisation des dissensus :
« À la FAGE il n’y a pas de tendance, elles sont interdites. Ce n’est pas formalisé comme ça mais du coup, pour moi, c’est un truc en tant que président pour lequel je suis très, très vigilant je ne veux pas de tendance. Je veux qu’il y ait des alliances c’est très bien mais je ne veux surtout pas formaliser les alliances entre les gens, surtout sur les choses qui sont des clivages, en réalité des clivages de parti, […] je trouve ça très logique qu’il y ait des tendances dans un parti politique mais pas dans un syndicat étudiant. »
46 En souhaitant se distinguer de l’UNEF, mais aussi du fait de la diversité de ses membres, la FAGE en tant qu’organisation tend à éviter des positionnements politiques trop marqués. À l’inverse, un autre président témoigne justement des difficultés qu’il a pu avoir dans l’exercice de ses fonctions :
« Moi, disons avec un positionnement politique personnel qui était beaucoup plus à gauche que la FAGE quand je suis arrivé au sein de la FAGE, j’étais souvent conflictuel. » [36]
48 L’ensemble des président·es revendique une « indépendance » vis-à-vis des partis politiques [37]. S’il y a dépolitisation, elle est surtout dans le rejet d’une affiliation partisane. Bien que la dépolitisation des syndicats français soit issue d’une dynamique historique de déconnexion progressive des stratégies partisanes (Giraud et al., 2018), la FAGE n’a jamais à proprement parler eu de connivence avec un parti, contrairement à l’UNEF aux liens forts avec le PS et le PCF. Parler de déconflictualisation permet non seulement de qualifier ce que l’on entend ici par dépolitisation, mais aussi de caractériser l’attitude négociatrice de la FAGE et d’expliciter la nature de ses stratégies. En rejetant une étiquette politique claire et en évitant l’accentuation de ce type de conflit en interne, la fédération combine un travail d’influence tourné vers les ministères – qui sont pour elle décideurs et financeurs – et un travail d’adhésion envers la pluralité des associations qu’elle représente. Pourtant, en tant qu’organisation elle se positionne assez clairement vis-à-vis des réformes. Pro-européenne, tournée vers l’insertion professionnelle, représentante des étudiant·es mais aussi et surtout de « la jeunesse », elle a su s’approprier les logiques plutôt managériales induites par les réformes successives d’autonomie des universités pour se faire une place dans le paysage étudiant (Dufour, Labelle, Leboucher, 2021).
Conclusion
49 L’exemple de la FAGE montre que l’institutionnalisation de la participation joue aussi comme un encadrement du degré de conflictualité des syndicats étudiants, en régulant la vie universitaire de moments électoraux et de compétition nationale, de tâches quotidiennes de représentation sur diverses instances et d’assignation des rôles à différents niveaux de gouvernance. Avec la loi Jospin de 1989, les conditions institutionnelles, dont la formalisation de la compétition électorale, étaient réunies pour permettre l’émergence de la FAGE. Le « succès » récent de la FAGE et sa consolidation progressive sur les 30 dernières années mettent en lumière les conséquences (en matière de contraintes et d’ouverture du jeu institutionnel) de la législation de la représentation étudiante par les réformes successives. On voit ici tout l’intérêt d’étudier le mouvement étudiant à un niveau plus institutionnel, en relevant les logiques organisationnelles qui autorisent et empêchent les négociations avec les interlocuteurs et interlocutrices étatiques. Comme le souligne Robi Morder (2020b, p. 267) en conclusion d’un ouvrage collectif portant sur les institutions universitaires et le mouvement étudiant français sur le temps long, la dichotomie contestation/intégration est trop simpliste pour appréhender finement la situation actuelle. Au-delà de la présence médiatique des militant·es étudiant·es lors des mobilisations ou des blocages [38] des campus universitaires, on voit à travers l’exemple de la FAGE comment l’évolution des stratégies et le fonctionnement organisationnel peuvent se faire en réponse aux réformes de l’enseignement supérieur.
50 Dans les conflits politiques autour des dernières réformes de 2019 et 2020, l’organisation de la contestation s’est beaucoup faite en dehors des associations nationales dites représentatives, dans la continuité des mobilisations contre la loi Travail et contre la plateforme Parcoursup, surtout en initiant des actions locales, notamment des occupations. Bien que la FAGE se pose des « limites » politiques (mobilisation pendant 2002 au nom de la « citoyenneté », rejet des allusions à l’extrême droite de la part des associations locales) et se soit mobilisée contre l’augmentation des frais de scolarité des étudiants et étudiantes étrangères, elle n’est de fait pas une organisation qui mobilise. On assiste donc à un décrochage de plus en plus fort entre les activités de négociation (travail de représentation et de médiation) et les activités de mobilisation (travail de luttes politiques), accentué par une répression politique et policière accrue. Ces transformations, surtout visibles au niveau national qui était l’échelle de notre enquête, renseignent néanmoins sur le mouvement étudiant et sa capacité contestataire. L’apparition de L’Alternative, « union syndicale et associative », peut aussi être lue en réaction à cette rupture. Constatant « la montée des corporatismes et des forces soumises aux gouvernances universitaires » et « l’échec du centralisme étudiant » [39], ces syndicats indépendants fortement implantés localement ont récemment obtenu deux sièges aux dernières élections du CNESER. Composée d’antennes locales de syndicats issus de l’extrême gauche (Solidaires et l’Union étudiante communiste – UEC) mais aussi de regroupements autogestionnaires, cette union témoigne d’une recomposition du mouvement étudiant, inséré dans le jeu institutionnel des élections.
Annexe. Article 13 de la loi no 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation
51 « Sont regardées comme représentatives les associations d’étudiants qui ont pour objet la défense des droits et intérêts matériels et moraux, tant collectifs qu’individuels, des étudiants et, à ce titre, siègent au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche ou au conseil d’administration du Centre national des œuvres universitaires et scolaires. Elles bénéficient d’aides à la formation des élus. Elles sont associées au fonctionnement d’un observatoire de la vie étudiante qui rassemble des informations et effectue des études concernant les conditions de vie matérielle, sociale et culturelle des étudiants. »
Bibliographie
- Ancelovici Marcos, Dufour Pascale, Nez Héloïse, 2016, Street Politics in the Age of Austerity, Amsterdam, Amsterdam University Press.
- Argibay Camilo, 2014, « Des militants en costume cravate. Regard socio-historique sur l’engagement des dirigeants étudiants de la MNEF (1973-1986) », Le Mouvement Social, 248, p. 93‑108.
- Béroud Sophie, 2014, « Crise économique et contestation sociale en Espagne : des syndicats percutés par les mouvements sociaux ? », Critique internationale, 65, p. 27‑42.
- Brooks Rachel, 2016, Student Politics and Protest: International Perspectives, Londres, Routledge.
- Côme Thierry, Morder Robi, 2009, « État des savoirs. Les engagements étudiants. Formes collectives et organisées d’une identité collective », Rapport pour l’Observatoire de la vie étudiante, juin 2009, https://jeunes-vocations.catholique.fr/wp-content/uploads/sites/16/2018/03/Les-engagements-des-etudiants.pdf (accès le 24/01/2022).
- Delaporte Lucie, 2013, « Pour le président de l’Unef, “l’extrême droite tente de s’installer dans les facs” », Mediapart, 24 octobre 2013, https://www.mediapart.fr/journal/france/241013/pour-le-president-de-lunef-l-extreme-droite-tente-de-s-installer-dans-les-facs (accès le 24/01/2022).
- Desvignes Arnaud, 2019, « Les enjeux de la participation dans le monde universitaire de la loi Faure à l’abrogation de la loi Sauvage (1968-1981) », Histoire@Politique, 37, https://www.histoire-politique.fr/documents/37/dossier/pdf/HP37_Dossier_ArnaudDesvignes_def.pdf (accès le 24/01/2022).
- Dufour Pascale, Labelle Alexie, Leboucher Marion, 2021, « Higher education regimes and social protest: the case of contentious student politics in France (2005-2016) », French Politics, 19 (4), p. 347-371.
- Flesher Fominaya Cristina, 2015, « Debunking Spontaneity: Spain’s 15-M/Indignados as Autonomous Movement », Social Movement Studies, 14 (2), p. 142‑163.
- Giraud Baptiste, Yon Karel, Béroud Sophie, 2018, Sociologie politique du syndicalisme, Paris, Armand Colin.
- Haute Tristan, 2015, « Étudier les comportements électoraux des étudiants aux élections universitaires en France : un “vote de filière” ? Les cas des élections 2012 et 2014 », Démocratie et citoyenneté étudiante après 1968 : jeux d’échelles, Saint-Denis (France), colloque Université Paris 8/Conseil régional d’Île-de-France, 1-3 juillet 2015, HAL-01736575.
- Hayat Samuel, Sintomer Yves, 2013, « Repenser la représentation politique », Raisons politiques, 50, p. 5‑11.
- Hély Matthieu, 2009, Les métamorphoses du monde associatif, Paris, Presses universitaires de France.
- Klemenčič Manja, 2014, « Student power in a global perspective and contemporary trends in student organising », Studies in Higher Education, 39 (3), p. 396‑411.
- Le Mazier Julie, Testi Julie, Vila Romain, 2014, « Les voies multiples de la représentation en situation de délégation ratée : agir au nom des étudiants », in Alice Mazeaud (dir.), Pratiques de la représentation politique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 213‑227.
- Le Mazier Julie, 2014, « Assemblées générales étudiantes et démocratie participative : un air de famille ? », Participations, 10, p. 61‑83.
- Legois Jean-Philippe, Monchablon Alain, Morder Robi, 2007, Cent ans de mouvements étudiants, Paris, Éditions Syllepse.
- Melchior Hugo, 2018, « Où va le mouvement étudiant ? », The Conversation, 24 avril 2018, https://theconversation.com/ou-va-le-mouvement-etudiant-95381 (accès le 24/01/2022).
- Montchablon Alain, 1983, Histoire de l’UNEF de 1956 à 1968, Paris, Presses universitaires de France.
- Morder Robi, 2003, « L’Unef : un exemple d’investissement social de la forme associative », Matériaux pour l’histoire de notre temps, 69, p. 5-18.
- Morder Robi, 2020a, « Étudiants en élection : les stratégies des acteurs », in Jean-Philippe Legois, Marina Marchal, Robi Morder (dir.), Démocratie et citoyennetés étudiantes depuis 1968, Paris, Éditions Syllepse.
- Morder Robi, 2020b, « En guise de conclusion provisoire : corps étudiants & communauté universitaire, face à face ou côte à côte ? », in Jean-Philippe Legois, Jean-Louis Violeau, Institution universitaire et mouvements étudiants : entre intégration et rupture ?, Paris, L’Harmattan, p. 265-271.
- Nez Héloïse, 2013, « La professionnalisation et la politisation par la participation. Trajectoires d’individus et de collectifs à Paris et Cordoue », Revue internationale de politique comparée, 20 (4), p. 29-53.
- Offerlé Michel, 1998, Sociologie politique des groupes d’intérêt, Paris, Montchrestien.
- Porte Emmanuel, 2007, « Au tournant du siècle (1986-2006), actualité des mouvements étudiants », in Jean-Philippe Legois, Alain Monchablon, Robi Morder (dir.), Cent ans de mouvements étudiants, Paris, Éditions Syllepse.
- Testi Julie, 2016, « La reconnaissance académique de l’engagement bénévole des étudiants », Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, 41, DOI:10.4000/edso.1764.
- Vermeersch Stéphanie, 2004, « Entre individualisation et participation : l’engagement associatif bénévole », Revue française de sociologie, 45 (4), p. 681‑710.
- Yon Karel, 2005, « Modes de sociabilité et entretien de l’habitus militant », Politix, 70, p. 137‑167.
Mots-clés éditeurs : Approche néo-institutionnelle, Participation, Représentation étudiante, France, Rapport au politique, Mouvement étudiant
Date de mise en ligne : 17/10/2022
https://doi.org/10.3917/parti.033.0151Notes
-
[1]
Voir le rapport Étude sur la participation des étudiants aux élections universitaires publié en 2004 par l’association Civisme et Démocratie (https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/044000126.pdf, accès le 24/03/2022) ; Le Mazier et al. (2014).
-
[2]
Les modalités de représentation se trouvent somme toute reléguées à l’arrière-plan des objets de lutte visibles et médiatisés.
-
[3]
Article 13 de la loi no 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation, voir Annexe pour le détail de l’article.
-
[4]
Répondante no 3, voir encadré.
-
[5]
FAGE, 2015, Guide du responsable associatif et du bénévole étudiant (GRABE), 3e édition, p. 20, sur demande auprès de la FAGE, https://www.fage.org/formations/grabe/ (accès le 24/03/2022).
-
[6]
Propos de Marcel Rudloff, compte rendu du 28 juin 1989, p. 2086, Archives des débats sénatoriaux (http://www.senat.fr/comptes-rendus-seances/5eme/pdf/1989/06/s19890628_2027_2094.pdf, accès le 24/03/2022).
-
[7]
Déjà par le nom, le « AGE » de l’acronyme FAGE qui reprend l’idée des « assemblées générales étudiantes », mais aussi dans les récits véhiculés lors des formations sur l’histoire de l’organisation.
-
[8]
Propos de Marcel Rudloff, op. cit.
-
[9]
Discours de présentation de la loi d’orientation sur l’éducation par Lionel Jospin, discussion en séance publique au Sénat, 27 juin 1989.
-
[10]
Chiffres de 2018, tels que présentés sur le site Internet de la FAGE, https://www.fage.org/les-assos-etudiantes/federations-fage/federations-annuaire/ (accès le 20/11/2020).
-
[11]
Répondante no 3.
-
[12]
Répondant no 2.
-
[13]
La confédération étudiante, très proche et même financée par la CFDT, n’est plus représentative à partir de 2013. La FAGE est aujourd’hui le partenaire associatif étudiant de la CFDT : en témoignent notamment des communiqués conjoints avec le SGEN.
-
[14]
Répondant no 6.
-
[15]
FAGE, 2015, Guide du responsable…, op. cit., p. 28.
-
[16]
Traduit par nos soins.
-
[17]
Répondants no 2 et 5.
-
[18]
FAGE, « Loi Travail : Un nouveau texte reprenant largement les propositions de la FAGE », 16 mars 2016, https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2016-03-16,fage-loi-travail-un-nouveau-texte-reprenant-largement-les-propositions-de-la-fage.htm (accès le 11/05/2022). À ce titre, les différentes interventions du président de la FAGE de l’époque confirmeront la position de négociation. L’appel et la participation aux mobilisations seront ainsi un point de clivage particulièrement médiatisé entre les deux organisations.
-
[19]
Deux anciens membres nationaux de la FAGE (des répondants) ont été recrutés par la CFDT à l’époque de leur mandat, y travaillent encore aujourd’hui ou y ont travaillé.
-
[20]
Répondant no 2.
-
[21]
Répondant no 1.
-
[22]
Répondante no 3.
-
[23]
Répondant no 2.
-
[24]
Répondante no 3.
-
[25]
DRJSC : Direction régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports.
-
[26]
Dossier de presse Inauguration de l’AGORAé de la FEUCL, 23 octobre 2012.
-
[27]
FAGE, « Rentrée 2019 : une nouvelle année pour le volontariat en service civique à la FAGE », 18 septembre 2019, https://www.fage.org/news/actualites-fage-federations/2019-09-18,volontariat_service_civique_fage.htm (accès le 11/05/2022).
-
[28]
Répondante no 3.
-
[29]
Présentation de la FAGE à l’adresse : www.fage.org/les-assos-etudiantes/presentation/ (accès le 24/03/2022).
-
[30]
Répondant no 4.
-
[31]
Répondant no 4.
-
[32]
Discours du président de la FAGE issu du dossier de presse Inauguration de l’AGORAé de la FEUCL, 23 octobre 2012.
-
[33]
Répondante no 3.
-
[34]
Catalogue des formations de la FAGE, https://www.fage.org/formations/catalogue-formation/ (accès le 24/03/2022).
-
[35]
La neutralité est souvent invoquée comme une qualité pour la négociation, elle permet d’insister sur l’expertise et de se distancier du « mouvementisme » de l’UNEF. Elle peut aussi être un moyen de recruter des « primo-arrivant·es » voire de se distinguer de militant·es aguerri·es « intimidant·es ».
-
[36]
Répondant no 4. Cela a aussi provoqué une rupture au sein de sa trajectoire : contrairement à la grande majorité des étudiant·es élu·es, de la FAGE comme de l’UNEF, il a « quitté le politique » pour finir ses études de kinésithérapeute (voir encadré).
-
[37]
Cette dimension est très présente dans l’entretien de Jean-Baptiste Mougel, président de la FAGE en 2003, dans la revue Agora débats/jeunesses : « Les spécificités de l’engagement étudiant », propos recueillis par Francine Labradie et Tariq Ragi, no 31, p. 94-105.
-
[38]
Sur ce point, la dernière réforme de l’université (LPR : Loi de programmation de la Recherche) avait souhaité criminaliser les occupations. Le Conseil constitutionnel a finalement censuré ce « délit d’entraver » qui a dû être retiré de la loi avant promulgation.
-
[39]
Association ÉCHARDE, « L’Alternative : une nouvelle force syndicale, associative et combative pour représenter les étudiant⋅es », 18 octobre 2019, https://echarde.org/2019/10/18/lalternative-une-nouvelle-force-syndicale-associative-et-combative-pour-representer-les-etudiant%E2%8B%85es/ (accès le 24/03/2022).