Couverture de PARTI_026

Article de revue

La démocratie participative au secours du paternalisme des élus. À propos des usages politiques d’un budget participatif

Pages 77 à 103

Notes

  • [1]
    Le genre masculin est utilisé dans le présent article comme genre neutre.
  • [2]
  • [3]
  • [4]
    L’adjoint en charge du BP et trois adjoints de quartier. Précisons de suite que la maire a décliné toutes nos sollicitations d’entretien en nous renvoyant sur différents collaborateurs.
  • [5]
    Ce qui rejoint les travaux insistant sur les liens complexes entre usage de la participation et réseaux politiques locaux (Mattina, 2008).
  • [6]
    Entretien adjointe quartier 2 : « Ce qu’on trouve aussi un peu dommage dans le BP c’est que les gens ont fait des projets pour leur quartier, c’est très bien, mais on aurait aimé qu’ils fassent des projets pour la ville. Les projets sont très : “mon trottoir, ma rue”, et la vision globale de la ville, ils ne l’ont pas, et dans les quartiers sud c’est encore pire qu’ailleurs, je ne sais même pas s’ils se sentent avignonnais. Ils sont de [noms de quartier] mais ils ne sont pas d’Avignon. » Soulignons tout de même que ce reproche est contradictoire avec la plupart des discours tenus par ailleurs, qui insistent à de multiples reprises sur la nécessité que les habitants s’impliquent dans « l’aménagement de leur quartier ».
  • [7]
    À Avignon, le taux de pauvreté est de 31 %, le taux de chômage de 26 %, et le revenu médian par ménage est de 16 058 € contre respectivement 15 %, 14 %, 20 566 € pour la France métropolitaine (source : recensement INSEE, 2015). Les quartiers prioritaires dans la politique de la ville concernent environ un tiers de la population de la ville et le programme de rénovation urbaine lancé en juillet 2018 dans le cadre du NPNRU concerne un peu plus d’un quart des logements avignonnais.
  • [8]
    Les conseils de quartier ont aussi largement été mis en avant dans les entretiens et discussions informelles que j’ai pu avoir, et dans les observations que j’ai pu faire, car ils ont été renouvelés au début de l’été 2018 et sont donc associés la plupart du temps à la politique municipale de participation publique, comme l’un des leviers identifiés localement.
  • [9]
    Alors que la moyenne nationale de l’abstention est de 36 %, celle-ci est de 43 % à Avignon, avec de fortes disparités selon les quartiers.
  • [10]
    Entretiens conseiller technique cabinet du maire et adjointe de quartier.
  • [11]
    Discussions informelles avec des membres du cabinet de la maire et des services du Grand Avignon.
  • [12]
    Colloque Géopoint, Avignon, 14 et 15 juin 2018.
  • [13]
    En parallèle de sa carrière universitaire, Cécile Helle a toujours mené une carrière politique : d’abord comme militante au sein du PS dans le Vaucluse, puis comme députée socialiste de 1997 à 2002 où elle a remplacé Élisabeth Guigou après son départ au gouvernement de Lionel Jospin, puis comme conseillère municipale à Avignon de 2001 à 2008, conseillère et vice--présidente de la région PACA de 2004 à 2014. Pour plus de détails sur la carrière politique de C. Helle, L. Godmer et G. Marrel (2016) apportent un éclairage intéressant en partant du travail politique conduit au quotidien.
  • [14]
    Elle a soutenu en 1995 une thèse de géographie à l’Université d’Avignon intitulée : L’extension du bâti en Vaucluse : analyse spatiale, sous la direction de Joël Charre.
  • [15]
    Concept forgé par une équipe de chercheurs de l’UMR Espace de l’Université d’Avignon. Voir par ailleurs : Nathalie Dubus, Cécile Helle et Michelle Masson-Vincent, 2010, « De la gouvernance à la géogouvernance : de nouveaux outils pour une démocratie LOCALE renouvelée », L’Espace Politique, 10, https://journals.openedition.org/espacepolitique/1519 (accès le 18/11/2020) ; Michelle Masson-Vincent, Nathalie Dubus-Viossat, Cécile Helle et al., 2011, « Information géographique, analyse spatiale et géogouvernance », L’Espace géographique, 40, p. 127-132.
  • [16]
    Le détail des critères est disponible ici : http://www.avignon.fr/democratie-participative/budget-participatif-2018/le-reglement (accès le 18/11/2020).
  • [17]
    En juin 2017, le DGS de la ville d’Avignon ayant été élu député, la nouvelle directrice « Vie des quartiers » prend temporairement son intérim, avant de devenir DGA du pôle.
  • [18]
    Cette deuxième personne a travaillé auparavant, pendant une dizaine d’années, dans le cadre de la politique de la ville, ayant en charge notamment l’animation des dispositifs de médiation et d’inclusion des habitants, dans plusieurs villes du Vaucluse ou des Bouches-du-Rhône.
  • [19]
    Entretien DGA, mairie Avignon.
  • [20]
    Entretien adjointe quartier 2 : « On manque d’encadrement sur la démocratie participative etc., et puis on fait tout dans l’urgence alors c’est dur de se former à tout. […] [Lors de la présentation de la feuille de route des nouveaux conseils de quartier en septembre 2018], [la directrice de la vie participative] a fait une présentation très technique, très professionnelle mais c’est loin de nos préoccupations quotidiennes […] et encore plus de celles des habitants ».
  • [21]
    Entretien adjointe de quartier 1 et entretien adjoint en charge du BP.
  • [22]
    Entretien DGA, mairie Avignon et entretien conseiller technique cabinet de la maire.
  • [23]
    Cette mesure reste tout de même facile à contourner avec un simple changement d’adresse IP ou un changement de terminal.
  • [24]
    Lors de la deuxième édition, les votes en urne sont restreints : il est impossible de voter directement lors de la ruche à projets et l’urne installée en mairie centrale a été supprimée, pour ne laisser que celles en mairies de quartier, dont on met en avant la capacité à mieux les contrôler. De plus, une affichette appelant à la responsabilité de chacun et au devoir citoyen doit être mise en place devant les urnes. Cependant, soulignons que les porteurs de projet ayant confessé avoir « bourré » les urnes l’ont fait dans les mairies de quartier, où le positionnement même de certaines urnes fait qu’elles sont impossibles à contrôler par les agents d’accueil – bien occupés par ailleurs.
  • [25]
    Je n’ai pas assisté à cette réunion, mais plusieurs porteurs de projets m’en ont rapporté les mêmes éléments.
  • [26]
    Bien qu’ils soient la plupart du temps satisfaits de voir leur idée se réaliser, les porteurs de projet également rencontrés dans le cadre de notre enquête ne sont pas dupes, plusieurs s’interrogeant sur le sens d’une telle participation à la vie municipale.
  • [27]
    À l’échelle locale, des parallèles sont observables avec ce qui a déjà été décrit au sujet de la mise en place de conseils de quartier (Bertheleu, Neveu, 2005) ; cela recoupe aussi la façon dont les dirigeants nationaux conçoivent la représentation (Schiffino et al., 2019).
  • [28]
    Lors du renouvellement des conseils de quartier en juin 2018, quatre porteurs de projet de la 1re édition du BP intègrent ces conseils.
  • [29]
    Entretien adjoint en charge du BP.
  • [30]
    Cinq autres élus, dont la maire, ont été sollicités sans avoir donné suite à nos demandes d’entretien.
  • [31]
    Cela fait complètement écho à ce que J. Talpin soulignait déjà en 2013 en pointant que « l’action publique n’est pas significativement démocratisée par la participation » (Talpin, 2013).
  • [32]
    Les élus semblent parfois si attachés à la nécessité de cette dimension pédagogique, que cela pourrait presque être lu comme une transposition de leur propre découverte du métier, lors de leurs premiers pas d’élu.

1Lorsqu’on évoque le lien qu’entretiennent les élus [1] à la démocratie, l’idée d’un « impératif participatif » semble rester une rhétorique incontournable pour nombre d’entre eux, et ce quel que soit leur niveau de gouvernement, leur affiliation partisane ou idéologique. En France, de la concertation sur la réforme des retraites lancée le 31 mai 2018 par le gouvernement d’Édouard Philippe [2] à la diffusion des budgets participatifs dans les villes dirigées par des majorités socialistes ou écologistes (pêle-mêle et de façon non exhaustive : Paris, Grenoble, Rennes, Metz, Avignon), en passant par la concertation tous azimuts lancée par la région Occitanie dans le cadre du projet d’aménagement régional « Occitanie 2040 » [3], jusqu’au grand débat national tenu au printemps 2019 suite à la mobilisation des Gilets jaunes, les recours à des outils divers permettant l’association de la population à la décision se sont multipliés à tous les niveaux de l’action publique, bien que les contenus et objectifs diffèrent (Gourgues, 2013). Au plan international, la même diffusion des outils participatifs est observable, tant sous l’effet des organisations internationales, des acteurs locaux ou des professionnels de la participation, tout en faisant l’objet d’investissements et d’intérêts divers (Mazeaud, Nonjon, Parizet, 2016).

2Si l’on peut repérer une normalisation de l’offre de participation publique et un consensus sur la nécessité pour les élus d’y recourir, même lorsqu’ils n’en font pas un étendard politique, les objectifs poursuivis par ces derniers sont multiples et souvent flottants : inclure les populations, considérées comme trop éloignées des affaires publiques, a fortiori lorsqu’elles sont marginalisées socialement et politiquement, recréer du lien social dans les quartiers, ou encore se doter d’un outil de veille territoriale et, plus rarement, partager quelques fragments de décision publique (pour un panorama des justifications les plus courantes, voir Bacqué, Sintomer, 2011). Partant de ce panorama très général, nombre d’élus, notamment locaux, semblent relayer l’idée selon laquelle rien ne se fera plus sans participation, sans pour autant que les effets de celle-ci sur l’action publique aient été bien définis (Gourgues, 2016). Néanmoins, lorsqu’on s’intéresse aux conceptions des élus de la participation citoyenne, il apparaît assez clairement que ces derniers connaissent mal les dispositifs et la façon dont ils pourraient réarticuler les rôles politiques (Schiffino et al., 2019). Dans le même temps, la littérature consacrée spécifiquement aux dispositifs participatifs fait souvent l’économie d’une étude des élus, de leurs motivations et représentations. Ainsi, la littérature sur les budgets participatifs (BP) a tendance à écraser quelque peu la question du positionnement des élus, pour se concentrer sur leur fonctionnement et leurs capacités, presque toujours limitées, à « démocratiser la démocratie », aboutissant à des classements par vagues (Pradeau, 2018) ou par types (Sintomer, Röcke, Herzberg, 2016).

3En optant pour une analyse monographique, cet article souhaite moins placer le BP avignonnais sur une carte d’expérimentations comparables, que montrer ce que des élus locaux disent et font d’un dispositif participatif précis, pris comme révélateur d’une conception de la démocratie. Dans la filiation de travaux de sociologie politique considérant que l’étude des « villes moyennes » permet de saisir des tendances transversales au champ politique (Borraz, 1998 ; Guéranger, 2012), l’exemple avignonnais est pensé comme un cas heuristique permettant l’analyse des rapports usuels des élus à la participation citoyenne. Qu’est-ce qui conduit des élus, dans une configuration donnée, à investir un dispositif participatif comme le BP ? Qu’est-ce que ce choix traduit de leur rapport à la démocratie ?

4Ainsi, le cas de la ville d’Avignon est exemplaire d’un recours a priori enthousiaste mais flottant à la participation : partant d’une promesse de campagne de la future maire et après une élection en demi-teinte en mars 2014, la nouvelle équipe municipale met en scène une alternance politique (Aldrin et al., 2016), après vingt années d’administration UMP, en lançant rapidement une offre de participation publique, dont la pièce maîtresse est l’adoption du premier BP de l’histoire de la ville (voir encadré 1).

Encadré 1. Description du dispositif de budget participatif à Avignon

Le BP d’Avignon constitue le pivot de l’offre municipale en matière de démocratie participative. Si l’offre de participation publique à Avignon reste très classique au regard de celles proposées dans des villes comparables (entre autres, la végétalisation participative, la concertation sur les aménagements urbains, un conseil municipal des enfants), le BP a été choisi pour cette enquête car il est le dispositif qui a été le plus investi par l’équipe municipale et a fait l’objet de la communication politique la plus intense (diffusion régulière via le magazine municipal ou les réseaux sociaux numériques de l’avancée des projets, affichage sur les panneaux publicitaires, etc.). Le dispositif étudié a été lancé en 2017, complètement internalisé par l’équipe municipale, qui alloue 5 % du budget d’investissement de la ville (1,5 million d’euros, avec un montant maximum par projet de 150 000 euros) aux projets déposés et choisis par la population. Ce dispositif est partiellement numérique avec un dépôt possible des projets en ligne via un formulaire de dépôt hébergé par le site de la mairie, une consultation possible des projets validés en ligne et un vote électronique possible (sans contrôle d’identité, seule l’adresse IP de l’ordinateur est contrôlée).

5Cet article observe le décalage entre la volonté affichée par les élus de « renouveler la démocratie », ce qui signifie essentiellement pour eux créer de la proximité avec la population, et le peu d’attention accordée au BP en tant que procédure. Ainsi, quinze ans après que Loïc Blondiaux l’a formulé (2005), le constat de l’impensé procédural de la participation persiste : si l’offre de participation publique n’a eu de cesse de se standardiser, notamment sous l’effet de la « mise en marché » des dispositifs (Mazeaud, Nonjon, 2018), les usages politiques locaux semblent encore parfaitement s’accommoder d’un bricolage procédural. Notre hypothèse est que ce bricolage est révélateur d’une posture d’ensemble des élus. Cet usage dépassionné et peu soucieux des procédures est d’autant plus intéressant qu’il concerne un dispositif – le BP – qui continue de faire l’objet d’investissements politiques, méthodologiques et idéologiques largement étudiés et visibles par ailleurs (Rocke, 2014).

6Nous nous intéressons d’abord à la mise en place du dispositif, dans le contexte politique local, puis aux tâtonnements des premières éditions. Ces éléments de cadrage du dispositif sont, enfin, autant de dynamiques qui soulignent le maintien d’une lecture paternaliste de la part des élus de la répartition des rôles entre démocratie représentative et participative.

Encadré 2. Méthodologie de l’enquête

Cet article s’appuie sur une enquête qualitative monographique, engagée fin 2017, autour du dispositif de BP engagé à Avignon. Le choix s’est porté sur la ville d’Avignon car celle-ci constitue un cas idéal-typique des collectivités recourant au BP dans le cadre de ce que Gil Pradeau (2018) nomme la troisième vague des BP français, qui se caractérise par l’inflation rapide du nombre d’expériences, assez largement sous l’influence de la ville de Paris et de sa maire socialiste. La nouvelle maire d’Avignon lance plusieurs dispositifs participatifs, dans une ville qui n’avait que très peu d’expérience de la participation publique précédemment, bien loin donc des cas surinvestis scientifiquement ou politiquement de Paris, Grenoble, Montréal, Porto Alegre, Recife ou encore Cordoue.
L’enquête mobilisée ici est composée d’entretiens semi-directifs conduits avec quatre élus de la majorité municipale [4], un membre du cabinet du maire, et dix personnes des services techniques et administratifs de la mairie en charge du pilotage et de la mise en œuvre de cette politique. Dans une perspective plus ethnographique, cette enquête s’appuie aussi sur des observations in situ du dispositif (observation des ruches à projets, des réunions de suivi des projets, de réunions de chantier, des inaugurations, des réunions publiques, etc.). Les entretiens, observations et documents collectés sont autant d’éléments qui permettent d’analyser les ressorts du choix de ce dispositif par les élus, ainsi que l’articulation des rôles politiques, sans focale particulière sur la procédure en elle-même ou sur ses effets sur la participation.

La mise en place du budget participatif et le poids du politics

7Si les caractéristiques de la ville et de sa population pourraient éclairer le recours au BP à Avignon, la manière dont les élus municipaux, et plus spécifiquement la maire d’Avignon, cadrent le dispositif (objectifs, nécessité, apports) dépend en réalité d’une configuration politique spécifique [5].

8Bien entendu, les caractéristiques de l’espace urbain, marqué par une ségrégation socio-spatiale et un manque d’identité commune [6], constituent indéniablement un terreau favorable pour cet engouement des élus et de l’encadrement administratif pour le BP. La ville d’Avignon est en effet organisée autour de quartiers dont certains sont très marqués avec des identités fortes, d’autres sont très populaires, et d’autres encore sont particulièrement enclavés. Hors de l’intra-muros, délimité par les remparts, les quartiers résidentiels alternent logements pavillonnaires et logements sociaux. Structurellement, Avignon est une ville dont la population est confrontée à d’importantes difficultés économiques et sociales [7] – difficultés dont on sait de longue date qu’elles sont souvent synonymes de mise en retrait de la vie politique. Sans surprise, le BP (et plus largement l’offre de participation) est donc mis en avant, dans le discours des élus et des agents administratifs, comme un moyen de retisser du lien social et d’inclure les populations les moins favorisées socio-économiquement et culturellement :

9

« Q. : C’est qui ceux que vous voudriez vraiment toucher ?
– C’est ceux des quartiers sud, des quartiers populaires, je ne sais pas comment il faut les appeler, là où il y a des gens qui ne parlent pas français, qui n’ont pas d’argent, pas de jardin… Même si on essaye d’améliorer leur quotidien en travaillant avec les bailleurs, ils ne participent pas, ils participent par l’intermédiaire des centres sociaux, qui essayent de les inclure, mais ils ne savent pas à quoi ça sert la plupart du temps ».
(Entretien adjointe du quartier 2)

10

« [L’objectif principal avec le BP est de] montrer aux habitants qu’ils peuvent participer à l’aménagement de leur quartier car on est sur de l’investissement et qu’ils sont entendus, car par le vote on les fait choisir les projets qui leur paraissent les plus intéressants pour leur quartier […] il y a aussi un aspect pédagogique : montrer ce qu’est l’intérêt général […], montrer qu’on peut vraiment agir dans sa ville ».
(Entretien directeur général adjoint, mairie Avignon)

11L’objectif avancé par les élus et les personnels en charge de la participation publique, qui reprennent à leur compte les feuilles de route qui leur ont été livrées, est clairement de renouveler le rapport de la population à la vie politique en lui offrant de nouveaux espaces de participation, notamment par l’intermédiaire du BP [8]. Ainsi, celui-ci est présenté par un élu de quartier comme un :

12

« dispositif […] au cœur d’une volonté politique de proximité et de participation donc un signe fort de démocratie municipale et qui interroge parce que c’est quelque chose d’innovant dans la sphère municipale [et qui a] comme intérêt d’éveiller l’intérêt citoyen ».
(Entretien adjoint de quartier 3)

13Pourtant, l’engouement des élus pour le BP tient moins à ces éléments objectivables des problèmes du « territoire » – qui ne sont jamais évoqués clairement en entretien – qu’à un puissant effet de configuration partisane. En effet, l’arrivée au pouvoir d’une majorité de gauche, emmenée par le Parti socialiste (PS), lors des élections municipales de 2014, se fait sous la pression locale du Front national (FN) (Lagier, 2018), qui arrive en tête du premier tour, dans un contexte de forte abstention [9]. Finalement, la coalition PS-Front de gauche, emmenée par Cécile Helle, l’emporte avec 47,5 % des suffrages, lors de la triangulaire du second tour.

14Le contexte de cette victoire est, assez classiquement, mis en avant par les élus et municipaux dans la description du fonctionnement politique de la majorité et de l’organisation de ses priorités politiques. Les difficultés liées à l’alternance, telles qu’elles sont évoquées en entretien par les élus eux-mêmes, permettent de comprendre la survalorisation du thème de la participation, et plus précisément du BP. Sans revenir sur la trajectoire des promesses électorales (Bouillaud, Guinaudeau, Persico, 2017), force est de constater que sur les engagements de campagne (citons notamment l’abandon du projet de tramway, la gratuité des transports en commun, le passage en régie publique de la gestion de l’eau), seule la remunicipalisation des cantines scolaires a été véritablement mise en œuvre en 2018. Lors de notre enquête, l’équipe municipale doit donc faire face à d’importantes critiques. Les élus de la majorité plaident alors leur cause : il leur a fallu parer au plus urgent et remettre de l’ordre dans les services, qui fonctionnaient « en roue libre » [10], lancer les projets d’aménagements urbains nécessaires qui n’avaient pas été mis en œuvre par l’équipe précédente [11]. Mais dans ce contexte politiquement difficile, le BP, également promesse de campagne, est présenté comme un symbole fort de la « rupture » dans la gestion municipale et du volontarisme de l’équipe en place.

15Ainsi, à la question de savoir pourquoi l’équipe municipale a choisi de mettre en place un BP, la réponse est unanime, des élus aux services, en passant par le cabinet : c’était une promesse de campagne. En effet, cet engagement figurait en bonne place dans les programmes des listes PS et Front de gauche, avec la proposition d’un BP qui devait concerner, respectivement, 5 et 10 % du budget d’investissement de la ville, permettant ainsi un consensus aisé sur la mise en œuvre d’un tel dispositif :

16

« L’idée d’une politique d’implication citoyenne était présente parmi les soutiens à la candidate, mais sans que cela soit très précis […], le constat avait été fait que les conseils de quartier étaient moribonds à Avignon, volontairement de la part de l’ancienne municipalité […]. Alors que le BP était une vraie interrogation : il n’y avait que peu d’oppositions à ce sujet au sein de la future majorité, la question était surtout de savoir si ça devait être un budget en plus ou un budget par délégation, et un budget d’investissement ou un budget de fonctionnement ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

17

« Le BP fait partie de ces éléments qui ont été simples dans la fusion des listes donc on a décidé qu’on mettrait ensemble en œuvre un processus de BP […] ça n’a jamais posé aucun problème.
[…]
Q : Dans votre campagne, vous aviez proposé un budget à 10 %…
– Oui mais la campagne c’est le temps des rêves ! […] Rester sur une masse budgétaire pas très importante, ça permet d’aller plus vite sur la réalisation, […] ça permet d’être réactif sur des choses réalisables en proximité ».
(Entretien adjoint de quartier 3)

18

« Le BP était un engagement de Cécile Helle, c’était dans les projets de la campagne ».
(Entretien adjointe de quartier 1)

19Non seulement l’idée semble faire consensus, mais elle se présente comme une initiative politique prioritaire. Lorsqu’on interroge les élus et les conseillers pour essayer de remonter à la source de cette inspiration participative, et notamment essayer de savoir si des exemples ont servi de point de départ au dispositif avignonnais, la réponse est encore unanime : l’idée initiale vient de la maire elle-même. Ce n’est qu’après l’impulsion donnée par la maire que les autres élus, peu au fait de l’existence de ces dispositifs, se renseignent sur les exemples de Grenoble, Montreuil ou Metz, qui reviennent quasi systématiquement lorsqu’on les interroge sur les modèles qui ont inspiré l’expérience avignonnaise :

20

« Les élus sont allés voir d’autres villes : Grenoble, Rennes, Metz avec une démarche pour voir comment ça se passait et une ville en région parisienne avec un dispositif assez semblable. Ils ont fait un mix de ce qui existe déjà, en fonction de leurs objectifs ».
(Entretien DGA, mairie Avignon)

21

« Oui on avait des modèles, Grenoble, Montreuil, Metz, j’ai lu des articles. C’est un truc qui vient d’Amérique du Sud quand même [il fouille dans quelques articles qu’il a imprimés sur les BP et me les montre]. J’avais fait une note de synthèse au maire à partir de villes de référence en France. Mais on n’a pas rencontré les équipes municipales, on était sous l’eau aussi ».
(Entretien adjoint en charge du BP)

22

« Les services administratifs nous ont dit ce qui se faisait ailleurs et moi je suis allée voir aussi sur les sites internet ce qui se faisait ailleurs, à Paris, ou Strasbourg, Rennes, notamment ».
(Entretien adjointe de quartier 1)

23Les villes prises en exemple sont toutes des villes de gauche, à majorité socialiste ou écologiste, qui semblent être celles qui ont été labellisées par la maire. Ce sont d’ailleurs aussi ces mêmes exemples auxquels elle se réfère pour présenter l’expérience de BP d’Avignon lors d’un colloque universitaire à l’université d’Avignon [12]. Ainsi, la référence au modèle brésilien, qui semblait la norme précédemment lors de la mise en place d’un BP (Rocke, 2014), n’est mobilisée que très marginalement ici : le BP est un dispositif d’action publique qui fait sens avant tout par rapport à la norme nationale.

24La seule voix discordante dans cet unanimisme est celle des élus communistes, dont le programme du premier tour proposait également un BP. Ainsi que le rapporte l’ancien tête de liste communiste, les colistiers se sont rendus dans différentes villes communistes pour découvrir plusieurs expériences, notamment celle de Grigny dans le Rhône. Très classiquement, la démocratie participative est intégrée dans le marquage partisan communiste, en référence directe à une série d’expériences conduites dans le giron du parti (Nez, Talpin, 2010). Or, il apparaît clairement que le BP a été choisi par la maire et son entourage proche, non sur la base des suggestions de ses « alliés » communistes, mais en se basant sur les exemples les plus médiatisés des grandes villes françaises en la matière, sans que le reste de la majorité municipale soit très au fait du fonctionnement de ces outils. L’objectif principal est alors de mettre en place rapidement, et avec un investissement limité, un dispositif qui permette de matérialiser l’alternance politique. En effet, les deux municipalités précédentes conduites par l’UMP Marie-Josée Roig sont décrites comme clientélistes et plutôt fermées à la discussion directe avec la population :

25

« J’ai travaillé sous l’ancien mandat où ça n’existait pas… les gens n’avaient pas l’habitude d’avoir la parole, j’ai assisté à des réunions publiques qui tournaient à la vindicte, l’élu s’est fait dégommer par des personnes très en colère ! ».
(Entretien responsable administratif mairie de quartier)

26

« Si on veut que les gens participent, il faut aller les chercher, ça n’a jamais été fait sur Avignon, il faut tout faire […] mais vu d’où on part, c’est déjà pas mal, mais c’est un travail quotidien, ce n’est que le début ».
(Entretien adjointe de quartier 2)

27L’offre de participation semble donc clairement un moyen pour la nouvelle équipe de marquer symboliquement la rupture, en mettant en avant son envie d’être à l’écoute des demandes et besoins de la population (Mazeaud, 2016). La nouvelle équipe insiste sur son ambition de la ramener les habitants vers la politique en stimulant directement leur intérêt.

28Cette prise en main du dispositif directement par la maire et son cabinet repose aussi sur sa personnalité et son parcours professionnel : maîtresse de conférences à l’Université d’Avignon, géographe de formation [13], celle-ci a tendance à investir directement les sujets touchant de près ou de loin à l’aménagement du territoire – sa spécialité de recherche [14] – alimentant ainsi la stratégie de gérer directement les politiques comme celle du BP :

29

« On a l’avantage d’avoir un maire, d’abord en tant qu’universitaire, et plus en tant que géographe qui a l’habitude de regarder ce qui se fait ailleurs et comment on peut l’adapter chez nous, donc je dirais que le recours aux conseillers extérieurs a été moins utile que ce qu’il aurait pu être si le maire avait eu une autre personnalité […] là elle avait déjà une idée assez claire de ce qu’il fallait faire ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

30Les publications les plus récentes de C. Helle portent d’ailleurs sur le concept de « géogouvernance », qui est défini comme « une démarche permettant d’aboutir à une connaissance partagée du territoire » entre élus, experts et citoyens, concept qui s’organiserait autour de « ceux de développement durable et de démocratie participative » (Masson-Vincent et al., 2012) [15]. Le capital scientifique de la nouvelle maire est donc rapidement reconverti et mobilisé en expertise sur la participation citoyenne et la démocratie participative.

31La mise en place du BP à Avignon tient donc largement à l’influence du politics : la mise en scène de l’alternance, le souci de la mise en œuvre des promesses de campagne, le leadership mayoral s’avèrent plus déterminants dans le choix du BP que les problèmes publics de l’espace urbain. Par conséquent, lors de sa mise en place, le dispositif n’est doté que d’objectifs politiques très généraux (inclure la population, renouveler la gouvernance municipale) et de modèles lointains, qui ne font l’objet d’aucun « transfert » en bonne et due forme (Mazeaud et al., 2016). Ce contexte d’émergence marque profondément la première édition du BP.

Le sous-investissement procédural : des tâtonnements aux fraudes

32Malgré le volontarisme mis en avant par l’équipe municipale, le BP est très rapidement fragilisé par un sous-investissement procédural. En effet, celui-ci est lancé précipitamment, avec peu d’expertise disponible sur le sujet parmi les techniciens ou les élus, ce qui aboutit à plusieurs éléments dysfonctionnels. Au-delà des discours, le dispositif est cadré progressivement et a minima, essentiellement via le recrutement de fonctionnaires territoriaux spécialisés.

33La première édition du BP est lancée à marche forcée au printemps 2017 pour des projets devant voir le jour courant 2018. Le dispositif se décline concrètement en six phases :

  1. La population est invitée à soumettre des projets sur Internet via la saisie d’un formulaire sur le site de la mairie, ou via un formulaire papier de dépôt disponible en mairie de quartier et à déposer dans les urnes (voir figure 1) des mairies de quartier également (mai-juin) ;
  2. Le comité de pilotage sélectionne des projets en étudiant leur adéquation avec les critères d’éligibilité fixés [16] ;
  3. L’administration municipale engage des études techniques concernant les projets retenus ;
  4. La municipalité organise une présentation publique des projets (la ruche à projets) ;
  5. Les projets sont soumis au vote (4 semaines, courant novembre-décembre), en ligne ou dans les mairies de quartier ;
  6. La réalisation des projets lauréats est engagée sur les deux années civiles suivantes (c’est-à-dire 2019 et 2020 pour l’appel à projets 2018).

Figure 1

Une urne de dépôt des projets du BP de la mairie Ouest (entre alarme incendie, horaires de lignes de bus et programmes d’un événement culturel)

Figure 1

Une urne de dépôt des projets du BP de la mairie Ouest (entre alarme incendie, horaires de lignes de bus et programmes d’un événement culturel)

Source : photo personnelle de l’auteure, 15/10/2018.

34La première édition – comme les deux suivantes d’ailleurs – est entièrement développée et gérée par les services municipaux : la communication et l’étude technique des dossiers sont assurées par les différents services spécialisés de la mairie et le règlement du BP est élaboré par un comité de pilotage interne comprenant des élus de la majorité, des membres du cabinet de la maire et la maire elle-même, ainsi que des personnels administratifs et techniques intéressés par la démarche. Jusqu’en mai 2017, le dispositif ne comprend dans son pilotage aucun spécialiste des questions de participation publique, ni aucun prestataire, pourtant facilement mobilisables (Mazeaud, Nonjon, 2018).

35Cette situation prend fin avec le recrutement d’une nouvelle directrice du département « Vie des quartiers », dont la fiche de poste publiée mentionne comme première mission de « développer la participation des habitants au sein des instances de démocratie participative (Conseils de quartiers) et dans le cadre des différents projets à initier sur la commune ». La personne recrutée sur ce poste présente la particularité de s’être spécialisée pendant une quinzaine d’années dans le développement de la démocratie locale, notamment autour de la mise en place de conseils de quartier dans une ville comparable à Avignon. Elle est donc dotée d’une solide expérience professionnelle en la matière, au cours de laquelle elle travaille à plusieurs reprises avec l’ADELS (Association pour la démocratie et l’éducation locale et sociale) et intervient comme formatrice pour le CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) sur les questions de démocratie locale et de dialogue public. Cette nouvelle directrice va prendre en charge le pilotage du dispositif, avec son assistante, jusqu’en avril 2018 [17], date à laquelle est recrutée une deuxième personne en charge de la direction « Vie participative » [18]. Le BP est donc désormais animé principalement par une seule personne, la directrice « Vie participative », appuyée par la DGA du pôle « Vivre la ville » qui continue de piloter le dispositif. Cette gestion internalisée, et restreinte, est clairement revendiquée. En entretien, la DGA met en avant la « volonté de faire en interne » et de fonctionner essentiellement avec les compétences disponibles, car selon elle « de plus en plus de professionnels de la participation sont des agents titulaires donc les organisations peuvent internaliser ça […] avec l’objectif de réduire la part des acteurs externes qui viennent orienter la politique de participation » [19].

36Cependant, en dehors de ces deux agentes, les compétences internes en matière de participation publique restent faibles. Les entretiens conduits avec les personnels des services techniques en charge de la mise en œuvre des projets retenus soulignent leur méconnaissance de ce type de dispositif. Une jeune urbaniste, initialement recrutée en service civique au sein de la direction de la programmation de l’aménagement urbain, maintenant cheffe de projet d’aménagement urbain, est rapidement spécialisée sur le suivi des projets issus du BP : en 2017-2018, sur un service de huit personnes, elle est la seule à s’en occuper en ayant la charge de 10 des 22 projets retenus. Dans les autres services, la plupart des agents rencontrés affirment avoir été très réservés initialement sur le BP, pour s’impliquer progressivement au fur et à mesure des éditions.

37À ces faiblesses de la gestion internalisée, s’ajoute la faible expertise des élus, exception faite de la maire et d’un adjoint communiste. La plupart des élus rencontrés se déclarent incompétents [20]. Toutefois, contrairement aux agents administratifs qui doivent gérer le dispositif malgré leur incompétence ressentie, les connaissances limitées des élus en matière de BP conduisent à un sous-investissement politique. Ainsi, s’il semble avoir existé un consensus sur le recours à l’outil et sur ses objectifs généraux, ses modalités de mise en œuvre sont beaucoup moins claires pour la plupart des élus concernés, qui n’y prêtent qu’une attention limitée, parfois uniquement à l’occasion de nos entretiens.

38Durant ces entretiens, les membres du comité de pilotage insistent fréquemment sur un processus de tâtonnement, correspondant ni plus ni moins à une délégation de la conduite du dispositif à l’administration : après avoir « inventé » [21] le BP en se fondant sur un « benchmarking » [22] conduit à partir des exemples de villes de gauche, prises comme modèle, la démarche s’est ensuite appuyée sur l’expérience de la nouvelle DGA, qui a pu proposer un certain nombre de solutions pour opérationnaliser le dispositif. Ce discours nous est unanimement livré par les élus, alors même que la DGA explique en entretien n’avoir été que peu consultée sur la procédure et le règlement, étant arrivée une fois les principaux arbitrages rendus. Au moins deux éléments procéduraux illustrent très concrètement ce sous-investissement : la sectorisation du vote et le vote en lui-même. Ces deux problèmes, qui résultent des conditions de mise en place du BP, ne suscitent aucune réaction particulière parmi les élus de la majorité, alors même qu’ils témoignent de dysfonctionnements d’un dispositif voulu inclusif.

39Le premier point problématique est celui de la sectorisation des projets, pensée comme moyen de limiter la visibilité des inégalités de participation selon les quartiers. Pour ne pas donner l’impression (réelle) que les deux quartiers les plus favorisés socio-économiquement et les plus participants électoralement déposent davantage de projets que les quartiers populaires, le choix a été fait de découper la ville en trois secteurs (voir figure 2), chacun rassemblant une partie des quartiers les plus impliqués et de ceux les moins impliqués. Une catégorie « ville entière » a aussi été constituée, rassemblant trois à cinq projets selon les éditions.

Figure 2

Carte des projets soumis au vote lors de l’édition 2018

Figure 2

Carte des projets soumis au vote lors de l’édition 2018

Légende : Les rectangles indiquent approximativement les quartiers concernés par la politique de la ville.
Source : Site Internet du BP de la mairie d’Avignon, consulté le 15 juillet 2019.

40

« Les secteurs sont arrivés après [juste avant l’ouverture du vote, soit bien après la clôture du premier appel à projets]. Au départ, le maire voulait que le BP se fasse sur l’ensemble de la ville mais on s’est dit qu’on allait avoir toujours les mêmes qui se mobilisent et donc sans sectorisation, on va avoir toujours les mêmes projets : intra-muros et Montfavet, d’ailleurs ce sont aussi ces quartiers qui ont le plus proposé des projets. Donc on a fait trois secteurs pour être sûrs d’avoir quelques projets par secteur tout en sortant des quartiers ».
(Entretien DGA, mairie Avignon)

41Ces projets « ville entière » (type cabanes à livres, ruches urbaines, nichoirs à oiseaux, etc.) ont d’ailleurs été épinglés sur tous les emplacements potentiels (voir figure 2). Avec cette démultiplication, la carte comme la sectorisation permettent de lisser les inégalités de participation entre quartiers et de mettre en scène une population force de proposition sur l’ensemble du territoire.

42De plus, un regard un peu averti repère aisément qu’environ la moitié des projets sur les deux premières éditions sont déposés par des habitants ou des collectifs émanant des deux quartiers les plus favorisés, sur les neuf que compte la ville. Lors de la première édition, deux quartiers (un plutôt favorisé, un populaire) ne soumettent même aucun projet ; et seulement 9 des 33 projets déposés concernent des quartiers prioritaires au titre de la politique de la ville, dont 5 portés par des personnes de ces quartiers. De même, la comparaison des montants moyens des projets montre que ceux déposés par les habitants des deux quartiers les plus favorisés sont chiffrés à 50 000 € en moyenne par projet, tandis que les projets déposés par les personnes des autres quartiers ont un chiffrage moyen d’environ 32 000 € par projet.

43Les « ruses » de la sectorisation et de la cartographie illustrent une forme d’évitement du problème : les disparités de mobilisation dans la population ne sont pas réellement questionnées, et il importe surtout de les rendre invisibles en atténuant la réalité de leur concentration. De fait, aucun élu ne semble particulièrement soucieux – nous y reviendrons – de faire du dispositif autre chose que ce qu’il est destiné à être : une forme sophistiquée d’appel à projets, destiné prioritairement aux habitants les plus investis.

44Le second dysfonctionnement concerne les modalités du vote. En effet, les habitants peuvent voter soit par Internet, soit par bulletins papier, déposés dans les urnes mises à disposition dans les mairies de quartier (voir figure 1) ou en mairie centrale. Toute personne, qu’elle habite Avignon ou non, peut voter pour trois projets dans un même secteur, ce qui correspond à un choix délibéré des élus :

45

« On ne voulait pas utiliser les listes électorales pour ne pas écarter les gens qui ne sont pas inscrits : notamment les étrangers qui ont le droit de participer aussi. Comme disait le maire et c’est cette idée qui a été retenue à la fin : si on a des Avignonnais d’origine qui aujourd’hui ne vivent plus à Avignon mais sont à Singapour, à Paris ou ailleurs, et qui à un moment donné trouvent cette idée suffisamment intéressante pour dire moi j’ai envie de dire quelque chose, il faut qu’ils puissent le faire ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

46Or, si l’adresse IP du terminal servant à voter est contrôlée pour empêcher les votes multiples [23], le vote papier a manifestement connu de nombreuses irrégularités. En effet, dès la ruche à projets qui inaugurait la phase de vote, les votants ont été nombreux à déposer plusieurs bulletins dans les urnes, puisqu’aucun contrôle d’identité n’était effectué, à tel point qu’il a fallu réimprimer des bulletins en cours de matinée [24]. Le même phénomène s’est produit ensuite dans les différentes mairies : les urnes n’étant pas surveillées, un certain nombre de porteurs de projets ont concédé, en entretien, avoir déposé plusieurs bulletins à plusieurs reprises, ou avoir demandé à leur entourage de faire de même. Le choix de ne pas contrôler le vote des habitants a manifestement fait l’objet de débats au sein de l’équipe qui pilote le dispositif, au sein des conseils de quartier et même lors de la réunion des porteurs de projets retenus pour la ruche à projets [25]. L’équipe de pilotage a choisi d’assumer cette absence de contrôle en mettant en avant la nécessité d’avoir un dispositif le plus inclusif et souple possible, afin de ne pas effrayer les potentiels votants, de séduire et d’enrôler largement la population :

47

« On ne voulait pas un système trop similaire à une élection classique, parce que ça écarte trop de monde, alors on voulait quelque chose qui soit le plus ouvert possible […] Mais on sait qu’il y a eu de la fraude et ce qu’on s’est dit c’est que celui qui a envie de truander le système, c’est quand même qu’il a envie de jouer le jeu du système puisqu’il considère que son vote a une importance. Bon s’il a voté pour neuf projets c’est pour aider neuf projets ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

48

« L’intérêt ce n’était pas de contrôler, on s’est dit que si les gens manifestaient un intérêt, on laissait faire. Il fallait éviter le côté négatif du contrôle et donc prendre le risque que certains votent plusieurs fois. Les conseillers de quartier étaient interrogatifs sur le sujet mais l’objet du BP ce n’était pas de taper sur les doigts mais de les embarquer dans le BP. Et puis il y a aussi des contraintes de moyens et technologiques, qu’on ne pouvait pas assumer […]. Il y a des gens qui se sont vraiment investis mais ce n’est qu’un petit pourcentage de gens qui trichent ».
(Entretien DGA, mairie Avignon)

49Les fraudes apparaissent comme une conséquence paradoxale de cette volonté d’inclure largement : pour ne pas freiner les velléités participatives espérées, elles sont tolérées. Et elles le sont d’autant plus que la mairie ne communique jamais sur le nombre de votants : nous estimons que moins de 3 % de la population de la ville a pris part au scrutin pour la première édition. Cependant, si ces fraudes n’inquiètent pas outre mesure les organisateurs, le message implicite est celui d’une plus faible portée démocratique du BP, qui n’est pas considéré comme le lieu d’une véritable participation à la gestion de la politique municipale [26]. Ni élection, ni véritable outil décisionnel, il n’est pas nécessaire de se formaliser des irrégularités constatées lors du BP, le « vrai » jeu politique ne se situant pas là.

50Si ce sous-investissement procédural mérite d’être mentionné, c’est qu’il contraste avec l’appartenance du BP à la « troisième vague » évoquée plus avant : en 2017, les enjeux proprement procéduraux de la mise en place d’un BP sont connus, faciles à identifier et s’appuient sur deux générations d’expérimentations. En somme, pour cette troisième génération, il semble que les problèmes de procédure tiennent moins au caractère expérimental et innovant du dispositif qu’à l’attention que leur portent les élus. Sans réifier l’importance de la procédure, ce sous-investissement semble avoir contribué à disqualifier pour partie la procédure aux yeux des porteurs de projets, particulièrement sur la dimension du vote. S’il ne s’agit pas de distribuer les bons et mauvais points des BP, ces flottements sont d’autant plus frappants qu’ils ne semblent pas gêner les élus, qui en ont parfaitement conscience et s’appuient aussi sur le dispositif pour réaffirmer leur attachement à la démocratie.

L’important, c’est de participer : quand le paternalisme démocratique s’exprime

51Les déboires du BP ne semblent pas entamer la capacité des élus à se féliciter de sa mise en place. Les propos livrés en entretien par les élus et leurs entourages nous permettent alors de comprendre l’extraordinaire résilience d’une posture presque caricaturale de « l’élu » face à l’enjeu de la démocratie : nos enquêtés réaffirment sans cesse la spécificité de la place de l’élu, et réactivent une lecture paternaliste du fonctionnement de la démocratie représentative [27].

52Tout d’abord, comme observé sur d’autres échelles ou dispositifs (Mazeaud, 2011 ; Font, Della Porta, Sintomer, 2014 ; Petit, 2017), le dispositif est faiblement inclusif : les porteurs de projets sont souvent à la retraite, sont aussi souvent familiers de l’action associative ou maîtrisent les rouages des appels à projets publics de par leur activité professionnelle, appartiennent souvent aux catégories les plus dotées socialement et culturellement, ou encore sont membres de conseils de quartier [28]. À l’inverse, certains groupes sont complètement absents des deux éditions, notamment les plus jeunes et les plus pauvres. Or, lorsque cette question de la faible inclusion du dispositif est soumise en entretien aux élus et à l’équipe de pilotage, les réponses sont invariablement les mêmes : il faut laisser le temps au dispositif « d’infuser » [29] parmi la population. Ainsi, les réponses sont très attentistes en comparaison des objectifs revendiqués :

53

« Q. : Avez-vous stimulé la participation en dehors de la communication ?
– Non on ne voulait pas tordre le système, l’idée du maire c’était de dire qu’on n’était pas en campagne électorale pour voir si les gens allaient voter parce que le BP les intéressait ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

54D’une certaine façon, les élus et leur entourage semblent partager la conviction que certains publics ne pourront pas être atteints par les dispositifs mis en place et qu’il faut se satisfaire de ce qui est déjà fait. Le différentiel de propension à participer selon les catégories sociales (Petit, 2017) ne fait pas réellement l’objet de propositions de solution, ou provoque des réactions assez condescendantes :

55

« Ceux qui se sentent concernés sont ceux qui sont déjà impliqués dans la vie de la cité, qui se sentent concernés par leur quartier. On en a un qui nous a fait dix projets, dont aucun de la compétence de la ville, du n’importe quoi comme transformer l’aéroport d’Avignon en aéroport international… bon c’est des gens qui n’ont rien à faire ! ».
(Entretien adjoint en charge du BP)

56

« Et puis on est aussi dans une ville où ça ne parle pas beaucoup français, où les gens n’écrivent pas français, ou n’écrivent pas du tout… Un projet ça veut dire qu’il faut quand même un minimum de construction, trouver quelqu’un pour écrire et puis intellectuellement parlant, c’est quand même réservé toujours aux mêmes couches de population, […] c’est toujours un peu les mêmes, c’est les retraités, qui ont le temps de réfléchir, qui se posent déjà des questions, des gens qui savent qu’ils sont citoyens d’une ville et qu’ils peuvent agir dessus. Après c’est un problème de culture beaucoup : on n’a pas l’habitude. […] À [quartier populaire], ils pensent à ce qu’ils vont manger demain, donc culturellement parlant ce n’est pas possible de l’envisager ! On aimerait beaucoup qu’ils participent parce que ce sont eux qui ont des besoins mais culturellement parlant c’est pas leur préoccupation, et puis ils n’oseraient pas… ».
(Entretien adjointe de quartier 2)

57Les quatre élus rencontrés [30] font partie des plus investis dans le dispositif et présentent des profils politiques contrastés, reflétant la diversité du métier politique local (Bidégaray, Cadiou, Pina, 2009). Les deux élues adjointes des quartiers 1 et 2 sont toutes deux de nouvelles élues, dans la cinquantaine, et présentent un profil peu « professionnalisé ». Leur mandat constitue leur premier engagement politique, elles n’étaient pas encartées avant de rejoindre la liste municipale en 2014, même si elles se décrivent toutes deux comme des sympathisantes socialistes. Entrepreneure pour l’une et avocate pour l’autre, elles ont mis en suspens leurs activités professionnelles pour s’investir dans leurs mandats. Elles décrivent leur entrée en politique comme profondément liée à la personnalité et au projet de C. Helle. L’adjoint en charge du BP présente un profil plus professionnalisé : médecin généraliste à Avignon, encore en activité, il était déjà conseiller municipal dans l’opposition sous les mandatures précédentes, dans les groupes apparentés socialistes. Enfin, l’adjoint au quartier 3 est le plus professionnel des quatre élus rencontrés : ancien infirmier en hôpital psychiatrique, militant communiste de longue date, il cumule les mandats locaux dans les conseils municipaux, intercommunal et départemental. Il a aussi été candidat aux élections législatives à plusieurs reprises sur la 1re circonscription du Vaucluse.

58Malgré des profils et parcours politiques différents, pour les élus proches ou impliqués dans le dispositif, l’important est ailleurs. Le BP, du fait même de son existence, donne corps à une conception bien précise de la démocratie, qu’ils plébiscitent et appellent de leurs vœux : dans cette démocratie, la participation se concentre sur les « petits lieux du politique » (Bertheleu, Neveu, 2005), les projets d’aménagements, et ne remet en cause ni la conduite du projet de ville, ni la gouvernance représentative de la ville. La conception même du BP est profondément marquée par une forme de paternalisme des élus vis-à-vis de la population. Ainsi, les élus ne s’émeuvent pas des limites évidentes du dispositif, mais argumentent fortement en faveur de la distinction classique entre démocratie participative et démocratie représentative : si la participation des habitants est revendiquée et mise en œuvre, via le BP, celle-ci doit se fondre dans le cadre précisément délimité que l’équipe municipale a prévu, ainsi que le résume très bien la maire [31] :

59

« Et je pense qu’il y a un équilibre à trouver entre la démocratie représentative et la démocratie participative mais ce juste équilibre il convient de le définir et ce n’est pas forcément si évident que ça. J’ai plein d’exemples à Avignon, où si on avait vraiment écouté l’habitant on ne serait pas allé sur ce projet-là et qui aujourd’hui fait l’unanimité ».
(Conférence Cécile Helle, colloque Géopoint, 14 juin 2018)

60Les élus tout comme l’équipe de pilotage présentent le BP comme une sorte d’ersatz démocratique, parfaitement assumé. La démocratie, la vraie (la représentative), est faite de conflits, de pressions, d’adversité, dont les « citoyens » doivent être épargnés. Proposer un projet dans le cadre du BP ne doit pas exposer les citoyens à des règles aussi « dures » que celles qui régissent la compétition électorale. Ainsi, le nombre de voix obtenu par chaque projet n’est pas publié :

61

« Ça paraissait difficile de demander à des citoyens de demander une préférence sur des projets d’autres citoyens : quand vous êtes candidat à une élection, vous connaissez la règle, vous faites campagne, vous savez que vous pouvez perdre à 49,99 % et que c’est l’autre qui va gagner, vous savez, vous êtes habitué et quand vous vous présentez à une élection difficile, vous savez que vous pouvez prendre un uppercut… Là on demandait à des gens d’être porteurs de projets et si on leur disait vous avez fait 201 voix alors qu’il en fallait 202 pour être qualifié, les gens ne reviennent pas l’année prochaine ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

62Le but est moins d’inclure ces participants dans une procédure décisionnelle claire que de charrier du « sens » et du « symbole » démocratique. Ce primat représentatif, qui n’est en lui-même pas nouveau (Blatrix, 2009), peut même conduire à des situations de démobilisation de certains quartiers. Ainsi, dans un des quartiers populaires, plusieurs projets sont déposés par des habitants, lors de la première édition du BP. Toutefois, les services chargés de la première sélection les ont écartés au motif que ceux-ci étaient déjà prévus dans leur plan de charge annuel. L’équipe de pilotage finit par s’apercevoir (tardivement) de l’absence de projet dans ce quartier, excentré et enclavé, avec d’importantes difficultés socio-économiques. Ainsi, l’objectif de participation des habitants est subordonné à la visibilité de l’action municipale dans ces quartiers :

63

« Il y a eu un vrai loupé sur [X] : dans un quartier qui a tous les labels, dans lequel on se bat pour la participation citoyenne, on a écarté tous les projets. Le problème c’est que 80 % des projets déposés par les gens de [X] avaient déjà été retenus au titre des “marches exploratoires” donc ce sont des projets qui verront le jour, c’est vrai. […] Mais c’est parce qu’à cette époque on n’avait pas assez d’appui sur l’entrée démocratie participative et donc les services techniques ont pris des décisions non politiques ».
(Entretien conseiller technique cabinet du maire)

64Ces problèmes ne remettent pas fondamentalement en cause le dispositif et donnent lieu à un simple recadrage : lors de la deuxième édition, les services techniques sont avertis de la portée « politique » des décisions. Cette fois-ci, un projet d’aménagement porté par des habitants du quartier est maintenu, en étant « fondu » dans un projet de plus grande envergure déjà programmé par la municipalité.

65Quels que puissent être les problèmes de mise en œuvre, les vertus pédagogiques du BP sont largement mises en avant par les élus. La « pédagogie » s’apparente ici quasi exclusivement au principe d’une « découverte des contraintes ». Une fois le projet retenu, ils découvriraient les multiples facettes du travail administratif, sa complexité, sa lenteur, ses contraintes et plus particulièrement les règles budgétaires qui s’appliquent aux collectivités [32]. Si les projets tardent à avancer, les élus se satisfont tout de même des proximités qui se créent entre les porteurs de projet et les services techniques. Cette « pédagogie » budgétaire est ainsi fréquemment présentée en entretien comme une vertu démocratique du dispositif :

66

« Ensuite, la compréhension citoyenne de la démarche puisque quand on n’est pas habitué à une nouvelle démarche il y a des interrogations, c’est comme le bébé qui passe du quatre pattes à la position debout donc il faut que ce soit bien expertisé. […] Oui ils [les porteurs de projet] sont confrontés à des mécaniques administratives, moi j’ai déjà du mal à m’y habituer alors quelqu’un qui n’est pas là-dedans comprend encore moins ».
(Entretien adjoint de quartier 3)

67

« Ce qu’on n’a pas bien expliqué la première fois, c’est que tout projet même voté par les citoyens n’est pas forcément réalisable dans son entier […] notamment à cause du secteur sauvegardé dans l’intra-muros […] Ça donne aussi une notion de l’argent public quelque part c’est-à-dire que les porteurs de projet se rendent compte des coûts, on le sait que ça a un coût mais à ce point-là on ne savait pas ».
(Entretien adjointe de quartier 1)

68

« Et d’ailleurs ils en seraient incapables, moi aussi, on est toujours étonné de voir le coût réel d’un projet : 50 mètres de trottoir c’est 100 000 euros ».
(Entretien adjoint en charge du BP)

69Il s’agit donc à la fois de préserver le « citoyen » de la rudesse du métier d’élu, tout en permettant à « l’habitant » de se confronter au quotidien de ce même métier, qui est en partie déterminé par la complexité des contraintes réglementaires et administratives qui pèsent sur la fabrique des politiques publiques, norme désormais intériorisée par les agents publics locaux (Ségas, 2017). La mission de pédagogie conférée au BP, en faisant découvrir le quotidien des élus, ou plutôt l’idée qu’ils souhaitent en donner, leur permet en retour d’alimenter leur vision de la démocratie :

70

« La prise de décision ne doit pas se faire par procuration. Pour moi celui qui doit prendre la décision c’est bien l’élu parce que c’est lui qui a la légitimité, en tout cas le temps de son mandat il a la légitimité démocratique pour prendre les décisions ».
(Conférence Cécile Helle, colloque Géopoint, 14 juin 2018)

71

« La démocratie participative a des limites parce qu’à un moment donné, il faut bien décider. […] le risque c’est de se faire engueuler pendant une réunion publique, c’est normal ! On ne peut pas susciter l’adhésion totale ! Et puis il y a des gens qui étaient opposés au départ et une fois qu’ils ont compris tout le projet, ils sont venus nous remercier. […] La démocratie commence par la pédagogie, la démocratie s’exprime quand on a expliqué les choses […] et si on dit : “Voilà le projet et je vous laisse en discuter”, ça ne passe pas non plus, il faut indiquer le projet, dire qu’on est à l’écoute des gens, mais il faut une direction ».
(Entretien adjointe de quartier 1)

72Il ressort de ces discours une vision à la fois extrêmement classique, générique et désincarnée de la démocratie, qui maintient l’élu au centre de la régulation politique : à la fois légitime pour gouverner, tout en étant en capacité de le faire, car rompu aux usages et aux rouages du gouvernement local, l’élu ne peut que maintenir les habitants dans une position périphérique. Cette vision de la démocratie n’est enfin jamais contextualisée par rapport aux enjeux spécifiques du terrain avignonnais, renforçant l’image d’un système hors sol, où l’on demande une fois de plus aux citoyens de participer à un dispositif, dont on n’imagine pas qu’il puisse réellement permettre de partager la décision. Alors qu’il est adopté dans l’urgence d’une situation sociale et politique précise, le dispositif donne l’impression de se désincarner rapidement, et de ne servir qu’à alimenter des discours génériques sur la « vitalité démocratique », qui pourraient être tenus n’importe où.

Conclusion

73Partant de la nécessité de remobiliser les citoyens, face à leur déficit de participation et d’investissement dans la vie de la cité, le BP avignonnais est apparu aux élus de la majorité municipale comme un moyen de recréer du lien démocratique avec la population, qui correspond en outre à leur volonté de mettre en scène la rupture politique avec la majorité précédente. Ce dispositif, et plus largement la démocratie participative, fonctionne comme un levier de mise en scène de l’alternance municipale, à moindres frais. En effet, celui-ci présente plusieurs avantages non négligeables : les 5 % du budget municipal qui sont alloués au dispositif sont prélevés sur le budget d’investissement, les projets ne doivent pas comporter de dépenses de fonctionnement, les projets doivent relever exclusivement de la compétence de la ville et ne nécessitent donc pas de négociation au sein de la communauté d’agglomération, il est géré en interne sans prestation externe que ce soit en conception ou en réalisation, il ne touche pas à des contrats passés avec des prestataires extérieurs. Somme toute, nous sommes en présence d’un dispositif dont le coût financier est assez peu élevé, qui peut être mis en œuvre rapidement et décliné pour différents thèmes ou publics.

74Le cas du BP d’Avignon permet donc d’accéder à un discours très conventionnel et attendu de la part des élus sur la démocratie. Notre enquête conduit même à repenser la relation entre le dispositif et les discours qui l’accompagnent. Initialement, l’objectif était d’étudier le discours des élus pour comprendre la manière dont ils légitimaient le dispositif, celui-ci constituant, en quelque sorte, le point de départ des discours sur la démocratie. Progressivement, il apparaît que ces discours s’énoncent en réalité sans aucun lien direct avec le dispositif, qui n’est au final qu’un prétexte facilement mobilisable par les élus, pour produire des discours très convenus et généraux sur la qualité de la démocratie, mais aussi sur la qualité des citoyens-habitants, qui devraient plus s’investir dans le cadre qui leur est dédié. Ainsi, une précédente étude comparative sur les BP s’intéressait à l’impact de la crise économique, qui avait contribué à transformer un outil de justice sociale en levier de réduction budgétaire (Rocke, 2014) : à Avignon, le BP est loin d’être instrumentalisé pour justifier d’économies dans les projets municipaux, certains projets acceptés ayant nécessité un investissement financier plus important qu’envisagé initialement. D’une certaine façon, le BP semble être pour les élus un espace d’émergence de propositions citoyennes, qui vont être cooptées, en fonction de leur proximité avec le projet municipal, faisant écho ainsi à ce qui a été qualifié, dans d’autres contextes, de « cherry-picking » (Font et al., 2017). In fine, là où certains insistent sur la persistance des logiques d’instrumentalisation de la participation, notamment pour dialoguer avec des intérêts locaux (Kübler et al., 2019), le BP semble servir ici avant tout d’argument rhétorique aux élus pour « parler de démocratie », mais sans que ce discours se nourrisse d’une critique de la représentation ou a minima d’un désir d’association plus forte des citoyens à la vie démocratique (Schiffino et al., 2019).

75Cette remarque amène d’ailleurs à tirer un résultat d’ordre plus méthodologique de notre enquête. La focalisation sur les élus et leur discours, comme révélateur de leur subjectivité (Faure, 2016), ne permet pas complètement de reconstruire analytiquement ce que les élus « pensent » de la démocratie. Notre enquête illustre la manière dont d’autres options méthodologiques aident à reconstituer une posture plus générale des élus : d’une part, le choix de prêter une attention soutenue aux entourages des élus, considérés comme des révélateurs des normes à l’œuvre dans le champ politique (Beauvallet, Michon, 2017) ; et d’autre part, le recoupement systématique entre ce que disent et ce que font (ou surtout ne font pas) les élus. Saisir les élus au travers de leurs actes et de leurs discours sur la démocratie contribue à mettre en lumière la manière dont se construisent les rôles politiques et dont les élus cloisonnent les espaces démocratiques, entre ceux accessibles aux profanes et ceux réservés aux professionnels. Cette focale conduit, dans le cas avignonnais, à redécouvrir que le « politics as usual » n’avait pas disparu, loin s’en faut, des réformes de la démocratie locale, et que le consensus apparent sur l’urgence et la gravité de la crise démocratique est encore loin de dissoudre les frontières du champ politique et de démocratiser l’accès à la démocratie.

Bibliographie

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  • Bacqué M.-H., Sintomer Y., 2011, La démocratie participative. Histoires et généalogies, Paris, La Découverte.
  • Beauvallet W., Michon S. (dir.), 2017, Dans l’ombre des élus. Une sociologie des collaborateurs politiques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.
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Mots-clés éditeurs : paternalisme, démocratie représentative, démocratie locale, élus locaux, budget participatif

Date de mise en ligne : 04/03/2021

https://doi.org/10.3917/parti.026.0077

Notes

  • [1]
    Le genre masculin est utilisé dans le présent article comme genre neutre.
  • [2]
  • [3]
  • [4]
    L’adjoint en charge du BP et trois adjoints de quartier. Précisons de suite que la maire a décliné toutes nos sollicitations d’entretien en nous renvoyant sur différents collaborateurs.
  • [5]
    Ce qui rejoint les travaux insistant sur les liens complexes entre usage de la participation et réseaux politiques locaux (Mattina, 2008).
  • [6]
    Entretien adjointe quartier 2 : « Ce qu’on trouve aussi un peu dommage dans le BP c’est que les gens ont fait des projets pour leur quartier, c’est très bien, mais on aurait aimé qu’ils fassent des projets pour la ville. Les projets sont très : “mon trottoir, ma rue”, et la vision globale de la ville, ils ne l’ont pas, et dans les quartiers sud c’est encore pire qu’ailleurs, je ne sais même pas s’ils se sentent avignonnais. Ils sont de [noms de quartier] mais ils ne sont pas d’Avignon. » Soulignons tout de même que ce reproche est contradictoire avec la plupart des discours tenus par ailleurs, qui insistent à de multiples reprises sur la nécessité que les habitants s’impliquent dans « l’aménagement de leur quartier ».
  • [7]
    À Avignon, le taux de pauvreté est de 31 %, le taux de chômage de 26 %, et le revenu médian par ménage est de 16 058 € contre respectivement 15 %, 14 %, 20 566 € pour la France métropolitaine (source : recensement INSEE, 2015). Les quartiers prioritaires dans la politique de la ville concernent environ un tiers de la population de la ville et le programme de rénovation urbaine lancé en juillet 2018 dans le cadre du NPNRU concerne un peu plus d’un quart des logements avignonnais.
  • [8]
    Les conseils de quartier ont aussi largement été mis en avant dans les entretiens et discussions informelles que j’ai pu avoir, et dans les observations que j’ai pu faire, car ils ont été renouvelés au début de l’été 2018 et sont donc associés la plupart du temps à la politique municipale de participation publique, comme l’un des leviers identifiés localement.
  • [9]
    Alors que la moyenne nationale de l’abstention est de 36 %, celle-ci est de 43 % à Avignon, avec de fortes disparités selon les quartiers.
  • [10]
    Entretiens conseiller technique cabinet du maire et adjointe de quartier.
  • [11]
    Discussions informelles avec des membres du cabinet de la maire et des services du Grand Avignon.
  • [12]
    Colloque Géopoint, Avignon, 14 et 15 juin 2018.
  • [13]
    En parallèle de sa carrière universitaire, Cécile Helle a toujours mené une carrière politique : d’abord comme militante au sein du PS dans le Vaucluse, puis comme députée socialiste de 1997 à 2002 où elle a remplacé Élisabeth Guigou après son départ au gouvernement de Lionel Jospin, puis comme conseillère municipale à Avignon de 2001 à 2008, conseillère et vice--présidente de la région PACA de 2004 à 2014. Pour plus de détails sur la carrière politique de C. Helle, L. Godmer et G. Marrel (2016) apportent un éclairage intéressant en partant du travail politique conduit au quotidien.
  • [14]
    Elle a soutenu en 1995 une thèse de géographie à l’Université d’Avignon intitulée : L’extension du bâti en Vaucluse : analyse spatiale, sous la direction de Joël Charre.
  • [15]
    Concept forgé par une équipe de chercheurs de l’UMR Espace de l’Université d’Avignon. Voir par ailleurs : Nathalie Dubus, Cécile Helle et Michelle Masson-Vincent, 2010, « De la gouvernance à la géogouvernance : de nouveaux outils pour une démocratie LOCALE renouvelée », L’Espace Politique, 10, https://journals.openedition.org/espacepolitique/1519 (accès le 18/11/2020) ; Michelle Masson-Vincent, Nathalie Dubus-Viossat, Cécile Helle et al., 2011, « Information géographique, analyse spatiale et géogouvernance », L’Espace géographique, 40, p. 127-132.
  • [16]
    Le détail des critères est disponible ici : http://www.avignon.fr/democratie-participative/budget-participatif-2018/le-reglement (accès le 18/11/2020).
  • [17]
    En juin 2017, le DGS de la ville d’Avignon ayant été élu député, la nouvelle directrice « Vie des quartiers » prend temporairement son intérim, avant de devenir DGA du pôle.
  • [18]
    Cette deuxième personne a travaillé auparavant, pendant une dizaine d’années, dans le cadre de la politique de la ville, ayant en charge notamment l’animation des dispositifs de médiation et d’inclusion des habitants, dans plusieurs villes du Vaucluse ou des Bouches-du-Rhône.
  • [19]
    Entretien DGA, mairie Avignon.
  • [20]
    Entretien adjointe quartier 2 : « On manque d’encadrement sur la démocratie participative etc., et puis on fait tout dans l’urgence alors c’est dur de se former à tout. […] [Lors de la présentation de la feuille de route des nouveaux conseils de quartier en septembre 2018], [la directrice de la vie participative] a fait une présentation très technique, très professionnelle mais c’est loin de nos préoccupations quotidiennes […] et encore plus de celles des habitants ».
  • [21]
    Entretien adjointe de quartier 1 et entretien adjoint en charge du BP.
  • [22]
    Entretien DGA, mairie Avignon et entretien conseiller technique cabinet de la maire.
  • [23]
    Cette mesure reste tout de même facile à contourner avec un simple changement d’adresse IP ou un changement de terminal.
  • [24]
    Lors de la deuxième édition, les votes en urne sont restreints : il est impossible de voter directement lors de la ruche à projets et l’urne installée en mairie centrale a été supprimée, pour ne laisser que celles en mairies de quartier, dont on met en avant la capacité à mieux les contrôler. De plus, une affichette appelant à la responsabilité de chacun et au devoir citoyen doit être mise en place devant les urnes. Cependant, soulignons que les porteurs de projet ayant confessé avoir « bourré » les urnes l’ont fait dans les mairies de quartier, où le positionnement même de certaines urnes fait qu’elles sont impossibles à contrôler par les agents d’accueil – bien occupés par ailleurs.
  • [25]
    Je n’ai pas assisté à cette réunion, mais plusieurs porteurs de projets m’en ont rapporté les mêmes éléments.
  • [26]
    Bien qu’ils soient la plupart du temps satisfaits de voir leur idée se réaliser, les porteurs de projet également rencontrés dans le cadre de notre enquête ne sont pas dupes, plusieurs s’interrogeant sur le sens d’une telle participation à la vie municipale.
  • [27]
    À l’échelle locale, des parallèles sont observables avec ce qui a déjà été décrit au sujet de la mise en place de conseils de quartier (Bertheleu, Neveu, 2005) ; cela recoupe aussi la façon dont les dirigeants nationaux conçoivent la représentation (Schiffino et al., 2019).
  • [28]
    Lors du renouvellement des conseils de quartier en juin 2018, quatre porteurs de projet de la 1re édition du BP intègrent ces conseils.
  • [29]
    Entretien adjoint en charge du BP.
  • [30]
    Cinq autres élus, dont la maire, ont été sollicités sans avoir donné suite à nos demandes d’entretien.
  • [31]
    Cela fait complètement écho à ce que J. Talpin soulignait déjà en 2013 en pointant que « l’action publique n’est pas significativement démocratisée par la participation » (Talpin, 2013).
  • [32]
    Les élus semblent parfois si attachés à la nécessité de cette dimension pédagogique, que cela pourrait presque être lu comme une transposition de leur propre découverte du métier, lors de leurs premiers pas d’élu.

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